La Gastronomie de Bechoux 1819/Vers sur la mélancolie

La Gastronomie, Poëme
L. G. Michaud (p. 162-165).




VERS


SUR LA MÉLANCOLIE.



Trêve de joie et de plaisanterie,
Changez de ton, mes amis, je vous prie.
Vous avez ri jusqu’ici par erreur :
Je vous invite à la mélancolie.
Il faut quitter votre aimable folie
Pour les plaisirs que donne la douleur.
Vous avez cru que cette courte vie,
Où tant de maux viennent nous assaillir,
Par quelques jeux devait être adoucie,
Et que les ris la devaient embellir ;
Vous vous trompiez : la chose est éclaircie.
Oui, la tristesse est le sceau du génie.

J’en suis fâché, mais le fait est constant :
On ne devient immortel qu’en pleurant.....
Enfoncez-vous sous les sapins antiques
Qu’a respectés la hache des humains ;
Là, sur le front appliquez-vous les mains,
Et donnez-vous des airs mélancoliques.
Dans les déserts tâchez de vous sauver ;
Non loin des ours mettez-vous à rêver.
Ce voisinage est meilleur qu’on ne pense :
Vous trouverez les ours intéressans :
Puisqu’il faut voir malgré soi les vivans,
Aux animaux donnez la préférence.
Le vrai bonheur est caché dans les bois.....
Mais cependant, vous pouvez quelquefois
Jeter les yeux sur les hommes, vos frères.
Exagérez leurs maux et leurs misères ;
Invitez-les d’avance à préparer
Ce qu’il leur faut pour se faire enterrer.....

Aimable sexe orné de tant de charmes,
Vous qui fixez les amours sur vos pas,
Qui semblez fait pour essuyer nos larmes,
Ah ! par pitié ne les essuyez pas.
Fuyez..... mais non, ne fuyez pas encore ;
Venez gagner le mal qui nous dévore.
Des grands penseurs prenez la dignité,
La mine austère et l’air misanthropique.
De vos boudoirs chassez la volupté,
Pour faire place à la métaphysique ;
Au fond des puits cherchez la vérité ;
Ne montrez plus à la société
Ce doux sourire et ces grâces badines
Oui savent trop le chemin de nos cœurs.
Ne parez plus de guirlandes de fleurs
Vos fronts charmans et vos tailles divines :
Couronnez-vous de ronces et d’épines.....
Adieu, plaisirs, folie, enchantemens,

Illusions, souvenirs consolans.....
Vous êtes faits pour les âmes vulgaires ;
Laissons aux sots ces brillantes chimères ;
Rêvons, pleurons.... c’est, dit-on, le vrai bien.
— Mais à quoi bon ?… — Ma foi, je n’en sais rien.