La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports avec la théologie naturelle/Chapitre 8




Chapitre VIII.


Couches de la période secondaire.


Nous pouvons considérer l’histoire des couches de la période secondaire, de même que de la période tertiaire, sous un double point de vue : d’abord relativement à leur état actuel, comme terre ferme destinée à devenir l’habitation de l’homme ; en second lieu, quant à leur condition primitive, à l’époque où elles se formaient progressivement au fond des eaux et où elles étaient occupées par une foule d’organisations diverses, alors en possession de l’existence[1].

Leurs rapports avec l’état actuel et les besoins de l’espèce humaine peuvent être énoncés d’une manière générale, en disant que les réunions d’hommes les plus populeuses et les plus civilisées sont établies pour la plupart sur des portions de la surface du globe occupées par des formations secondaires et tertiaires. Et si nous venons à étudier plus spécialement leurs relations avec l’état de l’agriculture, là où la société humaine s’est établie à demeure pour y appliquer son industrie à la culture du sol, ce sont ces mêmes formations amoncelées suivant un ordre de succession que l’on serait tenté de prendre pour l’ouvrage du hasard qui semblent présenter les conditions les plus avantageuses au travail du laboureur. Les mouvemens des masses liquides qui ont transporté les matériaux des différentes couches à la place qu’ils occupent maintenant les ont mélangés suivant un ordre et dans des proportions qui, à des degrés divers, favorisent le développement des productions végétales dont l’homme a besoin pour sa propre existence et pour celle des animaux domestiques qu’il a réunis autour de lui.

La conversion de la substance des roches même les plus solides en un sol propre à l’entretien de la végétation est un phénomène dont on peut se rendre suffisamment compte par une exposition prolongée à l’action des agens atmosphériques. La désagrégation produite par les vicissitudes du chaud et du froid, de la sécheresse et de l’humidité, suffit à réduire la portion superficielle de la plupart des couches en une terre végétale pulvérisée, en un terreau dont la fertilité est ordinairement en rapport avec la nature intime des élémens qui entrent dans leur composition.

Les trois matériaux qui dominent dans toutes ces couches sont des terres siliceuses, argileuses ou calcaires. Chacune de ces terres, prise séparément et dans son état de pureté, est comparativement stérile : l’addition d’une petite proportion d’argile donne au sable plus de ténacité et de fertilité ; si à ce premier mélange il s’ajoute une certaine quantité de calcaire, le sol est aussi favorable que possible à l’agriculture ; et lorsque ces substances ne se trouvent point associées dans les proportions les plus productives, le voisinage de grandes masses de calcaire, de marne ou de gypse qui permette d’ajouter artificiellement au sol celui de ces élémens qui lui manque ajoute beaucoup à la facilité avec laquelle il se prête à l’importante fonction de fournir à l’homme ses alimens. C’est ce qui fait que les plus vastes terrains à blé, de même que les sociétés les plus populeuses du globe, sont placés au-dessus des couches de formation secondaire ou tertiaire, ou sur les détritus de ces couches, auxquels doivent leur origine les dépôts diluviens et d’alluvion, dépôts encore plus composés et par conséquent plus fertiles[2].

Cette disposition des roches stratifiées présente un autre avantage par ce fait que le calcaire, le sable et le grès, couches qui se laissent facilement traverser par l’eau, alternent avec des lits d’argile ou de marne qui présentent au passage de ce liquide important un obstacle imperméable. Toutes les couches perméables reçoivent à leur surface les eaux pluviales ; celles-ci les traversent jusqu’à ce qu’un lit d’argile vienne les arrêter, et elles s’accumulent dans toutes les parties les plus inférieures de chacune des couches poreuses, sous forme de vastes réservoirs qui, en se déversant sur le penchant des vallées, alimentent les sources et les rivières. Ces réservoirs ne consistent pas seulement dans des cavernes ou des crevasses accidentelles, mais dans tout l’espace que fournissent les petits interstices des parties basses de chaque couche perméable dont le niveau ne dépasse pas celui des sources les plus voisines. Il résulte de cette disposition que si l’on creuse un puits jusqu’au niveau de l’eau contenue dans une couche quelconque, c’est une communication que l’on établit avec quelque nappe souterraine permanente, qui fournit abondamment aux besoins de districts situés au-dessus et trop élevés pour recevoir ce bienfait des sources naturelles.

L’abondance avec laquelle le chlorure de sodium, ou selmarin, se trouve répandu dans certaines parties des couches secondaires, et en particulier dans la formation du nouveau grès rouge, est encore pour l’homme une nouvelle source de bienfaits. Si la providence bienveillance du créateur n’avait pas déposé ces magasins de sel dans les entrailles de la terre, la grande distance où sont des bords de la mer les pays situés au centre des continens eût privé une grande partie de l’espèce humaine de cette substance de première nécessité ; tandis qu’au contraire, grâce à la sage répartition qu’elle en a faite, la présence de ce minéral précieux au sein de couches dispersées généralement dans tout l’intérieur de nos continens et de nos grandes îles est une source de santé et de jouissances journalières pour les habitans de presque toutes les contrées du globe[3]. Le selmarin est aussi l’une des combinaisons salines qui se forment le plus fréquemment par sublimation dans le cratère des volcans.

Quant à l’état de la vie animale durant le dépôt des couches secondaires, bien que des restes pétrifiés de zoophytes de testacés, de crustacés et de poissons, nous démontrent que les mers ou ces couches se sont déposées fourmillaient, comme celles où se sont déposés les terrains de transition, d’êtres appartenant aux quatre grands embranchement du règne animal, tout paraît néanmoins démontrer que le globe ne se trouvait pas encore dans un état de repos assez avancé pour permettre aux mammifères terrestres à sang chaud une occupation générale de sa surface. Les seuls que l’on ait découverts dans quelques couches secondaires sont de petits marsupiaux voisins des didelphes qui se rencontrent dans la formation oolitique de Stonesfield, près Oxford. Nous avons fait représenter les mâchoires de deux espèces de ce genre dans la planche 2, A. B. Les doubles racines des molaires indiquent assez la classe des mammifères, et la forme de la couronne place ces animaux dans l’ordre des marsupiaux. Deux autres petites espèces ont été trouvées par Cuvier dans le gypse de Montmartre appartenant aux formations tertiaires du bassin de Paris.

Les nombreux genres de marsupiaux herbivores ou carnivores qui existent maintenant appartiennent exclusivement aux deux Amériques, à la Nouvelle-Hollande et aux îles adjacentes. Le kanguroo et la sarigue en sont les types les plus connus. Leur nom de marsupiaux leur a été donné à cause de l’existence d’une vaste poche externe (marsupium) placée sous l’abdomen, et dans laquelle sont déposés les petits après une gestation utérine fort courte, pour y rester suspendus par la bouche aux mamelles, jusqu’à ce qu’ils aient pris un accroissement suffisant pour pouvoir sortir à l’air extérieur. La découverte d’animaux de cet ordre dans des formations secondaires et tertiaires prouve que, loin de s’être introduits les derniers dans le monde, les marsupiaux nous présentent au contraire la première et la plus ancienne forme sous laquelle la classe des mammifères se soit manifestée à la surface du globe ; car c’est, à notre connaissance, la seule que l’on rencontre dans la période secondaire. Dans les parties les plus récentes de la période tertiaire on la retrouve contemporaine de plusieurs autres ordres. De nos jours elle est exclusivement limitée aux contrées que nous avons citées plus haut[4].

Ce qui caractérise partout la création animale de ce groupe secondaire, c’est la prédominance numérique du type des reptiles sauriens et les proportions gigantesques sous lesquelles il se manifeste. Plusieurs étaient exclusivement marins ; d’autres étaient amphibies ; d’autres enfin se tenaient à terre et rampaient dans les savannes et les marécages que couvrait une végétation intertropicale, et ils s’étendaient au soleil, sur les bords des golfes, des lacs et des rivières. L’air lui-même était parcouru par des lézards volans, les ptérodactyles, qui réalisaient les formes fabuleuses des dragons. La terre à cette époque était probablement encore trop inondée, et les portions découvertes de sa surface étaient trop fréquemment bouleversées par les tremblemens de terre, les inondations et les mouvemens de l’atmosphère, pour qu’elle pût être habitée sur une grande étendue par quelque groupe de quadrupèdes plus élevé que les reptiles dans la série animale.

Comme l’histoire de ces reptiles, de même que celle des restes végétaux appartenant à la formation secondaire[5], doit nous fournir un sujet spécial de recherches, nous nous contenterons de dire en passant que les mêmes vues, le même arrangement providentiel qui nous apparaissent dans la structure des êtres actuellement vivans de l’un ou de l’autre règne se manifestent ici encore dans les rapports qui existent entre les formes éteintes sous lesquelles la vie s’est manifestée et les circonstances et conditions diverses à travers lesquelles le globe a marché progressivement vers l’état dans lequel nous le voyons aujourd’hui. Dans l’un comme dans l’autre cas nous conclurons que l’existence d’un plan suivant lequel des résultats utiles et prévus se sont produits démontre l’existence antérieure et l’action d’une intelligence créatrice.


  1. Les couches secondaires sont composées de lits étendus de sable et de grès auxquels se mêlent parfois des cailloux, et qui alternent avec des dépôts d’argile, de marne et de calcaire. Les matériaux de la plupart de ces couches paraissent tirer leur origine des roches primitives et des roches de transition ; et les fragmens les plus gros, qui se présentent sous la forme de cailloux arrondis, font reconnaître souvent la source d’où ils proviennent.

    Le transport de ces matériaux du point où ils se sont antérieurement formés à la place qu’ils occupent dans le groupe secondaire, et leur disposition en couches largement étendues sur le fond des premières mers, paraissent avoir été produits par l’action de forces qui ont agi sur des terres fermes plus anciennes, avec une puissance de destruction que n’ont plus les eaux de nos mers actuelles dans leurs convulsions même les plus violentes.

  2. Ce n’est pas une des moindres preuves du plan qui a dirigé l’arrangement des matériaux dont se compose la surface de notre planète que de voir les roches primitives et granitiques, qui, de leur nature, sont les moins propres à se convertir en un sol fertile, reléguées pour la plupart à constituer les districts montagneux du globe, lesquels, à cause de leur élévation et de leur irrégularité, ne se prêtent que difficilement à être habités par l’homme, tandis que les régions plus basses et plus tempérées sont ordinairement composées de couches secondaires et dérivées, que la nature complexe même des ingrédiens qui les constituent rendent grandement utiles à l’espèce humaine, par la facilité avec laquelle elles fournissent à tout le luxe d’une végétation florissante. — Buckland, Leçon inaugurale. Oxford, 1820, p. 17.
  3. Quoique le sel gemme et les sources salées se rencontrent plus fréquemment dans les couches de la formation du nouveau grès rouge que partout ailleurs, et que cette circonstance ait même paru à certains géologues justifier le nom de système salifère sous lequel ils ont désigné cette formation, ce n’est pas là néanmoins une règle exclusive. Les mines de sel de Wielizka et de la Sicile se trouvent dans des formations tertiaires ; celles de Cardona dans des formations crétacées ; plusieurs de celles du Tyrol dans le calcaire oolitique, et on rencontre près de Durham des sources salifères dans la formation houillère.
  4. Dans un très important mémoire de physiologie inséré dans les Transactions philosophiques (Londres, 1834. deuxième partie, p. 349), M. Owen a insisté sur les preuves irréfragables d’une sagesse créatrice que nous fournit l’organisation des marsupiaux actuellement existans, dans les modifications spéciales des deux systèmes maternel et fœtal et dans leurs rapports mutuels. Quant à la cause finale elle-même de ces particularités d’organisation, il les rapporte à l’infériorité relative de l’état du cerveau et du système nerveux dans les marsupiaux, et regarde la durée plus prolongée de la gestation vivipare chez les ordres supérieurs comme en connexion intime avec le développement plus grand des organes sensoriaux, la forme simple et le développement inférieur du cerveau chez les marsupiaux coïncidant avec une intelligence peu développée et avec une grande imperfection des organes vocaux.

    Comme cette infériorité des marsupiaux actuellement existans assigne à leur ordre une place intermédiaire entre les animaux ovipares et vivipares et en fait pour ainsi dire un anneau qui unit la classe des mammifères à celle des reptiles ; comme d’ailleurs chez les autres classes d’animaux ce sont les formes les plus simples qui se montrent dans les dépôts géologiques les plus anciens, l’analogie nous eût menés à conclure à priori que, parmi les mammifères, ce devaient être les marsupiaux qui se montreraient les pruniers.

    Dans une lettre qu’il m’a écrite dernièrement, M. Owen ajoute les détails intéressans qui suivent sur cet ordre remarquable. — « De récentes dissections que j’ai faites du Dasyure et du Phalanger m’ont confirmé de nouveau la loi générale que j’ai établie relativement à la simplicité et à l’absence de circonvolutions dans le cerveau des marsupiaux. À voir le développement imparfait des organes qui entraînent, selon moi, la docilité du cheval et la sagacité du chien, on est conduit à supposer que la série marsupiale, parmi les quadrupèdes à sang chaud, ne suffisait pas à la réalisation des grands projets du créateur sur notre globe lorsqu’il se proposait d’en faire la demeure de l’homme. Ces animaux fournissent, il est vrai, aux sauvages errans de l’Australie quelques moyens d’améliorer leur alimentation ; mais il est douteux qu’aucune de leurs espèces ait été préservée de la destruction dans une vue d’utilité pour l’homme civilisé. Des ruminans plus dociles et d’une valeur bien supérieure envahissent chaque jour les plaines où naguère encore le kanguroo représentait seul la série des mammifères graminivores.

    C’est néanmoins un fait digne d’intérêt que les marsupiaux, si on y ajoute les monotrêmes, forment une série tout à fait complète et qui s’assimile la matière organique sous toutes ses formes.

    En outre, il est hors de doute qu’il suffisait de la prudence de l’instinct telle qu’on l’observe dans ces animaux pour les préserver de l’extermination, alors que les ennemis qui les entouraient n’étaient pas d’une intelligence supérieure à celle des reptiles. Ainsi l’opinion qui veut qu’on les sépare des autres mammifères proprement dits pour les constituer en une sous-classe de mammifères ovovivipares trouverait un secours puissant dans ce fait, s’il venait à être démontré qu’ils représentent seuls, dans les formations secondaires, ainsi qu’il est permis de le croire jusqu’ici, cette classe, la plus élevée des vertébrés.

    R. Owen.
  5. Les débris végétaux des couches secondaires diffèrent de ceux que l’on rencontre dans la période de transition et sont très rarement accumulés en lits d’un charbon de terre estimé. La houille imparfaite qui se tire des marais de Cleveland, près de Whitby, sur la côte du Yorkshire, et celle de Brora (comté de Sutherland), gisent dans les couches inférieures de la formation oolitique. Celle de Bückeberg, (duché de Nassau) se trouve dans les couches les plus élevées de la même formation, et elle est d’une qualité supérieure.