La France républicaine et les femmes/15

F. Aureau, Imprimerie de Lagny (p. 58-61).

XV



Ne reste pas indifférente, jeune fille, à la gloire ou aux douleurs de la Patrie, ni aux actes de ceux qui préparent l’une ou attirent les autres.

Écoute, regarde, lis, et forme-toi un jugement sur les hommes et sur les choses, de peur que des paroles inconsidérées n’excitent les tiens à oublier leur devoir.

Qui s’étonnerait de te voir inquiéter des affaires présentes, quand on t’impose l’obligation de connaître le nom de Gengis-Khan, la législation de Solon et les exploits d’Agésilas ?

Avant, que le malheur s’abattît sur la France comme vautour sur la proie, il y avait des pères et des mères qui disaient à leurs enfants :

« Laissez ! les affaires du pays ne sont pas les vôtres ! N’allez pas compromettre votre fortune et votre avenir par quelque critique contre le pouvoir, laissez faire les autres ! »

Et les fils adolescents laissaient les autres penser et agir, c’est-à-dire vivre à leur place, et ils ne sentaient pas que ce cancer, l’égoïsme, leur rongeait le cœur.

Et quand la Patrie sanglante les a appelés à son secours, quand les autres étaient prêts à vaincre ou à mourir, leurs dents se choquaient de frayeur au sifflement de la mitraille, et ils n’osaient montrer au ciel leur front blafard, craignant d’exposer leur misérable vie. Dans le fond des maisons, les femmes murmuraient : « Cachez-vous ! cachez-vous ! laissez faire les autres !… Périsse la Patrie ! périsse la liberté ! pourvu que nous puissions chaque jour manger et dormir sans souci du lendemain ! »

Ô républicains ! à la vue d’une telle lâcheté vous avez frémi d’indignation et de rage ; mais vous n’avez pas désespéré du salut de la Patrie !

Vous n’avez pas désespéré, parce que sa vie n’est point en ceux-là, mais en vous.

Parce que vous sentez en votre âme cette force surhumaine qui fait les héros, qui fait les martyrs.

Parce que vous annoncez à tous cette vérité : Combattre l’ignorance c’est détruire le germe de nos plus grands maux. Vous n’avez pas désespéré, parce que beaucoup grands et petits, citadins et villageois, sont las de promesses menteuses des monarchies, et que le peuple veut se sauver lui-même.

Parce que la femme, appelée à la lumière de votre soleil, va travailler avec vous à l’édification de votre tabernacle, comprenant que, pour donner à la France de vrais hommes, elle doit être une vraie mère selon la nature et selon l’esprit.

Maintenant, vous, rebut des nations, qui dans votre fureur insensée avez pillé, assassiné, entassé les ruines, vous pouvez crier au monde entier : « Je suis la République ! » nul ne vous croira, et plus d’un, pénétré d’horreur pour votre sacrilège imposture, arrachera votre masque et vous crachera vos vrais noms à la face.

Toi, Empire, qui portes au front la marque d’une éternelle infamie, que t’a servi de ramper dans la boue sanglante ? La République, que jadis tu as poignardée, s’est levée de son cercueil et t’a dit : « C’est encore moi ! va-t’en ! ».

Toi qui, à main armée, es venu demander la France où la vie, qui as mis des peuples face à face pour en faire d’implacables ennemis, regarde, la République se penche vers eux et dit :

« Liberté ! fraternité ! »

Et les fils de la République ont dit à tous les cœurs français :

« Aimons-nous, unissons-nous, pour que la grande régénération commence !

« Aimons-nous, unissons-nous, pour que le jour de la vérité se lève !

« Aimons-nous, unissons-nous, pour que nos enfants aient une patrie ! »

En vérité, en vérité, je vous le dis, le salut de la France n’est point dans les mains de tel prince à l’affût d’un royaume, mais dans l’énergie, la sagesse et le dévouement des cœurs républicains.