La France juive/Livre Sixième/III/4

(vol 2p. 519-557).

Les humbles tiennent quand même ; on les prend par la famine. Au fond du onzième arrondissement, rue des Trois-Bornes, une indigente famille se lamente autour du lit où l’un de ses enfants agonise. Il n’y a ni pain pour les parents, ni médicaments pour l’enfant ; on attend anxieusement la réponse à une demande adressée au bureau de bienfaisance… La réponse arrive… Les parents ont déclaré jadis qu’ils envoyaient leur fils ainé à l’école des Frères, on leur envoie pour tout secours un récépissé de cette déclaration.

Cette blague atroce n’est-elle pas bien franc-maçonni- que ? N’y sentez-vous pas bien l’âpreté ricaneuse et froide des maîtres du jour, des aventuriers de tous les pays qui se partagent l’argent que certains catholiques imbéciles continuent à verser à nos bureaux de bienfaisance ?

Ce que sont ces bureaux, un ouvrier l’a dit dans une réunion publique où il signalait nominativement un des commissaires comme étant inscrit lui-même sur la liste de l’assistance publique. Ignotus, en rappelant que sur deux cent quarante administrateurs, cent quatre-vingt-dix avaient été chassés, a constaté que, parmi les remplaçants nommés, il se trouvait « des marchands de vin, des blanchisseurs dont quelques-uns, ayant leur famille inscrite au bureau même, payaient le ménage avec l’argent des aumônes[1]. »

L’exemple que nous citions plus haut n’est pas isolé. La jovialité cynique, la joie bruyante du mal accompli est un des traits de la persécution actuelle. Le grand bonheur d’un inspecteur de l’instruction publique, quand il a devant lui une religieuse, c’est-à dire quand il peut être insolent impunément, est de salir ce qui est pur, d’imaginer une question équivoque, de risquer un mot à double entente qui fait éclater de rire les frères et amis répandus dans la salle.

— Qu’est-ce qu’un libertin ? demande un inspecteur à une Sœur.

— Je n’ai pas à répondre à cette question que vous ne m’adressez qu’à cause de l’habit que je porte.

Celle qui remit ainsi ce mal-appris à sa place avait du sang-froid ; combien de nonnes, tremblantes déjà d’être ainsi en spectacle, auraient été démontées !

Dans un discours au Conseil général du Gers, M. Paul de Cassagnac a raconté quelques-uns des exploits de l’inspecteur Carbasse qui excitait les instituteurs à insulter les Sœurs.

Une religieuse se présente à l’examen, le cœur lui bat bien fort, elle est tout effarouchée devant cette foule, elle sent que les mots vont rester dans sa gorge. Vous qui avez un peu d’âme vous devinez cet état d’ici j’en suis certain. C’est en Dieu seul que la pauvrette espère, il lui donnera la force nécessaire, elle s’agenouille dans un coin de la salle, elle joint les mains et murmure une petite prière.

Un instituteur a vu ce mouvement.

— Ohé la Sœur ! crie-t-il de cette voix particulière aux gens de son espèce, voulez-vous que je vous donne l’absolution ? je suis Carme…

Ce plaisant du ruisseau s’appelait Carme.

Carbasse se frappant les genoux de la main rit aux larmes en voyant pâlir la pauvre Sœur tout effarée devant ces yeux fixés sur elle.

Que d’actes de courage on trouverait parmi le peuple, en province et même à Paris ! Le premier qui ait résisté à la loi athée, que des gens indépendants, aisés, acceptent servilement, est un charpentier de Lavaur qui, défendu par M. Bellomayre, eut gain de cause devant la commission scolaire. Dans un autre coin de la France, à Jarzé, un modeste facteur du télégraphe, Baillou, atteint d’une maladie incurable, père de cinq enfants, refuse d’envoyer ses filles à l’école laïque. L’affreux Jabouille, le préfet du département, le menace de le révoquer ; l’honnête homme tient bon et renonce a son gagne-pain plutôt que de laisser corrompre ses enfants.

Tous ceux-là, cependant, s’effacent devant cette vaillante plébéienne de Montaure (Eure), cette mère de sept enfants condamnée à vingt-deux jours de prison, sous prétexte de contravention à la loi, arrêtée par les gendarmes, au mois d’octobre 1883 et conduite à la prison de Louviers[2].

Cette condamnation était absolument arbitraire. Le jeune garçon de cette malheureuse femme ayant, au mois d’avril 1883, atteint l’âge de treize ans, on n’avait pu, sans commettre un acte illégal, poursuivre et condamner sa mère pour n’avoir pas dans le courant de mai envoyé son enfant à l’école.

Le Parquet de Louviers fut obligé de reconnaître cette évidence et le procureur de la République pris d’une honte un peu tardive, donna l’ordre de mettre en liberté cette pauvre femme. Elle n’en avait pas moins passé onze jours en prison parmi les gens sans aveu, traitée comme une criminelle.

Le juge de paix de Pont-de-l’Arche, qui avait commis une véritable forfaiture, ne reçut pas même un blâme ; il fut au contraire félicité par le garde des sceaux, du moins s’il faut en croire ce misérable qui affirmait hautement que cet acte de bon plaisir lui vaudrait de l’avancement. En tout cas il est toujours en fonctions.

Si vous voulez voir ce qu’est l’égalité devant la loi, transportez-vous au Corps législatif. Nul ne s’est occupé de cette paysanne qui a porté sept enfants dans ses flancs et qu’on a jetée dans un cachot au mépris de tout droit.

Il s’agit maintenant d’une Prussienne, femme d’un Belge condamné pour vol, exerçant publiquement la prostitution et donnant ses rendez-vous dans un garni tenu par la mère de son mari[3].

Les représentants de la France s’occupent de cette intéressante créature pendant toute une séance. Delattre flétrit à la tribune les agents qui ont osé arrêter cette femme au moment où elle raccolait les passants. Toute la gauche naturellement soutient l’orateur. Une prostituée, une Prussienne, un repris de justice belge, il y a bien dans ce ragoût tous les ingrédients qui plaisent à ces palais de cosmopolites. Il se dégage bien de cette fange cet arôme que les Spuller, les Steeg, les Lockroy hument avec délices. Haro sur la Française, qui veut élever honnêtement ses enfants ! honneur à l’Allemande qui se livre aux passants !

Voici encore une victime émouvante : Lenoir, un cocher. Vous l’avez peut-être rencontré dans Paris et, si vous étiez pressé, la rencontre n’a pas été propice pour vous. Le pauvre homme, à moitié fou, ne se rappelait plus l’adresse que lui donnaient les voyageurs et les laissait parfois en chemin. Les Francs-Maçons lui avaient volé son enfant, la mère était morte de chagrin et il oubliait de gagner sa vie pour venir, dix fois par jour, demander des nouvelles de son fils à M. Lacointa[4]. L’ancien avocat général à la Cour de cassation, qui donna si noblement sa démission au moment des décrets, avait été touché de cette grande douleur ; il était devenu le conseiller, le consolateur, presque l’ami de ce prolétaire. Pendant que l’infortuné trouvait, comme tous ceux qui souffrent, quelque soulagement à conter son éternelle histoire, le magistrat envoyait sa bonne garder le fiacre afin d’éviter au cocher une contravention.

L’affaire était très simple. L’enfant, envoyé par le chemin de fer, de Paris à Toulouse où il devait entrer dans un établissement d’éducation religieuse, avait été abordé et circonvenu, dans la gare de Narbonne, par un Franc-Maçon, nommé Richard, qui l’avait fait monter dans son wagon et l’avait placé en apprentissage à Cette, chez un confiseur du nom de Lavaille. Là on s’était efforcé de corrompre cette jeune intelligence en lisant chaque soir à l’enfant les immondes publications qu’a produites la librairie anti-cléricale.

Sans doute, on ne pouvait pas espérer que la justice osât poursuivre un Franc-Maçon, mais dès que les faits avaient été signalés au parquet par un homme ayant occupé la situation de M. Lacointa, pouvait-on refuser de rendre immédiatement à sa famille la victime d’un attentat si odieux ? On n’en fit rien. Le chef du parquet était un de ces hommes recrutés par la République dans les bas fonds sociaux et qui savent qu’en se mettant au service de la Franc-Maçonnerie juive, ils peuvent tout se permettre impunément. Le premier mandataire qui se présenta avec une lettre du père fut injurié et on lui jeta la lettre déchirée au visage. Le second mandataire fut menacé de coups de barre de fer. On savait le père pauvre et on spéculait là dessus. Une bonne âme lui fournit les moyens de faire le voyage et de ramener son enfant.

Lenoir intenta au citoyen Richard un procès en détournement de mineur. Ce fut alors qu’on vit comme toujours le Juif apparaître derrière le Franc-Maçon. Lisbonne, l’ancien député, se constitua le protecteur de Richard et plaida pour lui.

M. Lacointa, alors qu’il était directeur au ministère de la justice, avait maintes fois obligé ce Juif, mais l’autre connaissait trop bien la délicatesse des honnêtes gens pour penser qu’on montrât les lettres qu’il avait écrites pour demander ou pour remercier ; aussi ne se gêna-t-il pas pour insulter l’intègre magistrat et l’accuser de s’être mêlé de cette affaire avec une arrière-pensée politique.

Inutile de dire que Lisbonne trouve parfaitement légitime le fait d’enlever un enfant à ses parents par prosélytisme anti-religieux. En ceci le Juif se révèle une fois de plus dans tout son brutal cynisme, dans son absence absolue de principes. La liberté de conscience, le droit des pères de famille ne sont pour lui que des effets scéniques ; il est le premier à en rire quand il n’est plus en scène.

À propos du petit Mortara, les Juifs avaient agité toute l’Europe, dérangé toutes les chancelleries, fait couler des flots d’encre ; quand il s’agit du fils d’un plébéien français, le Juif Lisbonne déclare qu’il est permis de ravir un enfant à son père[5].

Le tribunal de Montpellier ordonna la comparution de Lenoir et de son fils, mais on avait eu bien soin de refuser l’assistance judiciaire à cet homme sans ressources. Il put, cependant, grâce à un nouveau secours, faire le voyage et s’entendre traiter comme un malfaiteur par le président du tribunal. Est-il nécessaire d’ajouter qu’il fut débouté de sa plainte ?

Les hommes n’ont pas pensé encore à recueillir les noms de tous ces braves gens qui résistent à tout pour défendre leur foi, dans un volume qui serait le livre d’or des petits mais Dieu depuis longtemps les a inscrits au livre de sa justice. Ils sont plus que courageux en effet, ils sont héroïques. Nul appui ne les soutient. Les chrétiens riches s’amusent, dansent, parient aux courses, inventent des figures de cotillon ; ils ne songent guère à ceux qui souffrent pour leurs convictions.

Dans l’intéressant ouvrage de M. Wallon, le Tribunal révolutionnaire, un chapitre est intitulé le Brocanteur Mauclaire, confesseur de la foi. Rien n’est plus curieux. Ce gagne-petit n’est ni un royaliste, ni un aristocrate, il est chrétien avant tout ; on l’arrête pour avoir dit que ceux qui avaient détruit le culte catholique étaient des gueux. Sous les verrous il tient à affirmer sa foi et il écrit deux belles lettres qui furent les seuls chefs d’accusation relevés contre lui.

Pierre Mauclaire, captif, chambre des Piques, N°15. Du Luxembourg, ce 45 mai, l’an de grâce 1794 et l’an IVe de la persécution des chrétiens.

C’est bien avec justice et vérité que je me suis servi de ce terme, le 24 novembre dernier, en écrivant une lettre de six pages au scélérat de Chaumette et ses complices de la municipalité de cette malheureuse capitale…

C’est avec une plus grande certitude que je me sers de ce même terme aujourd’hui, et avec la même fermeté que je vous écris en homme libre qui parle à des esclaves qui m’ont incarcéré pour avoir dit la vérité. N’ai-je pas raison de dire que nous sommes dans une persécution ouverte depuis quatre ans, en commençant par les ministres du culte catholique et par une infinité de chrétiens qui ont péri et qui périssent tous les jours ?… Combien de victimes innocentes qui gémissent dans les prisons de cette malheureuse France, et qui attendent la fin de leurs maux, sûrs de leur conscience. Ils poussent des cris remplis de larmes à leur Dieu pour qui ils souffrent. Croyez-vous, scélérats pour la plupart, que Dieu sera toujours sourd à leurs cris ? Oh que non ! le temps des vengeances est prêt à éclater contre les bourreaux…

Dieu et le peuple se lassent de vos tyrannies. Jamais l’ancien régime n’a procuré tant de crimes.

Ailleurs il ajoute, dans un style de prophète et avec un élan de foi qui rend cet illettré profondément éloquent :

Dans ce grand jour de révélation, qu’il y aura de coupables ! Que les jugements de Dieu seront différents de ceux des hommes ! Les innocents qu’ils ont fait périr les jugeront à leur tour. Grand Dieu ! que de maux vous allez envoyer sur cette malheureuse France apostate et profanatrice, pour la punir de toutes ces impiétés !…

Convertissez-nous, Seigneur, pour retourner à vous et faire pénitence de tant de forfaits… Donnez-nous, par votre miséricorde un roi très chrétien, pour changer l’état pitoyable de la France : relevez avec zèle vos temples, vos autels et les reliques de vos saints, qui ont été profanés avec tant de fureur. Donnez-nous, Seigneur, des saints ministres pour prêcher la véritable religion, pour offrir au Dieu trois fois saint la victime seule capable d’apaiser votre colère…

C’est une figure à part que cette victime obscure de la formidable tourmente. Avant de monter à l’échafaud, Mauclaire prend congé de ses codétenus dans un langage digne d’un confesseur des premiers siècles.

Si, par hasard, il y en avait parmi vous tous quelques-uns qui aient à se plaindre de moi pour quelques fautes qui me sont échappées malgré moi, je les conjure de me les pardonner du fond de leur cœur, en réponse de l’amour que je leur porterai toujours, et même au delà d’après ma mort qui est très prochaine, en châtiment de ce que je soutiens le culte et la religion catholiques, et que j’ai reproché avec fermeté et courage les abominations sans nombre qui se sont commises depuis quelques mois.

…… Mais moi, fort de ma conscience, je les attends d’un pas ferme et tranquille ; je leur ferai voir, s’il plaît à Dieu, que je serai plus libre qu’eux. Si cela ne sert qu’à les irriter, au moins j’aurai la consolation de mourir pour la justice qui fait mes plus chères délices. Qu’il est glorieux de mourir sur un échafaud pour soutenir la religion !

J’ai souvent pensé à cet homme. Les révolutionnaires dressent des statues à Danton ou font des pensions à nos dépens aux fausses victimes du 2 Décembre, jamais les chrétiens de la Restauration ne se sont occupes de savoir si quelques martyrs, comme Mauclaire, n’avaient pas laissé une famille. N’est-il pas grand, malgré tout, cet artisan qui meurt volontairement pour sa religion, non point en pleine bataille, comme les Vendéens, mais dans ce Paris toujours plus indifférent et plus sceptique que la campagne ? N’est-elle point belle cette âme qui est restée fidèle et croyante dans la trivialité d’un métier qui n’élève point ?

C’est sur les pauvres, presque exclusivement, que s’est appesantie surtout cette persécution qui, dirigée, réclamée, payée par les Juifs, portera dans l’histoire le nom inscrit en tête de ce dernier livre : la Persécution juive.

Un journal radical, dans un jour de franchise, reconnaissait lui-même ce fait.

L’évêque, disposant de ressources parfois considérables, le curé de grande ville n’ont pas été atteints. On a frappé avec une particulière rigueur sur le desservant et sur le moine. Parmi les ordres religieux même ce sont les plus indigents qui ont le plus souffert. Tous ces chétifs qui vivaient, grâce à l’association, ont été littéralement condamnés à mourir de faim.

J’ai vu, sur son lit de mort, une des victimes des décrets et le souvenir m’en est demeuré ineffaçable.

Si vous ne connaissez pas l’Hermitage, allez le visiter. Rien, en Suisse, ne vaut ce site étrange, pittoresque et charmant.

L’Hermitage est le nom d’un ancien couvent caché par des sapins séculaires, qui s’élève au sommet d’une haute montagne dominant Noirétable. Du haut d’un dolmen venu là, je ne sais comment, aux premiers âges du monde, on aperçoit, par les temps clairs, la cime du Mont-Blanc, mais le regard ne songe guère à aller chercher si loin ; il se repose émerveillé et ravi sur un incomparable panorama : à droite, les masses épaisses des Bois-Noirs, à gauche, les montagnes de Vollor, devant vous, la plaine avec son damier multicolore, ses blés dorés, ses prés verdoyants, ses avoines, ses seigles. Par-dessus tout, cette impression du ciel que vous croyez toucher en élevant la main et qui prête à ce paysage, vu de si haut, un aspect particulier.

C’est là que s’installèrent, il y a une vingtaine d’années, quelques Pères du Saint-Sacrement que la population du pays entourait de vénération. Ils n’étaient pas fort dangereux, car au moment des décrets, ils étaient trois en tout. Comment les choses se passèrent-elles exactement ? On n’a jamais pu le savoir au juste. Le maire de Noirétable, un médecin, appartenait à une famille bonapartiste tant que l’Empire avait pu distribuer des places, devenue ardemment républicaine dès que le vent avait tourné. C’était au demeurant un assez bon homme et qui semble avoir voulu tout arranger pour le mieux sans y avoir réussi.

Le 4 novembre 1880, au matin, le sous-préfet de Montbrison, qui répondait au nom de Mauras, vint pour expulser les bons religieux et il ébaucha une grimace quand il vit l’ascension à accomplir. Chemin faisant, il avait recueilli quelques renseignements désagréables sur les dispositions des paysans, cœurs d’or, mais fort capables de tirer un coup de fusil aux malfaiteurs qui iraient crocheter les portes de religieux inoffensifs qui n’avaient fait que du bien à tous. Bref, lâche comme tous ses pareils, il avait une peur du diable.

Voyant les hésitations du personnage, M. Bertrand lui dit : « déjeunons d’abord ! » Convaincu — et cette opinion fait honneur à son intelligence — que le bonheur de la France ne dépendait pas de l’expulsion de trois religieux qui ne descendaient pas au village une fois par mois, le maire espérait peut-être que le sous-préfet oublierait à table la vilaine besogne qui l’amenait et que tout resterait en l’état.

On déjeuna comme on déjeune dans le Forez ; et, à la tombée du jour, après le Champagne, l’administrateur républicain était fin saoul — c’est l’expression usitée dans le pays. On l’expédia tant bien que mal vers sa résidence et les gens de l’endroit, qui ont la tête solide, allèrent deviser chez Esope de la supériorité morale des fonctionnaires de la démocratie sur les suppôts de la tyrannie.

Malheureusement cette fois, Raton, le sous-préfet avait été plus malin que Bertrand, le maire. Entre deux rasades, sans qu’on puisse savoir à quel moment, il avait ordonné à un gendarme, du nom de Tarhouriech, d’exécuter ce qu’il n’osait entreprendre lui-même et d’aller jeter les religieux hors de chez eux pendant qu’il continuerait à fêter la dive bouteille et à faire l’éloge de la liberté.

Tarbouriech partit flanqué d’un compagnon et n’eut pas la main tendre. Des trois religieux, un resta pour garder l’immeuble, un autre se dirigea vers le château de M. de Barante où une retraite lui avait été préparée ; le troisième s’achemina vers Verrines, un village au-dessous de la montagne où il devait également trouver un asile.

Celui-là s’appelait le Père Corentin. Il avait soixante-dix ans ; pendant près de quarante années il avait prêché l’Evangile aux Indiens de l’Amérique, puis épuisé, souffrant cruellement de la poitrine, il était venu là pour se reposer. C’était une idée peu heureuse.

En novembre, la neige couvre déjà l’Hermitage. Grâce aux dernières clartés du jour le pauvre religieux se dirigea d’abord assez bien, mais bientôt tout prit autour de lui un relief fantastique. Les chemins s’entre-croisèrent, les silhouettes gigantesques des arbres sous la réverbération de la neige revêtirent des formes trompeuses ; le froid fit affluer le sang aux tempes du voyageur. Saisi par le délire, il s’imagina sans doute qu’il avait toujours Tarbouriech à ses trousses, il précipita sa course et tomba dans des sentiers à peine praticables en plein jour. A l’aube, un bûcheron le trouva étendu, le crut mort, s’aperçut qu’il respirait encore et parvint à le ramener à la vie.

Le pauvre homme n’en était pas moins perdu. Il revint à l’Hermitage pour y achever une existence dont les jours étaient désormais comptés. Il aurait fallu, pour empêcher ce vieillard de rentrer chez lui, établir sur ces hauteurs un poste fixe de gendarmerie. On eût demandé les fonds nécessaires à la Chambre, que la gauche, toujours libérale, eût trouvé cette proposition admirable et digne d’elle ; on n’y songea pas.

Tel était le récit qu’on nous avait fait au village, un matin que nous partions en caravane pour accomplir cette excursion à l’Hermitage à laquelle nous ne manquons jamais chaque fois que les vacances désirées nous ramènent vers le Forez qui est devenu notre pays d’adoption.

Quand on a fait une lieue environ on s’arrête quelques minutes à un hameau appelé les Baraques.

— Vous savez la nouvelle ? nous dit-on quand nous arrivons.

— Non.

— Ce pauvre Père Corentin est mort, il a achevé de mourir plutôt ! Il était préparé du reste ; hier dimanche, il nous a fait ses adieux. « J’aurai encore la force de dire ma messe aujourd’hui, et je prierai pour ceux qui nous ont aimés et aussi pour ceux qui nous ont persécutés, puis je m’en irai… » Il a dit sa messe et il est parti une heure après…

La pensée du brave homme expiré nous attrista, mais bientôt le charme du chemin fit diversion à ce sentiment.

Rien n’est merveilleux comme celle montée en juillet. Les muguets, les jonquilles, les gentianes du printemps ont déjà disparu, il est vrai, mais il reste les œillets sauvages, les pensées et les violettes qui tapissent le chemin. On gravit à travers d’énormes fougères qui font comme un piédestal verdoyant aux grands chênes, aux bouleaux toujours agités et tremblants, aux hêtres touffus qui préparent aux sapins sombres du sommet.

Parfois un murmure régulier étonne l’oreille, c’est un ruisseau qui sort en écume d’argent de quelque rocher couvert de mousse et qu’il faut traverser sur un tronc d’arbre. Comme l’Obéron des légendes qui sautait au-dessus des torrents sans mouiller ses grelots, les enfants franchissent l’obstacle d’un bond. Ma petite nièce, Anaïs, qui disait si gentiment qu’elle voulait apprendre à écrire pour faire de la copie pour son oncle, excellait à ce jeu et c’est en vain que mon autre nièce Marie, déjà plus grave, lui prodiguait de sages conseils.

Quand on est au bout on pousse un cri d’admiration. On débouche en effet sur un tapis de velours vert qui fait oublier les vieux bâtiments du couvent devant la féerie de cette nature éternellement jeune.

Malgré tout, le voisinage de la mort donnait à ce paysage une mélancolie qu’il n’a pas ordinairement. Le cri sinistre de la hulette qui retentissait obstinément dans cette solitude disait qu’il y avait là un cadavre. A une fenêtre on distinguait une lueur presque imperceptible qui faisait un bizarre contraste avec la clarté radieuse de cette journée de juillet.

Cette lumière venait de la chambre funèbre. Quelle chambre ! Quelque chose du plus indigent qu’une cellule, une vaste pièce carrelée ouverte à tout vent, au fond un lit d’enfant et dans ce lit, sur une paillasse crevée, sous une couverture qui valait bien vingt sous, un petit vieillard étendu les mains jointes. Une veilleuse achevait de se consumer dans un verre et près du lit une bière taillée à la hâte dans un sapin non raboté, tout fruste, attendait…[6].

Je ne saurai vous exprimer l’émotion que produisait la vue de ce petit vieux et le dégoût qui vous prenait de ces républicains gorgés de tout, trafiquant de tout, agiotants sur tout et songeant à venir chercher ce solitaire et cet humble pour le jeter la nuit dans la neige.

Pour tout meuble dans cette chambre une chaise cassée ; sur une tablette de bois blanc quelques prospectus d’ouvrages religieux, une brochure : le Salut social par l’Eucharistie et la Vocation providentielle des pèlerinages en un volume tout recroquevillé, resté là sans doute depuis le XVIIe siècle : Traité de la perfection chrétienne par le P. Rodrigues de la Compagnie de Jésus, traduit par Régnier Desmarais, de l’Académie française. Le malheureux n’avait même pas de quoi acheter des livres de piété.

Toute cette maison avec ses escaliers de pierre aux marches branlantes, ses murailles effritées, offrait l’image de la misère. Dans les cuisines, vous savez ces cuisines de moines où les écrivains juifs font préparer des repas succulents et dignes du chef de Rothschild, il y avait pour toute provision un boisseau de pommes de terre germées.

Je revins encore dire un Pater et un Ave près de la couchette du vieillard qui semblait dormir d’un sommeil enfantin et involontairement je pensais à Freycinet. Il y avait plus d’un point de ressemblance entre ce petit vieux et le sénateur que l’on aperçoit avec sa tête de souris, sa mine futée glissant à travers les groupes du Sénat. Je songeais que lui aussi serait couché quelque jour dans une bière, un peu plus soignée sans doute, et à la mémoire me revenait la parole que dit saint Marianus au proconsul qui assistait dans la prison à son dernier repas : « Regarde-moi bien pour me reconnaître, au Jugement dernier. »

Pourquoi penser à Freycinet plutôt qu’à un autre ? me direz-vous ; s’il a signé les décrets, ce qu’on oublie un peu trop, s’il les a présentés à la Chambre, il s’est retiré au dernier moment. Mon Dieu, si je pensais à Freycinet, c’est simplement parce qu’il n’est pas voleur. Les républicains vous disent, et cette franchise les honore, — nous reconnaissons que nos hommes d’État sont tous des concussionnaires et des filous, mais il y a une exception : Freycinet.

C’est précisément cette intégrité privée qui fait de Freycinet un personnage représentatif, lui aussi, et comme l’incarnation d’une certaine situation d’esprit commune en France à l’heure qu’il est. Avec Constans et Cazot, par exemple, tout est clair : « A quelle heure et combien ? » Ferry, lui, n’agit pas lui-même et dit : « Demandez le prix à la bonne, voyez mon frère à la banque Franco-Égyptienne. » Le mobile de Freycinet est différent. Ce qui domine en lui c’est la lâcheté intellectuelle et morale, c’est cet abaissement de caractère qui a mis tout ce qu’il y avait d’honnête en France à la merci d’une petite bande de Francs-Maçons et de Juifs[7].

Entrez dans cet hôtel de la rue de la Faisanderie, vous y trouverez Philémon et Baucis. L’homme et la femme sont allés jadis de compagnie pour se convertir à Solesmes et le mari, n’oubliant pas dans son zèle de catéchumène qu’il était candidat pour le conseil général à Montauban, a même demandé au Père abbé une recommandation pour l’évêque du diocèse. — J’imagine que ces deux vieillards, en causant au coin du feu, se remémorent l’un à l’autre les circonstances de leur voyage d’autrefois.

— Te rappelles-tu ce religieux qui nous faisait si bon accueil et que tu remerciais si chaleureusement, qu’est-il devenu ?

— Ma foi ! je n’en sais rien ; il doit errer sur une route quelconque, car je viens de mettre la gendarmerie après lui.

C’est contre le pauvre encore, contre le pauvre uniquement, qu’est édictée la loi scolaire. Le riche trouvera toujours le moyen de faire élever ses enfants chrétiennement, le pauvre ne le peut pas ; pour lui l’athéisme est obligatoire. On a appelé des petits Mortaras laïques, ces enfants qu’on arrache violemment à la religion de leurs pères. Le mot n’est juste qu’à moitié. On ne leur donne même pas une religion à la place d’une autre. Les malheureux, pour qui la vie sera la plus dure, qui auraient le plus besoin d’une foi, d’une espérance, d’un idéal, sont privés de tout enseignement religieux.

Elevés sans Dieu, vivant sans Dieu, ils mourront sans Dieu.

Le prolétaire est au terme de sa course ; sur la tombe des Romains on inscrivait le cursus honorum, c’est le cursus dolorum qu’il faudrait inscrire, si les inscriptions ne coûtaient pas si cher, sur cette tombe qu’on va creuser dans la fosse commune pour ce paria et ce vaincu.

Il a travaillé pour enrichir les Juifs, il a été empoisonné par les marchands de vin juifs, chers à Lockroy, il est à bout. Jadis, ce déshérité trouvait près de son chevet un être de bonté, mère, sœur et femme à la fois qui lui montrait un peu de ciel bleu.

La Sœur n’avait pas besoin de parler beaucoup pour affirmer qu’il y avait au delà de ce monde cruel et misérable un monde où tout était justice et lumière ; sa présence près de ce lit proclamait assez haut les promesses éternelles. Charmante, intelligente, riche souvent, elle avait tout sacrifié et elle était là dans cette atmosphère empestée, attentive aux souffrances de tous, soignant avec un dévouement souriant des plaies parfois dégoûtantes, préférant à tout ce titre de servante des pauvres, c’est-à-dire des enfants de Dieu.

Désormais, le malheureux n’a plus même le droit d’espérer dans une patrie céleste. Chien malencontreux qui, de sa vie, n’a jamais trouvé un bon os, il sera enfoui comme les bètes, perinde ac jumenta.

Cette persécution du moribond, cette laïcisation, contre laquelle ont protesté 76 médecins sur 80, est peut-être le crime des crimes parmi tant d’actes abominables. Si quelque savant eût découvert un breuvage consolateur, ne se hâterait-on pas d’acheter les précieuses fioles qui contiendraient de l’espérance et de l’oubli ? Quelle scélératesse ne faut-il pas pour arracher à ces infortunés qui, pendant de longues heures, repassent mélancoliquement les phases douloureuses de leur pénible existence, ce sentiment religieux qui est le meilleur et le plus doux de tous les baumes ?

Dans de telles conditions, l’hôpital, ce séjour déjà lugubre devant lequel on ne passe qu’en tremblant, est devenu un Enfer véritable sur la porte duquel on peut lire : lasciate ogni speranza.

Jadis nos pères avaient épuisé les trésors de leur charité dans l’organisation de ces hôpitaux qui, placés près des monastères ou des églises, étaient comme une annexe de la maison du Seigneur. Viollet-le-Duc lui-même a affirmé la supériorité qu’avaient les établissements hospitaliers d’alors sur nos établissements modernes.

Dans le peu d’établissements hospitaliers du Moyen Age qui nous sont restés, écrit-il, nous trouvons un esprit de charité bien entendu et délicat. Les bâtiments sont d’un aspect monumental sans être riches ; les malades ont de l’espace, de l’air, de la lumière. Ils sont souvent séparés les uns des autres, leur individualité est respectée et certes, s’il est chose qui répugne aux malheureux qui trouvent un refuge dans ces établissements, malgré les soins éclairés qu’on leur donne abondamment aujourd’hui, c’est la communauté dans de vastes salles. Souvent alors la souffrance de chaque malade s’accroît par la vue de la souffrance du voisin. Sans prétendre que le système cellulaire appliqué fréquemment dans les hôpitaux du Moyen Age fût préférable matériellement au système adopté de notre temps, il est certain qu’au point de vue moral il présentait un avantage. Nous tenons à constater qu’il émanait d’un sentiment de charité très noble chez les nombreux fondateurs et constructeurs de nos maisons-Dieu du Moyen Age.

Aujourd’hui dans ces hôpitaux, qui coûtent des millions aux contribuables, la Franc-Maçonnerie juive trouve le moyen dé faire comprendre aux déshérités que l’argent, après lequel ils ont couru toute leur vie sans le saisir, est encore la seule chose qui ait une valeur. Aux Sœurs si compatissantes, si désintéressées, si empressées ont succédé des Harpies qui font payer le plus léger office, qui tendent la main aux malades, non pour les aider, mais pour recevoir dès qu’ils réclament le moindre service.

On devine, en effet, dans quels milieux, là encore, un homme comme Quentin pouvait recruter son personnel. Les audiences des tribunaux nous ont édifié sur ce point. Le Français, du 30 mars 1883, a publié comme un tableau d’ensemble de ces mœurs singulières.

Hier vendredi, la 9e chambre correctionnelle du tribunal de la Seine avait à juger une scène de pugilat et de débauche, dans laquelle se trouvait mêlée une infirmière laïque. Au cours de l’audience où elle avait été appelée comme témoin, le président lui adressa l’apostrophe suivante : « Vous êtes infirmière laïque à l’hôpital Saint-Louis, et vous passez vos nuits chez les marchands de vins, » Le public s’est associé par ses murmures à la juste indignation du président.

Mesdemoiselles ou mesdames les infirmières laïques tiennent, paraît-il, à occuper sans cesse les journaux de leurs honorables et sympathiques personnes. Eh bien soit ! nous parlerons d’elles puisqu’elles le veulent, et rapporterons fidèlement leurs exploits pour la plus grande édification de ceux qui les liront.

Avant-hier nous racontions l’histoire de cette jeune fille, du nom de Thuvenat, qui, après avoir passé cinq de ses plus belles années dans une maison de correction, était devenue infirmière du Gouvernement, puis, après avoir été chassée de l’hôpital Tenon, où elle avait été appelée pour remplacer les Sœurs, s’était lancée dans une vie de plaisirs et de fêtes au milieu des soldats du 4e de ligne, et, finalement réintégrée par M. Quentin dans ses fonctions de consolatrice des malades, comparaissait devant le tribunal correctionnel de Paris pour les avoir trop bien soignés.

Aujourd’hui, la vénérable dame dont il s’agit est accusée par le président de la 9e chambre de passer ses nuits chez les marchands de vins, au lieu de les passer à l’hôpital où elle est infirmière.

On peut donc dire que, devant le tribunal correctionnel de Paris, les infirmières laïques se suivent et se ressemblent.

Quel joli monde, que le monde de M. Quentin ! Quel monde tout à fait propre à la tâche qu’on lui donne ! Quels soins empressés doi- vent recevoir de pauvres malades de femmes qui passent leurs nuits chez les marchands de vins !

Ces faits, qui se multiplient de jour en jour et qui nous montrent quel désordre règne dans les hôpitaux, nous les opposons aux partisans de la laïcisation.

Au mois d’avril 1884, l’infirmier Nermel de Lariboisière est condamné à deux mois de prison par la onzième chambre pour avoir à moitié assommé un malade qui voulait l’empêcher de voler du vin.

Le Cri du Peuple[8] donne sur l’asile de Bicêtre, où règne en maitre Bourneville, l’athée frénétique, le cumulard jamais satisfait, qui est à la fois député, rédacteur en chef ; d’un journal et médecin en chef de Bicêtre, des détails qui font véritablement horreur. Les salles, qui ne sont balayées que lors des visites officielles, sont dans un état de malproprêté repoussant. Les infirmiers se font un jeu de frapper les malheureux fous à coups de poings ou à coups de clefs ; quand ils sont en belle humeur, ils garrottent l’infortuné qui leur tombe sous la main et le livrent au baigneur qui le plonge dans un bain froid « en maintenant la tête sous l’eau jusqu’à ce que le visage du patient soit devenu violet. »

Le directeur encourage ses employés et rit à se tordre, quand les victimes manifestent leurs souffrances par d’épouvantables grimaces ; les médecins se contentent de signer les cahiers des malades et de toucher les émoluments octroyés par cette bonne Assistance ; les internes font la noce, les garçons de salles les imitent.

Dernièrement, on livra au baigneur un paralytique général ; le baigneur faisait un cent de piquet, aussi, furieux, il grogna : « attends, vieille crapule, je vais t’apprendre à me déranger ! » et il jeta le misérable dans une baignoire remplie d’eau presque bouillante. Lorsque l’infirmier de la salle, Pariset, revint chercher son paralytique, il s’aperçut avec stupeur que celui-ci était complètement échaudé : « la peau de son corps s’enlevait par longues bandes, » nous dit un témoin oculaire. Aujourd’hui — deux mois après ce bain bouillant — les brûlures ne sont pas encore guéries !

Ce n’est là qu’un cas entre mille.

On opère de la même façon pour les vieillards ; l’un d’eux a été pendu par les pieds, et est resté la tête en bas, pendant plus d’une minute, parce qu’il avait sali son lit…

Au mois de janvier 1885, un paralytique qui occupait le lit n° 19, dans la salle Saint-François, à l’hôpital Beaujon, est arraché de son lit par un infirmier ivre et jeté dans le caveau à charbon où il expire quelques minutes après.

Le procès de cet infirmier du nom de Bourré, qui en fut quitte pour six mois de prison, révéla des détails incroyables sur l’incurie des Quentin et des Peyron.

Cet homme avait été chassé deux ou trois fois de tous les hôpitaux de Paris pour ivresse et violence envers les malades et il rentrait tranquillement quelques mois après dans les hôpitaux d’où il avait été renvoyé ; il faisait le tour et il avait été successivement à Cochin, à Lariboisière, à la Charité, à Saint-Antoine, à la Pitié, à l’Hôtel-Dieu, à Bichat, à Beaujon !

Les malades sont exposés à toutes les négligences quand ils ne sont pas victimes de tous les mauvais traitements des mercenaires[9]. Le 26 juin 1882, une malheureuse folle, la femme Georges, est brûlée vive, littéralement cuite plutôt dans sa baignoire où Marie Contausse, fille de salle, l’a enfermée et l’a oubliée. A l’hôpital Tenon, la demoiselle Devillers expire dans des douleurs atroces après un lavement que la femme Prugnand et la femme Thibault lui ont administré en mettant trente grammes d’acide pur au lieu de quarante centigrammes d’acide phénique ; un enfant est brûlé vif, en juin 1883, au même hôpital.

A l’hôpital Laënnec, deux infirmières laïques causent la mort d’un enfant de deux mois, la fille d’une dame Lepron, en délivrant à la mère du chlorate de potasse au lieu de phosphate de chaux.

Le 19 mars, le tribunal acquitte les prévenues en constatant que l’effroyable désordre qui s’est introduit dans les hôpitaux rend les employés irresponsables.

Attendu, dit-il, que l’organisation défectueuse du service des médicaments usuels, à l’hôpital Laënnec, pouvait facilement ame- ner des confusions ; que le soin du dosage de ces médicaments généralement préparés par grande quantité à la fois, était abusivement laissé à des filles de service n’offrant pas toujours des garanties suffisantes d’âge, d’expérience ou de savoir ; que, de plus, les paquets ainsi préparés à l’avance, ou tout au moins certains d’entre eux, ne portaient ni étiquette, ni indications relatives à la nature de la substance qu’ils contenaient.

N’est-ce pas terrible la pensée de cet hôpital où les poisons et les substances « offensives sont pèle-mêle, où l’on prend au hasard, « au petit bonheur, » comme on dît, sans même être guidé par une étiquette ? Quelle honte doivent éprouver les vieux médecins en constatant ce que Quentin a fait de ces hôpitaux qui étaient autrefois un modèle pour l’Europe.

Au mois de juillet 1885, deux malades de l’hôpital Saint-Louis, placés dans la salle Cazenave, Charles Yandeleyem et Charles Lecouteux, meurent d’une manière foudroyante. On s’aperçoit qu’au lieu de cuillerées d’eau-de-vie allemande, on leur avait fait prendre quelques cuillerées de strychnine. Ces faits sont si fréquents dans les hôpitaux actuels que nul ne songe à s’en étonner.

Dans le Gaulois (28 février 1884), un médecin raconte l’étonnement éprouvé par un chef de service d’hôpital en constatant que ses prescriptions sont exécutées absolument à rebours, à un malade auquel il ordonnait du vin on donnait du lait. À une demande d’explication, le directeur répondit par une prière de vouloir bien diminuer de la moitié ou au moins du tiers la quantité du vin prescrit en alléguant comme excuse la situation financière de l’Assistance. Voilà où Quentin en était arrivé avec un budget de trente-quatre millions ! Où cela passe-t-il ? Le vol est partout. On s’aperçoit un beau matin que la quinine ne guérit plus et un procès révèle que l’administration de l’Assistance publique a patriotiquement traité avec une fabrique italienne fusionnée avec une compagnie allemande, qui remplace le sulfate de quinine par de la cinchonine[10].

Il n’y a plus ni discipline, ni contrôle. Le National est obligé de reconnaître que Quentin « distribue des viandes pourries aux malades. » La Justice avoue « que le désordre et l’incurie règnent dans les établissements hospitaliers de la Seine[11]. » Ajoutons que le personnel de nos hôpitaux, jadis si dévoué, si humain, sous des apparences parfois rudes, s’est modifié complètement depuis quelques années par l’invasion des étudiants étrangers auxquels sont réservées toutes les faveurs et qui se livrent sur les malades à toutes les fantaisies, à toutes les expériences in anima vili imaginables.

Au moment où, à la suite de protestations d’étudiants français, le Matin s’occupait de cette question, j’ai publié un article à ce sujet et reçu de médecins, récemment sortis des hôpitaux, des lettres contenant des détails atroces. On n’a point l’idée des tortures que dans un but de vaine curiosité, souvent même pour s’amuser simplement, on fait subir à certains patients, « J’ai vu, m’écrivait le docteur Chalvan, à la date du 22 décembre 1884. des étrangers passer vingt fois de suite la sonde dans le canal d’un malheureux Français et eux de rire, entre eux, de ces bons Français sur qui on apprend si bien. Je puis même dire que beaucoup sont morts à la suite de ces examens insensés. »

Quand Peyron, le frère du complice de Ferry dans l’expédition du Tonkin, et qui avait dû à cette circonstance d’être nommé à la direction de l’Assistance publique à la place de Quentin, chassé par le mépris général, se pré- devant les étudiants, le 27 décembre 1884, pour proclamer les noms des externes et des internes d’hôpitaux pour 1885, un scandale sans nom se produisit. Les vociférations, les sifflets, les insultes couvrirent la voix du fonctionnaire opportuniste auquel on criait de tous les points de la salle : « Tais toi bacille ! »

Le tumulte redoubla quand on annonça à ces jeunes Français que, par un scandaleux passe-droit, le premier interne nommé était un Cubain, M. Albarran.

Au mois de janvier 1886, pour la distribution des prix et des médailles aux élèves internes et externes des hôpitaux, la scène prit les proportions d’une émeute. Dès que Peyron parut une clameur immense s’éleva ; tout le monde se mit à entonner :

Conspuez Peyron (bis).
Conspuez !

Incapable de prononcer un mot, totalement affolé, l’exécuteur des basses œuvres du Conseil municipal s’enfuit par une porte dérobée. Après son départ les tables furent renversées, les livres jetés par terre, le lustre brisé.

L’internat, d’ailleurs, cette institution si respectée où se formaient jadis dans le travail les maîtres de la science, n’est plus que l’ombre de ce qu’il était jadis depuis que les Juifs s’y sont introduits. Toutes les traditions d’honneur professionnel tendent à disparaître là encore. Au mois d’octobre 1885, le médecin juif Gougenheim livre à son interne Kahn le sujet du concours. Les récriminations éclatent de tous côtés et l’on est obligé d’annuler le concours.

Le grand témoin de cette enquête, qu’on reprendra peut-être quelque jour pour punir les vrais coupables, ceux qui ont spéculé sur la souffrance pour s’enrichir, c’est un libre-penseur, un républicain, un filleul même d’Armand Carrel, le docteur Després qui, dans un siècle de défaillance universelle, apparaît vraiment comme une figure loyale et sympathique. Il n’est pas de jour où, au nom de la science, du bon sens, de l’humanité, il n’ait mis Quentin face à face avec les crimes qu’il commettait.

La lettre qu’il a adressée aux journaux le 22 février 1883, en réponse à quelques mensonges de Bourneville qui avait essayé de tromper l’opinion, est comme le résumé de la question.

22 février 1883.
Monsieur le rédacteur

Tout mauvais cas est niable, M. Bourneville se défend comme il peut, et, faut-il le dire, péniblement. Mais je ne puis laisser passer l’audacieuse apologie des prétendus services que M. Bourneville aurait rendus aux hôpitaux, avec l’aide de ses collègues. Il s’agit sans doute de ses collègues du Conseil municipal.

Voici, du reste, la vérité sur ces services et sur leurs résultats :

1° Les infirmiers, auxquels le vin a été délivré en plus grande quantité, le vendent aux malades ;

2° Les infirmiers, dont on a augmenté les gages, rentrent généralement ivres leur jour de sortie. Un d’eux même, l’an dernier, en rentrant, a battu un malade dans une de mes salles, à l’hôpital de la Charité ;

3° Les surveillantes et infirmières laïques substituées aux religieuses, ont déjà, en dix-huit mois, quatre morts par imprudence à leur charge ; une malade étouffée dans un bain ; trois empoisonnements par lavement d’acide phénique : un à l’hôpital Tenon, un à l’hôpital Laënnec, la même semaine, et un l’an passé, à l’hôpital Cochin. C’est même ce fait auquel M. Quentin, directeur de l’Assistance publique, a fait allusion devant le Conseil municipal ces jours-ci. Mais M. Quentin a égaré le Conseil municipal, en lui laissant croire qu’il s’agissait d’un fait imputable aux religieuses, je le répète, il s’agissait d’une malade de la Maternité de Cochin,

bâtiment isolé, desservi exclusivement par des laïques, et où les religieuses n’ont pas le droit de pénétrer.

Le mal qui a été fait aux hôpitaux est plus grand encore que je ne l’ai dit. L’ordre, la tenue et la moralité sont bannis des hôpitaux laïcisés. Le désordre du linge, à l’hôpital Saint-Antoine et à l’hôpital Tenon, a été tel qu’il a fallu envoyer des inspecteurs, des femmes à la journée pour réparer le désordre. Au Mardi-Gras dernier, le personnel laïque de l’hôpital Saint-Antoine, hôpital laicisé, hommes et femmes, a changé de costume, et ne s’est pas même abstenu de paraître dans les salles avec ce déguisement.

Voilà, monsieur, le personnel qui sort de l’école d’infirmières laïques de M. Bourneville, école qui, suivant ce dernier, aurait été fondée pour le plus grand bien de l’Assistance publique.

Tous ces faits sont de notoriété publique dans les hôpitaux, je n’en dirai pas plus long. Seulement, je fais le public juge, et je lui rappellerai ce mot du bon La Fontaine :

A l’œuvre on connaît l’artisan.

Veuillez agréer, monsieur le rédacteur, l’assurance de ma considération distinguée.

A. Després[12]

Les scènes scandaleuses du Mardi-Gras, auxquelles le Dr Després fait une discrète allusion, sont un des faits les plus caractéristiques encore de notre époque. Se peut-il concevoir vision plus affreuse que l’orgie à l’hôpital, infirmiers et infirmières à demi ivres se cherchant dans les salles, le Plaisir qui hurle écrasant dans ses ébats la Douleur qui râle, les Évohés se mêlant aux cris de l’agonie, les malades, brusquement réveillés, se mettant sur leur séant pour regarder ces hommes habillés en femmes et ces femmes habillées en hommes et se demandant s’ils ne sont pas les dupes de quelque horrible cauchemar ?

Il y a vraiment dans ces jeux de l’Amour et de la Mort je ne sais quoi de fantastique et de macabre[13].

Il manque à cela Quentin, ce gros satyre débordant de santé, regardant ces choses après un souper avec quelques conseillers municipaux et disant à ses acolytes entre deux hoquets : « Hein ! mes enfants, comme c’est beau le Progrès ? Les salles n’avaient pas cet aspect folâtre avec les Sœurs. » Je dis : il manque ; c’est une façon de parler, car vraisemblablement il y était ; de tels objets sont faits pour lui plaire.

Dans presque tous les hôpitaux laïcisés des scènes analogues à celles dont parle le Dr Després ont lieu maintenant. L’Echo de la Brie, reproduit par le Figaro du 13 novembre 1884, nous raconte ce qui s’est passé à l’hospice de Meaux à la suite du décès d’une pauvre vieille de soixante-quatorze ans dont la maigreur avait mis le personnel en gaieté.

Suivant l’usage, les infirmiers se préparaient, après le décès, à enlever le corps de la défunte, lorsqu’un sentiment d’inqualifiable curiosité les poussa à se repaître de la vue de ce pauvre cadavre dans toute sa misère. Ils le découvrirent complètement, sans être arrêtés par les protestations émues, les supplications, les cris d’indignation même de quelques femmes malades et d’un jeune enfant de onze ans qui assistaient à cette profanation.

Une grosse infirmière de vingt ans, maflue et rebondie, qui assistait à la chose, servait de point de comparaison aux infirmiers, au milieu des ricanements, des moqueries et des plus inconvenantes réflexions.

Au lieu d’envelopper la pauvre femme avec décence, ainsi que le faisaient les Sœurs, avant de la déposer sur la funèbre civière qui sert à transporter les morts dans une salle spéciale, les infirmiers prirent le cadavre et le jetèrent en travers de cette civière avec un bruit sinistre qui fut entendu dans les salles voisines.

Veut-on maintenant connaître le dénouement ? Le voici :

Attirée par le bruit, une surveillante arriva et se contenta de faire taire… les malades ; puis, dès que la morte eut été placée dans la civière, la grosse infirmière, paralysée par le fou rire, fut saisie, couchée par-dessus la morte, le couvercle fut fermé, et le tout enlevé au milieu du rires, des cris de joie, en un mot d’un tumulte indescriptible[14].

N’est-ce pas tout à fait le sentiment qu’exprime Michelet lorsqu’il écrit : « Le squelette humain, dans ses formes anguleuses et gauches au premier coup d’œil, rappelle comme on sait la vie de mille façons ridicules, mais l’affreux rictus prend en revanche un air ironique… moins étrange encore par la forme que par la bizarrerie des poses, c’est l’homme et ce n’est pas l’homme. Ou, si c’est lui, il semble, cet horrible baladin, étaler avec un cynisme atroce la nudité suprême qui devait rester vêtue de la terre. »

Ces accès d’une gaieté malsaine, ce besoin de voir souffrir ou mourir pour rire tendent à se généraliser chez nos étudiants qui ne sont plus seulement sceptiques et bons enfants comme leurs devanciers, mais qui en sont arrivés au matérialisme persécuteur et haineux des Lanessan et des Bourneville. Au mois d’octobre 1885, le bal de l’internat à Bullier fut l’occasion de scènes inqualifiables. Des femmes furent frappées, martyrisées, soumises aux plus ignobles traitements ; quelques-unes de ces malheureuses furent prises d’affreuses crises de nerfs qui ne firent que redoubler l’hilarité[15]. Voilà ce qu’en détruisant toute croyance dans les âmes, le gouvernement républicain a fait de jeunes gens nés probablement avec des instincts honnêtes et généreux, il a corrompu jusqu’au bal Bullier ! Quentin doit être fier du résultat produit par son passage à l’Assistance publique.

Quentin, en effet, est le Franc-Maçon complet[16] ; il ne voit dans la vie que des appétits à satisfaire et il les satisfait largement. Ancien ami de Delescluze, il abandonna à l’heure du danger un homme qui était maigre et qui disait : « Voilà le moment de bien mourir ! » pour se rattacher à Gambetta qui était gras et qui disait : « Voilà le moment de bien vivre ! » Depuis ce temps il n’a fait que prospérer aux dépens des malades et l’on s’étonne même que les preuves de dégoût que lui donnaient chaque jour les princes de la science aient pu enfin le décider à se retirer[17].

Après tout, peut-être est-il moins méprisable que des hommes comme M. Paul de Rémusat, par exemple, qui, élevés dans une atmosphère chrétienne, placés à une certaine hauteur d’intelligence, n’osent pas prendre la défense des pauvres et ne font rien pour essayer au moins d’empêcher, par un vote, les infamies que l’on commet[18]. Le sénat romain avait ses pedarii qui ne parlaient jamais et qui attendaient pour voter qu’on leur fit un signe ; ils se transportaient en masse du côté où il fallait ; cela s’appelait pedibus in sententiam ire. C’est sur leurs genoux et non sur leurs pieds que nos sénateurs d’aujourd’hui vont au scrutin.

Les Sœurs ont protesté, à leur façon, contre la laïcisation, elles ont redoublé d’héroïsme au moment du choléra ; on les avait chassées, on les a rappelées quand il a été nécessaire de braver la mort et elles sont revenues en disant comme d’habitude : A la volonté du bon Dieu !

Elles ont lutté partout vaillamment. A Paris, il a fallu, pour que l’hospice des vieillards de l’avenue de Breteuil, fondé par les Petites Sœurs des pauvres, fût décimé, que le Conseil municipal aidât la peste et qu’il fit mourir les vieillards de faim.

— Que dites-vous ? va s’écrier un républicain honteux de l’être, cette fois, vous exagérez.

— Non ! un journal moins hypocrite que les autres, l’Intransigeant, avoue le fait dans son numéro du 12 novembre 1884.

Tous les pensionnaires de cette maison sont des vieillards pauvres, dont la constitution physique, déjà si faible, est rendue encore plus débile par la mauvaise nourriture qui leur est donnée.

On sait que l’Assistance publique fait distribuer à toutes les maisons d’asile et aux hôpitaux les restes recueillis dans les réfectoires des collèges. C’est ainsi que l’hospice de vieillards de l’avenue de Breteuil recevait autrefois, tous les jours, une certaine quantité de vivres provenant du collège Chaptal. Mais, il y a deux ans, sur la proposition faite au Conseil municipal par le colonel Martin, ancien lieutenant-colonel des dragons de l’impératrice, ce supplément de nourriture a été supprimé à l’hospice et n’a pas été remplacé. De sorte qu’actuellement ces pauvres vieillards n’ont absolament pour vivre que leur ration réglementaire, qui est des plus maigres. Aussi n’est-il pas surprenant que le fléau fasse parmi eux de nombreuses victimes.

Le colonel Martin, dans une guerre où tant de fautes furent commises, mais où le courage des officiers et des soldats ne fut contesté par personne, est le seul qui ait été convaincu de lâcheté devant l’ennemi. Le général Lebrun a raconté le fait tout au long dans son livre Bazeilles-Sedan (pages 68, 69 et 70).

Le 29 août, à Mouzon, au moment où le 5e corps était écrasé, le général de Failly aperçut quelque cavalerie parmi les troupes du général Granchamp ; il dépêche tout aussitôt vers les régiments du général de Béville un de ses aides de camp, le commandant Haillot, avec mission d’inviter les officiers qui les commandaient à exécuter une charge sur le flanc gauche de son corps d’armée, pour dégager ce flanc qui était en ce moment très engagé avec l’ennemi. Le premier des régiments que le commandant Haillot atteignit était le 6e régiment de cuirassiers.

Le colonel de ce régiment, qui était notre Martin, au lieu de se mettre à cheval pour charger, trouva l’occasion opportune pour se mettre à cheval… sur les principes de la hiérarchie et protesta qu’il n’avait d’ordre à recevoir que de ses chefs directs.

« Sans doute, dit bonnement le brave général Lebrun qui, on le sent, ne peut se défendre d’une sorte de pitié pour ce pleutre, sans doute en repoussant comme il l’avait fait la demande du général de Failly, le colonel du 6e de cuirassiers pouvait arguer qu’il obéissait à la lettre stricte de nos règlements qui exigeaient qu’il ne reçût d’ordre que de son chef direct, le général de Béville ; mais il n’est pas rare, à la guerre, qu’un officier se voie tout à coup dans l’obligation d’oublier un peu le règlement ; c’est lorsqu’il s’agit pour lui d’un grand acte de dévouement à accomplir et que le temps lui manque pour prendre l’autorisation de son chef immédiat. Dans le cas dont il s’agit, le commandant Haillot était allé au plus pressé en s’adressant au colonel qu’il avait devant lui ; il n’avait pas songé à chercher d’abord le général qui commandait la cavalerie. Il ne s’était préoccupé que de la situation critique dans laquelle le 5e corps d’armée se trouvait. »

Tandis que les officiers du 6e régiment, désespérés de leur inaction, se détournaient avec mépris de leur colonel, blême de peur, le commandant Haillot poursuivait sa route et arrivait devant le 5e régiment. Cette fois, il trouvait devant lui un Français, un soldat, un gentilhomme. Le colonel de Contenson ne répondit pas un seul mot, il s’inclina et faisant mettre le sabre en main à ses escadrons, « les porta au galop vers le point que l’aide de camp du général de Failly lui avait indiqué et il commanda : Chargez ! Ce devait être le cri suprême d’adieu qu’il adressait à ses cuirassiers. Un instant après, il tombait de cheval mortellement frappé par une balle allemande. »

Cet officier, qui refuse de charger les Prussiens et qui prend les Petites Sœurs des pauvres par la famine est, on le comprend, l’idole du Conseil municipal. La loge Alsace-Lorraine, dont ce Franc-Maçon zélé fait partie, ne se possède pas de joie quand il vient débiter là ses tirades patriotiques.

C’est sur le trait de ce Conseil municipal enlevant des débris de nourriture à de malheureux vieillards que nous nous arrêterons. Nous ne trouverions rien d’aussi beau.

Pitié démocratique, fraternité républicaine, philanthropie franc-maçonnique, je vous salue encore une fois, avec l’équerre et le compas !

  1. Figaro 14 mai 1883.
        Il y a toujours des gens qui vont trop loin. Cuvillier, marchand de graines à La Chapelle, était de ce nombre ; il payait ses employés et jusqu’à son tailleur avec des bons du bureau de bienfaisance ; le scandale parut dépasser la mesure et au mois de janvier 1886 il fut condamné par la 11e Chambre à huit mois de prison.
  2. Voir sur cette affaire, qui prouve à quel point d’arbitraire on en est arrivé en province, le numéro du Patriote de Normandie portant la date du 20 octobre 1881, et la Semaine religieuse d’Evreux du 3 novembre 1883. « Nous ne faillirons pas à notre devoir, dit en terminant la Semaine religieuse, et nous publions, pour qu’ils soient cloués au pilori de la conscience publique, les noms des menbres de la commission scolaire de Montaure et du juge de paix de Pont-de-l’Arche.
    « Les membres de la commission scolaire sont les citoyens :
    « 1. Boutry Césaire, maire de Montaure et propriétaire.
    « 2. Alépée Basile, ancien propriétaire, ancien boucher, actuellement tisserand.
    « 3. Richard (Jean-Baptiste), fils, tisserand.
    « 4. Martin (François), ancien adjoint, propriétaire et tisserand.
    « 5. Deriberprey (Julien), adjoint au maire, propriétaire et tisserand tous domiciliés à Montaure.
    « Retenons bien maintenant le nom du juge de paix de Pont de l’Arche qui a prononcé la condamnation.
    « Il s’appelle Dussaux. »
  3. Consulter à ce sujet le livre de M. Macé, le Service de sûreté, auquel nous avons fait déjà plus d’un emprunt. L’ancien chef de la sûreté déclare avoir toutes les pièces à la disposition de ceux qui voudraient être édifiés sur la cliente de M. Delattre et sur M. Delattre lui-même.
  4. Voir l’éloquent et simple récit de M. Lacointa, dans le Correspondant du 25 février 1881. Sous ce titre : les Voleurs d’enfants, M. Léon Lavedan a publié également, dans le Figaro, un récit très circonstancié de ce rapt.
  5. En 1859, les Juifs avaient mis tout Paris en mouvement et fait intervenir même l’Empereur parce que deux jeunes détenus condamnés pour vol, David et Isaac Salomon, avaient été l’objet de tentative de conversion.
  6. Le sous-prèfet poursuivit sa victime jusque dans la mort ; le religieux avait demandé à être enterré dans son cher Hermitage ; l’autorisation fut brutalement refusée.
        Le même fait s’est d’ailleurs reproduit à peu près partout. Voici ce qu’écrivait à l’Univers, au mois d’avril 1884, le vénérable abbé de Solesmes, dom Couturier.
        « Un de nos vieux frères, chassé comme nous de l’abbaye, il y a quatre ans, vient de mourir dans un département voisin. En mourant, il avait sollicité la grâce d’être enterré dans le cimetière de la paroisse de Solesmes, dont le nom lui rappelait tant et de si chers souvenirs. Cette grâce paraissait facile et n’avait rien qui put compromettre l’intérêt public. La demande en fut donc faite au nom de la famille du défunt. Mais au bout de 24 heures d’hésitation et de négociations sans doute avec le ministère, le préfet a répondu par ce singulier télégramme :
        « La famille du défunt n’habitant pas Solesmes, il n’y a aucun motif d’accorder l’autorisation que vous demandez de transporter dans cette commune le corps du défunt. »
  7. Je vous citerai dans cet ordre un fait de peu d’importance, sans doute, mais topique. Je le tiens de Camille Doré, un brave lieutenant de vaisseau devenu journaliste, et qui certainement s’il a juré quelquefois, quoique bon chrétien, n’a jamais menti de sa vie. Quelques mois avant les décrets, il rencontre Bethmont avec lequel il avait été élevé. — Comment va ton fils ! demande-t-il. — Oh ! admirablement ! Je suis enchanté de ses progrès maintenant que je l’ai mis chez les Jésuites.
        Bethmont n’en vota pas moins l’ordre du jour Devès demandant l’expulsion des congréganistes. — Comme tu es canaille ! lui dit Doré quelque temps après.— Bah ! mon cher, l’intérêt avant tout !
        Un tel acte n’est-il pas caractéristique de la part d’un homme dont le père a été élevé gratuitement par des religieux, de la part d’un homme surtout que la faim n’étreint pas ?
        Notez que le monde, qui sera sévère pour une femme qui se livrera pour manger, ou pour un affamé qui volera un pain, n’aura que des sourires pour cet homme qui s’est absolument vendu en consentant, pour une place de président à la Cour des comptes, à proscrire des religieux qu’il jugeait irréprochables puisqu’il leur confiait son enfant.
  8. Cri du Peuple, du 5 novembre 1884.
  9. Lire la pétition touchante adressée, au mois de janvier 1884, au président Grévy par douze cents malades de l’hospice des Incurables d’Ivry-sur-Seine, qui rappellent ce qu’ils ont souffert ailleurs de la part des infirmières laïques et qui supplient qu’on ne les prive pas des soins que leur prodiguent les religieuses.
        « La plupart d’entre nous, disent ces pauvres gens, ont fait un séjour plus ou moins long dans les hôpitaux laïcisés. C’est vous dire, monsieur le Président, que nous avons fait par nous-mêmes l’expérience de la laïcisation, et que tous, sans distinction d’opinion, nous savons, à n’en point douter, qu’en perdant les Sœurs, nons perdons en même temps le repos, l’ordre et, il faut l’avouer, hélas ! les soins qui nous sont si nécessaires et les égards qui nous sont dus. A l’appui de notre dire, nous pouvons citer un fait : les pensionnaires de La Rochefoucauld et des Petits-Ménages, laïcisés depuis trois ans, ont déjà pétitionné deux fois pour demander la réintégration des Sœurs. »
        Dans la séance du 28 janvier 1885, le Conseil municipal, saisi de la question, se prononça naturellement pour la laïcisation, malgré un éloquent discours du docteur Després. Un conseiller trop connu, Menorval, voulut intervenir dans la discussion en lisant une lettre ignoble contre les Sœurs, qui dégoûta même cette assemblée peu difficile. « M. Marius Martin et M. Després, dit le Figaro, obligent leur collègue à donner le nom du signataire de cette ignominie, et il finit par avouer que c’est un Israélite du nom de David. »
  10. On comprend l’horreur qu’éprouve maintenant pour les hôpitaux ce peuple de Paris qui autrefois avait une égale confiance dans la science des maîtres et dans le dévouement du personnel. Pendant le choléra, les infortunés, croyant que tout avait été laïcisé, n’osaient pas avouer qu’ils étaient malades dans la crainte d’être livrés au personnel choisi par Quentin et demandaient en grâce aux médecins de ne pas les trahir. Rue de Nevers, un infirmier qui, appuyé par des agents, venait s’emparer d’un malade, fut à demi assommé par les voisins.
        Je ne sais rien de navrant comme la fuite éperdue de deux malheureux de mon quartier. Le médecin qui les soignait avait dû révéler, au commissaire Bagnottet que la femme était atteinte du choléra… Alors la pauvre femme, prévenue qu’elle allait être enlevée de force, supplia son mari de l’arracher a ce supplice, et voilà ces deux êtres, la femme agonisante, l’homme fou de douleur, partis en pleine nuit à travers l’immense Paris, errant comme la bête qui cherche un coin pour y mourir. La police, qui n’arrête jamais les malfaiteurs, découvre les malades. Le couple fut repris à la Maison-Blanche le lendemain et la femme, qui avait rêvé de finir en paix chez elle, fut traînée dans un hôpital où elle succomba presque immédiatement.
        Sous prétexte qu’il pourrait se trouver un crucifix dans une maison ; empêcher les gens d’expirer chez eux, près de ceux qu’ils aiment, jamais aucune tyrannie n’avait osé cela !… Ajoutons que devant l’impossibilité de se faire obéir, Camescasse finit par déclarer qu’on avait le droit de mourir à peu près tranquille.
  11. Une circulaire confidentielle de Quentin, que tous les journaux ont publiée au mois d’avril 1884, proclame, plus énergiquement que nous ne le pourrions faire, le gaspillage scandaleux qui règne dans ces hôpitaux laïcisés où, à demi ivres dès le matin, les femmes qui ont remplacé les religieuses, sont hors d’état de distinguer un médicament d’un autre. Il résulte de cette pièce qu’en chiffres ronds on employait autrefois 4,000 litres d’ean-de-vie par an, depuis la laïcisation on en boit 16,000 litres ; autrefois on consommait 5,000 litres de rhum, maintenant 32,000 litres ; autrefois 144,000 kilogrammes de sucre, maintenant 200,000 livres ; autrefois 1,893,000 litres de vin, maintenant 1,646,000 litres ; autrefois 56,000 litres de vin de Banyuls, maintenant 128,000 litres ; autrefois 1,130,000 litres aujourd’hui 2,675,000 litres.
  12. Au mois de février, à propos de la laïcisation des hôpitaux de la ville, un médecin de Lyon, le docteur Augagnem, républicain et libre-penseur, adressait au Courrier de Lyon trois lettres fort remarquables qui concluaient absolument dans le même sens.
        « Sur les 600 Sœurs des hôpitaux, disait-il, 405 occupées dans les salles, sont en contact direct avec les malades. Je mets en fait, et aucun médecin ne me contredira, qu’il est impossible de trouver non-seulement à Lyon, mais dans toute la France peut-être, 400 femmes capables de faire immédiatement ce service. Nous voyons chaque jour, en ville, des gardes-malades et nous sommes fixés sur la valeur moyenne des membres de la corporation…
        « Entre les religieuses et les laïques, il y aura toujours une différence originelle d’une extrême importance. Les religieuses n’embrassent pas la vie d’hospitalisme uniquement pour trouver des moyens d’existence : les causes de leur choix sont d’un ordre plus élevé, elles se contentent de 40 fr. par an et pensent faire leur salut. Et combien les laïques estimèrent-elles l’indemnité équivalente au salut ? Agir pour une idée, fut-elle fausse, sera toujours supérieur au fait d’agir pour de l’argent. Dans l’armée, les volontaires ont toujours étés préférés aux remplaçants, à ceux qu’on appelait les vendus. »
  13. Pour l’analyse exacte de cet état d’âmes oû l’être humain, pris soudain d’un rire convulsif, profane les cadavres et les souille dans une sorte de vertige diabolique, les esprits curieux feront bien de lire l’admirable chapitre de Michelet sur la crise morale que traversa la France au XVe siècle pendant les horreurs de la guerre de cent ans. Ce fut alors que commencèrent les représentations de la Danse macabre, dans le cimetière des Innocents, où le soir les filles folles faisaient leur métier sur les tombes.
  14. En quelques années, sous l’influence du matérialisme officiel, on a vu disparaître en France des sentiments, comme le respect de la mort, qui semblaient innés dans le cœur de l’homme. Dans certains hôpitaux, on jette maintenant les morts pêle-mêle dans le même cercueil.
        Une jeune femme habitant à Saint-Denis, impasse des Gémeaux, Mme M…, entrée à l’hôpital de Saint-Denis, le 12 octobre 1885, mettait au monde, le soir même, un enfant, qui mourait quelques heures plus tard. Le corps, gardé pendant quatre jours, fut déposé, le 16 octobre, dans le cercueil d’une personne morte la veille, et c’est le médecin qui voulait examiner le petit cadavre qui découvrit cet acte monstrueux. Un fait analogue avait déjà été constaté le 13 octobre dernier, pour l’enfant d’une dame L…
        Pour dissimuler plus sûrement cette fraude, on n’avait même pas déclaré la mort de l’enfant. Vous voyez les garanties qu’une semblable administration offre aux familles.
        Le Gaulois, du 7 novembre, et le Cri du Peuple, du 9 novembre 1885, ont raconté au long tous ces faits.
  15. Le Cri du Peuple du 10 et du 13 octobre contient sur ces Saturnales cruelles des détails navrants.
  16. C’est un Lowton, lui aussi, croyons-nous. Nous voyons dès 1837 un Charles Quentin inonder de ses vers l’Univers maçonnique et gémir sur la mort d’Hiram.


    Hiram n’est plus ! Que les fils de la Veuve
    Supportent avec force une si dure épreuve !
    Recevons du héros de stolques leçons ;
    Du haut des cieux il veille au salut des Maçons
    Jéhovah seul connaît le sort des Hiramites :
    Qui peut à sa puissance assigner des limites ?

    Un seul fait suffit à prouver combien la Franc-Maçonnerie ment impudemment lorsqu’elle prétend que dans ces persécutions sur les malades des hôpitaux, elle est d’accord avec le sentiment de la population ouvrière ; c’est encore le docteur Després qui l’a signalé, à propos des Enfants Trouvés, dans la séance du 1er décembre du conseil général de la Seine.
        « La direction de l’hospice, dit-il, sur l’invitation de M. Quentin, a demandé pendant une année aux mères qui portaient ou envoyaient leurs enfants à l’hospice, si elles voulaient que leur enfant fût baptisé. Au bout d’un an, on a cessé de poser cette question. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’en 1882, pour 2, 000 enfants présentés, une mère, une seule, a demandé qu’il ne fût pas baptisé. »

  17. Les malheureux malades faillirent avoir encore pis. Au mois d’août 1884, tous les journaux, on s’en souvient, annoncèrent la nomination de Strauss, comme directeur de l’Assistance publique. Avec celui-là le pauvre chrétien qui aurait été surpris faisant un signe de croix aurait été sur de son affaire. Peyron, il est vrai, ne vaut guère mieux, mais du moins il n’a pas subi de condamnation infamante.
  18. Voici au reste ceux qui se sont abstenus, c’est-à-dire qui n’ont pas eu le courage de leur opinion dans la discussion qui a eu lieu au Senat lors de la suppression des aumôniers dans les hôpitaux.
        Ce sont : MM. Barthe (Marcel), Blanc (Xavier), Calmon, Cherpin, Cuvinot, Deffis (général), Donnot, Dumesnil, Dupré, Eymard-Duvernay, Frébault (général), Galloni d’Istria, Gilbert-Boucher, Grévy (Albert), Guinot, Hébrard (Adrieu), Jaurès (amiral), Lacomme, Lasteyrie (Jules de), Lemoinne (John), Le Royer, Lure, Milhet, Fontarabie, Pélisnier (général), Pons, Rémusat (Paul de), Rigal, Roussel (Théophile) Rosière (de), Scherer, Teisserenc de Bert, Tenaille Saligny, Wurtz.
        La servilité, dont le Sénat a fait preuve en toute occasion, ne lui a pas réussi ; après avoir été traité comme on sait, il n’attend plus que le jour prochain, espérons-le, où il sera définitivement balayé.