La France juive/Livre Cinquième/1

(vol 2p. 70-159).



C’est un crayon que je veux tracer, et non un tableau que je prétends peindre.

Les Goncourt ont su résumer tout un monde de faits et d’idées dans un volume, admirable à la fois par la netteté de l’impression générale et la richesse des détails : l’Histoire de la Société française pendant le Directoire ; ils nous ont montré, dans des pages pittoresques et fines tour à tour, Paris tel qu’il était au lendemain de la Terreur, avec ses églises dévastées, ses quartiers entiers changés en solitudes, ses hôtels ouverts à tout vent, l’hôtel La Rochefoucauld devenu bazar, l’hôtel Biron transformé en bal public.

Je ne puis espérer arriver, dans un cadre plus restreint, à un semblable résultat. Le monde présent, d’ailleurs, est autrement complexe que celui que les spirituels écrivains nous ont décrit : les ruines morales, qui sont éparses autour de nous, tiennent plus de place que les ruines matérielles.

Il me suffira d’indiquer les points principaux, quitte à compléter plus tard. Ce qu’on entend par une société, c’est-à-dire un ensemble de lois, d’usages, de traditions, n’existe plus. Ce qui parait tenir debout n’est qu’un décor qui ne résiste pas à l’examen. On vit dans un perpétuel mensonge et il est difficile, pour l’observateur, de raisonner d’après des apparences de situations et des étalages de sentiments qui, la plupart du temps, sont absolument faux.

Au premier abord, néanmoins, rien ne semble changé ; les noms en évidence sont des noms de la vieille France et ce n’est pas un des phénomènes les moins étranges de notre époque que de constater quelle vitalité il y a dans cette noblesse, à laquelle il n’a jamais manqué que de croire à elle-même, pour jouer le même rôle qu’en Angleterre.

Cent ans bientôt seront écoulés depuis qu’on a proclamé tous les hommes égaux, qu’on a brûlé solennellement au Champ-de-Mars l’arbre symbolique auquel étaient attachés tous les hochets de la féodalité, les tortils et les couronnes, les écussons et les manteaux de pairs, les parchemins et les généalogies. L’aristocratie actuelle n’a aucune place dans l’organisation contemporaine, elle n’a rien tenté pour en mériter une ; elle contient, en outre, un élément fort considérable de noblesse de cartes de visite, sans compter le nombre incroyable de fils d’acheteurs de biens nationaux qui se sont ennoblis en prenant le nom de la terre que leur grand père avait volée après avoir fait guillotiner le propriétaire légitime.

En réalité, cependant, en dépit de tant de scandales colportés par tous les journaux, l’aristocratie n’a pas complètement perdu tout son prestige dans ce siècle qui se croit si profondément démocratique. Un duc authentique, par ce seul fait qu’il est duc, est quelque chose, il trouve à monnayer son titre, à se marier richement. Cette improvisation fabuleuse d’un petit lieutenant d’artillerie créant des duchés, des comtés, des baronnies, a été prise au sérieux, s’est greffée facilement sur la noblesse ancienne qui s’était constituée comme elle par l’héroïsme militaire. Il y a plus, cette descente de la Courtille héraldique, cette noblesse qu’on a appelée la noblesse de l’almanach de Golgotha, cette invraisemblable éclosion de financiers se déclarant comtes et barons, non pas à la suite de services rendus au pays, mais à la suite de tripotages de Bourse, n’excite déjà plus la gaieté des premiers temps ; on sourit, sans doute, quand on entend prononcer le nom du comte de Camondo ou du baron de Hirsch, mais on s’y accoutume presque.

L’aristocratie, loin de trouver la France nouvelle hostile ou simplement indifférente comme l’Amérique, correspondait tellement aux mœurs et aux habitudes du pays, faisait si bien corps avec lui, qu’elle n’aurait eu qu’à le vouloir pour être une puissance, sinon un pouvoir, une influence considérable, sinon une autorité reconnue. Là encore elle a été au-dessous de sa tâche, elle s’est montrée inhabile à tout.

A la première Révolution, quarante mille gentilshommes, habitués dès l’enfance au maniement des armes, disposant de toutes les situations considérables, tous braves personnellement, ont commencé par préparer le mouvement qui devait les emporter en embrassant avec chaleur les idées nouvelles, puis, au lieu de se concerter, ils ont fui devant une poignée de scélérats. Excepté le prince de Talmont, il n’y eut pas un seul véritable grand seigneur en Vendée ; jamais un prince du sang n’y parut et l’injure jetée à la face du comte d’Artois, par Charrette, prêt à mourir, est restée dans toutes les mémoires[1]. Aussi riches et presque aussi puissants aujourd’hui qu’au moment de la Révolution, les descendants de ces hommes frivoles laissent périr la France avec la même insouciance et ne font rien pour lutter.

A quoi tient cette radicale impossibilité de l’aristocratie Française d’être utile à quelque chose ? Beaucoup de ceux qui la composent sont, par la générosité du cœur, par l’élévation des sentiments, restés l’élite de la société. On rencontre ça et là, dans la noblesse et dans la haute bourgeoisie, de magnifiques dévouements ; il existe là des saints et des saintes inconnus, des femmes jeunes, admirablement belles, soignant des malades, des œuvres soutenues avec une charité sans égale. Tout cela sans bruit, avec la crainte même de la publicité. C’est dans ces classes que se recrutent ces créatures célestes qui intercèdent Dieu pour nous. Si Paris a ses dessous que le regard ose à peine sonder, il a aussi ses dessus que bien peu connaissent, ces dessus où vivent de nobles âmes que le ciel voit plus que nous ne les voyons, car elles sont plus près de lui que de la terre où nous rampons.

Individuellement, je le répète, le véritable noble est généralement très bon. Il fait du bien, mais au lieu de s’en vanter grossièrement, comme le Juif qui bat la grosse caisse dès qu’il a donné cent sous, il cache ses bienfaits avec une délicate pudeur. En province, il y a rarement des pauvres autour des châteaux habités par d’anciennes familles. Dans un petit coin du Forez, que j’ai eu l’occasion d’habiter, le baron de Rochetaillée, par exemple, pour ne citer que ce que j’ai vu, ouvre un compte à tous les habitants indigents chez le boulanger et le boucher, il assure le nécessaire à tous. Il est impossible de mieux remplir les fonctions de ce riche, que Tertullien appelle « le trésorier de Dieu sur la terre. » Les radicaux, pour récompenser cet homme généreux, l’accusent d’enlever le goût du travail à ceux qu’il oblige en les nourrissant et ils espèrent bien, à la prochaine révolution, le guillotiner pour ce motif.

Ceci, j’en suis convaincu, est absolument indifférent au baron de Rochetaillée. L’ingratitude est parfaitement égale à ces âmes. Le noble, le représentant complet de la race aryenne, affinée et comme spiritualisée, est étranger a tout sentiment de rancune. Le christianisme, joint à une manière de penser naturellement grande, a détruit dans ces cœurs tout ressentiment des injures. Le Juif tient à la disposition de ses ennemis tout ce que, selon le mot de Goncourt, « une race, éclaboussée par le sang d’un Dieu, peut avoir de fiel recuit depuis dix-huit cents ans » le noble, lui, n’a ni fiel, ni haine.

Quoi de plus superbe que Montmorency écrivant son testament une heure avant d’aller à l’échafaud et léguant à Richelieu le tableau de Carrache représentant Saint Sébastien percé de flèches qui est maintenant au Louvre ? Plus tard, quand, dans sa cellule de la Visitation de Moulins, la duchesse revit en songe le mari qu’elle avait si tendrement aimé, malgré ses infidélités, elle apprit de lui qu’il était au nombre des Elus. — Quelle est surtout celle de vos actions qui vous a fait accorder cette grâce souveraine ? Lui demanda-t-elle. — La facilité avec laquelle j’ai pardonné. Dieu m’a fait miséricorde parce que je me suis montré miséricordieux envers ceux qui ont souhaité ma mort[2].

Dans le livre si touchant de M. Charles d’Héricault, Histoire de la Révolution racontée aux petits enfants, vous trouverez mille choses de ce genre. Quelle est belle cette réponse du pauvre petit Dauphin accablé de mauvais traitements, roué de coups par Simon !

— Que me feras-tu, Capet, lui dit un jour Simon, si les Vendéens viennent te délivrer ?

Le Dauphin se rappela la promesse qu’il avait faite à son père, et il répondit :

— Je vous pardonnerai…

N’est-il pas encore d’une délicatesse exquise ce fait que raconte Renan dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse ? Après la Révolution, les demoiselles nobles pensionnées à l’hospice de Tréguier mettaient, le soir, des chaises devant la porte et devisaient dans cette tranquillité d’un jour finissant qui enveloppe les villes de province de je ne sais quelle poésie silencieuse. Quand elles voyaient arriver ceux qui s’étaient enrichis à leurs dépens, elles ôtaient leurs chaises et se retiraient à l’intérieur ou allaient prier à la chapelle pour ne pas faire rougir ces richards, pour ne pas faire éprouver un sentiment de honte à ces voleurs légaux. On a cité cent fois ce mot imbécile et charmant de Charles X, au moment de signer une nomination à une recette générale.

— Je dois prévenir Votre Majesté que c’est le fils d’un régicide.

— On ne choisit pas son père.

Il est vrai que la place qu’il accordait au fils d’un régicide, le roi l’aurait refusée au fils d’un chouan qui serait mort pour sa cause. L’oubli des services rendus, chez les Bourbons et chez tous ceux qui appartiennent à ce parti, a toujours été égal à l’oubli des offenses. Dans ces têtes légères rien ne laisse d’impression profonde, et la douceur native reprend vite le dessus, « Brillants oiseaux à l’élégant plumage, » dit le poète grec en parlant des Aleméonides.

Qu’est donc l’inoffensive Terreur blanche à côté de cette Terreur rouge, qui, d’après Berriat Saint-Prix, fit trente mille victimes ?

En dehors de quelques personnalités éclatantes, comme Montalembert, le duc de Broglie, le comte de Mun, le cerveau de l’aristocrate est d’ordinaire très faiblement organisé. Il y a plus d’énergie intellectuelle, de volonté, de ténacité dans les desseins chez le dernier Juif de Galicie, que dans tout le Jockey-club. Sur tous les membres des grands cercles, vous n’en trouveriez pas dix qui aient lu Joseph de Maistre, tous les contremaîtres, la plupart des ouvriers de Paris, ont lu et étudié Karl Marx. Dans le logement de ces jeunes artisans, qui n’ont pour s’instruire que la soirée après une journée de fatigue, vous trouverez un commencement de bibliothèque, des volumes lus, relus, annotés ; la noblesse achète des livres, il est vrai, mais elle ne les lit presque jamais.

Cette absence de toute culture intellectuelle sérieuse enlève à l’aristocratie la notion de son rôle supérieur dans la société. Toute aristocratie, a dit Blanc de Saint Bonnet, qui laisse monter vers elle l’esprit d’en bas est troublée par l’alliage. Il ne faut pas qu’elle prenne du peuple et se fasse commune, il faut qu’elle donne d’elle au peuple et le fasse noble[3].

Ailleurs l’illustre penseur a donné une autre forme à cette définition des devoirs de l’aristocratie. De la Restauration française. Il faut, écrit-il, que sans cesse l’aristocratie se purifie et reste elle. Ce qui a lieu par l’application des principes qui l’ont distinguée. Le jour où elle se laisse reprendre par l’esprit du peuple, la décomposition de la nation commence. L’aristocratie peut de plus en plus s’ennoblir pour ennoblir de plus en plus la foule ; mais elle ne peut rien ennoblir de ce qu’elle reçoit de la foule.

C’est en vain que chez nous certaine noblesse a cru ennoblir les instincts qu’elle recevait du peuple, le goût de la paresse, du commode, du bien-être, de la vanité, des dépenses, de la table, du vin et des femmes ; elle n’a réussi qu’à se désennoblir elle-même et à priver le peuple d’une aristocratie réelle.

Après s’être désennoblie, en faisant passer avant tout les sens qui rendent tous les hommes égaux, les représentants de l’aristocratie en sont arrivés à perdre même l’espèce de suprématie élégante qu’ils avaient là encore, ils en sont descendus à ne plus pouvoir penser par eux-mêmes, même en matière d’opéra et de toilette. On leur vante des œuvres, des artistes de vingt-cinquième catégorie, qui n’ont d’autre mérite que d’être d’origine juive, des costumes ridicules et grotesques et ils applaudissent à tout rompre, ils se pâment, ils se roulent, ils disent d’un air hébété : « Ah ! Que c’est Pschut ! Ah ! que c’est V’lan ! »

Rien n’est singulier comme de voir l’aristocratie en être tombée, à Paris du moins, à perdre ainsi la direction et la maîtrise de cet empire du goût et de la mode qu’elle posséda si longtemps sans partage, avoir même laissé échapper ce sceptre futile, ne plus regarder les moindres choses que par les yeux des Juifs. On se rappelle l’histoire du baron de Rothschild devisant avec un joaillier juif du reproche que leur faisaient jadis les chrétiens de ne pas manger de porc — S’ils l’aiment tant le cher animal, il faut le leur faire porter comme décoration. — C’est une idée ! Huit jours après, à notre époque triste, tous nos élégants et toutes nos élégantes adoptaient comme fétiche le petit cochon d’or, minuscule emblème d’une dégradation dont ils étaient les premiers à rire !

Cette impossibilité de penser par soi-même, cette facilité à se laisser conduire, fait d’admirables officiers de ceux qui, au lieu de traîner à Paris une existence qui est inutile parce qu’ils ne savent pas l’employer, entrent et restent dans l’armée. La discipline les dispense d’avoir un avis et ils en sont tout heureux. Ne demandez, en effet, même aux chefs, aucune initiative. Après avoir reconquis Paris sur l’insurrection, au risque de leur vie, ils se le sont niaisement laissé reprendre par quelques faiseurs de phrases, ils ont subi humblement toutes les injures qu’on leur a prodiguées. Aucun, pour sauver son pays de la honte, n’a eu la résolution d’enlever son régiment, sa brigade, sa division, non par respect pour l’autorité, croyez-le bien, mais parce que, pour agir de soi-même, il faut commencer par réfléchir et qu’un tel travail est au-dessus de leurs forces.

Le sentiment dominant dans l’aristocratie française et dans la haute bourgeoisie, qui marche dans son sillage, c’est l’amour du plaisir. Je ne parle pas, remarquez-le bien, de la débauche. La débauche est un violent stimulant qui, chez certaines natures, n’exclut pas l’énergie. Le lord d’Angleterre dévoré par le spleen s’efforce parfois de noyer, sous des flots d’ale et de scherry, l’Hamlet morose et maladif qui existe dans tout Anglais ; il est Falstaff avant d’être Nelson, Chatam ou Byron. Dans les universités d’Outre-Rhin, l’Allemand prélude, par des lippées dignes des buveurs très illustres de Rabelais, à sa destinée de soldat ou d’homme politique ; il est Gargantua avant d’être Bismarck. Le Français n’a point ces goûts que trahirait la faiblesse de son estomac ; on ne cite même plus de grands viveurs, comme on en comptait par centaines, il y a cinquante ans. Ce qui subsiste c’est, encore une fois, l’amour du plaisir, le désir de s’amuser.

La duchesse de Persigny était née dans un chapeau de pierrot. Sa mère était accouchée au moment où le général de la Moskowa allait partir pour le bal de l’Opéra et le père, à la hâte, avait recueilli la petite dans son grand chapeau aux rubans multicolores. Il semble que l’aristocratie française actuelle ait eu un semblable berceau : en dépit des avertissements sinistres, qui ne lui manquent pas, elle éprouve comme des fourmillements dans les jambes quand elle est quelque temps sans danser.

Cette passion impérieuse livre, on le comprend, tous les grands seigneurs pieds et poings liés aux Juifs.

La chasse est au premier rang des divertissements de bonne compagnie.

La chasse, que l’aristocratie aimait parce qu’elle était l’image de la guerre, fut un malheur et devint presque un vice pour elle. Parmi tous les prétendus abus reprochés à l’ancien régime par des rhéteurs, qui ont fait cent fois pis dès qu’ils ont été au pouvoir, bien peu restent debout, depuis que la critique sérieuse a étudié ces questions ; l’abus du droit de chasse, les mesures impitoyables prises pour protéger ce droit n’ont point été justifiées. En certaines contrées, le paysan n’avait pas la permission de pénétrer dans son champ ! Il faut lire ce chapitre dans Taine pour comprendre les colères qui se formaient autour du château, grâce à cette réglementation trop sévère.

Par amour pour la chasse, la noblesse s’était aliéné les paysans, la même passion l’a amenée à fréquenter les Juifs, à aller chez eux, à manger à leur table.

Aujourd’hui nous assistons à la revanche du cerf. Pauvre cerf ! combien de fois, bramant, le cœur battant, a-t-il pleuré de ses yeux doux, cherché un refuge dans l’eau claire qui le tente, qui lui communique une sensation de bien-être et qui bientôt glace ses jambes en sueur, le paralyse et le livre à la meute ardente qui s’est lancée après lui ! Combien, en assistant à cette douloureuse agonie, que contemplaient, avec des frémissements de volupté aux narines, des femmes accessibles à toutes les tendresses dans la vie ordinaire, ont éprouvé l’émotion du sentimental Jacques de Comme il nous plaira :

Aussi bien, dit le premier Seigneur au vieux Duc, cela navre le mélancolique Jacques. Il jure que vous êtes, sous ce rapport, un plus grand usurpateur que votre frère qui vous a banni. Aujourd’hui, messire d’Amiens et moi-même, nous nous sommes faufilés derrière lui, comme il était étendu sous un chêne dont les antiques rameaux se projettent sur le ruisseau qui clapote le long de ce bois. Là, un pauvre cerf égaré, qu’avait blessé le trait des chasseurs, est venu râler ; et vraiment, monseigneur, le pauvre animal poussait de tels sanglots, que, sous leur effort, sa cotte de cuir se tendait presque à éclater. De grosses larmes roulaient, l’une après l’autre, sur son innocent museau. Et ainsi la bête velue, observée tendrement par le mélancolique Jacques, se tenait sur le bord extrême du rapide ruisseau qu’elle grossissait de ses larmes. Et lui jurait que nous sommes de purs usurpateurs, des tyrans, et ce qu’il y a de pire, d’effrayer ainsi les animaux et de les massacrer dans le domaine que leur assigne la nature.

N’est-il pas vengé le cerf infortuné, traqué ainsi de siècle en siècle, par le spectacle de tous ces porteurs de beaux noms se traînant, sous l’ironique sourire des valets, à la suite de quelque immonde Juif d’Allemagne et de Russie qui a bien voulu inviter la noblesse à se divertir avec lui ?

Que de souvenirs viennent à ces malheureux ! Ces forêts où ont chevauché les ancêtres, les conquérants hardis de la vieille Gaule, noire de bois, sont hantées encore par les légendes du passé. Les Fées ont habité au bord de ces étangs et c’est ici, peut-être, qu’au-dessus de la ramure d’un cerf, la figure de Jésus-Christ, toute resplendissante de clarté, apparut à saint Hubert. Les soirs d’hiver, au milieu d’ombres fantastiques, une chasse étrange, la chasse royale faisait retentir les halliers de clameurs qui n’avaient rien d’humain. Quand un roi devait mourir, un personnage mystérieux, proche parent du Petit Homme rouge des Tuileries et qu’on appelait le Grand Veneur, prononçait trois fois le nom de celui qui allait disparaître.

L’âme de notre histoire ne parle-t-elle pas dans tous ces lieux ? Fontainebleau à demi païen, où les Nymphes de Jean Goujon semblent errer dans les allées, ne raconte-t-il pas François Ier, le Primatice, la poésie automnale de cette fin de règne où le paladin de Marignan vint chercher le repos dans ce palais fait à l’image de l’Italie qu’il avait rêvé de conquérir ? Tout un monde ne ressuscite-t-il pas dans cette chambre des Cariatides où « Jean Goujon, dit Michelet, communique aux pierres la grâce ondoyante, le souffle de la France, sait faire couler le marbre comme nos eaux indécises, lui donne le balancement des grandes herbes éphémères et des flottantes moissons ? » Versailles ne dit-il pas tout un siècle en un mot et les brillantes cavalcades et les grandes dames dans les calèches que Louis XIV aborde chapeau bas, et les splendeurs de tout ce règne évanoui ?

Parfois, quand le soir tombe, cette vision des temps lointains vient à plus d’un duc, d’un marquis, d’un comte honteux d’être le compagnon de tous ces coupeurs de bourse juifs que ses aïeux n’auraient pas regardés, et il murmure avec le poète :

Ah ! Que le son du cor est triste au fond des bois !

Fontainebleau est à Ephrussi, Versailles est à Hirsch, Ferrières est à Rothschild.

Nous apprenons de temps en temps que M. Ephrussi « a découplé à la Malmontagne un cerf dix cors, et qu’après une heure de chasse l’animal a battu au change ; » une autre fois : « il brise dans les grands Feuillards et goûte l’eau à la mare aux pigeons. » Cahen d’Anvers se manifeste aux Bergeries. Quant à Hirsch, qui fait aussi belle figure au faubourg, ce qu’il chasse de préférence ce sont les officiers français.

Ce n’est pas un des spectacles les moins intéressants de notre époque que celui de ce baron de contrebande protégé, encouragé dans sa folie maniaque par Dreyfus, l’ancien député juif de Seine et Oise, et disant à ses gardes : « Dès que passe un Français, tirez dans le tas ! » Ce tyranneau occupe même ce terrain d’une façon absolument illégale, puisque le conseil municipal de Versailles a protesté contre la cession qui lui en a été faite. N’importe ! Il s’y conduit comme en pays ennemi ; les faits se passent à quelques Lieues de Paris sans que personne ait jamais osé les porter à la tribune : la gauche, on le sait d’avance, se lèverait en masse pour couvrir la voix d’un orateur qui oserait attaquer un financier juif.

Le seul journal républicain, qui ait jamais parlé de ces indignités, est le Temps. Il est vrai que l’article emprunte à la modération bien connue de son auteur, M. Jules Claretie, un accent particulier.

Les journaux de Seine-et-Oise, écrit-il, sont, sans aller plus loin, remplis chaque semaine des exploits des gardes d’un gros financier qui a loué une partie du parc de Versailles.

Des allées où les enfants passent, des fourrés où les promeneurs s’égarent ! Des nids de verdure où l’on aimerait à se perdre un livre à la main !

Un instant : attention à vous ! Il y a presque péril de mort ! Les gardes du baron Hirsch sont là tout près, le fusil chargé. Le Petit Versaillais, un journal du pays, conte que, l’autre jour, une ordonnance traversait à cheval l’avenue qui conduit du boulevard de la Reine à la porte Saint-Antoine. Deux beaux chiens de chasse suivaient, appartenant à des officiers. L’un d’eux entre sous bois ; il revient bientôt avec la patte cassée et un œil crevé. L’autre disparaît dans une haie : il est tué raide. Le brigadier de gendarmerie a déclaré que M. le baron Hirsch donne à ses gardes un franc de prime par bête fauve abattue, avec prescription d’assimiler aux fauves tous les chiens rencontrés dans sa chasse. Mais sa chasse, c’est une propriété de l’Etat. Mais on devrait pouvoir prendre le frais dans sa chasse sans courir le risque de recevoir des grains de plomb dans le visage ! Un officier, la semaine passée, se promenait avec son enfant dans une allée en contrebas d’un taillis. Tout à coup quelqu’un tire. Le plomb fait pleuvoir des feuilles criblées sur la tête du petit, et l’enfant a peur. Le garde interpellé par l’officier répond simplement : « J’ai tiré sur une fouine. Quand j’en rencontre, j’ai ordre de tirer !

Avouez, entre nous, que ce garde a eu de la chance de tomber sur un officier contemporain ! S’il avait fait cette réponse à Kléber, à Desaix, à Marceau, à Pélissier ou à Bugeaud dans leur jeunesse, je crois que le baron Hirsch aurait passé un mauvais quart d’heure !

Après nos officiers, ce que le baron Hirsch déteste le plus, ce sont nos ouvriers. Il prend nos capitaux, mais il proteste avec indignation, dans la Gazette de Cologne, contre le soupçon même d’avoir fourni du travail à un seul Français :

La compagnie des chemins de fer ottomans, dit-il, a un caractère spécialement allemand ; elle a appelé en Turquie des centaines d’employés allemands, leur a fait une position, et leur a donné une existence, à eux et à leurs familles, fondant ainsi, sur le territoire turc, une véritable colonie allemande. Locomotives, voitures, ponts de fer, rails, etc., c’est presque exclusivement en Allemagne à Hanovre, Nuremberg, Mayence, Cologne, Dortmund et dans bien d’autres ateliers allemands qu’elle a tout fait faire, ouvrant à l’industrie allemande un champ fécond.

Pour le personnel des employés, composé presque exclusivement de l’élément allemand, pour la colonisation allemande, ce serait un pitoyable résultat de voir des capitalistes étrangers, français ou anglais, par exemple, prendre en Turquie la place de la Compagnie existante, et je suis bien persuadé que vous seriez vous-même désolé d’avoir prêté la main à un résultat de ce genre.

Ces sentiments si français ont naturellement concilié au baron et à la baronne de Hirsch la sympathie de notre aristocratie. C’est le prince de Sagan qui fait les honneurs de cette demeure dans laquelle le général d’Abzac et le comte de Chabot jouent un peu le rôle de chambellans. Le comte de Fitz-James, avant son mariage, était employé dans la maison à cinq mille francs par mois. Le comte d’Andigné brigue l’avantage de conduire le cotillon dans les fêtes, tandis que le marquis de Massa se charge des intermèdes, et fait représenter là des petites pièces comme la Cicatrice.

Hirsch occupe à Paris une situation relativement supérieure à celle des Rothschild. Il est le baron comme les autres sont les barons. Au rebours des Rothschild, qui tiennent à personnifier une collectivité, le baron tient à être seul et laisse toute sa famille dans un demi-jour dédaigneux. Il n’a point la morgue et la hauteur des Rothschild, que l’on ose à peine aborder maintenant dans un salon ; parvenu réjoui, il est infiniment plus ouvert, plus rond que les princes d’Israël, et, somme toute, moins ridicule qu’eux. Il est insolent sans doute, mais son insolence est goguenarde et familière. Haut en couleur, les narines ouvertes, heureux de vivre quand il ne se roule pas dans d’atroces douleurs hépatiques, il est volontiers bonhomme avec une pointe de raillerie ; il dit, par exemple, à de grands seigneurs qui viennent quêter chez lui pour des blessés carlistes : « Je veux bien vous donner quelques billets de mille francs, mais êtes-vous bien sûrs que cet argent ira aux carlistes ? »

Cette différence d’allures avec les Rothschild s’explique facilement. Les Rothschild ont hérité d’une situation sociale déjà créée par leurs parents, qui ont essuyé les premières rebuffades ; ils croient, jusqu’à un certain point, appartenir à l’aristocratie ; Hirsch, au contraire, croit que l’aristocratie lui appartient.

Cette place dans le monde élégant, qui lui faisait tant envie, Hirsch, en effet, l’a conquise petit à petit, par lui-même ; il sait le tarif de chaque scrupule et le prix marchand de chaque conscience. Avec Bismarck et Gambetta, c’est un des trois grands mépriseurs d’hommes de l’époque, mais le mépris chez lui n’est tempéré par rien. Si Bismarck a pu apprécier toute la lâcheté humaine dans les diplomates et les politiques à genoux devant sa fortune, il ne peut méconnaître les beaux côtés de l’humanité quand il songe à tant d’obscurs héros qui se sont sacrifiés pour la gloire de l’Allemagne. S’il avait dans son entourage les plus effrayants échantillons de la servilité, Gambetta pouvait se rappeler, qu’au commencement de sa carrière, beaucoup d’êtres désintéressés et naïfs l’avaient soutenu en croyant aider au triomphe d’un principe. Hirsch n’a jamais vu dans sa vie un être humain qui se soit adressé à lui autrement que pour lui demander de l’argent.

Il a grandi à mesure que la France s’abaissait. Il y a quelques années à peine, les déclassés du monde eux-mêmes refusaient ses invitations, aujourd’hui les plus qualifiés sont heureux de monter le fameux escalier. Cet escalier, disons-le en passant, ne justifie guère la bruyante admiration dont il est l’objet. L’architecte l’a signé comme Raphaël aurait signé un de ses tableaux : Emile Peyre fec. Véritablement il n’y a pas de quoi être si content de soi. On ne peut imaginer rien de plus incohérent et de plus disproportionné que cet escalier ; il est assez large à sa base pour qu’un régiment puisse y défiler, il est si étroit au sommet qu’on croirait qu’il ressemble au reste de la maison et que c’est un escalier dérobé.

C’est du haut de cet escalier que le baron dit un jour à son fils, en regardant monter les ducs, les princes et les marquis : « Vous voyez tous ces gens-là, dans vingt ans, ils seront tous nos gendres ou nos concierges. »

L’été, les visiteurs se pressent à Beauregard. Qui ne voudrait pénétrer dans la salle à manger ?

C’est, dit l’Evénement, qui se connaît en raffinements mondains presque autant que le Gaulois, une pièce absolument remarquable dont les portes et les boiseries de noyer sculpté sont des merveilles. Quatre grandes baies vitrées versent le jour et découvrent de toutes parts l’horizon qui se reflète dans l’immense glace formant le panneau du fond. En sorte que, pendant qu’on dîne, les jeux sont charmés par le spectacle féerique et toujours renaissant donné par la nature.

Le Dressing room « blotti entre la serre et la chambre à coucher de la baronne » n’est pas mal non plus.

D’un style Louis XV très pur, il a été très exactement copié sur celui qu’une Electrice de Bavière s’était aménagé au palais de Nymphenbourg. Les tentures sont azur et argent, et, afin d’harmoniser les plafonds, la baronne, ne trouvant pas en France d’ouvriers compétents, a dû en amener de Bavière pour argenter tous les reliefs des moulures.

De vieux fauteuils en soie blonde fondent leur coloris très doux dans ces tons pâles. Mais, la merveille, c’est la toilette toute re- couverte de vieilles aubes d’Argentan, supportant un miroir dont le cadre en argent ciselé est un véritable joyau. Au-dessus de ce miroir, une glace de Venise est suspendue au mur, pareille à un bloc de pierreries. Le cadre de cette glace est une pièce unique, tout en cristal de roche, orné de guirlandes dont chaque grappe est formée d’améthystes, de grenats, de topazes et autres pierres incrustées dans le cristal.

Les chambres d’amis sont fort avenantes.

Le luxe de ces pièces est la fraîcheur qui est la grâce de la campagne. Dans chacune, un petit thé en argent ciselé ou en vermeil, de style et de ciselures différents, met un grain de faste élégant. Les draps de batiste, tous garnis de vieilles dentelles flamandes, floconnent sur la cretonne claire. C’est doux, c’est gai, cela enchante et cela retient.

Que ne ferait-on pas pour coucher dans des draps qui floconnent et qui retiennent ? « Aussi est-ce une joie très enviée de compter parmi les invités de la baronne, et les séries se succèdent à Beauregard comme jadis à Compiègne. Parmi les plus assidus : la duchesse Decazes, la duchesse de Castries, la marquise de Beauvoir, la comtesse de la Ferronays, la marquise d’Hervey de Saint-Denis, la comtesse de Chavagnac (aujourd’hui la comtesse de Pontevès), le marquis de Scépeaux, le comte de Béthune, le marquis de Fontenilles, la princesse Hohenlohe, la comtesse de Divonne, la marquise Bonnet, le comte de Beust, etc., etc. »

Dans ces fêtes d’ostentation, le Juif encore se révèle. Toute la chasse est vendue d’avance à des marchands de comestibles ; les hôtes du châtelain ne viennent guère faire là que le métier de tueurs, de garçons bouchers.

Autrefois, à Ferrières, quelques invités, désireux de rapporter à Paris les preuves de leurs exploits, éludaient la consigne et gardaient quelques pièces dans leur carnier. Le cas était prévu ; guidé par un chien spécial admirablement dressé à cet usage, le baron James visitait les chambres pendant qu’on prenait le café et confisquait impitoyablement tout gibier indûment conservé.

Dans ces conditions, la chasse n’est plus qu’un massacre, et Veuillot, le glorieux plébéien, avait bien raison lorsqu’il écrivait à sa sœur : « Je me prive soigneusement de la chasse ; l’enfant du peuple ne veut point de ce plaisir royal. Quant à faire semblant, comme chez les Rothschild, à assassiner des poules faisanes, amenées à l’abattoir par des valets galonnés, c’est bas. »

À ces parodies de la vie d’autrefois, il faut ajouter la chasse à courre avec un cerf en boîte. On entretient un malheureux cerf dans un parc, puis on le met dans une boîte, on le transporte dans un lieu déterminé, on le poursuit avec fureur ; au moment où il est près d’expirer, on s’arrête, non par humanité, mais par avarice, on ranime l’animal en lui faisant boire de l’eau-de-vie et on le réintègre dans sa boîte. N’est-ce pas tout un monde, cette chasse économique avec des habits rouges et des boutons de vénerie ?

En toutes ces charges qui rappellent l’ancienne vénerie, comme Croquefer rappelait les Chansons de gestes, figurent des noms de gentilshommes authentiques, qui font un singulier effet. Comme ils doivent s’étonner d’être là ! Avez-vous jamais vu, en allant au Bois dans l’après-midi, l’homme qui sert d’écuyer cavalcadour à la baronne de Rothschild ? C’est un vrai duc de la Trémoille. Lui-même, plus instruit que la plupart des membres de l’aristocratie, a classé, sans l’aide d’aucun paléographe, les papiers de sa famille et, sous ce titre, le Chartrier de la Trémoille, il a publié un magnifique volume qu’il n’a pas mis dans la commerce et qu’il a généreusement distribué aux bibliothèques et aux sociétés savantes.

Les quelques lignes que le duc de la Trémoille a placées en tête de ce volume, qui est, avant tout, un livre familial, précisent bien l’intention de l’auteur et frappent par une belle allure de simplicité.

A Louis-Charles-Marie de la Trémoille.

Désirant, mon cher Louis, te voir partager l’intérêt, je dirai l’affection que je porte à mes vieux parchemins et papiers, je vais essayer de te les faire connaître. Mon travail aura, en outre, pour but de t’apprendre sommairement l’histoire de ta famille.

J’ai réuni à cet effet, depuis Guy VI de la Trémoille, une série de lettres et de pièces qui se suivent sans interruption de père en fils jusqu’à moi.

Les chartriers que nous avions en divers châteaux ont été détruits ; celui de Thouars seul a été sauvé. Ce ne sont pas cependant les dangers qui lui ont manqué ; il a couru plusieurs fois risque d’être brûlé pendant les guerres de Vendée. La porte de fer qui le fermait est criblée de balles, dont plusieurs ont fait leur trou ; mais heureusement le feu n’a pas pris et la porte a tenu bon. A peine échappés aux dangers de la guerre, les vieux titres ont été mis au pillage par les bonnes femmes de Thouars, qui venaient chercher les plus belles feuilles de vélin pour couvrir leurs pots de confitures.

L’humidité, les rats et, enfin, bon nombre de soustractions faites par les chercheurs d’autographes ont notablement diminué notre dépôt d’archives ; mais ce qui reste est encore assez considérable pour consoler de ce que nous avons perdu.

N’est-il pas vrai que cela vous a un certain ton qui ne sent point le parvenu et le Juif ?

Rien n’est intéressant, d’ailleurs, comme l’histoire d’une si illustre race, faite uniquement avec des documents et des lettres autographes. On y suit de siècle en siècle les transformations de la noblesse. Le féodal traite presque d’égal à égal avec le roi, il lui prête de l’argent pour lever des troupes, afin de repousser les Anglais. Un Talmont meurt à Marignan, un la Trémoille tombe à côté de François Ier, à Pavie, après avoir reçu trente-sept blessures. Les rapports du duc de la Trémoille et d’Henri IV sont encore ceux de l’amitié ; le roi écrit à son fidèle compagnon d’armes pour lui expliquer les motifs de sa conversion. Puis la noblesse militaire devient la noblesse de cour ; il n’est plus question que de cordons bleus et de gouvernements, et, à la veille de la Révolution, Marie-Antoinette écrit à sa cousine pour lui promettre une faveur de ce genre. Le prince de Talmont, on le sait, prend une part glorieuse à la guerre de Vendée. Par un raffinement de cruauté, on l’amène de Rennes à son château de Thouars pour être guillotiné dans la cour d’honneur. Après l’exécution, les paysans, que la famille a comblés de bienfaits pendant des siècles, dansent en rond autour de la tête attachée à une pique, en chantant :

Monsieur de la Trémoille
Mouille !
Monsieur de la Trémoille
Mouillera !

Et regardez le contraste ! Cet homme qui a le souci de sa race, qui, pareil à ces chevaliers qui préparaient d’avance le tombeau où ils devaient reposer morts, élève aux siens un monument digne d’eux, est le commensal assidu de ces rogneurs d’écus de Francfort, enrichis par les spéculations que vous connaissez.

En voyant tombé si bas ce descendant de tant de connétables, de ducs et pairs, de grands et fiers seigneurs, je songeais au Dux que Cladel écrivit sur le conseil de Baudelaire. Ce n’est pas le premier venu que ce romancier au style tourmenté. Les autres ne se préoccupent jamais de chercher d’où vient le personnage qu’ils mettent en scène ; c’est un passant quelconque qui arrive on ne sait d’où. Cladel, au contraire, reconstitue avant tout l’origine de ses héros, il connaît qu’un Celte, un Germain, un Gallo-romain ne se ressemblent nullement, il sait la force de cette tradition qui s’incarnera peut-être dans un homme de vrai tempérament français, qui sauvera la Patrie, parce qu’il ne daignera même pas prendre la peine de discuter toutes les turlutaines déclamatoires mises en circulation par la presse franc-maçonne et juive.

Dux est le plus affreux cocher qui ait jamais promené à travers les rues de Paris, sous la neige et sous la pluie, une santé de fer, une soif inextinguible et une insolence qui n’a point de pareille ; il a l’horreur du bourgeois, il le devine d’instinct, il le couvre de ses épithètes injurieuses, il le déshonore par la familiarité de son tutoiement. Arrogant, solitaire, il va ainsi par la ville, et l’observateur, dans cet automédon, moins poli que ses chevaux, reconnaît un descendant des seigneurs à bec d’aigle de jadis, le type dégénéré du féodal.

Si on lui eût donné le choix, qui sait si Dux n’aurait pas aimé mieux vivre libre parmi les cochers que de meubler les salons de Rothschild ?

Pour une partie de la noblesse, la maison de Rothschild joue le rôle que jouait autrefois la maison de France. C’est une bizarre et curieuse destinée que celle de cette famille à laquelle nous consacrerons plus tard une étude spéciale, et qui est si intimement liée à l’histoire de ce siècle. Nous ne voulons en prendre aujourd’hui que le côté qui touche à la vie mondaine. Là encore les Rothschild ont eu à lutter longtemps. Il y a quarante ans, l’aristocratie bondissait d’indignation à la seule pensée de voir les Juifs se mêler à elle.

Nous avons rappelé le fi donc ! éloquent et laconique de la duchesse d’Angoulême ; il fallut mettre toute la diplomatie européenne en mouvement pour obtenir que les Rothschild fussent admis, non au cercle de la Cour — tous les chambellans auraient rendu leurs clefs à une telle proposition — mais fussent autorisés à se présenter aux Tuileries les jours de grandes cohues officielles. Trois fois l’huissier, suffoqué d’une telle audace, les mit à la porte, trois fois ils se représentèrent avec un sourire engageant.

Les auteurs d’un spirituel opuscule, paru en 1826 : Biographie des dames de la Cour et du faubourg Saint-Germain, ont raconté tout au long cet épisode de l’histoire intime de la Restauration. Leur portrait de la baronne Esther-Rebecca de Rothschild figurerait, sans désavantage, à côté de certains croquis de Tallemant des Réaux.

L’un des modernes flambeaux de l’antique Sion : femme, fille et sœur d’honnêtes Israélites voués au culte du Veau d’or, elle crut pouvoir comme son mari traiter les rois d’égal a égal. Elle fit mettre ses chevaux à la voiture et ordonna qu’on la conduisit aux Tuileries. Mais là, cruel désappointement ! On refusa de la recevoir[4].

Piquée au vif elle revient chez elle ; des pleurs coulent de ses yeux. Jérusalem ! s’écrie-t-elle, Jérusalem ! Quelle offense pour ton peuple ! Des courriers extraordinaires sont expédiés sur-le-champ à toutes les cours d’Allemagne pour les instruire de ce grand événement. Les rois s’agitent, les conseils s’assemblent, les diplomates discutent. Metternich prend la plume, l’ambassadeur d’Autriche court aux Tuileries, la porte à deux battants s’ouvre et notre baronne a franchi la salle des Maréchaux. Alors tout est joie dans Israël ; les montagnes bondissent comme des béliers, les collines comme les petits des agneaux. Les harpes qui dormaient suspendues aux saules du rivage frémissent de nouveau sous les doigts des filles de Sion et le peuple élu célèbre encore une fois le merveilleux passage de la mer Rouge.

À propos de la mer Rouge, savez-vous que cette couleur est celle que notre Crésus circoncis affectionne de préférence et que c’est avec un uniforme rouge, surchargé de deux épaulettes de colonel, qu’il a coutume d’assister à toutes nos réjouissances nationales ? Sa fidèle Rébecca, l’élue de son cœur, l’ange de ses affections l’accompagnait au dernier bal de la Ville. Cette perle d’Israël qui peut avoir vingt huit ans, était enchâssée dans une embrasure de croisée, entre deux diamants chrétiens d’une si belle eau qu’ils absorbaient tout son éclat.

Ces sentiments de répulsion subsistèrent très longtemps. En 1846, en l’honneur de l’arrivée à Baden d’un souverain étranger, on voulut organiser un bal. On nomma, pour régler les détails de la fête, trois commissaires, parmi lesquels M. Maurice de Haber. Les deux autres refusèrent d’avoir pour collègue un Juif, quoique ce collègue fût M. de Haber, le richissime banquier de Cologne, allié à la famille d’un maréchal de France, à la famille de Grouchy. M. de Haber envoya des témoins. Les commissaires refusèrent de se battre avec lui et ne consentirent à croiser le fer qu’avec un de ses amis.

« Le piquant de l’affaire, disent les Archives israélites[5], auxquelles nous empruntons cette histoire, c’est que M. de Haber, bien que gendre de M. Worms de Romilly, président du Consistoire central, n’appartenait plus au Judaïsme, mais bien à la religion protestante. Mlle de Haber, sa fille, s’était convertie quelques mois auparavant au catholicisme, à seule fin d’épouser M. de Grouchy. »

La ténacité juive, la patience à endurer les affronts et à feindre même de ne pas les apercevoir, vinrent à bout de tout[6]. Le vieux James entra dans la société comme bouffon ; il amusait ; on lui faisait répéter à chaque instant sa fameuse charade.

— Mon bremier il a des tents, mon second il a des tents, mon troisième il a des tents et mon tout il est un filain défaut.

— Le mot ! Le mot ! criait-on.

C’est encore lui qui disait un jour que l’on parlait devant lui des hommes de paille :

Fui, l’homme de baille est une ponne geose pour les goquins, ils finissent douchours bar le faire serfir de lit à leurs actionnaires.

On se racontait de lui des traits inouïs de ladrerie. Qui ne connaît l’histoire si souvent citée ? Un jour, un ami vient demander cinq cents francs à Dumas père. Le grand généreux était à sec ; le cas cependant était pressant ; il prend la plume et écrit au baron une lettre étincelante d’esprit pour lui emprunter vingt-cinq louis. Le milliardaire ne daigne même pas répondre.

Quelque temps après, on causait autographe, rue Laffitte.

— Cela a donc de la valeur ces papiers-là ? demanda le baron.

— Cela dépend.

— J’en ai un que je vais vous chercher.

Il montre la lettre de Dumas et on lui en offre immédiatement dix louis qu’il accepte, naturellement.

Dumas se vengea par un joli mot. Un jour qu’on quêtait à une fête de charité, une des patronnesses tendit l’aumonière au baron.

— J’ai déjà donné, dit le financier.

— Je ne l’ai pas vu, répondit la dame, mais je le crois.

— Et moi, fit Dumas, je l’ai vu, mais je ne le crois pas.

Les coreligionnaires du baron, eux-mêmes, flétrissaient son âpreté au gain. Les Archives israélites nous racontent une des leçons qu’il reçut de Marcus Prague, un des ministres officiants. Un jour de Yom Kippour, James de Rothschild, désigné pour sortir le Sepher de l’arche, pria Marcus Prague de lui garder son livre de prières. Il s’aperçut que celui-ci examinait avec intérêt ce volume splendidement relié.

— Mon Machsor a l’air de vous plaire, dit-il, combien m’en donnez-vous ?

— Comment, monsieur le baron, répondit Prague, qui était un zélateur de la Loi, en un tel lieu et en un tel jour, vous voulez encore faire du commerce…

Les rebuffades, je l’ai dit, ne le décourageaient pas. Arsène Houssaye, qui était présent à la scène, a raconté de quelle jolie façon Musset remit à sa place le baron qui s’était glissé à une lecture faite chez l’Impératrice de l’Ane et le Ruisseau.

Une autre fois, ce fut d’Orsay qui se chargea de la leçon. Un jour, en jouant au whist dans un salon, le financier avait laissé tomber un louis par terre. Aussitôt, il dérange tout le monde et prend un flambeau sur la table pour retrouver ses vingt francs.

— Laissez donc, mon cher, dit d’Orsay, je vais vous éclairer, et il allume à la bougie un billet de vingt francs pour aider le baron à chercher son louis…

De nos jours, les Rothschild seraient encore mis au pas s’ils se frottaient à quelque écrivain qui eût conservé les sentiments de fierté d’autrefois, mais ils n’ont plus à redouter de rencontrer un d’Orsay dans l’aristocratie.

L’aristocratie, du moins celle qui figure dans les comptes rendus des journaux parisiens, est littéralement vautrée aux pieds des Rothschild ; elle regarde comme un honneur d’être reçue par eux et la baronne Alphonse a pu dire ce mot prodigieux dans la bouche d’une Juive : « Je ne puis pourtant pas inviter tout le monde ! »

Il y a dans cet avilissement quelque chose de véritablement incompréhensible. Quel exemple plus frappant du degré où peuvent tomber des descendants d’illustres races, individuellement bons et généreux, mais faibles de caractère et dominés par cet impérieux besoin de s’amuser dont je parlais tout à l’heure, que ce qui s’est passé au moment de la catastrophe de l’Union générale ?

Je n’ai pas l’intention de traiter à fond cette affaire embrouillée, il faudrait un chapitre entier pour l’élucider.

Très probablement les catholiques, candides comme toujours, furent attirés dans un piège pour être dépouillés et déshonorés par les Rothschild avec la complicité du gouvernement.

Le nom de Feder, l’alter ego de Bontoux, est un nom absolument juif. L’Annuaire des Archives israélites pour 1884, l’an du monde 5645, indique un Feder parmi les professeurs juifs de la Faculté de Nancy. Le Feder de l’Union générale est maintenant un des principaux banquiers de Berlin.

Avouez qu’avant de s’engager dans cette campagne, les chefs du parti conservateur auraient dû s’informer un peu. Tous ces collets montés, qui hésiteraient à aller prendre une choppe dans un café, auraient dû faire demander à une agence de renseignements de les éclairer sur les mœurs de ce Feder, avant d’exhorter les pauvres prêtres de campagne, les petits rentiers catholiques, les servantes à lui confier leurs épargnes[7].

Quant à Bontoux, il n’était à Vienne entouré que de Juifs, tous ses employés étaient juifs. Son homme de confiance était un nommé Rappaport, qui gagna dix millions avec lui.

Bontoux, cependant, parait avoir été relativement de bonne foi. Les affaires dont il s’occupait étaient sérieuses. Le projet de Banque orientale, qui souleva particulièrement contre lui Camondo et les Juifs levantins, aurait donné à la France une grande influence en Orient.

On a peine à s’expliquer néanmoins que, pour son propre honneur, il n’ait jamais, sinon pendant, au moins après, parlé de la lutte qu’il voulait soutenir contre les Juifs, et qu’il se soit contenté de murmurer vaguement à la cantonade. On aurait aimé que ce vaincu dît loyalement : « Voilà ce que j’ai voulu faire, voilà les obstacles contre lesquels je me suis brisé, l’organisation de la Banque juive est constituée de telle façon, elle dispose de tels moyens. » Il y aurait eu là au moins un enseignement social.

Ce qui est certain, c’est que toutes les règles de la justice furent odieusement violées dans cette circonstance. Les directeurs de la Société furent arrêtée sans enquête, sur la plainte d’un seul individu qui prétendait qu’on avait disposé de ses fonds, ce qui fut reconnu plus tard absolument faux[8]. Rien n’était perdu alors puisque des sommes énormes étaient dues à la banque, que deux jours après devait avoir lieu une réunion générale qui aurait certainement sauvé la situation[9].

Ce fut Humbert, le garde des sceaux franc-maçon, qui fut l’instrument des Juifs.

Rien n’est plus curieux que cette figure d’Humbert de la Chaîne d’Union. Il apparaît comme une manière de Père Goriot ou de Monsieur Cardinal, mais sa Delphine de Nucingen, sa Pauline, c’est son fils ; c’est à lui qu’il sacrifie tout.

Dès que la famille est mêlée aux affaires des Juifs, elle entre en plein roman, on commence à parler d’une succession en Espagne, qui atteint un chiffre fabuleux. Petit professeur de droit romain, à Toulouse, le père, à la connaissance de tous, ne possède aucune fortune ; tout à coup ces gens-là remuent l’or comme dans un livre de Balzac. Un titre de quatre cent mille francs de rente est consigné au nom de Mme Humbert jeune, qui ne sera mise en possession de sa fortune personnelle qu’à la mort d’une marraine qui se trouve dans une maison de santé. Outre d’immenses propriétés dans l’Aude, le fils Humbert achète en Seine-et-Marne une propriété royale, les Vives-Eaux. Pour achever de payer cette terre il emprunte 750,000 francs à un notaire de l’Aude et 125,000 francs à Melun. Les 750,000 francs ne sont pas restitués à temps. Un procès, dont la presse rend compte, s’engage et l’on met aux enchères les Vives-eaux, leur splendide mobilier, la cave qui contient des vins de grands crûs, Moët, Cliquot, Château-Yquem, Chambertin, Saint-Emilion, les écuries avec douze chevaux de luxe, attelage à la Daumont, ducs, breacks, coupés, landaus, calèches. Au mois d’août 1884, au moment où M. Eugène Delize, huissier à Melun, va procéder à la vente, une dépêche de l’Aude arrive qui ordonne de surseoir.

N’est-ce point là un beau rêve pour cette famille de professeur qui n’a eu longtemps pour vivre que les maigres appointements du père ?

Ce qui confond l’imagination dans l’affaire de l’Union, c’est l’attitude des victimes elles-mêmes.

On venait d’enlever à la noblesse française ce qui, pour elle, était jadis plus précieux que l’argent, plus précieux que la vie : l’honneur. Ce cher trésor, amassé pendant tant de générations, était jeté au ruisseau. Les plus beaux noms, les Broglie, les d’Harcourt, les Biencourt, les Lupé étaient couverts de boue, assimilés à ceux des aigrefins véreux qui défrayent la chronique des tribunaux.

Ce qu’on appelle le monde manifesta l’intention de ne plus revoir au moins ces étrangers qui, pour augmenter leur monstrueuse fortune, n’avaient pas hésité à déshonorer la vieille France. Pendant huit jours on tint parole. Les baronnes épouvantées d’être mises ainsi en quarantaine, chassées de ce paradis où elles étalaient leur luxe insolent, se lamentaient et reprochaient à leurs maris d’avoir fait le coup. Pour tâter le terrain, elles essayèrent de donner une petite fête. C’est une grande qu’il eût fallu donner. On s’étouffait dans les salons à ce bal des victimes, et, au premier rang, parmi les plus obséquieux, figuraient les malheureux déshonorés par les Rothschild, les pères, les frères, les sœurs de ces infortunés, les d’Haussonville, par exemple, doublement atteints dans les d’Harcourt et dans les de Broglie.

Quelle vision, pour l’observateur, que celle de toutes ces familles qui furent glorieuses, défilant en éclatante toilette sous les huées, à peine dissimulées, de quelques Juifs cosmopolites qui raillaient leur chagrin, comptaient combien de pauvres diables s’étaient suicidés à la suite du Krach, demandaient tout haut si l’affaire irait en police correctionnelle ou en cour d’assises, si le régime des maisons centrales était dur en France !

On a accusé certains romanciers contemporains d’être irrespectueux envers le passé, et de rire de choses qui furent augustes, quel tableau, à la fois sinistre et comique, tragique et burlesque, pourrait-on tracer qui ne fût inférieur à cette réalité ?

Notez que cette dégradation est absolument spéciale à la noblesse française. Quelques heures de chemin de fer suffisent à transformer la fille hautaine d’Alphonse de Rothschild, la madame Ephrussi, si altière envers notre aristocratie, en une petite Juive fort humble qui, munie de toutes sortes de recommandations, serait bien heureuse et bien honorée si la cour de Russie daignait la recevoir, non pas sur le même pied assurément, mais à la suite de la femme de quelque vaillant officier qui, pour fortune, n’a que sa solde.

On a raconté le voyage que fit à Saint-Pétersbourg, au commencement de 1884, la belle triomphante de nos salons. A force d’importunités, d’influences mises en avant, l’impératrice de Russie s’était laissée aller, bien à contre-cœur, à permettre qu’on lui présentât Mme Ephrussi au Palais d’hiver. Le maître des cérémonies, raconte la Correspondance politique de Vienne, avait demandé comment il devait présenter cette Juive. — Vous me la présenterez en partant, répondit l’Impératrice. En conséquence, la fille d’Alphonse de Rothschild ne fut présentée à la tzarine qu’au moment où celle-ci quittait le salon dans lequel elle venait de s’entretenir avec plusieurs dames, avec la grâce qui lui est habituelle. Quant à Mme Ephrussi qui, ce jour-là, était couverte d’une véritable pluie de rubis, elle n’eut ni un regard, ni une parole de la souveraine.

L’an dernier, le gouvernement autrichien, qui est pourtant, au point de vue financier, entre les mains des Israélites, refuse d’agréer le ministre des États-Unis, M. A. M. Keiley, parce qu’il avait épousé une Juive.

Nous avons vu déjà le corps d’officiers se fermer devant le fils de Bleichroeder, le correspondant allemand de la France, racontait au mois de mars 1884, comment la fille du Rothschild de Berlin était reçue dans la société.

A propos d’anti-sémitisme, écrivait-il, voici une histoire médite des plus curieuses et qui court en ce moment les salons de Berlin. La fille du banquier Bleichroeder avant été introduite, cet hiver, à la Cour, au premier bal qui y eut lieu, personne ne lui fit d’invitation, ce dont elle pleura à chaudes larmes, après être rentrée chez elle ; et, néanmoins, elle parut au bal suivant du Vieux Château, et y subit exactement le même sort, à la troisième fête dansante de la Cour, le Prince héréditaire d’Allemagne eut pitié de la jeune Israélite et ordonna à un officier de s’aller offrir pour la faire danser.

Par ordre de S. A le Prince héritier, dit ce dernier à Mme de Bleichroeder, je viens vous inviter pour la premiers contredanse.

La fille du banquier qui a taxé la France à cinq milliards, en 1874, accepta avec plaisir une telle invitation…

Le spectacle auquel nous assistons en France, nous explique comment les races finissent. Rome vit des déchéances analogues. Juvénal nous a montré les patriciens, dont les aïeux avaient conquis le monde, mendiant une place à la table des fils d’esclaves enrichis. Lucien a fait défiler devant nous les variétés de parasites : le Plagipatide ou le Duricapitor qui reçoit des coups, le Dérisor qui a comme attributions de dire des bons mots.

Les Rothschild sont plus hospitaliers que le Virron de Juvénal qui laissait à ses invités le vin de Bénévent, tandis qu’il buvait, lui, dans la large coupe,

Où sur l’ambre un feston de perles se découpe,


du vin d’Albe comme en buvaient seulement Thraséas et Helvidius au jour natal de Cassius ou de Brutus. On boit à Ferrières du Romanée qui est fameux. Le baron James a tenté de le faire venir dans les caves de Paris, mais « ce n’était plus ça. » Tel est du moins le sentiment d’Arthur Meyer qui en a bu, parait-il, ou qui a conversé avec des gens qui en avaient vu boire.

Le Romanée est à Alphonse ; le Château Laffitte est à Gustave ; le Mouton était à James qui n’en boit plus pour toutes sortes de raisons qui sont fort bonnes. Notre vin, où l’esprit national se retrempait jadis, appartient aux Juifs comme tout le reste. Ainsi s’accomplit la promesse faite à Israël par Jéhovah : « Tu boiras le vin des vignes que tu n’auras pas plantées. » Entonnons en chœur, faute de pouvoir entonner autre chose, les paroles du schema : « l’Eternel est un… et les goym ne sont point malins, »

Les goym héraldiques qui se pressent chez les Rothschild n’y sont point seulement attirés par le parfum du Romanée. Beaucoup, parmi ceux qui recherchent celle hospitalité humiliante, ont chez eux un petit vin qui n’est point mauvais, un vieil hôtel souvent où il y a des portraits de famille qui parlent des vertus d’autrefois, des livres où revit la jeunesse de nos anciens écrivains, une femme intelligente, des enfants auxquels ils pourraient raconter les batailles où furent leurs pères. Pourquoi quitter tout cela ? Mon Dieu, c’est toujours l’atavisme qui, malheureusement, on le sait, transmet plutôt des défauts que des qualités.

Aller chez Rothschild pour eux, c’est aller à la Cour. Le roi des Juifs, le Juif des rois n’est pas tout à fait Louis XIV, mais ils ont l’illusion d’être dans un palais.

La vie de Cour a été essentiellement parasitaire et cependant elle a ruiné ceux qui ont vécu dans cette atmosphère. Dans le commerce avec le Juif, le chrétien, qui a l’air d’être l’obligé, ne gagne rien. On payait aux parasites la robe de festin, la Trechedipna, nécessaire pour se présenter décemment à table ; les barons juifs acquittent sans doute de temps en temps quelques factures de couturières. Bleichroeder agit ainsi en Prusse, mais le comte Vasili, dans ses Souvenirs sur la société de Berlin, constate par quelles déshonorantes familiarités il fait payer le léger service qu’il rend. « Il sait obliger son semblable, dit-il, mais il éprouve un plaisir diabolique à faire sentir à un grand seigneur orgueilleux ou à une noble dame hautaine le poids de ses bienfaits. Il trouve une joie toute particulière à les humilier à l’aide d’une odieuse et grossière familiarité. Il tape sur l’épaule du jeune homme qui vient lui avouer une dette de jeu, baise les mains de la femme qui se trouve forcée de lui confier ses embarras et lui demande son aide pour payer sa couturière. »

Cet archi-millionnaire, presque aveugle, assombri par la pensée que la mort va le venir prendre sur son lit de millions, est un type qui se reproduit à des milliers d’exemplaires dans le monde juif.

Au milieu de tous ces hommes qui se prosternent devant eux, mais qui leur sont supérieurs encore par l’élégance native, les Rothschild sont mal à l’aise quand même. Vous les connaissez. Aucun d’eux ne paye de mine.

Le baron Alphonse a 54 ans, il en porte 70, ou plutôt il a peine à les porter ; il est tout petit, avec des favoris blanchâtres, des cheveux rares d’une nuance indéfinissable ; il personnifie la décrépitude prématurée de sa race.

Ce qui frappe dans cette physionomie, c’est l’absence de regard, le clignotement perpétuel des yeux. Un diplomate étranger me faisait un jour remarquer cette particularité : « Il semble, me disait-il, que le reflet métallique de l’or que cet homme a contemplé toute sa vie ait éteint, usé ce regard, comme il arrive aux ouvriers qui brodent des étoffes d’or ou d’argent. »

Très rogue dans le monde, Alphonse a des instincts populaires ; il aime à aller parcourir Paris en dissimulant sa royauté et en se faisant passer pour photographe près des petites lingères ou des fleuristes, avec lesquelles il cause volontiers.

Edmond est le classique marchand de lorgnettes, il a une barbe roussâtre et braque un lorgnon sur ses yeux avec un tic nerveux qui voudrait être impertinent : il a toujours l’air fureteur de quelqu’un qui cherche quelque chose qu’il ne trouve pas.

Gustave, avec sa barbe châtaine déjà poivre et sel, sa haute taille, aurait l’air relativement distingué, s’il savait marcher, entrer et sortir ; il affecte d’être encore plus sec que les autres membres de sa famille ; sa femme est d’une insupportable arrogance.

Tout ce monde est plus ou moins maussade et quinteux. Les uns ont la moelle épinière entamée ou un épanchement de la synovie, comme Edmond ; les autres deviennent aveugles de bonne heure, comme Nathaniel qu’on promenait dans une petite voiture à travers ces appartements magnifiques, dont le luxe n’existait plus pour lui. On les trouve mal élevés, ils sont surtout moroses, ressentant, comme la plupart des autres Juifs, au sein d’une scandaleuse opulence, ce qu’on a appelle : « la grande misère de tout. » Ils n’ont aucun stimulant, aucun mobile d’action, ils ont voulu conquérir la France, ils l’ont conquise et ils sentent qu’elle meurt sous leur souffle délétère, qu’ils n’ont à eux qu’un cadavre.

Alphonse a de l’esprit ou plutôt une sorte d’humour anglaise tournée à l’aigreur et à l’ironie qui, maintenue, par le besoin de ménager la haute société qu’il méprise, s’épanche parfois en saillies fantasques, en allusions désobligeantes et taquines. À ces brusques incartades, les convives rient jaune, les valets s’esclaffent en dessous et le baron ajoute en gouaillant : « Voulez-vous du Romanée[10] ? »

On a beaucoup parlé des splendeurs de Ferrières et, au risque de désillusionner un peu les badauds, il est nécessaire de montrer à nos lecteurs ce qu’est en réalité la demeure du roi des Juifs.

Versailles, bâti dans un pays sans eau, a évidemment inspiré aux Rothschild le désir d’imiter Louis XIV ; ils ont été guidés encore par d’autres considérations : la facilité, en cas d’alarme, de gagner l’Allemagne par la ligne de l’Est[11], le souvenir d’une colonie juive qui, nous l’avons vu, fut très florissante au Moyen Age dans cette région, à Chelles, à Meaux, à Lagny, à Gagny.

Avec leur mauvais goût ordinaire et leur peu de sympathie pour nos artistes français, les Rothschild ont chargé un architecte anglais, Paxton, d’édifier cette royale habitation. Ce qui devait se produire arriva.

Notre grand architecte national, Philibert Delorme, dans son Traité d’architecture, dit d’excellentes choses sur l’impossibilité pour des étrangers de bien comprendre les conditions qui conviennent à notre pays, d’harmoniser leurs constructions avec le climat, le ciel, les habitudes françaises.

Ferrières donne une fois de plus raison à l’abbé de Saint-Serge. Paxton a élevé là un de ces châteaux bizarres, comme on en voit quelques-uns en Angleterre et qui, avec ses quatre façades de style dissemblable, semble tout dépaysé au milieu de nos pays du Nord. On pense involontairement à ce gigantesque caravansérail de Schaffahaüsen qui, avec ses hautes colonnes et ses promenoirs à l’italienne, détonne si singulièrement avec le paysage devant la chute du Rhin.

L’intérieur est plus intéressant. Après avoir traversé un large vestibule que décore un plafond de Tiepolo, on pénètre dans une petite salle à manger qui contient quelques jolies peintures de Philippe Rousseau. La grande salle à manger à poutrelles, avec ses quarante fauteuils en velours rouge, ne manque pas d’une certaine allure.

À partir du salon Louis XVI, les surprises commencent. On voit successivement défiler sous ses yeux toutes les merveilles du génie des siècles qu’ont pu rassembler sur un seul point l’or, les relations universelles, la franc-maçonnerie des brocanteurs aux aguets dans toute l’Europe, et réservant la fleur de leurs trouvailles pour les souverains d’Israël. Les chefs-d’œuvre de l’art du XVIIIe siècle, les tables de Gouthière, les meubles incrustés de Riesener et de Boule, les cuivres de Caffieri ornent cette pièce charmante dans sa tonalité printanière et claire que surmonte un plafond d’Henry Lévy. Au milieu apparaît, comme un trophée, l’incomparable clavecin de Marie-Antoinette, qu’on a le cœur serré de retrouver dans cette maison de Juifs.

Un petit réduit sombre attire l’attention. C’est l’oratoire : une pièce fort simple qui a pour tout ornement les rouleaux de la Thora et le chandelier à sept branches ; dans l’ombre, on aperçoit un piano et quelques chaises de paille.

Le salon de famille s’appelle aussi le salon des cuirs de Cordoue ; il doit son nom à de superbes tentures de cuir gaufré et repoussé qui représentent le Triomphe de Mardochée. Ces cuirs, parfaitement conservés, viennent des Flandres, ils avaient été apportés sans doute par quelque grand seigneur espagnol, peut-être même avaient-ils été fabriqués sur place, car des fabriques paraissent avoir existé quelque temps dans les Flandres, ils ont été acquis par les Rothschild pour une somme insignifiante. Ce sont de très curieux spécimens de ces cuirs dorés, de ces cardovanes, de ces guadamaciles dont Cervantès parle à plusieurs reprises dans ses œuvres[12]. On trouve là aussi, comme tapis de table, une tapisserie de la Savonnerie toute lamée d’argent et qui est du travail le plus intéressant et le plus précieux.

L’examen de quelques volumes, qu’on entrevoit dans un meuble d’ébène surmonté d’un dépliant cloisonné, déconcerte légèrement. « Quels sont les livres de main, les amis littéraires familiers de ces gens-là ? » se demande-t-on et on regarde. On voit : Soulié, Paul de Kock, Pigault-Lebrun, Touchard Lafosse (Chroniques de l’Œil-de-Bœuf), Eugène Sue (Le Juif errant), Jacob (Histoire de France). Tout cela dans les éditions les plus affreuses, dans des éditions dont un lettré ne voudrait pas pour vérifier une citation.

Cela ne vous produit-il pas un peu l’effet du linge sale sous une robe de soie ? Quel aperçu cela vous ouvre sur le monde qui va là et qui expose quelque jeune fille à prendre un volume au hasard et à tomber sur Pigault-Lebrun !

Pour nous remettre voulez-vous avancer sur le perron ? A droite et à gauche vous trouverez deux vases de Clodion ; la paire a coûté cinquante mille francs. En été, la vue est belle, on est en face de la pièce d’eau et, au delà, on aperçoit le parc et des enclos pleins de moutons et de daims qui prêtent de l’animation au décor.

Rentrons dans les appartements. Nous allons rencontrer, pour la première fois, l’histoire en visiteuse dans ce château qui n’a point d’histoire. En 1815, les Rothschild sont venus pauvres avec l’invasion ; l’invasion en 1870 les retrouve milliardaires et peut leur faire ses compliments.

Nous voici dans le salon des tapisseries qui ne contient d’autres tableaux que quelques panneaux de Desportes. Aux murs sont suspendues des tapisseries Watteau, des tapisseries tissées de soie, d’une jeunesse et d’une fraîcheur sans égales. C’est là devant ces Amours souriants, ces bergères lutinées par des Céladons, devant toutes ces évocations d’un monde frivole, toutes ces images de plaisir et de galanterie qu’eut lieu l’entrevue de Bismarck et de Jules Favre.

L’accueil du Chancelier de fer au rhéteur de paille fut terrible et les habitants du château, qui ont eu les échos de cette scène, en ont conservé un souvenir qui n’est pas près de s’effacer.

Après avoir refusé la veille de recevoir l’homme de la prétendue Défense nationale, Bismarck le fit attendre deux heures dans le vestibule, sous le Tiepolo.

Cette fois encore notre ennemi se montra tel que la Postérité le verra, profilant des défaillances de conscience de son adversaire, mais ne manquant pas pour lui-même aux devoirs stricts de la conscience, ne commettant, somme toute, aucun acte qui pût empêcher le salut de son âme. Les hommes du 4 Septembre s’étaient rendus coupables d’un crime de lèse Patrie en faisant une révolution devant l’étranger, en chassant la représentation nationale. Cet acte, ils pouvaient encore, sinon le réparer, du moins l’atténuer en consultant le pays, en lui demandant loyalement s’il voulait la paix ou la guerre. Bismarck leur en facilita les moyens et, certainement, montra à Jules Favre où était la voie droite, honnête, patriotique. Le malheureux vieillard refusa pour pouvoir conserver le pouvoir quelques jours encore.

Après avoir congédié d’un geste dédaigneux ce déclamateur qui, recourant, dans une entrevue comme celle-là, à une mimique de cour d’assises, faisait semblant de pleurer, le prince, dit-on, resta quelques instants pensif. Ce grand mâle, à coup sûr, n’était point de ces sensibilisés qui, pareils à ceux qui s’attendrissent sur la bonté des Rothschild, larmoient, comme certaines femmes s’oublient, par une sorte de relâchement des tissus. Le cœur qui battait dans cette rude poitrine n’en ressentait pas moins peut-être quelque virile pitié en songeant à tant d’hommes, enfantés dans la douleur par les mères, qui allaient expirer sur les champs de bataille, afin que quelques millions de plus entrassent dans ce logis de Juifs.

La chambre de Bismarck suivait immédiatement le salon des tapisseries où eut lieu l’entrevue, c’est la chambre d’honneur. C’était jadis la chambre du baron James, et de son temps, elle était tendue en vert à cause de la faiblesse de la vue du baron ; aujourd’hui, elle est en bleu. On y voit un portrait de femme exquis de Vinci et un pimpant tableau de Camille Roqueplan représentant un épisode des Confessions de Jean-Jacques Rousseau.

La chambre vénitienne n’a rien d’extraordinaire. « Au moment des chasses, on met une princesse là, une autre ailleurs, » dit-on philosophiquement au visiteur. La décoration du fumoir est d’Eugène Lamy, qui a retracé là, avec une certaine verve, quelques épisodes du carnaval de Venise.

Le hall seul vaut une visite à Ferrières. Le soir, avec les onze cents becs de gaz de son plafond lumineux éclairant les brillantes toilettes, les diamants, les fleurs, ce hall est véritablement féerique. C’est la pièce triomphale du lieu : tout y parle de triomphes. Le long de l’immense galerie circulaire qui règne tout autour, sont disposées de superbes tapisseries qui représentent des triomphes : Triomphe d’Alexandre, Triomphe de Neptune, Triomphe de la Paix… et même Triomphe du Christianisme à Tolbiac.

On y voit… Que ne voit-on pas dans ce prodigieux bazard ? Voici d’abord, à gauche de la cheminée, dont nous parlerons tout à l’heure, le portrait du baron James par Flandrin et de la baronne James, par Ingres. Sur les murs un Portrait d’homme de Rembrandt, la Comtesse della Rocca et don Luis de Haro de Vélasquez, une Diane chasseresse de Rubens, David et Goliath du Guide, la princesse Henriette d’Angleterre de Reynolds, Diogène cherchant un homme de Van Mol, le Message de Bordone.

Partout des cabinets italiens, des vitrines encombrées de petits chefs-d’œuvre, des ivoires, des faïences de della Robbia, le Joueur de musette de Bernard de Palissy, des émaux de Petitot, des boîtes de Blarenberghe, des Saxes, le miroir de Mme de Pompadour, des coffrets aux armes de France qu’on est tout étonné de rencontrer là.

La cheminée monumentale est décorée de médaillons italiens et surmontée d’un buste de Minerve. Sur une plaque de marbre brun on lit en lettres d’or, où chaque mot est bizarrement espacé par un point, cette inscription qui chante le bonheur de la possession, la joie d’avoir un somptueux foyer, quand tant de malheureux français sans gîte errent, le ventre creux, par les nuits d’hiver.

Doulce. est. la. vie. à. la. bien, suyvre.
Emmy. soyet. printens. soyet. hyvers.
Sous, blanche, neige, ou. rameaux, verts.
Quand, vrays. amys. nous. la. font, vivre.
Ains. leur, place, à. tous. est. icy.
Comme, aux. vieulx. aux. jeunes, aussy.
_____________________(1570).

L’album de maroquin, qu’on laisse traîner avec ostentation sur la table, éveille bien des pensées.

A la première page on lit : « Souvenir de la charmante journée du 16 décembre 1862 : Napoléon. »

Un peu plus bas : « Souvenir d’amitié pour la charmante hospitalité du baron et de la baronne James de Rothschild, 20 novembre 1866 : Mathilde. »

Charmes, charmés, charmeurs, tout est charmant et brusquement à la page suivante, apparaît un nom tracé en gros caractères : Wilhem, : 1 septembre 1840 Guillaume, avant de quitter Ferrières, a tenu à mettre sa signature, non pas à la suite de celle de Napoléon III, mais en tête de la page suivante. Bismarck et de Moltke ont signé après lui et le plus modeste officier, le dernier sous-lieutenant qui a passé là a voulu, à son tour, que son paraphe ironique se dessinât sur le livre inauguré par l’Empereur des Français.

A côté de ces noms de vainqueurs voici les noms des plus illustres représentants de la noblesse de France et le contraste est douloureux. Les Allemands, qui figurent dans ce registre, sont entrés là par la force ; ils ont occupé la maison en vertu du droit de la guerre et exigé qu’on les servît, non en invités respectueux, mais en victorieux, ils ont trinqué, non aux grâces de la baronne, mais à leur vaillant Empereur, leur seul maître après Dieu. Nos nobles, au contraire, sont venus là en sportulaires, courbant la tête et tout heureux d’être accueillis.

Que de noms qu’on voudrait pouvoir effacer ! Que de chutes que les passions expliquent seules ! Quelle tristesse de rencontrer là Berryer ! Le jeu ! « Prions Dieu, dit saint Paul, de ne nous envoyer que des tentations qui soient ordinaires. »

L’impression que laisse cette demeure est une impression de fatigue plus que d’admiration. C’est un fouillis, un capharnaüm, un prodigieux, un incroyable magasin de bric à brac. Tous ces objets, rapportés de tous les coins de la terre, jurent entre eux ; ces dépouilles opimes de l’univers ne s’harmonisent pas, ces manifestations de tant de civilisations différentes grincent de ce rapprochement[13].

L’amour du bibelot ou plutôt le sentiment juif de l’acquisivité, de la possessivité est poussé d’ailleurs jusqu’à la puérilité. Un petit pot de grès de Flandres, qui vaut six francs, sert de vis-à-vis à une assiette d’Oiron ou à une figurine en pâte tendre. Les bons Sémites de l’hôtel des ventes n’ont pu résister à la tentation d’abuser ceux même qu’ils nomment avec tant de vénération : « Les barons. » Plus d’un objet est moderne ; beaucoup de pièces d’orfèvrerie, notamment, me paraissent avoir reçu tardivement ce que M. Paul Eudel, dans son livre sur le Truquage, appelle « le baptême des poinçons français. »

Le parc, quelque vaste qu’il soit, n’a pas le noble aspect des avenues Louis quatorzièmes. A la place des Rothschild vous auriez commandé à nos sculpteurs qui luttent si péniblement au milieu de circonstances peu favorables pour leur art, tout un monde de statues, des marbres, des bronzes. Le duc d’Aumale a agi ainsi pour Chantilly, il a demandé un La Bruyère à Thomas, un Therme à Lanson, un groupe de Pluton et de Proserpine à Chapu. Il y a à peine, dans tout Ferrières, une demi-douzaine de statues qui ont à peu près la valeur de celles qui décorent l’entrée des établissements de bains[14].

A travers les allées, on distingue deux ou trois vieilles femmes courbées sur le sol qui ramassent l’herbe des sentiers. Quand le voyageur est de distinction, on en mande de supplémentaires du village. « C’est la bonne baronne qui a eu l’idée de ce travail pour venir en aide aux habitants de la contrée ! » Vous versez une larme, comme Jules Favre, et cette terre aride et desséchée paraît reconnaissante de cette marque de sympathie.

Le plus joli ce sont les serres et les volières. Les serres sont un enchantement, pleines de plantes épanouies en toute saison, d’ananas en grains, en fleurs, en fruits. Dans les volières immenses sont rassemblés des centaines d’oiseaux rares dont la couleur, variée à l’infini, semble refléter le ciel particulier de chaque pays.

Perdrix de Chine, faisans dorés au ventre rouge, faisans de Sœmmering, faisans de lady Laffitte, hoki, tragopan qui porte un capuchon d’écarlate, lophophore resplendissant au collier de barbe blanche, touca au vilain bec noir qui dévore les faisans comme le Juif dévore les chrétiens, flamant d’Egypte penché sur son bassin rempli de poissons, pies bleues de Chine, colombes poignardées des Philippines avec la tache de sang sur la poitrine, — tout cela s’agite dans un frémissement d’ailes, dans une pittoresque confusion de plumages multicolores, dans un concert de cris, tantôt stridents, tantôt plaintifs, et semble comme une vision d’un coin du paradis terrestre.

C’est la gaîté de Ferrières que ces oiseaux, car, au fond, ce château sans passé est lugubre. Cela ne rappelle point les grandes existences seigneuriales d’autrefois : Sully s’en allant gravement à la promenade procédé de ses hallebardiers, suivi de ses pages, entouré à droite et à gauche de gentilshommes l’épée nue ; Chambord où Maurice de Saxe était gardé par ses régiments fidèles ; la demeure de Wellington tapissée de la base au faite des drapeaux pris à Waterloo. La victoire, l’héroïsme, le génie n’ont pas mis là leur sceau rayonnant. « Demandez le cours de la Bourse et de la rente ! » crient les visiteurs en sortant.

Pour toute garde, les Rothschild n’ont là qu’une brigade de gendarmerie, que les républicains complaisants leur ont donnée par honneur, et qui a l’air de veiller sur des inculpés en surveillance. Chaque semaine le château envoie aux gendarmes deux lapins et un faisan mort.

— Voilà une belle arrestation à faire, disais-je au brigadier.

— Sans doute, mais il faudrait un mandat d’amener. Me l’apporterez-vous ?

— Qui sait…


La grande joie des Rothschild est de lire les journaux après quelque fête, quelque décès, quelque mariage. Ils se mirent dans ces descriptions, ils se passent les feuilles de main en main. Ils font imprimer les articles à part pour leur consommation personnelle et, en ceci, ils ont raison : ils préparent pour l’histoire des mœurs des documents dont les grands écrivains de l’avenir tiendront plus de compte que de beaucoup de discours prononcés dans les Chambres. Le recueil intitulé : le Baron James de Rothschild, qui a été tiré chez Claye mais n’a pas été mis en librairie, est d’un réel intérêt.

Tous les journaux, sauf l’Univers, l’Union, la Gazette de France et probablement deux ou trois autres que j’oublie[15], font là l’office des pleureuses salariées aux enterrements d’autrefois ; ils s’arrachent les cheveux, ils se déchirent la figure avec leurs ongles, ils se roulent par terre de désespoir. Ce mort aurait inventé le fer comme Tubalcaïn, ou la charrue comme Triptolème, il aurait découvert la panacée de tous les maux que ces feuilles publiques n’en parleraient pas sur un mode plus admiratif. Les formules employées pour louer ce Juif allemand, qui s’est enrichi à nos dépens, reculent les frontières de l’hyperbole.

Il y a là des lettres véritablement stupéfiantes, « Vous me pardonnerez de venir ainsi vous troubler au milieu de vos peines… Mon excuse est dans le désir que j’éprouve… » Voilà de quelle encre écrit à un manieur d’argent le prince de Joinville, un homme qui a dans les veines quelques gouttes du sang de Louis XIV ! Les lettres du comte de Paris et du duc d’Aumale, un peu moins plates peut-être, sont du même ton.

Depuis 1868 la servilité n’a fait que croître. Les descriptions de mariages sont inouïes. Rien ne manque à ces épithalames ; on assiste à la toilette de la mariée, on monte dans le magnifique attelage « choisi et appareillé par Claude Lachaume, le piqueur du baron Alphonse ; » on écoute Félix Lévy, « ténor admirable, » chanter l’Imlach, du non moins admirable Emile Jonas ; puis les chœurs attaquent l’Alleluia d’Erlanger, qui n’est certes pas l’Alléluia des actionnaires du banquier de ce nom ; enfin, on passe à la sacristie. « Il est cinq heures et demie, écrit Meyer, le Dangeau de ces solennités, cinq heures et demie aux horloges pneumatiques et « toujours » à l’horloge du sentiment… »

Naturellement aucun nom n’est omis. Voici le prince Murat, le duc de Broglie, Buffet, le comte de Turenne, le vicomte d’Harcourt, le duc et la duchesse de la Rochefoucauld-Bisaccia, le duc de La Trémoille, le duc de Montmorency, le comte d’Andigné, la duchesse de Fitz-James, le prince de Ligne, le prince de Léon, le comte de Mailly-Nesles, la comtesse de Clermont-Tonnerre, la duchesse de Maillé, tout l’armorial de France, en un mot, accouru pour adorer le Veau d’or et pour proclamer à la face de l’Europe que la richesse est la seule royauté qui existe encore.

Quand il y a fête, il va sans dire que toute la police est sur pied et qu’elle se permet, sans aucun droit, de défendre aux passants la circulation sur la voie publique. Si une rue de Paris était interdite pour une procession, vous verriez immédiatement nos puritains de la gauche monter à la tribune ; humbles et rampants, selon leur habitude, devant les potentats juifs, ils se gardent bien d’intervenir. Les journaux avancés agissent de même ; il n’y a que Rochefort, qui, décidément, ne respecte même pas les têtes les plus hautes, qui se soit permis de blâmer cette prétention de gêner les autres quand on s’amuse et qui se soit égayé de l’idée, d’ailleurs singulière, « de barrer une rue le jour d’un mariage. »

Il est rare qu’on ne rencontre pas, à l’issue de ces cérémonies, le Monsieur attendri qui a déjà les yeux humides.

— Vous savez l’origine de la fortune des Rothschild, n’est-ce pas ?

— Oui, j’ai entendu vaguement parler.

— Au moment de l’arrivée des Français, l’électeur de Hesse confia cinq millions à Anselme Meyer de Rothschild.

— Pas possible ?

— Oui, monsieur, cinq millions.

— Et alors ?

— Alors, monsieur, Anselme Meyer les a rendus. C’est comme je vous le dis, il les a rendus !

Votre interlocuteur n’y tient plus ; il fond en larmes au souvenir de ce beau trait.

C’est un produit de l’époque décadente où nous sommes ; c’est un sensibilisé, un admiromane, pour employer une expression de Mercier. Il laisserait égorger tous les Français sans protester, mais l’histoire de cette fortune l’émeut. Il y a beaucoup de journalistes qui ont ainsi, dès qu’il est question des gros Juifs, des admirations de portière parlant du locataire du premier qui a des chemises de soie ; ils vénèrent sous eux. Quand il s’agit des Rothschild, Ignotus, si indépendant d’ordinaire, est de cette école.

Demander vingt-cinq mille francs à des millionnaires pour leur faire la forte réclame, n’est ni beau, ni bien, et néanmoins rentre dans l’ordre des choses explicables. Mais, quand on n’a même pas bu de Romanée, se pâmer devant des gens uniquement parce qu’ils ont trouvé moyen de prendre trois milliards dans nos poches, est un phénomène qui a toujours dépassé les bornes de mon intelligence.

Le sensibilisé ne manque pas généralement de s’extasier sur l’inépuisable charité des Rothschild. Oh ! La bonne baronne ! La mère des pauvres ! Comme dit Wolff.

Or, la charité des Rothschild est absolument un mythe. Un journal dont nous avons déjà parlé, l’Anti-Sémitique, a calculé qu’en proportion de leur fortune les Rothschild n’étaient guère plus généreux que l’homme qui donne deux sous à un pauvre chaque matin. Voilà ce qui, amplifié par la presse juive, est devenu cette philanthropie sans frein qui émeut le sensibilisé.

La vérité, encore une fois, c’est que les Rothschild sont profondément ladres. On ne peut dire d’eux ce qu’on a dit des Médicis : « Ils dépensent en rois ce qu’ils ont gagné en marchands. » Sans doute ils ont fondé des hôpitaux pour leurs coreligionnaires ; ils établissent tous ceux qui ont quelque chance de réussir ; ils aident ceux qui sont dans le besoin ; mais ceci rentre dans leurs fonctions de nazi, de princes des Juifs ; ils ont à leur disposition, en échange, la police la plus admirable qui soit dans l’univers ; ils remplissent les obligations d’une charge dont ils recueillent les bénéfices[16].

Ce qui est vrai des Rothschild l’est de tous les banquiers juifs, qui n’ont jamais déboursé un centime que pour le galerie. Le plus étonnant, c’est que les Juifs ont trouvé moyen de se créer une réputation de bienfaisance en nous amenant à secourir nous-mêmes les misères des leurs. Il y a là un trait de race véritablement exquis et qui désarme.

Les catastrophes qui se sont produites dans le monde depuis quelques années ont presque toutes frappé sur les Juifs. Sezggedin était entièrement occupé par les Israélites ; l’incendie du théâtre de Vienne a fait d’innombrables victimes parmi eux. Chio est plein de Juifs. Le comité affilié de l’Alliance israélite universelle, composé de MM. Issachar-Jeuda, président, Isaac Ben-Ghiat, Gabriel Palombo, est de ceux qui se signalent par leur zèle.

La pensée de venir en aide aux victimes était louable, mais celle de faire sortir l’argent nécessaire à cette bonne œuvre de la bourse des chrétiens était fine[17].

C’est Arthur Meyer qu’on charge d’organiser ces mystifications. Il guette les sinistres comme les marins de l’Ile de Batz guettaient autrefois les naufrages, et, dès qu’un malheur apparaît, il le confisque à son profit.

Les fêtes de charité sont une des manifestations de la vie mondaine que, plus tard, les historiens de mœurs étudieront avec le plus d’utilité. Elles ont joué un rôle important et se sont multipliées depuis quelques années, car elles ont pour les Juifs un double avantage. Elles attestent dans toutes les contrées de l’univers la puissance d’Israël, qui met Paris sens dessus dessous dès qu’un Sémite a besoin d’assistance ; elles permettent aux Juifs moins lancés que les Rothschild de se mêler aux gens du monde.

L’aristocratie, en effet, accourt là la bouche enfarinée, comme partout où elle entend un petit raclement de violon.

La fête de Chio est restée la plus célèbre. En face des ruines noires des Tuileries on avait organisé une kermesse, une Foire aux plaisirs, comme on disait, qui dura huit jours. Ce fut là que Camondo donna une leçon méritée au faubourg. On suspendit naturellement la fête le samedi. — « Pourquoi donc cet arrêt ? demanda un jeune vicomte. On ne s’amuse donc plus ? » — « Il y a temps pour tout ; nous autres, nous avons coutume d’observer notre religion ; aujourd’hui samedi, nous allons prier ; nous serons tout à la joie demain, puisque le dimanche n’a aucune signification pour nous et que, je crois, il n’en a guère davantage pour vous… »

Le dimanche, la terrasse des Tuileries offrait un aspect curieux. Des jeux de petits chevaux, des boutiques, des tréteaux forains avaient été installés partout. Les plaisanteries, les vives ripostes, les interpellations joyeuses se croisaient dans l’air avec les boniments et les appels égrillards des visiteurs.

On retrouvait là au complet cette vieille garde de l’élégance qui se compose toujours des mêmes personnes, toujours citées avec les mêmes épithètes dans les mêmes gazettes.

Qui ne se rappelle les vieilles de Lysistrata, ces amantes de la mort qui ressemblent « à des cercueils peints » et qui s’en vont disant : « C’est donc pour rien que nous nous sommes fardées de céruse, parées de belles robes, et que nous sommes là, folâtrant et chantonnant entre nos dents, pour attirer quelque passant ? » Aristophane revient à la mémoire, devant ces beautés surannées qui furent à l’apogée au moment du Congrès de Paris, qu’on trouvait déjà décrépites à la fin de l’Empire et qui s’obstinent à promener éternellement une figure qui ne change plus, qui semble avoir déjà l’immobilité des choses mortuaires.

C’est d’ailleurs une des singularités de notre époque que ce bataillon immuable. Autrefois quand, selon l’expression du poète, « la course de la vie était à moitié faite, » on se décidait, non pas sans un gros soupir peut-être, à ce qu’on appelait la retraite ; on quittait dignement cette scène du monde sur laquelle on a fait, jadis, aux heures radieuses de la jeunesse, un personnage parfois brillant. Aujourd’hui, on ne peut pas se résoudre à disparaître, et certaines figures de mondaines, aperçues tout à coup sous une lumière trop crue, produisent l’effet de ces squelettes que le Moyen Age se plaisait à représenter habillés de soie, couverts de bijoux, chargés d’ornements, grimaçant quelque horrible sourire avec des yeux vides, des lèvres parcheminées, des bouches sans dents.

A travers cette Priapée qu’éclairaient mille clartés se mêlant aux derniers feux d’un soleil de juin qui se couchait sur l’Arc de Triomphe, allait et venait, au milieu des propos grivois, Judic, acclamée par tous les Juifs et guidant un petit âne que caressaient toutes les grandes dames et qui semblait, comme l’âne d’or d’Apulée, sorti tout à coup d’une fable milésienne. Sur un théâtre improvisé, le comte de Fitz-James jouait le Vitrier, et ce descendant d’un compagnon des Stuarts proscrits histrionnant dans ce jardin où étaient tombés sanglants au 10 Août les défenseurs des Bourbons, ajoutait par sa présence je ne sais quel piquant à cette fête singulière.

Aux grilles, la foule du Paris des dimanches regardait, criait, apostrophait, hurlait, vociférait, sifflait. A la fin, elle pressa doucement sur la faible haie des gardiens de la paix qui essayait de la retenir et elle entra. Alors ce fut une cohue affreuse, où gens du monde et gens du peuple, gommeux en habit noir et ouvriers en blouse, grandes mondaines et plébéiennes roulèrent pêle-mêle le long des Tuileries en rythmant leur descente sur un chant d’Evohé. — C’est la protestation contre les décrets ! dit un Juif en voyant monter dans sa voiture une duchesse qui, quelques mois auparavant, levait les yeux au ciel et criait à l’abomination de la désolation[18].

Comment sont distribués les fonds ainsi recueillis ? C’est une question qu’il serait peut-être imprudent de poser. Il en est de ces comités comme de certains comités électoraux.

Le comité Dupont
Composé de Dupont,
Présidé par Dupont,
A désigné Dupont.

Jamais aucun compte bien net n’a été fourni. Les comptes de la loterie de Murcie n’avaient pas encore été liquidés au mois de mai 1833. On essaya d’interroger, à ce sujet, un M. Bidaut, conseiller de préfecture de la Seine, qui figurait dans le comité, mais on n’en put jamais obtenir une réponse claire. Des faits étranges s’étaient passés à cette occasion, puisque, dès le 15 mars 1880, des négociants fort honorables, qui faisaient partie du comité, avaient rédigé le procès-verbal suivant que le Clairon a reproduit dans son numéro du 30 mai 1883, sans que personne ait protesté.

Séance du 15 mars 1880

« Les membres du Comité du commerce et de l’industrie chargés de l’organisation de la loterie franco-espagnole, voulant poursuivre jusqu’au bout la mission qu’ils ont acceptée, mais désireux de ne pas endosser la responsabilité d’actes très regrettables, blâment énergiquement leur président, M. Jules Jaluzot, et passent à l’ordre du jour. » (Adopté à l’unanimité des votants. — 12 voix, 2 membres s’étant abstenus.)

Quels étaient ces actes très regrettables ? Malgré ce blâme formel, M. Jaluzot n’en resta pas moins président du comité. J’ai vu depuis, dans des feuilles publiques, que des alcades espagnols étaient poursuivis pour s’être indûment approprié des fonds, ce qui tendrait à indiquer que certains fonds, au moins, avaient réussi à franchir la frontière. Je n’ai pas mission de tirer au clair cette affaire qui me paraît fort compliquée. Le fait constant, je le répète, c’est qu’en dépit de la présence d’un fonctionnaire du gouvernement, les comptes d’une loterie, autorisée en 1879, n’étaient pas encore réglés en 1883.

Les comptes sommaires du comité d’Ischia on été publiés. On y a vu que les sommes distribuées ont été de 165.523 francs 80 centimes, plus 4.400 francs mis en réserve comme garantie d’une affaire litigieuse. Ces secours se répartissent ainsi :

150.200 fr. »» aux victimes d’Ischia.
9.406 fr 75 aux pauvres de Paris.
3.979 fr 85 aux orphelins de Groix.
1.937 fr 20 aux orphelins de Dieppe.

J’espère que sur les 9,406 francs 75 centimes attribués aux pauvres de Paris, on aura donné quelques sous à la famille de ce malheureux ouvrier qu’un Italien criblait de coups de couteau dans une rue de Paris, à l’heure où la presse française fêtait, dans le jardin des Tuileries, l’amitié que nous porte l’Italie[19]. Les frais ont été de 244.482 francs, ce qui me parait énorme puisque tous les journaux étaient d’accord pour vanter l’abnégation sublime, le désintéressement admirable de tous ceux qui concouraient à cette entreprise humanitaire.

Au moment où les organisateurs de cette souscription montaient une fois de plus au Capitole un de nos confrères, Marius Vachon visitait précisément Ischia. Modeste et simple de sa nature, Vachon n’osa pas révéler de suite sa qualité de journaliste. « Je connais les méridionaux, pensait-il, s’ils savent que j’appartiens à cette presse française, qui a tant fait pour eux, ils vont vouloir à toute force me couvrir de fleurs et me porter en triomphe, dissimulons ! »

Vachon, toujours dissimulant, n’en demanda pas moins à son guide ou était cette maison de Casamicciola qui portait en lettres d’or cette inscription : Maison de la Presse parisienne.

— Elle est sans doute dans la rue qui a reçu le même nom ?

— Quelle maison ? quelle rue ? Je ne comprends pas, fit le guide.

Tout finit par s’éclaircir et Vachon s’expliqua pourquoi la malheureuse ville était encore en ruines.

La partie centrale de la ville, écrit-il, est un monceau de décombres, de plâtras, de huit et dix mètres de hauteur, où il est imprudent de s’aventurer, tant les murs sont croulants. Tout est d’une désolation navrante. Dans la partie de Casamicciola qui longe la mer, des baraques basses et longues, d’un aspect désagréable, ont été construites et forment une cité nouvelle, qui ressemble aux cités de chiffonniers à Paris. Les habitants eux-mêmes n’ont guère l’air moins misérables que les victimes de M. Poubelle ; ils sont là dans chaque baraque huit ou dix personnes, qui vivent on ne sait trop de quoi, au milieu d’un mobilier sommaire, et couchent pour la plupart sur la terre nue[20].

Au mois de mars 1884 pas un sou n’avait été distribué de cet argent à propos duquel on avait fait tant de bruit. Le comité, qui avait accepté ce chiffre de 244.482 francs de dépenses d’organisation, n’avait pas eu l’idée, au lieu de faire tant de phrases, de remettre simplement à un homme sérieux un billet de mille francs pour payer son voyage et de le charger d’aller loyalement, honnêtement, distribuer le montant de la souscription aux infortunés qui étaient sans asile.

Le plus fort dans ce genre fut la fête donnée, au mois de septembre 1884, dans le jardin des Tuileries au profit des cholériques. Le 17 septembre, la Lanterne publiait une note pleine de promesses.

Comme les frais sont nuls, disait-elle, vu que tout le monde à apporté un concours gratuit et qu’il ne faudra défalquer de la recette brute que quelques mètres cubes de gaz et quelques lampions, la presque totalité de la somme sera, espérons-nous, versée entre les mains des malheureux.

Le lendemain il fallut rabattre un peu de cette joie anticipée. On s’aperçut qu’une partie des billets présentés à l’entrée étaient faux. Bientôt la navrante vérité se fit jour. Les commissaires avaient commis les malversations les plus incroyables et majoré les factures d’une façon véritablement excessive. A la note de la Cie du gaz qui n’était que de 2.000 francs, ils avaient ajouté 10.000 francs soit disant nécessaires pour introduire le gaz dans les ballons ! Nous imiterons sur le reste la discrétion de l’Intransigeant qui écrivait à la date du 3 octobre :

Nous n’insisterons pas sur les 6.635 francs de fête parisienne ; ce serait peut-être entrer dans la vie privée des organisateurs ; mais, puisqu’ils éprouvaient le besoin de terminer gaiement une nuit si mal commencée, ils auraient dû se restreindre un peu.

Quant à l’organisation générale, elle comprend sans doute le fastueux souper des commissaires à l’hôtel Continental et leur luncheon dans le pavillon de l’Orangerie… toujours au bénéfice des victimes du choléra !

C’est décidément une bien jolie bouillabaisse que la comptabilité du comité ! Comme le disait hier l’un de nos spirituels confrères, « les organisateurs ont fait la fête sous le patronage de deux ministres ; il est nécessaire qu’elle se termine sous le patronage du parquet. »

Bien entendu les deux ministres, qui avaient probablement leur part du gâteau, défendirent au parquet de tirer l’affaire au clair.

Le juge d’instruction se contenta de chantonner à ceux qui se plaignaient trop haut les jolis couplets du Chœur des commissaires improvisés par M. Gaston Jollivet pour la circonstance :

Nous sommes les bons commissaires
Des fêtes de la Charité,
Amis sagaces et sincères
Du pauvre et du déshérité.
Mais nous-mêmes, dans notre bourse
Logeons le diable détesté.
Nous sommes perdus sans ressource,
Sauvons-nous par la Charité !

La Charité bien ordonnée
Ne commence pas par autrui.
A nous, le fiacre à la journée,
Les festins dès que l’aube a lui !
Que le tailleur enfin nous livre
Nos habits sur timbre acquitté !
Tous les corps d’état doivent vivre
Sur les fêtes de Charité !

Le Temps, qui est un journal grave et qui ne chante pas le petit couplet, exprima les mêmes sentiments, mais en simple prose.

L’examen des comptes de la fête des Tuileries est terminé. M. Gauthier de Noyelles, contrôleur général à la préfecture de police, a remis hier un rapport détaillé à M. Camescasse, préfet de police.

Ce document constate que la gestion du comité a laissé beaucoup à désirer, mais que les gaspillages auxquels certains membres du comité se sont livrés ne constituent point, en l’espèce, un délit caractérisé.

Il n’y aura donc pas poursuite et l’enquête a été déclarée close[21].

MM. Jeannin et Bonnet, deux des organisateurs qui, s’ils furent négligents, ne paraissent pas avoir été coupables, réclamèrent en vain la publication des comptes, afin que la part de chacun fût bien déterminée. M. Gauthier de Noyelles s’y refusa obstinément.

Le parquet nouveau modèle partageant absolument les théories de M. Camescasse et de M. Gauthier de Noyelles sur l’exercice de la bienfaisance, le citoyen Daumas, conseiller municipal de Marseille, put passer tranquillement la frontière avec l7.250 francs que lui avaient rapportés les cholériques[22]. Ce n’est pas cependant les instruments qui manquent au conseil municipal de Marseille pour faire les additions. Le compte administratif du maire Brochier portait, pour 1883, cent vingt-cinq mille francs d’enveloppes et soixante-quinze mille francs de plumes, porte-plumes et crayons !

Il est bon de noter que ce vol aux pauvres apparaît pour la première fois dans la société française. Il n’est pas inutile de comparer cette charité laïque, républicaine et franc-maçonne aux merveilles qu’accomplissent nos religieux et nos religieuses qui, de rien, trouvent moyen de faire quelque chose, arrivent avec des ressources dérisoires, qui seraient dévorées en quelques soupers de philanthropes, à recueillir des vieillards pendant de longs mois, à élever des enfants, à soigner des infirmes. Cette philanthropie républicaine, qui est un gaspillage quand elle n’est pas une escroquerie, est un des signes d’une époque où les dépenses les plus excessives ne portent aucun profit. Ce n’est pas seulement avec de l’argent, en effet, qu’on soulage les misères, qu’on exécute les grands travaux, qu’on réorganise une armée ; sans un peu d’honnêteté et de dévouement tout est stérile et malheureusement, nos républicains ne comprennent même plus le sens de ces mots-là.


Dès que les Juifs touchent à quelque chose, d’ailleurs, et ils ont la rage de toucher à tout, la question d’argent salit les intentions les plus droites. Vous vous rappelez les com- mencements de la Société de l’Union centrale des arts appliqués à l’industrie ? On voyait rassemblés dans le comité des noms estimés de tous. Grands seigneurs, grands fabricants, ouvriers d’élite s’étaient unis pour une œuvre d’intérêt général[23].

Les Juifs n’ont pas eu de repos qu’ils ne se soient encore introduits là dedans. Aujourd’hui, ils y sont les maîtres. Ch. Ephrussi, Gaston Dreyfus, Cohen sont en tête du comité. C’est le Prussien Wolff qui, en sa qualité de membre du jury, juge nos industriels français ! Naturellement, dès que les Juifs sont entrés, l’association est devenue une banque et l’on a cherché l’affaire.

Jadis, sous l’Empire, quand il s’agissait d’autoriser une modeste loterie de cent mille francs, les républicains montaient à la tribune et ils protestaient contre ceux qui habituaient les travailleurs à se repaître de l’espérance d’un gain illusoire et qui les dégoûtaient ainsi d’un labeur honnête. Maintenant, ils ont changé tout cela et ils ont autorisé cette loterie de quatorze millions, qui a été un si long scandale.

Les Goncourt nous ont montré les teneurs de tripots du Palais-Royal se promenant dans le jardin « suivis de la troupe embrigadée des recruteurs, des racoleurs, des embaucheurs, des distributeurs de cartes, entourés de la garde prétorienne des bouledogues souteneurs gagés par les banquiers. »

Un ancien ministre des Beaux-arts nous a donné un spectacle analogue et nous l’avons vu remplissant Paris et les départements des boniments d’une réclame éhontée, multipliant ses appels cyniques, tentant le pauvre ouvrier par ce billet mis partout à la portée de sa main et le forçant à prélever sur sa paie le malheureux franc qui eût suffi à donner du pain aux siens pendant un jour[24].

De cet or, si péniblement arraché à un peuple qui meurt de faim, le Juif veut la plus grosse part. On n’avait pas encore recueilli un sou qu’on parlait déjà de donner six millions au Juif Spitzer pour lui acheter sa collection.

C’est un marchand, direz-vous, que ce Spitzer ? Gardez-vous de le croire. Comme tous les Juifs, Spitzer est un bienfaiteur de l’humanité. Le Bourgeois-Gentilhomme, qui se connaissait en étoffes, achetait quelques coupons qu’il revendait à ses amis moyennant un léger bénéfice, mais par pure obligeance. Spitzer a acheté quelques vieux meubles et quelques pots cassés et il nous les offre moyennant six millions, parce qu’il aime la France.

Ne vous permettez pas de plaisanter ! Ecoutez plutôt, comme le Juif Eugène Müntz, bibliothécaire à l’École des Beaux-arts, parle de son compère Spitzer dans une lettre adressée à l’Art : « Si M. Proust était vraiment parvenu à conquérir pour six millions pareille collection, on ne saurait assez lui voter de remerciements, quelle que soit sa destination, tout comme on ne pourrait trop combler d’honneurs le vendeur qui aurait poussé le désintéressement jusqu’à des limites aussi invraisemblables. »

Je regrette seulement que M. Müntz n’ait pas mieux précisé ce qu’il entendait par « combler quelqu’un d’honneurs. » Voudrait-il qu’on conduisit Spitzer, monté sur un cheval blanc comme un nouveau Mardochée, à travers les rues de la capitale ? N’est-ce point assez pour une générosité « qui atteint des limites invraisemblables ? » Souhaite-t-il que l’on remette à ce Remonencq magnifique, à ce père Lemans héroïque, l’épée de connétable devant les troupes assemblées, dans le frémissement solennel des drapeaux lentement inclinés ?

Je ne rappellerai pas les actes inqualifiables qui firent de cette loterie une opération sans exemple. Nouvelles mensongères, chiffres frauduleux, manœuvres dolosives de toute sorte, il n’en aurait pas fallu le quart autrefois pour mettre toute la maréchaussée aux trousses des singuliers industriels qui donnaient ce spectacle[25].

Après avoir fait annoncer officiellement le 15 juin que l’émission des billets est terminée, Proust est obligé de reconnaître qu’il a menti et qu’une partie des billets est demeurée entre ses mains. La loterie est tirée néanmoins sans que les billets aient été placés ; le gros lot, ainsi que quelques lots d’une importance secondaire, reste au fond du sac et les administrateurs avouent qu’ils ont gagné 770.000 francs. Ce n’est que sur les réclamations unanimes de la presse et de l’opinion qu’on se décide à procéder à un nouveau tirage.

Ce qui est certain, ce qui est hors de conteste, c’est qu’une loterie autorisée à quatorze millions, sur lesquels douze millions de billets ont été placés, a produit pour résultat définitif et total cinq millions huit cent mille francs. C’est M. Proust lui-même qui a été forcé d’avouer ce chiffre, le 5 février 1885, devant les protestations du comité.

Où sont passés les autres millions ? En frais généraux ? En admettant, pour un instant, cette hypothèse insensée, il y a un moyen de répondre aux accusations formelles que chacun porte contre le promoteur et l’organisateur de cette loterie, contre celui qui en a assumé la direction exclusive, c’est de publier les comptes.

Comment se fait-il que les membres du comité, dont quelques-uns, comme M. Bouilhet, occupent une certaine situation dans le monde, dont le nom figure sur les billets de loterie, n’aient pas compris qu’ils se compromettaient eux-mêmes en ne réclamant pas immédiatement la publication de ces comptes ?

Ceci n’empêche point les membres de la gauche de déclarer que la loterie des Arts décoratifs est une œuvre nationale. Spitzer aussi et Proust sont des figures nationales et Hecht donc, l’intermédiaire dans l’achat des Courbet !

Elle est instructive, l’histoire des Courbet ! On avait le désir d’avoir un ou deux Courbet au Louvre. L’idée n’était pas plus mauvaise qu’une autre. En tous cas la marche était facile à suivre, il fallait demander loyalement un crédit à la Chambre, si l’on manquait d’argent, et à la première vente importante où figurerait un Courbet, envoyer un mandataire du Louvre. Chacun sait que les collectionneurs français poussent rarement contre la direction des Musées et que les amateurs étrangers eux-mêmes s’abstiennent.

Proust préféra agir obliquement, sans prendre l’avis de la Chambre. Il chargea un Juif de ses amis, un nommé Henri Hecht, dont le frère porte le prénom idyllique, et printanier de Myrtil, d’acheter trois Courbet. Si l’économie l’eût guidé, le mal n’eût pas été grand, par malheur les chiffres prouvent que, si c’est à ce mobile qu’il a obéi, il a été bien déçu dans ses calculs. Comment Hecht fît-il son compte ? Je ne sais ; ce qui est certain, c’est qu’il paya les tableaux destinés à l’Etat un prix absolument invraisemblable :

La Ceinture de cuir 26.000 francs.
L’Homme blessé 11.000
La Sieste pendant la saison des foins. 29.100
Le Combat de cerfs. 41.900
L’Hallali du cerf. 33.000

Or, à part la Remise des chevreuils, qui est le chef-d’œuvre du maître, et qui atteignit 35.000 francs à la vente le Lepel Cointet, les tableaux de Courbet n’ont jamais été estimés aussi haut. Le Retour de la Conférence, la toile fameuse, a été payée à la vente de 1881, 15.000 francs, la Belle Hollandaise, 8.000 francs, les Amants à la campagne, 5.700. A la vente de 1832, la Baigneuse, une toile fort connue encore, a atteint péniblement 14.000 francs, le Mendiant, 9.000 francs, les Lutteurs, 5.800 francs. Les autres toiles ont oscillé entre 3.000 et 4.000 francs.

A la vente Monteaux, la Vague a été payée 1.800 francs.

A la vente Dussol, qui s’est faite le 17 mars 1884, dans d’excellentes circonstances, tous les journaux l’ont constaté, et qui contenait quelques Courbet intéressants, voici les prix obtenus :

Isaure en Bacchante. 3.900 francs.
Jeune Femme 1.950
Vue d’Ornans 3.000
Les Saules 4.500
Marine 2.100
Remise aux chevreuils (effet de neige)   3.800

Ajoutons que le magnifique Courbet, que tout le monde admirait chez Girardin, a été vendu 4.400 francs. Au mois de février 1885, Henri Rochefort, connaisseur émérite en tableaux, payait 4.510 francs une des toiles les plus remarquables du maître : Les Chasseurs dans la neige.

Avant d’acheter dans des conditions aussi déplorables, qui étaient véritablement le n’Hecht plus ultra, pourquoi ne pas avoir demandé l’avis préalable de la Chambre ? Pourquoi tout ce qui se conclut par l’intermédiaire des Juifs tourne-t-il toujours au détriment du Trésor ? Si l’on eût pris la peine de réfléchir, on n’eût pas acheté ce Combat de Cerfs qui, peint au bitume, ne présente plus au regard qu’une informe tache noire ainsi qu’on peut s’en assurer au Louvre.

On annonça un moment que la commission de la Chambre, nommée pour approuver cette vente, ne ratifierait pas un achat aussi scandaleux. Il n’en fut rien ; la commission approuva tout ce qu’on voulut.

Depuis que les collectionneurs un peu avisés, loin de songer à rien acheter, se débarrassent sans bruit de leurs objets d’art, la Juiverie parait s’être rabattue sur le Louvre.

C’est ainsi que nous voyons J. Reinach s’entremettre pour faire acheter à notre Musée pour le prix de cent mille francs trois prétendus Frans-Hals qui valent bien mille écus. Seul, le portrait du seigneur de Berensteyn a pu être de Frans-Hals, mais il y a bien longtemps de cela. L’œuvre originale a complètement disparu ; elle a été absolument refaite par un barbouilleur. Le Musée de Berlin, auquel on avait proposé cette acquisition, envoya à Harlem un représentant qui, à la vue de ces tableaux, fut pris d’un fou rire et court encore. Dans ces petites villes paisibles où l’on s’amuse de peu, les Frans-Hals du Béguinage, qu’on offrait à tout le monde et dont personne ne voulait, étaient devenus le thème d’inépuisables plaisanteries. On en faisait des gorges chaudes sur la place avant d’aller se coucher[26].

Plus tard nous avons eu l’histoire des six tableaux incomparables, parmi lesquels un Botticelli unique, qu’on offrait généreusement au Louvre. Un Juif possédait ces œuvre » sans prix ; il allait les vendre ! Quel malheur ! C’était le moment où Alphonse de Rothschild posait sa candidature à l’Académie des Beaux-Arts. Quelle occasion pour lui de s’affirmer comme un Mécènes ! Il donne quelques billets de mille francs ; d’autres l’imitent ; on réunit ainsi ou l’on prétend réunir cent cinquante mille francs ; on imprime pour un million de réclames sur le cadeau princier, le cadeau royal ; la splendide aumône faite à la France. Turquel pleure sur la bonté du baron, toujours en tête de ces manifestations…

Bref on apporte les toiles au Louvre et on pense, pour la première fois, à demander l’avis des conservateurs que jusqu’ici on n’avait pas jugé à propos de consulter. Ils poussent des cris d’horreur. La Vierge au puits, de Botticelli est absolument apocryphe ; le Crivelli et le Van der Goës ont été peints par un mauvais élève de Trouillebert. Ces prétendues merveilles sont indignes de figurer dans une galerie publique. Avouez que, si le baron Alphonse a sérieusement cru au Botticelli, c’est une piètre recrue pour l’Académie.

Depuis Turquet et Proust, rien de ce qui touche au Louvre ne se fait nettement, directement. En Alsace, un paysan ne peut vendre sa vache sans recourir à l’intermédiaire d’un Juif. Avec un budget de plus de trois milliards, l’Etat ne peut plus acheter simplement une œuvre de maître après l’avis des hommes compétents ; il faut toujours qu’un Juif intervienne là-dedans pour truquer, troquer, tromper.

Quand les Juifs auront réalisé leur rêve d’imposer comme directeur du Louvre un des leurs dont chacun prononce le nom, et qui serait déjà installé si Proust fût resté ministre des Beaux-arts, ils déménageront le Musée en deux ans et substitueront des copies aux originaux sans que vous vous en aperceviez. Vous n’y verrez que du feu et toute la presse, les journaux catholiques en tête, déclareront que ce directeur est le plus grand des directeurs passés, présents et futurs.

Pour les Juifs, ces grosses machines comme la loterie des Arts Décoratifs sont d’abord une affaire, une brillante affaire puisque, d’après M. Haëntjens, le billet qu’on vend un franc vaut trois sous.

La loterie est encore un moyen de propagande.

On connaît l’aventure de ce candidat qui avait trouvé ingénieux de placarder des affiches derrière le cabriolet de son concurrent, qui lui servait ainsi d’infatigable commis-voyageur électoral. C’est un peu ce qui est arrivé aux honnêtes gens et aux chrétiens qui ont fondé la Société des Arts Décoratifs. Grâce à la complicité du gouvernement, qui a permis que tous les trafics se mêlent à une œuvre qu’il appelait patriotique, la loterie est devenue une espèce de tontine ; au mépris de la loi qui est formelle, on divise les lots par fragments imperceptibles[27], on promet des parts. C’est ainsi qu’on a pu lire dans tous les journaux l’annonce suivante :

PRIME EXTRAORDINAIRE :

Réaliser un BÉNÉFICE possible de 300.000 FR.

et avoir en outre l’avantage de connaître en détail
LA PROFONDE PERVERSITÉ SES PRÊTRES
________

LE 15 JANVIER aura lieu le 1er TIRAGE de la LOTERIE DES ARTS DÉCORATIFS.

Ce tirage comporte un lot de 100.000 francs, un lot de 25.000 francs et soixante autres lots, chaque lot en argent comptant. Tout billet, qui gagnera au premier tirage, participera en outre au tirage définitif, lequel comporte un lot de 500.000 francs, soit UN DEMI MILLION, un lot de 200.000 fr., trois lots de 100.000 fr. chacun, Quatre lots de 50.000 fr. chacun, et cinq cent autres lots de 25.000 fr à 500 fr. Par conséquent un même billet peut gagner 600,000 francs.

Voici la combinaison (sans précédente) offerte par la Librairie Anti-cléricale

Toute personne qui achètera directement ces jours-ci à ladite librairie un exemplaire du volume LES LIVRES SECRETS DES CONFESSEURS publié par M. LEO TAXIL, participera pour moitié aux chances de gain de deux billets de la Loterie des Arts Décoratifs. C’est-à-dire que tout acheteur du volume en question recevra en prime gratuite le double de deux billets de cette loterie. Dans le cas où l’un des numéros attribués en prime et nominativement à l’acheteur sortira au tirage, la valeur du lot gagné sera partagée par moitié entre l’acheteur et la Librairie ; et, de même, si les deux billets sortent L’acheteur aura ainsi deux chances au lieu d’une.

UN BILLET POUVANT GAGNER 600,000 FRANCS, 300,000 fr. seront donc la part de l’acheteur du volume de la librairie Anti Cléricale.

Les de Chaulnes, les Sabran, les Chennevières, les Barbedienne, les Falize, les Lefebure, les Paul Dalloz qui ont apporté, jadis, à l’œuvre des Arts décoratifs, le concours de leur dévouement, l’appui, de leur bonne renommée, se trouvent ainsi, je le répète, avoir contribué à répandre dans les masses des publications, non point sans doute immorales, car rien n’est plus pur et plus élevé que la morale de ces manuels de confesseurs, mais dangereuses à mettre entre les mains de jeunes filles ou d’enfants.

Ceci explique l’espèce de découragement, qui s’empare de tous les hommes en situation de faire quelque chose, devant le lamentable avortement de tout ce qu’ils ont tenté pour le bien.

L’argent, en outre, commence à leur manquer. L’amour de l’art a presque été aussi ruineux pour l’aristocratie actuelle que l’art de l’amour pour les grands seigneurs d’autrefois. Les commissaires-priseurs dépendant des experts et la plupart des experts étant juifs, on s’est entendu autour de l’hôtel Drouot pour créer des prix absolument fictifs. Tous les brocanteurs de l’univers ont versé leurs emplettes douteuses sur Paris ; la contrefaçon, l’imitation ont pris des proportions inouïes. Beaucoup de gens du monde, qui croient posséder une galerie d’une valeur réelle, n’ont chez eux que de faux bibelots, des toiles pastichées, des plats en cuivre repoussé que j’ai vu moi-même fabriquer dans des maisons que je pourrai désigner.

On n’ose détromper ces illusionnaires. Il y a, en effet, quelque chose de touchant dans le spectacle de ce pauvre Aryen qui s’est laissé chasser de ses châteaux, dépouiller de tout ce qu’il possédait et qui époussette, avec une joie enfantine, quelque armure apocryphe, quelque bahut truqué que le Juif a été assez adroit pour lui vendre au poids de l’or. Quand un krack se produira là encore, quand la cours de convention soutenus par des syndicats de marchands s’effondreront, une effroyable débâcle aura lieu, on ne trouvera pas dix mille francs de collections qui auront coûté cinq ou six cent mille francs[28].

Lisez le Truquage, de M. Paul Eudel, qui devrait être dans toutes les familles pour les préserver de la ruine. Depuis les objets préhistoriques jusqu’aux Diaz et aux Charles Jacques, tout sert de prétexte à une odieuse contrefaçon. On fabrique de faux silex, de fausses statuettes de Tanagra, de fausses figurines de Sèvres et de Saxe, de fausses médailles, de faux autographes, de faux bronzes.

Il y a dans ce livre des anecdotes exquises et des tours bien divertissants. Quoi de plus charmant que l’histoire que racontait le Juif Coblentz qui excellait à faire des miniatures et des grisailles genre Sauvage. Un jour, il envoie un tiers vendre chez un grand marchand une miniature qu’il avait faite lui-même. Le marchand l’achète immédiatement. Peu de temps après, seconde visite avec une seconde miniature dans le même goût que la première. Cette fois, l’acquéreur repoussa l’offre qui lui était faite, et fît même de sanglants reproches à l’intermédiaire pour lui avoir vendu une chose moderne. Celui-ci prétexta de son ignorance.

— « Tenez, dit-il, je vais vous montrer de vrais Sauvage, et il ouvrit une armoire remplie de grisailles. Elles ne sont pas signées, mais elles parlent d’elles-mêmes, celles-là, ajouta-t-il. »

Or c’étaient des miniatures de Coblentz, qui en rit encore.

Ici encore éclate le manque de toute initiative chez l’aristocratie. Autrefois les plus grands seigneurs encourageaient, fondaient eux-mêmes des fabriques artistiques ; les faïences d’Oiron, les manufactures de Rouen, l’école des Clerissy sont nées d’une généreuse et intelligente fantaisie. Au potier comme au peintre ou au sculpteur le patricien donnait son avis, apportait, en dehors du concours matériel l’observation utile et souvent très juste. Tout cela a disparu. Pas un grand seigneur n’a eu l’idée de commander à un peintre quelque tableau émouvant qui retraçât les scandales de ce temps, les violations de domicile, qui léguât à l’avenir le souvenir de ces hontes, en revanche, ils disputeront à coups de billets de banque quelque tableau culotté à l’aide de procédés spéciaux afin d’avoir l’air vieux, quelque crédence exécutée devant nous à Batignolles ou à Malakoff par un pauvre ouvrier qui vous dit : « Le comte de X… a acheté la pareille cinquante mille francs au Juif M… Si je la lui avais offerte pour six mille il m’aurait flanqué à la porte. Quels imbéciles[29] ! »

Parmi ces brocanteurs juifs il en est qui éveillent presque l’admiration. A une certaine hauteur d’audace l’escroquerie touche au génie, elle apparaît comme une des manifestations de la supériorité intellectuelle d’une race sur une autre. Impuissant à concevoir même la pensée de certaines ruineuses mystifications financières juives, l’Aryen n’aurait pas été davantage capable de rivaliser avec un Saphira. Quelle puissance de persuasion, de ruse, de diplomatie, de souplesse à manier les hommes dans ce trucqueur qui arrive à vendre cinq ou six cent mille francs au Musée de Berlin une collection de poteries moabites absolument fausse[30] !

Vous croyez que Saphira va s’arrêter là ? Vous ne connaissez pas l’espèce qui va toujours devant elle sans mettre de bornes à la hardiesse qu’elle puise dans un insondable mépris pour nous. Saphira propose tranquillement au Britisch Muséum de lui céder, moyennant un million de livres sterlings, un exemplaire du Deutéronome, écrit en caractères moabites identiques à ceux de la stèle de Mesa, et qui n’aurait pas eu moins de 27 ou 28 siècles d’existence[31]. L’affaire fut presque sur le point de se conclure et elle eût réussi sans l’intervention d’un grand archéologue français, M. Clermont Ganneau, qui dessilla les yeux des Anglais et démontra la fraude. De désespoir, Saphira vint se suicider à Rotterdam au mois de mars 1884 et, au mois de septembre 1885, le fameux exemplaire du Deutéronome fut vendu cent francs à Londres.

Les courses sont plus ruineuses encore pour les hommes que l’amour des faux bibelots. Le bookmaker, qu’un homme d’esprit a appelé un pickpocket arrivé, est d’ordinaire un Juif anglais. Le propriétaire d’une des principales écuries de courses est un Israélite, mêlé à l’affaire du Honduras et condamné au mois de mai 1856 à deux ans de prison pour abus de confiance. Chacun connaît cette histoire. On a publié une lettre du duc Decazes du mois de juin 1875, qui prouve le fait jusqu’à l’évidence. On tolère néanmoins cet intrus parce qu’il est Juif et le Clairon l’appelait de temps en temps notre sympathique propriétaire éleveur X. Nos élégantes continuent à porter, quand le cheval a été vainqueur, les couleurs d’un escroc, comme leurs aïeules portaient, dans les tournois, les couleurs de quelque preux chevalier qui s’était signalé par sa vaillance.

On devine ce qui se passe de tripotages, de manœuvres déloyales, d’infamies dans ce monde de turf. C’est l’Aryen toujours, le gentilhomme, l’honnête homme qui est victime ; parfois on ne se contente point de le ruiner, on le déshonore. On achète son jockey et on le mêle à quelque vilaine affaire d’où le nom sort toujours un peu endommagé ; il est disqualifié, comme on dit.

Des forêts de Bondy, des tripots équestres, des entreprises de vol à la course, voilà comment s’expriment tous les journaux, sans exception, à propos de certains hippodromes.

On y est volé, dévalisé, assassiné comme au coin d’un bois, avec cette aggravation que les escarpes, pistolet ou couteau au poing, opéraient la nuit sur les voyageurs, tandis que les suburbains, ticket en main, opèrent le jour, en plein soleil, sur les pontes. Le cynisme du vol s’y étale plus qu’en aucun autre endroit de la terre. Personne ne l’ignore et, chose incroyable, cette ignoble truanderie — où l’on retrouve, au vrai, le banditisme grouillant dans les bas quartiers de Londres — semble tolérée par la police, encouragée par les gendarmes, protégée par les magistrats. On se demande comment il se fait qu’aucune loi ni personne ne soient venus encore vider ces tapis francs des chevaux biseautés, des portées de jockeys, des séquences de bookmakers avec lesquels on coupe la bourse des parieurs, et rendre ces champs et ces pelouses à leur destination naturelle, qui est de faire pousser du sainfoin et des pommes de terre.

Il se passe là des scènes sans nom. Le cheval qu’on s’est arrangé pour faire gagner est en retard. On entend des tribunes les jockeys qui crient à leur camarade, en retenant leurs chevaux : « Mais, arrive donc ! »

Un jour c’est le jockey Andrews qui manque d’être assassiné par ses concurrents. Une autre fois la foule proteste contre une filouterie trop évidente dans une course entre Blonde II et Georgina. Les jockeys s’emparent d’un des manifestants, l’entraînent dans la pièce où ils s’habillent, le cravachent à tour de bras et le laissent à moitié mort[32].

N’est-ce point pitié de voir un homme, qui porte le nom de Castries, un descendant du vainqueur de Clostercamp, assistant à cet affreux spectacle d’un Français cravaché par dix valets anglais réunis contre un homme seul ?

Voilà où mènent l’oisiveté, la vie du turf, le goût des plaisirs bas.

An concours hippique tous les prix sont pour Israël. Camondo, ce gros Juif qui ressemble à un chef d’eunuques abyssins qui aurait déteint, ce Turcaret levantin dont Carolus-Duran exhibait, au Cercle des Mirlitons, l’image cauteleuse et blafarde, triomphe avec un mail coach noir bleu attelé de quatre chevaux bai-brun. Les journaux conservateurs nous emmènent visiter les écuries ; nous apprenons chemin faisant que le piqueur Arthur Yoodrook « a un traitement d’ambassadeur, » il y a quatre couronnes en cuivre sur les stalles, les couvertures sont bleues bordées de rouge, aux angles des armoiries brodées à la main avec cette devise : Charitas et fides.

Hirsch n’est pas oublié. Il a obtenu lui, un prix de première catégorie avec Sanshine et César qui s’attèlent en flèche ; quant à Rob Roy et Bonmary, ils steppent. Camondo a vingt-quatre chevaux dans son écurie, dont seize au harnais toute l’année, et huit chevaux de selle ; Hirsch n’en a que vingt-trois, mais parmi eux on compte un arabe rouan, présent de S. M. l’Empereur d’Autriche, à l’ami du pauvre comte de Wimpffen. Si le maître n’est pas impeccable, la tenue de l’écurie l’est. La sellerie, notamment, est une merveille : « C’est une pièce spacieuse, haute de plafond, dont la cheminée en marbre est un chef-d’œuvre. Tout cela brille et reluit et offre le spectacle de l’arrangement le plus ingénieux. »

Le sens moral est tellement oblitéré chez les classes supérieures que personne ne trouve mauvais de récompenser le luxe conquis grâce à ces Bons turcs qui ont ruiné tant de Français. Ceux qui se montrent le plus obséquieux devant ce Juif allemand feraient condamner à la prison un pauvre diable qui aurait pris un fagot dans leur bois. Les autres ne poursuivraient pas le voleur de fagot, mais, natures molles et faibles, ils ne s’étonnent point qu’on ose étaler devant eux une fortune mal acquise.


La vie de cercle est la conséquence de la passion des courses. Le gouvernement aide tant qu’il peut à la démoralisation par le jeu. Là encore on retrouve l’hypocrisie républicaine, cet amour de tout ce qui est trouble, de tout ce qui permet de réaliser des bénéfices honteux que les députés de la gauche se partagent clandestinement.

Paris, depuis la République, est devenu une immense maison de jeu. On joue partout et partout d’une façon mal-honnête[33]. La cagnotte, Dame Joséphine, comme on la nomme, prélève sur chaque joueur un impôt véritablement léonin. Un écrivain, qui s’est particulièrement occupé de cette question, estime que les sommes ainsi perçues par les directeurs de cercles se sont élevées à soixante millions en cinq ans.

Il y a, à Paris, dit-il[34], à l’heure même où j’écris ces lignes, plus de cent maisons du genre de celle que je cite, où l’on joue le baccara. Sur ces cent tripots, vingt-cinq au moins fonctionnent dans des conditions exceptionnellement productives. Si bien que, calcul fait, on estime que, depuis les cinq dernières années, ces vingt-cinq maisons seulement ont englouti dans la cagnotte la somme, nous n’osons dire respectable, de soixante à soixante cinq millions ! C’est-à-dire que le malheureux joueur, sans compter ses pertes naturelles, sans compter les vols dont il a pu être victime, a dû, avant de courir les chances de bénéficier d’un centime, payer en cinq années un tribut d’au moins soixante millions !

N’est-ce pas réellement effrayant ? Et pourtant ce n’est pas tout encore, car le joueur a d’autres charges, auxquelles il ne peut se soustraire et qui naturellement concourent toutes à sa ruine. Nous voulons parler du cadeau fait au croupier par celui qui tient la banque, et de l’intérêt servi à la caisse des prêts. Nous nous contenterons d’indiquer sommairement en quoi consistent ces deux nouveaux impôts.

Lorsque le banquier lève une banque, après avoir gagné, l’habitude est de laisser une petite somme au garçon qui « croupait » pendant la taille. Ce pourboire n’est pas limité ; toujours est-il qu’il est ainsi abandonné, après chaque banque en bénéfice, une somme qui varie entre quinze et deux cents francs, suivant l’importance du gain ou la générosité du banquier.

Quant à l’intérêt de l’argent prêté, il est toujours des plus considérables, puisqu’on a pu constater qu’un garçon de jeu, avec un seul billet de mille francs, était arrivé à doubler son capital dans une seule soirée.

Ces chiffres, pourtant si élevés, semblent de beaucoup inférieurs à la réalité au Matin qui a publié une étude complète sur les Cercles[35].

Dans les grandes maisons de jeu, dit ce journal, la cagnotte rapporte réglementairement (nous laissons de côté le produit du vol des croupiers) en moyenne 6.000 francs par jour, et, dans les tripots de bas étage, le produit minimum de la recette quotidienne est de 4.000 francs. Nous pouvons donc, sans exagération, estimer à 2.000 francs par jour les sommes encaissées par les cagnottes dans les maisons de jeu depuis cinq ans. Cela fait, pour chacune d’elles, une recette de 730.000 francs par an ou de 3.650.000 fr. pour les cinq ans.

Or, pendant ces cinq années, le nombre des tripots de Paris a été au moins de 24. Nous arrivons donc, rien que pour les cagnottes, au chiffre respectable de 87.600.000 francs.

Il faut ajouter à ce chiffre les bénéfices réalisés par les préteurs et les croupiers, bénéfices qui atteignent parfois des proportions énormes et que nous évaluerons à une moyenne de 400.000 francs par an et par tête, soit à raison de cinq de ces estimables fonctionnaires par tripot, 500.000 francs par an et par tripot, 12 millions par an pour les 34 tripots et 60 millions pour les cinq ans.

Ajoutons encore une moyenne de 100.000 francs par an, pour les petits bénéfices de M. l’administrateur et de ses acolytes, soit 2.400.000 francs par an ou 12 millions pour les cinq ans.

Et nous arrivons au joli résultat suivant :

Cagnottes Fr. 87.600.000
Prêteurs et croupiers 60.000.000
Administrateurs et personnel 12.000.000
------------
____________Total Fr. 159.600.000

Cent cinquante-neuf millions six cent mille francs dévorés depuis cinq ans par ces Vampires, à Paris seulement.

Et nous n’exagérons pas, au contraire ; nous n’aurions que le choix pour appuyer, par des exemples probants, l’éloquence de ces chiffres.

De ces chiffres, il faut évidemment distraire les sommes considérables prélevées par le personnel de la préfecture de police qui, à tous les degrés, depuis le préfet jusqu’au dernier des agents, rançonne les maisons de jeu, et surtout les pots de vin donnés aux ministres et aux députés opportunistes[36]. Il n’en reste pas moins une somme énorme gaspillée, sans profit pour personne, et qui est une preuve nouvelle de l’improductivité d’un certain argent, qui ne peut même pas procurer, à notre Paris en deuil, l’illusion du mouvement et de la vie.

Que devrait faire le gouvernement s’il n’obéissait pas à des mobiles inavouables ? Ou bien appliquer purement et simplement la loi qui défend les jeux de hasard, ou bien abolir la loi de 1837 et rétablir le jeu public. Le jeu public, comme la loterie, a d’exceptionnels avantages ; facile à surveiller, il offre des garanties de régularité qui n’existent pas dans les Cercles actuels.

Pourquoi le gouvernement ne prend-il pas ce parti ? Pourquoi se prive-t-il de ressources qui seraient si nécessaires à un budget que les dilapidations folles ont mis à sec ?

Nous en avons dit la raison. Les ministres octroient aux députés, qui ferment les yeux sur leurs actes, soit des autorisations d’ouvrir des Cercles, soit des concessions, des parts dans les fournitures militaires et les adjudications.

On n’a pas oublié la poursuite correctionnelle dont furent l’objet, au mois de juin 1883, les fondateurs du Cercle de la Concorde et du Parlement somptueusement installé an 242 de la rue de Rivoli et qui fit faillite après avoir dévoré 800.000 francs en quinze mois.

M. Alfred Leconte, député de l’Indre, déjà célèbre pour un permis de chemin de fer gratté dans une intention frauduleuse, et qui s’était associé pour l’exploitation de ce Cercle à l’un de ses collègues, reconnut devant le tribunal qu’il était logé et nourri gratuitement dans l’établissement ; il avoua également avoir reçu la moitié des six cents actions des fondateurs attribuées à M. Trapet. C’est à M. Leconte, en effet, ainsi que le prouva une lettre de M. Andrieux, que l’autorisation avait été accordée. M. Louchet lut, à ce sujet, des lettres de M. Leconte qui prouvent une absence absolue de tout sens moral.

Ce procès, d’ailleurs, est d’un bout à l’autre un des plus curieux documents sur les mœurs actuelles que l’on puisse imaginer. Les sénateurs et les députés venaient faire là de plantureux dîners, des dîners officiels aux dépens des malheureux actionnaires[37].

Tout Paris a vu, pendant de longues années, un ancien ministre de l’intérieur, un vice-président de la Chambre, tenir publiquement un véritable tripot, un cercle ouvert à tous : le Cercle artistique de la Seine, qu’on appelait familièrement le Cercle Lepère. Dans tous les hôtels oû descendent les riches étrangers, dans tous les grands cafés du boulevard on distribuait des invitations à venir dîner et faire la partie et ces invitations étaient signées du vice-président d’une Assemblée française ! Jamais les membres de la gauche n’ont pensé que la dignité du pays fût atteinte par ce singulier cumul, ils trouvaient que ce teneur de brelan était encore le plus honorable d’entre eux, puisqu’ils l’avaient appelé à la vice-présidence. Dans l’histoire même du Directoire, je ne connais pas de fait analogue[38].

On ne saurait trop, néanmoins, encourager le gouvernement à récompenser de préférence ses fidèles par des permissions de tripot que par des fournitures. En ce dernier cas, c’est la sécurité même de la France que compromet le bon plaisir ministériel.

La discussion du 28 février 1884, sur les fournitures accordées aux industriels de Besançon, suffit à montrer comment les choses se passent pour les adjudications. M. Georges Perin, avec un patriotisme et une clairvoyance qui surprennent chez un républicain, émit cette idée qui frappa la Chambre d’étonnement, que généralement les places frontières étaient les premières assiégées en temps de guerre et que les magasins et les ateliers d’habillement nécessaires à l’armée étaient plus convenablement installés à l’intérieur. Si les fournitures avaient été maintenues à Besançon, c’est qu’il y avait une cause et cette cause était un Juif, le Juif Veil-Picard, le fameux Veil-Picard que nous rencontrons à chaque instant dans ce livre, partout où l’on agiote, où l’on tripote, où l’on complote une affaire d’argent.

Le sous-secrétaire d’Etat de la guerre, Casimir Périer, proteste qu’il est innocent, et le ministre de l’intérieur, Waldeck-Rousseau, déclare hardiment qu’il ne connaît pas Veil-Picard. M. Georges Périn le convainc immédiate- ment de mensonge en lui montrant les lettres qu’il avait fait écrire au Juif par son secrétaire particulier Noël.

Pour être appelé de temps en temps le beau et fier jeune homme, dans le journal Paris, le ministre sacrifiait tranquillement les intérêts de la France.

Le lendemain ce fut bien pis. Un scandale affreux se produisit à la mairie du VIIe arrondissement où étaient réunis les négociants et les fabricants qui se proposaient de soumissionner des fournitures se montant à cent millions. Casimir Périer, pour une raison toute personnelle, s’était arrangé de façon à rendre toute adjudication impossible en frappant à l’improviste tous les marchés d’un droit de 3 fr. 25 %[39].

Quoique, je le répète, les scandales des Cercles et des tripots me semblent avoir une importance beaucoup moins grave que les faits de cette nature, l’affaire du Cercle de la rue Royale mérite d’être notée ici. Ce Cercle qui selon l’expression d’un journal du boulevard, « embaumait la distinction et l’honneur, » exhalait, paraît-il, quelques odeurs moins suaves. J’avoue cependant que tout le bruit mené à ce sujet m’a laissé assez froid. Je n’irai pas jusqu’à m’écrier avec un de mes confrères : « Qu’il y ait un seul coupable, c’est déjà monstrueux en pareil lieu ; plusieurs, ce serait à désespérer de l’Humanité. » On découvrirait que le Jockey-Club est un département de l’Hellade que je ne désespérerai pas de l’Humanité pour cela.

S’il eût réfléchi davantage notre confrère aurait vite compris qu’un tel résultat était au contraire inévitable. Continuer une vie d’oisiveté et de désordre, quand la Patrie est près de périr, révèle une âme naturellement basse et qui doit, dès que les ressources manqueront pour satisfaire les passions, se laisser aller aux expédients les plus blâmables. Si l’homme, qui jouait au quinze avec des cartes marquées à la gomme, avait été en oraison ou occupé à chercher le moyen de sauver son pays, ce malheur ne lui serait pas arrivé.

Ce qui est triste c’est la honte qui rejaillit sur l’aristocratie par la faute de quelques désœuvrés. Faire son Petit cercle, passer rue Royale est maintenant l’expression adoptée par les ouvriers pour la tricherie au jeu.

Il est impossible que les Cercles ne soient pas déshonorés avec la manie qu’ont les gens du monde d’accueillir à bras ouverts tous les Juifs de l’univers. Un homme, que tout le monde a connu à Paris marchand de pastilles de sérail dans un passage, un cabaretier de la Petite Russie, un ancien laquais prussien ont-il gagné quelque argent à la Bourse, les voilà reçus partout. Quand un scandale éclate on n’ose même pas s’adresser à ceux-là, leur demander des éclaircissements sur leur famille, sur la façon dont ils se sont enrichis, sur ce qu’il y a au fond du train qu’ils affichent, on tombe unanimement sur un malheureux garçon de jeu uniquement parce qu’il est Français. C’est absolument honteux.

  1. Sur le triste rôle joué constamment par le comte d’Artois, consulter l’ouvrage de M. Forneron : Histoire générale des émigrés pendant la Révolution française.
  2. Mgr Fliche : Mémoires sur la vie, les malheurs, les vertus de très haute et très illustre princesse Marie-Félicie des Ursins, duchesse de Montmorency.
  3. De la Restauration française.
  4. L’an dernier, le duc d’Aumale ayant à dîner la duchesse d’Ayen et la baronne de Hirsch, mit la Juive à sa droite, et la duchesse à sa gauche. Lors des fêtes données a Chantilly, il plaçait, il est vrai, la grande duchesse Wladimir à sa droite et la baronne Gustave de Rothschild à sa gauche, mais en quittant la table, il offrait le bras à la baronne !
        Remarquez que la duchesse d’Ayen qui est, dit-on, une femme très charitable et très bonne, n’a aucune raison de fréquenter la femme d’un banquier qui a ruiné tant de malheureux ; elle n’a pas besoin d’emprunter de l’argent aux Juifs, car elle possède une fortune considérable, elle a hérité du marquis de La Ferté-Mun, qui était fort riche et elle est la belle-fille du duc de Noailles, auquel appartient la magnifique terre de Maintenon. On ne peut s’expliquer cette manie de s’abaisser sans nécessité.
  5. Archives israélites, volume 36.
  6. Ce fut la vicomtesse de Noailles qui dressa elle même la première liste d’invitations des Rothschild. Un mot prononcé dans cette soirée par le baron James est resté légendaire. Il donnait le bras a la vicomtesse qui lui demanda ce que c’était qu’un trou qu’on apercevait dans son jardin et qu’on avait oublié de combler.
        — Montâme, répondit le baron, c’est un drou pour y mettre les bedites ficomtesses quand elles ne sont pas sages…
  7. Les détails sur la maîtresse de Feder, qui se faisait appeler Soubise, ont traîné dans tous les journaux. Elle tire un coup de pistolet sur un financier à Lyon, elle est expulsée comme allemande, elle essaye de se suicider. C’est le vrai drame juif qui alimente quotidiennement les faits divers.
  8. Est-il nécessaire de rappeler qu’après le désastre de la Banque de la Loire, Savary, l’ancien sous-secrétaire d’Etat à la justice, fut laissé libre, put continuer à monter des entreprises d’électricité et même courir des aventures qui ont eu leur dénouement à la Brasserie des Martyrs ?
  9. J’ai constaté combien les administrateurs furent imprudents, combien surtout ils manquèrent de courage moral en n’attaquant pas franchement les Juifs contre lesquels ils poussent de véritable hurlements lorsqu’on cause avec eux en tête-à-tête ; il est juste de rendre hommage à l’honnêteté scrupuleuse dont ils ont fait preuve dans ce désastre. Après les effroyables manœuvres employées contre elle, l’Union générale distribue 70 pour 100 à ses actionnaires. Supposez qu’une descente de police ait lieu dans une des banques juives — et je parle des plus solides en apparence, — on distribuerait au gens les toiles d’araignées qui garnissent des coffres-forts dont l’argent a disparu depuis longtemps.
        Si les coulissiers, qui devaient cent vingt millions à l’Union, n’avaient pas été Juifs, s’ils avaient payé loyalement au moins la moitié de ce qu’ils devaient, les actionnaires n’auraient pas perdu un sou.
  10. Un souvenir d’Arsène Houssaye sur la général Fleury atteste combien ces parvenus ont peu de notion de la véritable politesse, de cette politesse qui vient naturellement d’un cœur élevé. Un jour qu’Arsène Houssaye avait à dîner le général Fleury, il donne la place d’honneur à l’ancien grand écuyer. — « Oh ! Oh ! S’écrie Fleury, foila à quoi je ne suis plus habitué. Il fut un temps où le vieux Rothschild me donnait la place d’honneur, peut-être parce que mes vins n’étaient pas plus mauvais que les siens. Après la guerre, je fus encore invité dans cette maison, mais on me mit au second rang, puis au troisième, puis au bout de la table. »
        Un gentilhomme, — je ne parle pas de ceux d’aujourd’hui, — aurait exagéré, au contraire, les égards envers un vaincu. Qui ne se rappelle Louis XIV mettant le feu à l’Europe pour assurer le droit de préséance à nos ambassadeurs sur les représentants de toutes les autres puissances et cédant constamment le pas, à Versailles, à Jacques II, pauvre et détrôné ?
  11. Les hôtels des Rothschild, à Paris, sont machinés comme des théâtres, barricadés à l’intérieur comme des citadelles, organisés pour la défense comme des ghettos du Moyen Age. Si je ne craignais de nuire à des entrepreneurs, je pourrais donner làdessus de bien curieux renseignements. Le World de Londres, au mois de décembre 1885, a publié quelques détails sur les travaux exécutés dans l’hôtel de la rue Saint-Florentin.
        « Le baron Alphonse de Rothschild vient de terminer la transformation de sa maison de la rue Saint-Florentin en une sorte de forteresse blindée. Les montres ou vitrines à bibelots disparaissent d’une simple pression de bouton dans des coffres-forts scellés dans la muraille.
        « Chaque tableau a son étui (numéroté) en maroquin, de sorte que, s’il le fallait, toute la galerie pourrait être emballée en une heure. La note seule des étuis se monte à 50.000 fr. »
        Auront-ils l’heure nécessaire pour emballer ?
  12. Entre autres, dans l’Entremes del Viejo Zeloso : « Monseigneur, dit Hortigosa, j’ai pris la hardiesse de venir supplier Votre Grâce de me faire une grande merci, charité, aumône et bonne œuvre en m’achetant ce guadameci, le travail est bon, le guadameci neuf. Voyez comme il a bel aspect, les peintures des tableaux paraissent vivantes. »
        Nous avons vu (livre II), le Juif Lopez faire un commerce actif de ces guadameciles.
  13. C’est évidemment en pensant à la collection des Rothschild que Goncourt a écrit : « Il y a des collections d’art qui ne montrent ni une passion, ni on goût, ni une intelligence, rien que la victoire brutale de la richesse. »
  14. Le baron Alphonse de Rothschild, si indifférent aux efforts de nos artistes, si fermé aux nobles et généreuses traditions de nos patriciens d’autrefois, n’en eut pas moins l’effronterie, an mois d’avril 1885, de se présenter a l’Académie des Beaux-Arts. Cette fois, au milieu de tant de servilité et de tant de vilenies, il y eut un réveil de pudeur, et quelques hommes indépendants réussirent à faire comprendre à l’Académie que l’amour de l’art et l’achat de bibelots à bon compte n’ont absolument rien de commun. Malgré la campagne patriotique d’Ephrussi et d’Albert Wolff qui consacra trois colonnes à prôner cette candidature, le baron fut honteusement éconduit. Un autre se serait retiré, mais le sentiment de la dignité est absolument inconnu au Sémite qui supporte tout pour arriver à son but. Le baron acheta les uns, flatta bassement les autres, accepta toutes les humiliations qu’on voulut et finit par être nommé au mois de décembre suivant.
  15. Voici, d’ailleurs, la liste des journaux dont les extraits sont reproduits : Journal de Paris, la France, le Constitutionnel, la Liberté, le Petit Journal, la Patrie, le Journal des Débats, l’Opinion nationale, le Temps, le Figaro, l’Epoque, l’Evénement, le Moniteur du Soir, la Correspondance générale des départements, le Sport, le Mémorial Diplomatique, la Semaine financière.
  16. Les Rothschild font cependant des cadeaux assez importants et presque toujours d’un caractère utile au moment des grands mariages ; au comte de X…, ils ont donné une pendule et une belle garniture de cheminée ; au marquis de Z…, un meuble de salon.
  17. Aucune souscription ne fut ouverte, aucun bal ne fut organisé pour secourir les 31.000 chrétiens massacrés dans l’Annam.
        Un vaillant journal, la Croix, écrivait à ce sujet, à la date du 3 novembre 1885 :
        « Si quelques Juifs, après avoir pressuré longtemps par une usure monstrueuse le peuple qu’ils seraient venus exploiter, avaient été pillés et expulsés, quels cris de toute cette presse au nom de l’humanité et de la civilisation ; mais ce sont simplement des martyrs du Christ !
        « Ce sont des martyrs qui sont tombé ?, non pas mille à la fois, mais au moins trente mille, avec leurs prêtres et leurs religieuse. Ce sont cent soixante églises, élevées par la charité, qui ont été brûlées ; nous concevons que le bal recule sur ce terrain ; le diable se refuse à organiser le cotillon. »
  18. Ce sont tout à fait les mœurs du Directoire, avec l’hypocrisie religieuse en plus, et en moins le tempérament, la vitalité débordante d’alors, le fier courage des conspirateurs royalistes. Dans son charmant volume la Française du siècle, Octave Uzanne cite un passage de la Journée de Paris, de Riffaut, qui est tout à fait dans la note du jour. Polichinelle raconte ses impressions dans un bal : « Je vis un beau jeune homme et ce beau jeune homme me dit : Ah ! Polichinelle, ils ont tué mon père ! — Ils ont tué votre père, et je tirai mon mouchoir de ma poche lorsqu’il se mit a danser :

    Zigue, zague, don don,
    Un pas de rigaudon »

  19. N’oublions pas le bon Caffola, un Italien, qui, au mois de mai 1884, à Versailles, voyant passer la compagnie du 1er régiment du génie qui reportait, musique en tête, le drapeau du régiment chez le colonel après la parade, insulta le porte-drapeau en s’écriant : « Ces sales Français, sont-ils bêtes de suivre ce chiffon ! »
        Un assistant ayant manifesté son indignation, l’insulteur le frappa au visage et tirait un couteau de sa poche lorsqu’on parvint à l’arrêter.
        Au mois de février 1885, trois Italiens, sans provocation aucune, se jetèrent sur un pauvre conscrit, nommé Christian, qui passait rue de Rivoli, et le tuèrent à coups de couteau.
        Il n’est pas de jour où nos ouvriers français ne soient attaqués par des ouvriers italiens.
  20. France, 14 mars l884.
  21. Si l’on veut se rendre compte de ce que MM. Gauthier de Noyelles et Bonnet entendent par « des gaspillages, » il faut examiner quelques-unes des dépenses d’un des aéronautes. Il se fait allouer une voiture au mois, il déjeune et dîne largement aux frais des cholériques ; il se fait payer 1.500 francs de dettes antérieures à la fête, il compte pour ses aérostats des frais de réparation insensés, il se fait remettre 5.000 francs pour usure des ballons, il distribua de gros pourboires à son personnel, il se fait habiller de neuf, lui et ses lieutenants, il soupe copieusement a Meulan et il y loge, toujours aux dépens des cholériques.
  22. Au mois de février 1885, Daumas fut condamné, par contumace, à cinq ans de prison.
        Comme cette princesse des contes de fées qui ne pouvait dire un mot sans qu’un crapaud lui sortit de la bouche, la République ne peut se mêler à quelque chose sans qu’immédiatement l’escroquerie se produire. On organise une exposition de bébés et l’on fait déposer une somme de quarante sous à chaque parent ; l’exposition est interdite, on refuse de rendre l’argent que se sont partagé les organisateurs. Notez que cette escroquerie a une apparence presque officielle, puisque les bureaux étaient installés au Pavillon de la Ville aux Champs Elysées. Le Pavillon de nos conseillers municipaux couvrait, cette fois encore, une bien vilaine marchandise.
  23. Les expositions, très intelligemment comprises et organisées avec beaucoup de soin, suffisaient presque à faire vivre l’Union. La première exposition dont se soit occupé M. Proust s’est soldée par un déficit de 80.000 francs.
  24. (1) Rien n’est curieux comme l’attitude des journaux en cette circonstance. Dans le premier moment le journaliste, obéissant à un élan d’honnêteté, flétrit cette loterie. Quelque temps après, l’homme d’argent du journal intervient. Quoi de plus significatif sous ce rapport que le revirement imposé au Voltaire par le fils Ménier ? Le journal commence par s’élever contre l’abus de ces loteries où les frais de bureau mangent presque toujours la plus grosse part des bénéfices, et, deux mois après, il déclare qu’il entend concourir de toutes ses forces à la réussite de l’entreprise de Proust.
  25. Voir à ce sujet, dans la Nouvelle Presse des 8, 9, 11 août 1881 et jours suivants les articles de M. Marius Vachon qui sont un véritable réquisitoire. Voir aussi à la même époque, le Petit Journal, le Matin, le XIXe Siècle, et particulièrement le Courrier de l’Art du 6 et du 27 mars 1885 qui porte contre Proust, avec preuves à l’appui, des accusations d’une telle gravité qu’on ne comprend pas que le parquet ne se soit pas ému.
  26. Voir à ce sujet le Courrier de l’Art du 17 février 1885, qui résume la question et qui reproduit des lettres de peintres hollandais reconnaissant que ces tableaux n’ont aucune valeur. Il y a des détails d’un comique achevé.
  27. Les petites coupures vendues cinq centimes élevaient à cinq francs le prix d’un billet font la valeur, on l’a vu, est de trois sous.
  28. Au mois d’octobre 1884, on annonce la mise en vente, à Paris, d’une magnifique collection de tableaux appartenant a un Américain. Les caisses arrivent, on les ouvre et on s’aperçoit avec stupéfaction que tous les tableaux sont faux et qu’aucune signature n’est authentique.
  29. Dans un article, sous forme de lettre, publié dans le Moniteur universel, M. Germain Bapst, sous le nom de M. Josse, a donné une spirituelle leçon à Antonin Proust, qui avait choisi, comme frontispice de la Revue des Arts décoratifs, un miroir qu’il s’imaginait dater de la Renaissance, et avoir appartenu à Louise de Vaudemont, et qui est absolument moderne. Jamais on n’a mis plus finement en relief l’ignorance de nos traitants, et aussi l’importance du rôle du parasite et de l’entremetteur, la souffrance de nos ouvriers qui, exploités par les Juifs, voient attribuer aux artistes du passé leurs plus belles créations.
        « Le miroir fameux n’est pas du seizième siècle — Il n’a jamais appartenu a une reine de France — c’est l’œuvre d’un brave et honnête ciseleur, nommé Legros, qui le fit vers 1863, en s’inspirant des dessins publiés par Reiber dans les premières années de l’Art pour tous. — Legros cherchait inutilement de l’ouvrage chez les orfèvres ou les bronziers de Paris ; il employa ses loisirs à ce travail et le céda pour 1.690 Francs à un marchand juif ; le chiffre est rigoureusement exact. Legros est le plus honnête homme du monde et ne peut être ici ni accusé, ni soupçonné d’avoir aidé au trafic du Juif ; il s’en fut en Angleterre avec cet argent, trouva du travail à Birmingham dans la maison Eikington, par où sont passés tant d’artistes français, et c’est de la qu’un autre artiste français, M. Wills, m’adressa Legros quand celui-ci revint en France, il j a trois ans au plus.
        « Legros sait l’histoire de son cadre, il n’en est pas plus vaniteux ; il sourit de la naïveté des amateurs qui payent cent mille francs l’œuvre, quand elle n’est pas signée, et n’en offriraient pas deux mille s’il y mettait son nom. Legros vit pauvrement et philosophiquement d’une maigre journée ; j’ai voulu prendre son avis avant de le nommer, et il m’a autorisé à vous dire ce que jusqu’ici il avait eu l’héroïque modestie de taire. »
  30. Ces vases, fabriqués par un arabe du nom de Selim et Qâri représentaient des bonshommes analogues à ceux de la foire au pain d’épice. L’argile était absolument identique à celle qu’emploient chaque jour les potiers de Jérusalem. « On voyait encore, dit M. Clermont-Ganneau, sous l’une des faces des petits disques de terre cuite dont plusieurs vases étaient remplis et qu’on a pris pour des monnaies et des tessères, l’empreinte de la trame du linge sur laquelle la pâte molle avait été déposée pour être découpée en rondelles. »
        Voir les Fraudes archéologiques en Palestine, de M. Clermont-Ganneau, qui est un des livres les plus amusants de ce temps-ci.
  31. Le faussaire avait pris simplement un de ces grands rouleaux rituels de synagogue, contenant un texte biblique en caractères hébreux carrés, qui remontent à deux ou trois siècles ; il en avait découpé les marges inférieures, il avait saucé ces bandelettes de cuir dans de l’huile de bitume et d’autres ingrédients. Puis il avait transcrit sur ces bandes, à l’aide du qalam, le roseau dont on se sert encore en Orient pour écrire, des passages du Deutéronome que les savants anglais déchiffraient avec un soin pieux lorsque M. Clermont-Ganneau vint leur montrer la fraude.
  32. Courses au bois de Boulogne, dimanche 5 octobre 1884.
  33. Au mois d’octobre 1884, l’indignation fut si vive, les plaintes si nombreuses, qu’on se décida à fermer le Cercle des Arts libéraux fondé par Devries et quelques établissements du même ordre, mais ils se sont reconstitués sous d’autres noms. C’est Leconte qu’il eût fallu poursuivre, pour donner l’exemple. En une seule année, le produit de la cagnotte du Cercle des Arts libéraux s’était élevé à quatorze cent mille francs, ce qui, a dix pour cent, donne une somme de quatorze millions mis en banque.
        Le Cercle de la Franc-Maçonnerie fut naturellement respecté. On laissa subsister en outre : le Cercle central, le Hunting-Club, le Cercle des Arts-Réunis, le Cercle de l’Escrime, le Cercle de la Presse, le Cercle artistique de la Seine, le Cercle Washington et le Cercle Français.
        La cagnotte quotidienne de ces neuf établissements est de 69,800 francs.
        Le Cercle de l’Escrime, auquel Camescasse n’a pas touché, est fortement appuyé par des hommes d’état républicains qui trouvent là le déjeuner et le dîner : il a pour président un nommé Etienne Junca, Juif, je crois, d’origine, et qui a été décoré comme homme de lettres, ce qui est bien flatteur pour les écrivains et même pour les militaires qui ont gagné leur croix, non dans les claque-dents, mais sur les champs de bataille.
        M. Laisant a raconté, dans son journal la République radicale, qu’au mois de décembre 1884, un Juif, nommé Goldsmith, ayant braqué son revolver sur deux autres joueurs, ceux-ci avaient fait immédiatement le même mouvement. Ce sont tout à fait les mœurs des Haciendas du Mexique et des maisons de jeu de San-Francisco.
        Il se produit, d’ailleurs, presque chaque jour, dans ce Cercle protégé par la police, des scènes inénarrables. Ce fut à la suite d’une séance du Conseil d’administration, qui avait été véritablement épique, que le garçon dit à un des assistants qui venait se laver les mains au lavabo ce mot étonnant :
        — Que se passe-t-il donc, monsieur ? Jamais on n’a volé tant de savon qu’aujourd’hui.
  34. Figaro, février 1884.
  35. Matin, 11 octobre 1884.
  36. Les suicides qui se produisent chaque jour à la suite des pertes subies dans les Cercles, suicide de M. de Riencourit, suicide de M. Wlasoff, etc., sont, on le comprend, des occasions ardemment désirées et avidement saisies de prélever un neuveau tribut en prétextant l’indignation publique.
        Parmi les innombrables victimes de la complaisance que la police a pour certaines maisons de jeu, signalons M. Raby, qui avait fait ses preuves de courage et reçu une médaille de sauvetage pour avoir arraché deux personnes à la mort, et qui, après avoir tout perdu dans les Cercles, se tua au mois de juillet 1885.
  37. Les Cercles, placés sous le patronage des représentants de la nation, ont remplacé les carrières d’Amérique. M. Andrieux a raconté, dans ses Souvenirs, que la première personne qu’un commissaire de police envoyé par lui rencontra, dans un Cercle autorisé, fût un repris de justice endormi sur une banquette. « Ne sachant où trouver un abri, cette victime de la justice humaine était venu chercher, dans les salons de jeu, un gîte hospitalier. Le Cercle était d’ailleurs présidé par un député. »
  38. Le gérant de ce Cercle était un Juif nommé Landau, un personnage à aventures bruyantes, comme tous ceux de sa race, qui se suicida après des pertes d’argent et des peines de cœur que les journaux boulevardiers racontèrent tout en long. Il fut remplacé par deux autres Juifs, les frères Khan, autrefois directeurs du Cercle de Paris, rue Laffitte.
        Un député radical de Seine-et-Oise, ancien avocat général, M. Vergoin, prit la succession de Lepère, comme président. Il n’avait d’autre but déclara-t-il ingénument « que de se faire de belles relation. » La première rencontre qu’il fit, dans cet endroit distingué, fut celle d’un gentleman qui lui confia que les croupiers venaient de lui proposer de lui remettre un certain nombre de portées toutes préparées, des biscuits, comme on dit, qui lui auraient permis de prendre la banque à coup sûr. Vergoin craignit sans doute que les relations qu’il se ferait là ne fussent un peu mêlées et donna sa démission. Remarques, encore une fois, au point de vue du chemin parcouru, depuis 1870, de l’accoutumance, que le fait pour un ancien magistrat, pour on représentant du peuple, d’accepter la présidence d’un tripot, ne choque personne ; cela paraît tout naturel.
  39. Figaro du 2 mars 1884. Voir aussi le Pot de Vin Arrazat, Gaulois du 25 février 1884, récit très circonstancié et qui n’a été que très insuffisamment démenti par des négociants de Lodève, la légendaire affaire des Bollandistes et enfin l’affaire Arens-Peraldi.