La France en 1814
Après toutes les gloires, c’étaient tous les désastres. La France de Napoléon, cette France qui avait compté cent trente-deux départemens, dont le département du Léman, chef-lieu Genève, le département de Rome, chef-lieu Rome, le département du Zuiderzée, chef-lieu Amsterdam, le département des Bouches-de-l’Elbe, chef-lieu Hambourg, et qui avait eu pour tributaires l’Italie, le royaume de Naples, l’Illyrie, l’Espagne et la Confédération du Rhin, c’est-à-dire : les duchés de Berg, de Hesse, de Bade, le Wurtemberg, la Bavière, la Westphalie, la Saxe et la moitié de la Pologne ; la France, son vaste empire démembré et ses armées partout repoussées, voyait l’ennemi, — l’Europe entière, — à l’est, au pied des Vosges et du Jura, au sud, en-deçà des Pyrénées. La France envahie, épuisée d’hommes et épuisée d’argent, revivait les jours sombres de l’hiver de 1769. Sous Louis XIV, elle avait déjà connu ces terribles lendemains de victoires, ces retours soudains et farouches de la fortune lassée.
Dans les derniers dix-huit mois, des milliers et des milliers de soldats avaient laissé de la steppe de Mojaïsk aux hôpitaux de Mayence une grande traînée de cadavres. En 1812, 175,000 Français avaient passé le Niémen ; en 1813, 400,000 conscrits avaient passé le Rhin ; et, dès l’automne de cette année 1813, de nouveaux décrets appelaient encore 760,000 hommes sous les armes[2]. Le blocus continental, les champs en friche, les fabriques fermées, l’arrêt complet des affaires et des travaux publics, la retenue de 25 pour 100 sur tous les traitemens et pensions non militaires, l’énorme augmentation des impôts, — la cote personnelle fut doublée et la contribution foncière frappée de 50 centimes additionnels, — avaient amené la gêne chez les riches, la misère chez les pauvres. La rente était tombée de 87 francs à 50 fr. 75, les actions de la Banque, cotées jadis 1,430 francs, valaient 715 francs : le change sur les billets de banque était de 12 pour 1,000 en argent, de 60 pour 1,000 en or. Le numéraire était si rare qu’on avait dû suspendre jusqu’au 1er janvier 1815 la loi qui fixait l’intérêt à 5 et pour 100 : chacun pouvait prêter au taux qu’il voulait. À Paris, sauf les denrées alimentaires et quelques bonbons le premier de l’an, on ne vendait rien. En province, les armateurs avaient leurs bâtimens au port, les manufacturiers leurs magasins pleins, les vignerons leurs celliers remplis. Ces derniers possédaient, il est vrai, des créances sur l’Allemagne : quand seraient-ils payés ? En attendant, on vendait son argenterie, ses meubles, son linge. Partout les faillites étaient nombreuses. Des colonnes mobiles fouillaient les bois à la recherche des réfractaires ; dans les villages, les garnisaires s’installaient au foyer de la mère et de la femme de l’insoumis ; dans certaines contrées, c’étaient les femmes et les enfans qui labouraient[3]. D’ailleurs, le ministre de l’intérieur n’allait-il pas bientôt mettre à l’ordre du pays, par la voie des journaux, que les femmes et les enfans pouvaient utilement remplacer les hommes dans les travaux des champs, et que le labour à la bêche devait suppléer au labour à la charrue, devenu impossible à cause du manque de chevaux.
Ainsi ruinée et décimée, la population française tout entière n’avait qu’une seule pensée, ne vivait que dans une seule espérance, ne formait qu’un seul vœu : la paix. Des villes, des campagnes, des états-majors mêmes, cette prière unanime arrivait soumise et tremblante au pied du trône impérial. Depuis les campagnes de 1808 et de 1809, et surtout depuis la retraite de Russie, la France était lasse de la guerre. Les désastres de la Bérézina et de Leipzig, la marche de l’ennemi vers les frontières, l’avaient fait revenir de ses rêves de gloire, comme, quinze ans plus tôt, les hécatombes de la Terreur et les désordres du Directoire l’avaient désabusée de ses rêves de liberté. Après vingt-cinq années de révolutions et de guerres, la France voulait du repos. Mais la France, et nous entendons par là, l’immense majorité du pays, les quatre cinquièmes de la population, ne désirait ni même ne pensait davantage.
À la vérité, l’ancienne noblesse et une partie de la bourgeoisie voyaient les choses d’une autre façon. La noblesse, encore qu’une infinité de ses représentans se fût ralliée à l’empire, n’avait jamais complètement désarmé. Mais le faubourg Saint-Germain se contentait de faire la petite guerre, ayant des épigrammes pour tout projectile. Les beaux esprits disaient en jouant sur les mots, quand les journaux annonçaient « la dernière victoire de l’empereur : » — « Buvons à la dernière victoire de l’empereur ! » — C’était inoffensif. Les libéraux étaient plus dangereux, parce qu’ils étaient en nombre, et parce que beaucoup d’entre eux étaient dans les chambres et l’administration. Ces derniers avaient fait à l’empereur mille protestations de fidélité et de dévoûment lorsqu’il était le maître du monde. Quand l’ère des défaites fut ouverte, ils commencèrent à condamner la cruauté de son ambition, la folie de ses rêves, le despotisme de son gouvernement. Ils accusèrent ce sénat servile dont plusieurs étaient membres, cette représentation illusoire dont quelques-uns faisaient partie, cette administration tyrannique où plus d’un avait brillé, ce ministre de la police dont tous serraient la main, et qui, vingt-cinq ans après la révolution française, agissait comme M. de Sartines, expédiant des lettres de cachet, faisant mettre des livres au pilon, reléguant, bannissant et emprisonnant arbitrairement[4]. Cette irritation des libéraux, qui se manifesta avec force dans le rapport de Laine, était légitime ; la protestation n’en était pas moins tardive et inopportune. C’était deux ans plus tôt que les députés auraient dû faire entendre leurs censures et imposer leurs vœux. Alors, ils pouvaient empêcher l’agression ; désormais ils paralysaient la défense.
La prorogation du corps législatif (31 décembre 1813), la violente apostrophe de l’empereur aux députés dans leur audience de congé (1er janvier 1814), augmentèrent le mécontentement de la classe bourgeoise. Les députés restés à Paris ne cachèrent pas la cause de l’ajournement de la chambre ; ils répétèrent, en en exagérant les termes et les idées, la harangue de l’empereur. Il en fut de même en province, où nombre de députés retournèrent dans les premiers jours de janvier. À Bordeaux, à Marseille, dans plusieurs villes, Lainé, Raynouard, d’autres encore, firent circuler des copies manuscrites du fameux rapport. Les commentaires allaient leur train. L’empereur pouvait faire la paix et il ne le voulait pas ; on accusait son obstination, son orgueil, sa tyrannie. Ces sentimens qui commençaient à régner dans les villes, depuis les salons jusqu’aux boutiques, n’avaient gagné ni les ateliers ni les campagnes. Là on souffrait cruellement de l’état des choses, on voulait la paix, mais on n’incriminait pas l’empereur. On haïssait la guerre, mais l’auteur de tant de guerres n’en devenait pas impopulaire. On ne pensait pas à rapprocher la cause de l’effet ni à associer ces deux termes pourtant identiques : la guerre, Napoléon. Les paysans criaient en même temps : « À bas les droits réunis ! » et « Vive l’empereur ! » Le peuple, qui, vu la faculté du remplacement, avait presque seul payé de son sang la gloire de Napoléon, le peuple avait gardé sa foi à Napoléon. Dans la correspondance des préfets et les rapports de police du commencement de janvier 1814, pièces où cependant rien n’est omis ni dissimulé de la misère et de la prostration régnantes, des placards royalistes, des désertions, des rébellions contre les agens du fisc, des propos malveillans de la bourgeoisie, c’est en vain que l’on cherche, parti des rangs du peuple, un cri de haine ou une menace contre l’empereur. Tout au contraire, de nombreux témoignages confirment le mot de Mollien : « La masse de la population ne connaissait que l’empereur et l’empire[5]. » Non-seulement l’empereur, si condamnable qu’il pût être, n’avait point perdu l’affection du peuple ; mais tout vaincu qu’il était, il gardait le prestige du capitaine invincible. La paix qu’on implorait timidement de lui, on s’imaginait qu’il était le maître de la faire, que c’est lui qui l’accorderait aux alliés. S’il ne la faisait pas, cette paix tant désirée, c’est qu’il était certain de la victoire. On pensait comme ces soldats de la garnison de Dresde qui, retenus prisonniers, au mépris de la capitulation, brisaient leurs armes sur les glacis en criant : « l’empereur n’est pas mort ! »
La première de ces immenses levées d’hommes décrétées dans l’automne de 1813 s’opéra facilement. L’empereur demandait 160,000 hommes des conscriptions de 1808 à 1814, pris parmi ceux qui n’avaient pas été appelés à servir. La France, épuisée, lui donna 184,000 conscrits. C’était un excédent de 24 000 hommes La seconde levée (150,000 hommes de la conscription de 1815) ne rencontra pas non plus de résistance, sauf dans quelques départemens de l’ouest et du sud-ouest[6]. Mais cette levée, qui ne devait fournir que des hommes de dix-neuf ans en moyenne, ne fut pas pour ce motif, pressée avec activité. L’administration, les bureaux de recrutement, les magasins d’habillement et surtout les arsenaux ne pouvaient suffire à tant de levées à la fois. Or l’empereur préférait les conscrits de vingt-cinq ans à ceux de dix-neuf. Commencée postérieurement à celle des 160,000 hommes, la levée de 1815 était loin d’être terminée à la fin de la guerre.
Les difficultés surgirent avec la levée des 300,000 hommes Lever encore 300,000 hommes sur les classes de l’an XI à 1814, c’était, selon l’expression de Vauban, « tirer plusieurs moutures d’un même sac. » Les hommes des classes de l’an XI à 1807 allaient satisfaire à la conscription pour la seconde fois ; ceux des classes de 1808, 1813 et 1814 pour la troisième fois ; ceux des classes de 1809 à 1812 pour la quatrième fois ! Outre les 150,000 hommes de la levée normale, on exigeait de la classe de 1809 et de chacune des trois suivantes le quart de la levée extraordinaire du 11 janvier 1813, soit 25,000 hommes ; le septième de la levée extraordinaire du 9 octobre 1813, soit 38,000 hommes ; le treizième de la levée extraordinaire du 15 novembre 1813, soit 2,000 hommes ; en tout : 237,000 hommes. C’était l’entier épuisement d’une génération[7].
Les levées précédentes avaient successivement enlevé les célibataires, puis les veufs sans enfans ; pour la levée des 300,000 hommes, on dut prendre les soutiens de famille et même un certain nombre d’hommes mariés. Les opérations de cette levée marchèrent lentement et mal. Les listes étaient vicieuses. On y portait des individus déjà enrôlés comme conscrits des levées antérieures, comme remplaçans ou comme chasseurs et grenadiers des cohortes de la garde nationale. Les forêts s’emplirent de réfractaires. Dans certains chefs-lieux de canton, le quart seulement des appelés se présenta aux mairies. Aussi, tandis que la levée des 160,000 hommes donnait au 31 janvier un excédent de 24,000 hommes, la levée des 300,000 hommes donnait à cette même date un déficit de 236,000 hommes. Jusqu’alors, 63,000 conscrits seulement avaient pu être mis en route.
Plus impopulaire et plus difficile encore fut l’organisation des légions de gardes départementales, destinées à former des armées de réserve. Cette conscription déguisée, — car, une fois embrigadées, les gardes nationales n’étaient plus distinguées de l’armée active, — portait à peu près exclusivement sur les hommes mariés ayant échappé aux levées précédentes et sur les hommes au-dessus de trente-trois ans, presque tous mariés aussi, du moins dans les campagnes. On avait la faculté de se racheter, mais les remplaçans coûtaient cher et devenaient rares. La plupart des ouvriers sans travail des grands centres industriels étaient déjà partis en cette qualité. Dans la classe bourgeoise, nombre de gens quittèrent le département où ils étaient inscrits comme électeurs. Ce mouvement se généralisa au point de forcer l’administration à refuser des passeports jusqu’à la formation définitive des contingens. Les paysans n’étaient pas plus empressés. Ils se disaient disposés à défendre leurs foyers, mais ils ne voulaient pas rejoindre l’armée. Sous l’influence des révoltes et des larmes de leurs femmes, ils déclaraient qu’ils ne partiraient pas. Il y eut des attroupemens, des cris menaçans, des rébellions. C’est à peine si l’on put réunir le 25 janvier environ 20,000 miliciens dans les différens camps d’instruction[8].
Ces divers contingens des nouvelles levées, qui, au milieu de janvier, ne formaient pas un effectif total de plus de 175,000 hommes ayant rejoint les armées du Rhin, du Nord et des Pyrénées, ou arrivés dans les dépôts de France depuis Vannes jusqu’à Rome, n’étaient point, par malheur, immédiatement utilisables. Avant de mener ces recrues à l’ennemi, il fallait les instruire, les vêtir, les armer. Le temps manquait pour l’instruction ; en janvier 1814, les huit-dixièmes des hommes incorporés en étaient encore à l’école du soldat[9]. Quant à l’habillement et à l’armement, les magasins et les arsenaux, épuisés par la campagne de 1813, n’y pouvaient suffire. Dans les années précédentes, on avait fait rentrer les fusils des gardes nationales de province. Ces fusils, la plupart en mauvais état, constituaient à peu près les seules ressources de la dernière armée impériale. L’empereur, dit-on, répétait sans cesse : « Pourquoi m’a-t-on caché l’état des arsenaux ? » Les situations des divisions militaires témoignent. Au mois de janvier 1814, il y avait nombre de bataillons au complet d’effets et d’armes. Mais dans les dépôts, quelle misère ! Combien de soldats étaient dans l’état décrit par le général Préval, commandant le grand dépôt de cavalerie de Versailles : « Il vient de m’arriver une compagnie de chasseurs à cheval à laquelle il manque tout, moins les gilets et les pantalons d’écurie. » Deux hommes sur trois, en moyenne, étaient habillés[10], et, chose tout autrement grave, un homme sur deux était armé. Les dépôts de la 1er division militaire (Paris), le 1er janvier, comptaient 9,195 hommes présens et 6,530 fusils ; les dépôts de la 16e division, 15,789 hommes et 9,470 fusils. À Rennes, à Tours, à Perpignan, dans toutes les garnisons de l’ouest, du centre et du midi, c’était pire encore. Voici le 5e léger avec 545 hommes et 150 fusils, le 153e de ligne avec 1,088 hommes et 12 fusils, le 142e avec 324 hommes et 41 fusils, le 115e avec 2,344 hommes et 289 fusils. Les armes blanches même font défaut. Le 1er régiment de chevau-légers a 202 sabres pour 234 hommes, le 17 dragons 187 sabres pour 349 hommes, le 8e cuirassiers 92 sabres pour 154 hommes. — Cent dix, il est vrai, possèdent des pistolets ! — Les chevaux manquent à proportion. La ville de Paris est taxée d’une contribution extraordinaire de 1 million pour fournir 2,000 chevaux à l’artillerie. Au grand dépôt de Versailles, il y a 3,615 chevaux pour 18,577 cavaliers.
Les cohortes actives de la garde nationale, dont l’habillement, l’équipement et, en raison de l’état des arsenaux, l’armement même, incombaient à l’administration civile, n’étaient pas mieux pourvues. Ces hommes portaient la blouse, beaucoup des chapeaux ronds ; presque tous marchaient en sabots. Les plus militaires d’aspect avaient un shako, une giberne et un havre-sac. Moitié de l’armement se composait de mauvais fusils de chasse, obtenus à grand’ peine par les réquisitions. Certains bataillons arrivaient absolument sans armes dans les camps de concentration. Le 16 février, mille gardes nationaux s’armèrent sur le champ de bataille avec les fusils de l’ennemi.
En vain l’empereur multipliait les levées, doublait les impôts, abandonnait son trésor particulier aux différens services de la guerre[11], hâtait la fabrication des armes, les travaux des forteresses, la confection des munitions ; le temps et l’argent manquaient pour tout. Le grand malheur fut la soudaineté de l’invasion. L’entrée précipitée des alliés sur l’ancien territoire, dans les premiers jours de janvier, surprit la France en pleine organisation de défense. Ce coup d’audace arrêta le recrutement et la perception dans le tiers des départemens, jeta par tout le pays le trouble et l’épouvante, et contraignit l’empereur à jouer sa couronne sur une seule bataille, lui qui avait gagné cent batailles !
La France abattue n’eut pas un frémissement de révolte. L’idée métaphysique de la patrie violée qui en 92 avait eu, quoi qu’on en puisse dire, tant d’action sur un peuple jeune ou rajeuni par la liberté, cette idée ne souleva pas un peuple vieilli dans la guerre, las de sacrifices et avide de repos. Pour réveiller les colères et les haines, il fallut le fait brutal et matériel de l’occupation étrangère avec son cortège de maux, les réquisitions, le pillage, le viol, le meurtre et l’incendie. Loin que l’invasion, dans les premiers temps, élevât les cœurs et donnât à l’empereur une force morale sur laquelle il était en droit de compter et dont il avait tant besoin, l’esprit public s’affaissa plus encore. Sur certains points de la chaîne des Vosges, des partisans inquiétèrent le passage des avant-gardes ; dans quelques rares villes de Franche-Comté et de Bourgogne, à Dôle, à Chalon-sur-Saône, à Bourg-en-Bresse, les gardes nationales urbaines reçurent les Autrichiens à coups de fusil. Mais presque partout les alliés ne trouvèrent aucune résistance. Épinal se rendit à cinquante Cosaques, Mâcon à cinquante hussards, Reims à un peloton, Nancy aux coureurs de Blücher, Chaumont à un seul cavalier wurtembergeois ! Langres et Dijon, après avoir fièrement fermé leurs portes, capitulèrent, Langres au deuxième coup de canon et Dijon au deuxième parlementaire. Dans les campagnes, au cri : les Cosaques ! nombre d’habitans se sauvaient, emportant leurs meubles les meilleurs et poussant devant eux vers les bois les porcs et les vaches ; d’autres, confiant dans les proclamations des alliés, qui promettaient le respect des propriétés et le maintien sévère de la discipline, ne quittaient pas les villages. Ils s’efforçaient d’éviter les violences par leur empressement à satisfaire aux demandes des soldats et aux réquisitions des chefs. À la vérité, les différens corps français se repliaient partout devant les grandes armées alliées ; les généraux commandant les levées en masse dans les départemens frontières n’étaient pas arrivés à destination quand déjà s’avançait l’ennemi ; les préfets et sous-préfets quittaient le pays, d’après les ordres exprès de l’empereur, avec les dernières troupes françaises. Sans chefs, sans organisation et la plupart sans armes, les paysans pouvaient-ils s’opposer à la marche de 300,000 soldats ? Toutefois, ils étaient peu disposés à combattre. La misère où ils se trouvaient, les sacrifices qu’ils avaient déjà faits, leurs terres en friche et leurs enfans tués à Leipzig ou morts à Mayence, les avaient brisés à toutes les résignations. « La soumission des habitans encourage les alliés, » écrit le 31 janvier le duc de Vicence, que trois semaines passées dans les contrées envahies avaient mis à même de bien connaître l’état des esprits, « Il n’y a plus d’énergie en France, » écrit-il encore le 3 février. — « L’inertie est partout la même, » écrit de Chaumont le maréchal Mortier. « Dans la foule, dit le sous-préfet de Vervins, il n’y a que mollesse et lâcheté. Je vois tous les habitans sans émulation et sans énergie, insensibles à la honte d’une invasion. »
La nouvelle du passage du Rhin se répandit à Paris et dans les départemens limitrophes, les 6 et 7 janvier. Déjà quelques exemplaires de la proclamation de Schwarzenberg y étaient parvenus. Ce très habile manifeste, pour lequel le prince avait pris sa plume de diplomate, n’eut pas seulement comme effet de désarmer, en les rassurant, les populations rurales. Perfidement commenté, il excita dans la plupart des villes un sentiment nouveau et redoutable. « Les proclamations des alliés, écrivait le duc de Vicence, le 8 janvier, nous font encore plus de mal que leurs armes. » La proclamation de Loërach, conçue d’ailleurs dans le même esprit que la déclaration de Francfort, se résumait en ces deux termes : paix à la France, guerre à Napoléon. Les mécontens ne tardèrent pas à exploiter celle distinction établie par les alliés entre le pays et son souverain. Ils rapprochaient cette déclaration du fait de l’ajournement du corps législatif. À les entendre, l’empereur en congédiant les représentans de la nation avait lui-même prononcé son divorce avec la France.
Dans cette ligue tacite entre les libéraux et les royalistes, ceux-là, encore sans dessein arrêté, n’apportaient que leurs rancunes ; ceux-ci, parfaitement fixés sur le but, à atteindre, apportaient leurs espérances. Pour eux, les alliés n’étaient pas des ennemis ; c’étaient des libérateurs. Peut-on, d’ailleurs, donner le nom de conspiration à l’opinion et aux manifestations royalistes qui, en janvier, s’étendirent à peu près par toute la France sans prendre d’importance nulle part ? L’organisation faisait défaut, les moyens de communiquer étaient difficiles, car on ne savait à qui s’adresser avec assurance, les chefs manquaient, et aussi, dans une certaine mesure, les soldats. Les royalistes, en réalité, étaient fort peu nombreux, mais à son insu chacun servait leur cause, qui en déplorant l’état de la France, qui en répétant des nouvelles alarmantes, qui en écrivant du théâtre de la guerre des récits, malheureusement trop vrais, des événemens. Cette conspiration, qui n’était que la conspiration de l’opinion, des fonctionnaires eux-mêmes s’en faisaient les complices par leur manque de confiance et d’énergie. Ils sentaient la terre trembler, et ils pensaient au lendemain : leur zèle se ralentissait. À quoi bon se compromettre davantage pour une cause perdue ? Dans la moitié de la France, les préfets ne montraient que faiblesse ; ici, quittant leurs départemens, tandis que les troupes s’y maintenaient encore ; là, éludant les ordres d’arrêter les conspirateurs, hésitant à appliquer les décrets sur la conscription, en retardant le plus possible l’exécution, et y procédant sans vigueur. « Il est difficile d’être plus mécontent que je le suis de vos préfets, » écrit Napoléon à Montalivet. — « Les préfets et sous-préfets, écrit le duc de Vicence, ont désorganisé la défense en Alsace et en Lorraine. » Des maires dressaient à dessein des listes d’appel incomplètes ; d’autres abandonnaient leurs administrés à l’approche de l’ennemi ; d’autres cachaient les fusils et refusaient de les délivrer à ceux qui voulaient se défendre ; d’autres, serviles jusqu’à la trahison, envoyaient au nom des alliés des ordres de réquisition dans les villages voisins non encore occupés[12]. À Lyon, on chansonnait sur tous les tons le préfet, le maire, les conseillers municipaux, pour leur inertie et leur pusillanimité. Du sénateur Chaptal, qui ne savait rien organiser et qui avait le tort de manifester trop haut ses inquiétudes, on disait que « c’était un commissaire extraordinaire fort extraordinaire. » C’est par découragement, par désir de ne se point compromettre, ou encore, comme ce bon Panurge, par « paour naturelle des coups, » que la plupart des fonctionnaires avaient si peu d’énergie. Plusieurs cependant désiraient secrètement la chute de l’empire. Tel ce préfet de la Somme qui ne prenait aucune mesure contre les réfractaires, arrêtait le départ des conscrits, choisissait les officiers de la garde nationale parmi les anciens émigrés et nommait chef de cohorte un royaliste notoirement compromis, astreint à la surveillance de la haute police. Tel Anglès, le bras droit du duc de Rovigo, qui participait aux intrigues de Dalberg. Tel ce haut employé de la préfecture de la Seine, qui déblatérait dans un café contre l’empire, en ajoutant : « Mon opinion est indépendante de ma place. » Tel enfin ce procureur impérial, qui osait dire en plein salon : « Si les alliés voulaient payer la tête de Napoléon un ou deux millions, on la leur livrerait bientôt. »
Pour peu nombreux qu’ils fussent, les royalistes n’en étaient pas moins fort actifs. Ils s’employèrent d’abord à rappeler aux Français le nom oublié des Bourbons. Chaque jour, dans quelque ville, à Bordeaux le 28 décembre, à Troyes le 29, à Rennes le à jan- vier, à Abbeville le 6, à Cambrai le 8, à Agen le 9, à Dax et à Dieppe le 10, à Évreux et à Toulon le 11, à Marseille le 12, à Amiens le 14, à Paris, à Quimper, à Douai, à Angers le 15, à Moulins le 17, à Châteauroux le 22, à Rouen et à Laval le 28, on affichait des placards ou l’on colportait des proclamations déclarant que les alliés combattaient pour les Bourbons et respecteraient les maisons des royalistes, et promettant, avec le retour du roi légitime, la paix, la suppression des droits réunis et l’abolition de la conscription. « Français, lisait-on dans une proclamation de Louis XVIII, n’attendez de votre roi aucun reproche, aucune plainte, aucun souvenir du passé : il ne veut vous entretenir que de paix, de clémence et de pardon… Tous les Français ont droit aux honneurs et dignités ; le roi ne peut régner qu’avec le concours de la nation et de ses députés… Recevez en amis ces généreux alliés, ouvrez-leur les portes de vos villes, prévenez les coups qu’une résistance criminelle et inutile ne manquerait pas d’attirer sur vous, et que leur entrée en France soit accueillie par les accens de la joie. » — « Français, lisait-on dans une proclamation du prince de Condé, Louis XVIII, votre légitime souverain, vient d’être reconnu par les puissances de l’Europe. Leurs armées victorieuses s’avancent vers vos frontières… Vous aurez la paix et le pardon, l’inviolabilité des propriétés sera consacrée, les impôts seront diminués, vos enfans seront rendus à l’agriculture et remis dans vos bras…[13]. »
La paix, la suppression des impôts et l’abolition de la conscription, les partisans des Bourbons ne devaient pas se borner à faire valoir ces argumens, les meilleurs qui fussent, selon l’esprit de la population, en faveur du droit divin. Bientôt, comme les Vitrolles, les d’Escars et les Polignac, ils allaient renseigner les états-majors alliés sur l’opinion et les moyens de défense de Paris ; comme Lynch, comte de l’empire, ils allaient livrer Bordeaux aux Anglais ; comme le chevalier de Rougeville, « plein de zèle pour les alliés[14], » et comme le chevalier Brunel, « prêt à mourir pour les Cosaques, » ils allaient guider les colonnes ennemies dans leur marche contre l’armée française[15].
Les Bourbons, de leur côté, ne restaient pas inactifs. Encouragés par les nouvelles qui leur arrivaient de Paris, par les articles des journaux anglais et même allemands qui préconisaient et annonçaient une restauration, par l’attitude ambiguë des souverains alliés qui, sans rien leur promettre de positif, étaient loin de les décourager, ils se disposaient à seconder personnellement les efforts de leurs partisans. Le 1er janvier, le comte de Provence écrivait, et signait comme roi de France, la seconde proclamation d’Hartwell. Dans le courant du mois, le duc de Berri arrivait à Jersey, où il se trouvait à proximité de la Bretagne ; le comte d’Artois et le duc d’Angoulême s’embarquaient, le premier pour gagner la Franche-Comté par les Pays-Bas et la Suisse, le second pour rejoindre en-deçà des Pyrénées le quartier-général de Wellington. L’invasion leur ouvrait la France.
Les appels à la rébellion, l’inertie des fonctionnaires, et surtout les nouvelles de la marche de l’ennemi qui gagnait chaque jour du terrain, achevaient de perdre l’esprit public, créaient partout l’agitation et le désordre. Les levées des conscrits et des gardes nationales rencontraient une résistance extrême. Personne ne voulait plus partir. La cohorte active de Rouen était composée exclusivement de remplaçans ; on n’avait même pas pu trouver d’officiers. C’était à qui donnerait l’exemple de l’insoumission. Dans le Nord, le Pas-de-Calais, le Calvados, l’Eure-et-Loir, les Landes, la Haute-Garonne, surtout dans la Mayenne, les Deux-Sèvres, le Maine-et-Loire et la Loire-Inférieure, chaque séance de tirage au sort devenait émeute. Les appelés murmuraient, vociféraient, menaçaient. À Toulouse, ce placard fut affiché : « Le premier qui se présentera pour tirer au sort sera pendu. » Le 20 janvier, sur la demande du préfet de Nantes, qui craignait un soulèvement, la levée de 1815 fut ajournée de quinze jours. Le préfet de Maine-et-Loire écrivait : » L’insurrection de tout le département est à craindre. » Le préfet du Calvados : « À Caen, tout est prêt pour une révolution. » Malgré les gendarmes, les colonnes mobiles, les garnisaires, déserteurs, réfractaires, insoumis se multipliaient. Un détachement de conscrits de la levée des 300,000 hommes, comptant 177 présens au départ, n’en avait plus que 35 à l’arrivée. Si les soldats manquaient de fusils, les réfractaires savaient en trouver. Des bandes armées de 50, de 200, de 1,000 et même de 1,500 réfractaires parcouraient l’Artois, le Maine et l’Anjou, comme au temps de la chouannerie, fusillant avec les troupes, arrêtant les diligences, envahissant, la nuit, les villages pour forcer les conscrits à les suivre et piller les caisses des percepteurs. Moins nombreux, mais non moins menaçans pour les voyageurs, des groupes de réfractaires de 10 à 20 hommes dévalisaient les voitures et les malles-postes sur les routes de Lyon, de Toulouse, de Montpellier.
Le recouvrement des impôts soulevait les mêmes résistances que l’appel des conscrits. Grande émotion dans l’Orne, où le bruit se répand, le 12 janvier, que le gouvernement, à bout de ressources, va faire enlever, chez les particuliers, l’argenterie, les bijoux, le linge et le drap. Dans le Gers, un ancien page du comte de Provence parcourt les villages en exhortant les paysans à ne point payer les contributions additionnelles. À Marmande, un placard affiché porte que « les employés des droits réunis seront pendus en présence des Anglais. » Dans le Haut-Rhin, dans le Nord, dans la Somme, dans la Loire-Inférieure, on paraît tout disposé à ne pas attendre les Anglais pour procéder à cette exécution : des employés des droits réunis sont menacés, maltraités, mis en péril de mort. Le préfet d’Angers écrit : « La perception des impôts ne s’opère dans aucune commune. »
Pour cette campagne suprême, pour combattre l’ennemi sur le sol de la patrie, l’empereur n’avait ainsi ni soldats, ni armes, ni argent. Le quart de la France lui était hostile, le reste de la population demeurait inerte. La conspiration s’étendait dans toutes les villes, le découragement gagnait tous les esprits, déjà commençaient les trahisons. Napoléon était seul contre toute l’Europe, seul avec son génie et sa volonté.
À Paris, Châteaubriand commençait d’écrire sa brochure : Buonaparte et les Bourbons. Le mécontentement allait croissant, et dans les salons, dans les calés, à la Bourse, au foyer déserté des théâtres, on ne craignait pas de dire ce que l’on pensait. On répétait vingt fois par jour le mot attribué à Talleyrand : « C’est le commencement de la fin. » On discutait les chances des Bourbons ; on affirmait que l’intention des alliés était de rétablir l’ancienne monarchie, que le roi allait être couronné à Lyon, qui était déjà au pouvoir de l’ennemi. Un matin, on trouva fixé à la base de la colonne un papier portant ces mots : « Passez vite ; il va tomber. » Des caricatures circulaient où un Cosaque remettait à l’empereur la carte de visite du tsar. Tandis que dans le peuple, qui pourtant n’avait i)as grand’chose à perdre, on redoutait le sac et l’incendie, dans la noblesse on attendait avec moins d’effroi « les restaurateurs du trône, » et dans la bourgeoisie, particulièrement chez les femmes, on disait, entre deux parties de bouillotte : « Les Cosaques ne sont méchans que dans les gazettes. À leur entrée à Mâcon, les alliés ont donné des fêtes et dépensé beaucoup d’argent. Ils arriveront fort à propos à Paris, où il n’y a plus un sou, pour rendre à la capitale ses plaisirs et ses richesses. » Néanmoins, on enfouissait l’or et l’argenterie dans des cachettes, au fond des caves, et quelques personnes, entre autres les deux filles du duc de Rovigo, quittaient Paris ; — C’était, pour un ministre de la police, une singulière façon de rassurer l’esprit public ! — Personne ne croyait aux récits que faisaient les journaux des avantages remportés sur l’ennemi par les garnisons de la rive gauche du Rhin, ni aux tableaux qu’ils traçaient de la faiblesse de l’année alliée, de l’enthousiasme patriotique des campagnes, des farces innombrables qui se réunissaient à Châlons. En revanche, tout le monde ajoutait foi aux nouvelles répandues par les alarmistes, par les Allemands domiciliés à Paris, que la préfecture de police n’avait pas pensé à expulser, par les journaux étrangers qui pénétraient dans la capitale, malgré les mesures prises ou du moins ordonnées. Que ne disait-on pas ! Murat avait fait défection ; un million d’hommes avaient passé le Rhin ; les alliés combattaient pour les Bourbons ; l’impératrice n’avait pas voulu reconnaître le roi de Rome, et c’était la cause de l’entrée de l’Autriche dans la coalition ; Joseph n’était adjoint au conseil de régence qu’afin de surveiller les autres membres, tous d’intelligence avec Vienne : si l’empereur était victorieux, la garde nationale saurait lui imposer ses volontés. D’autres propos étaient plus sérieux. Aux gens qui prétendaient qu’un congrès était sur le point de se réunir, où le duc de Vicence conclurait la paix, on répondait, et en vérité Ton voyait bien juste : « Aucune des puissances ne veut la paix ; s’il en existait une seule qui y inclinât, lord Castlereagh, qui ne se rend au quartier-général que pour empêcher tout arrangement, croiserait ses vues. » On disait encore, comme si on eût lu dans le livre de l’avenir : « Paris est le point de mire des alliés ; c’est là qu’ils vont diriger tous leurs efforts, par la raison qu’une fois maîtres de Paris, ils le seront de l’empire[16]. »
En vain les journaux multipliaient les appels au patriotisme, en vain les orgues de Barbarie jouaient, par ordre, la Marseillaise, si longtemps proscrite, ni paroles ni musique ne trouvaient d’écho. Les demandes de dispense pour la garde nationale de Paris, demandes apostillées par les plus grands personnages de l’empire, s’amoncelaient dans les mairies. « Les hommes les plus valides se déclarent malades, » écrit le baron Pasquier. Trois compagnies d’artillerie de la garde nationale devaient être composées d’étudians en droit et en médecine. Le général de Lespinasse, chargé de faire rappel, ayant été accueilli par des huées, on dut renoncer à l’organisation de ces compagnies. Les enrôlemens volontaires dans la jeune garde ne s’élevèrent à Paris, en un mois, qu’à 291 hommes. Il faut remarquer, d’ailleurs, que tous les ouvriers sans travail âgés de dix-neuf à quarante-deux ans, qui avaient échappé aux différentes levées, étaient partis comme remplaçans. En raison du haut prix des remplacemens, les hommes dont le ménage ou la famille était dans la misère aimaient mieux remplacer que s’engager.
L’armée elle-même, disait-on dans Paris, ne voulait plus se battre, et l’on citait parmi les jeunes soldats des désertions, des suicides, des mutilations volontaires. On assurait qu’un détachement d’infanterie, traversant le pont de Bordeaux, avait jeté ses armes dans la Gironde. D’après un autre récit, comme un bataillon, se rendant à l’armée, défilait dans la rue Saint-Denis, les gens qui le regardaient passer dirent aux soldats qu’ils allaient à la boucherie. Plusieurs répondirent : « Nous allons chercher un louis ; au premier coup de feu, nous passerons du côté de l’ennemi. » Le fait était-il vrai ? Le rapport de police qui le relate paraît le mettre en doute. Ce dont, malheureusement, on ne peut douter, c’est de la situation lamentable des recrues à leur arrivée au grand dépôt de Courbevoie. Non-seulement les conscrits ne trouvaient pas toujours de pain, mais beaucoup d’entre eux ne trouvaient pas de gîte. Et ils étaient mal venus k réclamer auprès des officiers du dépôt, perdus de travail, affolés par le nombre énorme de conscrits à incorporer et à pourvoir de tout. On entendait ces réponses : « F…-moi le camp ; je n’ai pas le temps de m’occuper de vous[17] ! »
Or, des 50,000 conscrits qui, en trois mois, passèrent par cette caserne de Courbevoie, 1 pour 100 seulement déserta[18]. Quel témoignage à l’honneur des soldats de 1814 ! Ces enfans, ces jeunes mariés, ces soutiens de famille, qui, le cœur si gros, avaient quitté la chaumière où pleuraient la mère esseulée et la femme allaitant le nouveau-né, se transformaient vite à la vue du drapeau. Ils apprenaient des vieux cadres, hommes de bronze qui avaient conquis l’Europe enchantant, ces grands sentimens d’abnégation et ces heureux sentimens de belle insouciance dont est fait l’esprit militaire. Et quand, un jour de revue ou un jour de combat, l’empereur avait passé devant eux, ils subissaient sa fascination, et ils en arrivaient à se battre, non plus soutenus par le devoir, non plus animés par le patriotisme, mais bien véritablement pour Napoléon. On les appelait les Maries-Louises, ces pauvres petits soldats soudainement arrachés au foyer et jetés, quinze jours après l’arrivée au corps, dans la fournaise des batailles. Ce nom de Maries-Louises, ils l’ont inscrit avec du sang sur une grande page de l’histoire. C’étaient des Maries-Louises, ces cuirassiers sachant à peine se tenir à cheval, qui, à Valjouan, enfonçaient un carré bavarois et. Cabraient avec tant de fureur qu’ils ne voulaient pas faire de quartier. C’était un Marie-Louise, ce tirailleur qui, indifférent à la musique des balles comme à la vue des hommes frappés autour de lui, restait fixe à sa place sous un feu meurtrier sans riposter lui-même, et répondait au maréchal Marmont : « Je tirerais aussi bien qu’un autre, mais je ne sais pas charger mon fusil. » C’était un Marie-Louise, ce chasseur qui, à Champaubert, fit prisonnier le général Alsufiew et ne le voulut lâcher que devant l’empereur. Des Maries-Louises, ces conscrits du 28 de ligne qui, au combat de Bar-sur-Aube, défendirent un contre quatre les bois de Lévigny, en ne se servant que de la baïonnette ! Des Maries-Louises encore, ces voltigeurs du 14e régiment de la jeune garde qui, à la bataille de Craonne, se maintinrent trois heures sur la crête du plateau, à petite portée des batteries ennemies, dont la mitraille faucha 650 hommes sur 920 ! Ils étaient sans capote par 8 degrés de froid, ils marchaient dans la neige avec de mauvais souliers, ils manquaient parfois de pain, ils savaient à peine se servir de leurs armes, et ils combattaient chaque jour dans les plus meurtrières affaires ! Et pendant toute la campagne, pas un cri ne sortit de leurs rangs qui ne fût une acclamation pour l’empereur. Salut, ô Maries-Louises !
Chateaubriand a écrit, dans les Mémoires d’outre-tombe : « J’avais une si haute idée du génie de Napoléon et de la vaillance de nos soldats, qu’une invasion de l’étranger, heureuse jusque dans ses derniers résultats, ne me pouvait tomber dans la tête. Mais je pensais que cette invasion, en faisant sentir à la France le danger où l’ambition de Napoléon l’avait réduite, amènerait un mouvement intérieur, et que l’affranchissement des Français s’opérerait de leurs propres mains. » Faux jugement, espérances chimériques. La paix signée à Châtillon, à quelques conditions que ce fût, l’empereur n’avait rien à redouter de la France délivrée et rendue à ses foyers et à ses travaux. L’ennemi rejeté au-delà du Rhin, encore moins l’empereur aurait eu à craindre de la France transportée et enorgueillie par ses nouvelles victoires. Malgré les appels à la rébellion et les belles promesses des placards royalistes, malgré la calamité des événemens et la misère des temps, il s’en fallait que tous les Français conspirassent la chute de l’empire et tressaillissent de joie au seul nom des Bourbons. Ce roi inconnu, comment pouvait-il devenir populaire ? Ceux-là mêmes qui prêchaient son retour ne s’entendaient pas sur sa personne. Ici l’on désignait le comte de Provence, mais là c’était le comte d’Artois, ailleurs le duc d’Angoulême. Si le despotisme impérial avait fait des mécontens, ces mécontens n’étaient pas disposés pour cela à se mettre sous le « bon plaisir » royal. Si l’on voulait la liberté, on désirait aussi conserver l’égalité. On n’aimait guère les centimes additionnels et les droits réunis, mais on redoutait fort la dîme, la tyrannie locale des hobereaux, l’influence du clergé, la revendication des biens nationaux. Dans les campagnes, on se plaignait de la guerre et des impôts, on ne faisait pas pour cela de politique. Que la chambre fût muette, le sénat servile, Rovigo arbitraire, que le livre de l’Allemagne fût mis au pilon, que « la dame Récamier, » ou la « dame de Rohan, » ou « le sieur de Sabran, » fût expulsé par simple mesure administrative, oh ! en vérité, voilà de quoi les paysans s’inquiétaient bien peu !
À Paris même, l’empereur avait conservé de nombreux partisans. Le peuple entier était pour lui. Trois fois, le 24 décembre, le 26 décembre, le 22 janvier, Napoléon parcourut à pied les quartiers populeux ; partout il fut accueilli avec enthousiasme. Son visage calme inspirait à la foule la sécurité qu’il semblait exprimer. Les acclamations ne s’arrêtèrent pas. Des ouvriers s’approchèrent de lui, offrant leur bras pour combattre l’ennemi. « Seuls, quelques bourgeois, dit un rapport de police, affectèrent, par bon ton, de garder un silence improbateur. » Le 23 janvier, l’empereur reçut en audience solennelle les nouveaux officiers de la garde nationale parisienne, dont beaucoup n’étaient point des amis zélés du gouvernement. Bourrienne ne portait-il pas les épaulettes de capitaine ? Ces officiers, au nombre de neuf cents, se rangèrent dans la salle des maréchaux. L’empereur parut, et, bientôt après, entrèrent l’impératrice et Mme de Montesquiou, celle-ci tenant le roi de Rome dans ses bras. L’empereur dit qu’il allait se placer à la tête de l’armée, et qu’avec l’aide de Dieu et la valeur des troupes, il espérait repousser l’ennemi au-delà des frontières. Prenant alors l’impératrice d’une main et le roi de Rome de l’autre, il ajouta : « Je confie au courage de la garde nationale l’impératrice et le roi de Rome. » — « Ma femme et mon fils, » reprit-il d’une voix émue. À ces derniers mots, un grand cri de : Vive l’empereur ! — « mais un cri à fendre les voûtes, » — retentit dans la salle ; les rangs furent rompus. Tous les officiers, plusieurs les larmes plein les yeux, s’approchèrent du groupe auguste, témoignant de leur émotion par ce mouvement spontané. Le jour même, une adresse à l’empereur fut signée dans les légions, encore que le général Hullin, commandant de place, eût tenté de s’y opposer au nom de la discipline. Entre autres protestations de fidélité et de dévoûment, l’adresse contenait cette phrase caractéristique : « En vain les ennemis ont conçu l’injurieux espoir de diviser la nation, A la haine, à l’animosité que leur inspire la crainte de votre génie, vos fidèles sujets opposeront leur amour et la confiance que les vicissitudes de la fortune n’ont pas détruits. » Le lendemain, l’impression des paroles de l’empereur était restée si profonde que quelques beaux esprits prirent à tâche de l’atténuer. À les entendre, la scène grandiose de la salle des maréchaux n’était qu’une comédie dont Talma avait réglé les répétitions.
Le départ de l’empereur pour l’armée, le 25 janvier, à quatre heures du matin, ranima l’espérance. On ne pouvait croire que le capitaine, si longtemps invincible, ne retrouvât pas sa fortune sur le sol envahi de la France. On disait que toutes les chances étaient pour l’empereur, qu’il avait deux cent mille soldats à Châlons, qu’un traité secrètement conclu avec Ferdinand VII allait lui rendre les vieilles troupes d’Aragon et de Catalogne, que les alliés effrayés ne demandaient qu’à signer la paix. Aux premières nouvelles des combats de Saint-Dizier (27 janvier) et de Brienne (29 janvier), que les journaux officieux, — mais ne l’étaient-ils pas tous ? — représentaient comme de grands succès, la Bourse monta en trois jours de plus de 2 francs. Le 1er février, à l’Opéra, où l’on donnait la première représentation de l’Oriflamme, le public nombreux et enthousiaste s’attendait à voir l’impératrice, le roi Joseph et même le roi de Rome, et à entendre sur la scène l’annonce officielle de la grande victoire. Fausse joie, espérances d’un jour. Dès le lendemain, 2 février, la note du Moniteur, qui parle du combat de Brienne comme d’une simple affaire d’arrière-garde, répand l’inquiétude. Le 4, les nouvelles de la défaite de la Rothière et de la retraite de l’armée impériale jettent la consternation. La rente tombe à 47.75. Le change monte à 40 et 50 pour 1,000 sur l’argent, à 90 et 100 sur l’or : encore beaucoup de changeurs ne veulent-ils donner de l’or à aucun prix. La foule se porte à la Banque pour le remboursement des billets, remboursement qui, par arrêté du 18 janvier, ne peut pas excéder 500,000 francs par jour. Au mont-de-piété, le maximum du prêt est fixé à 20 francs, quelle que soit la valeur de l’objet engagé. Les employés de la préfecture de police ne suffisent pas aux demandes de passeports : 1,300 sont délivrés dans une seule journée. Beaucoup de magasins se ferment ; les autres restreignent leur étalage. Les maçons retrouvent de l’ouvrage : on les emploie à pratiquer des cachettes dans les murailles ! De crainte que les routes ne soient coupées par les partis ennemis, on s’approvisionne comme pour un siège. Le décalitre de pommes de terre se vend 2 francs au lieu de 6 sous. Le riz, les légumes secs, le porc salé doublent de prix. Le peuple, affamé par cette hausse subite, murmure : si les riches prennent la nourriture des pauvres, on ira la chercher chez eux. Au gouvernement, l’inquiétude est extrême. L’impératrice ordonne des prières de quarante heures à Sainte-Geneviève. Le roi Joseph multiplie ses lettres à l’empereur, lui demandant ses instructions pour le cas où l’ennemi arriverait sous Paris. Le directeur des musées sollicite instamment l’autorisation d’emballer les tableaux du Louvre. Déjà une partie du trésor impérial est chargée dans des fourgons au milieu de la cour des Tuileries. Près des barrières, on entend ces cris : « Les Cosaques arrivent ! Fermez les boutiques ! »
La panique dura huit jours. On disait l’armée française en déroute, Troyes en flammes, le maréchal Mortier tué, le prince vice-connétable grièvement blessé. Six cents canons étaient tombés aux mains de l’ennemi. Les jeunes soldats avaient lâché pied, et l’empereur les avait fait sabrer par ses grenadiers à cheval. Les alliés exigeaient que Napoléon prît le titre de roi et cédât la Belgique, l’Italie, l’Alsace, la Franche-Comté, la Lorraine et la Bresse. La régence, ajoutait-on, a perdu tout espoir. Le roi Joseph, l’impératrice, les ministres sont au moment de partir pour Blois ou Tours ; la princesse de Neufchâtel, les duchesses de Rovigo et de Montebello sont parties. Si quelqu’un s’avisait d’exprimer ses doutes sur l’entrée imminente des alliés à Paris, on le soupçonnait d’être payé par la police. Au faubourg Saint-Germain, on précisait le jour de leur arrivée. Ce devait être le 11 février, le 12 au plus tard.
Le 11 février, ce ne fut pas l’armée alliée qui arriva à Paris, ce fut le bulletin de Champaubert. Joseph reçut le courrier du quartier impérial, à dix heures du matin, comme il passait en revue dans la cour des Tuileries les 6,000 grenadiers et chasseurs de la garde nationale. Les vivats et les acclamations des miliciens, bientôt répétés par la foule qui assistait à la revue sur la place du Carrousel, accueillirent la nouvelle de la victoire ; les cris redoublèrent quand le petit roi de Rome, en uniforme de garde national, se montra à l’une des fenêtres du palais. La foule, rompant le cordon des troupes, se rua jusque dans les vestibules des Tuileries, aux cris de vive l’empereur ! À la Bourse, où la rente monta de plus de 3 fr., trois salves d’applaudissemens, — une salve par franc, — saluèrent la lecture de la dépêche. Sur les boulevards, dans les rues, aux Champs-Elysées, on écoutait tonner le canon des Invalides, muet depuis si longtemps, et chacun s’abordait pour parler de la bataille et prédire de nouvelles victoires. « Pas un seul étranger, disait-on, ne repassera le Rhin[19]. » Au Jardin des Tuileries, la police arracha des mains de la foule un homme qui avait eu l’imprudence de dire « que les affaires se seraient terminées bien plus tôt si l’ennemi était entré dans la capitale. » Le soir, dans tous les théâtres, un acteur fit la lecture publique du bulletin, qu’interrompaient à chaque mot, à chaque phrase, les cris et les applaudissemens. À l’Opéra, aussitôt la lecture achevée, l’orchestre entonna l’air : la Victoire est à nous ! et les chanteurs et les choristes, en costume de chevaliers, — on jouait Armide, — s’élancèrent des coulisses sur la scène, reprenant avec l’orchestre : la Victoire est à nous ! Paris était transformé. La joie qui éclatait dans cette belle journée était bien naturelle : depuis six mois, il n’y avait pas eu de bataille gagnée. On n’était pas habitué à cela sous l’empire.
Au bulletin de Champaubert succéda celui de Château-Thierry ; puis vinrent ceux de Montmirail, de Vauchamps, de Nangis, de Montereau, de Troyes. Chaque jour une nouvelle victoire venait raviver l’enthousiasme qu’avait excité la précédente. On disait que la paix ne tenait plus qu’à la médiatisation d’Anvers, et si grande, au reste, était la confiance dans les succès de l’empereur, que l’on déplora la retraite de l’armée autrichienne sur l’Aube, parce que, affirmait-on, « Schwarzenberg a échappé par là à une défaite complète. » Le 16 février, une première colonne de 5,000 prisonniers russes et prussiens entra à Paris, escortée par des grenadiers de la garde nationale, et défila sur les boulevards. La population entière, que les journaux avaient avertie, se porta à sa rencontre ; la Bourse elle-même était désertée. Les généraux russes, qui marchaient à cheval et sans épée en tête des troupes, furent reçus aux cris de : « Vive l’empereur ! Vive Marie-Louise ! À bas les Cosaques ! » Dans la rue Napoléon (rue de la Paix) et sur la place Vendôme, on cria : « Vive la Colonne ! » protestation patriotique contre le projet que l’on supposait aux alliés de détruire ce monument. À plusieurs reprises, les gendarmes d’escorte firent reculer la foule, où quelques individus proféraient des Insultes et des menaces. Ces manifestations cessèrent au passage des soldats, dont la misère et l’aspect sordide inspiraient la pitié. Vêtus de haillons qui n’avaient plus caractère d’uniforme, presque tous la tête nue ou enveloppée de lambeaux de linge sale, portant de grandes marmites au dos, ils évoquaient plutôt l’idée d’un troupeau de bohémiens ou d’une chaîne de galériens que celle d’un convoi de prisonniers de guerre. Ils tendaient les mains à la foule et montraient leur bouche ouverte, cherchant par ces gestes désespérés à exprimant qu’ils avaient faim[20]. On courut chez les marchands des boulevards et des rues adjacentes. Bientôt on put distribuer à ces malheureux du pain, des provisions, de l’argent, des vêtemens qu’ils recevaient avec toutes sortes de cris barbares et en portant la main sur leur cœur. Le 17 février, le 18, chaque jour, pendant une semaine, de nouvelles colonnes de prisonniers défilèrent par Paris, inspirant la même commisération, provoquant les mêmes charités, et affermissant aussi la confiance dans le triomphe final de l’empereur. Cette confiance s’accroissait de ce fait que les prisonniers russes et prussiens d’un côté et les prisonniers autrichiens de l’autre se montraient une mutuelle animosité. Les premiers disaient que l’inaction des Autrichiens avait causé leurs défaites ; les seconds ripostaient que c’était la folle témérité de Blücher qui avait conduit l’armée de Silésie à des désastres mérités. Ils se traitaient de cosaques et de mangeurs de choucroute, passaient des injures aux menaces et des menaces aux coups. Le général Hullin dut donner l’ordre de les séparer dans les marches et les cantonnemens. On concluait de ces discordes que la mésintelligence régnait aussi aux armées et parmi les états-majors, — ce qui était vrai, — et on en augurait bien pour la suite des événemens.
Paris avait recouvré la sécurité. On commençait à plaisanter ceux qui avaient envoyé leur mobilier en province ou caché leur or dans les caves. On distribuait aux blessés et aux prisonniers les provisions amassées pendant les jours d’alarmes. Les plaisirs, sinon les affaires, reprenaient. Des masques coururent les boulevards pendant les jours gras ; il y eut foule aux derniers bals de l’Opéra, qui furent très gais, « bien que, dit assez naïvement le préfet de police, la société fût très mal composée en femmes. » Le Palais-Royal reprit son diable au corps. On dansait aux Wauxhall, au bal Tarare, au Cirque de la rue Saint-Honoré. Dans les salons, on causait de la mort de Bernardin de Saint-Pierre, de celle de Geoffroy, le célèbre écrivain des Débats, et du Mémoire du jeune Villemain : Sur les avantages et les inconvéniens de la critique, que l’Académie française avait récemment couronné. MM. Aignan et Baour-Lormian, candidats en présence, faisaient leurs visites comme si de rien n’était. M. Denon, qui cumulait les directions du musée et des médailles, ne pensait plus à sauver les tableaux du Louvre. Il s’agissait bien de cela ! on gravait la médaille de Champaubert. Les théâtres encaissaient les plus belles recettes. Beaucoup de gens y venaient, comme à la Bourse d’ailleurs, en uniforme de garde national : c’était la mode du moment. On applaudissait les couplets et les tirades patriotiques des pièces de circonstance. L’Opéra donnait l’Oriflamme ; le théâtre de l’Impératrice, les Héroïnes de Belfort ; les Variétés, Jeanne Hachette ; l’Ambigu, Philippe-Auguste ; la Gaîté, Charles Martel ; le Cirque français, le Maréchal de Villars ; le théâtre Feydeau, Bayard à Mézières :
Entends le chevalier sans peur !
Des murs de Mézière il te crie :
Viens de ton glaive au champ d’honneur
Faire un rempart à la patrie !
La Comédie-Française annonçait la Rançon de Duguesclin, avec
Talma et Mlle George. Le Vaudeville jouait l’Honnête Cosaque de
Désaugiers, satire des prétendues intentions pacifiques des souverains alliés et de la prétendue discipline de leurs soldats.
Le jour, c’étaient d’autres spectacles : les revues, les défilés de troupes, enfin, le dimanche 27 lévrier, la présentation à l’impératrice des drapeaux pris sur l’ennemi dans les combats de Champaubert, de Montmirail et de Vauchamps. Toute la garnison de Paris était massée sur la place du Carrousel ; le cortège, composé de détachemens de la garde nationale, de la garde impériale et de la ligne, avait à sa tête le général Hullin, commandant la première division militaire. Dix officiers de différentes armes portaient les dix drapeaux : un autrichien, cinq russes et quatre prussiens. Les troupes présentèrent les armes, les tambours battirent aux champs. L’impératrice, entourée des grands dignitaires et des ministres, reçut les drapeaux dans la salle du trône. Aux paroles emphatiques de Clarke, qui se crut obligé de rappeler Charles Martel et les Sarrasins, elle fit cette simple et belle réponse : « Je vois ces trophées avec émotion. Ils sont à mes yeux des gages du salut de la patrie… »
Sans doute, nombre de gens ne jugeaient pas ces victoires décisives et s’attendaient à voir, tôt ou tard, l’empereur repoussé sur Paris. Mais devant la nouvelle attitude de la population, ils n’osaient plus dire tout haut leur pensée. Les alarmistes faisaient trêve. Les plus sûrs témoignages marquent le relèvement de l’esprit public à l’écho du canon de Champaubert et de Vauchamps. Le baron de Mortemart écrit à l’empereur : « Paris est étonnamment changé. La stupeur dans laquelle je l’avais laissé a fait place à la joie et à l’enthousiasme. On est dans la plus grande sécurité. » Le général Hullin, rebelle à toute illusion, dit dans l’un de ses rapports : « l’esprit public est bon et devient chaque jour meilleur. » Le préfet Pasquier, moins optimiste encore que Hullin, dit de son côté : « Jamais l’enthousiasme n’a été ni plus vif ni plus général. » Mortemart est dévoué, Hullin et Pasquier sont tièdes. Écoutons les ennemis : « Un changement subit s’opéra dans l’opinion, dit un officier anglais, prisonnier sur parole. Du plus grand abattement on passa à une confiance sans mesure. » — « Dès ce moment, dit l’Espagnol Rodriguez, dans un livre qui n’est, de la première page à la dernière, qu’une abominable diatribe contre l’empereur, dès ce moment, la joie et l’allégresse, dont les Parisiens ne peuvent pas se passer bien longtemps, commença à renaître et à se montrer dans les spectacles, dans les sociétés et partout ailleurs. » Il existe enfin un autre témoignage non moins décisif, celui de la Bourse, de la Bourse que ne guident ni les sentimens généreux ni l’esprit de sacrifice. La rente, qui, à dater du 8 janvier, avait oscillé entre les cours de 48 et de 50 francs, et qui, à la nouvelle de la défaite de la Rothière, le 4 février, était tombée à 47.75, la rente monta, le 11 février, à la nouvelle de la victoire de Champaubert, à 56.50, et, jusqu’au 3 mars, les cours se maintinrent entre 57 et 54[21]. Une telle hausse prouve que l’on avait repris confiance dans ! la Fortune napoléonienne, — cette divinité à laquelle les anciens eussent élevé des autels. Le raisonnement, que les succès de l’empereur ne servaient qu’à ajourner sa chute sans l’empêcher, ; ne convainquait personne. Si la Bourse eût pensé ainsi, elle eût baissé à la nouvelle des victoires françaises, puisque ces victoires ne faisaient que retarder le triomphe définitif des alliés, c’est-à-dire la paix. Comme la France entière, la Bourse voulait la paix ; mais cette paix, comme tous les Français, elle l’espérait glorieuse ; comme tous les Français, elle la voyait déjà imposée à l’ennemi par l’empereur victorieux.
Tandis que ces batailles gagnées élevaient les cœurs et ranimaient les esprits à Paris et en province[22], dans les départemens envahis, les forfaits des Cosaques et des Prussiens excitaient les colères vengeresses[23]. En franchissant les frontières, les alliés avaient lancé les plus rassurantes proclamations, et, aux premiers jours de l’invasion, ils avaient en effet maintenu la discipline. Mais déjà la jactance des officiers, leurs propos blessans, leurs façons de dire qu’ils étaient venus pour « museler » la France, irritaient les habitans, que ne mécontentait pas moins l’énormité des réquisitions. À Langres, outre les denrées nécessaires à la nourriture des troupes, on dut livrer, dans le délai de deux jours, 1,000 chemises, 1,000 paires de guêtres, 500 manteaux de drap blanc pour la cavalerie, 500 manteaux de drap brun pour l’infanterie et 2,200 culottes, dont 1,000 de drap bleu de ciel. Trois semaines après, les trois arrondissemens de Langres, Chaumont et Vassy étaient de nouveau taxés à 26,000 aunes de drap et à 50,000 aunes de toile ; cela sans préjudice des réquisitions particulières imposées aux communes. Vicq, qui comptait à peine 1,000 âmes, fournit en huit jours aux Russes 560,000 livres de pain, 28,000 livres de viande, 360 pièces de vin et eau-de-vie, 40,000 livres de pommes de terre, de farine et du fourrage à proportion, et enfin 650 cordes de bois sec, et 500 livres de chandelles[24]. Sur tout le territoire occupé, c’étaient les mêmes réquisitions : dans l’Aube, où Troyes fut taxée par le prince Hohenlohe à 150,000 fr. argent, à 18,000 quintaux de farine, 12,000 pièces de vin, 3,000 pièces d’eau-de-vie, 1,000 bœufs, 18,000 quintaux de foin et 344,000 rations d’avoine ; dans la Marne, où les caves furent vidées ; dans la Meurthe, dans la Côte-d’Or, dans l’Yonne, dans Seine-et-Marne, dans l’Aisne, où l’ennemi prit 6,000 chevaux, 7,000 bêtes à cornes et 40,000 moutons. Les alliés prétendaient aussi faire payer à leur profit les contributions arriérées de 1813 et les contributions échues de l’année courante. Les percepteurs, ainsi d’ailleurs que tous les fonctionnaires publics, étaient tenus de servir les alliés comme ils avaient servi le gouvernement français. Nombre d’agens de l’administration ayant pris la fuite, les généraux nommaient à leur place d’autres personnes qui devaient, sous peine de déportation immédiate, accepter les fonctions qu’on leur attribuait[25].
Les réquisitions, c’était bien pour faire vivre et même pour habiller l’armée à peu de frais ; ce n’était pas assez pour contenter les soldats. À mesure que les coalisés pénétrèrent plus avant dans le pays et surtout à leurs premiers revers, ils marchèrent avec le pillage, le viol et l’incendie. « Je croyais, dit un jour le général York à ses divisionnaires et brigadiers, avoir l’honneur de commander un corps d’armée prussien ; je ne commande qu’une bande de brigands. » Souvent, il faut le reconnaître, la soldatesque agissait à l’encontre des proclamations et des ordres du jour des généraux, et malgré les efforts des officiers. Par malheur, ces belles proclamations et ces sévères ordres du jour étaient imprimés en français. Les Cosaques, les Baskirs, les Kalmouks n’entendaient pas cette langue, et les affiliés du Tugen Bund affectaient de l’avoir oubliée. D’autre part, au milieu de cette foule d’hommes de différentes nations et en raison des divisions qui régnaient entre eux, l’autorité des officiers était presque nulle. Même les sauvegardes écrites n’étaient point respectées. Détail comique, un maire des environs de Pont-sur-Yonne, mandé chez un général, fut dépouillé de ses souliers par le factionnaire, à la porte du quartier-général, et dut entrer nu-pieds dans le salon. Le prince de Metternich affectait de s’apitoyer sur les misères de cette campagne ; il écrivait à Caulaincourt : « Les Mesgrigny ont le bonheur de me posséder dans leur hôtel, bonheur véritable, car je ne les mange pas. C’est une vilaine chose que la guerre, mon cher duc, et surtout quand on la fait avec 50,000 Cosaques et Haskirs. » Les officiers d’une armée rejetaient tous les excès et toutes les violences sur les troupes des autres armées, et ils refusaient d’intervenir quand ce n’étaient pas leurs propres soldats qui étaient en cause. À Moret, un général autrichien répondit au maire, qui le conjurait d’arrêter le pillage de la ville par les Cosaques : « Ils sont Russes ; je n’ai aucun droit sur eux. » À Chaumont, le grand-duc Constantin, ému par les larmes d’un malheureux jardinier dont on pillait la maison, l’accompagna jusqu’à sa rue. Il reconnut de loin l’uniforme autrichien : « Ah ! dit-il en éclatant de rire, ce sont les soldats du papa beau-père ! Je n’ai point à commander ici. »
Que de fois, au reste, c’était par ordre exprès des généraux que cités et villages étaient saccagés ! On portait à la connaissance des troupes que le pillage était autorisé pour deux heures, quatre heures, une journée entière. Les soldats, cela se conçoit, en prenaient toujours plus qu’on ne leur en accordait. Troyes, Épernay, Nogent, Sens, Soissons, Château-Thierry, plus de deux cents villes et villages furent littéralement mis à sac. « Les généraux, disent des témoins oculaires, regardaient le pillage comme une dette qu’ils acquittaient à leurs troupes. »
Tantôt les soldats se ruaient à la curée avec des élans sauvages, tantôt ils procédaient de sang-froid, calmement, méthodiquement. Parfois ils daignaient rire. Un de leurs divertissemens favoris consistait à mettre nus hommes et femmes et à les chasser à coups de fouet vers les bois, par des froids de 10 degrés. Ils ne s’amusaient pas moins lorsqu’ils faisaient courir autour d’une table, le nez pris dans des pincettes, les notables du village, le maire, le curé, le médecin, ou encore lorsque, dans la cour d’un collège, devant les élèves assemblés, ils donnaient la schlague au principal, dépouillé de tous ses vêtemens. Simples jeux que tout cela, bons à occuper les loisirs de la garnison. Mais quand, le soir d’une bataille gagnée, le lendemain d’une défaite ou même à la suite d’un mouvement quelconque, Cosaques ou Prussiens pénétraient dans une ville, dans un village, dans une ferme, dans un château, toutes les épouvantes y entraient avec eux. Ils ne cherchaient pas seulement le butin ; ils voulaient faire la ruine, le deuil, la désolation. Ils étaient gorgés de vin et d’eau-de-vie, leurs poches étaient pleines de bijoux, leurs havres-sacs bondés d’objets de toute sorte, les chariots qui suivaient leurs colonnes chargés de meubles, de bronzes, de livres, de tableaux. Ce n’était pas assez. Comme ils ne pouvaient cependant tout emporter, il fallait que la destruction achevât l’œuvre du pillage. Ils brisaient les portes, les fenêtres, les glaces, arrachaient les boiseries, incendiaient les granges et les meules, brûlaient les charrues et en dispersaient les ferremens, arrachaient les arbres fruitiers et les pieds de vigne, faisaient des feux de joie avec les meubles, les rideaux, la literie, jetaient au ruisseau les fioles et les bocaux des pharmaciens, défonçaient les barriques devin et d’eau-de-vie et en inondaient les caves.
À Soissons 50 maisons furent entièrement brûlées, à Moulins 60, à Mesnil-Sellières 107, à Nogent 160, à Busancy 75, à Château-Thierry, à Vailly, à Chavignon, plus de 100, à Athies, à Mesbrecourt, à Corbény, à Clacy, toutes ! Fidèles aux leçons, de Rostopchin, les Cosaques commençaient par enlever ou par briser les pompes. La lueur des incendies éclairait des scènes atroces. Les hommes étaient frappés à coups de sabre et de baïonnette ; dépouillés nus et attachés au pied du lit, ils devaient assister aux violences exercées sur leurs femmes et leurs filles ; d’autres étaient torturés, fustigés, chauffés jusqu’à ce qu’ils révélassent le secret des cachettes. Les curés de Montlandon et de Rolampont (Haute-Marne) furent laissés morts sur place. À Bucy-le-Long, les Cosaques grillèrent les jambes d’un domestique nommé Leclerc, laissé à la garde d’un château. Celui-ci persistant à se taire, ils lui emplirent la bouche de foin et y mirent le feu. À Nogent, Hubert, marchand de drap, tiré aux quatre membres par une dizaine de Prussiens, fut quasi écartelé ; une balle bienfaisante mit fin à ses souffrances. À Provins, on jeta un enfant sur les flammes pour faire parler la mère. Ni l’enfance ni la vieillesse ne trouvaient grâce devant la cupidité et la luxure. Une femme de quatre-vingts ans portait un diamant au doigt. La bague était étroite : un coup de sabre trancha le doigt. Des septuagénaires, des filles de douze ans furent violées. Pour le seul canton de Vendeuvres, on évalue à cinq cent cinquante les personnes des deux sexes qui moururent des suites des mauvais traitemens. Parmi celles-ci, il faut citer cette Lucrèce rustique qui, ne pouvant vivre avec le souvenir des outrages qu’elle avait subis, se jeta dans la rivière.
À Château-Thierry, les Russes de Sacken commencèrent le pillage pendant la journée du 12 février ; les Prussiens d’York le continuèrent dans la nuit et pendant la matinée du lendemain. Tout fut saccagé. Comme à Moscou, les Russes commencèrent par ouvrir les prisons à la tourbe des malfaiteurs pour se faire aider dans leur œuvre infernale. Ils envahirent les maisons, les hospices, les collèges, les couvens, les églises, pillant, violant, massacrant, dévalisant toutes les boutiques, forçant les troncs et les tabernacles, volant les objets sacrés, frappant du fer des lances les prêtres et les religieuses. On compta dix-sept morts. Une femme âgée fut violée sur le cadavre de son mari ; une jeune fille, après avoir subi le même outrage, reçut un coup de lance dont elle mourut le lendemain ; d’autres furent jetées dans les écluses. Un homme contraint de servir de guide à un détachement fut mené à coups de fouet et la cordeau cou. À l’arrivée, on lui logea une balle dans la tête. La nuit, des Prussiens entrèrent dans un pensionnat de jeunes filles. La directrice, les sous-maîtresses, les servantes sont violées. Puis entendant les lamentations des jeunes filles enfermées au dortoir, les soldats en brisent la porte. Affolées de terreur, les malheureuses, presque nues, se réfugient au fond de la salle et s’entassent les unes sur les autres « comme un troupeau de moutons qui ont peur. » Ce spectacle remue au cœur des Prussiens le peu qui y reste de pitié et d’honneur ; ils ont honte d’eux-mêmes : lentement, un à un, ils se retirent, non sans avoir d’ailleurs dévalisé tout le couvent avec la plus grande conscience. À Montmirail, cinquante Cosaques arrivèrent le jour de la foire : « Il y avait beaucoup de monde dans les rues, raconte un habitant, mais chacun se sauva. Le chef fit donner un coup de caisse et expliqua que l’on pouvait circuler librement. Les Cosaques partirent. Une grande heure après, ils revinrent au nombre de quatre ou cinq cents, chargèrent la foule, frappant de la lance et du sabre, piétinant ceux qu’ils renversaient ; plusieurs personnes furent grièvement blessées. Alors ils descendirent de cheval et arrêtèrent une trentaine d’individus. L’un d’eux, dépouillé nu, fut attaché sur une chaise, les pieds dans un baquet de neige fondue, en face de sa maison, dont il dut assister au pillage et au bris. Les Cosaques prirent aussi quinze des notables, les mirent nus et leur donnèrent à chacun cinquante coups de knout. Ils déshabillèrent les hommes et les femmes. Moi-même, j’ai été volé par un chef à qui mes habits et mes bottes convenaient. En majeure partie, des filles et femmes ont été violées, même dans la rue. Il y en a eu qui se sont jetées par les fenêtres pour se soustraire aux outrages. Des pères eurent les mains coupées à coups de sabre en voulant retirer leurs filles des mains de ces brutaux. » À Crézancy, une reconnaissance de gardes d’honneur débouchant à l’improviste dans le village vit ceci : le maire accroché et étranglé à une colonne de son lit ; à ses pieds sa jeune femme violée et évanouie ; sous le berceau de l’enfant, un fagot allumé. Dans le verger voisin, des Cosaques ivres, forçaient à coups de knout des femmes à danser avec eux et le ménétrier à leur jouer du violon. À Sens, le pillage dura neuf jours, — du 11 au 20 février. — « Ces furieux, rapporte l’adjoint, parcourent la ville de jour et de nuit, pénétrant dans toutes les maisons, enfonçant les armoires, secrétaires, commodes, s’emparant de l’argent, des bijoux, du linge, brisant les glaces et les meubles. Les instrumens et outils de toutes professions sont arrachés à leurs propriétaires, cassés, brûlés et dispersés. Des religieuses sont outragées, les temples profanés, les tabernacles forcés, les vases sacrés volés. Des femmes et des filles à peine nubiles sont violées sous les yeux de leurs maris et de leurs parens… Ces scènes d’horreur sont répétées tous les jours jusqu’à l’évacuation de la ville. » Suprême ironie, en quittant cette ville de Sens où il avait présidé au pillage, le prince héritier de Wurtemberg, beau comme un jeune dieu, réquisitionnait vingt-quatre paires de gants blancs !
En exaspérant la population, ces exploits de bachi-bozouks et de chauffeurs ramenaient à Napoléon les plus hostiles et armaient les moins belliqueux. Un professeur nommé Dardenne, ardent républicain, écrivait de Chaumont : « Admirez la versatilité de mes opinions. Vous savez combien peu j’aimais ce guerrier farouche à qui, jusqu’à ce jour, ont été soumis les destins de la France… Eh bien ! aujourd’hui, je prie les dieux pour la prospérité de ses armes, tant la honte de voir mon pays au pouvoir de ces odieux Cosaques l’emporte sur tous mes autres sentimens. » Le général Allix écrivait d’Auxerre : « l’esprit parmi le peuple va toujours en s’exaspérant, et les fauteurs de l’ennemi n’osent plus élever la voix. » Le général Pire écrivait de Chaumont : « Je suis assailli par des paysans qui me demandent des armes et de la poudre. » Enfin, le préfet de Seine-et-Marne résumait l’opinion générale par ces mots : « Les habitans se consoleront des malheurs passés et sont prêts à de nouveaux sacrifices, pourvu qu’il soit fait justice des Cosaques[26]. » Et lorsque les paysans, si cruellement désabusés sur les promesses des proclamations, s’écriaient qu’ils étaient prêts « à poursuivre les ennemis comme des bêtes féroces, » ce n’étaient point de vaines menaces. Lorrains, Comtois, Bourguignons, Champenois, Picards saisissaient les fourches, les vieux fusils de chasse échappés aux réquisitions préfectorales comme aux perquisitions des alliés, ramassaient sur les champs de bataille les fusils des morts et couraient sus à l’ennemi, s’il ne se présentait pas en trop grande force ou s’il battait en retraite. À Montereau, à Troyes, dans la dernière heure du combat, les habitans firent pleuvoir des tuiles, des meubles sur la tête des Autrichiens, les fusillèrent à travers les volets et les soupiraux des caves. À Château-Thierry, des ouvriers amenèrent sous les balles prussiennes des barques aux soldats de la garde. En Bourgogne, en Dauphiné, en Nivernais, en Brie, les paysans, organisés en compagnies franches ou accourant au son du tocsin, combattaient à côté des troupes régulières. Entre Montmédy et Sezanne, sur une étendue de plus de 40 lieues à vol d’oiseau, des villages étaient complètement désertés par leurs habitans, qui se réfugiaient dans les bois et s’y défendaient énergiquement.
Le curé de Pers, près Montargis, se fit chef de partisans. À la tête d’une dizaine d’hommes armés de fusils à deux coups, il défendait son village, dressait des embuscades au loin, arrêtait les convois. En sa qualité de commandant, il marchait à cheval, la soutane retroussée, le sabre au côté et le fusil en bandoulière ; mais à la moindre alerte, il mettait pied à terre et, pour encourager ses hommes, il tirait toujours le premier coup de feu. Dans les environs de Piney, la ferme des Gérandots fut appelée le tombeau des Cosaques. On leur faisait bon accueil, on leur servait à boire à discrétion, et quand ils cuvaient leur eau-de-vie, le fermier, ses fils et ses valets de charrue les fusillaient à travers les croisées. — Aucun ne sortit des Gérandots pour raconter ce qui s’y passait. — Près de Bar-sur-Ornain, les paysans massacrèrent un général prussien resté en arrière avec une petite escorte. Un garde-chasse de Sauvage, nommé Louis Aubriot, avise en face de sa maison quatre dragons prussiens, dont deux sont descendus de cheval. Il sort armé, abat de ses deux coups de fusil les deux cavaliers et tombe à coups de crosse sur les deux autres dragons, qui restent à demi assommés. « Les quatre chevaux et trois prisonniers sont près de moi, écrit le général Vattier ; l’autre dragon est mort. » — Un contre quatre ! Horace conquit à moins sa renommée. — L’Égorgeur de Vailly (c’est le surnom que garda un manouvrier du village, ancien soldat d’une force herculéenne) ne s’attaquait qu’à trois hommes à la fois. Il s’offrait pour guide aux alliés égarés, quand ils n’excédaient pas ce nombre, et il les tuait chemin faisant. Longtemps, dans l’Aisne, on ne voulut point boire l’eau des puits où tant de cadavres avaient été cachés. Une servante de Presles éventra avec sa fourche deux Cosaques endormis dans une grange. Pendant le sac de Soissons, une autre servante blessa deux Prussiens qui lui voulaient faire violence ; et un boucher, s’étant posté, armé d’un coutelas, au bas de l’escalier d’une cave, saignait dans l’ombre les pillards. À Grandelain, les habitans assaillirent pendant la nuit un poste de Cosaques et les massacrèrent tous[27]. Sur la route de Chaumont à Langres, un parti de paysans délivra quatre cents soldats d’Oudinot pris à la bataille de Bar-sur-Aube. Les riverains de la Basse-Marne arrêtèrent en quatre jours deux cent cinquante Russes et Prussiens. Les Ardennes étaient en pleine insurrection. Deux mille paysans gardaient les défilés de l’Argonne. Dans l’Oise et dans la Somme, des bandes armées fusillaient les Russes.
Les officiers alliés prisonniers avouaient que leurs soldats étaient terrifiés par la prise d’armes des paysans, « les Prussiens surtout, qui avaient l’expérience de ce que peut produire l’exaspération patriotique. » Les bois, les lisières des ponts, les bords des rivières et des étangs, les chemins encaissés, les talus dominant les grandes routes, devenaient des coupe-gorges. Des bandes de dix, de vingt, de cinquante, de trois cents individus, armés de fusils de chasse, de fourches, de haches, se tenaient en embuscade, prêts à se jeter sur les détachemens, promps à fuir en se dispersant si passaient des colonnes. « Il fallait, dit l’Allemand Richter, des escortes considérables aux convois et cent cavaliers pour accompagner un courrier. » Malheur aux traînards, aux isolés, aux vedettes, aux patrouilles, aux convoyeurs : la chasse était ouverte !
En quinze jours, l’esprit public avait changé avec la fortune, les batailles gagnées avaient réveillé la France. Après avoir souffert l’invasion sans révolte, elle se levait en armes, frémissante et furieuse. Après avoir mis son dernier espoir dans la paix, elle voulait la victoire.
HENRY HOUSSAYE.
- ↑ Pour ce travail, nous nous sommes rigoureusement interdit de nous servir des livres des historiens. Ne pouvant, dans la Revue, donner les références que l’on trouvera ailleurs, nous devons nous borner à les indiquer une fois pour toutes. Ces documens sont : 1o les rapports journaliers de Pasquier, préfet de police, et de Hullin, commandant la place de Paris ; les notes et bulletins de police ; les rapports analytiques du comte François ; la correspondance des préfets ; les rapports des auditeurs en mission ; les procès-verbaux des conseils des ministres ; les livrets et états de situation des armées, etc. (Archives nationales. — On nous passera ici de ne pas citer les cotes des cartons et registres) ; 2o la correspondance générale et les situations (Archives de la guerre) ; 3o la correspondance des ducs de Bassano et de Vicence et du comte d’Hauterive (Archives des affaires étrangères) ; 4o le Bulletin des lois, le Moniteur, le Journal de l’empire (Journal des Débats), la Gazette de France, le Journal de Paris, etc., le Times, le Morning Chronicle, le Courrier, le Journal de Bruxelles, etc. ; 5o la Correspondance de Napoléon et du roi Joseph ; les fragmens de la correspondance de Talleyrand (Revue d’histoire diplomatique) ; le Journal d’un officier anglais prisonnier sur parole (Revue britannique, 1827) ; les Lettres de Dardenne, citées par Steenackers ; l’Annuaire du département de l’Aisne pour 1815 ; les livres de Pradt, Rodriguez, Giraud ; les pamphlets des premiers jours de la restauration ; les Mémoires de Mollien, Gaudin, Rovigo, Méneval, Bausset, Lavalette, Marmont, Ségur, Fabvier, Vitrolles, Béranger, Chateaubriand, Combes, etc.
- ↑ Sénatus-consulte des 9 octobre et 15 novembre, décrets des 30 novembre et 17 décembre. — Deux autres décrets des 30 décembre 1813 et 6 janvier 1814 allaient encore ordonner la formation de légions de tardes nationales actives, qui seraient levées successivement et selon les besoins. On peut évaluer à 140,000 au moins les hommes mis à la disposition de la défense par ces deux décrets c’était donc en tout 900,000 hommes qui étaient appelés, ou, à mieux dire, sur le point d’être appelés. En effet, s’il y a l’éloquence, il y a aussi l’illusion des chiffres. Par suite des ajournemens de certaines levées, de la résistance que présentèrent certaines autres, du manque d’armes, des difficultés de toute sorte, sur ces 900,000 soldats et miliciens, un tiers à peine fut organisé et un huitième seulement combattit en rase campagne. De même, les 575,000 hommes des armées de 1812 et 1813 ne périrent pas tous par les balles, le froid et le typhus, comme l’affirmaient les pamphlets des premiers jours de la restauration. Près de 300,000 étaient prisonniers ou tenaient les villes fortes d’Allemagne (Hambourg, où il y avait 42,000 hommes ; Dresde, où il y avait 20,000 hommes j Magdebourg. où il y avait 18,000 hommes ; Dantzig, Torgau, Erfurth, etc.), et plus de 100,000 défendaient Strasbourg, Metz, Maëstrich, Mayence, Anvers, etc., ou tenaient la campagne en Alsace, en Lorraine et dans les Pays-Bas.
- ↑ Le sous-préfet de Roanne à Montalivet, 17 janvier. (Arch. Nat., F° 7., 4,290.) Cf. sous-préfet de Vervins à Malouet, 11 janvier : « Il ne reste plus dans l’arrondissement que les vieillards, les estropiés, les infirmes. » (Archives de Laon.) — « Dans l’Aisne, écrit Pasquier le 6 janvier, on n’a laissé aucun homme dans les familles pour leur soutien. » — « Dans l’Eure-et-Loir, écrit-il le 11, il n’y a plus que les infirmes et les éclopés. » (Arch. nat.. AF., IV, 1534.) — Il faut bien se rendre à ces témoignages authentiques, venus de tous les points de la France et se confirmant l’un par l’autre. On est en droit néanmoins de les taxer d’une certaine exagération. Le rappel des classes an III et suivans, la levée de 1815, l’appel des gardes nationaux mobiles, ne portaient après tout que sur les hommes de dix-neuf à quarante ans. À quarante et un ans, on n’est pas un vieillard.
- ↑ On s’est, au reste, fort exagéré le nombre de ces exils et relégations arbitraires. L’état des individus exilés ou éloignés de la capitale, depuis 1804 jusqu’en 1814 inclus, s’élève en tout à 139, et les deux tiers d’entre eux, qualifiés « anciens révolutionnaires, » furent maintenus en exil ou en relégation par ordonnance de Monsieur, lieutenant-général du royaume, en date du 25 avril 1814. (Arch. nat., F. 7, 6,586.) — D’ailleurs, au point de vue absolu, le nombre ne fait rien à la chose.
- ↑ Mollien, Mémoires d’un ministre du trésor public, t. IV, p. 127. — « On dit que tous les moyens de succès sont du côté de l’empereur. » (Note de police. Paris, 21 janvier.) — « La population manifeste une grande confiance dans l’empereur. « (Commissaire-général de police de la Lozère à Rovigo, 25 janvier.) — « L’empereur peut compter sur la classe ouvrière. » (Note de police, 21 mars.) — « Grand enthousiasme au Havre pour les victoires de l’empereur. » (Rapport de Pasquier, 13 février.) — « Sa confiance dans le génie de l’empereur est sans bornes. » (Id., 5 mars.) — « Le peuple est pour l’empereur. » (Note de police. 22 janvier.) Archives nationales, F. 7, 6,603 ; F, 7, 3,043 ; AF., IV, 1,534. — Cf. analyses du comte François sur l’esprit public dans les départemens, passim, F. 7, 1,291 ; Fabvier, Fain, Ségur, etc.
- ↑ Correspondance des préfets relative à la conscription de 1813-1814. (Archives nationales, F. 7, 3,408(2), 3,4168(3) 3,416(2).) — D’après cette précieuse correspondance, il serait facile de dresser pour l’ensemble de la France un tableau figuratif de l’esprit public en 1814. D’une façon générale, on peut dire que le patriotisme, se traduisant par l’obéissance aux appels sous les drapeaux, la fidélité au gouvernement impérial et plus tard, les prises d’armes spontanées contre l’ennemi, animait les départemens qui correspondent aux anciennes provinces : Picardie, Ile-de-France, Bretagne (moins les environs de Nantes), Saintonge, Auvergne, Haut Languedoc, Dauphiné, Lyonnais, Bourgogne, Berri, Bourbonnais, Nivernais, Touraine, Orléanais, Franche-Comté, Champagne, Alsace et Lorraine. Les Flandres, l’Artois, la Normandie, le Maine, l’Anjou la Guyenne, la Gascogne (moins le département des Hautes-Pyrénées, le Bas Languedoc, la Provence (moins Marseille et Toulon, étaient indifférens à l’invasion et plusieurs hostiles à l’empire.
- ↑ Dans la pratique, et autant que le temps et les circonstances le permirent les préfets s’efforcèrent d’équilibrer les charges entre ces différentes classes. Ainsi on ne prit les veufs sans enfans et les hommes mariés dans les classes 1809 a 1812 les plus éprouvées, que lorsqu’on eut pris tous les célibataires dans les classas antérieures et postérieures.
- ↑ Les gardes nationales dites actives furent naturellement portées à un plus grand nombre dans le courant de la campagne ; mais en y comprenant les gardes nationales réunies à Lyon, on ne peut guère admettre que ces milices aient jamais dépassé l’effectif total de 140,000 hommes tenant la campagne ou organisées et prêtes à marcher. Nous ne comprenons pas dans ce chiffre, cela s’entend, les gardes nationales dites urbaines ou sédentaires de Metz, Strasbourg, Paris, Reims, Rouen, etc.
- ↑ Un exemple entre tant d’autres. Le 1er janvier, les dépôts de la 1re division militaire comptent 1,910 hommes à l’école de peloton et de bataillon, 7,285 à l’école du soldat ; le 15 janvier, 495 hommes à l’école de peloton, 4,523 à l’école du soldat ; le 1er février, 150 hommes à l’école de peloton, 4,563 hommes à l’école du soldat.
- ↑ Dépôts de Paris au 1er janvier : 4,797 hommes habillés sur 9,195 ; au 15 janvier, 4,523 habillés sur 6,241 ; le 155e de ligne, 74 hommes habillés sur 330 hommes ; le 8e dragons, 75 hommes habillés sur 150, etc.
- ↑ Trente millions firent donnés le 12 novembre 1813, et ce n’était qu’un premier versement. Le trésor privé de l’empereur, produit de ses économies sur la liste civile pendant dix ans, se montait à la fin de 1813, défalcation faite des sommes avancées aux différens services et établissemens de crédit (sommes dont l’empereur fit abandon par l’article VI du traité de Fontainebleau), a 65 millions en or et en argent déposés dans les caves des Tuileries. Or, au mois d’avril 1814, il restait de ces 65 millions 10 ou 12 millions qui, au mépris de tout droit, furent saisis à Blois par les ordres du gouvernement provisoire.
- ↑ Voici le texte de ces réquisitions : « Le maire de Tonnerre aux maires de… Au reçu de la présente et sans autre délai, vous ferez conduire les quantités de… dans les magasins établis à Tonnerre. Faute par vous d’obtempérer à la présente, je serai forcé de noter votre commune aux commandans comme ayant refusé les subsistances, ce qui emporterait à l’exécution mililaire. »
- ↑ Proclamation du roi aux Français (s. l. n. d.). — Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé, aux Français (s. l. n. d.). Bibliothèque nationale, 1. B, 44,594. — Ce sont ces proclamations ou des paraphrases de ces proclamations, toutes deux écrites en 1813, qui furent affichées et colportées. En février et en mars, ce furent la nouvelle proclamation de Louis XVIII (Hartwell, 1er janvier 1814), la proclamation du comte d’Artois (Vesoul, 27 février), puis celle du duc d’Angoulême (Bordeaux. 15 mars). Quelques extraits valent aussi d’être cités : « Les places seront conservées à ceux qui en sont pourvus, dit Louis XIII. Le Code souillé du nom de Napoléon restera en vigueur. Le sénat sera maintenu… Le roi prend de nouveau l’engagement d’abolir cette conscription funeste qui détruit le bonheur des familles et l’espérance de la patrie. » — « Plus de tyran, plus de guerre ! dit le comte d’Artois ; plus de guerre, plus de droits réunis ! » — « Les puissances alliées, dit le duc d’Angoulême, convaincues qu’il n’y a de repos pour la France et leurs peuples que dans une monarchie tempérée, ouvrent les voies du trône au fils de saint Louis… Je proclame au nom du roi qu’il n’y aura plus de conscription ni d’impôts odieux ! » — Il est inutile de dire que la conscription et les droits réunis ne furent pas abolis, mais il est intéressant de rappeler que, par ordonnance du comte d’Artois et de Louis XVIII, des 17 avril et 9 mai, furent maintenues pour cette année 1814 toutes les contributions ordinaires et extraordinaires que Napoléon avait décrétées dictatorialement.
- ↑ Le chevalier de Rougeville, qu’Alexandre Dumas a rendu populaire sous le nom de Maison-Rouge, fut fusillé à Reims le 7 mars, comme « atteint et convaincu d’espionnage. » (Corbineau à Napoléon. Reims, 8 mars. Arch. nat., AF, IV, 1,670.) — Voici, du reste, la lettre de Rougeville au prince Wolkonsky qui motiva la sentence de la cour martiale : « Mon prince, j’ai guidé vos reconnaissances le 17 février à Épernay, le 23 à Villers-Cotterets. Je suis plein de zèle pour vos armées. J’ai guidé volontairement des Cosaques comme ancien officier de cavalerie. Si Votre Altesse a la bonté d’apprécier le zèle et l’ardeur qui me guident pour ses armes.. »
- ↑ Récit des événemens de Pont-sur-Yonne, le 11 février 1814, par le chevalier Brunel, br. in-8o, 1816. « … Alors, séduit, enthousiasmé au nom des Bourbons, je répondis au prince de Wuttgenstein que j’étais prêt à mourir pour les Russes et que j’indiquerais le chemin pour tourner Nogent. » — Les habitans de Nogent qui furent si abominablement pillés, durent se féliciter du dévoûment aux Bourbons du chevalier Brunel.
- ↑ Rapports de police, 21 et 22 janvier. (Arch. nat., F, 7, 6,603.)
- ↑ Rapp. de Pasquier, 9 et 10 février. Rapp. de Hullin, 21 février. (Arch. nat., AF., IV, 1,534.) — Voici pourquoi beaucoup de recrues ne trouvaient pas de gîte. Le triage des conscrits pour la garde se faisait à la caserne de Courbevoie. Ceux qui n’étaient pas choisis étaient renvoyés, quelquefois très tard dans la soirée et individuellement, à Paris, où ils erraient jusqu’au matin, les casernes étant fermées.
- ↑ Au 2 mars, les dépôts de la garde avaient reçu 59,472 conscrits ; 43,122 avaient été incorporés dans la garde, 6,168 avaient été renvoyés dans les dépôts de la ligne, 672 avaient déserté. (Note du général Ornano, situations de 1814. Archives de la guerre.)
- ↑ Journal d’un officier anglais prisonnier sur parole.
- ↑ On n’allouait aux soldats et officiers, jusqu’au grade de colonel, que six sols par jour. Cette solde misérable fut l’objet de réclamations du comte de Stadion, plénipotentiaire à Châtillon.
- ↑ Voir le Moniteur de janvier à mars, ou plutôt les rapports de Pasquier et les bulletins de police de ces mêmes mois (Arch. nat., AF., IV, 1,534, et F. 7, 3,737, où sont rapportées en détail les différentes causes attribuées à la Bourse, même aux mouvemens de hausse : espérances de paix, victoires de l’empereur, arrivée du duc de Vicence à Châtillon, bruit d’armistice, Blücher coupé et l’empereur dirigeant lui-même les opérations, etc.
- ↑ Bien que moins impressionnable et moins mobile dans ses sentimens que Paris, la province recouvra le calme et la confiance à la nouvelle des victoires de l’empereur. Le bruit courut dans plusieurs provinces que l’ennemi se disposait à évacuer la France. (Rapports de préfets, commissaires de police et auditeurs en mission, et rapports du comte François, du 14 février au 6 mars. Arch. nat., AF., IV, 1,66 ; F. 7, 3,043, 3,772, 4,290 et 4,291. Préfet de l’Aube à Clarke, 2 mars ; préfet des Ardennes à Clarke, 6 mars ; préfet de l’Yonne à Clarke, 4 mars ; général Allix à Clarke, Noyers, 2 mars. etc. Archives de la guerre.)
- ↑ Selon les traditions locales, les Prussiens auraient commis plus d’atrocités encore que les Cosaques eux-mêmes. Mais, d’après l’ensemble des documens authentiques, ils se valaient. Pour le pillage et les violences, les Prussiens et les Cosaques doivent avoir le premier prix (ex œquo) ; les Bavarois et Wurtembergeois, le second ; les Russes réguliers et les Autrichiens n’ont droit qu’à un accessit, — mais bien mérité.
- ↑ A Chaumont, le fameux Radetzky. alors major-général, avait laissé la renommée d’un ogre. Il lui fallait chaque jour pour sa table trente livres de bœuf, un mouton, un demi-veau, six dindons, oies et poulets, dix bouteilles de vin de Champagne, dix de vin de Bourgogne, trois de liqueurs fines, des tourtes, pâtés, etc.
- ↑ Dispositions générales comprenant, l’administration des départemens conquis ou à conquérir par le, feld-maréchal Blücher : « Pour préserver les départemens de l’anarchie, anarchie produite par l’éloignement des autorités, ordonné par l’empereur Napoléon, et qui pourrait devenir dangereuse, arrête : Les fonctionnaires qui auront pris la fuite seront remplacés ; ceux qui resteront administreront avec l’intendant prussien. » Signé Ribbentropp, commissaire-général des guerres des armées prussiennes. Nancy, 17 janvier. — Rileyew, gouverneur-général de Laon, ajoute : « Tout habitant qui, appelé à remplir une place, n’entrerait pas en fonctions dans les vingt-quatre heures, serait transporté dans une forteresse au-delà de la Vistule pour y expier l’anarchie dont il serait considéré comme fauteur. » — À Troyes, le prince de Hohenlohe menaçait les récalcitrans non pas de « la déportation au-delà de la Vistule, » mais tout simplement de la peine de mort. — Voici le serment qui était exigé de ces fonctionnaires malgré eux : « Je promets fidèlement et légalement de ne rien faire publiquement, ni clandestinement, ni directement, ni indirectement, qui soit contraire à la sûreté ; des puissances alliées. Je promets, de même, de suivre avec zèle et activité les ordres qui me parviendront du quartier-général, sans restriction ni réserve » quelconques. »
- ↑ Préfet de Seine-et-Marne à Montalivet, 9 mars. (Arch. nat.. F. 7. 4,290.) — (Cf. rapports du comte François, du 5 février au 10 mars, passim. (Arch. nat., F. 7, 4,291) ; lettre du préfet des Ardennes, 10 février, et rapport du commissaire-général de police dans la Côte-d’Or et l’Yonne : « … Le département de l’Yonne est un de ceux qui ont le plus souffert. En déplorant, avec ces malheureux habitans les maux dont ils ont été accablés, je ne puis cependant m’empêcher de croire, avec tous les fonctionnaires locaux, que l’esprit public a gagné depuis lors, et que la conduite odieuse des ennemis, en produisant l’effet naturel de les faire abhorrer, n’a fait que mieux sentir à tous les citoyens le besoin de se serrer étroitement autour du trône de l’empereur, dont le génie vient de les délivrer de ces prétendus libérateurs. » 12 mars. Arch. nat, F. 7, 4,290). Cf. Caulaincourt à Napoléon (Châtillon, 24 février) : « … L’ennemi ravage les campagnes ; aussi l’exaspération des paysans est-elle fort grande, » et Bassano à Caulaincourt (Guignes, 16 février) : « L’inconduite de l’ennemi rend la guerre nationale. L’exaspération des habitans est telle qu’ils ont égorgé un grand nombre d’hommes isolés et que les traînards russes viennent se jeter dans nos colonnes pour y trouver un asile. » (Arch. des affaires étrangères. Fonds : France, 668.)
- ↑ [Note manquante].