La France du Nord/04
Après l’échec de Villers-Bretonneux, l’armée du nord, on l’a vu, avait été réorganisée avec une merveilleuse promptitude par le général Faidherbe. Elle s’était augmentée de trois bataillons de fusiliers-marins, de toute l’ancienne garnison d’Amiens, et de contingens divers tirés des dépôts de mobiles et de mobilisés répartis dans les places du nord. Elle comptait environ 15,000 hommes de troupes régulières, et parmi les bataillons de mobiles quelques-uns, entre autres ceux de « Somme et Marne, » se distinguaient par leur ardeur et leur bonne tenue. Son artillerie se composait de soixante-six pièces, sa cavalerie de quatre escadrons et d’un peloton de mobilisés. Son effectif pouvait s’élever à 30,000 combattans. Après un heureux coup de main sur Ham, elle se dirigea vers Amiens, que les Prussiens avaient évacué pour se cantonner à Beauvais, en laissant un millier d’hommes dans la citadelle avec ordre de bombarder la ville au premier acte d’hostilité de la part des Français. Le 19 décembre, le général Faidherbe fit sommer le commandant de se rendre en le menaçant de passer la garnison au fil de l’épée, si elle commettait le crime, sans exemple dans l’histoire, de massacrer une population désarmée, placée sous la sauvegarde d’une capitulation. Le commandant répondit par un refus catégorique, et bientôt, à l’approche d’une reconnaissance française, il lança sur Amiens des obus qui tuèrent ou blessèrent plusieurs personnes ; il poussa le mépris des lois de la guerre jusqu’à faire tirer sur des voitures publiques qui passaient en vue de la citadelle. Le général Faidherbe, par un sentiment d’humanité qui l’honore, ne voulut point attirer d’irréparables désastres sur l’un des plus grands centres industriels de la France ; il suspendit sa marche, et prit position à 20 kilomètres en avant d’Amiens.
A peu de distance de Villers-Bretonneux et sur la même ligne, une petite rivière, l’Hallue, coule dans une vallée étroite et tourbeuse, longue d’environ 13 kilomètres, et va se jeter dans la Somme un peu au-dessous de Corbie. Cette vallée est bordée sur tout son parcours par des collines où s’élèvent çà et là de petits bois, et des villages situés les uns dans la vallée même, les autres sur les premières pentes. C’est là sur la rive gauche, que l’armée du nord se déploya pour attendre l’ennemi. Elle avait à son extrême droite Contay, au centre Querrieux et Pont-Noyelles[2], à son extrême gauche Daours, la Somme et des marais. Cette position était très forte et bien choisie. Les généraux prussiens auraient pu, par une marche bien combinée sur la droite, forcer Faidherbe à la quitter et à recevoir la bataille avec la Somme à dos, mais ils se bornèrent à l’attaquer de front, croyant sans doute nous culbuter au premier choc.
Le 20 décembre, une reconnaissance prussienne forte d’environ 2,000 hommes avec deux pièces d’artillerie se porta sur le bois de Querrieux. Le 18e bataillon de chasseurs à pied et le 33e de ligne marchèrent à sa rencontre et la repoussèrent vigoureusement ; l’armée française, croyant à une attaque plus sérieuse, avait pris les armes. C’était tout ce que voulait l’ennemi, qui se trouvait ainsi en mesure de juger de nos forces. Les deux jours suivans, il fit arriver des renforts de tous côtés ; le 23 au matin on apprit par les vedettes qu’il venait de sortir d’Amiens, et qu’il s’avançait en trois colonnes vers les lignes françaises. « L’attaque, dit le général Faidherbe, commença plus tôt qu’on ne l’avait pensé ; mais on était prêt à la recevoir. » Cependant nos pièces de 12, qui étaient restées dans la vallée, n’entrèrent en ligne qu’au moment où l’une de nos batteries de 4 était déjà démontée.
Les Prussiens se rangèrent en très bel ordre sur la rive droite de l’Hallue avec cent deux bouches à feu, dont trente-six du calibre 9 et soixante-six du calibre 8, tandis que chez nous les pièces de 4, d’une portée très inférieure, formaient les deux tiers de l’armement[3]. Daours, Querrieux et Pont-Noyelles étaient occupés par quelques faibles détachemens français ; au lieu de mettre ces villages en état de défense par des barricades et des créneaux percés dans les murs des maisons, comme les Prussiens ne manquaient jamais de le faire, on donna l’ordre aux soldats qui les occupaient de se replier de la vallée sur les hauteurs : l’ennemi s’y fortifia tout aussitôt, et pendant le combat on tenta vainement de les reprendre.
Après diverses attaques partielles où les Allemands essayèrent, sans y réussir, de déboucher du fond de la vallée, le général Manteuffel ordonna une attaque à fond sur notre centre, placé en face de Pont-Noyelles. L’élite de ses régimens, précédée d’une ligne de tirailleurs qui s’avançaient petit à petit, tantôt se levant, tantôt se couchant, marcha vers les hauteurs. Les Français de leur côté avaient garni leur front de troupes de ligne, en arrière desquelles se tenaient en réserve quelques bataillons de mobiles sur lesquels on pouvait compter ; les généraux et leur état-major, à cheval et le sabre à la main, s’étaient placés en tête des troupes, et le général Faidherbe, seul et sans escorte, galopait en avant des tirailleurs les plus avancés, donnant ses ordres, s’exposant comme le plus téméraire de ses soldats. Le moment était solennel ; 200 Allemands choisis parmi les plus braves avaient gravi les pentes en se dérobant derrière les talus d’un chemin creux ; tout à coup ils débouchèrent sur le plateau en poussant des hourrahs : les tambours français leur répondirent par le pas de charge. La compagnie de mobiles du capitaine d’Hauterive se lança sur eux en même temps que le 33e, et après une vigoureuse résistance ils furent écrasés jusqu’au dernier. Ceux qui les suivaient, craignant le même, sort, descendirent en fuyant dans la vallée. Nos soldats entrèrent à leur suite dans Pont-Noyelles, quelques-uns arrivèrent même jusqu’aux premières maisons de Querrieux ; mais, emportés par l’ardeur du succès, ils rompirent leurs rangs et vinrent se heurter contre des réserves prussiennes et des batteries qui les refoulèrent sur les pentes des collines. Ils remontèrent à la débandade sur le plateau, et l’ennemi marcha pour la seconde fois à l’attaque de nos positions. Le général du Bessol fit avancer une batterie de 12 dont le feu arrêta les Allemands sur place, en même temps qu’il se portait contre eux à la tête de deux bataillons. Ils lâchèrent pied, et se précipitèrent en désordre vers Pont-Noyelles. Nos troupes, qui les serraient de près, pénétrèrent jusqu’à la place, mais de nouvelles barricades avaient été élevées, un feu violent partait des maisons, et nos soldats, qui n’étaient point soutenus, furent forcés d’abandonner le village[4].
Pendant que ceci se passait au centre, le général Derroja s’emparait de Bavelincourt et de Béhencourt à la droite, et débordait notablement l’ennemi en le rejetant au-delà de la vallée ; malheureusement il n’avait pas assez de monde pour maintenir ses communications en étendant son mouvement, et il jugea prudent de s’arrêter. La nuit mit fin au combat. Sur notre droite, les Prussiens avaient été complètement refoulés. Au centre et à la gauche, ils avaient échoué dans toutes leurs attaques contre nos positions, mais ils conservaient dans la vallée Daours et Pont-Noyelles. Nos pertes s’élevaient à 141 tués, 905 blessés, 138 chevaux et environ 1,500 hommes disparus ou faits prisonniers dans les villages de la vallée[5]. Les pertes de l’ennemi furent beaucoup plus fortes en raison de la position dominante que nous occupions ; les abords du cimetière de Pont-Noyelles, où il avait massé ses colonnes d’attaque, étaient jonchés de cadavres, et les 600 voitures réquisitionnées dans Amiens y revinrent toutes chargées de blessés. Les soldats étaient tristes et abattus ; Manteuffel, en rentrant à l’Hôtel de France, laissait percer une vive irritation, et, comme les personnes présentes à son arrivée semblaient l’interroger des yeux, il jeta violemment sa casquette par terre en s’écriant : Artillerie formidable ! L’armée française coucha sur les positions qu’elle avait victorieusement défendues ; "mais la nuit fut cruelle. Le vent soufflait du nord, la terre était durcie par un froid de 12 degrés, et par cette température impitoyable un grand nombre d’hommes étaient nu-pieds. Les mobiles n’avaient ni manteaux ni capotes ; ils tremblaient sous leurs « vareuses en amadou, » et l’on en voyait à tout instant s’affaisser sur le sol. Pas une seule goutte d’eau-de-vie, du pain gelé pour toute nourriture, et seulement de loin en loin quelques feux de bivouac réservés aux blessés. Cependant dès le point du jour cette armée, si durement, éprouvée, prenait ses positions de combat pleine d’ardeur et de confiance. Le temps était clair, le ciel sans nuages, et l’on eût dit que les pâles rayons du soleil d’hiver avaient suffi pour la ranimer. Le général Faidherbe fit tirer quelques coups de canon auxquels l’ennemi ne répondit pas ; nos tirailleurs rejetèrent dans la vallée quelques petits détachemens qui s’étaient aventurés sur les premières pentes, et nos troupes, l’arme au pied et les cartouchières bien garnies, attendaient en silence, lorsque vers midi une forte colonne prussienne arriva d’Amiens, et vint prendre position au-dessus du bois de Querrieux ; on apprit en même temps que d’autres troupes, détachées de la Normandie, menaçaient de déborder notre extrême droite et de nous prendre à revers. Il était impossible, en présence de forces qui grossissaient toujours, de livrer une nouvelle bataille. Le signal de la retraite fut donné à deux heures ; elle fut couverte par une ligne de tirailleurs appuyés par deux batteries de 4, et l’ennemi, malgré les renforts qu’il avait reçus, n’osa point l’inquiéter. Il se contenta de nous suivre de loin, ramassant des éclopés, des malades et des hommes épuisés de fatigue et d’inanition qui restaient dans les villages ou se couchaient le long de la route. « Les troupes de ligne, pendant cette retraite, rivalisèrent, dit l’auteur des Opérations de l’armée du nord, de discipline et de courage. Lorsque nos jeunes soldats apprirent qu’ils allaient entrer dans Arras, ils mirent tous leurs soins, dans une halte aux portes de la ville, à enlever la boue de leurs habits, à nettoyer rapidement leurs armes. Faisant appel à toute leur énergie, ils marchaient gaillardement et s’efforçaient de ne point boiter malgré les blessures qui couvraient leurs pieds presque nus. » Le général Faidherbe plaça son armée derrière la Scarpe ; il s’occupa de la ravitailler, et le 1er janvier il se remit en marche.
La bataille de Pont-Noyelles ne fut pas, comme on l’a dit et comme on l’a cru sur le moment, une grande victoire ; mais ce fut un échec complet pour l’ennemi, qui était venu se briser contre nos positions, et, si elle n’a donné que des résultats négatifs, elle n’en tiendra pas moins une belle page dans l’histoire de cette rude et vaillante campagne du nord, qu’on peut appeler une campagne de Russie sous le climat de la France.
Placé à l’extrémité du département de la Somme, vers le Pas-de-Calais, Doullens ne ressentit que faiblement le contre-coup de la guerre allemande, et ce fut là comme un juste dédommagement des maux dont il avait souffert dans le passé, et qui ne justifiaient que trop le nom de Val dolent, vallum dolens, qui aurait été son nom primitif suivant quelques étymologistes picards. En 1522, les impériaux plantent leurs échelles contre ses murs ; les habitans les repoussent avec de grandes pertes ; les Anglais, qui dans tous les temps ont été les fidèles alliés de l’Allemagne, reviennent en force quelques mois après, s’emparent de la ville et la brûlent. En 1595, les Espagnols, au nombre de 15,000 avec vingt canons, reparaissent sous ses murs ; la noblesse picarde accourt pour la défendre ; malgré la plus énergique résistance, elle est écrasée par le nombre. Le 23 juillet de la même année, les Espagnols entrent par la brèche, et 3,000 personnes, y compris les femmes et les enfans, sont jetées sur le pavé. « Ce jour-là dit Sully, il périt plus de capitaines que dans les trois batailles de Courtray, d’Arqués et d’Ivry. » En 1708, les pandours du prince Eugène brûlent les faubourgs et les villages des environs, et, le 20 février 1814, une colonne de 1,500 cavaliers russes, saxons et wurtembergeois, met encore une fois la ville au pillage[6].
Une seule église, celle de Saint-Martin, est restée debout à Doullens. On y montre deux tableaux très remarquables, le Couronnement de la Vierge et un Ecce homo, attribués à J.-B. Ribeira, élève de l’Espagnolet. Les anciennes fortifications ont disparu, et la citadelle en est le seul et dernier vestige. Cette forteresse, transformée suivant les vicissitudes de la politique en prison d’état, a vu, comme le château de Ham, passer dans ses casemates des personnages bien divers, Gaston d’Orléans, le frère puîné de Louis XIV, Mazarin, le comte de Maillebois, le duc du Maine, qui s’était sottement engagé dans deux entreprises malheureuses, — la traduction de l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac, pour arriver à l’Académie française, et la conspiration de Cellamare, pour arriver au trône. Pour ceux-là du moins, la détention ne fut qu’une sorte de villégiature de quelques mois ; pendant la terreur au contraire les suspects, mis en dépôt dans la vieille forteresse, n’en sortirent que pour monter sur l’échafaud, et c’est de là que le maréchal de Mailly, qui avait dirigé la défense du château des Tuileries au 10 août, le prince Claude-Victor de Broglie, député aux états-généraux et président de l’assemblée nationale en 1791, furent conduits à Arras pour être livrés aux bourreaux de Joseph Le Bon. Pendant les guerres de l’empire, la citadelle fut occupée par des prisonniers anglais et espagnols, et sous Louis-Philippe par quelques-uns des incorrigibles conspirateurs qui ont ensanglanté Paris dans les journées de juin 1832, d’avril 1834, de mai 1839, et remis en faveur la légende jacobine, dont ils ont été les premières victimes.
Doullens était au moyen âge une ville drapante d’une certaine importance ; c’était aussi, comme Amiens, une ville littéraire. Poètes ou ménestrels, le sire des Auteux, le sire de Bretel, Gilbert de Bernaville, Ducastel, Cuvillier et Bellepache, y avaient formé au XIIIe siècle une académie qui tenait ses séances dans la rue de l’Arbre des amoureux[7] ; cette académie luttait avec honneur dans les concours ouverts par les Chambres de rhétorique de l’Artois et de la Flandre ; mais à Doullens, comme dans les autres localités du nord, la poésie a subi la même loi de décadence que les franchises municipales. Les muses doullenaises ont déserté le parnasse picard, et depuis deux siècles elles n’ont chanté que deux fois pour célébrer le Bonheur de la vie domestique et le Voyage de Charles X au camp de Saint-Omer. Aujourd’hui Doullens attend un embranchement de chemin de fer : il fait un commerce fort actif de bestiaux et de graines oléagineuses, file du coton, fabrique du papier et des toiles d’emballage ; il ne compte qu’un très petit nombre d’abonnés aux feuilles radicales de la Somme ; son ambition se borne à vivre tranquille en travaillant, et la France, serait plus heureuse et plus puissante, si tous nos grands centres avaient la même sagesse.
Montdidier est, comme Doullens, une ville de calme et de silence ; il est bâti sur les flancs d’une butte calcaire au pied de laquelle serpente, dans une étroite vallée, l’homonyme d’un grand fleuve, la petite rivière dlu Don, que le nain vert chanté par Hégésippe Moreau pourrait franchir d’un bond, comme la Voulzie, sans mouiller ses grelots. Là s’élevait en 774 un de ces châteaux circulaires dont un miniaturiste du Xe siècle, Heldric, abbé de Saint-Germain d’Auxerre, nous a laissé la curieuse représentation[8]. Charlemagne y fit enfermer Didier, roi des Lombards, qu’il avait été combattre en Italie à la demande du pape Adrien Ier, car à cette époque le sacerdoce et l’empire se prêtaient un mutuel appui pour marcher ensemble à la conquête du monde. La butte qui portait le château prit le nom du royal captif ; elle s’appela au moyen âge mons Desiderii, et la ville qui a remplacé la prison carlovingienne s’appelle aujourd’hui Montdidier. Au milieu de l’immense morcellement territorial qui suivit la chute de la seconde dynastie, Montdidier eut des comtes particuliers qui relevaient des seigneurs du Vermandois et qui n’ont guère laissé que leurs noms et une pierre tombale en souvenir de leur passage sur cette terre. Comme les autres barons féodaux, ils se battaient avec leurs voisins et traitaient fort durement les hommes de leurs domaines. Ceux-ci, fatigués de la servitude, se placèrent sous la protection de Philippe-Auguste et lui demandèrent une charte de commune. Cette charte leur fut accordée moyennant une rente annuelle de 600 livres, ce qui équivaut à 28,000 francs environ de notre monnaie, car à cette date les impôts d’état n’existaient point encore, et les rois, quand ils avaient besoin d’argent, mettaient la liberté aux enchères, comme ils y ont mis plus tard les offices de judicature et de finance, et les honorables charges de vérificateurs aux empilemens de bois et de contrôleurs des perruques. Les habitans de la nouvelle commune acquittèrent avec leur sang la dette de la reconnaissance ; ils combattirent vaillamment à Bouvines, et ce fut l’un d’eux, Pierre Tristan, qui dégagea Philippe-Auguste au milieu de la mêlée, et le sauva en lui donnant son cheval. Au XIVe et au XVe siècle, l’histoire de Montdidier n’offre qu’une suite de désastres. Quelques chétives masures s’élevaient seules au milieu de ses ruines, et Louis XI eut un moment l’idée d’en raser les fortifications pour en faire une ville champêtre. Au siècle suivant, Montdidier eut encore à subir les malheurs de l’invasion : il fut pris et brûlé en 1523 par les Anglais et les impériaux ; ceux-ci, en 1636, se présentèrent de nouveau sous ses murs. La population tout entière prit les armes, et, pendant trente-quatre jours. que dura le blocus, elle tua 600 ou 700 hommes à l’ennemi et lui fit autant de prisonniers. Le maïeur Antoine de Févin avait pris pour devise : aut mors aut vita décora, et chacun avait répondu à son appel. Jean de Werth, qui commandait les Allemands, se retira en brûlant soixante-dix villages, car l’incendie à toutes les époques a été l’une des ressources de la stratégie germanique. Après la levée du siège, le maïeur et les échevins demandèrent une audience à Louis XIII pour lui rendre compte de leur conduite ; ce prince se leva pour les recevoir et se tint debout devant eux, ce qui était le plus grand honneur qu’un roi pût faire à ses sujets.
Montdidier ressentit vivement le contre-coup des agitations religieuses de la réforme. Calvin, dans sa retraite de Genève, n’avait pas oublié cette vieille Picardie qui l’avait vu naître ; il y envoya des disciples dévoués pour propager ses doctrines. L’un d’eux, Michel de La Grange, fut brûlé vif sur la place du marché. Cet auto-da-fé n’arrêta point les progrès de la réforme. Les gens de moyen état, comme on disait alors, restèrent attachés au catholicisme ; mais les gros bourgeois se rallièrent aux nouveautés, car dans les derniers siècles de la monarchie, contrairement à ce qui se passe de nos jours, les classes riches et lettrées étaient révolutionnaires, et le peuple conservateur. La ville se partagea en deux camps profondément hostiles, et chaque parti apporta dans la lutte l’âpreté qui dans toutes les sectes et dans tous les temps a donné aux querelles religieuses un caractère si terrible et si sombre. — Les réformés, tout en brisant les châsses, tout en jetant les reliques aux vents, se faisaient des reliques à leur manière. Un de leurs ministres, La Place, étant mort, ils allèrent le déterrer, se partagèrent le linceul dans lequel il avait été enseveli, et en portèrent par dévotion les morceaux sans les laver. L’exaltation des sectaires ne fut du reste qu’une fièvre passagère. Les bourgeois de la Picardie étaient gens positifs ; ils ne s’entêtaient pas aux querelles théologiques, et ils retournaient vite à leurs habitudes tranquilles et régulières. Dans les deux derniers siècles, la paix publique ne fut troublée que par les querelles que les questions de préséance faisaient éclater entre les fonctionnaires. Les bonnes gens de Montdidier vivaient paisiblement sans s’occuper de politique ; ils allaient s’attabler tous les soirs à l’Hôtel de la Grenouille, pour médire du maïeur ou du subdélégué, et leur ambition se bornait à avoir de bonnes caves, ce luxe traditionnel des habitans du nord. Leur ville était une véritable abbaye de Thélème ; les cuisiniers rôtisseurs y tenaient le haut du pavé, et leurs pâtés de cochon de lait faisaient concurrence aux fameux pâtés de canards d’Amiens, dont la confection, disent les traditions locales, fut enseignée aux habitans de Samarobriva par les soldats des légions de César. La révolution vint brusquement interrompre le repos séculaire des habitués de l’Hôtel de la Grenouille ; le célèbre Babeuf, le père du communisme moderne, leur fut imposé comme administrateur du district, et c’est dans leur ville que l’auteur de la République des égaux posa les bases du système qui supprimait les couches sociales en les ramenant toutes par l’abaissement au même niveau en vertu de cet axiome, que les hommes doivent recevoir la même éducation, la même nourriture, disposer de la même somme d’argent, par la raison bien simple qu’ils respirent le même air et sont éclairés par le même soleil. Ils furent du reste bientôt débarrassés de Babeuf, car il se fit condamner à vingt ans de fer pour crime de faux, ce qui n’a pas empêché en 1832 une école socialiste, celle des babouvistes, de le prendre pour patron, comme l’ont fait encore, quelques années plus tard, les chimistes, les solidaires-unis, les communitaires et autres sectes vouées au culte de la désappropriation individuelle, et de la collectivité humanitaire[9].
Quelques localités de l’arrondissement de Montdidier méritent que l’on s’y arrête en passant ; c’est d’abord Roye, le Rhodium de la Gaule romaine, où venaient aboutir trois grandes chaussées dont les vestiges existent encore sur divers points de la Picardie. Du Xe siècle au XVIIe, cette petite ville ne soutint pas moins de treize sièges. Elle fut complètement brûlée par les Anglais en 1373. L’église Saint-Gilles, monument bizarre en pierre et en brique, dont l’origine remonte au XIe siècle, présente encore, malgré les ravages de la guerre, de nombreuses traces des constructions primitives, style lombard ou style roman. Une autre église, aujourd’hui disparue, fut au XVIIe siècle le berceau du quiétisme. En attendant que Mme Guyon vînt annoncer au monde qu’elle était enceinte de l’Apocalypse, et qu’elle allait répandre la lumière d’une foi nouvelle, le curé Pierre Guérin avait entraîné ses paroissiens dans les abîmes du mysticisme ; on pouvait, disait-il, tout se permettre du moment où l’on s’identifiait avec Dieu. Les prêtres n’étaient que d’inutiles intermédiaires ; saint Pierre, qu’il traitait de bonhomme, n’avait pas le droit de refuser la porte du paradis, et pour prendre place dans le chœur des élus il suffisait de pratiquer les maximes de la vie suréminente. Alors comme aujourd’hui les théories des rêveurs se propageaient d’autant plus vite qu’elles étaient plus absurdes. La secte des guérinets rallia de nombreux disciples ; ils. enterraient civilement leurs morts, se mariaient, comme on disait en 93, sur l’autel de la nature, et supprimaient les gênantes entraves de la morale. Malheureusement pour le progrès de leurs idées, Richelieu, qui n’était guère plus orthodoxe qu’eux, n’admettait pas qu’il fût permis de porter atteinte à la vieille maxime monarchique : une loi, un roi, une foi. Les guérinets pouvaient tendre la main aux protestans et aux jansénistes ; on en comptait 60,000 rien que dans la Picardie, et le cardinal donna l’ordre aux juges de la province de ramener au bercail les brebis égarées. « Le remède, dit un contemporain, fut appliqué tout de suite,… on remplit les prisons de ces hérétiques, et le monstre fut étranglé dans son berceau. »
Soixante ans plus tard, c’était non plus contre les hérétiques, c’était contre les religieux de l’abbaye de Moreuil que les juges de Montdidier avaient à sévir. Ces religieux avaient fait comme l’abbé qui enleva au petit Jehan de Saintré le cœur de la Dame des belles cousines. Ils tenaient table ouverte, contractaient de grosses dettes qu’ils ne payaient pas, et, quand ils furent à bout de ressources, ils vendirent les cercueils de plomb de leurs bienfaiteurs, les seigneurs de Moreuil, qui reposaient dans leur église. Un arrêt de 1711 les expulsa de l’abbaye. L’abbé fut condamné à quatre ans de prison, et l’un des religieux aux galères à perpétuité. C’est là du reste, dans l’histoire des abbayes de la Picardie au XVIIIe siècle, un fait tout à fait exceptionnel. Les bénédictins de Corbie restèrent fidèles jusqu’au moment de la suppression des ordres monastiques aux traditions sévères d’un passé qui remontait aux temps mérovingiens. Fondée en 657 par la reine Bathilde, l’abbaye de Corbie fut l’un des principaux centres intellectuels de la Gaule franque. De 826 à 833, elle fut gouvernée par Wala, neveu de Charlemagne, et quelques années après par l’un des écrivains les plus célèbres du IXe siècle, Paschase Radbert, qui aurait, dit-on, proclamé le premier le dogme de la présence réelle. Située dans une ville frontière qui défendait l’un des passages de la Somme, cette abbaye eut grandement à souffrir des invasions. Elle fut rebâtie après le fameux siège de 1636. De cette reconstruction, il ne reste aujourd’hui que fort peu de chose, et la crypte de l’église que l’on fait remonter au IXe siècle, c’est-à-dire à l’époque de Wala, est le dernier débris de l’un des monastères les plus célèbres de l’ancienne monarchie. A partir de Corbie et de Villers-Bretonneux, on entre dans la subdivision de la Picardie connue sous le nom de Santerre ou Santois (Sanctcriensis Ager). Cette subdivision comprend la partie sud de l’arrondissement d’Amiens, quelques enclaves de l’arrondissement de Montdidier et l’arrondissement de Péronne. Avant de pousser plus loin notre excursion, nous allons donner quelques détails sur une coutume particulière à cette région de la Picardie, coutume dont l’existence n’est pas même soupçonnée dans le reste de la France, et qui rappelle par certains côtés les violences du banditisme corse.
Deux constitutions de l’empereur Zénon promulguées au IVe siècle nous apprennent qu’il existait-dans l’empire romain des fermiers qui à l’expiration de leurs baux s’obstinaient à ne point quitter les terres qu’ils avaient prises à louage, nomine conductionis, et que d’autres se vengeaient d’avoir été dépossédés en molestant ceux qui leur succédaient dans les exploitations rurales. Le même fait se produit encore aujourd’hui dans le Santerre à la distance de quinze siècles. Voici ce qui se passe : du moment où un cultivateur de ce pays a pris une terre à bail, il regarde cette terre comme une chose à lui. Pourvu qu’il paie la redevance annuelle, il ne reconnaît pas au propriétaire le droit de changer les clauses du contrat de louage à l’époque du renouvellement, d’augmenter le prix de la location, ou de choisir un autre occupant. Inféodé pour toujours au sol qu’il exploite, il le donne en dot à ses enfans, le transmet par voie d’héritage, l’afferme à qui bon lui semble, et le propriétaire n’en peut recouvrer la libre jouissance et rentrer dans la plénitude de sa possession qu’en lui payant ce qu’on appelle le droit de marché, qui varie, suivant les lieux, entre le huitième, le quart et quelquefois même la moitié de la valeur du fonds ; dans tous les cas, le fermier reste libre d’accepter ou de refuser la transaction. Cette coutume, profondément enracinée dans les habitudes du pays, n’a pas eu seulement pour effet de diminuer dans une très forte proportion la valeur des biens fonciers et de soumettre les propriétaires à une nouvelle servitude de la glèbe, elle a donné lieu dans tous les temps, y compris le nôtre, aux plus graves délits.
Dans un remarquable discours de rentrée prononcé en 1864 devant la cour d’appel d’Amiens, M. Saudbreuil, alors procureur-général près de cette cour, a retracé en détail l’histoire du droit de marché, et ce discours est comme un supplément aux chroniques de la jacquerie. Un arrêt du conseil en date du 4 novembre 1769 nous révèle qu’à cette époque les habitans du Santerre s’étaient ligués « pour se maintenir dans l’indue possession des biens qu’ils avaient à ferme sans qu’aucun pût prendre le bail de l’autre et le déposséder de sa jouissance, et que ceux qui contrevenaient à cette prétendue loi étaient considérés comme méritant la mort. Ils menacent, dit l’arrêt, d’incendie et d’assassinat les propriétaires et ceux qui osent se présenter pour passer de nouveaux baux ; l’exécution suit de près la menace. Les arbres mutilés, les récoltes volées, les charrues brûlées, les chevaux tués, les domestiques maltraités, sont les moindres violences ; l’incendie des bâtimens et des récoltes, le meurtre, sont fréquens. Ces crimes se commettent la nuit par des gens masqués ; le secret est rigoureusement gardé, et la justice impuissante à punir les coupables. » Malgré les peines sévères édictées par l’arrêt du 4 novembre, le droit de marché resta en vigueur, et se propagea dans un grand nombre de localités voisines du Santerre. En 1724, de nouvelles mesures furent prises pour mettre un terme à « des forfaits impénétrables, » et, comme ces forfaits restaient impunis, ils se multiplièrent dans une effrayante proportion. En 1783, un curé fut tué en plein jour devant la porte de son église pour avoir voulu lui-même exploiter sa terre ; un berger fut frappé d’une balle au moment où il causait au milieu d’une rue avec quelques habitans de son village, et les magistrats qui se rendirent sur les lieux se retirèrent sans avoir pu obtenir par la douceur ou par la menace la moindre révélation. Dans les dernières années du règne de Louis XVI, l’audace des incendiaires et des assassins en était venue à un tel point, et l’impuissance de la répression était si grande, que quelques publicistes picards proposèrent de déporter en masse dans les colonies la population du Santerre.
Aujourd’hui, en 1873, le droit de marché règne encore en maître dans les fertiles contrées qu’il a stérilisées si longtemps. Les meurtres sont de plus en plus rares, mais l’incendie est resté l’arme favorite de la vengeance. En 1860, pour ne citer qu’un exemple, un propriétaire des environs de Péronne avait repris sa terre et fait bâtir une ferme pour l’exploiter lui-même ; pendant cinq ans, aussitôt la moisson terminée, ses granges et ses récoltes étaient livrées aux flammes ; les paysans se rassemblaient pour les voir brûler, et deux pauvres femmes qui avaient porté quelques seaux d’eau avec les domestiques de la ferme furent forcées de quitter le pays. D’Albert à Ham et de Nesle à Combles, on peut voir des pièces de terre complètement incultes, comme au temps des invasions normandes, et sur la commune de Mons-en-Chaussée il en est qui sont restées en friche depuis soixante ans. Malgré les constans efforts de la magistrature et des autorités départementales, le droit de margelle existe encore dans une centaine de communes environ, et ce ne sont pas les théories radicales et socialistes, dont il n’est en réalité qu’une désastreuse application et qu’on cherche à propager dans les campagnes, qui aideront à le faire disparaître.
Ham est une petite ville de 2,500 habitans, située en plein Santerre, sur les bords de la Somme. Elle date de loin, car sa charte de commune est antérieure à 1142, et la crypte très remarquable de son église renferme des tombeaux au millésime de 1234 Comme Saint-Valéry, Rue, Le Crotoy, Doullens, Roye, Corbie, elle a été assiégée et brûlée dix ou douze fois ; grâce à son industrie, elle s’est toujours relevée de ses ruines. Aujourd’hui elle a des fabriques d’étoffes, des tanneries, des minoteries, des distilleries, des sucreries, des ateliers d’où sortent des instrumens aratoires très perfectionnés, et telle est son ardeur au travail qu’au milieu des plus graves événemens de la dernière guerre, au moment même où l’ennemi n’en était plus qu’à quelques lieues, le journal de la localité publiait des articles sur la concurrence du sucre de betterave et du sucre de canne. C’était en petit le sénat romain mettant aux enchères le champ ou campait Annibal.
L’origine du château de Ham remonte aux premiers Capétiens ; mais les constructions qui existent aujourd’hui sont d’une date plus récente. C’est un rectangle de 120 mètres de long sur 80 de large, embrassant dans son enceinte une vaste cour. Une tour ronde fait saillie à chaque angle, et il en est une, celle du connétable, qui étonne par des proportions vraiment gigantesques. Bâtie à l’époque où l’artillerie commençait à être en usage dans les sièges, elle forme une sorte de transition entre le système du moyen âgé et le système moderne, et les murs n’ont pas moins de 6 mètres d’épaisseur[10]. Quelques travaux de fortification, dans le genre de ceux de Vincennes, ont été ajoutés aux anciennes constructions, et dans son état actuel le château de Ham est susceptible d’une certaine défense. Avant la guerre, deux ou trois compagnies d’infanterie y tenaient garnison ; mais aujourd’hui il n’y reste pas même un portier-consigne. Tout est désert et silencieux. Au milieu de la cour s’élève un bâtiment en briques dont les fenêtres sont garnies de barreaux de fer : c’est la prison d’état ; un vieux tilleul projette son ombre sur les murs, et ce tilleul, c’est un arbre de la liberté planté par un des commissaires que le comité de salut public avait chargé de mobiliser la guillotine dans les départemens du nord.
On pourrait refaire l’histoire de nos discordes civiles et de nos révolutions depuis trois siècles rien qu’avec le registre d’écrou du château de Ham, et je ne sais quel sentiment d’amère tristesse, mêlé de pitié et de mépris pour les hommes, inspire l’aspect de ces portes aux lourdes serrures qui se sont fermées tant de fois sur les victimes de l’arbitraire et de la violence. Parmi les prisonniers, quelques-uns avaient encouru la juste sévérité des lois, et quand Louis de Bourbon, prince de Condé, le bossu le plus spirituel et le plus débauché de son temps, se mettait à la tête de la conjuration d’Amboise, il devait s’estimer fort heureux d’en être quitte pour quelques mois de cachot dans la tour du connétable ; mais ce qui indigne, c’est de voir Cassard, que Duguay-Trouin appelait le plus grand homme de mer de son temps, jeté en 1726 dans les casemates de la forteresse par ordre du cardinal de Fleury, pour avoir réclamé, contrairement à un arrêt du parlement de Paris, les avances qu’il avait faites pour l’armement de douze navires de guerre ; ce qui indigne, c’est de voir Mirabeau mis en cage, comme disent les mémoires du temps, parce qu’il avait signalé les honteuses malversations des gens de finance et la complicité des hommes chargés de veiller sur la fortune de l’état. Il faut toutefois rendre cette justice à l’ancienne monarchie, qu’en trois siècles elle a envoyé moins de prisonniers au château de Ham que ne l’ont fait en vingt-cinq ans la révolution, l’empire et la restauration. Durant cette courte période, on les compte par centaines, et toutes les classes, toutes les opinions, toutes les lâchetés et tous les dévoûmens y sont représentés. Sous la terreur, les jacobins envoient le fameux général Rossignol, l’élu des clubs de Paris, qui s’était illustré dans la Vendée par sa merveilleuse aptitude à se faire battre, réfléchir dans la tour du connétable sur le néant des grandeurs révolutionnaires[11]. Au 9 thermidor, c’est le tour des jacobins, et ceux-ci, pour égayer leur captivité, jouent à la guillotine. Sous le consulat et l’empiré, les cachots sont trop étroits pour contenir les nouveaux suspects. L’homme qui se glorifiait d’avoir rétabli le culte expédie au gouverneur du château les prêtres qui se permettent de blâmer ses violences envers le pape, et l’un d’eux, l’abbé Henri de Briosne, est si durement traité, il est placé dans une chambre si malsaine, qu’après deux ans de captivité il ne peut plus descendre seul de son lit, ni se lever de son fauteuil. La vieille forteresse, transformée en bastille impériale, ne suffisait pas, si vaste qu’elle fût, et le décret du 3 mars 1810 créa huit autres prisons d’état, qui ne tardèrent point à se remplir.
Louis XVIII, en remontant sur le trône de ses pères, comme on disait sous la restauration, promulgua une ordonnance par laquelle il déclarait qu’à l’avenir le château de Ham ne recevrait plus de prisonniers politiques ; mais, comme ses ancêtres, il pensait avec saint Thomas que les lois n’obligent point ceux qui les ont faites. En 1815, il y envoya pour trois mois le maréchal Moncey, qui avait refusé de prendre part à l’assassinat juridique du maréchal Ney, et l’année suivante il y envoyait pour vingt ans l’un des plus honnêtes soldats des armées de la république et de l’empire, le général Travot, que l’emprisonnement rendit fou, et qui mourut sans avoir jamais recouvré la raison[12]. Quinze ans plus tard, le vent des révolutions déracinait le vieux tronc capétien, et le 29 décembre 1830 les ministres signataires des ordonnances, MM. de Polignac, de Peyronnet, de Chantelause et de Guernon-Ranville, venaient occuper les cellules de l’abbé de Briosne et du général Travot. Mme de Polignac vint habiter Ham, où elle se fit bénir des malheureux par son inépuisable charité, et le duc son mari se consola en écrivant des Etudes historiques, philosophiques et morales. M. de Peyronnet publia les Pensées d’un prisonnier, et donna au Livre des cent et un une curieuse étude sur les hommes que les perpétuelles réactions de la politique avaient jetés, comme lui, sous les verrous de la forteresse. Rigide observateur des règlemens auxquels il était soumis, il ne se plaignit jamais, et demanda pour unique faveur qu’on voulût bien changer l’heure de sa promenade. « Si cette heure ne vous convient pas, répondit le commandant, restez chez vous. » A dater de ce moment, M. de Peyronnet ne sortit plus de sa chambre jusqu’au jour où le roi Louis-Philippe le rendit à la liberté, ainsi que ses anciens collègues, après une détention qui avait duré près de six ans. »
Louis-Napoléon succéda aux ministres de Charles X. Il fut conduit à Ham après l’affaire de Boulogne, et fut sur sa route l’objet d’une grande curiosité. A l’un des relais de poste, une vieille femme s’approcha pour lui demander une grâce, et il promit de s’en souvenir quand il serait empereur. Des faits du même genre se produisirent pendant toute la durée de sa détention. Chaque fois que, dans ses promenades à l’intérieur du château, il passait devant un factionnaire, celui-ci lui présentait les armes, et malgré la salle de police, malgré les changemens de la garnison, les sentinelles n’en continuaient pas moins de lui rendre les honneurs militaires. Louis-Napoléon s’était évadé de Ham le 25 mai 1846. Trois ans plus tard, le 22 juillet 1849, il y revenait comme président de la république. Dans le banquet qui lui fut offert par la ville, il se leva et dit : « Je porte un toast en l’honneur des hommes qui sont déterminés, malgré leurs convictions, à respecter les institutions du pays. » Et le 3 décembre 1851 les généraux Cavaignac, Changarnier, de Lamoricière, Le Flô, Bedeau, le colonel Charras, MM. Baze et Roger du Nord traversaient les ponts-levis du château. Ainsi furent justifiées ces paroles de Machiavel : « quand une assemblée est en lutte avec un prince, c’est le prince qui doit triompher, parce qu’il a sur l’assemblée l’avantage du silence et du mensonge. »
Le 21 novembre 1870, lorsqu’une division prussienne vint prendre possession du château de Ham, le premier soin du général Kummer fut de visiter les appartemens qu’avait occupés Napoléon, comme s’il avait voulu donner un témoignage de reconnaissance à l’homme qui avait fait la grandeur de la Prusse. La division s’éloigna quelques jours après en laissant dans le château une garnison chargée de recevoir et de garder les vivres et les objets de toute nature que des colonnes volantes enlevaient dans les environs ; mais le général Faidherbe, qui venait de réorganiser l’armée du nord, résolut de mettre un terme aux exactions prussiennes, et dirigea sur Ham trois bataillons aux ordres du général Lecointe. Ce brave officier, escorté des deux dragons qui formaient toute sa cavalerie, arriva vers six heures du soir en vue de Ham. Il lança les troupes sur la gare et dans les rues, et tous les Prussiens qui se présentèrent furent pris ou tués ; mais ceux qui occupaient le château levèrent les ponts-levis et ouvrirent un feu très vif contre les tirailleurs français, qui s’étaient postés derrière les arbres de l’esplanade et dans les maisons situées en face de la forteresse. Un officier envoyé en parlementaire fut accueilli par une décharge qui tua son clairon et le blessa lui-même à la tête. Quelques coups de canon furent alors tirés contre les tours, et bientôt un lieutenant prussien, qui venait d’être pris, se chargea de faire comprendre à la garnison qu’une plus longue résistance était inutile. Une capitulation fut signée, et 210 prisonniers, dont 12 officiers, restèrent entre nos mains. On trouva dans les bagages de l’ennemi et les sacs des soldats des robes de soie, des jupons, des couverts d’argent, un violon et des objets de toute espèce, comme pour témoigner que, de même qu’au temps de Tacite, le latrocinium honestum comptait parmi les vertus guerrières de la Germanie.
La surprise de Ham fut le premier exploit du mouvement offensif de la seconde armée du nord ; elle eut pour effet immédiat d’intercepter les communications de Manteuffel avec Reims, et de couper le chemin de fer entre Tergnier, Amiens et la Normandie. Le surlendemain, un bataillon du 75e enlevait, sur la route de La Fère, avec son escorte de 138 hommes un convoi de trente voitures remplies d’objets volés à Compiègne. Les officiers, qui suivaient le convoi en omnibus, furent priés de descendre, ce qu’ils firent de bonne grâce ; mais l’armée française ne tarda pas à s’éloigner, et la ville fut de nouveau occupée par l’ennemi. Au moindre prétexte, elle était frappée de lourdes contributions, et là comme partout, les procédés insultans des autorités allemandes blessèrent les esprits plus profondément encore que leurs exactions.
Albert n’a point, comme Ham, de château historique, mais il a une belle cascade, ce qui est beaucoup plus rare en Picardie, où l’on ne connaît, en fait de chutes d’eau, que les chutes de moulins et une grotte renommée par ses pétrifications ; c’est une résidence fort agréable pour les gens tranquilles qui aiment à ne voir personne dans les rues, et à vivre, comme le dit Sainte-Beuve, pour le plaisir de se sentir vivre. Sous l’ancienne monarchie, c’était un marquisat très important, qui avait pour chef-lieu la ville actuelle. Cette ville, dont le nom primitif rappelle l’une des plus célèbres catastrophes du favoritisme monarchique, s’appela d’abord Incra, et ensuite Ancre, jusqu’au règne de Louis XIII. Concini, ayant acquis le marquisat, prit le titre de maréchal d’Ancre ; mais la roue de la fortune tournait vite à la cour du Louvre. Louis XIII, après avoir laissé Concini dilapider impunément la fortune publique, chargea Vitry, son capitaine des gardes, de l’assassiner, ce qui fut fait le 24 avril 1617. Albert de Luynes, l’un des instigateurs du meurtre, se fit donner le marquisat, qui fut érigé en duché-pairie, et, comme le nom d’Ancre sonnait mal à son oreille parce qu’il avait été porté par sa victime, il obtint du roi que la ville, chef-lieu de son duché, prendrait son prénom, et depuis ce temps elle s’appelle Albert. On peut juger de ce qu’elle eut à souffrir pendant les guerres du moyen âge par l’immense souterrain où les habitans venaient chercher un refuge non-seulement contre l’ennemi, mais contre les troupes françaises elles-mêmes, qui mettaient à feu et à sang le pays qu’elles étaient chargées de défendre. Ces sortes de refuges sont très nombreux dans le Santerre, et à chaque pas des souvenirs sanglans se réveillent. A Lihons, en 1440, 300 habitans retranchés dans l’église y sont brûlés par les Anglais. Nesle, en 1472, est attaquée par Charles le Téméraire. Après plusieurs assauts, les bourgeois capitulent à la condition qu’ils auront la vie sauve ; mais les Bourguignons sont à peine entrés dans la place qu’ils se mettent à tout tuer. Un grand nombre de femmes, d’enfans, d’habitans sans armes, courent se réfugier dans l’église ; les Bourguignons s’y précipitent après eux. Le duc Charles y arrive à son tour, il voit des morts et du sang sur toutes les dalles et jusqu’au pied des autels, et s’écrie : « Par saint George, voici une belle boucherie ; j’ai de bons bouchers ! » — Edouard III faisant massacrer les prisonniers à Crécy, Charles de Bourgogne s’extasiant devant les cadavres des bourgeois de Nesle, Le Bon fatiguant le bourreau, les Bavarois brûlant les habitans de Bazeilles, la commune fusillant les otages, quels terribles chefs d’accusation contre l’espèce humaine, quels démentis cruels à la légende de la civilisation progressive !
Pendant près de trois mois, l’effort de l’armée prussienne s’est concentré tout entier sur le terrain compris entre Amiens, La Fère, Saint-Quentin, Péronne et Bapaume. Quatre grandes batailles, un siège plus terrible encore que celui de Strasbourg, une foule de petits combats ont ensanglanté ce coin de terre, où l’on ne rencontre pas un seul village, un seul hameau qui ne soit rempli de douloureux souvenirs. Un habitant de Péronne, M. Ramon[13], donne l’exact détail des réquisitions faites dans les diverses communes ; elles furent écrasantes. Un petit village qui compte à peine 420 habitans, Gueudecourt, eut à livrer dans l’espace d’un mois 2,615 kilogrammes de pain, 400 kilogrammes de viande salée, 2 chevaux, 7 vaches, 48 moutons, 242 poules, 50 lapins, 507 bouteilles de vin, 700 litres d’eau-de-vie et liqueurs, 253 hectolitres d’avoine, 4,000 kilogr. de fourrages et de paille. Ce n’était cependant là que le moindre des maux. Presque toujours, quand les soldats allemands rencontraient des paysans isolés sur leur route, ils les rouaient de coups ; ils les forcèrent en certains endroits à s’atteler aux voitures pour les traîner en guise de chevaux ; ils leur liaient les pieds et les poings, comme ils l’ont fait sans provocation aucune pour M. le baron de Foucaucourt, les jetaient sur le fumier et les laissaient douze heures sans manger. Sous prétexte de chercher des armes, ils brûlaient les meubles, s’emparaient de tous les objets à leur convenance, et quand les habitans voulaient faire quelques observations, ils les accablaient de coups de crosse et de coups de plat de sabre. « Nous savions bien, nous disait l’un des maires de l’arrondissement de Péronne, que la guerre a de dures exigences, et nous nous y soumettions ; mais nous ne pardonnerons jamais les actes de brutalité dont nous avons été victimes sans que rien les ait motivés. On nous vexait de toutes manières pour le seul plaisir de nous faire sentir que nous étions vaincus. » Quelques généraux eux-mêmes, se donnèrent cette satisfaction. A Dompierre, le général de Goeben, logé chez le curé, voulut le forcer de dîner à sa table, et de manger de la viande un vendredi ; le curé refusa, et le général, qui s’était cependant montré fort poli jusque-là envers ses hôtes, se laissa emporter à de telles violences de parole que le digne curé éprouva un saisissement dont il mourut quelque temps après ; mais voici des faits bien autrement graves.
Les habitans de Fay, Estrées et Foucaucourt, communes situées entre Amiens et Péronne, avaient formé un petit corps-franc qui fit bravement la guerre d’embuscade. Le 11 décembre, ils reçurent à coups de fusil des patrouilles de uhlans. Le surlendemain, 400 hommes d’infanterie avec quatre canons et quelques cavaliers arrivèrent devant Foucaucourt ; 35 francs-tireurs de Lameth, embusqués derrière les haies, les accueillirent par une vive fusillade ; ils reculèrent d’abord, mais, en voyant le petit nombre d’hommes qu’ils avaient devant eux, ils revinrent à la charge et lancèrent quelques obus sur le village. Les francs-tireurs se jetèrent dans un bois voisin, et Foucaucourt fut mis à feu et à sang. Les soldats du 70e prussien, du 4e polonais et du 8e d’artillerie du Rhin, qui se signalèrent par leurs cruautés pendant toute la campagne, avaient été chargés de l’exécution ; ils s’en acquittèrent à la satisfaction de leurs chefs. Après avoir fouillé les maisons, où ils ne trouvèrent ni armes ni munitions, ils forcèrent les femmes à leur donner des allumettes pour y mettre le feu, quoiqu’ils eussent avec eux tout l’attirail des incendiaires, et, quand les flammes commencèrent à s’élever, ils défendirent sous peine de mort de les éteindre. Tandis que les uns éventraient les bestiaux qui s’échappaient des étables, les autres clouaient sur son fauteuil à coups de baïonnette M. Basset, depuis longtemps malade ; ils assassinaient un vieillard infirme et tuaient ou blessaient tous ceux qui leur tombaient sous la main. Un jeune homme de dix-sept ans, Charles Pottier, qui malgré l’incendie travaillait dans un moulin, est saisi par eux : ils le frappent de deux coups de baïonnette, le fusillent ensuite dans sa cour et pénètrent en hurlant dans sa maison. Là ils se saisissent de Mme Pottier et de sa fille et s’efforcent de les entraîner pour les fusiller à leur tour. Les deux femmes opposent à leurs bourreaux une résistance désespérée, lorsque tout à coup un appel de trompette se fait entendre ; les Allemands se rassemblent en toute hâte et abandonnent au pas de course le village, qui n’était plus qu’un immense brasier. Les vedettes avaient vu briller de loin les fusils de quelques francs-tireurs qui rampaient derrière des silos de betteraves, ils les avaient pris pour une avant-garde française, et le signal de la retraite avait été donné tout aussitôt. C’est à cette circonstance que Foucaucourt a dû de n’être pas réduit en cendres jusqu’à la dernière maison. Quelques jours après, le lieutenant Grosskopf, du 70e, se vantait dans un village voisin d’avoir donné le signal du massacre[14].
A peu de temps de là le village de Cléry fut le théâtre d’autres atrocités. Deux officiers du 7e uhlans, dont un capitaine, le docteur de ce régiment et un chef du service télégraphique entrèrent chez M. Legrand, riche fermier de cette localité. Ils commandèrent un dîner que l’on se hâta de leur servir, et qu’ils arrosèrent de copieuses libations. La nuit venue, les Allemands, échauffés par l’ivresse, commencèrent à agacer une jeune fille qui les avait servis. M. Legrand lui donna l’ordre de se retirer ; elle obéit, et aussitôt les Allemands s’écrièrent qu’ils voulaient des femmes. L’un des membres de la famille crut qu’il s’agissait du service de la table, et appela deux de ses parentes. M. Legrand, en les voyant entrer dans la pièce, leur fit signe de s’éloigner au plus vite ; le capitaine se leva de table, et, sans respect pour les cheveux blancs de son hôte, le fit garrotter et conduire dans une auberge où se trouvaient une soixantaine de fantassins du 4e régiment d’infanterie. A peine le malheureux vieillard a-t-il fait quelques pas dans l’auberge, que le uhlan lui porte entre les épaules un violent coup de poing qui le jette par terre. « Est-ce assez malhonnête de m’apostropher d’une pareille manière ? » dit M. Legrand en essayant de se relever. Alors le Prussien se jette sur lui, lui enfonce un foulard dans la bouche, et lui tire trois coups de revolver. Deux balles portent en plein dans la tête, et la troisième va s’enfoncer au pied du mur, ou l’on voit encore aujourd’hui sa trace. Trois officiers d’artillerie, qui couchaient dans une pièce voisine, se levèrent au bruit des détonations, et se remirent tranquillement au lit en voyant qu’il ne s’agissait que de l’assassinat d’un vieillard. Quand le meurtre fut consommé, le uhlan frappa la tête du mort à grands coups de botte, et fit attacher le cadavre à la porte d’un jardin situé en face de l’auberge. Une corde qui maintenait la tête haute fut passée au linteau de cette porte ; deux autres cordes, liées aux montans, retinrent les bras tendus en croix, les genoux touchant presque à terre, avec un sabre attaché à la main droite pour faire croire à une agression.
On peut penser que cet acte d’inexplicable cruauté fut accueilli dans l’armée prussienne avec une vive satisfaction, car le 17 janvier les soldats qui passaient à Cléry pour marcher vers Saint-Quentin se montraient en riant la porte où le malheureux vieillard avait été attaché, et c’étaient ces mêmes soldats, ces fils de la rêveuse Allemagne, qui portaient sur la plaque de leur ceinturon cette mystique légende : pour Dieu et la pairie, et qui plaçaient sur les croix consacrées au souvenir de leurs morts un papillon, symbole d’immortalité.
Des remparts de briques, en avant de ces remparts des ouvrages en terre défendus par de larges fossés pleins d’eau et coupés d’écluses, d’un côté la Somme et son canal, de l’autre, un large marais à demi submergé où semblent flotter de petites îles cultivées en jardins et bordées de roseaux, une église, un beffroi, un vieux château flanqué de tours, quelques rues et une grande place où se tiennent des marchés de grains considérables, — voilà Péronne. C’était à l’origine un château mérovingien : le nom d’un village voisin de ses faubourgs, Sainte-Radegonde, rappelle le séjour que fit dans ses murs la femme de Clotaire Ier, lorsqu’elle se rendit à Noyon pour prendre le voile des mains de saint Médard. Au Xe siècle, le comte Herbert de Vermandois y retint captif Charles le Simple, dont il s’était emparé par une lâche trahison, et ce malheureux prince, que les historiens du temps ont flétri du nom de Stultus, Stolidus, Simples, pour justifier l’usurpation capétienne, y mourut le 7 octobre 929.
Le château de Péronne était destiné à servir de prison aux rois de France. Le 24 août 1468 arrivait dans cette ville Louis XI, accompagné seulement de quelques seigneurs et des archers de la garde écossaise, pour conclure avec Charles le Téméraire le rachat des villes de la Somme. Les négociations étaient entamées depuis quelques jours lorsque Charles fut averti que les Liégeois, travaillés secrètement par les agens du prince qui venait traiter avec lui, s’étaient révoltés contre leur seigneur, son parent et son allié ; il fit aussitôt fermer les portes du château où Louis XI était logé et le retint prisonnier pendant trois jours, jusqu’à ce qu’il eût souscrit aux conditions qu’il voulait lui imposer. Les Parisiens, toujours prêts à rire et à gausser, s’égayèrent fort de cette aventure, sans s’inquiéter des conséquences fâcheuses qu’elle avait entraînées pour la France. A défaut de serins et de perroquets, ils avaient alors la manie d’élever des geais, des pies, des corbeaux et autres oiseaux parleurs, et, lorsqu’ils étaient contens du gouvernement, ils leur apprenaient à crier vive le roi ; mais ils n’aimaient pas Louis XI, quoiqu’il eût diminué les droits sur le vin, et pour lui donner une leçon ils habituèrent leurs corbeaux et leurs geais à répéter : Péronne ! Péronne ! Louis ne voulut point tolérer une manifestation aussi injurieuse, et les oiseaux furent mis en arrestation comme coupables d’outrages envers le chef de l’état.
La ville de Charles le Téméraire rentra sous la domination française en 1477. Elle était industrieuse et prospère lorsque l’ambition de Charles-Quint livra la Picardie à de sauvages dévastations. Le 16 août 1536, une armée espagnole et allemande, commandée par le comte de Nassau, vint camper devant ses murs et plaça ses batteries sur le mont Saint-Quentin, à l’endroit même où trois cent trente-quatre ans plus tard les Prussiens établissaient leurs canons rayés. A la première nouvelle de l’approche des ennemis, le maréchal de Lamark, le comte de Dammartin et le sire d’Estourmel, le descendant du vaillant chevalier picard qui avait planté le premier la bannière française sur les murs de Jérusalem, s’étaient enfermés dans la ville avec la ferme résolution de s’ensevelir sous ses ruines, car la vieille noblesse française ne marchandait point son sang lorsqu’il s’agissait du salut du royaume. La place n’était pas mieux armée en 1536 qu’elle ne l’était en 1870 ; mais le courage des habitans et de la garnison[15] fit échouer les efforts des assiégeans. Deux brèches étaient ouvertes, l’ennemi donna deux assauts et fut repoussé avec des pertes considérables. A la seconde attaque, au moment même où il allait franchir une petite brèche qu’on avait laissée sans défense, une femme, Marie Fouré, aperçut un porte-étendard qui cherchait à monter sur le parapet ; elle alla droit à lui, comme si elle eût voulu l’aider à franchir l’escarpe, lui fit signe de lui tendre la hampe de son drapeau, et, quand elle l’eut saisie, elle l’en frappa violemment sur la tête, le précipita dans le fossé et cria : Victoire ! Quelques soldats accoururent aussitôt, et la ville fut sauvée.
Cependant les munitions commençaient à manquer. Lamark résolut de demander des secours au duc de Vendôme, qui se trouvait alors à Ham ; mais comment lui faire parvenir la demande ? Un soldat de Montdidier, Jean de Haizecourt, se chargea de cette mission périlleuse : il passa la Somme à la nage à travers les arquebusades et remit la missive à Vendôme. Celui-ci, qui connaissait l’importance militaire de Péronne, s’empressa d’envoyer des renforts. Il confia l’expédition au jeune duc de Guise, qui faisait ses premières armes sous ses ordres : Guise partit avec 200 chevaux et 400 arquebusiers, portant chacun un sac de poudre de 10 livres ; il rassembla les tambours et les trompettes de son armée, et les fit arriver vers minuit aux abords du camp des Allemands, en les éparpillant dans la campagne. Tout à coup la charge battit sur toute la ligne, les assiégeans coururent aux armes et se massèrent autour de leur artillerie pour la défendre. Les arquebusiers franchirent les lignes et entrèrent dans la place, car les vaillans capitaines du XVIe siècle trouvaient toujours moyen de traverser les lignes les mieux gardées. Le comte de Nassau ne s’aperçut que le lendemain au point du jour de la ruse dont il avait été dupe. Pour se venger, il ordonna un troisième assaut, qui fut repoussé comme les autres. Ce nouvel échec le décida à lever le siège ; mais, avant de décamper, il voulut faire des adieux sanglans à la ville que les femmes elles-mêmes avaient si vaillamment défendue, et pendant deux jours il la cribla de boulets pour l’anéantir, faute de pouvoir la prendre.
Quand on compare le siège de 1536 à celui de 1870, on est frappé de l’analogie qu’ils présentent entre eux, et l’on reconnaît que les procédés militaires des Allemands n’ont point changé. En 1536, ils tirent dans un seul jour 1,800 coups de canon sur les maisons pour les réduire en poudre, ils mettent toute leur force dans leur artillerie et se montrent même sous ce rapport plus prévoyans que Goeben, car celui-ci n’avait envoyé au début des opérations que cinquante-quatre pièces de campagne, et le comte de Nassau en avait amené soixante-douze, du plus fort calibre qu’il pût trouver. L’instinct de destruction des propriétés privées est le même aux deux époques ; seulement Nassau n’a pas craint de tenter contre la ville trois attaques de vive force, et Goeben s’est contenté de la brûler.
Péronne, que l’on surnommait la dévote[16], joua un grand rôle dans les événemens de la fin du XVIe siècle. Le 6 mai 1576, un traité de paix avait été signé à Chartenoy en Bretagne entre le duc d’Alençon, Henri de Navarre, le prince de Condé, chef du parti protestant, et la reine Catherine de Médicis, agissant au nom du parti catholique. En vertu de ce traité, le prince de Condé était nommé gouverneur de la Picardie, et recevait Péronne pour place de sûreté ; mais cette ville était commandée par un catholique fervent, Jacques d’Humières. Celui-ci, craignant d’être destitué par le prince de Condé, résolut de l’écarter de la province ; il forma une association à laquelle il donna pour prétexte la défense de l’orthodoxie, et mit le royaume en feu pour conserver son titre et les profits qu’il en tirait, comme d’autres l’ont fait pour rester au pouvoir ; c’est de là qu’est sortie la ligue. Pendant la minorité de Louis XIV, Péronne et les environs furent le théâtre des derniers efforts de la fronde : Turenne et Condé y manœuvrèrent avec quelques mille hommes, mais sans en venir aux mains, parce que les troupes royales s’étaient retranchées dans une position très forte. Le vainqueur de Rocroy n’osa point les attaquer, et pour donner quelque occupation à ses Espagnols, il fit brûler, — ce que n’a pas dit Bossuet dans son oraison funèbre, — le village et l’église de Manancourt. A dater de cette époque jusqu’à notre temps même, l’histoire de Péronne, dans ses rapports avec l’histoire générale, ne présente que deux faits qui méritent d’être mentionnés. Au moment du retour de l’île d’Elbe, le gouvernement de la restauration résolut de former dans cette ville le noyau d’une armée qui eût été, dit le Moniteur de Gand, moins exposée à la séduction. Le duc d’Orléans, depuis Louis-Philippe, et le duc de Trévise furent chargés de l’organiser ; mais Napoléon marcha si vite qu’il entrait aux Tuileries avant qu’ils ne fussent arrivés à Péronne. Trois mois plus tard, les Anglais, se dirigeant de Waterloo sur Paris, se présentaient devant la place, et Wellington en examinait les approches, lorsqu’un boulet lancé des remparts vint frapper à ses pieds et le couvrir de terre. Ce boulet fut le dernier qui ait été tiré en 1815 par une ville française contre les armées étrangères, et dans notre imprévoyante confiance, dans l’aveuglement où nous avaient plongés les utopies humanitaires, nous avons cru que le canon s’était tu pour toujours dans cette fraîche et verte vallée de la Somme, dont il avait tant de fois fait trembler les échos. Un fort sur le mont Saint-Quentin, quelques redoutes dominant les revers des coteaux qui font face aux remparts, auraient transformé Péronne en une forteresse de premier ordre ; mais rien ne s’est fait, et l’invasion de 1870 l’a trouvée désarmée et offerte comme une cible aux coups de l’ennemi[17].
Quelques travaux avaient été commencés dès le mois d’août 1870, mais ces travaux étaient complètement insignifians ; des canons furent en vain demandés aux arsenaux voisins. On ne fit pas sortir les femmes, les enfans, les vieillards ; les casemates ne furent sur aucun point mises en état d’offrir un refuge aux habitans ; l’établissement de redoutes sur les hauteurs en avant de la place fut négligé malgré les demandes réitérées de la presse locale ; enfin, au lieu de quatre-vingt-huit pièces d’artillerie que comportait le simple armement de sûreté, la ville n’en possédait que quarante-neuf, dont quinze seulement étaient rayées, y compris deux pièces de marine de 30. Ses munitions consistaient en 20,000 projectiles pleins ou creux, 750,000 cartouches et 36,000 kilogrammes de poudre. La garnison comptait 3,500 hommes, mais il ne s’y trouvait en fait de troupes de ligne qu’une seule compagnie du 43e et la 5e compagnie du 1er bataillon des fusiliers-marins de Brest. Le reste se composait de la garde nationale sédentaire, de mobiles et de mobilisés. L’ennemi se présenta devant la place avec dix bataillons, huit escadrons et cinquante-quatre pièces de campagne ; ces forces étaient particulièrement changées des opérations du siège, tandis qu’un corps, d’observation d’environ 12,000 hommes avec seize escadrons et trente canons battait l’estrade entre Péronne et Arras pour couvrir l’investissement du côté du nord, et qu’un autre corps de cinq bataillons, douze escadrons et six batteries était échelonné le long de la Somme, et reliait les assiégeans au gros des troupes allemandes[18]. C’était donc en tout trente-six escadrons de cavalerie qui se trouvaient attachés à l’armée de siège. Cette cavalerie ne cessa point un seul instant de courir la campagne à de très longues distances en maintenant les communications par de petits groupes d’éclaireurs. Dès le lendemain du jour de l’investissement, le 27 décembre, dix batteries allemandes étaient prêtes à faire feu, et c’était un beau champ de tir, car la partie habitée de la place offre à peine une superficie de 28 hectares. Le lendemain à midi, le général de Senden envoya un parlementaire sommer la garnison de capituler. Le commandant Garnier remit au parlementaire la lettre suivante : « Je n’ai qu’une réponse à faire à votre sommation. Le gouvernement de mon pays m’a confié la place de Péronne, je la défendrai jusqu’à la dernière extrémité, et je fais retomber sur vous la responsabilité de tous les maux qui de votre fait, et contrairement aux usages de la guerre entre nations civilisées, atteindraient une population inoffensive. »
Le parlementaire s’éloigna en annonçant que le bombardement commencerait à deux heures. Les batteries ennemies n’attendirent même pas que cette heure fatale fût sonnée : elles la devancèrent de quelques minutes, et firent pleuvoir sur la malheureuse ville une grêle d’obus. Trois drapeaux blancs à la croix rouge de Genève avaient été arborés la veille sur l’hôpital, ils servirent de point de mire aux Prussiens, qui dirigèrent sur eux leurs premiers coups, comme s’ils avaient voulu faire savoir à la population que pour se rendre maîtres d’une ville qu’il leur fallait à tout prix, suivant le mot de Manteuffel, ils ne reculeraient pas devant les actes de la plus révoltante barbarie. L’incendie ne tarda point à s’allumer ; les sœurs de charité, aidées de quelques soldats, procédèrent avec un héroïque dévoûment à l’évacuation des malades, des infirmes et des blessés, qu’elles transportèrent sur des brancards à la caserne[19]. Tandis qu’elles opéraient ce dangereux sauvetage, l’ennemi redoublait son feu contre l’hôpital en flammes, et l’on estime à plus de trois cents les obus qui vinrent le frapper en quelques heures. D’autres incendies éclatèrent bientôt, et pendant la nuit les cinquante-quatre pièces prussiennes ne cessèrent pas de diriger leurs projectiles sur tous les points où s’allumaient de nouveaux foyers.
Les marins et les artilleurs de la mobile répondirent vigoureusement, et firent preuve d’un courage et d’une habileté qui ne se démentirent pas un seul instant pendant toute la durée du siège. Par malheur, les obusiers étaient montés sur des affûts de bois vert récemment fabriqués ; les tourillons reposaient sur le bois, sans aucune garniture de fer ; les pièces sautaient sur leurs affûts, qui se fendaient ou se brisaient par la commotion, et les servans passaient plus de temps à les remettre en état qu’à tirer contre l’ennemi. Le lendemain, l’église Saint-Jean s’abîmait dans les flammes avec les restes de ses magnifiques verrières, la châsse d’argent de saint Fursy et les trésors d’art accumulés dans la sacristie : la grande place n’était plus qu’un immense brasier. Une partie de la population s’était réfugiée dans les casemates, lorsque tout à coup les batteries prussiennes ne tirèrent plus que de loin en loin ; cependant les maisons brûlaient toujours, les bestiaux que les paysans avaient amenés dans la place erraient en beuglant à travers les rues, et du haut des remparts on pouvait voir les soldats prussiens dansant en rond autour de leurs batteries, et, comme le dit M. Ramon, hurlant des chants dont l’écho arrivait jusqu’à la ville. Le ralentissement du feu s’expliquait par le manque de munitions et les mouvemens de l’armée française du nord. Le général de Goeben fit expédier des gargousses, et comme il n’avait point assez de ses cinquante-quatre pièces de campagne pour détruire Péronne, il fit passer aux assiégeans douze pièces du plus fort calibre provenant de La Fère et de Strasbourg. Le 2 janvier, vers neuf heures du matinale bombardement recommença avec une intensité nouvelle. Le conseil de défense résolut d’envoyer des parlementaires demander l’autorisation de faire sortir les vieillards, les femmes et les enfans. M. Louis Cadot, commandant de la garde nationale, M. Gonnet, président de la commission municipale, et M. Friant, vicaire, furent chargés de cette mission. Les Allemands les promenèrent toute la journée dans les villages des environs, sous prétexte de les mettre en rapport direct avec le général qui dirigeait le siège, et qu’ils eurent grand soin de ne pas rencontrer. Les parlementaires, traités avec la dernière rudesse, rapportèrent le soir un refus verbal, car les officiers prussiens s’étaient obstinés à ne point donner de déclaration écrite, et l’un d’eux n’avait pas craint de dire que les maux infligés à la population civile étaient l’un des principaux moyens de leur action.
Les grosses pièces de siège nouvellement mises en position exerçaient d’affreux ravages ; mais les moyens de destruction dont ils disposaient ne suffisaient point encore aux Prussiens, et l’on a su depuis par le capitaine von Spilner, du 69e régiment, que l’ordre avait été donné de faire arriver devant la place douze pièces prussiennes de 24, plus vingt-quatre pièces de 12 et seize mortiers français du plus fort calibre. Malgré la situation désespérée des assiégés, malgré les ravages de la petite vérole noire, les souffrances de la population entassée dans des casemates infectes, la résistance se prolongea jusqu’au 9 janvier. Les Prussiens avaient eu un moment la pensée de donner l’assaut, ils avaient ramassé dans ce dessein une grande quantité d’échelles ; mais ils renoncèrent à leur projet, et se contentèrent d’achever leur œuvre. Les fusiliers-marins, les artilleurs de la mobile de la Somme et la compagnie de dépôt des mobiles d’Abbeville, la meilleure troupe que nous ayons eue, dit M. Ramon, soutinrent en grande partie l’effort de l’armée de siège, et l’ennemi lui-même leur a rendu un éclatant témoignage. Le général von Barnekow, qui avait remplacé le général Senden, écrivit au commandant Garnier : « Monsieur, après le départ des troupes françaises qui ont combattu à Bapaume les 2 et 3 janvier, et comme la place de Péronne a été cernée et bombardée, il me semble que la résistance ultérieure de la place n’aurait pas de raison d’être. J’ai donc l’honneur de vous proposer de faire cesser une résistance désormais inutile en vous promettant, monsieur le commandant, qu’en vertu de votre résistance énergique je vous accorderai des conditions favorables. » « VON BARNEKOW. »
Il était évident que la prolongation de la lutte ne pouvait aboutir qu’à l’anéantissement complet de la ville ; on avait fait pour sauver l’honneur tout ce qu’il était humainement possible de faire. La capitulation fut signée le 9 janvier à onze heures du soir. Les officiers qui s’engagèrent sur l’honneur à ne point porter les armes jusqu’à la fin de la guerre restèrent libres ; les autres furent faits prisonniers avec l’autorisation de conserver leurs épées. La moitié des approvisionnemens en vivres fut laissé à la ville, qui fut en même temps exemptée de toute réquisition en argent et en nature. — Malgré la liberté qui leur était offerte, les officiers de marine, ainsi que ceux du 43e et de la mobile d’Abbeville et d’Amiens, au nombre de vingt-cinq, ne voulurent point se séparer de leurs hommes, ils partirent avec eux pour l’Allemagne, et parmi les sous-officiers et soldats qui les accompagnaient, plus de 500 moururent en route faute de distributions de vivres ou par suite du froid et de fatigues excessives. Quant aux Prussiens, le jour même de leur entrée dans la place, ils s’occupèrent activement de la mettre en état de défense, et se trouvèrent ainsi maîtres de toute la ligne de la Somme, à l’exception d’Abbeville. Pendant les treize jours du bombardement, la garnison avait eu 13 hommes tués et 60 blessés, dont la moitié très grièvement. La population civile comptait 5 victimes, dont 3 femmes[20] ; 74 maisons étaient complètement rasées, 674 autres avaient été plus ou moins sérieusement endommagées, 22 seulement étaient restées, intactes. D’après la Gazette militaire de Berlin, les Prussiens avaient perdu 300 hommes, et 440 d’après la Gazette de Cologne ; ce dernier chiffre est le plus vraisemblable, car on vit passer dans les villages voisins plusieurs convois de morts et de blessés et une trentaine de canons démontés par le feu des assiégés.
Malgré la glorieuse défense du commandant Garnier, le général Faidherbe le blâma sévèrement, et le menaça même de le traduire en conseil de guerre sous prétexte que les lois militaires condamnent à la peine capitale tout commandant qui livre une place sans avoir forcé l’assiégeant à passer par les travaux lents et successifs des sièges, et avant d’avoir repoussé au moins un assaut au corps de la place sur des brèches praticables. Cet ordre du jour a excité une douloureuse surprise dans tout le nord de la France, où les éminens services du général sont cependant si hautement appréciés. La surprise a été partagée par quelques-uns des officiers les plus distingués de son état-major, et M. Ramon nous apprend, d’après une source très sûre d’informations, que l’un d’eux s’est étonné publiquement que le commandant Garnier, à la lecture de la dépêche qui réclamait sa mise en accusation, n’ait pas osé demander que le général fût cité contradictoirement avec lui devant le conseil de guerre. Péronne avait entendu le canon de Bapaume ; elle espérait une armée de secours, et cette armée n’est point venue. Les motifs que donne le général Faidherbe n’ont point paru suffisans pour justifier l’abandon d’une ville à la possession de laquelle l’ennemi attachait une si grande importance. Au lieu de marcher en avant après la victoire de Bapaume, l’armée du nord se replia dans la direction d’Arras, et cependant les Prussiens étaient à bout de forces ; plusieurs de leurs régimens se repliaient en désordre, des estafettes accouraient pour faire rétrograder les convois de munitions dirigés sur la place, ces convois partaient aussitôt sur la ligne de retraite, et quelques officiers, en voyant la satisfaction que ce mouvement de recul produisait parmi les habitans qui se trouvaient sur leur route, se livrèrent à leur égard à des actes d’inqualifiable brutalité. Quelques-uns allèrent même jusqu’à souffleter des femmes qui se tenaient sur le pas de leur porte pour les voir passer. Le 11, à la nouvelle de la capitulation, un journal du Pas-de-Calais, l’Ordre, publiait la lettre suivante[21] qui résume l’impression produite dans le nord par l’inaction du général Faidherbe, impression d’autant plus vive que la population avait pu juger du désarroi des Prussiens, qui se montraient toujours au moindre échec profondément démoralisés.
« Péronne est prise, dit l’auteur de la lettre, qui servait dans l’armée du nord ; c’est un malheur qui pouvait être évité, et il était si facile de débloquer cette place. On s’est dit sans doute : cette position est sans importance. Eh bien ! pour tout militaire qui a de l’expérience, Péronne était un point stratégique de la dernière importance. C’était la route de Paris. C’était par là que l’armée du nord aurait dû manœuvrer, couper les lignes de Tergnier, se jeter dans la forêt de Compiègne, et menacer les derrières de l’ennemi et ses communications avec l’Allemagne. C’était le plan de Bourbaki. Il est un principe général que l’on ne devrait jamais oublier : il faut aller chercher l’ennemi sur ses terres (à Tergnier et à La Fère) et non l’attirer sur son propre territoire. Maintenant l’armée prussienne forme autour de Lille une ceinture de fer qui, se joignant à la mer et à la Belgique, entrave notre marche. Cette ceinture a ses points d’appui à Sedan, La Père, Péronne, Amiens et bientôt Abbeville. Comment n’a-t-on pas agi ? »
Il est évident que, si le général Faidherbe avait connu d’une manière exacte la situation de l’armée qu’il avait en face de lui, il n’aurait point hésité à marcher droit contre elle, et à débloquer la place. Les nombreux et très curieux extraits des dépêches prussiennes et des mémoires militaires allemands traduits et publiés par lui Ramon prouvent que les généraux de cette armée se sentaient dans une position très critique ; l’ordre avait même été donné aux troupes chargées de l’investissement de la partie du nord de sa replier au sud derrière la Somme. De pressantes demandes de renforts et d’artillerie étaient continuellement adressées à Amiens, à La Fère, à Rouen, à Paris même, et il ne paraît pas douteux que le siège aurait été levé, si les troupes françaises étaient arrivées immédiatement après Bapaume. S’il ne connaissait pas ces circonstances, le général Faidherbe ne connaissait que trop les fatigues inouïes que ses troupes avaient eu à supporter. Une terrible futilité semblait d’ailleurs nous condamner dans cette guerre funeste à ne pouvoir pas même profiter de nos victoires, et peut-être, au lieu d’accuser le général Faidherbe de ce qu’il n a point lait, serait-il plus juste de le féliciter de ce qu’il a su faire avec les élémens dont il disposait, et devant les forces toujours renaissantes qui venaient s’entasser devant lui. Aujourd’hui, en parcourant les rues de Péronne, en voyant ces maisons neuves et coquettes, ces magasins élégans, où s’étalent toutes les commodités de la vie, cette église de Saint-Jean aux verrières étincelantes, aux voûtes peintes et dorées, on ne peut croire que 30,000 projectiles se sont abattus, il n’y a pas encore trois ans, sur cette sœur désolée de Strasbourg et de Mézières. Pendant l’occupation, les Prussiens ne pouvaient comprendre que le petit Paris, — c’était le nom qu’ils avaient donné à Péronne à cause de sa résistance, — ait pu sortir comme par enchantement des ruines autour desquelles ils avaient dansé. A part deux ou trois masures effondrées auprès de l’une des portes, il ne reste en souvenir des jours de lutte et de deuil que les deux pièces de marine que les Prussiens ont dédaigné d’emporter, attendu qu’elles sont en fonte et que la fonte est sans valeur. L’une de ces pièces, que l’on peut appeler les héroïnes du siège, est restée sur son affût enclouée et chargée jusqu’à la gueule par les vaillans marins qui l’ont servie ; l’autre est à demi enterrée sous les débris de son gabionnage, et au pied de la plate-forme on lit sur une croix faite d’obus et de bombes : « Delpas, fusilier-marin, 28 décembre 1870. » Le fusilier-marin était l’habile pointeur, mort trop tôt pour la défense, qui démonta la première pièce que les Allemands aient essayé de mettre en batterie.
L’armée du nord, nous venons de le voir, s’était repliée sur Arras après la bataille de Bapaume ; mais cette bataille ne fut pas moins une victoire complète. Quelques corps prussiens se retirèrent dans le plus bel ordre, sans laisser un seul traînard derrière eux, tandis que d’autres, en plus grand nombre, allaient à la débandade. Les habitans de Leforest, Fricourt, Suzanne, Assevillers et autres communes situées sur leur passage s’accordent tous à dire que les routes étaient encombrées de fuyards, de voitures chargées de fusils et de casques, de fantassins qui conduisaient par la bride des chevaux sans cavaliers, de chevaux sur lesquels étaient attachés des morts. Les soldats étaient profondément abattus ; les officiers avaient perdu leur morgue et causaient volontiers avec les habitans. « Méchante Bapaume, disait l’un d’eux, nous beaucoup capout. — M. Faidherbe, grand stratégiste, » disait un autre. Quant aux généraux, malgré l’échec qu’ils venaient d’éprouver, ils connaissaient trop bien leurs ressources et les nôtres pour désespérer du succès final. Le général de Goeben, en rentrant la nuit à Combles, chez son hôte, qu’il avait quitté le matin, lui dit avec le plus grand calme : « Aujourd’hui combat sanglant,… oui, sanglant ; mais demain rien. » L’histoire de la campagne du nord est tout entière dans ces quelques mots. Tandis que les Prussiens, après chaque affaire, retrouvaient leur effectif, nous n’avions, nous, ni réserve à mettre en ligne, ni renforts à espérer ; après chaque marche, on ramassait par centaines les souliers de carton et les sabots perdus par nos soldats dans la neige ou la boue ; les malades et les écloppés laissaient dans nos rangs des vides que l’on ne pouvait combler, et l’effort du jour rendait impossible l’effort du lendemain.
Les Prussiens s’étaient retirés derrière la Somme. Tous les passages de cette rivière étaient fortement gardés ; de nouvelles troupes arrivaient continuellement de la Normandie, et le général Faidherbe dut renoncer à une attaque qui ne présentait aucune chance de succès. Il conçut alors un plan très remarquable, et qui aurait donné sans aucun doute des résultats importans, si le verglas et le dégel n’avaient point opposé à nos troupes des obstacles inattendus. Ce plan consistait à se porter rapidement sur l’Oise, à s’établir dans de bonnes positions en arrière de cette rivière, et à lancer de là des colonnes volantes, pour couper les voies ferrées et détruire les viaducs entre Laon et Reims, entre Reims et Soissons, tandis que des volontaires seraient passés sous un déguisement par la Belgique, pour exécuter le même coup de main à Carignan[22]. Les francs-tireurs ayant déjà détruit le tunnel des Ardennes, les communications par les voies ferrées avec l’Allemagne auraient été complètement coupées, si ce plan avait été exécuté ; mais il fallait marcher vite, et l’armée, par suite des variations de la température, mit quatre jours pour faire une route que, dans des conditions ordinaires, elle aurait pu faire en un seul.
Dans la nuit du 15 au 16 janvier, les chemins se couvrirent de verglas. Un long convoi de 300 voitures réquisitionnées dans les villages et conduites par des paysans, chargé de vivres et de tous les objets de première nécessité, marchait en tête des colonnes françaises. Les chevaux n’étaient point ferrés à glace ; ils s’abattaient à chaque pas, et l’on fut obligé d’atteler les hommes aux voitures. Le dégel succéda au verglas, et la marche n’en fut que plus difficile encore. Le 16, le 17 et le 18, les soldats n’eurent pas même le temps de faire la soupe. L’armée prussienne, toujours très exactement renseignée, profita de ces retards pour marcher à la rencontre de nos troupes, et, comme elle était beaucoup mieux outillée, elle marcha plus vite, laissant ses bagages en arrière, à portée de ses colonnes. Le 17, quelques bataillons de la division von Barnekow vinrent s’établir dans un bois, auprès du village de Templeux ; ils furent promptement délogés. Le lendemain, il fallut soutenir de nouveaux combats à Beauvois et à Vermand. Plusieurs brigades s’étaient battues toute la journée sans prendre un instant de repos. Nous avions perdu plus de 500 hommes à Vermand, et le lendemain 19 l’armée du nord livrait bataille autour de Saint-Quentin, après des combats incessans, des fatigues inouïes et des privations qui avaient mis un grand nombre d’hommes hors d’état de marcher ou de porter leurs armes.
Pour se rendre un compte exact des titres de l’armée du nord et de ses généraux à la reconnaissance du pays, il faut d’abord établir d’une manière précise le chiffre de son effectif à la bataille de Saint-Quentin. Cet effectif se composait de 24 bataillons de troupes de ligne, 18 de mobiles, 14 de mobilisés, 4 escadrons et 2 pelotons de cavalerie, 15 batteries, dont 10 de l’artillerie régulière et 5 de l’artillerie mobile, sur laquelle 3 étaient formées avec les faibles pièces dites de montagne. Au 4 janvier, les bataillons de chasseurs étaient de 500 hommes environ, les bataillons de ligne de 400 hommes, les bataillons de mobiles et de mobilisés de 600 hommes ; mais le 19 janvier cet effectif était déjà notablement réduit, et en somme on peut dire que notre armée sur le champ de bataille de Saint-Quentin ne dépassait pas 31,000 hommes. Les 14 bataillons de mobilisés ne doivent même figurer dans ce nombre que pour mémoire, non pas que le courage leur ait manqué, mais, à de très rares exceptions près, les officiers nommés à l’élection se distinguaient par la plus profonde incapacité ; des garçons meuniers qui n’avaient jamais servi figuraient parmi les capitaines[23], les hommes étaient armés de vieux fusils à baguette d’une portée de moitié moindre que celle des fusils prussiens, et le seul parti qu’il fût possible d’en tirer, c’était de les montrer de loin à l’ennemi, en manière de réserve, ce que du reste le général Faidherbe fit toujours avec beaucoup d’habileté. Déduction faite des 14 bataillons de mobilisés, des tués et des blessés de Templeux, Vermand et Beauvois, des hommes qui n’avaient pu suivre, il restait environ 21,000 combattans effectifs. Cette faible armée prit position en demi-cercle au sud et à l’ouest en avant de Saint-Quentin ; son aile droite, à cheval sur la route de Cambrai, s’appuyait au village de Remaucourt ; son centre faisait face aux villages de Selency, Francilly et Dallon ; il était séparé de l’aile gauche par le canal de la Somme, ce qui rendait les communications difficiles entre les divers corps, et cette aile elle-même s’étendait depuis le canal jusqu’à la route de Guise. Notre faiblesse numérique ne nous permettait pas de prendre l’offensive : il fallait se borner à défendre les positions, ce qui fut fait avec la plus grande vigueur.
Si les généraux prussiens avaient manœuvré pour tourner Saint-Quentin et s’ils avaient attaqué par le nord, ils avaient la chance de nous rejeter sur la ligne de la Somme et sur Amiens, et c’en était fait de l’armée de Faidherbe ; mais dans tout le cours de cette campagne ils ne cherchèrent jamais de savantes combinaisons, ils répétèrent partout la même manœuvre, comme une leçon apprise par cœur. De même qu’à Villers-Bretonneux et à Pont-Noyelles, leur armée se déploya parallèlement à notre front en cherchant à nous déborder par les deux ailes, ce qui leur était facile en raison de leur supériorité numérique, car ce n’est point exagérer que de porter leurs forces à 60,000 hommes. Ils avaient mis en batterie cent soixante et une pièces de 8 et de 9, qui tirèrent 7,282 coups, et cependant, malgré ce luxe de projectiles, malgré l’énorme disproportion de l’effectif, ils furent sur certains points repoussés quatre fois, et même six fois, comme sur les hauteurs de Gauchy. Leur cavalerie, qui ne comptait pas moins de cinquante-trois escadrons, avait tenté quelques charges, elle échoua partout[24]. Notre artillerie, admirablement servie, luttait avec succès, mais de continuels renforts arrivaient aux Allemands ; un corps d’infanterie considérable, envoyé de Paris par le chemin de fer, entrait en ligne vers quatre heures sous les ordres du général Memerty. Nous n’avions point de réserves à opposer à ces masses qui grossissaient toujours, et dont quelques-unes se portaient vers la route de Cambrai pour couper notre ligne de retraite. Nos troupes continuaient à tenir bon, quoique le cercle se resserrât de plus en plus, lorsque le chef d’état-major du 23e corps arriva au galop près du général Faidherbe. « Jusqu’ici, lui dit-il, nous avons arrêté l’ennemi, mais cela ne peut durer longtemps, que faut-il faire ? — Réapprovisionner les cartouchières et les caissons, et tenir bon. — Mais nous serons refoulés sur Saint-Quentin ! — je le sais bien. — Et que ferons-nous après ? — Nous recommencerons la lutte. — Mais, mon général, alors c’est Sedan ! — Pas du tout : nous brûlerons toutes nos cartouches, nous ferons sauter le matériel, et, quand nous n’aurons plus de munitions, nous nous défendrons à la baïonnette. Ceux qui pourront se sauver se sauveront, ceux qui seront cernés ou n’auront plus la force de se battre ou de se sauver se laisseront prendre ; néanmoins on ne se rendra pas. — Est-ce votre dernier mot, mon général ? — Oui ; les journaux se moquent de nous, et disent que nous nous replions toujours. Eh bien ! cette fois nous ne nous replierons pas[25]. » Il ne dépendit pas du général Faidherbe que cette énergique résolution ne s’accomplît. Il venait de donner l’ordre aux soldats du génie d’élever des barricades à l’entrée des faubourgs de Saint-Quentin pour résister dans cette ville jusqu’à la dernière extrémité, lorsqu’il apprit que le général Lecointe, qui commandait le 22e corps et n’avait point été informé de sa résolution, battait en retraite. Ce brave officier avait fait des efforts extraordinaires, mais de nouvelles batteries prussiennes venaient d’ouvrir leur feu, elles le prenaient d’écharpe et à revers ; il était fortement menacé sur ses derrières, et pour sauver son corps d’armée il se replia dans le plus grand ordre, en se couvrant par une ligne de tirailleurs que dirigeait avec sa vigueur habituelle le général Derroja. Le 23e corps suivit le mouvement, et l’armée tout entière traversa Saint-Quentin, emmenant avec elle ses quinze batteries intactes. Pendant que les troupes chargées de couvrir la retraite défendaient les barricades, les Prussiens lancèrent sur la ville une grêle d’obus, ce qui produisit au milieu des convois qui défilaient à travers les rues un indescriptible désordre ; néanmoins les barricades tenaient toujours, et l’armée française avait complètement évacué Saint-Quentin lorsque l’infanterie prussienne y fit irruption de tous côtés. Un bataillon du 33e et un demi-bataillon de fusiliers de marine qui continuaient de combattre dans le faubourg Saint-Martin furent pris à revers et forcés de se rendre avec quatre petites pièces de montagne mises en batterie sur les barricades.
Les dépêches prussiennes avaient annoncé une poursuite à outrance. « Aujourd’hui nous avons combattu, disaient-elles, demain il nous faudra marcher pour achever la déroute. » Le général de Goeben avait sous la main 5,300 hommes de cavalerie, et s’il les eût lancés sur nos colonnes en retraite, ils y auraient sans aucun doute causé de grands ravages, car nos soldats harassés par quatre jours de marche et de combats incessans n’auraient pu soutenir le choc ; mais Goeben, comme Manteuffel à Pont-Noyelles, avait rencontré une si vive résistance qu’il croyait avoir eu devant lui 70,000 combattans, et, bien loin « d’achever la déroute » comme il l’avait annoncé, il se contenta de faire observer nos troupes à distance respectueuse en ramassant des traînards et des écloppés.
La bataille de Saint-Quentin nous coûta 10,000 hommes[26], tués, blessés, prisonniers ou disparus, car les mobilisés désertaient en bandes ; le 20 janvier, nos colonnes, malgré leur état d’épuisement, parcoururent une étape de 40 kilomètres, et quand on entend répéter sans cesse que les troupes françaises ne supportent pas les revers, on est en droit de demander à ceux qui portent contre elles cette injuste accusation quelles sont les armées européennes qui, dans les mêmes circonstances, auraient donné les mêmes preuves de courage obstiné et de stoïque résignation. Huit jours s’étaient à peine écoulés depuis la bataille, que l’armée du nord, réorganisée à l’abri des forteresses, était prête à recommencer la lutte ; le corps du général Lecointe avait même porté ses cantonnemens en avant de Cambrai, lorsque le 29 une dépêche vint annoncer la suspension des hostilités.
Tel est l’exact récit des événemens militaires dont la Picardie a été le théâtre pendant la guerre allemande. Les enfans de cette belle province ont largement payé leur dette. Ils n’oublieront pas leurs morts ; les outrages qu’ils ont subis laisseront dans leurs cœurs d’ineffaçables souvenirs, et ce qu’ils demandent par des vœux unanimes, c’est que chaque commune inscrive dans son école sur un tableau commémoratif les noms de ceux de ses enfans qui sont tombés sur les champs de bataille depuis Wissembourg jusqu’à Saint-Quentin. Les dernières traces de l’invasion ont disparu ; les villes et les villages ont relevé leurs ruines ; le travail a repris partout, et le département, que nous venons de visiter, offre un remarquable exemple de cette puissance de réparation qui fait la force et la grandeur de la France ; mais aujourd’hui que le rêve de la paix perpétuelle a été suivi du plus terrible réveil, chacun se demande si la ligne de la Somme, tant de fois foulée par les pas sanglans de l’étranger, sera laissée sans défense. Savons-nous en effet si ceux qui nous suivront sur cette terre auront la sagesse de profiter de nos fautes et de nos malheurs, si nos discordes civiles et notre imprévoyance, qui ont été dans tous les temps la cause de nos désastres, ne rouvriront pas dans l’avenir la route aux invasions ?
CHARLES LOUANDRE.
- ↑ Voyez la Revue du 1er et du 15 juillet, et du 1er août.
- ↑ Querrieux est situé sur la rive droite de l’Hallue, Pont-Noyelles sur la rive gauche. Ces deux villages sont traversés par la grande route d’Amiens à Bapaume.
- ↑ Nous avions quatre canons Armstrong d’une grande justesse et d’une très longue portée ; mais ils avaient à peine tiré quelques coups que les culasses ne fonctionnaient plus. On s’aperçut alors que c’étaient des pièces de rebut, comme un grand nombre des autres armes achetées à l’étranger. Ce sont ces canons Armstrong, dont les détonations se faisaient entendre à plus de 40 kilomètres, que l’on a pris dans le pays pour des pièces de marine.
- ↑ Un officier de chasseurs à pied, le capitaine Jean, suivi de 25 hommes de bonne volonté, fit subir aux Prussiens, dans l’attaque de Pont-Noyelles, des pertes considérables, eu égard à la faiblesse de son détachement. Ses deux frères avaient été tués à Boves et à Dury ; il résolut de les venger, et il tint parole. Il s’empara de plusieurs maisons à la baïonnette, et pas un des Allemands qui les défendaient n’en sortit. La propriétaire de l’une de ces maisons nous disait que les chasseurs à pied avaient fait chez elle un si grand massacre, qu’en y rentrant après le combat elle vit que le sang y avait coulé par terre comme si l’on eût défoncé un baril de cidre. Le capitaine Jean se fit tuer avec la plupart de ses 25 hommes.
- ↑ Une colonne où sont inscrits les noms des généraux et des régimens français qui ont pris part à l’action s’élève sur le plateau de Pont-Noyelles, à droite de la grande route, et un peu au-dessus du chemin creux ou fut écrasée la tête des colonnes allemandes. Partout où le sang français a coulé dans la Picardie, à Villers-Bretonneux, à Dury, à Boves, à Longpré, des monumens commémoratifs ont été érigés par les habitans au moyen d’une souscription qui s’est élevée à une forte somme.
- ↑ Les environs de Doullens ont été, pendant les guerres du XVIe siècle, le théâtre de combats continuels. En 1523, Antoine de Créqui, « l’un des plus vaillans hommes de France, s’y soutint sans plier, avec 450 lances si 200 fantassins, le choc d’une année anglo-allemands de 30,000 hommes.
- ↑ Le président Fauchet nous a conservé l’analyse des œuvres de l’académie doullenaise dans le Recueil des origines de la langue et de la poésie française, publié en 1581.
- ↑ Cette représentation se trouve dans les Commentaires d’Haymon, évéque d’Halberstadt, sur Ezéchiel, Bibliothèque nationale, no 303 du fonds latin de Saint-Germain.
- ↑ Quelques biographes font naître Babeuf à Montdidier ; c’est une erreur, il est né à Saint-Quentin en 1764. Les hommes célèbres ou connus nés à Montdidier sont Fernel, médecin de Henri II, les trois frères Capperonnier, l’helléniste Boquillon, l’orientaliste Caussin de Perceval, et Parmentier, dont la statue s’élève sur l’une des places de la ville. Voyez sur ce dernier l’Histoire de Montdidier, par M. de Beauvillé, 3 vol. in-4o avec planches et cartes. — Montdidier, pendant l’invasion, a subi, sans sommation et sans provocation aucune, l’attaque d’un corps prussien, lequel a lancé sur la ville 52 obus qui firent quelques victimes.
- ↑ D’énormes gargouilles déversent du haut des plates-formes de cette tour l’eau des pluies dans les fossés, D’après les traditions locales, ces gargouilles représentent la tête de la fée Mélusine, qu’on appelle dans le pays la mère Lusine, parce qu’elle a, dit-on, donné le jour aux Lusignans. C’est là un des rares, souvenirs de la mythologie celtique et des romans du cycle d’Arthur qui se rencontrent dans la Picardie.
- ↑ L’un des geôliers de Rossignol, en lui apportant sa pitance, lui reprocha d’avoir fait tailler en pièces les soldats de la république ; il répondit tranquillement : « N’avaient-ils pas tous juré de mourir pour la patrie ? »
- ↑ Le crime du général Travot était d’avoir accepté pendant les cent-jours le commandement de la division militaire de Rennes, où il donna des preuves de la plus grande modération. Bien qu’il fût couvert par l’amnistie du 12 janvier 1816, il fut traduit devant un conseil de guerre et condamné à mort le 20 mars suivant. Louis XVIII daigna commuer sa peine en vingt ans de détention.
- ↑ M. Gustave Ramon a recueilli, commune par commune, dans l’arrondissement de cette ville, tous les faits qui se rattachent à l’invasion ; il a écrit jour par jour l’histoire du siège de Péronne, et son livre, plein de faits curieux et toujours très exactement renseigné, sera consulté avec fruit par toutes les personnes qui voudront se faire une idée exacte de la guerre de 1870-71 dans le nord, et des souffrances qu’elle a imposées aux populations.
- ↑ Voyez l’Invasion en Picardie, récits et document concernant les communes de l’arrondissement de Péronne, par M. Gustave Ramon, 2 vol. in-8o ; Péronne 1873.
- ↑ Cette garnison se composait de 200 hommes d’armes et de 2,000 hommes de la légion provinciale de Picardie. Les troupes régulières et les mobilisés s’y trouvaient donc à peu près dans la même proportion qu’en 1870.
- ↑ On pouvait justement lui donner ce nom, car, si peu nombreuse que fût sa population, elle n’avait pas moins de cinq églises paroissiales, trois couvens d’hommes et quatre couvens de femmes.
- ↑ Les détails que nous donnons ici sont tous extraits de documens authentiques. Nous devons particulièrement remercier M. Caraby, qui prépare en ce moment une relation du siège, et M. Ramon, qui a bien voulu nous communiquer avant l’impression le manuscrit du journal qu’il a tenu jour par jour, et qui formera le tome, deuxième de sa précieuse publication, que nous avons déjà citée, l’Invasion en Picardie, etc., Péronne 1873, in-8o. Il serait important que sur tous les points de la France on recueillit avec le même soin les souvenirs de la guerre allemande.
- ↑ Lettre du général von Goeben, citée par M. Gustave Ramon.
- ↑ Au nombre des blessés se trouvait un cavalier prussien, pris quelques jours auparavant dans une reconnaissance. Un habitant de Péronne se jeta au milieu de l’incendie pour le sauver,
- ↑ Le feu avait fait peu de ravages sur la population, qui était entassée dans les caves et les casemates ; mais les maladies furent très nombreuses et très meurtrières, pendant le siège et les six mois qui le suivirent, Péronne perdit autant d’habitans que pendant trois années ordinaires.
- ↑ Voyez la Vérité sur le siège de Péronne, par M. Louis Cadot, Péronne 1872 ; in-8o.
- ↑ Le général Faidherbe, dans sa brochure, ne parle pas de cette combinaison ; mais l’auteur des Opérations de l’armée du nord en donne le détail d’après un projet tracé de la main même du général. — Le passage par la Belgique se serait effectué sans difficulté, car la population nous est très sympathique ; un grand nombre de volontaires belges étaient venus prendre du service dans l’armée du nord, où ils se sont très bien conduits.
- ↑ Il est curieux de voir comment les mêmes faits se reproduisent à la distance des siècles : avant le concordat de François Ier, quand les moines avaient encore le droit d’élire leurs abbés, ils avaient soin de choisir de préférence ceux qu’ils croyaient le mieux disposés à laisser violer la règle ; ils prenaient même quelquefois comme le dit un chroniqueur du XVIe siècle, les meilleurs biberons, afin de boire eux-mêmes plus à leur aise. Il en fut malheureusement trop souvent ainsi parmi les mobiles et surtout parmi les mobilisés. On a peine à comprendre que, par une sorte de fétichisme pour les souvenirs de la révolution, on se soit obstiné à maintenir un système qui est la ruine de toute organisation militaire.
- ↑ La cavalerie prussienne montra pendant toute la campagne une merveilleuse aptitude pour le service d’éclaireurs ; mais, chaque fois qu’elle combattit en ligne, elle fut d’une extrême faiblesse. Ou l’a vu à Gomiécourt, à Vermand, à Vraignes, à Saint-Quentin. Cuirassiers blancs ou hussards vinrent se briser contre la ligue ou les mobiles, et plusieurs fois ils tournèrent bride, même avant d’avoir reçu le feu.
- ↑ Les paroles que nous rapportons ici sont textuelles, mais par une modestie qui l’honore le général Faidherbe n’en parle pas dans sa brochure.
- ↑ Au nombre des tués fut le lieutenant-colonel Aynès, qui faisait les fonctions de général de brigade, et qui avait donné pendant la campagne les plus grandes preuves de courage et d’habileté.