La France Juive (édition populaire)/Livre 3/Chapitre 1

Victor Palmé (p. 205-214).


CHAPITRE PREMIER


Un Empereur juif. — Les origines. — Les Gamberlé. — La jeunesse. — Barbey d’Aurevilly et Voiture. — Le Quatre-Septembre et la Commune. — Les comptes de la Défense nationale. — Les nouvelles couches. — La réclame juive. — Nos illusions.


I


Parmi tant de portraits, en existe-t-il un seul qui donne une idée complète de l’homme dont l'incompréhensible et extraordinaire fortune sera un perpétuel sujet d’étonnement pour l’histoire ? Je ne le crois pas. Est-ce donc que cette figure demande l’analyse pénétrante et subtile d’un Carlyle ou d’un Taine ? Assurément non. Malgré ses roueries et ses finesses, cet être est trop grossier pour ne pas être relativement aisé à saisir. Il faut seulement bien voir les deux éléments dont il se compose : c’est un Juif et c’est un Empereur ; un Juif modernisé, croisé et métissé tant que vous voudrez ; un tempérament d’Empereur de l’ordre le plus vil et le plus bas, je vous l’accorde, mais enfin c’est l’un et l’autre.

Quand Rome eut conquis le monde, le monde conquit Rome. Rome eut successivement des Empereurs espagnols et des Empereurs africains ; elle eut des Empereurs gaulois qui mangeaient un bœuf à leur souper, et des Empereurs thraces qui abattaient d’un coup de poing les chefs de cohortes qui déplaisaient ; elle eut un Empereur syrien, l’Héliogabale de seize ans, qui, constamment vêtu en femme, les bras chargés de bracelets, présidait, dans sa longue robe traînante à la phénicienne, au mariage de la Pierre Noire avec la Lune. Quoique le fils de Sœmias fût circoncis, Rome n’eut point d’Empereur juif. Gambetta fut un instant cet Empereur. Ce n’est point un César déclassé précisément, c’est un César oublié qui avait manqué son entrée et qui a repris son tour dans le hasard d’un interrègne.

Pour le bien comprendre, il faut se figurer une manière de Barabbas ; Barabbas gracié, devenu préfet du Prétoire un beau matin, au milieu d’une bagarre, et se faisant adjuger la pourpre à force de bagout.

Cette sorte de réapparition tardive d’un type lointain est curieuse, et vaut la peine qu’on examine bien l’évolution du personnage.

La foudre ne gronde pas autour de ce berceau le jour de la naissance, mais l’origine est intéressante. Gambetta ne naît pas de parents étrangers, car, somme toute, être étranger dans un pays, c’est avoir une Patrie quelque part ; il a pour générateurs des forains. A la suite du remuement des peuples par la Révolution française, certains Juifs, ainsi que nous l’avons expliqué, se mirent à parcourir l’Europe, cherchant çà et là où s’établir. Un Juif wurtembergeois, A. Gamberlé, se fixa à Gênes au temps du blocus continental, fit le commerce des cafés et la contrebande, épousa une Juive du pays, dont un des parents avait été pendu, et italianisa alors son nom, en s’appelant Gambetta.

Le fils ou le petit-fils vint en France, s’établit à Cahors, et nous donna le grand homme qui n’eut jamais absolument rien de français , pas même le style.

Chez Gambetta, avocat, on n’aperçoit nul goût pour sa profession, nul amour de la bonne renommée qu’on acquiert par le mérite et le travail.

Barbey d’Aurevilly charge l’avocat stagiaire d’un procès de presse, La cause était piquante, l’affaire bonne pour un débutant. Gambetta remercie, puis disparaît, ne prépare rien, vient trouver Barbey le matin de l’audience pour lui demander ce qu’il faut dire, et finalement, à la stupéfaction profonde du tribunal, il compare l'auteur du Prêtre marié... à Voiture.

— Vous avez plaidé comme un fiacre, Monsieur, lui dit d’Aurevilly avec cet accent qu’on lui connaît.

Comparer Barbey d’Aurevilly à Voiture ! Cette pensée ne pouvait venir qu’à l’inventeur des coursiers fougueux qui s’élancent dans la mer. Ce n’est rien, sans doute ; mais ne découvrez-vous pas là comme une manifestation de plus de cette nature si antiartistique et antifrançaise, si déliée et si fine pour tout ce qui touche aux questions d’intérêt, si obtuse et si réfractaire à toutes les nuances intellectuelles ? Cette comparaison saugrenue a dû venir tout naturellement à l’esprit de ce mal appris, comme lui venaient l’épithète qui ne convient pas, la métaphore qui prête à rire et la phrase prudhommesque où tous les mots hurlent de se trouver ensemble.

Le moyen d’existence du futur dictateur était, en ce temps-là, de servir d’homme de compagnie — de mauvaise compagnie, bien entendu — à une sorte de mercanti fort activement mêlé, comme secrétaire de Crémieux, à toutes les affaires de la Juiverie.

C’était un type encore que ce Laurier, et Jules Vallès a eu, jusqu’à un certain point, raison d’écrire : « Ce petit homme sans menton, sans lèvres, à la tête de belette et aussi de linotte, est une des caboches les plus fortes de son temps, le Machiavel de son époque ; — un Machiavel chafouin, blagueur, fouilleur, viveur, puisqu’il vient après Tortillard, Jean Hiroux, Calchas et Giboyer. »

Laurier plaça son disciple chez Crémieux.

Près du vieux, Gambetta se trouva en pleine cuisine du Temple de Salomon, en plein Grand Orient, en pleine Alliance israélite. De ce jour-là il fut fameux. La presse juive grossit démesurément le mérite du discours du procès Baudin, fit sa chose du succès de l’orateur.


II


Bien prévenu, resté dans une demi-réserve. Gambetta était l’homme de la situation quand éclata la guerre de 1870, la guerre juive.

On a raconté à maintes reprises cette débauche de cinq mois, cette orgie éhontée, cette mise en coupe réglée de la France par tous les cosmopolites, depuis Spuller jusqu’à Garibaldi, depuis Bordone jusqu’à Steenackers.

L’avenir seul pourra connaître le rôle plus ou moins considérable joué dans la Commune par Gambetta, représenté par Ranc, l’oblique Jacobin qui s’esquiva dès que l’affaire fut engagée.

Tranquille à Saint-Sébastien, et sentant bien ce qui était en cause, Gambetta s’abstint de dire une parole dans un sens ou dans un autre.


Peu brave de sa nature, il eut, dit-on, une crise en quittant le sol espagnol. Son sort, en effet, était aux mains de la majorité ; il semblait véritablement insensé d’espérer que cette majorité ne demandât pas de comptes à un homme qui, sans mandat aucun, s’était constitué le maître de la France.

Cette espérance insensée se réalisa cependant. Jamais les actes du gouvernement de la Défense nationale ne furent discutés. On accepta les histoires les plus invraisemblables qu’il plut à Gambetta de raconter : la légende notamment des pièces de comptabilité qu’on aurait justement choisi l’époque du 18 Mars pour envoyer à Paris, et qui auraient été détruites dans l’incendie du ministère des Finances ; le récit du second incendie, en chemin de fer, celui-là, d’autres pièces (qu’on se hâtait également d’envoyer à Paris. On ratifia le payement de 75,138,978 francs pour lesquels on n’apportait aucune justification, absolument aucune.

Cet abandon, par la majorité, des intérêts de la France et des droits de la justice, semblerait invraisemblable, si le rapport de la Cour des comptes du 31 août 1876 n’était pas là pour démontrer que ceci est de l’histoire.


L’incendie du ministère des Finances, dit ce rapport, a détruit les pièces afférentes aux payements faits à Tours.

Celles relatives aux payements réalisés à Bordeaux ont dû, en exécution de l’arrêté du gouvernement du 25 avril 1871, être communiquées à la Commission des marchés. Elles n’ont pu être retrouvées.

Les deux payements compris, l'un au compte du trésorier-payeur général du Rhône, l’autre au compte du trésorier-payeur général de la Seine-Inférieure, et tous deux relatifs à des avances pour le service de la Commission d’armement, sont restés dénués de justification.

Quant au payement de deux millions imputé sur le chapitre xvi du budget extraordinaire du ministère de l’Intérieur (exécution des batteries d’artillerie dans les départements), et résultant d’une ordonnance délivrée au nom du président de la Commission d’armement, sur la caisse du payeur central, pour prix de trente batteries d’artillerie achetées en Amérique pour le compte des départements, ce payement n’a pas été justifié.


Les marchés Ferrand étaient plus scandaleux, si c’est possible. Ici encore il faut citer le rapport de la Cour des comptes :


Il a été payé à Ferrand, au titre de l’exercice de 1870, en divers mandats, 1,005,059 fr. 50 par le trésorier-payeur d’Ille-et-Vilaine ; sur procuration, 96,897 francs, et parle trésorier-payeur de Maine-et-Loire, 400,008 francs.

Aucune justification d’emploi n’a été produite dans les comptes pour ces différentes sommes.

Il en est de même pour diverses avances montant à 1,943,400 francs, délivrées par trois trésoriers-payeurs généraux à des agents de la maison Ferrand.


La complicité de Gambetta avec Ferrand était flagrante. Protecteur de Ferrand, qui avait déjà fait faillite, commandité par Ferrand pour la République française, hôte de Ferrand à Lesnevar, prévenant même de sa prochaine arrestation ce misérable qui avait volé la France agonisante, Gambetta ne fut pas même inquiété.

A partir de cette époque, Gambetta fut relativement tranquille. Sans doute, il eut encore ce qu’on pourrait appeler des venettes, mais cela venait de son caractère essentiellement poltron. Au 24 Mai, Léon Renault, tripoteur d’affaires comme lui, digne d’être Juif, s’il ne l’est pas, trahit le gouvernement qu’il servait sans y croire, au profit du gouvernement qu’il combattait avec la certitude qu’il triompherait, et tint Gambetta au courant de tout. Au 16 Mai, il hésita une minute et fut vite rassuré dès qu’il vit que toute l’énergie des sauveurs de la société consistait à gêner la vente du Petit Journal dans les départements. On donnait des coups de canif au lieu de donner des coups de sabre, selon l’expression de l’amiral de Gueydon. On allait voir de quelle audace est capable le Juif dès qu’il a cessé de trembler.


III


Nous avons déjà montré comment, à la suite des événements de 1870, tout un flot d’aventuriers s’était rué sur la France. Un monde nouveau était né ou plutôt avait poussé comme un champignon malfaisant sur le sol profondément remué. Gambetta aperçut bien ce fumier en ébullition et les couches successives qui s’élevaient dessus ; il comprit qu’on pourrait faire quelque chose avec cela, et prononça à Grenoble, en 1882, cette fameuse harangue sur les nouvelles couches, qui est le seul discours de lui où il y ait une idée, le seul qui corresponde à une situation vraie.

La nouvelle couche existait réellement ; elle formait comme un personnel tout prêt pour qui saurait s’en servir. La nouvelle couche se composait de beaucoup de Juifs, avec un appoint de Francs-Maçons, pour lesquels le mot de conscience n’avait pas de signification ; de boutiquiers peu scrupuleux, comme Tirard ; de faiseurs de dupes qui avaient frisé le bagne, comme Constans ; de bohèmes et de piliers d’estaminet, comme Lepère et Cazot ; de généraux déshonorés, comme Thibaudin ; de débris de 48, de médecins sans clientèle, d’officiers de santé, de vétérinaires, d’étudiants culotteurs de pipes, retirés en province, et qui, sous un gouvernement régulier, auraient achevé tranquillement de tomber en enfance en caressant la fille et la fiole.

C’était, avec l’élément sémitique en plus, l’éternelle tourbe avide et sans pudeur dont parle le poète grec, « le menu fretin d’étrangers qui n’auraient eu qu’à invoquer Jupiter fouetté, d’esclaves, de gens mal nés et ne valant guère mieux, arrivés d’hier, et dont Athènes n’aurait pas même voulu jadis pour victimes expiatoires ».

A tous ces citoyens équivoques, un vrai Français eût pu adresser l’apostrophe que Scipion Émilien lança du haut des Rostres, un jour qu’une cohue d’esclaves et d’affranchis interrompait le second Africain : « Silence, faux fils de l’Italie ! vous aurez beau faire, ceux que j’ai amenés garrottés à Rome ne m’effrayeront pas, tout déliés qu’ils sont maintenant ! »

Le pacte fut signé définitivement avec les Juifs quand Gambetta eut formellement promis la persécution dans ce mot qui fit de lui presqu’un roi : Le cléricalisme, c’est l’ennemi.

Les Juifs sont les plus prodigieux réclamiers qui existent. Ils vous trompettent un nom d’écrivain, de cantatrice, de cabotin ou de cabotine, jusqu’à ce que vous en ayez plein les oreilles ; ils se surpassèrent pour Gambetta. Jamais mise en scène ne fut mieux organisée, et l’on ne peut se défendre d’admiration devant l’incomparable façon dont cette personnalité fut nettoyée d’abord, puis posée, prônée, glorifiée, idéalisée, apothéosée.

Les Juifs, grâce à leurs journaux, nous firent sentir de même les lauriers de Gambetta. Ils prirent cet homme, qui n’avait commis que des sottises et des actes malhonnêtes pendant la guerre, qui avait fumé des cigares exquis tandis que les autres se battaient, qui s’était enfui lâchement au moment de rendre ses comptes, et nous le présentèrent, nous l’imposèrent comme l’archétype du patriote, le héros de la Défense, l’espoir de la Revanche.

Cela se produisit en plein jour, en plein soleil, en pleine liberté de la presse, sans aucune de ces circonstances de mystère et de lointain qui aident à grandir une personnalité qu’on ne voit pas.

Qui a été dupe de ces manœuvres ? me direz-vous. Tout le monde et vous-même. La France, crédule, amoureuse de fictions, se laissa aller à en faire comme le héros de son roman. Qui sait si cet homme ne gardait pas au plus profond de son cœur l’amertume secrète de la défaite ?

Nous avons tous été, dans une certaine mesure, les complices involontaires de ce comédien. Chacun s’imaginait être dans le secret de Brutus, qui contrefaisait l’énergumène pour mieux tromper les regards jaloux ; de cet obstiné couveur de revanche, qui, bien avant dans la nuit, disait-on, s’entretenait tour à tour avec de vieux généraux et de jeunes colonels. Chacun attendait le moment où, réunissant toute la France dans un élan irrésistible, poussant Charette dans les bras des communards, jetant les prêtres dans les bras des libres penseurs, mêlant les soldats de Bazaine aux compagnons de Faidherbe, il s’écrierait : « Le moment est venu ! nos coffres sont pleins d’argent, nos arsenaux regorgent d’armes, la France s’est silencieusement refaite, l’Europe nous est favorable : en avant ![1] »

Le voile commença à se déchirer lorsque des généraux comme Ducrot et comme Bourbaki furent chassés de l’armée, dont l’incapable Farre devenait le chef. Le charme cependant ne fut tout à fait brisé qu’au moment de la campagne des décrets, alors qu’on vit nos soldats mettre sac au dos et baïonnette au fusil pour arracher de leur domicile des vieillards et des religieux inoffensifs, des citoyens français repoussés du prétoire, et l’infâme Cazot déclarer en ricanant qu’il n’y avait plus de tribunaux, et que son caprice était la seule loi.

  1. Gambetta, dans les dernières années, n’acceptait jamais d’invitations à dîner pour le vendredi. Tandis que la pauvre romanesque France se forgeait un idéal de rêveur de revanche, l’irréconciliable ennemi de la Prusse dînait tous les vendredis avec Proust et Spuller chez la Païva, devenue la comtesse Henckel de Donnesmark ; il s’asseyait à la table du premier gouverneur de l’Alsace-Lorraine.