La Foire aux vanités/2/15

Traduction par Georges Guiffrey.
Hachette (2p. 174-183).


CHAPITRE XV.

Gaunt-House.


Tout le monde sait que l’hôtel de lord Steyne à Londres est situé Gaunt-Square, sur cette place où vient aboutir Great-Gaunt-Street, cette même rue dans laquelle nous avons conduit Rebecca à sa première visite en qualité d’institutrice chez le baronnet maintenant défunt. En regardant par-dessus les grilles, qui entourent les sombres feuillages du jardin situé au milieu du Square, vous apercevrez les malheureuses gouvernantes des enfants étiolés qui s’amusent autour du rond de verdure au centre duquel s’élève la statue de lord Gaunt, ce héros qui succomba à la bataille de Minden et qui se trouve là pour sa gloire représenté en bronze avec une perruque à trois marteaux et un costume à la romaine. Gaunt-House occupe tout un côté du Square, et sur ses trois autres faces s’étendent de spacieuses et sombres demeures dont les croisées sont taillées dans la pierre ou encadrées dans des briques rouges. On dirait que le jour a regret de pénétrer dans ces tristes et incommodes habitations. Les mœurs hospitalières semblent les avoir aussi désertées avec ces laquais tout habillés d’or et de soie, ces coureurs armés de torches qu’ils plaçaient dans les mains de fer que l’on aperçoit encore sur les côtés du perron.

Les noms gravés sur des plaques de cuivre ont fait invasion jusque dans le Square : ce sont ceux de docteurs, de banquiers, d’industriels de tout genre. C’est là un spectacle aussi peu réjouissant que la vue de l’hôtel de milord Steyne.

Tout ce que je connais de ce vaste manoir, c’est sa façade avec sa grande porte de fer et ses colonnes rongées par le temps. Quelquefois apparaît sur le seuil la face rouge et rechignée d’un robuste et gros concierge. Au-dessus du mur d’enceinte se dessinent les mansardes et les cheminées, dont on ne voit maintenant sortir la fumée qu’à de bien rares intervalles. En effet, lord Steyne passe sa vie à Naples, et préfère la vue du golfe de Caprée et celle du Vésuve au sinistre aspect des murailles de Gaunt-Square.

À vingt pas de là, dans New-Gaunt-Street, il existe une petite porte bâtarde qui sert d’entrée aux écuries de Gaunt-House. Son extérieur n’a rien assurément de bien propre à la faire distinguer des autres portes d’écurie ; mais plus d’un coupé mystérieux s’est arrêté à cette porte, s’il faut en croire le petit Tom Eaves, véritable gazette de tous les commérages de la ville.

« Le prince de Galles et la Perdita ont souvent passé par cette porte, mon cher monsieur, me disait-il souvent ; elle s’est aussi plus d’une fois ouverte pour le duc de *** et Marianne Clarke. C’est par là que l’on arrive aux fameux petits appartements de lord Steyne. Une des pièces est tout ivoire et satin blanc, une autre est tout ébène et velours noir. Il y a une petite salle à manger copiée sur celle de Salluste, à Pompeï, et peinte par Cosway ; il y a une charmante petite cuisine avec une batterie en argent et des broches en or. Philippe-Égalité s’amusa à y rôtir des perdrix une certaine nuit où il gagna au jeu cent mille livres sterling à un très-célèbre personnage. La moitié de cet argent servit à attiser le volcan révolutionnaire, et l’autre à acheter le marquisat de lord Gaunt et son ordre de la Jarretière ; quant au surplus… »

Mais il n’entre point dans notre cadre de dire à quoi fut employé le surplus, bien que le petit Tom Eaves, qui a mis son nez partout, puisse nous donner le détail du surplus par livre, sou, maille et denier.

Outre cet hôtel à la ville, le marquis avait des châteaux et des palais dans tous les coins des Trois Royaumes. On en peut voir la description dans le Guide du Voyageur en Angleterre : le château de Strongbow, avec bois et forêts, dans le Shanon-Shore ; le Gaunt-Castle, dans le Cammarthewshire, qui servit de prison d’État à Richard II ; le château de Gauntley, dans l’Yorkshire, où se trouvent, dit-on, cent tasses à thé, toutes en argent, pour le déjeuner des hôtes de la maison, et tout le reste à l’avenant ; Stillbrook, dans l’Hampshire, modeste métairie dont l’ameublement faisait l’admiration de tous les visiteurs, et qui a été vendue, après décès, à la criée.

La marquise de Steyne descendait de l’ancienne et illustre famille des Caerlyon, marquis de Camelot, restés toujours fidèles à leur religion depuis la conversion du vénérable druide dont ils sont issus, et dont les tables généalogiques remontent à l’arrivée du roi Bruce dans notre île. De temps immémorial les mâles de cette race s’appellent Arthur, Uthers et Caradocs. La plupart ont conspiré, comme c’était leur devoir, et ont péri sur l’échafaud. La reine Élisabeth fit mourir du dernier supplice l’Arthur de son époque, qui, après avoir été chambellan de Marie Stuart, portait les missives de la reine captive aux Guises ses oncles. Le cadet servait sous le Balafré. Pendant la captivité de Marie, les membres de cette famille furent de tous les complots. La fortune de la maison fut grandement entamée par l’armement qu’elle fit contre les Espagnols du temps de l’invincible Armada ; par les amendes et les confiscations dont il frappa Élisabeth pour avoir donné asile aux prêtres réfractaires et s’être obstinément refusée à abjurer l’hérésie papiste. Sous le règne de Charles Ier, le chef de la famille fléchit devant les arguments théologiques du prince convertisseur ; sa fortune profita de cette faiblesse d’un moment et recouvra sa splendeur passée ; mais, sous le règne de Charles II, le comte de Camelot revint à la foi de ses ancêtres, et leur sang et leur fortune s’épuisèrent au service de cette sainte cause, tant qu’il resta un Stuart pour se mettre à la tête des généreux courtisans du malheur.

Lady Marie Caerlyon fut élevée dans un couvent de Paris, où elle eut pour marraine la dauphine Marie-Antoinette. Dans tout l’éclat de sa beauté on l’avait mariée ou plutôt vendue à lord Gaunt qui, étant venu pour se distraire à Paris, avait gagné des sommes considérables au milieu des orgies auxquelles on se livrait dans le palais de Philippe-Égalité. Le fameux duel du comte de Gaunt avec le comte de La Marche, des mousquetaires gris, était attribué, par la rumeur publique, aux prétentions que cet officier, d’abord page et ensuite favori de la reine, avait élevées à la main de la belle lady Mary Caerlyon. Elle épousa le comte de Gaunt à peine remis de sa blessure, et vint habiter Gaunt-House et figurer pour quelque temps à la cour du prince de Galles. Fox en fut amoureux ; Morris et Sheridan lui dédièrent des vers ; Malmesbury la poursuivit de prévenances ; Walpole la déclara charmante, et la duchesse de Devonshire en tomba jalouse. Mais bientôt elle renonça aux plaisirs et aux joies du monde, au tourbillon par lequel elle s’était d’abord laissé emporter. Après la naissance de son second fils, elle voua sa vie aux pratiques austères de la dévotion. Cela explique comment lord Steyne, qui aimait par-dessus tout le plaisir et ses folies, ne resta pas longtemps après son mariage auprès d’une femme toujours plongée dans les larmes et le silence.

Tom Eaves, déjà cité, et dont le nom ne se mêle à cette histoire que pour les renseignements qu’il a pu nous procurer sur l’histoire secrète des habitants de Londres, Tom Eaves m’a communiqué, sur le compte de milady Steyne, des détails particuliers que je livre, sous toute réserve, à l’appréciation du lecteur.

« Les humiliations (c’est lui qui parle), les humiliations que cette femme a dû essuyer dans son intérieur sont de nature à faire dresser les cheveux sur la tête. C’est-à-dire qu’on me mettrait plutôt en morceaux avant que de me faire consentir à admettre dans la société de mistress Eaves les femmes que lord Steyne recevait à sa table. »

Tom Eaves mentait ; Tom Eaves aurait sacrifié sa dignité et sa femme pour obtenir un salut, voire même un dîner de ces dames.

« Or, vous devez bien penser, ajoutait Tom Eaves, qu’il y avait un motif pour qu’une femme aussi fière qu’une reine, et auprès de qui les Steyne ne sont en noblesse que de petits garçons, se pliât sans murmurer au joug que lui imposait son mari ; eh bien ! moi je vais vous dérouler tout ce mystère. Je vous dirai donc que, pendant l’émigration, un certain abbé de La Marche, qui se trouvait ici et qui prit part à l’affaire de Quiberon avec Puisaye et Tinténiac, était le même colonel des mousquetaires gris qui se battit en 86 avec le marquis de Steyne ; que la marquise et lui se revirent à la suite de ce duel, et qu’en apprenant sa mort au débarquement de Quiberon, lady Steyne s’adonna à ces pratiques de dévotion excessive qu’elle n’a plus quittées depuis. Toute cette histoire est fort dramatique, et rappelez-vous bien ce que je vous dis, fit Tom Eaves avec un branlement de tête, le ciel n’envoie point tant de malheurs à qui n’a rien à se reprocher. Si cette femme courbe ainsi la tête, c’est que le bât la blesse quelque part. »

Ainsi donc, si M. Eaves est aussi bien renseigné qu’il le prétend, voilà une femme obligée de dérober au public, sous la sérénité de sa figure, les tortures morales et les secrètes angoisses qui lui déchirent le cœur. Ah ! mes amis, si nos noms ne sont point inscrits au livre d’or de la noblesse, consolons-nous en pensant que dans notre noble et humble condition la Providence au moins n’a point suspendu au-dessus de nos têtes de pareils châtiments qui, sous la forme d’un recors, d’une maladie héréditaire ou d’un secret de famille, font payer bien chèrement cette vaisselle d’or et ces coussins de satin.

En comparant sa condition avec celle de très-haute et très-puissante dame de Caerlyon, marquise de Gaunt, le dernier des malheureux doit, toujours suivant M. Eaves, trouver des motifs de remercier le ciel de son sort. Pères ou fils qui n’avez d’héritage ni à léguer ni à recueillir, vous ne pouvez manquer d’être en bons termes avec votre famille, tandis que l’héritier d’un grand nom comme celui de milord Steyne, par exemple, doit, par un sentiment bien naturel, voir avec des regrets mêlés de haine celui qui détient des biens dont il voudrait déjà pouvoir disposer.

Ces réflexions ont conduit Tom Eaves à mettre toute sa fortune en viager ; de cette manière il évite à ses neveux et nièces de mauvaises pensées à son endroit ; et n’ayant plus aucun motif de défiance contre eux, il tâche de dîner chez eux le plus souvent possible.

La différence de religion mettait encore dans cette famille un cruel obstacle aux épanchements si doux qui, d’ordinaire, resserrent les liens de l’affection entre les mères et les enfants. Son amour pour ses fils redoublait chez lady Gaunt ses craintes et ses inquiétudes. L’abîme qui la séparait d’eux était infranchissable. Il lui était défendu de leur tendre sa faible main pour les attirer dans cette croyance hors de laquelle elle ne voyait point de salut. La pauvre mère espérait que le plus jeune au moins, l’enfant et ses prédilections, finirait par se réconcilier avec l’Église catholique ; mais, hélas ! de cruelles et dures épreuves étaient réservées à cette pauvre femme, qui les accepta comme le juste châtiment de son mariage avec un protestant.

Milord Gaunt épousa, comme le savent tous ceux qui ont mis le nez dans un dictionnaire de la Pairie, lady Blanche Thistlewood, fille de la noble famille de Bareacres, déjà nommée dans cette très-véridique histoire. Une aile de Gaunt-House fut affectée au jeune couple, car le chef de famille tenait à exercer son autorité et à l’exercer souverainement. Le fils, héritier futur de la fortune et des titres, vivait peu dans son intérieur et faisait assez mauvais ménage avec sa femme ; il souscrivait tous les billets qu’on lui présentait, se souciait peu de grever l’héritage qu’il devait recueillir un jour, et ne cherchait qu’à accroître par tous les moyens possibles le trop modeste revenu que lui faisait son père.

Au grand désespoir de lord Gaunt et pour la plus douce satisfaction de son ennemi naturel, nous voulons dire de son père, lady Gaunt ne lui donna point d’enfants. On songea en conséquence, à faire revenir lord George Gaunt, qui s’occupait à Vienne de valse et de diplomatie, et on le maria avec l’honorable Jeanne, fille unique de John Jones, baron du Vide-Gousset, et à la tête de l’importante maison de banque sous la raison sociale Jones, Brown et Robinson. De cette union il naquit plusieurs fils et filles qui n’ont rien à faire dans cette histoire.

Les premiers temps de cette union furent assez fortunés. Milord George Gaunt non-seulement lisait couramment, mais écrivait d’une façon passable ; il parlait le français avec une facilité merveilleuse et passait pour l’un des plus fins valseurs de l’Europe. Ses talents personnels, l’intérêt qu’il avait dans la maison de banque de son père, semblaient devoir en outre lui donner accès aux honneurs et aux postes les plus élevés. Sa femme ne demandait pas mieux que de vivre au milieu des cours et sa fortune la mettait en état de charmer, par la splendeur et l’éclat de ces réceptions, les capitales où la conduiraient les fonctions diplomatiques de son mari. On avait pensé à lui pour en faire un ministre plénipotentiaire ; avant peu il allait être nommé ambassadeur, et déjà les paris étaient engagés à ce sujet au Café des Étrangers, lorsque soudain les bruits les plus bizarres commencèrent à circuler sur le compte du secrétaire d’ambassade. À un grand dîner diplomatique chez son ambassadeur, il se leva sur sa chaise au milieu du repas en s’écriant que le pâté de foie gras était empoisonné ; à un bal donné à l’hôtel de l’envoyé de Bavière, le comte de Springbook-Hohenlaufen, il arriva la tête rasée et en habit de capucin ; et ce n’était pourtant point un bal masqué, ainsi que quelques personnes ont voulu le faire croire. C’est singulier, se disait-on tout bas ; on a remarqué les mêmes symptômes chez le grand-père : c’est dans le sang, à ce qu’il paraît.

Sa femme revint en Angleterre et se fixa à Gaunt-House. Lord George abandonna son poste diplomatique sur le continent, et peu après on put lire dans la gazette sa nomination au Brésil ; mais des gens bien informés prétendent qu’il n’est jamais revenu de cette expédition au Brésil, parce qu’il n’y est jamais allé. Le fait est qu’il avait disparu de la surface du globe, et qu’à en croire les propos de quelques mauvaises langues, le Brésil aurait été pour lui une maison de santé, Rio-Janeiro, un cabanon formé par quatre murailles, et George Gaunt, confié au soin d’un gardien, aurait été créé par lui chevalier de la camisole de force.

Deux ou trois fois par semaine sa mère, en expiation de ses fautes, allait de grand matin rendre visite au pauvre idiot. Parfois il éclatait de rire à son approche, et son rire faisait encore plus de mal que ses cris. D’autres fois elle trouvait le brillant diplomate du congrès de Vienne s’amusant avec un jouet d’enfant ou berçant dans ses bras la poupée de la fille de son gardien. Dans ses moments lucides il reconnaissait sa mère, mais le plus souvent il fixait sur elle un regard vague et douteux, et alors on eût dit que sa mère était aussi bien effacée de son souvenir que sa femme, ses enfants, ses projets de gloire, d’ambition, de vanité.

C’était là un mystérieux héritage, une terrible transmission du sang ; et déjà, chez plusieurs membres de la famille, ce terrible mal avait révélé sa présence. Cette race antique était frappée dans son orgueil comme les Pharaons dans leur premier né. Le sceau funeste de la réprobation et du malheur avait été imprimé sur le seuil de cette maison sans que la couronne et l’écusson gravés sur la porte aient pu l’en défendre.

Les enfants d’un père qu’ils ne devaient plus revoir se développaient et grandissaient sans avoir conscience de la fatalité qui pesait sur eux. Dans leurs jeunes années, ils parlaient de leur père et faisaient mille projets pour l’époque de son retour ; ensuite le nom de cet homme mort de son vivant se trouva moins souvent sur leurs lèvres, et finit par ne plus être prononcé. Un accablement terrible s’emparait de cette vieille et malheureuse femme lorsqu’elle venait à penser que le père de ces enfants pouvait, avec ses dignités, leur avoir transmis l’opprobre de son sang, et elle vivait toujours au milieu de la crainte de voir se manifester en eux les indices de l’horrible malédiction qui avait frappé ses ancêtres.

Ce sinistre pressentiment poursuivait aussi lord Steyne. Il s’efforçait de repousser l’affreux fantôme qui assiégeait son chevet, de s’étourdir par les fumées du vin et les bruits de l’orgie. Quelquefois il parvenait à perdre de vue cette vision terrible au milieu des tourbillons du plaisir et des dissipations du monde ; mais, vains efforts ! le fantôme reparaissait dès qu’il se trouvait seul, et devenait plus menaçant avec les années.

« J’ai étendu ma main sur ton fils, disait-il, pourquoi ne te frapperais-je pas aussi. Demain mon seul caprice peut t’ouvrir une prison comme il a fait pour ton fils George. Que demain je te marque au front, et il faudra dire adieu à tes plaisirs et à tes dignités, à tes amis et à tes flatteurs, à tous ces raffinements du luxe entassés autour de toi. Et tu échangeras tout cela contre quatre murailles, un gardien et une paillasse, comme il est arrivé pour George Gaunt. »

Milord ne sachant comment se soustraire aux menaces de cet ennemi invisible, et gémissant sous le poids de cette main de fer appesantie sur lui, cherchait à la défier du moins par les hommages du monde et ses plaisirs bruyants.

L’opulence et la splendeur régnaient dans sa maison ; mais sous ces vastes lambris dorés, couverts d’écussons et de sculptures, on aurait en vain cherché le bonheur. C’était l’hôtel où se donnaient les plus belles fêtes de Londres ; mais en même temps où il se trouvait le moins de contentement, si ce n’est pour les joyeux convives, qui s’asseyaient à la table de mylord. Peut-être, s’il n’eût pas été un si grand personnage, aurait-on fui sa société ; mais, dans la Foire aux Vanités, le tarif des fautes varie suivant les rangs. On s’y prend à deux fois avant de condamner un homme d’une position aussi élevée que lord Steyne. Les censeurs les plus médisants, les sages les plus austères, pouvaient se scandaliser tout bas du genre de vie de milord Steyne ; mais tous s’empressaient de répondre aux invitations qu’il leur adressait.

« C’est un bien vilain homme que ce lord Steyne, disait lady Slingstone ; mais tout le monde y va ; je n’aurai qu’à veiller d’un peu plus près sur mes filles.

— Je dois tout à sa seigneurie, disait le révérend docteur Trail, qui, déjà évêque, songeait encore à monter plus haut. »

Mistress Trail et ses filles auraient plutôt manqué d’aller à l’église qu’aux soirées de sa Seigneurie.

« Sa morale est un peu relâchée, disait le petit Southdown à sa sœur, qui l’interrogeait timidement sur Gaunt-House, d’après les terribles récits qu’elle en avait entendu faire à sa mère ; mais que diable voulez-vous ? il a dans sa cave le meilleur champagne de toute l’Europe. »

Quant au baronnet sir Pitt Crawley, le rigoureux observateur des bienséances, le président des meetings apostoliques, eh bien ! il ne lui serait jamais venu à l’idée de ne point aller chez lord Steyne.

« Jane, disait le baronnet à sa femme, soyez sûre que nous ne pouvons mal faire en nous montrant dans des maisons où l’on rencontre des personnes comme l’évêque d’Ealing et la comtesse de Slingstone. Le lord lieutenant d’un comté, ma chère, est un homme parfaitement digne de considération. D’ailleurs, George Gaunt a été mon camarade d’enfance ; il était attaché avec moi à l’ambassade de Poupernicle. »

Tout le monde, en un mot, venait payer son tribut d’hommages à ce haut et puissant seigneur ; tous ceux du moins qu’on y appelait. Eh ! mon Dieu ! cher lecteur, ne vous en défendez pas ; vous et moi y serions allés si nous avions reçu un billet d’invitation.