La Fleur de lin (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 215-217).


LA FLEUR DE LIN


Avec ses doux yeux bleus

Pâlis
Aux vastes feux des cieux,
La fleur de lin regarde, en leurs méandres,
Couler l’Escaut ou s’attarder la Lys.
La fleur de lin est fleur de Flandre.

On l’aime au pays clair
Où les moulins tournent dans l’air
Ainsi que des étoiles ;
Où les bateaux larges et bas
Passent, avec leurs mâts,
Ailés de voiles.

Au temps des froments lourds et des seigles fluets,

Elle voisine avec la mauve et le bluet,
Dans les plaines immensément dorées ;

Elle sourit, au long des clos et des orées
Et des jardins et des moissons :
Elle est la fleur des tranquilles maisons
Qui jalonnent les routes infinies ;
On la peint quelquefois sur les planches vernies
Des chapelles, au coin des bois ;
Si ses lèvres de fleur avaient la voix,
Elles diraient aux vents qui traversent les landes
Un peu de la douceur et de la paix flamandes.

Probes ménagères à bonnet blanc,
Femmes vieilles dont le menton tremblant
Raconte un tas d’histoires
Du Purgatoire,
Vieux métayers dont les regards sont pleins
Et de rêves éteints et de douleurs passées,
Vous aimez tous la fleur de lin.

Et vous partez la voir pousser, vivante et franche,
Chaque dimanche,
L’été, quand vous allez aux champs
Et que vous discutez, calmes et sages,
Sur le temps sec que vous présage
Le fulgurant visage

Du grand soleil couchant.


L’heure arrive des faux, l’heure arrive des proies ;

Juillet torride, en ses brassins de flammes, noie
Le sol, le bois, le ciel et les guérets d’été.
Mais la naïve fleur est morte et s’est fondue,
Avant ce temps de brutale avidité,

Minuscule veilleuse, au cœur de l’étendue.