LA
FLEUR DE MARS.

CHANSON.


À l’heure où dans les eaux la lune se reflète,
Je suis venu m’asseoir près d’une violette ;
Douce fleur du printemps, que de petits gazons
Paraissaient abriter des inondations,
Et du soleil trop chaud et de la brise vive.
Or, elle demeurait immobile et pensive,
Et comme je tendais la main pour la cueillir,
Je ne l’ai vue alors ni trembler, ni pâlir ;
Elle a levé sur moi son œil mélancolique ;
Puis, ayant murmuré le salut angélique,
M’a dit en s’agitant sur sa tige en émoi :
Salut, je te connais, jeune homme, approche-toi,
Et causons à cette heure où le vent me balance.
Et moi, tout glorieux de cette confiance,
Je me suis incliné vers son calice bleu,
Ainsi que j’aurais fait pour lui faire un aveu,
Et me suis mis alors à lui dire à voix basse

Le nom, et les vertus, et le charme, et la grace
De la dame que j’aime, et sa molle pudeur,
Tandis qu’avec ma main de la petite fleur
J’éloignais avec soin les herbes curieuses
Qui, pour savoir aussi mes peines amoureuses,
Tendaient leur col charmant avec précaution.
Or, ayant raconté de cette passion
Tout ce que je renferme en mon ame inquiète,
J’ai baisé sur le front la pâle violette,
Et me suis éloigné, lui recommandant bien
De garder mon secret et de n’en dire rien
Aux brins d’herbe nombreux qui croissent autour d’elle ;
Et la vierge a promis de me rester fidèle.

Mais, hélas ! c’est péché d’ouvrir ainsi son cœur,
Même à la violette, à la plus douce fleur,
Et j’aurais dû savoir que cette fleur chérie
Aime trop ardemment ses sœurs de la prairie,
Et sent trop le besoin de leur faire plaisir,
Pour ne pas employer ses heures de loisir
À leur conter la nuit une si douce chose.
La violette a dit mon secret à la rose,
Qui l’a dit à son tour à la fraise des bois,
Et mon secret, ainsi porté de voix en voix,
Est venu jusqu’au lys qui, sous son diadème,
S’est épris des beautés de la dame que j’aime,
Et pour les raconter aux tiges de sa cour
A suspendu ses chants de prière et d’amour.
Et voilà qu’à présent les fleurs de la vallée
Savent toutes le nom de cette Immaculée.


Henri Blaze.