La Fleur d’orange. Madrigal
XXVI
La Fleur d’orange.
Madrigal.
Du palais d’émeraude où la riche nature
M’a fait naître et régner avecque majesté,
Je viens pour adorer la divine beauté
Dont le soleil n’est rien qu’une foible peinture.
Si je n’ai point l’éclat ni les vives couleurs
Qui font l’orgueil des autres fleurs,
Par mes odeurs je suis plus accomplie,
Et par ma pureté plus digne de Julie.
Je ne suis point sujette au fragile destin
De ces belles infortunées
Qui meurent dès qu’elles sont nées,
Et de qui les appas ne durent qu’un matin.
Mon sort est plus heureux, et le ciel favorable
Conserve ma fraîcheur[1], et la rend plus durable.
Ainsi, charmant objet, rare présent des cieux,
Pour mériter l’honneur de plaire à vos beaux yeux,
J’ai la pompe de ma naissance ;
Je suis en bonne odeur en tout temps, en tous lieux ;
Mes beautés ont de la constance,
Et ma pure blancheur marque mon innocence.
J’ose donc me vanter, en vous offrant mes vœux,
De vous faire moi seule une riche couronne,
Bien plus digne de vos cheveux
Que les plus belles fleurs que Zéphire vous donne ;
Mais si vous m’accusez de trop d’ambition,
Et d’aspirer plus haut que je ne devrois faire,
Condamnez ma présomption,
Et me traitez en téméraire ;
Punissez, j’y consens, mon superbe dessein
Par une sévère défense
De m’élever plus haut que jusqu’à votre sein,
Et ma punition sera ma récompense.
- ↑ Franchise, dans les Poésies choisies publiées chez Sercy. — Fraîcheur, dans l’édition de M. Livet.