La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 157-158).


Portraits


I


le poète

 
Dune larme du Christ celle qui fut formée
Choisit sur terre un barde enclin à tous les pleurs,
Et, pleurant, lui montra la chaîne de douleurs
Qui tient depuis Adam notre race enfermée ;
Chez les anges la vierge avait nom Éloa,
Nom sacré que plus tard le barde révéla ;
Il parcourut les temps à l’ombre de ses ailes,
Recherchant le malheur et chantant la pitié ;
Puis, quand l’ange tomba, sa mystique amitié
Eut pour des maux sans fin des plaintes immortelles.

II


le prêtre

Tu mérites aussi de tout pieux chanteur
Un hymne d’amitié, cœur tendre et toujours jeune,

Toi qui sus opposer aux souffrances du jeûne
L’âme et le corps du Christ, froment générateur[1].
Tu t’es bien pénétré de sa vertu secrète :
C’est la douceur du prêtre et celle du poète ;
Mais la réflexion au langage savant
Gouverne avec bonheur ton zèle et le tempère ;
On t’appellera Maître, et, cortège fervent,
Des fils de ton esprit te suivront comme un père.

III


le philosophe


Les jeunes gens rêveurs tournaient vers lui les yeux ;
Lui, Sage au front candide issu des anciens Sages,
Attentif au présent, mais planant sur les âges,
Lisait nos changements dans une loi des cieux.
Comme un platonicien dans sa tunique blanche,
Replié sur lui-même, ainsi vivait Ballanche,
Mystérieux penseur, calme et triste à la fois :
S’il enseigne à quel prix le bien germe et s’enfante,
Ses chants révélateurs semblent d’un hiérophante,
Ou la plainte d’Orphée expirant dans les bois.



  1. Du Dogme générateur de l’Eucharistie, par l’abbé Gerbet.