La Fleur d’Or/Lo’-Théa

La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 183-185).


Lo’-Théa


Dans les vallons, sur les montagnes,
J’irai, suivant partout les rives du Létà,
Et les tristesses, mes compagnes,
S’adouciront dans ces campagnes :
Salut à ton clocher ! Salut, cher Lo’-Théa !

Pourquoi, de soupirs oppressée,
T’attrister, ô mon âme, et me troubler toujours !
Dans l’avenir mets ta pensée.
Ta vie à peine commencée
Te promet encor de beaux jours.

Faut-il de regrets et de blâme,
Ennemi de soi-même, exciter sa douleur ?
Non, l’espoir serein nous réclame,
Il verse sa rosée à l’âme
Comme le matin à la fleur.

Le bien et le mal, noir mélange,
Nous viennent tour à tour de l’enfer et du ciel.

J’ai bu l’absinthe avec sa fange,
Au calice doré de l’ange
Souvent j’ai savouré le miel.

Doux Lo’-Théa, fraîche vallée,
Paroisse où mon enfance errait toute à l’espoir,
Où, par ses ennuis rappelée,
Ma jeunesse errante et troublée
Chaque automne vient se rasseoir,

Pardonnez, ô belle nature.
Tous ces combats mauvais du cœur et de l’esprit ;
Bien que souffrant de ma blessure,
Plus calme enfin je me rassure
Sous la main qui frappe et guérit.

Celui qui vous fit tant de charmes,
A-t-il, maître jaloux, défendu d’être heureux ?
Chemin d’épreuves et d’alarmes.
Faut-il vous arroser de larmes
Avant d’arriver dans les cieux ?

J’en crois votre aspect qui console.
Hêtres, pins murmurants, fleurs d’or, et vous, ruisseaux,
Votre beauté n’est point frivole ;
L’ennui qui prés de vous s’isole
S’endort mieux au bruit de vos eaux.

Puisse, légère aussi, la peine
Comme l’eau de ce pré sur moi glisser et fuir !
Détaché d’ambition vaine.
Sans fiel, sans détours et sans haine,
Qu’ai-je à craindre de l’avenir ?


Oui, des ennuis où tu te plonges,
Cœur longtemps éprouvé, dégage enfin tes jours ;
Reviens à tes premiers mensonges ;
Ton âge encore a de beaux songes,
Ton âge de belles amours.

À l’espérance jeune et blonde,
Crédule, livre-toi, comme dans ton matin…
Voyageur entraîné par l’onde.
Que jamais mon regard ne sonde
Les flots qui portent mon destin.

Vivons de la vie idéale,
Vivons de la nature et du charme des vers,
Heureux du chant de la cigale,
Du parfum que la lande exhale
Ou qui descend des taillis verts.
 
Respire donc, âme oppressée.
Et fais part aux bons cœurs de tes apaisements :
Durant notre époque abaissée.
Quand tout déprime la pensée.
Toi, relève les sentiments.

ENVOI À M. FERDINAND DENIS

Vous avez trouvé dans l’étude
Le calme intérieur que me versent les bois :
Tout à notre chère habitude,
Oh ! laissons en accord nos pensers et nos voix.
Doux amis de la solitude !