La Fleur d’Or/Le Chant du Chêne


La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 15-16).


Le Chant du Chêne


De feuilles et de glands les branches sont couvertes,
Amis, chantons le chêne, honneur des forêts vertes :
Malheur à qui détruit ce géant des grands bois !
Bretagne, tu n’étais qu’ombrages autrefois.

Songez aux anciens dieux, songez aux anciens prêtres.
Sous les chênes sacrés sont couchés nos ancêtres ;
Ouvrez la dure écorce, et vous verrez encor
La druidesse blonde et sa faucille d’or.
 
Arbres toujours sacrés ! chaque nuit sur leurs branches
Les morts vont en pleurant sécher leurs toiles blanches,
Et les joyeux lutins, autour de leur vieux tronc.
Les petits nains velus viennent danser en rond.

Un chêne de cent ans avec son grand feuillage,
Un Breton chevelu dans la force de l’age.
Sont deux frères jumeaux, au corps dur et noueux.
Deux frères pleins de sève et de vigueur tous deux.

J’ai vu, pres de l’Izol, un chêne dont la tête
Arrêtait le vent d’ouest, ce vent que rien n’arrête,
Et deux lutteurs de Scaer si fermes sur leurs pieds
due leurs pieds dans la terre étaient comme liés.
 
Si la foudre abattait ce géant de Cornouaille,
Dans ses immenses flancs qu’un navire se taille :
À l’œuvre, charpentiers ! puis, venez, matelots !
Le roi de la colline est aussi roi des flots.
 
Sur le noble cadavre en foule qu’on se rue !
Façonnons des fléaux, des pieux, une charrue ;
Mais d’abord élevons, à l’angle des chemins,
L’arbre où l’Expiateur laissa clouer ses mains.
 
Vous mettrez sur ma tombe un chêne, un chêne sombre,
Et le rossignol noir soupirera dans l’ombre :
« C’est un barde qu’ici la mort vient d’enfermer,
Il chantait son pays et le faisait aimer. »