La Fleur d’Or/L’Église blanche

La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 9-11).


L’Église blanche


Là-bas, à mi-chemin du Scorf et de l’Ellé,
Sous les chênes vois-tu cette chapelle blanche
Où, garçon de douze ans, tu chantais le dimanche,
Si pur qu’on t’aurait pris pour un jeune ange ailé ?
Eh bien ! parcours le monde, aux sages des écoles
Demande le secret caché dans leurs paroles ;
Puis, rentré dans le bourg où fleurissait ton cœur.
Tu t’écriras : « Orgueil ! vain orgueil de connaître !
« Mon Dieu, le vrai savoir, je le savais peut-être,
« Lorsque à douze ans je chantais dans le chœur. »

Au sortir de ton presbytère,
Ce jour que vers Moel-lan nous cheminions tous deux.
Ainsi tu gourmandais mes pensers hasardeux ;
Et moi, tout en marchant, l’œil fixé sur la terre.
Je savourais le miel de ta parole austère.
 
Bientôt une autre voix fit lever mes regards.
Comme deux saints dans la légende,
En discourant de Dieu s’en venaient par la lande
Le recteur de Moel-lan et celui de Clô-harz.

Ô troupe amie et fraternelle !
Du grand nid d’Arzannô tous les trois envolés,
Sur trois pays voisins ensemble ils sont allés
S’abattre et reposer leur aile :

Si l’an jette une plainte, au son de cette voix
Les autres d’accourir, et bientôt ils sont trois.
Dans leur charité mutuelle.
Heureux ces trois amis ! Heureux aussi le sol
Où, guidé par le ciel, s’est arrêté leur vol !
 
Dans ce coin du monde celtique
Le temps n’a point brisé le joug tbéocratique,
Pour ces fronts de croyants joug facile et léger,
Que tous veulent subir, dont nul ne veut changer ;
Comme devant Ior s’inclinaient nos ancêtres,
Tout Breton vit heureux sous la main de ses prêtres :
Il leur remet son âme, eux s’en font les gardiens ;
Et dans leur majesté ces druides chrétiens,
Maîtres, mais partageant les communes angoisses,
Promènent le niveau de Dieu sur les paroisses.
 
Et cependant j’échappe à vos graves conseils !
Cette chaleur qui vient des mystiques soleils
Parfois languit au fond des âmes,
Et pour se raviver demande d’autres flammes.

L’idée au loin rayonne et, libre, me sourit ;
Dans ses détours il faut la suivre :
De mon cœur j’ai fermé le livre,
J’ouvre celui de mon esprit.

Mais s’il reparaît dans la lande,
Au voyageur lassé, prêtres, tendez la main :
Ouvrez-lui votre cœur, que le sien s’y répande,
Nul sans beaucoup d’ennuis ne fait un long chemin.
Et s’il veut vous chanter, ô race forte et grande,
Faites silence autour du vieux dôl-men !

Ô trinité d’amis, alors dans votre chaîne
Comme un ancien anneau vous me rattacherez ;
Nous irons visiter notre église et son chêne.
Et, courant vers la mer, les deux fleuves sacrés.
Quand reviendront au bourg le barde et les trois prêtres,
Le grand nid d’Arzannô frémira, tous les hêtres
Agiteront dans l’air leur feuillage troublé :
Quelle paroisse d’Armorique
Eut plus digne couvée, essaim plus poétique ?
Chantez, fleuve du Scorf ! chantez, fleuve d’Ellé !