La Fleur d’Or/Après une Tempête

La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 148-149).


Après une Tempête


La mer est calme, un souffle heureux enfle les voiles,
La vapeur obéit aux mains des matelots,
Tout le bleu firmament est émaillé d’étoiles
Qui viennent émailler le bleu miroir des flots.

On cause avec douceur ; aux murmures des femmes
Se mêle par éclats le rire des enfents ;
Tous les rangs sont unis comme toutes les âmes ;
Plus de riches altiers, et plus d’humbles servants.

Sur le pont immobile on a dressé la table
Où fumeront les chairs, où va couler le vin ;
Tout est sécurité, joie et paix délectable :
Le cœur épanoui s’ouvre aux rêves sans fin…
 
Vents furibonds ! subits éclairs ! grêles ! tonnerres !
Féroces ouragans venus on ne sait d’où,
Qui brisez notre joie et renversez nos verres.
Nous vous résisterons et sans plier le cou !


« Carguez, carguez la voile ! au large ! à la manœuvre ! »
Le chef est à son poste, et marins, passagers,
S’appelant, s’entr’aidant, se sont tous mis à l’œuvre,
Comme dans les plaisirs unis dans les dangers.
 
Immense linceul noir, le ciel couvrait nos têtes ;
Sous nos pieds se tordait l’abîme rugissant ;
Quand l’éclair coup sur coup frappait les vertes crêtes,
On voyait le pilote au timon palissant.

Ô Mort !… Non, tout s’apaise, et le ciel et la vague.
L’orage, on le dirait, s’enfuit épouvanté !
Déjà pointe vers l’est une lumière vague :
C’est l’aube ! c’est le jour ! c’est un soleil d’été !

Pour tous c’est le bonheur. Voici les robes blanches,
Voici les blonds enfants qui montent sur le pont ;
On s’aborde ; les mains se serrent : gaîtés franches !
Les fils vont embrasser leurs mères sur le front.

Enfin on est au port, et c’est un jour de fête.
L’église s’ouvre, entrons. Oui, venez, prions tous !
Pour nous et pour tous ceux qu’agite la tempête,
Pour notre pauvre France, oh ! prions à genoux !


Marseille.


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