La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 48-49).


À Lucy


Lucy, depuis un temps, lors même qu’on te loue,
Une rougeur soudaine éclate sur ta joue,
Ta voix hésite et tremble, et tes regards troublés
S’éteignent à travers tes cils longs et mouillés :
Quand ton âme est sans tache, oh ! pourquoi cette honte,
Et sur ton front si blanc cette rougeur qui monte ?
Enfant, ah ! pauvre enfant en proie au ver rongeur !
Cette hydre dévorante et qu’on nomme rougeur.
Je la connais ! Deux ans, jeune et l’ame encor pure.
Grandissant comme toi, j’ai senti sa morsure,
Et son souffle de feu, vif et subtil poison,
Courir par tous mes sens et troubler ma raison.
N’est-ce pas ? Dans le cœur c’est comme une hydre affreuse,
Qui sans cesse y retord ses anneaux et le creuse,
Et jamais ne sommeille, et cherche à s’élancer
Dès qu’un œil attentif sur vous vient se fixer ;
La flamme de son corps vous consume au passage,
Elle sort par vos yeux, luit sur votre visage,
L’air manque, tous vos sens sont domptés à la fois,
Et vous restez sans pouls, sans regards et sans voix !…
Ô tourment de l’enfer, honte, éternel supplice

Qui marque la vertu de la couleur du vice,
À la tendre innocence ôte son doux repos,
Et son rire si frais, et tous ses gais propos !…
Prends courage pourtant, ô blonde enfant qu’on aime.
Lasse de sa victime, un jour et d’elle-même
La rougeur s’en ira ; mais alors dans ton cœur
Avec son trouble aimable entrera la pudeur.