La Fleur d’Or/L’Asile

La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 145-146).


L’Asile


Reposons-nous ailleurs, le doute a hérissé
De trop de dards aigus la couche du passé.
Mais croire, mais aimer quand toute âme s’envole,
Et quand chaque matin voit tomber chaque idole !
Cependant il le faut, croyons, aimons encor,
Croyons bien aux plaisirs et pour eux aimons l’or,
Croyons à cela seul qu’on ne doit plus rien croire,
Hors aux baisers cueillis sur un beau front d’ivoire ;
Dieu mort, ils ont tué l’amour et l’amitié :
Croyons tous au malheur sans croire à la pitié,
Et cherchons loin, bien loin, un asile suprême
Pour oublier enfin les autres et nous-méme.
Ô vous, frères amis, qui d’un monde hideux,
Voyageurs éplorés, êtes sortis tous deux,
L’un éteignant sa vie au creux de la vallée,
L’autre emportant au cloître une âme désolée,
Mais tous deux expirant d’une si douce voix
Que votre sol natal en agita ses bois,
Ah ! s’il est loin du monde un lieu sûr où l’on dorme,
Répondez, Amaury, dites, Joseph Delorme,

Où le lit est meilleur et le sommeil plus long :
Est-ce à l’ombre du cloître ? Est-ce au creux du vallon ?
En nous-même peut-être il est un sûr refuge
Où l’âme en descendant sait juger qui la juge,
Un sanctuaire calme où le doute acéré
Malgré tous ses replis n’a jamais pénétre :
Beau temple intérieur tout rempli d’eaux lustrales,
De mets fortifiants et d’essences vitales.
Si les corps sont régis par l’éternelle loi,
Sonde ta destinée, âme, et rassure-toi !
Quel Titan espéra dans ses deux mains géantes
Détruire une de vous, molécules vivantes ;
Ou de l’âme déserte exiler sans retour
La divine espérance et le divin amour ?