La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-04

Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 116-127).

CHAPITRE IV


Chairs à plaisirs. — Le bain de la
boïarine. La palette. — Pattes
d’écrevisse. — La nagaïka. — La
fouetteuse fouettée.



A insi nos supplices quasi quotidiens s’agrémentaient pour les filles déjà grandes de traitements dont on devine la nature. Pour moi, je ne servais encore qu’au plaisir cruel des dames invitées. Léna, une jeune fille de seize ans, une de mes compagnes, me confia sa triste histoire. On l’avait envoyée porter un verre d’eau sucrée à un jeune barine de dix-sept ans, neveu des maîtres. On lui avait recommandé d’obéir en tout point à ce jeune homme, de se plier à tous ses caprices, de faire toutes ses volontés, sous menaces de l’écorcher vive si elle lui refusait quoi que ce soit. Et Dieu sait si le mauvais drôle se fit faute d’exiger de cette esclave qu’on lui fournissait toutes les complaisances possibles. Après une flagellation dans laquelle il déploya une virtuosité qui témoignait d’une longue pratique, il abusa d’elle sans le moindre ménagement, sans un seul mot tendre, sans une caresse.

j’assistais tous les matins à la toilette de la maîtresse et de la jeune barine, servant de camériste à celle-ci, ainsi que toutes les filles attachées à sa personne. J’étais, comme toutes mes compagnes, absolument nue. La salle était surchauffée, non pour nous bien entendu, mais enfin on ne pouvait y avoir froid. Quant à la raison de cette nudité, on la devine. Les maîtresses étaient rarement satisfaites. Le bain était presque toujours ou trop chaud ou trop froid. La fille qui faisait leur toilette avait la main trop rude ; elle frottait trop fort.

La dame et la jeune barine étaient armées d’une large palette de cuir suspendue à un long manche, avec laquelle elles tapaient sur la chair nue, atteignant partout au hasard, même les endroits les plus sensibles. Souvent le hasard n’était pour rien dans ces piquantes atteintes.

— Qui a préparé le bain aujourd’hui ? disait la boïarine, en tâtant l’eau de sa baignoire.

— C’est moi, répondait celle qui avait accompli cet office. Et la palette l’atteignait au même instant, sur les tendres globes de ses seins.

Cette maudite palette ne cessait de fonctionner tout le temps que durait le bain et la toilette. Les deux baigneuses l’avaient à portée de la main sur une petite planchette. Si les malheureuses cruellement cinglées avaient la fâcheuse inspiration d’obéir à un premier mouvement qui les portait par un saut involontaire hors des atteintes de la férule, la maîtresse leur donnait ou leur faisait donner sur-le-champ le fouet en règle.

Quand elle fouettait elle-même, elle faisait asseoir sa victime sur le rebord de la baignoire. On y était bien mal assise. Elle se servait de verges pour cette correction.

La première fois que je la vis donner le fouet de cette façon, ce fut à une de ses femmes de chambre ; celle-ci pouvait bien avoir trente ans. Elle avait eu le tort impardonnable de bondir sous un coup de férule qui lui avait entamé la chair. Elle dut venir s’asseoir sur le siège de circonstance. La fouetteuse lui appliqua pour commencer un coup formidable. Elle trempait à chaque coup les verges dans l’eau. Ces baguettes ainsi trempées causent, paraît-il, une souffrance intolérable. La patiente faisait d’incroyables grimaces ; ses gros seins sautaient sur sa poitrine et elle poussait des cris affreux. Elle reçut trente-neuf coups de verges. Sa croupe était en sang.

La maîtresse s’amusait aussi à nous fesser avec sa main mouillée. Cette fessée était très redoutée. Toutes y passaient, les plus grandes comme les plus petites.

Elle fessa ainsi, quinze jours après lui avoir appliqué les verges, la même femme de chambre, coupable cette fois de l’avoir déposée trop brusquement dans le bain. Elle vint s’asseoir en tremblant sur la sellette.

La boïarine ne plongea pas comme d’habitude ses mains dans l’eau. Je me demandais si elle allait la fustiger à sec. Mais je vis bientôt pourquoi elle n’avait pas mouillé sa main. Elle s’amusa pendant un bon moment à lui pincer la chair, la tordant dans ses doigts, ce qui devait causer à la patiente des tortures indicibles.

Quand elle eut dessiné ce qu’elle appelait des pattes d’écrevisse sur la peau, elle inaugura la fessée avec la main mouillée qu’elle trempait après chaque gifle. Elle lui en distribua ainsi sans compter pendant plus de cinq minutes. La malheureuse ne cessa de se lamenter à voix haute. Les fesses rouges étaient mouchetées par places de mosaïques sanglantes.

Le lendemain, la pourpre des fesses avait disparu, mais les mosaïques étaient devenues bleues. Elles constellèrent la croupe pendant huit jours.

Je suis passée par les deux tortures, et je me souviens encore à l’heure où j’écris ces lignes de l’horrible souffrance que j’endurai. Heureusement qu’elle n’eut pas la fantaisie de dessiner sur moi ses fameuses pattes d’écrevisse.

Quand on se relevait du bord étroit de la baignoire, la marque en restait. Moi qui n’étais pas assez grande pour que mes jambes fussent à terre, je me tenais en équilibre, cramponnée au rebord pour ne pas être projetée en avant par la violence des coups et tout le poids de mon corps portait sur mes assises. Je souffris toute la journée et le lendemain j’étais courbaturée.

C’était donc sur-le-champ que se réglaient les comptes des coupables, à moins qu’il n’y eût des invités des deux sexes, auquel cas on ne voulait pas les priver, surtout les hommes, d’un spectacle aussi affriolant. On retardait alors la punition qui n’avait lieu que l’après-midi. La séance se donnait dans une salle spécialement réservée à cet effet.

La gouvernante mandée arrivait avec son carnet à la main. Les coupables venaient ensuite, toutes habillées, ce qui formait un curieux contraste avec les filles à ce moment de service et par conséquent nues. Elles se tenaient debout, attendant la lecture de leurs forfaits et leur condamnation. Les pauvres créatures n’étaient en général coupables que de méfaits insignifiants pour lesquels on inventait des châtiments très sévères.

Un exemple entre mille.

— Catya a cassé une assiette en essuyant la vaisselle.

— Vingt-neuf coups de nagaïka tout de suite.

Catya fut troussée en un clin d’œil par deux de ses compagnes de chaîne et reçut les vingt-neuf coups de corde à nœuds sur la croupe nue. La maîtresse avait recommandé à l’exécutrice d’aller lentement et de frapper fort pour qu’on pût jouir longtemps du spectacle.

La boïarine semblait haïr tout particulièrement cette belle fille qui recevait le fouet plus souvent qu’à son tour. Et quand elle vit perler des gouttes de sang sur la pauvre chair torturée qui se remuait sous les morsures des cordes tressées, tandis que la victime, se raidissant de toutes ses forces contre la douleur subissait la torture qu’on lui infligeait sans un sanglot, sans une plainte, sans une larme, la boïarine ne put contenir sa joie féroce et s’écria : « Bien, très bien, fort bien ».

La pauvre Catya ne sortait jamais de ses mains, car il était rare qu’elle ne terminât pas elle-même la flagellation de cette fille, sans avoir les fesses et les cuisses endommagées, mais toujours aussi impassible, sans une larme dans les yeux. On eût juré qu’elle ne sentait rien. Mais sa peau parlait pour elle.

Cette fille ne servait jamais sa maîtresse au bain où les servantes étaient nues mais à la toilette où elles étaient seulement dévêtues en partie. Sa croupe n’était jamais mise en évidence que dans des occasions fâcheuses pour elle et dans la posture la plus humiliante.

J’ai su depuis que la maîtresse était jalouse de la forme parfaite du corps de la jolie serve.

C’était tous les jours la répétition des mêmes scènes avec quelques variantes. Quand la boïarine avait des amies chez elle, comme il y avait plusieurs baignoires dans la salle, elle les invitait à prendre un bain de compagnie et assister à la correction des soi-disant coupables. Toutes ces visiteuses étaient friandes de ce spectacle. Leurs yeux parlaient clairement ; la maîtresse leur réservait les plus jolies.

Quand elles étaient plongées, essuyées et revêtues d’un peignoir de flanelle, elles venaient, la nagaïka en main, fouetter les grosses croupes des filles de chambre condamnées que leur présentaient troussées leurs compagnes d’infortune. La maîtresse leur recommandait de ne pas les ménager. Elles abusaient de la permission et la plupart de ces dames nous fouettaient comme des marâtres, je l’ai éprouvé plus d’une fois.

Cependant je dois avouer que, durant mon séjour dans ce bagne, j’ai eu occasion de voir avec plaisir et je dirai même avec un plaisir ravissant partagé par toutes mes compagnes, appliquer le fouet d’une façon très sévère à un postérieur féminin.

Je ne sais et personne n’a su dans le château, le méfait commis par la gouvernante pour mériter la sévère correction qu’on lui infligea publiquement.

Les hommes, sauf de rares exceptions, étaient exclus de la salle où nous recevions nos châtiments, les maîtres et les invités exceptés.

Nous savions qu’on allait fouetter la gouvernante, la méchante femme que toutes les serves soumises à sa férule détestaient cordialement. Et nous nous réjouissions à la douce pensée du supplice qui l’attendait.

La maîtresse la corrigeait toujours en particulier pour ne pas diminuer le prestige attaché à ses fonctions. Elle fut amenée, il vaudrait mieux dire traînée, car elle se débattait furieusement, par deux gaillards qui la hissèrent, toujours révoltée, sur l’estrade où elle-même d’habitude flagellait les coupables. Elle n’y était jamais montée qu’en bourreau, aujourd’hui elle y montait en victime, par force, et c’était bien son tour.

Deux autres serfs, sur un signe de la maîtresse, grimpèrent sur l’estrade venant prêter main-forte aux deux premiers. À eux quatre, ils eurent tôt fait de la trousser et de la mettre dans la posture voulue, agenouillée, nue des pieds à la ceinture car on lui avait retiré jusqu’à ses bas.

Nous eûmes alors sous les yeux un bien amusant spectacle. Petrovna, c’était le nom de la gouvernante, était pourvue d’une croupe d’une opulence extrême. Ainsi développée sur un plan incliné dans la posture où on la maintenait, cette croupe offrait un magnifique champ d’opération à la verge. La boïarine avait fait prendre des verges fraîchement coupées aux bouleaux du jardin et les avait fait lier en un faisceau de redoutable aspect. Il y en avait plusieurs pareils à celui qu’elle tenait en main et cette provision ne disait rien de bon pour la croupe de Petrovna.

La maîtresse s’installa à gauche de la victime et sans crier gare, elle laissa retomber la verge de haut, assénant sur la chair tendue un coup redoutable qui résonna comme si elle avait frappé sur une peau de tambour.

Les coups se succédèrent ensuite sans interruption, de plus en plus violents et les cris de rage de la flagellée augmentèrent à mesure d’intensité. La croupe énorme se mit à entrer en danse. Tous les spectateurs, on pourrait même dire les auditeurs, à cause de la musique des verges qui s’unissait au crescendo des hurlements, prenaient un vif plaisir à voir fouetter, aussi sévèrement qu’ils l’étaient, cette femme si méchante.

La boïarine avait donné cinquante coups de verge sans s’arrêter. Un peu fatiguée, elle jeta le tronçon qui lui restait à la main et descendit de l’estrade. Le boyard monta à son tour, armé lui aussi, d’une longue et forte verge.

La danse de la croupe, un moment interrompue pendant le changement d’acteur, reprit de plus belle sous les coups de verge assénés cette fois avec la vigueur d’un bras d’homme. Les coups pleuvaient dans tous les coins, sur les hanches, sur les jambes encore non touchées, sur la plante des pieds.

Les hurlements n’avaient pas eu à reprendre, car ils n’avaient pas cessé, même pendant l’entracte, mais on devinait à leur acuité que le maître tapait plus fort que la maîtresse. Quand le boyard descendit à son tour de l’estrade, la gouvernante avait reçu une centaine de coups de verges. Des rubis pointaient sur ses fesses et sur ses cuisses qui en se secouant les semaient à terre.

On la laissa ainsi un grand quart d’heure pendant que les spectateurs mâles et femelles défilaient devant ce tableau vivant. Elle hurlait et se secouait tout le temps sous nos yeux ravis de voir saigner le vilain postérieur de la méchante femme qui ménageait si peu les nôtres.

Elle resta huit jours sans reparaître au milieu de nous. La lectrice de la boïarine la remplaçait dans ses fonctions. Elle était assez impartiale, ne marquant que les fautes punissables, mais elle nous fouettait toujours avec sévérité quand la maîtresse la chargeait de nous corriger. Il est vrai qu’elle était exposée aux mêmes traitements que nous.

C’était la fille de deux artisans pauvres qui lui avaient fait donner une certaine instruction dans l’espoir d’en retirer plus tard un bon revenu en la louant comme lectrice à une famille riche. Ils avaient pris un engagement de trois ans avec la boïarine qui en avait payé la location assez cher en se réservant tous les droits de correction. La chère âme ne manquait pas, on le pense bien, d’en user et même d’en abuser.