LA FIN
DE
LA FRONDE A PARIS

SCÈNES HISTORIQUES.


SECONDE PARTIE.[1]
Mazarin revient à Paris : sa réception au Louvre le 3 février 1653. — Presque tous ses anciens ennemis soumis, la Palatine, Mme de Chevreuse, les Vendôme, les Bouillon, etc. — Appréciation de la conduite de l’aristocratie dans la fronde; si la fronde est une anticipation de la révolution française ou une imitation de la révolution d’Angleterre; soumission de l’aristocratie, et à quelles conditions. — Le parlement, vice radical de sa constitution : le mélange de la justice et de la politique; ses griefs contre Mazarin, ses actes pendant la fronde. — Nicolas Fouquet et Matthieu Molé. — Déclaration royale du 22 octobre 1652; Mazarin soumet à la fois le parlement et le satisfait. — Soumission empressée de la bourgeoisie, rétablissement du crédit, grandes fêtes dans Paris, triomphe solide et définitif de la royauté et de Mazarin.


VI.

Mazarin aurait bien eu le droit d’accompagner à Paris, le 21 octobre 1652, Louis XIV et Anne d’Autriche, et de partager la joie de leur victoire sur la fronde, car il en était le véritable auteur. C’est lui qui, en se retirant à propos, en livrant la fronde à elle-même, l’avait laissée montrer tout à son aise ses fureurs et son impuissance; c’est lui qui, du fond de son exil, avait rassemblé des troupes, rallié autour de lui des généraux accrédités, marché au secours du jeune roi et de sa mère, relevé le drapeau de la monarchie, et de succès en succès l’avait porté jusqu’à Paris. Mais en y reparaissant trop tôt, Mazarin pouvait ranimer des rancunes mal éteintes. Lui-même avait été d’avis de seconder l’effet de l’amnistie de la nouvelle de son éloignement momentané, afin de ne laisser aucun prétexte à ceux qui si souvent avaient promis de se rendre, s’il quittait le royaume. Sûr du jeune roi, plus sûr encore de sa mère, leur laissant ses instructions et des conseillers éprouvés, Mazarin s’était effacé, et s’était retiré d’abord à Bouillon, un peu au-delà de la frontière; puis, à mesure que le gouvernement du roi se consolidait à Paris, il s’était rapproché et était venu à Sedan; puis il était allé ouvertement rejoindre l’armée royale, amenant avec lui de puissans renforts, des munitions, des vivres, de l’argent. Admirablement servi par Turenne et par La Ferté-Senneterre, il avait forcé la petite armée de Condé et celle du duc de Lorraine de battre en retraite peu à peu du côté des Pays-Bas. Actif, résolu, infatigable, il n’avait pas hésité à prolonger la campagne au-delà de ses limites ordinaires, jusqu’à la fin de décembre et même jusqu’en janvier 1653. Il n’avait quitté l’armée qu’après avoir vu l’ennemi abandonner le territoire français et avoir mis la frontière de Champagne et de Picardie à l’abri de tout retour offensif. C’est alors seulement qu’il avait établi ses troupes dans leurs quartiers d’hiver, et que lui-même, précédé et soutenu par ces solides succès, il avait pris le chemin de Paris.

Il y avait à peu près deux ans qu’il en était sorti, en février 1651, objet de la haine universelle, condamné par le parlement, proscrit par l’aristocratie, presque maudit par le peuple, et ne sachant où il trouverait un lieu pour reposer sa tête. Le 3 février 1653, il y fit une rentrée vraiment triomphale. Le jeune roi, accompagné de son frère, le duc d’Anjou, alla plus d’une lieue au-devant de lui, le reçut avec les plus grandes tendresses, le fit mettre dans son carrosse, et ils entrèrent ensemble, à côté l’un de l’autre, par la porte Saint-Denis, à deux heures après midi, en grande pompe, à travers les flots joyeux et les cris d’allégresse de ce même peuple qui, deux ans auparavant, le poursuivait de ses imprécations. Le cardinal fut ainsi conduit jusqu’au Louvre, où l’attendait Anne d’Autriche.

Il la revit, cette reine admirable, que l’histoire, abusée par les écrivains imposteurs de la fronde, a trop méconnue, cette amie courageuse, exemple unique entre toutes les reines, et presque entre toutes les femmes, d’une fidélité à l’épreuve de l’une et de l’autre fortune; qui de bonne heure, en 1643, avait reconnu les grandes qualités de Mazarin et discerné en lui le seul homme capable de bien conduire les affaires de la France; qui, après lui avoir dû cinq longues années de gloire, l’avait en 1648 et 1649 défendu contre l’aristocratie, le parlement et le peuple réunis; qui plus tard n’avait consenti à sa retraite que parce que lui-même l’avait jugée nécessaire; qui pendant son absence avait résisté à toutes les séductions comme à toutes les menaces, et n’avait jamais cessé de se gouverner par ses conseils; qui l’avait appelé à Poitiers; qui, à Gien, apprenant la déroute de Bleneau pendant qu’elle était à sa toilette, la continua paisiblement, quand tout le monde parlait de fuir, disputant de courage et de sang-froid avec Mazarin lui-même. En se retrouvant dans la demeure des rois après tant de séparations douloureuses, après s’être vus si souvent à deux doigts de leur perte, ils pouvaient être fiers de leur constance, qui avait mérité et amené les prospérités de ce grand jour, et rêver ensemble pour la fin de leur vie un repos glorieux.

Autour de la reine, le cardinal rencontra un brillant cortège de grands seigneurs et de grandes dames, naguère ennemis du successeur de Richelieu, et qui venaient le complimenter sur son heureux retour.

Parmi ces dames était au premier rang la Palatine, Anne de Gonzague, une des personnes les plus éminentes du XVIIe siècle, d’une admirable beauté[2], qui servait en quelque sorte de parure à l’esprit le plus solide, aussi capable de prendre part à des délibérations d’hommes d’état qu’à des assemblées de beaux esprits ou à de galantes intrigues, cherchant, il est vrai, ses avantages, mais avec une loyauté parfaite, qui, sans trahir la royauté, avait donné à la fronde les plus judicieux conseils, et l’aurait sauvée, si la fronde avait pu l’être. Comme elle avait toujours entretenu avec Mazarin la meilleure intelligence, elle pouvait fort bien s’associer à son triomphe[3].

Elle était là aussi, cette autre politique, d’un ordre encore plus relevé, aussi belle et aussi galante, d’un esprit moins gracieux, mais plus fort peut-être, plus capable encore de grandes entreprises, et ne s’arrêtant ni devant aucun danger ni devant aucun scrupule ; la veuve du connétable de Luynes, Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse[4], qui autrefois avait mis la main dans tous les complots ourdis contre Mazarin, et, de concert avec la Palatine, avait proposé la seule mesure qui pût mettre ensemble tous ses ennemis et former un grand parti aristocratique en état de tenir tête à la royauté : le mariage du fils de Condé avec une fille du duc d’Orléans, et celui de sa propre fille avec le prince de Conti[5]. Ce double mariage ayant échoué, dégoûtée d’un parti où les conseils de la politique étaient toujours sacrifiés à la passion et le véritable intérêt à la vanité, Mme de Chevreuse, habilement et doucement conduite par son dernier ami, le marquis de Laigues, que Mazarin avait su gagner, était revenue à sa première amie, Anne d’Autriche, et s’était résignée au pouvoir d’un homme qui savait au moins ce qu’il voulait, et dont la forte ambition ne chancelait pas au gré des événemens. Le crédit et les honneurs qu’elle pouvait attendre de la fronde, Mazarin les lui avait offerts, et en retour Mme de Chevreuse apportait à la royauté l’appui déclaré de ses trois illustres familles, les Rohan, les Luynes et les Lorrains. C’est elle qui, toujours puissante sur le duc de Lorraine, avait ménagé un traité secret entre le cardinal et lui, et qui tour à tour l’avait fait mouvoir en des sens si contraires. Rentrée dans toute la faveur de la reine. Mme de Chevreuse était au Louvre, à côté d’elle, applaudissant au retour de l’heureux cardinal.

Après Mme de Chevreuse, Mazarin n’avait pas eu de plus dangereux adversaires que les Vendôme et les Bouillon. Et pourtant dans cette mémorable journée du 3 février 1653 il pouvait considérer les chefs de ces deux puissantes familles comme les plus fermes appuis de sa grandeur.

César, duc de Vendôme, fils naturel d’Henri IV, était plus redoutable encore par son esprit, sa valeur et ses artifices que par sa naissance. Il n’y avait pas jusqu’aux vertus de sa femme, réputée une sainte, qui ne profitassent à l’ambition de son mari. Sa fille, la belle Mlle de Vendôme, avait épousé ce brillant duc de Nemours, qui venait de finir si tristement. Son fils aîné, le duc de Mercœur, était un prince sage et estimé, et le duc de Beaufort, son cadet, était l’idole du peuple de Paris. C’est Beaufort qui, en 1643, poussé par Mme de Montbazon et Mme de Chevreuse, avait formé le dessein d’assassiner Mazarin[6]. Le duc de Vendôme avait été soupçonné d’avoir eu la main dans cette affaire; il avait du moins donné asile en son château d’Anet à tous les complices de son fils, et, forcé de quitter la France pour prévenir la menace d’une arrestation, il avait erré plusieurs années en Italie et en Angleterre, faisant partout des ennemis au cardinal. Celui-ci reconnut qu’il valait beaucoup mieux acquérir un fils d’Henri IV, en y mettant le prix, que de le persécuter sans le moindre avantage. Après tout, que désirait le duc de Vendôme, et qu’avait-il demandé au début du ministère de Mazarin? Ou qu’on lui rendit le gouvernement de Bretagne, que lui avait destiné son père Henri IV, et que possédait son beau-père, Philibert-Emmanuel de Lorraine, ou qu’on lui donnât l’amirauté, une des plus grandes charges de l’état. Mazarin avait repoussé ces prétentions en 1643, il les accueillit en 1652; il fit le duc de Vendôme grand-amiral, lui conféra même le titre de ministre d’état, avec entrée dans le conseil d’en haut, après s’être assuré que Vendôme, arrivé où il avait toujours voulu parvenir, le servirait aussi fermement qu’il l’avait autrefois combattu. Il avait un gage infaillible de sa fidélité. Le fils aîné du duc de Vendôme, le loyal et pieux duc de Mercœur, avait épousé une des nièces du cardinal, l’aimable et vertueuse Laure Mancini, en sorte que la maison de Vendôme était intéressée et inséparablement unie à la fortune de Mazarin. Aussi le 3 février 1653 le grand-amiral César de Vendôme était occupé à poursuivre la flotte espagnole dans la mer de Gascogne, entrait dans la Gironde, et menaçait à Bordeaux les restes de la fronde. De son côté, le duc de Mercœur, nommé gouverneur de Provence, gardait au roi et à Mazarin cette importante province, tandis que le duc de Beaufort, qui autrefois avait voulu porter la main sur le cardinal, et qui, tout récemment encore, s’était montré son implacable ennemi, couvert et protégé par les services de son père et de son frère, se retirait à Anet, sans y être le moins du monde inquiété, content de voir Mme de Montbazon contente parce qu’on lui avait donné beaucoup d’argent, et attendait tranquillement le moment où il succéderait à son père dans le commandement de la flotte, et donnerait son sang pour le service du roi.

Les Bouillon n’étaient guère moins considérables que les Vendôme. Le duc de Bouillon était un politique et un homme de guerre du premier ordre, capable de conduire un gouvernement ou une armée, et qui n’avait qu’un sentiment et une pensée dans la tête et dans le cœur, l’agrandissement de sa maison. Déjà prince souverain de Sedan, poussé par sa femme, encore plus ambitieuse que lui, il avait en 1641, dans l’espérance d’accroissemens nouveaux, traité avec l’Espagne, pris part à la révolte du comte de Soissons, et gagné contre l’armée royale la bataille de La Marfée. En 1642, il était entré dans la conspiration du duc d’Orléans et de Cinq-Mars, et arrêté, jeté dans les fers à Pierre-Encise, il n’avait sauvé sa tête de l’échafaud qu’en abandonnant sa principauté. Depuis, il n’avait cessé de remuer pour ressaisir ce qu’il avait perdu. Il avait redemandé Sedan à Mazarin enl643, et n’ayant pu obtenir de ce grand serviteur de la couronne que, pour satisfaire un intérêt particulier, la France renonçât à une de ses meilleures places fortes du côté des Pays-Bas, il s’était rangé parmi les ennemis du cardinal, et, forcé de s’enfuir d’abord, comme le duc de Vendôme, à peine rentré en France il avait embrassé avec ardeur la fronde, bien entendu sans la moindre conviction, et dans la seule espérance d’obtenir aisément d’elle ce qu’il n’avait pu arracher à la royauté. Il avait engagé avec lui dans la fronde son frère Turenne, dont il disposait absolument, et qui était tout aussi ambitieux, tout aussi passionné pour la grandeur de leur famille, mais à sa manière, et selon la tournure de son caractère froid, réfléchi et profondément dissimulé. A la paix de Ruel, en 1649, le duc de Bouillon avait demandé[7] « son rétablissement dans Sedan, ai mieux n’aimoit la reine en faire faire présentement l’estimation à un prix certain; le rang promis et dû à sa maison; pour lui, le gouvernement d’Auvergne, et pour son frère le gouvernement de la Haute et Basse-Alsace, avec celui de Philipsbourg, et le commandement de toutes les armées d’Allemagne. » Mazarin avait fait alors la faute de ne pas contenter l’ambitieuse et puissante maison; de là en 1650 la conduite du duc de Bouillon en Guienne et celle de Turenne à Stenay et en Flandre. L’un et l’autre avaient bien compté que, pour prix de tant de services, la fronde victorieuse leur accorderait ce que leur avait refusé Mazarin. La fronde hésita; mais cette fois Mazarin n’hésita pas, et il traita sérieusement avec le duc. Ne voulant à aucun prix lui rendre Sedan, il accorda l’équivalent demandé, un grand domaine à Château-Thierry, plus riche encore que celui de Sedan, et, sans souveraineté effective, ce titre de prince, si cher à la vanité des Bouillon, que le chef de la famille ne devait pas seulement transmettre à ses enfans, mais qui devait s’étendre jusqu’à son frère Turenne. Mazarin acquit ainsi la seconde épée de France et la meilleure tête de la fronde. Le duc de Bouillon, ayant une fois pris son parti de servir le roi, le fit avec la même énergie qu’il avait déployée à Paris et à Bordeaux. Il ne quitta plus Mazarin, l’assista de ses conseils, et paya même plus d’une fois de sa personne, avec sa vigueur accoutumée et l’ardeur opiniâtre de son pays et de sa race. Lui-même, le soir du combat de Bleneau, il amena des renforts à Turenne, qui venait d’arrêter Condé. C’est encore lui, qui, le 2 juillet 1652, pour bien faire voir à Mazarin qu’il lui était acquis sans retour, se joignit au cardinal pour presser Turenne, contre toutes les règles de la guerre, de ne pas attendre les troupes de La Ferté-Senneterre. Un témoin véridique, et l’un des principaux acteurs de cette sanglante journée, Navailles[8] affirme même que le duc de Bouillon prit part à l’affaire, et qu’il était à l’attaque où périt Saint-Mégrin. Si Bouillon eût vécu, avec son ambition démesurée et sa capacité égale à son ambition, se serait-il toujours contenté du second rang, et serait-il demeuré le serviteur dévoué du cardinal? Nul ne le sait : le duc de Bouillon n’a pas rempli toute sa destinée, il est mort le 9 août 1652, il n’a pas joui de ces biens, de ces honneurs qu’il avait tant souhaités; mais avant de se fermer ses yeux les virent passer sur la tête de ses enfans. Turenne, particulièrement ménagé et caressé, fut fait à la mort de son frère gouverneur d’Auvergne, et la vicomte de Turenne érigée en principauté. Bientôt même il reçut le titre de ministre d’état. Mazarin alla plus loin : voulant combler l’illustre capitaine dont il connaissait depuis longtemps l’honnêteté et l’ambition, voulant en même temps s’attacher en sa personne tout le parti protestant par des actes décisifs, en établissant d’une manière éclatante que quiconque servirait bien serait fidèlement récompensé, sans distinction de religion, l’habile et politique cardinal fit le duc de La Force, protestant et beau-père de Turenne, maréchal de France, comme l’avait été son père. Aussi, le 3 février 1653, Turenne était-il au Louvre, à côté de Mazarin, y représentant tous les siens, et déjà occupé des préparatifs de la campagne qui devait s’ouvrir au printemps prochain dans les Pays-Bas, et où il devait commander l’armée française.

Mais si Mazarin avait pris soin de gagner successivement les chefs des importans et des frondeurs dans lesquels son œil exercé avait reconnu de sincères dispositions à une soumission loyale, il s’était bien gardé cette fois de se laisser séduire à de vaines apparences, et il ne s’était pas fait faute de frapper ou du moins d’écarter de Paris ceux qu’il désespérait d’acquérir. Il s’était prêté de bonne grâce à l’accommodement demandé par le duc d’Orléans : il n’avait pas voulu donner à la France et à l’Europe le spectacle de l’oncle du roi maltraité, et le contraindre peut-être à aller de nouveau chercher un asile à l’étranger; mais en le ménageant comme il convenait, il avait pris ses sûretés envers lui, et s’étant convaincu que trop de douceur ne ferait que l’enhardir à se mêler de nouvelles intrigues, il n’avait pas souffert qu’il restât à Paris, lorsque le roi y revint, de peur qu’en son palais du Luxembourg, entouré de conseils perfides, tout en prodiguant d’abord de grandes marques de déférence à la reine et au jeune roi, il n’entretint et ne ranimât dans l’occasion les espérances de la fronde. Ainsi le duc d’Orléans dut quitter Paris la veille du jour où le roi y rentra, et se retira d’abord à Limours, puis à Blois, refuge ordinaire de ses trahisons et de ses lâchetés, où, nullement persécuté, mais surveillé et contenu, il acheva dans l’indifférence publique le reste de sa triste carrière. Mademoiselle demeura aussi quelque temps en disgrâce à Saint-Fargeau et se consola peu à peu de la ruine de ses diverses prétentions avec sa grande fortune et sa petite cour. Le cardinal de Retz, faisant bonne mine à mauvais jeu, ou abusé par la feinte retraite de Mazarin, s’était rendu des premiers à Compiègne auprès du roi à la tête du clergé de Paris, et il lui avait adressé une harangue hardie et artificieuse, dans le genre de celle de César dans l’affaire de Catilina, couvrant habilement la défaite de son parti, recommandant la modération au nom de la politique, rappelant à plusieurs reprises la conduite d’Henri IV avec les ligueurs, et de peur qu’on ne comprît pas assez qu’il entendait parler pour lui-même, citant les paroles pacifiques d’Henri IV à son grand-oncle le cardinal de Gondi. Il y avait même dans ce discours[9] de grands complimens pour la reine, comme s’il avait repris ses anciennes espérances. Après le retour du roi, il avait poussé l’audace jusqu’à se présenter au Louvre pour rendre, comme un sujet fidèle, ses hommages à leurs majestés. Le 1er décembre, il avait prêché avec éclat à Notre-Dame, et recommençait son train de vie de 1648, faisant de pieux sermons dans les intervalles de ses galans rendez-vous, le matin à l’église, le soir en bonne fortune, et renouant dans l’ombre la trame de ses vieilles intrigues. Mais Mazarin le connaissait : il était persuadé que Retz était incapable de se renfermer dans ses fonctions ecclésiastiques, incompatibles avec ses habitudes dissipées et déréglées, avec sa nature inquiète et remuante, et c’est par ses conseils qu’au moindre soupçon le roi le fit arrêter au Louvre même, le 19 décembre 1652.

Mazarin était trop avisé pour traiter ainsi La Rochefoucauld. Il savait à merveille que, séparé de Condé et de Mme de Longueville, qui faisaient toute son importance, La Rochefoucauld n’était plus à craindre, et qu’il n’était pas d’humeur à se faire le champion et le martyr d’un parti vaincu. La grave blessure que La Rochefoucauld avait reçue au combat de Saint-Antoine lui tourna pour ainsi dire en avantage. Atteint d’une balle qui lui traversa les deux joues et lui ôta momentanément la vue, il lui était impossible de continuer la guerre et de suivre l’armée. Il ne trahit donc pas Condé en n’acceptant point le commandement des troupes qui restaient à la fronde, commandement qui à son défaut fut offert au prince de Tarente. Il devait avant tout soigner sa blessure, et ce motif très réel couvrant sa lassitude et des dégoûts déjà anciens, il n’alla pas, comme Bouteville et Vauban, retrouver le prince en Flandre. D’autre part il ne réclama point l’amnistie, et on ne put pas ne pas le comprendre dans la déclaration royale lancée le 13 novembre contre Condé, le prince de Conti, Mme de Longueville et leurs principaux adhérens[10]. Mazarin se garda bien pourtant de l’inquiéter dans la retraite où il alla se faire oublier quelque temps et goûter le repos dont il avait grand besoin. Puis il sortit de sa retraite et reparut à Paris. Il lui fallait revenir de bien loin pour rentrer en grâce; il y réussit en sauvant les apparences, et en ménageant habilement la transition, comme on dirait aujourd’hui. Il fit sa paix avec le politique et débonnaire cardinal, monta dans son carrosse, en disant avec autant de raison que d’esprit : Tout arrive en France. Il s’arrangea pour faire entrer son fils Marsillac dans l’intimité du jeune roi, et, chose admirable, il obtint de Mazarin, en dédommagement des pertes qu’il avait éprouvées en lui faisant la guerre, une bonne pension de huit mille livres[11].


VII.

Si le temps nous permettait de parcourir ainsi successivement la liste de tous les grands seigneurs qui autrefois avaient mis la main dans la fronde, il nous serait aisé de faire voir que, le 3 février 1653, les plus ardents et les plus illustres, et ceux que nous avons cités, et bien d’autres, tels que le duc d’Elbeuf et ses enfans, le duc de Guise, le maréchal de Lamothe Houdancourt, presque tous enfin étaient rangés autour de Mazarin, et combattaient avec lui et pour lui, et cela par une seule raison, mais très suffisante : c’est que l’habile cardinal avait su leur faire comprendre où était leur intérêt véritable.

L’intérêt, l’intérêt, voilà, à bien peu d’exceptions près, le mobile unique de l’aristocratie dans la fronde, et La Rochefoucauld n’a fait qu’ériger en maxime et généraliser même avec excès ce qu’il avait vu pratiquer autour de lui. On peut juger par là si, comme on le répète sans la moindre connaissance des faits, la fronde est une grande cause généreuse à laquelle la fortune a manqué. Non, c’est tout simplement une coalition puissante d’intérêts particuliers, et il s’en faut tellement qu’elle soit une anticipation avortée de la révolution française, que si l’on veut à toute force y trouver un dessein général, c’est bien plutôt celui d’étouffer dans leur berceau les principes de cette révolution.

Que voulait en effet la France en 1789? En un seul mot, l’abolition définitive du régime féodal. La royauté avait devancé et guidé la nation dans cette longue et difficile entreprise. Henri IV avait fait les premiers pas décisifs; Richelieu avait continué l’œuvre d’Henri IV, et Mazarin celle de Richelieu. Tous les trois avaient eu naturellement pour adversaires les grands du royaume, intéressés à maintenir leurs antiques privilèges, leur haute et basse justice, les places fortes où ils trouvaient au besoin un asile, les régimens qu’ils levaient, soudoyaient et commandaient eux-mêmes, pouvant ainsi former dans l’état bien des états différens et entraîner les populations dans leurs querelles, comme si ces populations leur appartenaient, ayant à leur solde de petits gentilshommes qui les servaient comme des rois, et eux-mêmes toujours prêts à tirer l’épée contre le roi, si le roi ne les contentait pas, et même à conspirer avec l’étranger, les catholiques avec l’Espagne, les protestans avec l’Angleterre. Depuis les premières années du XVIIe siècle, ils s’étaient sentis plus particulièrement menacés, et tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, selon les circonstances, ils s’étaient efforcés d’arrêter ou de suspendre les progrès de l’esprit nouveau. De là ces célèbres révoltes des grands, diverses dans leurs moyens, toujours dirigées vers le même but. La fronde est la dernière de ces révoltes.

Le premier ancêtre des frondeurs est le maréchal de Biron, sous Henri IV. Vient ensuite la ligue des princes, Marie de Médicis à leur tête, contre le connétable de Luynes; puis, sous Richelieu, Mme de Chevreuse, Chalais, Rohan et Soubise, les Vendôme, Henri de Montmorency, le comte de Soissons et le duc de Bouillon. Croyez-vous par hasard que ce soient là des patriotes méconnus par l’histoire, des philosophes et des démocrates qui ont payé de leur défaite le noble tort d’être venus avant le temps? On aurait bien fait sourire ces grands seigneurs et ces grandes dames, ou plutôt on leur aurait fait horreur, si on leur eût parlé des principes qui ont fait battre le cœur à nos pères, et qu’il nous a fallu conquérir avec des flots de notre propre sang. Lorsqu’en 1641, pour ne point remonter plus haut, le comte de Soissons et le duc de Bouillon levèrent à Sedan l’étendard de la révolte en s’appuyant sur l’Espagne, et livrèrent à la royauté la bataille de La Marfée, ils ne rêvaient point la liberté et l’égalité future, l’accessibilité de tous à tous les emplois, l’impôt proportionnel, l’émancipation de la bourgeoisie et du peuple : ils songeaient à l’agrandissement de leurs maisons; ils se proposaient le démembrement du pouvoir royal au profit de principautés indépendantes. L’insurrection de 1641 s’est renouvelée en 1642. Le duc d’Orléans et Cinq-Mars traitent encore avec l’Espagne, et c’est encore le duc de Bouillon qui est l’âme et l’épée de l’entreprise. Que voulait Bouillon? Nous l’avons vu : vainqueur, sa principauté de Sedan se serait étendue en une sorte de petit royaume; vaincu, il perdit sa principauté et cessa d’être un souverain féodal, un vassal indépendant. Après la mort de Richelieu, que prétendaient ceux qui s’opposèrent à l’établissement de son successeur? Quel objet poursuivait en 1643 la faction des importans? Il n’y a point à s’y tromper : c’est bien la même cause, car ce sont les mêmes hommes. Ici tous les voiles sont levés, et nous avons mis dans une irrésistible lumière les intentions, les desseins, les intrigues des importans; ils continuaient l’œuvre de leurs devanciers, et ils eurent recours aux mêmes armes[12]. On avait tenté d’assassiner Richelieu, on tenta d’assassiner Mazarin. On réclama de celui-ci ce qu’on avait espéré arracher à celui-là, des principautés indépendantes, des places fortes, des gouvernemens héréditaires. L’hérédité des charges et des gouvernemens, voilà le seul principe qui s’agite dans ces tristes querelles. Le duc de Bouillon veut ravoir sa principauté de Sedan ; Vendôme, le gouvernement de Bretagne, comme héritage de son beau-père ; La Rochefoucauld, le gouvernement du Poitou, parce que son père l’avait occupé. La royauté fait effort pour résister à ces prétentions et pour faire prévaloir le principe que les charges sont personnelles et émanent de la couronne. Maintenant n’est-il pas évident que les importans de 1643 sont les frondeurs de 1648 ? Encore une fois, c’est la même cause servie par les mêmes hommes. Mme de Motteville nous a conservé les demandes des chefs de la fronde et les conditions auxquelles ils consentaient alors à désarmer et à se soumettre. Le catalogue de ces demandes[13] est fort long : nous avouons n’y avoir rien trouvé qui ressemble au bill des droits et aux principes de 1789. Des charges de cour, des gouvernemens, des pensions, tel est l’unique sujet de toutes ces demandes, qui fatiguent de leur uniformité et révoltent par leur impudence.

Si on veut voir clair dans la fronde et connaître un peu le dessous des cartes, il faut lire les correspondances confidentielles, les lettres échappées dans l’action même et où les cœurs et les intentions véritables se montrent à découvert, et ne se fier qu’avec une grande circonspection aux manifestes officiels, surtout aux mémoires. Les mémoires en effet ne sont pour la plupart que des apologies mensongères, des plaidoyers composés après l’événement pour se dé- fendre soi-même ou pour attaquer les autres, et en imposer à la postérité, qui se laisse prendre aux apparences comme les contemporains, et, comme eux et plus qu’eux peut-être, cède au prestige du talent. Or il n’y a point de meilleurs écrivains que Retz et La Rochefoucauld, en attendant Saint-Simon. Leur style a toutes les grâces de la plus fine aristocratie : pas la moindre rhétorique, le dédain des règles pédantesques, une simplicité et une vivacité charmantes, et ce grand air si puissant sur la bourgeoisie dans les livres comme dans le monde. On ne se lasse point de les relire, et à force de les admirer on les croit. C’est là ce qui protège et protégera toujours la fronde auprès de la postérité. Mais résistez un peu, s’il vous est possible, à la séduction de ces récits entraînans, de ces portraits inimitables, et cherchez ce que nous disent de leurs desseins Retz et La Rochefoucauld. Qu’y trouvez-vous? Rien de net : ils se bornent à accuser Richelieu et Mazarin d’avoir porté atteinte à l’ancienne constitution de la France. Or cette accusation, bien comprise, absout et relève Richelieu et Mazarin aux yeux de tout juge impartial, et elle accable les importans et les frondeurs, car qu’était-ce que cette fameuse constitution de la France avant Richelieu, sinon le reste des dominations du moyen âge, le gouvernement féodal affaibli, mais formidable encore, avec des tempéramens de peu d’importance?

Est-il plus vrai que la fronde, comme on l’a aussi prétendu, est un contre-coup, une sorte d’imitation malheureuse de la révolution qui agitait alors l’Angleterre? Pas le moins du monde : cette autre erreur, plus étrange encore que la précédente, repose sur une fausse et trompeuse analogie, cet ordinaire écueil des considérations et des comparaisons historiques. Au fond, la première révolution d’Angleterre était presque toute religieuse, tandis que chez nous les querelles religieuses ne sont point intervenues dans la fronde, grâce à la protection éclairée dont jouissaient les protestans. On leur avait, il est vrai, enlevé leurs places fortes de Montauban et de La Rochelle, refuge commode aux ministres fanatiques et aux chefs ambitieux qui poussaient les peuples à la révolte; mais ils exerçaient librement leur culte, ils pouvaient parvenir à tous les emplois, ils étaient même admis dans les parlemens dont le ressort comprenait un grand nombre de religionnaires, et dans l’armée leur mérite et leur fidélité les élevaient aux plus hautes dignités, à ce point qu’un jour on avait vu cinq protestans en même temps maréchaux de France : La Force, Chatillon, Gassion, Rantzau et Turenne. Tout au contraire l’Angleterre n’avait pas alors la moindre idée de la liberté religieuse, et ce qu’elle appelait, et appela même longtemps ainsi, n’était pas autre chose que le droit de persécuter à son aise les catholiques, de les exclure de tous les emplois publics, de la chambre des lords, de la chambre des communes, et même des universités, le droit enfin de les traiter à peu près comme on traitait les Juifs au moyen âge. La reine elle-même, la noble fille d’Henri IV, n’avait-elle pas été indignement tourmentée par un Buckingham, et plus tard livrée aux plus basses calomnies, complaisamment recueillies par les historiens protestans, pour avoir réclamé en faveur du libre exercice de sa religion les garanties solennellement stipulées dans son acte de mariage, et qui en France étaient reconnues et inviolablement respectées dans le plus humble membre de la communion de la minorité? Il n’y avait donc aucune vraie ressemblance dans la situation des deux royaumes. On oublie toujours que la France de 1648 à 1653 ne voyait pas au-delà de la Manche la glorieuse monarchie constitutionnelle fondée par le génie de Guillaume III : elle n’y voyait qu’une anarchie sanglante, nulle ombre de liberté, ni civile ni religieuse, l’oppression des catholiques, l’Irlande mise à feu et à sang, toutes les divisions et les extravagances du calvinisme victorieux, la prison et l’échafaud de Charles Ier, les sombres intrigues et la tyrannie de Cromwell. Voilà le spectacle que donnait alors l’Angleterre : en vérité il n’était pas contagieux, et le triste rôle que joua l’aristocratie anglaise à cette époque n’était guère propre à séduire la nôtre.

Pour revenir à l’aristocratie française, il est certain qu’elle ne laisse paraître aucun autre dessein dans la fronde que de ressaisir la puissance qu’elle exerçait à la fin du XVIe siècle, et à laquelle Richelieu avait porté de si rudes coups. L’altier cardinal, patriote et despote, comme l’a très bien dit M. Guizot, eût tenté peut-être d’exterminer par l’épée cette nouvelle conspiration comme il avait fait les précédentes ; peut-être il eût relevé pour les chefs des importans et des frondeurs l’échafaud de Chalais, de Montmorency et de Cinq-Mars. Son habile successeur s’y prit d’une façon plus douce et plus sûre. Voyant qu’il avait affaire, non pas à des principes, mais à des intérêts, il entreprit de les gagner en s’adressant successivement à chacun d’eux. Il négocia donc avec ces illustres mécontens, et les acquit l’un après l’autre, en leur accordant à peu près ce qu’ils demandaient, sans rien céder des droits de la royauté, sans rétablir des pouvoirs indépendans, incompatibles avec l’idée naissante de l’état, mais en faisant à propos des concessions nécessaires, plus apparentes qu’effectives, en prodiguant des titres un peu vains et de brillans honneurs de cour, et en se réservant la puissance réelle à lui-même et au roi qu’il représentait. Le traité que fit Mazarin avec les Bouillon et les Vendôme est l’image de ceux qu’il finit par conclure avec tous les autres grands seigneurs de la fronde. Il leur dit en quelque sorte : «Vous désirez l’agrandissement de votre maison et de votre fortune, vous avez raison; seulement vous vous trompez de chemin : celui de la révolte ne peut plus vous réussir comme autrefois; la fidélité et la soumission vous réussiront mieux. Les temps sont changés. Une faible royauté vous avait laissés usurper sur elle ce qu’ensuite elle s’efforçait de vous reprendre; une royauté forte vous donnera sans retour, sous des formes un peu différentes, presqu’autant que vous n’avez jamais eu.» Un pareil langage, qui eût été repoussé en 1648, dans le premier enivrement de l’espérance, était fait pour être écouté dans la lassitude qu’amènent à leur suite les agitations stériles. Mazarin a cette gloire unique que, dans sa longue carrière, parmi les dangers les plus capables de le pousser à de violentes représailles, et quelquefois dans une prospérité qui lui promettait l’impunité, il ne fit monter sur l’échafaud aucun de ses plus acharnés ennemis, pas même ceux qui avaient voulu l’assassiner; il n’en proscrivit aucun, et il les gagna presque tous par des transactions heureuses, à l’aide de son fidèle allié, le temps. «Le temps et moi, » disait-il souvent. Le temps et lui étaient venus à bout de l’aristocratie française, et le 3 février 1653 elle lui servait au Louvre de rempart et d’ornement.


VIII.

Mazarin avait fait sur le parlement un travail à la fois différent et semblable, et qui fut couronné d’un égal succès.

Nous vénérons le souvenir et jusqu’au nom du parlement de Paris. Jamais nulle autre part l’œil des hommes n’a vu une pareille magistrature, aussi imposante par son indépendance, par son savoir, par la gravité de ses mœurs et la vie austère à laquelle elle était vouée. C’est une institution originale et toute française, qui, sortie un jour, dans une circonstance extraordinaire, des besoins de la royauté[14], s’établit peu à peu, s’enracine, se popularise, et traverse de longs siècles, environnée du respect public, jusqu’au XVIIIe siècle, où elle s’énerve avec tout le reste, et, comme tout le reste encore, succombe sous ses fautes[15] et s’abîme dans le naufrage universel. Mais dans le sein de cette grande institution était un vice qui devait, avec le temps, amener sa ruine après lui avoir donné quelquefois un éclat plein de dangers : nous voulons dire le mélange de la justice et de la politique. En effet, le parlement n’était pas seulement une cour de justice; en tant que cour des pairs, il se transformait en une assemblée politique qui délibérait sur les plus grandes affaires de l’état, et où l’éducation particulière de la plupart des membres, leurs études habituelles, les qualités même qui faisaient l’honneur de leur profession, leur devenaient un écueil. La justice repose sur des maximes inflexibles comme les lois de la morale éternelle; elle demande par-dessus tout à ses interprètes une conscience droite et pure. Il n’en est pas ainsi de la politique : elle n’a point de principes absolus; elle exige donc un tout autre esprit, et les magistrats les plus savans et les plus intègres, les plus capables de bien juger en matière de droit civil, quand ils étaient jetés dans des questions toutes différentes où il ne s’agissait plus de discerner ce qui était juste, mais ce qui convenait le mieux dans des circonstances mobiles qu’ils connaissaient à peine, y étaient fort embarrassés ou s’y égaraient aisément, et suppléaient mal les états-généraux du royaume, tout autrement composés, et qui étaient la vraie représentation politique de la nation. Il y avait encore dans les attributions supérieures du parlement un autre péril. Dans la cour des pairs, les grands seigneurs prenaient place à côté des simples magistrats, et leur naissance, leur fortune, leurs manières, leur donnaient un ascendant presque irrésistible. On était flatté de se rencontrer avec d’aussi hauts personnages. Un sourire, un mot flatteur, une invitation, étaient des grâces dont on était fier; des grands seigneurs habiles pouvaient entraîner ainsi dans leurs intérêts, et même dans leurs querelles, des gens de robe qui connaissaient mieux leurs livres que le monde, surtout les jeunes conseillers des enquêtes, plus faciles à séduire à des prévenances intéressées. Enfin le parlement était peu favorable en général aux innovations même les plus utiles; il inclinait à la routine, au maintien superstitieux du passé. Il ne comprit donc point toujours et il contraria quelquefois les grands desseins de la royauté, au dedans et au dehors. Les gens du roi, comme on disait, c’est-à-dire le procureur-général et les avocats-généraux, qui représentaient le gouvernement, ne lui étaient pas eux-mêmes d’un grand secours, car, sortis du sein de la compagnie, ils étaient imbus de son esprit, de ses maximes, de ses préjugés même; ils n’entendaient guère mieux les affaires d’état, et dans leurs remontrances ils portaient souvent la parole avec la hardiesse de l’inexpérience.

Henri IV s’appliqua à renfermer le plus possible le parlement dans ses attributions judiciaires, et il avait bien raison, car c’était là qu’étaient sa suprême utilité, sa vertu et sa grandeur; mais, avec sa bonté accoutumée, il se contenta de peser doucement sur ces esprits très peu politiques, par exemple dans l’affaire des jésuites, que le roi rappela, malgré la vive opposition des meilleurs magistrats, par des considérations qui passaient leur portée. D’ailleurs, n’ayant pas eu le temps de commencer ses grandes entreprises militaires, il n’eut à présenter aucun édit pénible à enregistrer. Un peu plus tard, quand Richelieu reprit l’œuvre d’Henri IV, il ne rencontra dans le parlement que des obstacles. Richelieu était sorti des états-généraux, il en était un des orateurs les plus autorisés, et quoiqu’il fît partie de la chambre du clergé, il connaissait et appréciait si bien les vœux du tiers-état qu’il s’y conforma presque toujours dans sa longue administration. Il aimait ces grands conseils nationaux, parce qu’il était sûr de leur faire entendre sa politique toute nationale. En 1626, il assembla les notables, leur soumit ses plans, et les laissa discuter à Paris, pendant près de deux années, ses vues administratives et financières; mais il désespérait de se faire comprendre d’un corps de magistrats qui la veille jugeaient des procès de mur mitoyen, et le lendemain voulaient traiter avec lui de la paix et de la guerre, sans la moindre connaissance de la France et de l’Europe. Aussi, au lieu d’écouter tranquillement leurs doléances, de supporter, et d’user leur résistance, cet impérieux génie préféra la briser, et s’emporta en une suite de mesures illégales et violentes que ses ennemis ont justement relevées, et que nous-même nous condamnons hautement, n’admettant pas du tout que l’excellence d’une cause autorise tous les moyens. Richelieu crut pouvoir se conduire envers le parlement comme envers l’aristocratie, et en cela il eut grand tort, car, l’aristocratie opprimant la nation autant qu’elle entravait la royauté, il avait contre elle l’appui de la nation et de l’opinion, tandis que le parlement, par ses attributions judiciaires, qu’il remplissait admirablement, était populaire et méritait de l’être. Non-seulement Richelieu brava ses remontrances, mais il fit souvent casser ses arrêts par le conseil d’état; il lança des lettres de cachet contre ceux de ses membres dont l’opposition le gênait le plus, et les exila loin de Paris; il enleva à sa juridiction d’illustres accusés, et les fit juger par des commissions extraordinaires, par exemple le maréchal de Marillac, dont le procès pèse encore sur la mémoire du cardinal, et mêle des ombres sinistres à l’admiration que nous inspire la grandeur de son caractère et de ses desseins. Tantôt il amenait le roi au parlement, pour faire enregistrer de force certains édits; tantôt il faisait venir au Louvre, et dans la chambre même du roi, un certain nombre de membres pour leur arracher la condamnation à mort du duc d’Épernon[16]. Comment s’étonner que tous ces actes de tyrannie eussent amassé dans le sein du parlement une colère et des haines qui éclatèrent après la mort de Richelieu? Le parlement vit avec peine arriver à la tête du gouvernement un des disciples et des favoris du redouté cardinal, et un assez grand nombre de parlementaires, poussés par les grands seigneurs qui siégeaient avec eux, se jetèrent dans la faction des importans. On ne peut reprocher à Mazarin les violences de son devancier. Pas une seule fois il ne renouvela les commissions extraordinaires du règne passé; il respecta toujours la juridiction du parlement, et c’est à cette juridiction qu’en 1643, dans la tentative d’assassinat formée contre sa personne et qui est aujourd’hui bien démontrée, il remit le procès de Beaufort et de ses complices; il souffrit même que le parlement, moins instruit ou plus indulgent que l’histoire, décidât qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour condamner. La seule mesure à la Richelieu que Mazarin se permit est l’exil de Barillon, un des présidens des enquêtes, juge intègre, homme de bien, mais esprit borné, opiniâtre et violent, qui faisait vanité d’être toujours dans l’opposition, et déclamait à tout propos contre la reine et le cardinal. Ses déclamations ne s’arrêtant pas, on le relégua dans la citadelle de Pignerol, où il mourut.

Mais ce fut un tout autre et moins noble motif qui souleva le parlement contre Mazarin. On sait que dans l’origine tous les membres de la compagnie avaient acheté leurs charges de la couronne, et ils pouvaient les transmettre à leurs enfans ou les vendre à d’autres, plus ou moins cher, selon les circonstances. Moins ces charges étaient nombreuses, plus elles avaient de valeur. Le parlement vit donc de très mauvais œil que la couronne, usant de son incontestable droit, créât de nouvelles charges, et les donnât moyennant finance comme elle avait fait les premières, très souvent dans l’intérêt du service, toujours dans celui du trésor, fort embarrassé pour suffire à des dépenses impérieuses et nécessaires. Il élevait à cet égard des réclamations très peu fondées. L’administration de la justice souffrait-elle donc, parce qu’elle n’était pas resserrée dans un petit nombre de familles? Et même ce fameux droit de la paulette, contre lequel les parlemens ont tant protesté, et qu’ils ont fait abolir pendant leur triomphe éphémère, n’était-il pas l’impôt le plus naturel et le plus juste en lui-même? Mazarin ne l’avait pas créé, il en avait hérité, et c’est Henri IV qui en était l’auteur. Les membres du parlement possédaient leurs charges pendant toute leur vie; ils pouvaient même les transmettre à leurs enfans, mais seulement avec la permission du roi : le roi pouvait donc mettre à cette permission des conditions équitables. Henri IV ayant besoin d’argent, un de ses secrétaires, nommé Paulet, inventa un moyen de lui en procurer sans augmenter les impôts ordinaires : il conseilla d’exiger de tout membre d’un parlement qui voudrait transmettre sa place à un de ses enfans de payer chaque année une redevance. C’était là un impôt spécial qui n’atteignait pas le peuple et enrichissait l’état, sans faire grand tort à des familles en général opulentes. Le père du peuple approuva cet impôt, qui du nom de son inventeur fut appelé la paulette. Nous le demandons, qu’avaient ici de bien touchant les remontrances des parlemens? Toutes les mutations de propriété, toutes les ventes étaient frappées d’un droit, et les parlemens auraient voulu que la justice leur fût une propriété dont ils pussent disposer sans aucune redevance, et apparemment sans la permission du roi! Voilà pourtant le principal motif de tant de plaintes. Les parlemens criaient à la tyrannie dans l’intérêt d’un monopole; ils se disaient opprimés parce qu’on les forçait de contribuer aussi aux charges accablantes qui pesaient sur la nation. Leurs murmures contre la multiplication des offices de judicature n’étaient pas plus raisonnables. En vérité ils auraient bien dû indiquer un autre moyen de suffire aux énormes dépenses de la guerre. Auraient-ils mieux aimé qu’on augmentât les impôts? Mais ces impôts n’étaient déjà que trop lourds, et encore on était souvent forcé de les anticiper de la façon la plus fâcheuse. La création de nouveaux offices, presque toujours utile, ne portait préjudice qu’aux privilèges déjà bien grands de quelques familles qui auraient voulu former, non-seulement un corps inamovible, ce qui était juste et nécessaire, mais un corps héréditaire, clos et fermé, absolument indépendant, et que l’état ne pût pas même accroître, parce que cet accroissement du corps tout entier blessait l’amour-propre et l’intérêt des particuliers. Remarquez que ces créations d’office devaient être enregistrées dans les parlemens, qui demeuraient investis de leur droit de remontrances. Si on ne consentait pas à venir au secours de l’état par ces remèdes innocens, il n’y avait plus qu’à faire la paix, et c’était là en effet le mot d’ordre que les chefs des importans et des frondeurs répandaient habilement, bien sûrs de répondre ainsi au vœu naturel de pacifiques magistrats, et se donnant les airs de protecteurs du peuple : lâche habileté, trahison criminelle des intérêts les plus sacrés de la France! Quelle politique que celle qui aurait mis au néant l’entreprise d’Henri IV et de Richelieu, et n’aurait tenu aucun compte des sacrifices de trente années, de tant de sang versé sur tous les champs de bataille de l’Europe pour faire tête à la maison d’Autriche, relever un peu la France, et tâcher de lui acquérir au moins quelques-unes des frontières qui lui sont indispensables! Le parlement et l’aristocratie voulaient la paix, mais Mazarin la voulait aussi; seulement il la voulait solide, glorieuse, utile. Il fallait redoubler d’efforts pour frapper un grand coup, et remporter cette victoire de Lens qui décida le traité de Westphalie et nous donna notre frontière d’Allemagne. La politique, l’honneur, l’intérêt véritable interdisaient tout doute à cet égard; mais le parlement ne connaissait pas le moins du monde les affaires de l’Europe, et les grands seigneurs, travestis en tribuns du peuple, n’avaient pas dans le cœur la noble flamme du patriotisme. En même temps qu’ils invoquaient la paix à Paris, ils l’entravaient à Munster par toute sorte d’intrigues, et leur opprobre éternel sera d’avoir encouragé l’Es- pagne à ne pas faire la paix en l648, à ne pas signer le traité qui lui était offert, en la flattant de l’espoir que bientôt allaient éclater des troubles qui arracheraient l’épée de la France des mains de Condé et de Mazarin, et rendraient à l’Espagne sa vieille prépondérance du temps de la ligue. Ils savaient très bien aussi qu’ils ne pouvaient affronter l’armée royale avec leurs seuls régimens et des bourgeois un moment séduits et égarés; ils savaient que pour l’emporter, pour se soutenir même, le secours de l’étranger leur était indispensable. Ils ne cessèrent de l’invoquer, de demander à l’Espagne de l’argent et des soldats, et les choses en vinrent à ce point qu’un jour sur les fleurs de lis étonnées le parlement de Paris reçut un envoyé de l’archiduc!

Quand on lit avec soin et qu’on examine à la lumière des événemens contemporains toutes les résolutions prises par le parlement pendant la fronde, on n’y trouve guère que des actes de parti et de continuelles usurpations tantôt sur l’autorité royale, tantôt sur les états-généraux. On a beaucoup vanté les délibérations de la chambre de Saint-Louis en juin et juillet 1648: elles ont pour objet avant tout le maintien et l’agrandissement des privilèges du parlement. Il y est déclaré que «L’établissement ancien des parlemens et des autres compagnies souveraines ne pourra être changé ni altéré, soit par augmentation d’offices et de chambres, ou par démembrement du ressort desdites compagnies pour en établir de nouvelles[17]. » Et en conséquence sont révoqués la cour des aides de Saintes et le parlement d’Aix. On a fait grand bruit de cet article que nul « ne pourra être détenu prisonnier passé vingt-quatre heures sans être interrogé et rendu à ses juges naturels, » comme si c’était là une conquête de la fronde, comme si cette excellente et libérale prescription n’était pas depuis longtemps dans toutes les ordonnances, et particulièrement dans la grande ordonnance de Blois! Ajoutez qu’en présence de cet article, protecteur de la sûreté individuelle, on arrêtait arbitrairement quiconque était suspect d’être mazarin, et un jour, comme nous l’avons vu, sur la place de l’Hôtel-de-Ville on avait massacré comme mazarins les magistrats les plus opposés à la cour. De nobles cœurs proposèrent une fois de convoquer les états-généraux, et Mazarin n’y répugnait point; ce fut le parlement qui s’y opposa pour retenir entre ses mains toute l’autorité législative ainsi que l’autorité judiciaire, se portant sans aucun titre, sans aucun mandat, comme le seul représentant et le seul interprète de la nation.

Disons-le donc : la plupart du temps dans la fronde, le parlement a fait paraître le vice secret de son institution. Par le mélange de la justice et de la politique, il est trop souvent sorti de ses grandes attributions judiciaires pour se jeter dans des intrigues politiques à la suite de grands seigneurs ambitieux et mécontens. Avouons-le encore, Mazarin commit à son tour de grandes fautes. Sans exercer sur le parlement une autorité aussi dure que Richelieu, il ne le ménagea pas assez, il ne sentit pas assez la nécessité d’enlever à une aristocratie factieuse l’appui d’un corps en possession d’une vieille et légitime influence. Tout occupé de ses grands desseins, passant les jours et les nuits en continuels travaux pour fortifier notre flotte de la Méditerranée, entretenir nos cinq armées d’Italie, de Catalogne, de Lorraine, d’Allemagne et de Flandre, et préparer des victoires nécessaires à la conquête de la paix, il n’aperçut pas la conspiration qui se formait contre lui sur les bancs mêmes du parlement, et pressé par d’impérieux besoins d’argent, il eut trop souvent recours à des créations de nouveaux offices. L’origine de la fronde et des premiers troubles qui éclatèrent à Paris est un édit du surintendant des finances d’Hémery, instituant dix nouvelles places de maîtres des requêtes. Le 8 janvier 1648, les autres maîtres des requêtes réclamèrent, et ils allèrent jusqu’à refuser de faire leur service accoutumé, comme au moyen âge l’église et l’université, au moindre grief, suspendaient l’enseignement public et l’office divin. De même en 1648 les maîtres des requêtes considéraient tellement leurs charges comme leur appartenant en propre qu’ils croyaient pouvoir à leur gré les exercer ou ne les exercer pas. Mandés et sévèrement admonestés par la reine, leur ressentiment n’en devint que plus vif. Le parlement épousa leur cause, et le nouvel édit ne fut enregistré qu’au moyen de la mesure extraordinaire d’un lit de justice. Par-dessus tout diplomate et militaire, Mazarin ne devina pas les orages qui pouvaient sortir d’un conflit du gouvernement avec une compagnie très puissante dans Paris; il ne vit pas derrière elle ses éternels ennemis, les anciens importans, contenus, mais non pas détruits, et qui n’attendaient qu’un prétexte et une occasion pour renouer leurs trames et entreprendre de le renverser à tout prix, aux dépens du repos et de l’honneur de la France, en prenant tous les masques, en parlant tous les langages, en s’appuyant tour à tour sur le parlement et sur la populace, en invoquant au besoin l’or et l’épée de l’étranger. Mazarin manqua ici de prévoyance. A la première résistance du parlement il fit arrêter le vieux président Broussel, comme cinq ans auparavant il avait fait arrêter Barillon; mais la ligue qui s’était formée contre lui n’était pas aisée à désarmer, et ayant envoyé presque toutes les troupes disponibles à la frontière, il se trouva dans Paris hors d’état de faire tête aux frondeurs, qui, à mesure qu’ils voyaient sa faiblesse, s’enhardissaient de plus en plus et se montraient à découvert, en sorte que la glorieuse journée de Lens se rencontra presque avec la triste journée des barricades. Plus d’une fois dans le cours de la fronde, Mazarin fit la même faute : il méprisa trop ses ennemis et compta trop sur lui-même et sur sa fortune. Éclairé cependant par l’expérience, lorsqu’il revint en France en 1652, il s’appliqua à reconquérir le parlement, et dans toute sa conduite avec l’orgueilleuse compagnie il eut le bon sens de se laisser guider par deux hommes qui la connaissaient bien et y étaient fort puissans, le procureur-général Nicolas Fouquet et le premier président Matthieu Molé.


IX.

Fouquet n’était point un homme ordinaire. Sans doute il n’était pas fait pour le premier rang, et après la mort de Mazarin, lorsqu’un moment il gouverna seul, cette prospérité excessive et venue trop vite l’aveugla. Il fit trop montre de ses richesses et de sa magnificence devant un jeune roi superbe, et l’implacable jalousie de Colbert, secondée par l’intérêt et l’influence de Mme de Chevreuse, profita de ses fautes pour le détruire; mais les illustres amitiés qu’il conserva après sa chute marquent assez qu’il possédait plus d’une qualité éminente. Formé à l’école de Mazarin, il avait l’esprit des grandes affaires; il était capable d’une conduite habile et ferme. Il aimait la gloire et faisait le plus noble usage de son immense fortune, qui n’était guère plus mal acquise que celle de Mazarin et de Colbert lui-même, car apparemment celui-ci n’était pas parvenu à doter les trois duchesses, ses filles, et à bâtir sa magnifique maison de Sceaux avec les économies faites sur ses appointemens. Fouquet avait le tort d’être homme de plaisir comme son frère l’abbé Fouquet; mais l’un et l’autre, pendant toute la fronde, avaient été d’une fidélité exemplaire à Mazarin et lui avaient rendu tout autant de services que Servien, Le Tellier et Lyonne. Fouquet, en qualité de procureur-général, avait une grande autorité dans le parlement. Il était resté sur la brèche pendant les jours les plus difficiles, affrontant avec courage la tempête, et avec les présidens Bailleul, Novion et de Mesmes rappelant et défendant les droits du roi, tan- dis que son frère entretenait avec Mazarin une correspondance où il l’instruisait du véritable état des affaires et des esprits[18]. L’abbé s’était si fort compromis que le 25 avril 1652 il avait été arrêté aux environs de Paris porteur de lettres adressées au cardinal. Le procureur-général alla rejoindre le parlement de Pontoise, et au retour du roi il exerça la plus utile influence. Il fit en quelque sorte la police du parlement en 1652 et 1653, désignant à Mazarin les amis solides qu’il devait hautement récompenser, les amis douteux qu’il fallait s’attacher davantage, les anciens ennemis qu’on pouvait gagner, et ceux qui étaient trop dangereux pour être épargnés. Cependant l’homme qui servit le plus Mazarin dans tette œuvre de nécessaire sévérité et de judicieuse indulgence fut sans contredit le premier président Matthieu Molé.

Rappelons ici du moins les principaux traits de cette grande figure. Le fils d’Edouard Molé avait par-dessus tout l’esprit et le cœur magistrat. Il aimait sincèrement la vérité et la justice, et son âme droite et ferme craignait Dieu plus que les hommes. Sa piété était profonde, sans aucune ombre de superstition. Ami de Saint-Cyran et de Bérulle, il était au plus haut degré gallican, il défendit constamment la cause de l’université et n’aimait point les jésuites. Sorti d’une famille parlementaire, entré de bonne heure dans la compagnie, il en avait toutes les maximes, et il en chérissait les privilèges. Il avait peu de goût pour les états-généraux, et le parlement était à ses yeux le véritable sénat destiné à servir d’appui et de contrôle à la royauté. Il était né sénateur pour ainsi dire, et nul jamais, à Rome ou ailleurs, ne fut mieux fait pour représenter un grand corps. Sous Louis XI, il eût été Jacques de La Vacquerie. Sa vie privée était simple et grave. Il avait reçu du ciel l’âme la plus conforme à son esprit, sereine, calme, intrépide, et le dedans se réfléchissait admirablement au dehors dans un corps sain et robuste et dans une figure où la force était empreinte[19]. Sa parole était concise et ferme, sans nulle élégance, et son ton presque toujours celui du commandement et de l’autorité jusque dans la vie ordinaire. Voilà ce qui a porté plus d’un historien à représenter Matthieu Molé comme un homme tout d’une pièce; mais en général les hommes ne sont pas ainsi faits, et la nature avait mieux traité Matthieu Molé que ne l’ont fait ses panégyristes. Il avait en effet beaucoup d’esprit et de finesse, et il était loin de manquer d’ambition. Il avait appris de son père Edouard à faire sa route à travers les nécessités les plus diverses. Comme lui, il eût accepté d’être le procureur-général de la ligue, sauf à travailler ensuite au rétablissement de la royauté légitime. De bonne heure il avait fait l’apprentissage de la patience et de la longanimité, et Richelieu l’avait accoutumé à faire fléchir quelquefois ses maximes de magistrat sous l’empire des circonstances. Sa jeunesse est marquée par un grand acte d’indépendance et de vigueur, où paraissent ses instincts naturels. Il était fort lié avec les Marillac, et quand Richelieu exila le garde des sceaux à Châteaudun, et livra le maréchal à une commission extraordinaire, parfaitement bien composée pour l’envoyer à l’échafaud, le maréchal ayant réclamé la juridiction du parlement, dont il relevait comme grand-officier de la couronne, Matthieu Molé, alors procureur-général, n’hésita pas à accueillir cette réclamation, et il la porta lui-même au parlement. Le cardinal irrité lit rendre au conseil d’état un arrêt qui mettait au néant les conclusions du procureur-général, lui enjoignait de comparaître en personne pour rendre compte de sa conduite, et lui interdisait l’exercice de sa charge. Molé se présenta devant le roi et devant Richelieu avec le calme et la dignité que donne une bonne conscience, et le cardinal, sur lequel le courage ne manquait jamais son effet, l’estimant d’ailleurs et le sachant sans intrigue, trouva bien plus sage d’acquérir un tel homme que de le briser, et fit lui-même sa paix avec le roi. Un des parens de Richelieu, le maréchal La Meilleraye, vit le procureur-général, et dans un entretien qui nous a été conservé par un contemporain véridique, Omer Talon, alors avocat-général, La Meilleraye fit doucement comprendre à Matthieu Molé qu’il fallait s’accommoder au temps. Si Matthieu Molé eût été l’homme tout d’une pièce qu’on a rêvé, il eût répondu à La Meilleraye que la justice est la justice, que Marillac avait un droit certain d’être jugé par ses juges naturels et non par une commission, que cette juridiction légitime, c’était le devoir du procureur-général de la revendiquer, dût-il y périr. Molé ne fit point cette réponse. « Le procureur-général, dit Omer Talon, déféra aux raisons du maréchal La Meilleraye, et commença à rabattre quelque chose de son ancienne sévérité. » Il ploya donc sous la main de fer de Richelieu, et laissa faire ce qu’il ne pouvait empêcher. Il vit avec douleur, mais sans murmurer, Richelieu frapper à coups redoublés sur l’indépendance de la compagnie, casser ses arrêts, exiler et emprisonner plusieurs de ses membres, et fouler aux pieds, particulièrement dans le procès du duc d’Épernon, les formes les plus substantielles de la justice. C’est ainsi qu’en 1641, de procureur-général il devint premier président de la main de celui qui avait fait monter Marillac sur un échafaud, et qui tenait encore Saint-Cyran à Vincennes. Claude Le Pelletier, depuis contrôleur-général des finances, si digne de foi et par sa scrupuleuse probité et par sa haute admiration pour Molé[20], nous apprend que malgré tous les gages de déférence que le procureur-général avait donnés à Richelieu, celui-ci dans sa prudence soupçonneuse, avant de le nommer premier président, lui demanda et en obtint une promesse écrite de sa propre main de ne jamais assembler le parlement sans un ordre exprès du roi. Matthieu Molé passait tellement pour une créature de Richelieu qu’après sa mort, et dans la tempête qui s’éleva en 1643 contre la mémoire et les partisans du terrible cardinal, il tomba en disgrâce, comme La Meilleraye, le duc de Brézé et bien d’autres, et courut risque de perdre sa charge. On parlait déjà, vu son veuvage et sa haute piété, de l’envoyer dans quelque évêché, avec l’espérance du cardinalat[21]. Dans cette critique circonstance, Matthieu Molé se conduisit avec la dignité qui était dans sa nature, et avec la prudence et l’habileté que l’expérience lui avait enseignées. Il devait trop à Richelieu pour se joindre à ses ennemis, sans se croire obligé de le défendre : il se ménagea et attendit. À mesure que Mazarin le connut, il discerna sa capacité et le releva aux yeux de la reine. Bientôt ils marchèrent à peu très de concert. Molé vit avec plaisir le parlement reprendre une juste autorité ; mais il n’était pas disposé à la mettre au service des importans, et dès lors il se montra aussi modéré que ferme, et favorable au nouveau ministre sans servilité. Voici quelques lignes de Mazarin, qui, dans leur simplicité, contiennent un bien grand éloge : « Il faut caresser le premier président ; il aime l’état, et on le peut contenter aisément[22]. » Touché de ses services, il s’avertit lui-même « qu’il faut lui faire quelque cadeau, lui accorder quelque gratification, » et il s’assure que a l’austérité de Matthieu Molé ne l’empêchera pas de recevoir volontiers les grâces que la reine voudra bien lui faire[23]. » Mazarin ne témoigne pour personne autant d’estime que pour Molé ; il l’honore sincèrement, et le sachant sans fortune et resté veuf avec beaucoup d’enfans, il entra dans les soucis du père de famille, il veilla sur les intérêts de l’abbé François Molé, fit vaquer pour lui l’abbaye de Sainte-Croix, de Bordeaux[24], et porta Edouard Molé, déjà trésorier de la Sainte-Chapelle, sur une liste de futurs évêques[25]. Enfin, comme le premier président portait un attachement particulier à son fils aîné Champlâtreux, chargé de soutenir et de continuer sa maison, Mazarin, trouvant déjà Champlâtreux conseiller au parlement, lui confia successivement les plus considérables intendances de justice, de police et de finances auprès des armées de Flandre, d’Allemagne et de Catalogne[26].

Quand vint la fronde, Matthieu Molé déploya la grandeur d’âme et la force de caractère à laquelle tout le monde a rendu hommage, et en même temps une habileté consommée, qui n’a pas été assez reconnue. Dans la journée des barricades, il fit voir à la populace soulevée le visage et le cœur d’un grand magistrat, et, au milieu des plus grands périls, une présence d’esprit et une sérénité intrépide que Retz peint à merveille, et qui lui font égaler avec raison le courage de Molé à celui de Condé. Il voulait sincèrement la réforme des abus, et servit souvent d’interprète assez altier à sa compagnie; il demeura néanmoins fidèle à la royauté, et lorsqu’en public il parlait le plus énergiquement à la reine, sous main il lui donnait les meilleurs conseils. Il contribua beaucoup à la paix de Ruel en 1649, mais il n’approuva pas l’arrestation violente des princes en 1650, et quand ils sortirent de prison en 1651 et que Mazarin quitta le royaume, il se serait fort bien accommodé d’un gouvernement nouveau, si ce gouvernement avait pu s’établir. Mais la fronde avait accru le mal au lieu d’y porter remède, et le premier président reconnut à la fin de 1651, comme Mme de Chevreuse et la Palatine, qu’un pouvoir fort était absolument nécessaire à la France; il se sépara de ses collègues, se rendit à Poitiers auprès de la reine, et se mit à ses ordres. Pendant son exil, Mazarin avait traité avec lui, par l’entremise de Fouquet et de l’abbé son frère, et à son retour à Poitiers, lorsque Châteauneuf se retira, il fit donner la place vacante à Matthieu Molé, le revêtit de la simarre, et ajouta les sceaux à la première présidence, faveur jusqu’alors sans exemple, et qui depuis ne s’est jamais renouvelée, mais qui avait pour Mazarin le double avantage de lui attacher à jamais le premier magistrat du royaume en couronnant sa juste ambition, et de donner à tous les parlemens une garantie certaine pour leurs privilèges et pour tous leurs intérêts, puisque celui qui devait représenter la couronne et le ministère auprès d’eux était précisément l’homme de France qui tenait le plus à leur dignité, et qu’ils auraient volontiers chargé de la défendre. Molé, garde des sceaux et premier président, avait successivement appelé à Pontoise tous ceux de ses collègues qui voulaient rester fidèles à la royauté, et n’avaient cédé qu’à un entraînement passager. Quand le jeune roi rentra à Paris, le 21 octobre 1652, avec une amnistie solennelle, le nom seul du ministre de la justice disait assez que l’amnistie proclamée n’était pas un piège, et qu’elle serait loyalement pratiquée.

Mais Molé n’était pas homme à confondre la loyauté avec la faiblesse. Il était trop éclairé pour ne pas comprendre qu’il fallait profiter sérieusement d’une victoire si péniblement obtenue pour prévenir le retour des calamités passées. Depuis que l’amnistie avait été promulguée le 26 août, plusieurs des membres du parlement de Paris, loin de l’accepter et d’obéir aux ordres du roi, s’étaient jetés encore plus avant dans la révolte et avaient pris part aux actes les plus coupables. Les maintenir au sein du parlement eût été y laisser subsister un foyer permanent d’opposition systématique. Ainsi que nous l’avons dit, on ne les convoqua point au lit de justice du 22 octobre, où l’amnistie devait être vérifiée, et il leur fut enjoint de sortir momentanément de Paris. En tout, ils étaient onze, tant présidons que conseillers. Les plus gravement compromis, le président Viole par exemple, suivirent le prince de Condé jusqu’au bout, et quittèrent la France; tous les autres, et parmi eux le président Broussel, se retirèrent dans leurs maisons de campagne, et n’y furent point recherchés : on se borna à surveiller leur conduite présente. On ne fit donc que ce qui était indispensable, mais on le fit.

Ce qui avait égaré le parlement était, nous l’avons vu, ce commerce assidu avec des grands seigneurs consommés dans l’art de la flatterie et de l’intrigue, qui, en caressant l’amour-propre de magistrats inexpérimentés, les entraînaient aisément dans leurs intérêts et dans leurs querelles. Il était impossible de remédier entièrement à ce danger sans toucher à la constitution même du parlement : cette constitution fut scrupuleusement respectée; mais on prit une mesure qui diminua un peu le vice originel que nous avons signalé sans abaisser la compagnie, ou plutôt en rehaussant sa dignité et sa vraie indépendance.

Le mal qu’avait toujours fait le mélange des magistrats et des grands seigneurs avait été porté à son comble pendant la fronde. Les écrivains qui se font les panégyristes du parlement de la fronde ne se doutent peut-être pas que, parmi ces Brutus et ces Caton déclamant si haut contre le premier ministre, les plus emportés étaient aux gages des grands seigneurs leurs collègues, en tenaient des pensions pour avoir soin de leurs affaires de tout genre, souvent même faisaient partie de leur haute domesticité. Qu’on juge de leur indépendance en matière politique, et même en matière civile! Pour couper court à ces honteux abus, le premier président et garde des sceaux crut bien mériter du parlement en lui adressant, dans le lit de justice du 22 octobre, une déclaration royale parfaitement fondée en principe, dont les termes naïfs et forts sont précieux à recueillir : « Considérant que la plus grande partie des désordres a procédé de la liberté que nos officiers se sont donnée de s’intéresser dans les affaires des princes et des grands de notre royaume, soit en prenant la conduite d’icelles, soit en recevant des pensions et gratifications, soit en leur faisant une cour ordinaire au préjudice du devoir et honneur de leurs charges, soit en assistant à leurs conseils, ce qui les a engagés ensuite à avoir une aveugle complaisance pour eux et pour tous leurs desseins, jusques à révéler les secrets des délibérations contre leur propre serment et le service qu’ils nous doivent, et prendre leurs sentimens pour les porter dans les délibérations de leurs compagnies, étant notoire que ceux de nos officiers qui se sont dévoués auxdits princes et grands ont eu l’artifice de les faire assister dans toutes les assemblées pour être fortifiées par leurs présences et ôter à leurs confrères la liberté des suffrages, faisant intimider les uns, interrompre et contredire impérieusement les autres, nous défendons à tous nosdits officiers, de quelque qualité qu’ils soient, de prendre soin ou direction des affaires desdits princes et grands de notre royaume, de recevoir d’eux des pensions, gratifications et autres bienfaits, de leur faire la cour par des fréquentes visites, d’assister à leurs conseils et s’intéresser à leurs desseins, à peine d’être procédé contre les contrevenans selon la rigueur des ordonnances, et ce nonobstant tous brevets et lettres qu’ils pourroient avoir obtenus de nous, que nous révoquons par ces présentes. »

Il ne suffisait pas d’avoir préservé le parlement du commerce contagieux de l’aristocratie, si on lui laissait le droit, qu’il s’était impunément arrogé, de se saisir lui-même des plus grandes affaires de l’état, d’intervenir dans les négociations diplomatiques, de s’ingérer même dans l’administration, et de prendre l’initiative de toute sorte de mesures financières, au lieu d’attendre que le gouvernement soumît à son enregistrement et à ses délibérations des édits de ce genre. On fit donc justice de ce prétendu droit, et on renferma le plus qu’on put le parlement dans ses attributions judiciaires. « Considérant, dit le roi dans la déclaration précitée, que tous ceux qui ont voulu commencer la guerre civile ou exciter quelque révolte dans notre état ont ordinairement essayé de surprendre la religion de notre parlement, en gagnant ou séduisant les esprits de plusieurs particuliers qu’ils ont engagés dans leur parti, auxquels ils ont fait employer l’autorité que nous leur avons donnée, par les charges qu’ils exercent dans la compagnie, pour décrier nos affaires, dont leur profession leur avoit donné peu de connoissance, et que, pour faire réussir leurs desseins, ils ont artificieusement suscité des assemblées générales de toutes les chambres, pour y faire délibérer indifféremment sur toutes les propositions que les moindres particuliers ont voulu faire; et voulant éviter que les maux que notre royaume en a soufferts n’arrivent plus à l’avenir, nous avons fait et faisons très expresses inhibitions et défenses aux gens tenant notredite cour de parlement de Paris de prendre encore connoissance des affaires générales de notre état et de la direction de nos finances, ni de rien ordonner ou entreprendre pour raison de ce contre ceux à qui nous en avons confié l’administration, à peine de désobéissance, déclarant dès à présent nul et de nul effet tout ce qui a été ci-devant ou pourroit être résolu et arrêté sur ce sujet dans ladite compagnie, au préjudice de ces présentes, et voulons qu’en ce cas nos sujets n’y aient aucun égard. »

On reconnaît ici le bon sens courageux de Matthieu Molé; mais s’il eût été aussi grand homme d’état qu’il était grand magistrat, il eût proposé au roi et à Mazarin une nouvelle déclaration qui eût dignement couronné toutes les autres : le roi, après avoir ôté à un corps essentiellement judiciaire les attributions politiques qui ne lui appartenaient point, les eût remises à qui elles appartenaient légitimement, et rétabli les états-généraux du royaume, en les rendant périodiques et obligatoires dans certaines circonstances, selon la tradition française, toute vivante encore, un grand nombre des amis et des contemporains de Molé ayant assisté aux états-généraux de 1614 et à la grande assemblée des notables de 1626. Mais la fronde n’était pas digne de l’immortel honneur d’avoir amené la liberté véritable, et les criminelles révoltes d’une aristocratie égoïste et les déclamations intéressées de gens de loi incapables méritaient le châtiment du pouvoir absolu.

Molé, comme premier président et comme garde des sceaux, prit la plus grande part à ces diverses mesures, avec le chancelier Seguier. Le procureur-général Fouquet les apporta devant le parlement le 22 octobre, et il en enleva l’enregistrement, grâce à la présence du roi. Les frondeurs qui étaient restés à Paris et parurent s’agiter furent contenus et réprimés, et Retz, comme nous l’avons dit, ayant mêlé à ses grandes démonstrations de respect et de soumission des menées suspectes, se vit arrêter en plein Louvre et conduire à Vincennes. Ce coup de vigueur intimida les plus hardis, et le lendemain le vieil archevêque de Paris étant venu avec son clergé adresser à la reine des doléances sur l’arrestation d’un cardinal, il lui fut nettement répondu que, le roi ayant agi dans l’intérêt de l’état, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il changeât rien à ce qu’il avait fait. On publia dans la Gazette[27] cette ferme réponse, ainsi que les motifs de l’arrestation de Retz. Le parlement, averti par un tel exemple, garda le silence, se résigna peu à peu à sa condition nouvelle, et reprit les habitudes qui conviennent à l’exercice impartial et paisible de la justice.

Ainsi Mazarin, en revenant à Paris, n’avait plus de tristes sévérités à exercer; Fouquet et Molé les avaient prises sur eux, et sans en avoir l’odieux, il en recueillit le fruit.

Il trouva au Louvre le 3 février 1653 le parlement de Paris, conduit par ses deux chefs, le procureur-général et le premier président, qui venait en corps, avec les autres ordres de l’état, lui présenter ses hommages. Mazarin l’accueillit avec sa bonne grâce accoutumée, et sans avoir l’air de se souvenir qu’à plusieurs reprises depuis 1648 ce même parlement l’avait condamné au bannissement, avait fait vendre à l’encan, sur la place du Châtelet, ses meubles, ses tableaux, sa bibliothèque, l’avait déclaré ennemi de l’état, perturbateur du repos public, et avait mis sa tête à prix. Il eut des sourires pour tout le monde et laissa tout le monde satisfait. Il prodigua sans doute les faveurs à ses amis, mais il n’ajouta pas la moindre rigueur à celles que la politique avait d’abord imposées : il les adoucit plutôt. Les conseillers qui avaient souffert pour sa cause furent promus à des places importantes. En même temps que Servien, Le Tellier et Lyonne recevaient de hautes récompenses de leur fidélité courageuse, le procureur-général Fouquet, nommé ministre d’état, prit séance au conseil d’en haut, et partagea la surintendance des finances avec Servien. Matthieu Molé, déjà comblé d’honneurs, vit sa fille la religieuse pourvue de l’abbaye de Saint-Antoine, et Champlâtreux eut le gouvernement de Vincennes, avec l’assurance d’une charge de président à mortier à la retraite de son père. Quelque temps après, l’illustre vieillard conserva les sceaux et résigna la première présidence. Mazarin aurait pu nommer à cette charge éminente l’un des présidens à mortier qui lui avaient été le plus favorables : il fut assez maître de lui-même, assez politique, pour la donner à l’homme que la compagnie tout entière lui eût désigné. Pomponne de Bellièvre, qui plus d’une fois avait été très vif dans la cause du parlement, et qui désormais allait mettre la haute influence que lui assuraient son habileté et sa grande fortune au service de la royauté et de son ministre. Le parlement fut très flatté de ce choix. Au fond, il n’était pas fort difficile de bien vivre avec des magistrats nourris ordinairement dans le culte de l’ordre public, et qui n’avaient aucune raison de chercher querelle à la royauté. L’aristocratie qui siégeait à côté d’eux les avait égarés en ayant l’air d’entrer dans leurs intérêts pour les engager au service des siens; mais, l’aristocratie vaincue et soumise n’agitant plus le parlement, il rentrait aisément dans son assiette accoutumée, et dès qu’on n’avait plus devant soi que des griefs plus ou moins légitimes, on les pouvait prendre en considération et les satisfaire dans une mesure convenable. Le plus sérieux de ces griefs était la multiplication des offices. N’ayant plus que l’Espagne à combattre depuis le traité de Westphalie, Mazarin avait moins besoin de ressources extraordinaires : il s’abstint donc, autant qu’il put, de créer de nouveaux emplois de judicature, et il respecta plus que jamais la juridiction du parlement. Un des plus fougueux frondeurs, le conseiller Fouquet de Croissy, invité à sortir de Paris avec ceux de ses confrères qui étaient enveloppés dans la même disgrâce, au lieu de suivre l’exemple du président Viole et d’aller conspirer ouvertement à Bruxelles, s’était obstiné à rester dans la capitale, et là, par ses correspondances factieuses et par ses efforts pour raviver le vieux levain de la fronde, il avait en quelque sorte forcé le vigilant Mazarin à le faire arrêter; mais cette arrestation, commandée par la nécessité, fut au cardinal une occasion heureuse de bien faire voir que les anciens abus ne reparaîtraient plus, et que la déclaration du parlement, en juillet 1648, sur la sûreté des personnes serait désormais un peu mieux observée que pendant la fronde. On ne livra point Croissy à une commission extraordinaire, et on ne l’ensevelit point en prison; selon son droit de conseiller au parlement, il fut immédiatement déféré au parlement lui-même, qui procéda à son égard dans les formes accoutumées. Le parlement ne pouvait manquer d’être touché d’une pareille conduite, et il le fut encore davantage de la modération, de la délicatesse même que Mazarin montra envers le fils du fameux président Broussel. Nul n’avait plus persécuté Mazarin que cet ardent et opiniâtre parlementaire. Au milieu de la fronde, il avait été nommé gouverneur de la Bastille, et il avait passé ce gouvernement à son fils Louvière. C’était celui-ci qui, sur l’ordre apporté par Mademoiselle, avait tiré le canon de la Bastille sur les troupes du roi à la fin du combat de Saint-Antoine. Mazarin victorieux laissa le père s’éteindre tranquillement dans la retraite et dans l’oubli, et il aurait bien pu, sans être accusé de violence, destituer au moins le jeune Broussel : il aima mieux tirer doucement de ses mains cette place importante, en lui en payant convenablement le prix, comme cela se faisait alors, afin de ne pas avoir l’air de flétrir un nom qui ne laissait pas d’être cher encore au parlement. On ne pouvait pas mieux établir dans tous les esprits que le passé était effacé, et que les fautes présentes seraient seules punies. C’est par une semblable politique qu’on termine les révolutions sur leur déclin, et qu’on fonde solidement son propre pouvoir en y ralliant tous les intérêts.


X.

Nous pouvons donc le dire en toute assurance : le 3 février 1653, les deux grandes forces de la fronde, l’aristocratie et le parlement, étaient rentrées sous l’obéissance du roi et reconnaissaient l’autorité de son ministre.

Pour la bourgeoisie, depuis longtemps elle était bien revenue de ses premières illusions. Une douloureuse expérience lui avait appris combien elle s’était trompée en se séparant de la royauté, sa fidèle amie depuis tant de siècles, qui jadis l’avait tirée des ignominies du servage féodal, qui avait encouragé et protégé ses pacifiques travaux, et l’avait peu à peu formée à l’art du commandement en lui remettant la police des villes et cette multitude de charges municipales qui lui avaient été autant d’écoles d’instruction politique et d’utiles degrés pour monter plus haut et participer enfin au gouvernement de l’état. La bourgeoisie et la royauté n’avaient pas un seul intérêt contraire; elles avaient grandi ensemble, et elles avaient encore grand besoin l’une de l’autre contre l’ennemi commun. Cet ennemi était l’aristocratie féodale, dont les privilèges héréditaires étaient à la bourgeoisie un joug honteux et à la royauté une chaîne insupportable. Ces privilèges, un peu affaiblis par le temps, subsistaient presque tout entiers au commencement du XVIIe siècle, et composaient un ordre de choses où certes le tiers-état n’était pas rien, comme depuis l’a prétendu l’abbé Sieyès, mais où il devait à la royauté le peu qu’il était. C’était là ce que les écrivains aristocratiques de la fronde ont appelé l’ancienne constitution de la France. Jamais la royauté ne songea à détruire une aristocratie nécessaire, et il faut bien peu connaître Richelieu pour lui imputer une telle pensée[28]. Tout l’effort de la royauté, de Richelieu, et plus tard de Mazarin était de réduire l’aristocratie féodale à une grande magistrature politique et surtout militaire, qui guidât la nation et ne l’asservît point. Et c’était dans une semblable entreprise que la bourgeoisie était venue arrêter la royauté, pour se joindre à qui? aux représentans de ceux qui jadis s’étaient opposés à son émancipation, et qui maintenant refusaient d’échanger une domination qui avait fait son temps pour une puissance bien considérable encore, mais régulière, et ne pouvant impunément fouler à ses pieds le peuple. La bourgeoisie reconnaissait que les ducs et pairs qui l’avaient appelée à la révolte avaient travaillé pour eux et non pas pour elle, que s’ils avaient employé les paroles flatteuses et les belles promesses, tandis qu’autrefois ils procédaient bien différemment, les moyens avaient changé, mais le but était le même. Elle se demandait ce qu’elle avait gagné aux longs désordres de ces derniers temps. Le travail, le commerce, l’industrie, qui faisaient sa force, avaient été interrompus. On avait mis sur elle plus d’impôts qu’il n’en eût fallu à Mazarin pour envoyer deux armées françaises à Bruxelles et à Madrid. Au lieu d’accroître ses libertés municipales, on lui avait imposé comme prévôt des marchands le vieux et incapable Broussel, et le 4 juillet on avait insulté, maltraité, massacré ses magistrats. On lui avait promis une prospérité inouïe, et elle était ruinée. Le paiement des rentes de l’Hôtel de Ville, cette épargne sacrée de la médiocrité laborieuse et économe, était depuis longtemps suspendu. La famine était dans Paris, amenée par le ravage incessant des campagnes environnantes; avec la famine étaient venues toutes les maladies et une épidémie qui décimait particulièrement les quartiers pauvres de la capitale. Elle s’était aussi demandé, cette bourgeoisie, si ces grands seigneurs, qui, sous de faux semblans, l’avaient jetée dans une sédition contraire à tous ses intérêts, avaient su diriger une affaire aussi difficile avec le concert et l’habileté qu’on avait droit d’attendre de personnages depuis longtemps accoutumés à commander. Loin de là, elle avait vu tous ces chefs de l’aristocratie divisés entre eux, intriguant les uns contre les autres, s’accusant tous de trahison, finissant par se battre entre eux, et même beaux-frères contre beaux-frères. Aussi à quoi avait abouti une entreprise ainsi conduite? On avait commencé par dire bien haut, on avait répandu dans cent pamphlets, on avait écrit dans tous les arrêts du parlement qu’il était honteux de se laisser gouverner par un étranger, à moitié Italien, à moitié Espagnol, comme si Mazarin n’avait pas été depuis plus de douze ans naturalisé Français pour services rendus à la France, selon toutes les formes accoutumées, et par des lettres royales dûment enregistrées[29] ! Et contre ce prétendu étranger, quel secours avaient invoqué ces grands patriotes? Le secours de l’étranger. L’aristocratie s’était adressée à un duc de Lorraine, aventurier sans foi, se battant pour quiconque le payait, et traînant avec lui dans nos campagnes désolées le brigandage et la débauche. Elle avait introduit dans le cœur de notre pays une armée espagnole pour faire tête à l’armée du roi. Des régimens espagnols s’étaient avancés à travers la Picardie et la Champagne jusqu’auprès des bords de la Loire, que depuis Charles VII l’œil de l’étranger n’avait pas vus. La fronde avait perdu toutes les conquêtes de Richelieu et de Mazarin. En Flandre, Gravelines, faute d’être secourue, avait été forcée de se rendre le 18 mai 1652, et quelques mois après, le 6 septembre, Dunkerque avait fait de même malgré la belle défense du comte d’Estrades. Le 13 octobre, Barcelone nous était enlevée, la Catalogne nous échappait, le Roussillon était menacé; encore une année, et le drapeau de l’Espagne allait flotter sur les murs de Rocroy[30] ! Un tel spectacle n’avait rien qui étonnât et affligeât les princes et les grands, ils y étaient accoutumés, ils y fondaient leurs espérances. Il n’en était pas ainsi de la bourgeoisie; elle en était profondément humiliée, et sa fierté naissante en rougissait, comme si déjà elle eût pressenti qu’un jour, après avoir pendant de longs siècles fécondé de son travail et de ses sueurs le sol de la patrie, elle le défendrait seule au prix de son sang, laisserait bien loin derrière elle tous les exploits du moyen âge, et enfanterait à son tour des héros dignes de figurer dans l’histoire à côté des plus illustres des temps passés !

La bourgeoisie parisienne invoquait depuis longtemps la présence du roi, redevenu à ses yeux le symbole vénéré de la liberté et de l’ordre. Le 21 octobre 1652, elle l’avait reçu avec des transports d’allégresse. Le 3 février 1653, elle reçut de même celui qui par son courage et sa persévérance était parvenu à lui rendre son roi, et à contraindre tous les étrangers à abandonner le territoire français. Aussitôt que les corps de l’Hôtel de Ville surent que Mazarin était au Louvre, ils s’y rendirent tous sur-le-champ, et, « reconnoissant l’obligation que la France devoit à ses grands et illustres travaux, lui vinrent témoigner leur joie de son heureux retour[31]. » On conçoit quel accueil leur fit l’aimable et habile cardinal. Il leur prodigua les paroles bienveillantes; il fit mieux : le même jour, une ordonnance royale annonçait une mesure qui fut bénie par toute la petite bourgeoisie de Paris, le paiement depuis longtemps suspendu de la rente. Cette ordonnance « enjoignoit aux prévôts des marchands et échevins de faire ouvrir au premier jour le bureau pour le paiement des rentes, et d’y faire employer les sommes qui ont été et seront incessamment fournies à cet effet, de semaine en semaine. »

Mazarin voulut aussi que le peuple, depuis si longtemps misérable, et dont la fronde avait eu l’art de tourner les souffrances contre le seul homme qui les pût faire cesser, eût sa part de la joie commune. Pendant deux jours entiers, il fit distribuer aux pauvres d’abondantes aumônes; le soir du 3 février, des réjouissances publiques eurent lieu par ses soins et à ses frais dans les divers quartiers de Paris, et de nombreux feux d’artifice les prolongèrent pendant la nuit tout entière.

Enfin, pour ajouter à l’éclat de ce beau jour, les nombreuses nièces de Mazarin, gracieuse parure de sa puissance, qui déjà même en faisaient partie et devaient tant l’accroître, étaient arrivées à Paris par la porte Saint-Antoine. La princesse de Carignan, la maréchale de Guébriant, et d’autres dames de la plus haute distinction, étaient allées au-devant d’elles et les accompagnèrent jusqu’à l’hôtel Vendôme, où la vieille et respectée duchesse, entourée aussi d’un cortège de grandes dames, les reçut avec mille témoignages d’affection, qu’elle prodigua surtout à sa belle-fille, l’aimable et vertueuse duchesse de Mercœur. De là on les conduisit au Louvre auprès de leurs majestés, qui leur firent le plus gracieux accueil, et voulurent qu’elles logeassent au Louvre ainsi que leur oncle.

Et ce n’était pas là une journée brillante qui pût avoir ses éclipses, une de ces bonnes fortunes du sort souvent suivies de longues disgrâces. Mon, le triomphe de Mazarin reposait sur des fondemens solides. Non-seulement il voyait à ses pieds, au Louvre, tous ses anciens ennemis vaincus, mais aucun d’eux ne se pouvait relever, et toute leur force était épuisée. La bourgeoisie fatiguée avait besoin de repos, et mettait dans la royauté toutes ses espérances. Les parlemens, honteux d’avoir laissé surprendre leur vieille loyauté aux trompeuses caresses de grands seigneurs mécontens, rentraient volontiers dans les sages limites de leur institution, satisfaits d’avoir vu le gouvernement reconnaître ce qu’il y avait de légitime dans leurs griefs, et s’engager à respecter leur juste et nécessaire indépendance. L’aristocratie se trouvait encore bien heureuse de s’être ainsi tirée de cette dernière défaite. Elle laissait, il est vrai, sur le champ de bataille quelques-unes de ses prétentions féodales, mais en échange on lui prodiguait les titres, les honneurs, la richesse, et sa vanité pouvait au moins consoler son ambition. La fortune de Mazarin ouvrait aussi les yeux sur son mérite. On ne pouvait s’empêcher d’applaudir à sa constance et à sa capacité. Malheureux, on n’avait vu en lui qu’un second Concini; victorieux, c’était un autre Richelieu sous lequel il fallait bien fléchir, mais qu’on pouvait servir honorablement, parce qu’après avoir montré qu’il était aussi ferme sur les principes de l’état que son impérieux devancier, il n’affectait point la tyrannie, et loin de faire sentir le poids de sa puissance, il s’efforçait plutôt de la dissimuler sous de flatteuses paroles, ne montrait pas le moindre ressentiment des injures passées, tendait la main à qui venait à lui, écoutait toutes les plaintes un peu légitimes, entrait dans toutes les prétentions un peu raisonnables, et semblait disposé à fonder son gouvernement sur des concessions habiles et non sur d’inutiles rigueurs. On croyait à son étoile, on se fiait à sa modération, on s’empressait de participer à son triomphe. Déjà un Vendôme, un petit-fils d’Henri IV, avait épousé une de ses nièces ; la plus fière aristocratie allait bientôt se disputer toutes les autres, et le persécuté de la fronde allait placer sa famille sur les marches du trône. La solennelle réception que le roi et la reine firent à Mazarin au Louvre, le 3 février 1653, n’était donc pas une vaine cérémonie. Ce jour-là, Mazarin put comprendre qu’une ère nouvelle se levait pour lui, aussi brillante et plus sûre que celle de 1643, après la défaite du parti des importans, et que cette halte stérile et sanglante dans la route des réformes et dans la marche civilisatrice de la royauté qu’on appelle la fronde était enfin et pour toujours terminée.


VICTOR COUSIN.

  1. Voyez la livraison du 1er mars.
  2. Voyez son portrait à Versailles au-dessus de celui de Mme de Longueville.
  3. L’oraison funèbre de la princesse Palatine mérite une entière confiance, bien entendu le ton du panégyrique admis. Toutes les fautes sont indiquées, et les éloges se peuvent justifier par les témoignages les plus certains, et par celui de Retz lui-même.
  4. Voyez Madame de Chevreuse dans la Revue du 15 décembre 1855.
  5. La Société française au dix-septième siècle, t. Ier, chap. Ier, p. 54.
  6. Madame de Chevreuse dans la Revue du 15 décembre 1855.
  7. Mémoires de Madame de Motteville, t. III, p. 233, etc.
  8. Mémoires, p. 134. « Je me mis en bataille dans un fond où M, de Bouillon et M. Le marquis de Saint-Maigrin me joignirent... Notre infanterie avoit toujours marché... M. de Bouillon, sans considérer qu’elle étoit hors d’haleine, nous pressa d’attaquer les ennemis. »
  9. Il nous a été conservé. — Relation contenant la suite et la conclusion de tout ce qui s’est passé au parlement, etc., p. 163.
  10. Relation, etc., p. 252.
  11. Bibliothèque impériale, papiers de Gaignières, n° 771, p. 567 : « Pension de huit mille livres au duc de La Rochefoucauld, le 11 juillet 1659. »
  12. Voyez Madame de Chevreuse dans la Revue du 15 décembre 1855.
  13. Mémoires de Madame de Motteville, t. III, etc.
  14. « Un jour, un roi de France, ayant besoin d’argent, trouva simple de mettre en vente, quoi? La puissance publique. Elle fut achetée; elle devint la propriété des acheteurs. Qui l’eût cru? De cet opprobre de la vénalité des offices sortit une magistrature admirable, la lumière et la force des derniers siècles de la monarchie. » M. Royer-Collard, discours sur la septennalité, le 3 juin 1824.
  15. Rappelez-vous d’abord l’intolérant jansénisme du parlement, puis le parlement Maupeou, enfin la fatale décision que les états-généraux seraient convoqués en leur forme accoutumée, c’est-à-dire en trois ordres différens comme au moyen âge, tandis que le roi, s’il n’eût pas été enchaîné par la déclaration du parlement, aurait pu, en réduisant les trois ordres à deux et en rendant les états-généraux périodiques, donner la monarchie constitutionnelle et éviter une révolution.
  16. Voyez les Mémoires d’Omer Talon.
  17. Journal contenant tout ce qui s’est fait et passé en la cour du parlement de Paris, toutes les chambres assemblées, sur le sujet des affaires du temps présent, p, 19 et 20.
  18. On conserve à la Bibliothèque impériale la correspondance inédite et autographe de Mazarin avec l’abbé Fouquet, qui contient le dessous des cartes de bien des choses et montre l’habileté de l’abbé et la confiance qu’avait en lui Mazarin.
  19. On connaît par les deux admirables portraits de Nanteuil et de Mellan le président du parlement de la fronde dans sa verte vieillesse, avec son aspect imposant et sa majestueuse barbe blanche; mais il faut voir le procureur-général Matthieu Molé tel que l’a gravé Michel Lasne : nulle figure ne donne plus l’idée de la force ; c’est la tête de Corneille et de Saint-Cyran.
  20. Bibliothèque impériale, Supplément français, n" 2431, Mémoire sur la Vie et les Actions de M. Molé, garde des sceaux de France. Voici le début de ce curieux mémoire, jusqu’ici resté inédit : « La vénération que j’ai toujours eue pour la mémoire de M. Molé, qui a été procureur-général, premier président et garde des sceaux, m’engage à ne pas laisser perdre par ma mort les choses singulières que j’ai sues de ce grand homme. Il avoit honoré feu mon père de son amitié, et il m’a souffert l’approcher lorsque j’étois encore fort jeune... »
  21. Journal d’Olivier d’Ormesson, 19 septembre 1643 : « Le soir, M. Pichotel (un des greffiers du conseil d’état) nous dit que l’on parloit de faire le premier président Molé archevêque d’Auch avec promesse du chapeau de cardinal… C’est le bruit de Paris. » Mazarin répète ce bruit dans ses carnets, IIe carnet, page 24.
  22. IIIe carnet, page 12 : « Far carezze al primo présidente, affezionato suddito allo stato ; e con facilita si puol contentar. »
  23. VIe carnet, page 22 : « Donar qualche cosa al primo présidente, poichè sono certo che la sua rigidità non l’impedirà di ricevere dà S. M. Le grazie che vorrà farli. »
  24. VIIIe carnet, page 20. — François Molé devint en effet abbé de Sainte-Croix de Bordeaux en 1646, et plus tard abbé de Saint-Paul à Verdun. Il ne poussa pas plus loin sa carrière ecclésiastique. Conseiller au parlement en 1650, il fut nommé maître des requêtes en 1657. On en a un très beau portrait, gravé par Nanteuil, de l’année 1649.
  25. Ibid., page 1. — Edouard Molé a été évêque de Bayeux, et il est mort en 1652, à l’âge de quarante-trois ans. On en conserve à Champlâtreux, dans la noble demeure des Molé, un assez bon portrait peint du temps. Le premier président a eu aussi un autre fils, plus jeune, qui s’appelait Matthieu Molé, fut chevalier de Malte, et devint plus tard chef d’escadre. Fronton, chancelier de l’université, qui a prononcé en latin l’éloge de Molé dans l’église de Sainte-Geneviève, dit avec raison que, tout homme de guerre qu’il est, le jeune chevalier de Malte peut très bien prendre pour modèle l’intrépide magistrat auquel il doit le jour.
  26. Voyez aux archives du ministère de la guerre les papiers manuscrits de Le Tellier, particulièrement le tome VIII, fol. 124, où se trouve la commission donnée à M. de Champlâtreux, le 4 mars 1647, auprès de l’armée de Catalogne, rappelant les services qu’il a déjà rendus dans l’intendance des armées d’Allemagne et de Flandre, sous les ordres du duc d’Enghien.
  27. Gazette de Renaudot, 1652, n° 149, p. 1175-1176.
  28. Ennemi déclaré de l’aristocratie féodale, Richelieu est en même temps un ami de la noblesse ; loin de l’abaisser, il la veut relever, mais en empêchant qu’elle n’opprime le peuple comme elle-même est trop souvent opprimée par les grands. Testament politique, chap. III, section I.
  29. Nous les avons retrouvées aux archives des affaires étrangères, France, t. XCI, fol. 115-125, datées d’avril 1639.
  30. Rocroy se rendit aux Espagnols le 30 septembre 1653.
  31. Gazette pour l’année 1653, n° 18, p. 139.