(pseudonyme, auteur inconnu)
Éditions du Vert-Logis (p. 141-155).


VII


Yvonne Fontaine avait des relations et elle possédait aussi de l’astuce.

La nuit suffit à son adresse pour savoir de Louis où il rencontrait d’ordinaire la belle Sarah. Ce lui fut un renseignement important, et dès le lendemain, elle se mit en campagne.

Une ami intime, Colette Hardoye, l’aiguilla aussitôt sur la bonne voie. Colette faisait de la dactylographie dans une compagnie d’assurances, mais comme elle possédait une croupe imposante et des seins fermes, elle ne réduisait point son activité à la dactylographie. Elle fréquentait les dancings, parfois les boîtes de Montmartre, avait un gigolo et des clients réguliers. Bref, c’était une jeune femme dans le dernier train.

Ce n’était point là assurément sa principale qualité, en ce qui concernait les projets d’Yvonne. Mais elle avait un frère, jeune éphèbe, qui tapait sa sœur quand il n’avait plus personne d’autre à taper. Il s’occupait de représentation, plaçait quelques vagues marchandises et entre deux courses se reposait aux terrasses de café.

Georges Hardoye, malingre et nerveux, aimait les femmes, ce penchant le perdrait peut-être un jour, en attendant il en retirait le maximum de jouissances. Nous devons à la vérité de reconnaître qu’il n’avait rien du gigolo et préférait rouler un client, voire un ami plutôt que de demander de l’argent à une compagne éphémère.

Dès que Yvonne eut confié ses ennuis à Colette, celle-ci songea à son frère :

— J’en parlerai à Georges, il t’aura vivement levé cette poulette, quant à la virginité, tu peux être tranquille, il en fera son affaire.

Yvonne fournit tous les renseignements et partit ensuite fort guillerette, certaine de tenir sa vengeance en même temps que sa tranquillité.

Ce fut la raison pour laquelle Louis et Sarah furent épiés le soir, tandis qu’ils se retrouvaient à la Concorde, par un jeune homme élégant, au teint blême et aux yeux fulgurants.

Georges Hardoye, les mains dans les poches, reconnut cyniquement :

— Pas mal, la poulette, j’en ferais bien mes dimanches !

Il les fila jusqu’à l’hôtel ; les attendit à la sortie, suivit Sarah jusque chez elle. Il était définitivement renseigné, et il rentra chez lui très gai, pendant que Louis, l’heureux vainqueur, roulait en son esprit des pensées amères. Son après-midi, encore une fois, avait été infructueuse, Sarah, s’était amusée comme une petite folle, avait goûté à des joies diverses, sans rien accorder d’elle-même.

Elle se disait, tout en regagnant le toit familial :

— Les hommes sont vraiment des idiots !

Cette conviction ne devait pas tarder à s’évanouir et la sagesse commença à lui venir dès le lendemain.

Comme elle se dirigeait vers le lieu de rendez-vous, un élégant jeune homme l’arrêta au passage. Il lui raconta une histoire abracadabrante, elle rit et la glace fut rompue entre eux.

Sans tergiverser, il la prit par le bras et l’entraîna dans une direction toute différente. Elle eut bien un faible souvenir pour Louis et pensa :

— Le pauvre !

Ce fut tout cependant. Docile et curieuse, elle suivit le nouveau conquérant.

Georges, célibataire et don Juan au petit pied, possédait une garçonnière bien agencée pour ce genre de rencontres. Il héla donc un taxi et avec Sarah à son côté se fit conduire chez lui.

C’était à un premier étage, avenue Kléber. Sarah, en dépit de son émotion, ne fut pas trop essoufflée en pénétrant dans une chambre à coucher art moderne qui faisait suite à un fumoir cubique, le tout flanqué d’une salle de bains.

Avec des rires légers, elle regarda, examina tout autour d’elle, palpa les bibelots, caressa d’une main experte le dessus de lit de satin.

Georges la suivait en ricanant ; si elle n’éprouvait qu’une relative curiosité sensuelle, lui, par contre, sentait l’impatience gronder en lui. Mais une vierge, n’est-ce pas, cela ne se bouscule pas comme une femme mariée sur le retour d’âge.

Il lui laissa donc un moment de répit, afin qu’elle s’habituât à l’atmosphère, puis brusquement, la prit dans ses bras, lui plaquant aux lèvres un baiser onctueux.

Aussitôt, elle s’abandonna, pâmée, tout l’être secoué de frissons. Narquois, il se dit :

— Ça y est, je la tiens !

Sa main gauche se hasarda en des explorations lointaines. Sarah ne réagit pas, bien au contraire, sa taille se cambrait, elle offrait quasiment sa chair en holocauste.

La jugeant à point, il l’aida à se dévêtir, mettant même quelques discrétions en ce concours. Il fut bientôt étonné de la facilité avec laquelle, en riant de toutes ses dents, elle se dénudait.

Comme il n’était pas ennemi de sagaces préparatifs, il la poussa vers le lit, lui octroyant des caresses subtiles, où les roses se mêlaient aux épines.

Elle riait et se pâmait, ne manifestant ni étonnement ni pudibonderie.

Il s’enhardissait de plus en plus, et elle l’encourageait par des propos gentils, empreints d’une puérilité charmante.

Son impatience ayant atteint le paroxysme, il se dévêtit à son tour. Sarah laissa échapper un soupir de découragement : celui-là ne serait pas encore l’élu, elle se voyait dans l’obligation de le ranger dans la catégorie des chimpanzés aux formes monstrueuses.

Elle n’en dit rien cependant et lui s’approcha crânement pour l’assaut suprême.

Il eut une surprise qu’il n’avait jamais connue à cet instant décisif. Sarah se referma comme une coquille, son regard se fit sombre, elle se mordit les lèvres.

Il voulut employer le raisonnement, les bonnes paroles. La jeune fille ne répondait rien, entendant à peine, peu disposée à se laisser convaincre.

Pas encore, il ne songea à se fâcher, mais il usa de toute sa vigueur qui était faite surtout de nervosité.

Sarah crispa les mâchoires et se défendit silencieusement. Il n’avait devant lui que des jambes nouées l’une à l’autre, des bras croisés fiévreusement.

Passive en sa défense, elle se fatiguait moins que lui, il dut battre en retraite, masquant sa fureur sous un sourire ironique.

Debout près du lit, il se pencha :

— Que veux-tu, en somme ?

Elle l’enveloppa d’un regard angélique :

— Comme t’à l’heure !

Il railla, sardonique et peu convaincu :

— Et moi, je ne joue pas ?

Paisible, elle se laissa glisser du lit :

— Je vais m’en aller, si tu le désires ?

Prompt comme l’éclair, il l’avait saisie avant qu’elle eut ses deux pieds à terre et la rejeta sur le matelas, les jambes en équerre, les mains agrippées à la couverture.

Mais sa ruse ne lui procura pas la victoire, elle se tordit comme un ressort et se transforma instantanément en chien de fusil.

Il essaya de lutter, mais ce fut en vain ; toujours elle lui échappait par un mouvement inattendu.

Ils ahanèrent tous les deux, la respiration saccadée, le corps ruisselant de sueur. Chacun d’eux ne voulait démordre de ses intentions et faisait de son mieux pour réussir.

À la fin, il se fâcha, ne possédant pas la longanimité des autres amants de la jeune fille.

— Si tu continues à te payer ma tête, je cogne !

Elle ne le crut point et minauda :

— Mais, je ne me moque pas…

D’une bourrade, il la bascula sur le lit, mais se relevant prestement fut se réfugier sur le fauteuil. Elle agissait comme d’habitude, cherchant à l’aguicher, espérant venir à bout de son entêtement par une ténacité plus grande encore.

Mais, pour une fois, elle devait trouver son maître.

Accroupie sur le fauteuil, elle le narguait de son rire ensorceleur.

Ce fut le comble, il vit rouge et, exaspéré, s’empara de sa ceinture de cuir.

— Ah ! tu rigoles ! éructa-t-il.


Accroupie sur le fauteuil, elle le narguait de son rire… (page 150)

La lanière s’abattit sur le dos offert avec un claquement sinistre.

Sarah sursauta. La surprise mêlée à la douleur l’anéantirent.

Il s’était rapproché et, le visage grimaçant, frappait avec fureur. Il grognait, exalté :

— Quand tu en auras assez, tu le diras !

Elle roula à terre, ahanant, le buste et la croupe meurtries. Pas encore, elle n’était revenue de son étonnement et ne songeait pas à se défendre.

Elle tenta de se redresser, mais d’une poigne furieuse, il la saisit aux cheveux et la rejeta sur le sol.

Brusquement, elle eut la sensation de sa défaite et éclata en sanglots.

Cela produisit immédiatement une réaction, il ricana :

— Ah ! tu chiales !

De ses deux bras, il la souleva et la porta sur le lit où elle s’écroula sans force.

Elle pleurait, avec des petits hoquets convulsifs, ne songeant plus à se défendre.

Sans hâte, maintenant, il la prit, l’écrasant de son poids.

Elle eut un sursaut douloureux, une plainte monta à ses lèvres, puis elle se tut, surprise par des sensations nouvelles.

Son être s’éveillait soudain à la volupté, elle s’abandonnait tout entière, sans pensées, bégayant des mots sans suite.

Quand il se recula, elle lui sourit, tendrement, n’osant bouger encore, espérant que tout n’était point terminé.

Narquois, il s’assit sur le bord du lit et alluma une cigarette. Elle vint se blottir auprès de lui et réclama également une cigarette.

Ils se taisaient, n’ayant subitement plus rien à se dire, ou plutôt, la jeune fille, si elle avait osé, aurait posé de nombreuses questions, mais la timidité l’arrêtait.

Sa cigarette écrasée dans le cendrier, il attira de nouveau sa maîtresse contre sa poitrine.

La tête rejetée en arrière, la gorge tendue, elle s’abandonna, espérant que le jeu allait reprendre. Mais, maintenant, l’homme n’éprouvait plus de hâte, il s’amusait en des mignardises savoureuses.

Alors, afin de l’inciter à bien faire, elle se rappela soudain tout ce qu’elle avait réclamé auparavant des amants dociles et l’exécuta elle-même avec autant d’adresse que de patience.

Georges ne tarda pas à monter au septième ciel, sa passion fut de nouveau exaspérée et il empoigna sa victime pour ne plus la lâcher.

Elle riait, ne se débattant plus, s’offrant au contraire avec une docilité digne d’éloges.

Ce ne fut que tard qu’ils se quittèrent. Sarah se sauva peureusement au logis, quoi qu’elle ne craignit pas beaucoup les remontrances maternelles ou les menaces de Clarizet.

Elle arriva d’ailleurs assez à temps, pour inculper encore une fois le cours du soir.

Si cela n’est pas exagéré, on pourrait dire qu’elle avait du bonheur plein le cœur, et il lui tardait de se retrouver dans la solitude de sa chambre pour s’assurer si l’amant, en sa brusquerie, n’avait point laissé de traces sur son corps juvénile.

Aussi, dès le repas fini, elle se sauva prétextant la fatigue. Et, une fois dans sa chambrette, elle se livra à une revue de détail circonspecte.

Très vite, elle constata qu’il existait en elle une différence entre hier et aujourd’hui, mais, en somme, cette différence était minime, et les choses s’étaient passées au mieux.

Alors, elle songea à Louis Fontaine et, avec un rire malicieux, reconnut qu’elle ne regrettait point de l’avoir manqué.