La Figure de proue/Retour à la mer

Eugène Fasquelle (p. 246-247).

Retour à la mer

Mer nocturne passée, ô toi que je retrouve,
Autrefois, par les soirs, le long de tes galets,
Sombre et seule, devers le destin je hêlais,
Et mon inquiétude errait comme une louve.

Salut ! J’aime toujours, grisaille dans le vent,
Ton flux influencé comme celui des femmes.
Ont-ils, tes flots pareils à des millions d’âmes,
Mémoire de mon front qui fonçait en avant ?

Ta rétractilité de bête monte et baisse.
Reconnais-tu mes yeux, toi qui prends, toi qui mens,
Toi qui roules, ainsi qu’une âme de Déesse,
Parmi tes eaux, l’obscur instinct des éléments ?


Tu berces sous mon ciel tes caprices d’opale,
Comme autrefois ; et moi, semblable au vaisseau fier
Qui rentre au port, plus beau d’avoir couru la mer,
Je m’en reviens ce soir plus royale et plus pâle.

Je m’en reviens pour repartir vers le bonheur
De vivre, de cingler droit au risque que j’aime…
Revenir. Repartir. — Ô mer grise, ô moi-même,
T’ai-je jamais quittée, intime profondeur ?