La Figure de proue/Ode au désert

Eugène Fasquelle (p. 159-163).

Le désert

Ode au désert

Mon désert doux aux pieds, mon fauve Sud extrême,
Inféconde clarté mère des oasis,
Je remettrai mon pas qui te caresse et t’aime
Dans la trace oubliée et creuse de tes fils.

Tes fils sont morts. J’ai vu, dans le sable stérile,
L’intaille que laissa ton bédouin sculpté
Sur son cheval touffu, dansant et difficile,
Et qui passe, ignorant à jamais sa beauté.

Tes fils sont morts. J’ai vu, sur ta route infinie.
L’empreinte de l’Europe amère aux regards secs,
Qui, préparant de haut ses serres et ses becs,
Noircit les horizons de son vol d’ironie.


Tes fils sont morts. Je vais vers toi comme un goumier.
Le matin sablonneux, voilé de sauterelles,
Roucoule doucement au loin de flûtes frêles
Où l’âme arabe enroue un éternel ramier.

Tes fils sont morts. Cernant l’étendue incréée,
S’entasse sur le ciel l’Atlas plutonien.
Je vais vers toi. Ne veux-je rien ? N’attends-je rien ?
Océan, océan, où donc est ta marée ?

Tes fils sont morts. Qui sait ta joie et ta douleur ?
Qui presse sur son cœur tes dunes et tes croupes ?
Qui saisit à deux mains tes couchants de couleur ?
Qui donc, qui donc te boit comme une immense coupe ?

Je vais vers toi. Tes fils sont morts, mais je te bois,
Je te bois, pur désert des saints et des prophètes,
Car je sais quels encens ont fumé dans tes fêtes
Et que tes horizons ont entendu des voix.

Tes fils sont morts. Passez, Europe haïssable,
Passez, inconscients bédouins aux yeux lents.
Vous ne saurez jamais l’ultime fleur de sable,
L’aloës inouï né tous les deux mille ans.


Vous ne saurez jamais qu’avec ses blancs mirages,
Ses palmes et ses nuits et son étoile au ciel,
Existe pour ce seul calice essentiel
Le désert d’Iaveh, du Koran et des Mages.