La Figure de proue/Méditation sur un visage

Eugène Fasquelle (p. 185-186).

Méditation sur un visage

J’ai douloureusement médité devant vous
Et j’ai pleuré sur vous, vieille dame étrangère
Qui ne pouviez savoir ma jeunesse légère
Occupée à fixer vos traits pâles et mous.

Je m’étonnais si fort que vous fussiez rieuse,
Moi qui d’abord pensais que vous n’aviez plus rien
Ayant à tout jamais perdu l’unique bien
D’être tentante, d’être étrange et vaporeuse.

La vie est-elle donc moins dure qu’on ne croit,
Puisqu’elle soigne encor comme une bonne mère,
Qu’elle sait égayer cette vieillesse amère
Où tout semblait devoir n’être que morne et froid ?


Et pourtant avec quelle épouvante cachée
Je regardais, songeant à la blancheur de lis
De nos âges, la peau ravagée et tachée
De ce masque qui fut jeune femme, jadis !

— Moi qui veux vivre jusqu’au bout, est-il possible
D’imaginer qu’ainsi je pourrai rire un jour
Lorsque je n’aurai plus ce trésor indicible :
L’audace, la beauté, l’entrain, l’orgueil, l’amour ?…