La Figure de proue/Ave Maria

Eugène Fasquelle (p. 263-264).

Ave Maria

À Notre-Dame de Grâce, de Honfleur.

Revenue à votre chapelle si naïve
Entre ses arbres et tout au-dessus du flot,
Où mon enfance écoutait la mer sur la rive
À travers le vitrail trouble comme un hublot,

Notre-Dame, je vous invente une prière.
Je vous rends hommage à genoux, comme je peux.
Vous savez que jamais, à présent ou naguère,
Je n’eus en moi la croyance de mes aïeux.

Sainte Marie, entre vos lys, vous êtes belle.
Je suis venue à vous d’un geste nonchalant,
Aujourd’hui, sur mes petits pieds chaussés de blanc,
Mes petits pieds de communiante nouvelle.


Quand j’étais une enfant je vous disais ave
Sans y croire déjà, Notre-Dame de Grâce.
Je n’y ai plus pensé depuis : mais votre face
Me semble douce comme un visage rêvé.

C’est pourquoi, ce matin, toute d’or, ô barbare,
Souffre que, tendrement, j’ajoute mes saluts
À ceux des pêcheurs roux qui t’ont mise à la barre
Des barques, dans le sel des voiles et chaluts.

Je voudrais bien toucher à tes deux belles joues
Anciennes, qui sont deux fleurs de ton sang clair,
Étoile des marins de chez moi, qui te joues
Comme une mouette ivre au-dessus de la mer.

Puisque les matelots ont joint leurs mains saumâtres,
Brûlé tant d’historique et séculaire encens
Pour toi, je veux qu’aussi tes regards tout-puissants
Me voient, blanche, parmi les cierges idolâtres.

Protège-moi, qui suis d’ici, comme un bateau,
Notre-Dame, à travers le voyage de vivre !
Et, s’il faut devant toi suspendre un ex-voto,
Voici câlinement mon cœur que je te livre.