Collectif
La Femme libre (p. 1-8).

La Femme Nouvelle

APOSTOLAT
DES FEMMES.

Séparateur


Avec l’affranchissement de la femme viendra l’affranchissement du travailleur.

Alliance de la Science et de l’Industrie.

Industrie, relève ton front si long-temps humilié ; la Science vient te prendre par la main, et t’invite à marcher son égale : Elle est accompagnée du Génie, qui va t’éclairer de son lumineux flambeau. Conduite par de tels guides, tu vas devenir plus riche et plus puissante. Tu fus jusqu’à présent frappée d’anathème, chargée d’entraves ! Que de courage et de persévérance il t’a fallu pour parvenir au point où tu es arrivée ! Unie à la Science, ta route sera facile ; elle applanira les difficultés que tu ne peux surmonter qu’avec beaucoup de temps et de peine, et tu vas doubler de valeur et d’intelligence. Toi, source féconde de richesses, soutien des empires, on te repoussait, on te dédaignait ! Toi, mère de l’Abondance, tu serais vouée à l’éternelle misère ? Non, l’heure de ton élévation est arrivée ; viens prendre la place que tu dois occuper. Loin de te chasser du temple, aujourd’hui c’est ton temple qui s’élève. Sur le frontispice je lis ces mots : Science, Religion, Industrie. Trinité sainte soyez à jamais unie !

Jeanne-Victoire.

DE LA PROSTITUTION.


Le monde en général ne comprend dans ce mot prostitution que ces femmes qui, au nombre de trente-cinq mille, s’en vont chaque soir, à l’ombre d’une permission de la police, offrir à tous les passans leurs charmes dégradés et flétris par des caresses impures que la grossièreté et l’insulte accompagnent ; rebuts de la société et des hommes qui en détournent les yeux avec dégoût après les avoir abreuvées de leur ignominieuse tendresse.

La prostitution est encore ailleurs, car elle habite les somptueux palais, les hôtels élégans aussi bien que la sale masure de la rue détournée. Oui, la prostitution est partout ; elle est chez la jeune fille du peuple qui, trompée par son innocence, s’en va grossir le nombre des victimes dont un adroit séducteur se fait une révoltante auréole pour l’abandonner ensuite en des mains encore plus indignes que les siennes. Elle est chez cette fille malheureuse qui, se débattant dans des flots de misère, luttant par un obstiné travail mais dont le prix est insuffisant contre la faim qui la dévore, s’en va se vendre au vautour qui épie le moment de sa détresse pour un morceau de pain qu’elle apporte en pleurant à sa mère, vieille et infirme. Elle est chez cette femme jeune, belle, ambitieuse d’atours et de plaisirs, mais dont une famille sans fortune et sans nom ne peut satisfaire les désirs de grandeur et de gloire.

Elle est chez toi, fille de la classe privilégiée, toi dont l’enfance fut entourée de tant de soins, ta jeunesse de tant d’hommages ; toi, dont le sentiment délicat fut si bien développé par une éducation maternelle, on va te vendre aussi ; ton père te donnera pour époux, non pas celui qui sera le plus digne de toi, mais celui qui, t’apportant la plus grande somme d’argent, pourra richement acheter ta personne et ta dot ; pauvre fille ! tu es donc aussi condamnée à donner tes caresses à un étranger que tu ignores et qui ne te connaît pas, qui ne te comprendra peut-être jamais. Heureuse, dix fois heureuse, si tes yeux et ton cœur ne se sont pas portés vers un autre objet auquel il te faudra renoncer. Et toi, noble fille : des rois, ton beau front orné du diadème, est-il exempt du sceau de la prostitution qui a marqué celui de tes compagnes ? On t’a donnée, il cst vrai, comme la plus belle garantie qui pût cimenter l’union des deux peuples et il est beau de dévouer ainsi sa personne au bonheur des autres, mais dis-moi t’a-t-on bien laissé la gloire du sacrifice, t’a-t-on bien laissé la volonté de choisir entre les souverains celui avec lequel tu peux le mieux t’entendre pour instruire et diriger des masses dont tu veux le bien-être ? non, esclave de quelques diplomates, on t’a donnés sans consulter tes goûts ni ta volonté, on t’a prostituée. La prostitution est donc partout ; elle est flagrante au milieu de nous, et cependant ces mêmes hommes qui la pratiquent si ouvertement osent accuser et juger d’autres hommes parce que ceux-ci out le courage de protester contre leur immoralité, ils prononcent d’un air timoré le mot de scandale !… La corruption seule rougit se voyant dépeinte, a dit un historien.

De pareils désordres ne doivent pas durer davantage ; c’est à nous, femmes, de les faire cesser ; c’est à nous de poursuivre de notre justice inquisitoriale tout homme qui, usant du droit d’exploitation que lui donne sur nous la loi du passé et le préjugé actuel, voudrait nous restreindre dans les bornes de la morale chrétienne telle qu’il l’a formulée, morale qu’il ne veut, qu’il ne peut accepter pour lui-même ; c’est à nous à devenir à notre tour leurs accusatrices et leurs juges, nous attachant à leur arracher sans cesse le masque d’hypocrisie dont ils se couvrent, et les amenant enfin à reconnaître nos droits à une égalité bien méritée et nécessaire d’ailleurs à l’ordre social nouveau qui se révèle avec d’autres besoins que celui du passé.

Christine-Sophie.

LE

MONDE NOUVEAU,

PAR M. RAY-DUSUEIL.


C’en est fait, la redoutable comète de 1832 a fracassé notre pauvre monde, le voilà qui roule dans l’espace… Traversons au plus vite le chaos, et voyons de tous ces grands débris qui surnagera ? D’abord, quatre femmes. Bénédictions !! Si l’auteur les laisse user de leur libre arbitre, son livre sera bien nommé. Mais avant de passer outre, je vous prie de me dire, monsieur l’auteur, pourquoi vous avez choisi tous gens parés de sobriquets pompeux. Sobriquets, le terme est fort, direz-vous ; il faut m’excuser, car avec mon bon sens de prolétaire, je ne puis accorder que ces distinctions sociales deviennent titres qu’autant qu’elles sont méritées personnellement… Marquise, comtesse, baronne, etc. Qu’est-ce que cela veut dire, je vous prie ? Dans le monde qui vient de finir, c’était peut-être une fonction rétribuée en raison de son utilité ? nullement. Ou bien, par leur éducation, ces femmes sont-elles exemptes de préjugés, et pourront-elles coopérer plus efficacement à la formation du nouveau monde ?… Enfin, passons les titres, ne nous faisons pas accuser de chercher querelle pour des vétilles. D’ailleurs, dans la manière dont l’auteur emploiera ces dames, je trouverai sans doute la justification de cette préférence.

Place, place ; voici le héros : M. de Brémont, sans contredit, jeune homme charmant qui, lors de l’apparition de la comète, rêvait, réformait, organisait ; et comme beaucoup d’autres malheureux penseurs, mécontent de tout ce qu’il voyait, avait plus d’une fois répété :

Arrive donc, implacable comète,
Finissons-en, le monde est assez vieux.

Le voilà au comble de ses vœux : il est seul, la place est nette ; des femmes grâcieuses, spirituelles, l’entourent ; sans doute qu’il a son système en poche, et qu’il va de suite se mettre à reconstruire, à refaire un monde, et l’appuyer sur une base solide. Examinons : Eh, bon Dieu ! M. de Brémont, votre système c’est de n’en point avoir, et d’aller pour ainsi dire au jour le jour. En vérité, dans une œuvre aussi fortement conçue, vos dames auront de l’activité, car ordinairement, je conviens que nous ne sommes pas pour les raisonnemens de longue haleine, mais excellentes pour l’inspiration du moment. Aussi, dans votre conseil, elles vont être en majorité ; la puissance morale aura ses représentantes, le règne de l’Amour va s’établir sur cette heureuse terre : nouvel Eden, bien supérieur au premier, où il n’y avait que l’absence du mal, ici il y aura bonheur complet. On n’oubliera la prière que pour ne se rappeler de l’action de grâce !… Halte-là, mon imagination ! vous avez trop devancé l’auteur ; rétrogradez, je vous prie, et voyez les choses s’établir, non pas comme vous les désirez, mais bien comme on vous les décrit.

Ô ciel ! quel désappointement ! mais, en vérité, M. de Brémont, c’est à vous perdre de réputation. Vous ressemblez à s’y tromper à tous les maris de ma connaissance. Quoi ! sans avoir un principe, un point d’appui pour asseoir les fondemens de votre nouvelle société, vous vous entêtez dans vos moyens, vous faites du vieux, du replatrage. Ou vous avertit : « mais un homme qui se respecte, et qui doit avoir la suprématie en raison de ces quelques pouces et de ce qu’il est le plus fort, et aussi le plus hardi ; et que ce n’est pas parce qu’il est le plus hardi qu’il est fort, mais qu’il a conscience de sa force, et d’autres causes inhérentes à sa nature masculine. » Enfin, c’est une vertu de toutes ces très-fortes raisons données textuellement par la Gazette de France, le 2 de ce mois, que vous continuez quand même. Avouez-le, il y a un instant, ou je crois que si ce n’eût été l’extrême urgence de peupler votre monde, vous auriez dit aux conseilleuses, comme un certain président de cour royale très-connu dans Paris, à des dames qui avaient probablement aussi d’excellentes choses à dire : « Femmes, si vous ne vous taisez, je vous fais jeter à la porte. »

Eh bien ! charmante comtesse, délicieuses marquises de tous les pays, à quoi vous servent vos grâces, vos titres, dans le : je vous fais jeter à la porte, prononcé dans la première capitale du monde civilisé. Toutes les femmes ne sont-elles pas humiliées, écrasées ? Elles n’ont pas plus les unes que les autres de considération d’importance sociale. Ne serions-nous pas en droit de demander aux hommes où sont leurs titres pour nous mettre hors la loi ; sommes-nous si faible partie de l’espèce humaine qu’il soit iuutile de nous faire présenter lorsque nos intérêts sont en cause ? Mais en attendant que nous formions tontes une sainte alliance, et que nous nous donnions la main, revenons à nos dames du nouveau monde : le temps marche, que font-elles ? Elles rusent, elles minent sourdement un édifice où, sans place, sans puissance, on ne les juge encore propres qu’à concourir à la reproduction de leur espèce. Aussi, plus j’avance plus je prévois la fin d’un pénible rêve.

Non, non, monsieur le législateur, ce ne sont pas seulement vos doctrinaires qui ont renversé votre monde, mais cet injurieux dédain pour les femmes, mais l’absence de système, de principe, qui pût à la fois satisfaire tous et chacun.

Oh ! si dans ce grand bouleversement de la nature, M. de Brémont avait jugé à propos de ne tendre la main, à moi chétive enfant du peuple, oui, je le sens, pour le remercier de m’admettre à partager la gloire de cette grande œuvre je me serais avancée vers lui hardiment et lui aurais dit : vous vous imposez la sublime tâche de faire un monde nouveau, croyez-moi, ce ne sera qu’une vaine prétention si de prime abord vous ne déclarez pas la femme votre égale. Vous le devez si vous souhaitez être conseillé, secondé, aimé ! aimé dignement. D’ailleurs, n’est-il pas juste que puisque notre bannière est à la peine elle soit aussi à l’honneur. Et de ce principe découleront naturellement toutes ces conséquences : réglemens sociaux faits dans l’intérêt des deux sexes, éducation publique donnée aux enfans d’après une seule méthode, par des femmes et par des hommes, les cérémonies, les assemblées présidées également par des femmes et des hommes, enfin association réelle dans les unions et non plus accouplemens. Et comme entre gens d’esprit on s’entend vite, M. de Bremont, frappé aussi de l’impossibilité de rien faire de nouveau sans nous aurait consenti sans aucun doute à partager sa puissance pour avoir en retour le bonheur. Je me serais alors adressée à mes compagnes : rejetez dans le vieux monde, leur aurai-je dit, les mesquines jalousies, les vains titres, rapprochons-nous de la nature, ne soyons fiers que de remplir les obligations qu’elle nous impose ; ne sommes-nous pas toutes amantes, épouses et mères, mères ! Ce lien divin qui nous unit sera dans l’avenir, j’en suis convaincue, notre plus beau titre de gloire ; en parlant du genre humain, on cessera de dire les fils des hommes, on dira les enfans de la femme !  !

Oui, dans notre nouveau monde nous nommerons aussi nos enfans.

Suzanne.
Le 19 septembre.

Cette petite brochure, rédigée et publiée par des femmes, paraît à jours indéterminés ; on n’y insère que des articles de femmes : celles qui voudront écrire sont priées de s’adresser au Bureau de l’Apostolat, tous les jours, de midi à 4 heures, rue du Caire, n. 17, à l’entresol ; on y reçoit les souscriptions des personnes qui prennent intérêt à notre œuvre.

Nous recevons les lettres relatives aux questions traitées dans nos publications.


Nos premières brochures n’ont pu partir à la poste à cause du timbre ; dorénavant nos abonnés des départemens les recevront très-exactement.

(Affranchir les lettres et envois).
Marie-Reine, Directrice.
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PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,
PASSAGE DU CAIRE, no  54.