La Femme et la démocratie de nos temps/Conclusion

CONCLUSION.


Nous avons vu proclamer en France la liberté, l’affranchissement du peuple ; il faut proclamer aussi l’aristocratie naturelle, les droits, comme des devoirs du talent.

L’humanité, en se perfectionnant, approche toujours plus des lois délicates qu’elle saura comprendre. Le renversement de l’aristocratie héréditaire, en France, a bien préparé l’aristocratie nouvelle, privilégiée par la société comme par la nature, et tenue aussi à plus de travaux et de justice : le privilége comme la charge qui suivront la nature seront à l’avantage de tous. Là, Dieu réunit l’homme et la femme ; car s’ils diffèrent dans leur destinée ordinaire, quand ils atteignent la pensée ou les arts, ils abordent les mêmes régions : les femmes en masse sont mères et nourrices, comme les hommes en masse sont laboureurs et artisans ; mais tandis que ce grand nombre végète, l’aristocratie se compose : telle est la démocratie de nos temps.

La question ainsi se simplifie pour les femmes : si toutes seront libres et bien traitées, quelques unes seulement parviendront, avec les hommes, à des postes ou à des honneurs mérités. Comme jadis la culture des femmes hâta la civilisation, adoucit les mœurs, ainsi ce nouvel âge de culture pour les femmes mènera loin la société de la justice et de l’égalité ; comme autrefois l’homme rude et guerrier fut adoucit par elles, ainsi l’homme libre sera moralisé par elles.

Sur la ruine des fausses idoles, le ridicule sera jeté à la vanité et à l’hypocrisie, non aux passions. Supériorité et vertu, puissance et discipline feront les principes d’une civilisation qui fait succéder de plus en plus la justice et la nécessité.

Les distinctions sociales, la naissance, la richesse, tant comptées par les gens vulgaires, ne sont rien devant l’esprit ; le principe de l’égalité, c’est le génie ; la société de l’égalité, c’est celle de la vraie aristocratie. Si on obtient de cette société les plus grands résultats ; si elle profite à chacun ; si l’homme supérieur et l’homme borné y trouvent un égal bonheur ; si toutes les conditions sont dans l’ordre et la justesse, qui ne voit que c’est là que nous devons nous acheminer avec la prudence et la lenteur nécessaires ?

Du temps d’Aristote il y avait un petit parti qui soutenait qu’on avait pas droit de faire l’homme esclave : ce petit parti s’est grossi ; il n’a triomphé en Europe qu’il y a trois ans, quand le parlement d’Angleterre a aboli l’esclavage ; il ne triomphe pas encore dans le Nouveau-Monde. Ce petit parti, dès Aristote, représenta ces vérités que le genre humain porte dans son sein pour les voir triompher à la longue.

L’homme et la femme dans leur jeunesse rêvent des passions absolues de science, de pouvoir ou d’amour. Mais il n’est pas de telles passions. L’homme doit les unir, s’instruire, aimer, régner, et composer sa vie des émotions et des faits de tout genre où elle est destinée.

Si à l’humble rang où la nature nous a placée, nous avons traité de droits au dessus de nous, il y a bonne grâce au peuple à réclamer pour ses chefs : nous voudrions que notre voix éveillât les vrais défenseurs de la justice[1].

Éloquence ! prêtez à notre lèvre austère des accens qui touchent et persuadent les hommes ! Versez sur notre diction précise et ferme cette grâce et cette douceur que ne nous a pas données notre sexe. Prêtez-nous votre sensibilité et vos images, faites jouer à travers nos paroles des rayons de lumière. Celui qui a fait parler la morale n’a rien fait s’il n’a fait couler des larmes. Ce n’est pas par la précision des choses de l’univers que Dieu s’est révélé aux premiers hommes, mais par les nuages fuyant, les arbres renversés, les vents plaintifs, l’éclair rapide ! Dans l’ordre sublime, les paroles sont peu de chose, l’émotion est tout ; par un regard, un mot, faites-nous entraîner l’homme où nous avons voulu monter, qu’il compte la noblesse et le bonheur comme des lois saintes, qu’il attendrisse son cœur dans un dernier regard jeté à l’amour, la maternité, le mariage, la fidélité, ces beautés morales que nous voulons rappeler à leur vrai caractère. Faites excuser de trop faibles efforts ; empêchez qu’on ne rie en nous voyant manier une si lourde épée ; prévenez la dure justice, qui nous reverra humble et timide à des travaux inférieurs. Ou plutôt rendons tous hommage à nos chefs, et célébrons sur la terre, sans personnalité et sans envie, les louanges des hommes et des vertus !


FIN.
  1. Avant qu’on eût mis à la mode la cause des femmes, je l’avais soutenue dans quelques romans dont je n’ai pas ici dépassé la hardiesse. Ce petit travail est donc fait par une conviction antérieure aux idées nouvelles.