La Femme et la démocratie de nos temps/11
CHAPITRE XI.
La femme supérieure ressemble à l’homme supérieur ; l’esprit humain s’exerce sur de mêmes objets. Sa jeunesse sérieuse a cherché les livres, les sciences, connu son énergie et voulu l’employer. La plus grande différence de cette fille avec l’homme est dans ces jeux où la maternité s’annonce, où la jeune fille habille, déshabille, endort, embrasse le fantôme d’un enfant. Tels sont les soins qu’elle aime ; mais la vie domestique, les occupations du ménage, les détails l’ennuient. Vivant avec les femmes héroïques et les grands hommes, elle songe à les suivre et les étudie délicieusement. Ne doutons pas que cette fille n’ait une morale relâchée ; trouvant rarement unis les grands caractères et la régularité des mœurs, elle ne mettra pas les mœurs au premier rang, mais la passion va naître pour elle, qui lui donnera la dignité et la morale.
La jeune fille sera plus sensible qu’une autre femme à la crise qui nous donne l’existence : une tristesse profonde, des impressions extraordinaires, un ennui sans fin, s’empareront tout à coup de sa vie ; elle aborde l’idée de la mort, qu’elle n’avait jamais envisagée : sa vie, sa fin, l’étonnent. Pourquoi est-elle née ? Où va-t-elle ? Son cœur bat, son front rougit, les jeunes hommes la troublent ; elle baisse les yeux elle baisse la tête ; sa raison se perd, un désordre général succède à l’innocence. Ardente, humiliée et puissante à la fois, la sagesse la soutient ; sans doute Dieu a bien agi : elle domine son trouble, elle observe cette crise. Comme toute chose ne se trouve pas à son moment sur la terre, peut-être cette fille connaîtra jusqu’à l’égarement le trouble affreux des vierges, dont nul mot ne peut rendre l’horreur ; ses tourmens, ses frissons, son épouvante, fixeront en elle les principes d’une vertu possible et non atroce : dans son supplice ; elle lira les intentions de Dieu ; son organisation forte la menant jusqu’à lui, devant lui, elle prendra la haine des couvens et des lois qui ont opprimé les femmes ; et elle mettra son devoir et sa religion à les combattre.
Sa passion trouve enfin son objet : ici, qui pourrait la retenir ? Sera-ce la convenance, le préjugé ? Il y a une volonté de la nature, la femme la plus forte est la plus subjuguée. Comme l’homme ; elle s’enivre, elle cède. Sa passion sera portée jusqu’au bout avec un entraînement irrésistible. Si c’est dans un mariage heureux, quoi de plus sûr que sa fidélité et sa vertu, riches par les années ? Mais avec les idées de nos temps, il est plus probable que cette femme trouvera dans la passion ces émotions et ces douleurs qui nous font croire que l’univers s’ébranle, qui nous sortent de nous-mêmes et nous donnent la conscience de pouvoirs universels et immortels. Eût-elle un caractère heureux, satisfait par l’étude et l’amitié ; rien ne compensera pour elle le sacrifice de la passion aux petitesses, la vertu du sentiment immolée à la peur ; la maternité faussée par un mariage mal assorti ou des ruptures barbares.
Si cette femme, égale des hommes, est condamnée pour des actions qu’on ne leur reproche pas, elle s’en étonnera justement. Pourquoi lui demander autre chose qu’à eux, puisqu’elle est autant qu’eux ? Et d’ailleurs, combien plus elle aura gardé de fidélité et de délicatesse ! Quel est l’homme qui ne rirait pas, si on s’informait de sa chasteté ? Ces préjuges ne vont plus avec nos lumières. Une femme forte pourra accepter une loi, une règle de vie ; nulle n’acceptera une loi de mort, nulle ne voudra vivre ignorante et solitaire avec un cœur ferme et des entrailles muettes.
Si notre but est de soulager les femmes de toutes les classes, si l’humanité est le premier devoir, nos sympathies, comme lu gloire de l’entreprise, sont attachées à ces femmes illustres qui ont été aussi les plus dignes de pitié. C’est elles, c’est leur grand caractère qui nous émeut et nous enchante. C’est en songeant aux passions qui naîtront par elles sur la terre, que les femmes peuvent se consoler de leurs chagrins et des frivolités qui les ont causés. Les femmes enseigneront aux hommes à aimer. Puisqu’ils sont timides, que l’opinion règne sur eux, elles changeront l’opinion. Associée aux travaux des hommes, agissant avec eux, des passions naîtront, aussi nobles que le pouvoir. Ce que l’homme connaît de plus doux, c’est l’amour ; et si nous questionnons un homme d’action sur sa puissance ou sur sa jeunesse, il s’attendrira sur le temps de ses amours et non sur le reste. Les émotions unies au pouvoir ont fait les destinées les plus brillantes ; les grands hommes les ont beaucoup cherchées, et ils ont eu des travaux, une paternité et des jours délicieux, quand ils ont connu les affections délicates.