La Femme affranchie/Deuxième partie/Chapitre II


CHAPITRE II




OBJECTIONS CONTRE L’ÉMANCIPATION DES FEMMES.

I


De quels arguments se servent les adversaires de l’Émancipation des femmes, pour nier l’égalité des sexes devant le Droit ?

Les uns, théosophes de vieille roche, prétendent que la moitié de l’humanité est condamnée par Dieu même à se soumettre à l’autre parce que, disent-ils, la première femme a péché.

Ne voulant point sortir du terrain solide de la Justice, de la Raison et des faits prouvés, nous ne discuterons point avec cette classe d’adversaires.

Les autres, qui prétendent relever de l’esprit moderne, et affichent plus ou moins la prétention d’être disciples des doctrines de liberté, condamnent la femme à l’infériorité et à l’obéissance parce que, disent-ils, elle est plus faible physiquement, et intellectuellement que l’homme ; Parce qu’elle remplit des fonctions d’un ordre inférieur ;

Parce qu’elle produit moins que l’homme au point de vue industriel ;

Parce que son tempérament particulier l’empêche de remplir certaines fonctions ;

Parce qu’elle n’est propre qu’à la vie d’intérieur ; que sa vocation est d’être mère et ménagère, de se consacrer entièrement à son mari et à ses enfants ;

Parce que l’homme la protège et la nourrit ;

Parce que l’homme est son mandataire, et exerce le droit pour elle et pour lui ;

Parce que la femme n’a pas plus le temps que la capacité d’exercer certains droits.

Les droits de la femme sont dans sa beauté et notre amour, ajoutent quelques-uns, faisant la bouche en cœur.

La femme ne réclame pas ; beaucoup de femmes mêmes sont scandalisées de la revendication faite par quelques-unes, continuent d’autres mâles.

Et l’on ne ménage ni les railleries, ni les calomnies, ni les injures aux femmes courageuses qui plaident la cause du Droit, et aux hommes qui les soutiennent, espérant, par là, intimider les premières et dégoûter les seconds.

Vain espoir ; les temps ne sont plus où l’on pouvait nous intimider. S’il est permis de redouter l’opinion de ceux qu’on croit plus justes et plus intelligents que soi, ce serait folie que de se troubler devant ceux auxquels on se sent en mesure de démontrer leur irrationalité et leur injustice. Cette double démonstration, nous allons essayer de la faire, en reprenant un à un les arguments de ces Messieurs.

1° La femme ne peut avoir les mêmes droits que l’homme, parce qu’elle lui est inférieure en facultés intellectuelles, dites-vous, Messieurs. De cette proposition, nous sommes en droit d’induire que vous considérez les facultés humaines comme base du Droit ;

Que la loi, proclamant l’égalité de Droit pour votre sexe, vous êtes tous égaux en qualités, tous aussi forts, aussi intelligents les uns que les autres.

Qu’enfin pas une femme n’est aussi forte, aussi intelligente que vous ; je ne puis dire : que le moindre d’entre vous, puisque, si le droit est fondé sur les qualités, comme il est égal, il faut que vos qualités soient égales.

Or, Messieurs que deviennent ces prétentions en présence des faits, qui vous montrent tous inégaux en force et en intelligence ? Que deviennent ces prétentions en présence des faits, qui nous montrent une foule de femmes plus fortes que beaucoup d’hommes ; une foule de femmes plus intelligentes que la grande masse des hommes ?

Étant inégaux de force et d’intelligence, et cependant déclarés égaux en Droit, il est donc évident que vous n’avez pas fondé le Droit sur les qualités.

Et si vous n’avez pas tenu compte de ces qualités quand il s’est agi de votre Droit, pourquoi donc en parlez vous si haut quand il est question de celui de la femme ?

Si les facultés étaient la base du Droit, Messieurs, comme les qualités sont inégales, le droit serait inégal ; et, pour être juste, il faudrait accorder le Droit à ceux qui justifient des facultés nécessaires et en exclure les autres : à ce compte beaucoup de femmes seraient appelées et une infinité d’hommes exclus. Voyez ou l’on va quand on n’a pas l’énergie intellectuelle de se rendre compte des principes ! Vous n’avez qu’un moyen de nous évincer de l’égalité, c’est de trouver que nous n’appartenons pas à la même espèce que vous,

2° La femme, ajoutez-vous, ne peut avoir les mêmes droits que l’homme parce que, mère et ménagère, elle ne remplit que des fonctions d’un ordre inférieur.

De cette seconde proposition, nous sommes en droit d’induire que les fonctions sont la base du Droit ;

Que vos fonctions sont équivalentes, puisque le droit est égal ;

Que les fonctions de la femme ne sont pas équivalentes à celles de l’homme.

Vous avez donc à prouver, Messieurs, que les fonctions individuelles remplies par chacun de vous s’équivalent ; que, par exemple, Cuvier, Geoffroy St-Hilaire, Arago, Fulton, Jacquard, un certain nombre d’inventeurs et de savants n’ont pas plus fait, ne font pas plus pour l’humanité et la Civilisation qu’un nombre égal de fabricants de têtes d’épingles.

Vous avez à prouver ensuite que les travaux de la maternité, ceux du ménage auxquels le travailleur doit sa vie, sa santé, sa force, la possibilité d’accomplir sa tâche ; que ces fonctions sans lesquelles il n’y aurait pas d’humanité, ne sont pas équivalentes, c’est à dire aussi utiles au corps social que celles du fabricant de bijoux ou de jouets d’enfants.

Vous avez à prouver enfin que les fonctions d’institutrice, de négociante, de teneuse de livres, de commise, de couturière, de modiste, de cuisinière, de femme de chambre, etc., n’équivalent pas à celles d’instituteur, de négociant, de comptable, de commis, de tailleur, de chapelier, de cuisinier, de valet de chambre, etc. ;

Je conviens qu’il est fâcheux pour votre triomphante argumentation, de se casser le nez contre les milliers de faits qui nous montrent la femme réelle remplissant, en concurrence avec vous, des fonctions très nombreuses ; mais enfin les choses sont ainsi, et il faut bien en tenir compte.

Messieurs, je vous accroche aux cornes de ce dilemme : si les fonctions sont la base du Droit, comme le Droit est égal, les fonctions sont équivalentes, et alors la femme n’en remplit point d’inférieures, puisqu’il n’y en a point. Celles qu’elle remplit sont alors équivalentes aux vôtres et, par cette équivalence, elle rentre dans l’égalité.

Ou bien les fonctions ne sont pas la base du Droit ; vous n’en avez pas tenu compte lorsqu’il s’est agi d’établir votre Droit : alors pourquoi parlez-vous des fonctions quand il est question du Droit de la femme ?

Tirez-vous de là comme vous pourrez : ce n’est pas moi qui vous décrocherai.


II


3° La femme produit moins que l’homme industriellement, dites-vous. Admettons que cela soit vrai ; comptez-vous pour rien la grande fonction maternelle ? Les risques que court la femme en l’accomplissant ?

Comptez-vous pour rien les travaux du ménage, les soins qui vous sont prodigués et auxquels vous devez propreté et santé ?

Si la quantité du produit est l’origine de l’égalité de Droit, pourquoi ceux qui ne produisent que peu de chose, ceux qui ne produisent rien, et vous tous qui produisez inégalement avez-vous un Droit égal ?

Pourquoi tant de femmes qui produisent, tandis que leurs maris ou leurs fils s’amusent et dissipent, n’ont elles pas des droits et ces derniers en ont-ils ?

Vous ne faites pas entrer la question du produit dans celle du Droit quand il s’agit de l’homme, pourquoi donc l’y faites-vous entrer quand il s’agit de la femme ?

Vous le voyez, Messieurs, toujours irréfléchis, irrationnels, injustes.

4° La femme ne peut être l’égale de l’homme, parce que son tempérament particulier lui interdit certaines fonctions.

Bien, Messieurs ; alors un législateur pourrait, sans déraison, décréter que tous les hommes qui, par tempérament, sont impropres au métier des armes, par exemple, sont hors de l’égalité de Droit ?

Le tempérament, source de Droit !

Si une femme avait écrit pareille sottise, elle serait tympanisée d’un bout du monde à l’autre.

Pourquoi, Messieurs, n’excluez-vous pas de l’égalité tous les hommes faibles, tous ceux qui sont incapables de remplir les fonctions que vous préjugez la femme incapable de remplir ?

Lorsqu’il s’agit de vous, vous admettez bien que le droit de remplir toute fonction ne suppose ni la faculté ni la volonté d’en user ; pourquoi ne raisonnez-vous pas de même lorsqu’il est question de nous ? Que penseriez-vous des femmes si, ayant vos droits et vous le servage, elles vous tenaient dans une position inférieure sous le prétexte que vous ne pouvez pas accomplir la grande fonction de la gestation et de l’allaitement ?

L’homme, diraient-elles, ne pouvant être mère et nourrice, n’aura pas le droit d’être instruit comme nous, d’avoir comme nous une dignité civile. Son tempérament grossier le rend incapable d’être témoin dans un acte de naissance et de mort ; il est évident que sa maladresse l’exclut juridiquement des fonctions diplomatiques ; donc nous ne pouvons lui reconnaître le Droit de les briguer, etc.

Eh ! bien, Messieurs, vous raisonnez de la même manière, en excluant la femme de l’égalité sous le prétexte, qu’en général, elle est d’un tempérament moins fort que le vôtre : c’est à dire que vous raisonnez d’une manière absurde.

5° La femme ne peut être l’égale de l’homme en Droit parce qu’il la protège et la nourrit.

Si c’est parce que vous nous protégez et nous nourrissez, que nous ne devons pas avoir notre Droit, Messieurs, rendez donc leur Droit aux filles majeures et aux veuves que vous ne nourrissez ni ne protégez.

Rendez donc leur Droit aux épouses qui n’ont nul besoin de votre protection, puisque la loi les protège, même contre vous ; aux épouses que vous ne nourrissez pas, puisqu’elles vous apportent soit une dot soit une profession, soit des services que vous seriez obligés de rétribuer, si tout autre tous les rendait.

Et si, être nourri par quelqu’un suffit pour se voir enlever son Droit, ôtez le donc à cette foule d’hommes nourris par les revenus ou le travail de leurs femmes.

6° L’homme, pour l’exercice de certains droits, est le mandataire de la femme.

Messieurs, un mandataire est librement choisi et ne s’impose pas : je ne vous accepte pas pour mandataires : je suis assez intelligente pour faire mes affaires moi-même, et je vous prie de me rendre, ainsi qu’à toutes les femmes qui pensent comme moi, un mandat dont vous abusez indignement. Si les femmes mariées, pour avoir la paix, veulent bien vous continuer leur mandat, c’est leur affaire ; mais aucun de vous ne peut légitimement conservé celui des veuves et des filles majeures.

7° La femme n’a pas besoin des mêmes droits que l’homme, parce qu’elle n’a pas plus le temps que la capacité de les exercer.

La femme a-t-elle moins de temps et de capacité que vos ouvriers cloués douze heures par jour sur leurs travaux morcelés et abrutissants ? Affirmez donc, si vous l’osez !

Faut-il moins de temps et de capacité pour déposer dans un procès criminel, comme le fait la femme, que pour être témoin d’un acte civil ou d’un contrat notarié, droit que la femme n’a pas ?

Faut-il moins de temps et de capacité pour être tutrice de ses fils et administrer leur fortune, comme le fait la femme, que pour être tutrice d’un étranger et d’un neveu et administrer la leur, droit que la femme n’a pas ?

Faut-il moins de temps et de capacité pour diriger une fabrique, une maison de commerce, des ouvriers, comme le font tant de femmes, que pour être à la tête d’un bureau, d’une administration publique et en diriger les employés, droit que la femme n’a pas ?

Faut-il moins de temps et de capacité pour se livrer à l’enseignement dans une pension nombreuse, comme le font tant de femmes, que dans une chaire de faculté, comme l’homme seul en a le droit ?

La femme prouve, par ses œuvres, que la capacité et le temps ne lui manquent pas plus qu’à vous. Les faits étranglent des affirmations dont vous devriez rougir. Fi ! Je ne voudrais pas être homme, de peur de dire de semblables choses, et d’être conduit à prétendre qu’une institutrice, une femme de lettres, une artiste, une habile négociante, n’ont pas la capacité d’un portefaix ou d’un chiffonnier, parce qu’elles n’ont pas de barbe an menton.

8° Les Droits de la femme sont dans sa beauté et dans l’amour de l’homme.

Des droits basés sur la beauté, et sur cette chose fragile qu’on appelle un amour d’homme ! Qu’est-ce que cela, je vous prie. Messieurs ?

Alors la femme aura des Droits si elle est belle et autant qu’elle le sera ; si elle est aimée et autant qu’elle le sera ? Vieille, laide, délaissée, il faudra la mettre dans la hotte du relève-chiffons pour la transporter aux gémonies ?

Si une femme disait de telles choses, quel tolle universel ! Et les hommes prétendent qu’ils sont rationnels ! Nous félicitons les femmes d’avoir trop de sens commun pour l’être jamais de cette manière.

Après tons ces arguments qui ne soutiennent pas l’analyse, arrive enfin la triomphante objection : les femmes ne revendiquent pas leurs Droits : beaucoup d’entre elles sont même scandalisées des réclamations faites par quelques-unes au nom de toutes.

Les femmes ne réclament pas, Messieurs ?

Que font donc, à l’heure qu’il est, une foule d’Américaines ?

Que font donc déjà quelques femmes anglaises ?

Qu’ont fait ici en 1848 Jeanne Deroin, Pauline Roland et plusieurs autres ?

Que fais-je aujourd’hui, au nom d’une légion de femmes dont je suis l’interprète ?

Toutes les femmes ne réclament pas, non ; mais ne savez-vous pas que toute revendication de Droit se pose d’abord isolément ?

Que les esclaves, habitués à leurs chaînes, ne les sentent que lorsque les initiateurs leur montrent les meurtrissures qu’elles ont empreintes dans leur chair ?

Quelques-unes seulement réclament, dites-vous ; mais est-ce donc d’après le principe ou le nombre, que l’on juge de la bonté d’une cause ?

Avez-vous attendu que toute la population mâle revendiquât son droit au suffrage universel pour le décréter ?

Avez-vous attendu la revendication de tous les esclaves de vos colonies pour les émanciper ?

Oui, c’est vrai, Messieurs, beaucoup de femmes sont contre l’Émancipation de leur sexe. Qu’est-ce que cela prouve ? Qu’il y a des créatures humaines assez abaissées pour avoir perdu tout sentiment de dignité ; mais non pas que le Droit n’est pas le Droit.

Parmi les noirs, il y en a beaucoup qui haïssent, dénoncent, livrent au fouet et à la mort ceux d’entre eux qui méditent de briser leurs fers : qui a raison, qui a le sentiment de la dignité humaine, de ces derniers ou des autres ?

Nous revendiquons notre place à vos côtés, Messieurs, parce que l’identité d’espèce nous donne le Droit de l’occuper.

Nous revendiquons notre Droit, parce que l’infériorité dans laquelle nous sommes tenues, est une des causes les plus actives de la dissolution des mœurs.

Nous revendiquons notre Droit, parce que nous sommes persuadées que la femme a son cachet propre à poser sur la Science, la Philosophie, la Justice et la Politique.

Nous revendiquons notre Droit, enfin, parce que nous sommes convaincues que les questions générales, dont le défaut de solution menace de ruine notre Civilisation moderne, ne peuvent être résolues qu’avec le concours de la femme, délivrée de ses fers et laissée libre dans son génie.

N’est-ce pas, Messieurs, que c’est une grande preuve de notre insanité, de notre impureté que cet immense désir éprouvé par nous, d’arrêter la corruption des mœurs, de travailler au triomphe de la Justice, à l’avènement du règne du Devoir et de la Raison, à l’établissement d’un ordre de choses où l’humanité, plus digne et plus heureuse, poursuivra ses glorieuses destinées sans accompagnement de canon, sans effusion de sang versé ?

N’est-ce pas que les femmes de l’Émancipation sont des impures que le péché a rendues folles, des êtres incapables de comprendre la justice et les œuvres de conscience ?


III


Concluons, Messieurs.

Lors même qu’il serait vrai, ce que je nie, que la femme vous soit inférieure ; lors même qu’il serait vrai, ce que les faits démontrent faux, qu’elle ne peut remplir aucune des fonctions que vous remplissez, qu’elle n’est propre qu’à la maternité et au ménage, elle n’en serait pas moins votre égale devant le Droit, parce que le Droit ne se base ni sur la supériorité des facultés, ni sur celle des fonctions qui en ressortent, mais sur l’identité d’espèce.

Créature humaine comme vous, ayant comme vous une intelligence, une volonté, un libre-arbitre, des aptitudes diverses, la femme a le Droit, comme vous, d’être libre, autonome, de développer librement ses facultés, d’exercer librement son activité : lui tracer sa route, la réduire en servage, comme vous le faites, est donc une violation du Droit humain dans la personne de la femme : c’est un odieux abus de la force.

Au point de vue des faits, cette violation de Droit revêt la forme d’une déplorable inconséquence : car il se trouve que beaucoup de femmes sont très supérieures à la plupart des hommes ; d’où il résulte que le Droit est accordé à ceux qui ne devraient pas l’avoir, d’après votre doctrine, et refusé à celles qui, d’après la même doctrine, devraient le posséder, puisqu’elles justifient des qualités requises.

Il se tronve que vous reconnaissez le Droit aux qualités et fonctions, parce qu’on est homme, et que vous cessez de le reconnaître dans le même cas, parce qu’on est femme.

Et vous vantez votre haute Raison, et vous vous vantez de posséder le sens de la Justice !

Prenez garde, Messieurs ! Nos droits ont le même fondement que les vôtres ; en niant les premiers, vous niez en principe les derniers.

Encore un mot à vous, prétendus disciples des doctrines de 89, et nous aurons fini.

Savez-vous pourquoi tant de femmes prirent parti pour notre grande Révolution, armèrent les hommes et bercèrent leurs enfants au chant de la Marseillaise ? C’est parce que , sous la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, elles croyaient voir la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne.

Quand l’Assemblée se fut chargée de les détromper, en manquant de logique à leur égard, en fermant leurs réunions, elles abandonnèrent la Révolution, et vous savez ce qui advint.

Savez-vous pourquoi, en 1848, tant de femmes, surtout parmi le peuple, se déclarèrent pour la Révolution ? C’est qu’elles espérèrent que l’on serait plus conséquent à leur égard que par le passé.

Lorsque, dans leur sot orgueil et leur inintelligence, les représentants, non seulement leur interdirent de se réunir, mais les chassèrent des assemblées d’hommes, les femmes abandonnèrent la Révolution, en détachèrent leurs maris et leurs fils, et vous savez encore ce qui advint.

Comprenez-vous enfin, Messieurs les inconséquents ?

Je vous le dis en vérité, toutes vos luttes sont vaines, si la femme ne marche pas avec vous.

Un ordre de choses peut s’établir par un coup de main ; mais il ne se maintient que par l’adhésion des majorités ; et ces majorités, Messieurs, c’est nous, femmes, qui les formons par l’influence que nous avons sur les hommes, par l’éducation que nous leur donnons avec notre lait.

Nous pouvons leur inspirer, dès le berceau, amour, haine ou indifférence pour certains principes : c’est là qu’est notre force ; et vous êtes des aveugles de ne pas comprendre que si la femme est d’un côté, l’homme de l’autre, l’humanité est condamnée à faire l’œuvre de Pénélope.

Messieurs, la femme est mûre pour la liberté civile, et nous vous déclarons que nous considérerons désormais comme ennemi du Progrès et de la Révolution quiconque s’élèvera contre notre légitime revendication ; tandis que nous rangerons parmi les amis du Progrès et de la Révolution ceux qui se prononceront pour notre émancipation civile, fut-ce vos adversaires.

Si vous refusez d’écouter nos légitimes réclamations, nous vous accuserons devant la postérité du crime que vous reprochez aux possesseurs d’esclaves.

Nous vous accuserons devant la postérité d’avoir nié les les droits de la femme, parce que vous avez eu peur de sa concurrence.

Nous vous accuserons devant la postérité de lui avoir refusé ses droits pour en faire votre servante et votre jouet.

Nous vous accuserons devant la postérité d’être les ennemis du Droit et du Progrès.

Et notre accusation demeurera debout et vivante devant les générations futures qui, plus éclairées, plus justes, plus morales que vous, détourneront avec dédain, avec mépris, les yeux de la tombe de leurs pères.