La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 1/XX


CHAPITRE XX.




Madame de Simiane passa une mauvaise nuit ; elle était si changée à son réveil, que sa femme-de-chambre ne put s’empêcher de lui montrer sa sollicitude. Madame ne me paraît pas bien, dit-elle, Madame s’est peut-être trop fatiguée hier ; j’ai souvent pensé que les longues promenades qu’elle fait pouvaient lui nuire. Eh puis ! que Madame veuille bien me permettre une observation : il n’est pas prudent, à ce qu’il me semble, d’aller ainsi seule, le soir, parcourir la campagne ; quant à moi, je suis sur les épines quand Madame est dehors à la nuit : on a sitôt fait une mauvaise rencontre. Anaïs laissa échapper un triste sourire. L’intérêt qu’une femme-de-chambre a d’examiner tous les mouvemens de sa maîtresse, l’instruit à deviner les sentimens qui l’agitent en secret. Rosine, d’ailleurs, connaissait si bien madame de Simiane, que son sourire lui apprit qu’elle nourrissait quelque idée affligeante. Certainement, s’écria-t-elle d’un ton qui peignait l’effroi, certainement il est arrivé quelque chose à Madame. — Non, Rosine ; tranquillisez-vous, il ne m’est rien arrivé de fâcheux ; je réfléchis seulement à une histoire que l’on m’a racontée. — Elle est donc bien douloureuse cette histoire ? — Mais… elle est singulière. Cette Florestine. — Florestine, dites-vous, Madame ; Florestine, ce nom est celui d’une Espagnole qui voulait duper M. de Lamerville. — Le duper ! — Comment savez-vous cela ? — Oh ! le feu duc disait tout à Félix, et celui-ci ne me cache rien. Rosine voyant sa maîtresse disposée à l’écouter, continua ainsi : Le général aime beaucoup la musique ; dans un concert où il fut à Strasbourg, il rencontra cette Espagnole qui, dit-on, a beaucoup de talent sur le piano ; il l’entendit, en fut enchanté, et se fit présenter chez elle. Florestine, orgueilleuse d’avoir attiré l’attention d’un homme dont toutes les femmes enviaient la conquête, attribua à l’amour l’enthousiasme qu’il lui avait d’abord montré. Le désir de triompher de vingt rivales, lui tourna la tête au point qu’elle se persuada avoir une passion invincible pour M. de Lamerville. Dans cette idée, elle rompit avec un jeune homme noble, riche, aimable, qu’elle était au moment d’épouser, pour partir comme une folle à la suite du général : elle s’imagina, par cette preuve publique d’amour, l’amener à l’épouser. M. de Lamerville n’avait pensé à rien moins qu’à s’engager dans un lien sérieux avec Florestine. Il fut plus chagrin que content du sacrifice qu’elle lui faisait ; mais enchaîné par le plaisir de se croire l’objet d’une grande passion, il eut pendant quelque temps, pour la femme qui la lui montrait, ce qui, à son âge, tient lieu de sentiment. Quand Florestine s’aperçut que son goût pour elle était près de s’éteindre, elle essaya de le ranimer, en lui faisant redouter des rivaux. Ce manége ne lui réussit pas. Des querelles frẻquentes s’élevèrent ; chacune d’elle ôtait à Florestine une partie d’un empire usurpé. Le général n’osait pourtant pas se brouiller tout-à-fait avec elle, il craignait son désespoir. Il découvrit enfin que cette femme, aussi inconstante que vive dans ses amours, ne s’était pas compromise pour lui seul : elle avait autrefois suivi un amant en Angleterre ; cet amant qui, pendant une courte absence, avait été supplanté par monsieur de Rostange, en parut tellement furieux, qu’on le soupçonna d’être l’auteur de l’assassinat commis sur la personne du vicomte. Le général ne crut pas devoir garder davantage de ménagemens avec une femme dont les torts n’avaient pas pour excuse un sentiment profond ; il la quitta de manière à lui prouver qu’il ne voulait conserver aucune relation avec elle.

Le récit de Rosine avait rendu à madame de Simiane toute sa sérénité ; elle lui donna quelques ordres relatifs à son départ de Vernon, et la congédia d’un air de bienveillance : ensuite elle tira de sa poche le portrait d’Amador, le regarda long-temps, et songea, avec délices, qu’un homme qui avait de si beaux traits, ne pouvait avoir qu’une belle ame ; elle se félicita de lui être destinée pour compagne, et se promit de cultiver sans relâche des talens dont elle se flattait que le charme était non-seulement propre à le séduire, mais encore à le fixer.