La Femme (Michelet)/Notes/1

Hachette (p. 383-384).


Note 1. Caractère moral de ce livre. — Il présente deux lacunes qu’on a déjà reprochées au livre de L’Amour. Il ne traite point de l’adultère ni de la prostitution. J’ai cru pouvoir m’en remettre à la littérature du temps, inépuisable là-dessus. J’ai donné la ligne droite, et laisse à d’autres le plaisir d’étudier les courbes. Dans leurs livres ils ont surabondamment parlé de la divagation, jamais marqué la grande voie, simple, féconde, de l’initiation que l’amour, mieux inspiré, continuerait jusqu’à la mort. Il est arrivé justement à ces ingénieux romanciers ce qui arriva jadis aux casuistes (grands analyseurs aussi). Escobar et Busenbaum qui eurent le succès de Balzac (chacun cinquante éditions), dans leurs recherches subtiles, n’oublièrent rien que ce qui faisait le fond même de leur science. Ils ont perdu le mariage de vue, et réglementé le libertinage. — Le présent livre ne s’éloigne pas moins des romans sérieux de nos grands utopistes (Saint-Simon, Fourier, etc.). Ils ont invoqué la nature, mais l’ont prise très-bas, dans la misère de leur temps ; et ils se confient ensuite à l’attraction naturelle, à la pente vers cette nature abaissée. Dans un âge d’admirable effort, de création héroïque, ils ont cru supprimer l’effort. Mais chez un être, tel que l’homme, énergique, créateur, artiste, l’effort est dans la nature, et il en est le meilleur. L’instinct moral du public sent cela, et voilà pourquoi ces grands penseurs n’ont pu faire école. — L’art, le travail et l’effort dominent tout, et ce que nous appelons nature en nous, c’est le plus souvent notre création personnelle. Nous nous faisons jour par jour. Je le sentais cette année dans mes études anatomiques, spécialement sur le cerveau. Il est manifestement l’œuvre, l’incarnation de notre activité (V. Éloge de Petit, édit. Dubois). De là la vive expression, et, j’ose le dire, l’éloquence du cerveau, chez les individus supérieurs. Je n’ai pas craint de l’appeler la plus triomphante fleur, la plus touchante beauté de la nature, attendrissante chez l’enfant, parfois sublime dans l’homme. — Qu’on appelle cela réalisme, il ne m’en soucie. Il y a deux réalismes. L’un vulgarise, aplatit. L’autre, dans le réel, atteint l’idée qui en est l’essence et la vérité la plus haute, donc aussi sa vraie noblesse. Si cette poésie du vrai, la seule pure, fait gémir la pruderie, cela ne nous touche guère. Quand, dans le livre de l’Amour, nous avons brisé la sotte barrière qui séparait la littérature de la liberté des sciences, nous nous sommes peu informé de l’avis de ces pudibonds, plus chastes que la Nature, plus purs apparemment que Dieu.

La femme veut une foi, l’attend de nous pour élever l’enfant. Nulle éducation sans croyance. Le moment est venu. Cet âge peut formuler sa foi. Rousseau n’a pu, rien n’était mûr. Le juge du vrai est la conscience. Mais il lui faut des contrôles, l’histoire, conscience du genre humain, et l’histoire naturelle, conscience instinctive de la nature. Or, aucune des deux n’existait. On les a construites en un siècle (1760-1860). Quand les trois s’accordent, croyez.