La Farce de Maître Pathelin, traduction Fournier, 1872/Version en ancien français

Pour les autres éditions de ce texte, voir La Farce de Maître Pathelin.

Anonyme
Traduction par Édouard Fournier.
Librairie des Bibliophiles (p. 28-224).

ACTE Ier


Scène Ire


PATHELIN, GUILLEMETTE.

Maistre Pierre
commence.

Saincte Marie ! Guillemette,
Pour quelque paine que je mette
A cabasser, n’a ramasser,
Nous ne povons rien amasser :
Or vy-je que j’avocassoye

Guillemette.

Par Nostre Dame ! je y pensoye,
Dont on chante en avocassaige ;
Mais on ne vous tient pas si saige
De quatre pars, comme on souloit.
Je vy que chascun vous vouloit
Avoir, pour gaigner sa querelle ;
Maintenant chascun vous appelle
Par tout : Avocat dessoubz l’orme.

Pathelin.

Encor’ ne le dis-je pas, pour me
Vanter ; mais n’a, au territoire
Où nous tenons nostre auditoire,
Homme plus saige, fors le maire.

Guillemette.

Aussi, a-il leu le grimoire,
Et aprins à clerc longue piece.

Pathelin.

A qui veez-vous que ne despieche
Sa cause, et je m’y vueil mettre ?
Et si n’aprins oncques à la lettre,
Que ung peu ; mais je m’ose vanter
Que je sçay aussi bien chanter
Au livre, avecques nostre prestre,
Que se j’eusse esté à maistre
Autant que Charles en Espaigne.

Guillemette.

Que nous vault cecy ? Pas un peigne.
Nous mourons de fine famine ;
Noz robes sont plus qu’estamine
Reses ; et ne povons sçavoir
Comment nous en peussons avoir.
Et que nous vault vostre science ?

Pathelin.

Taisez-vous. Par ma conscience,
Si je vueil mon sens esprouver,
Je sçauray bien où en trouver,
Des robbes et des chapperons !
Se Dieu plaist, nous eschapperons,
Et serons remis sus en l’heure.
Dea, en peu d’heure Dieu labeure :
Car, s’il convient que je m’applicque
A bouter avant ma practique,
On ne sçaura trouver mon per.

Guillemette.

Par saint Jacques ! non, de tromper ;
Vous en estes un fin droict maistre.

Pathelin.

Par celuy Dieu qui me fit naistre !
Mais de droicte avocasserie…

Guillemette.

Par ma foy ! mais de tromperie :
Combien vrayement je m’en advise,
Quant, à vray dire, sans clergise,
Et de sens naturel, vous estes
Tenu l’une des saiges testes
Qui soit en toute la paroisse.

Pathelin.

Il n’y a nul qui se cognoisse
Si hault en avocation.

Guillemette.

M’aist Dieu, mais en trompacion.
Au moins, en avez-vou le los.

Pathelin.

Si ont ceulx qui de camelos
Sont vestuz, et de camocas,
Qui dient qu’ilz sont avocas,
Mais pourtant ne le sont-ilz mie.
Laissons en paix cest baverie ;
Je m’en vueil aller à la foire.

Guillemette.

A la foire ?…

Pathelin.

A la foire ?… Par saint Jehan ! voire :
A la foire, gentil’ marchande,
Vous desplaist-il, se je marchande
Du drap, ou quelque autre suffrage
Qui soit bon à nostre mesnage ?
Nous n’avons robe qui rien vaille.

Guillemette.

Vous n’avez ne denier ne maille.
Que ferez-vous ?

Pathelin.

Que ferez-vous ? Vous ne sçavez.
Belle dame, se vous n’avez
Du drap, pour nous deux largement,
Si me desmentez hardiment.
Quel’ couleur vous semble plus belle ?
D’ung gris vert ? d’ung drap de Brucelle ?
Ou d’autre ? Il me le faut sçavoir.

Guillemette.

Tel que vous le pourrez avoir :
Qui empruncte ne choisit mye.

Pathelin, en comptant sur ses doigts.

Pour vous, deux aulnes et demye,
Et, pour moy, trois, voire bien quatre,
Ce sont…

Guillemette.

Ce sont… Vous comptez sans rabattre
Qui dyable les vous prestera

Pathelin.

Que vous en chault qui ce sera ?
On me les prestera vrayement,
A rendre au jour du Jugement :
Car plus tost ne sera-ce point.

Guillemette.

Avant, mon amy, en ce point,
Quelque sot en sera couvert.

Pathelin.

J’acheteray ou gris ou vert.
Et, pour ung blanchet, Guillemette,
Me fault trois quartiers de brunette,
Ou une aulne.

Guillemette.

ou une aulne. Se m’aist Dieu, voire !
Allez, n’oubliez pas à boire,
Se vous trouvez Martin Garant,

Pathelin.

Gardez tout.

Il sort.

Guillemette, seule.

Gardez tout.Hé dieux ! quel marchant ?
Pleust or à Dieu qu’il n’y veist goutte !



Scène II.


PATHELIN, puis GUILLAUME.

Pathelin, devant la boutique du drapier.

N’est-ce pas ylà ? J’en fais doubte.
Or si est ; par saincte Marie !
Il se mesle de drapperie.

Il entre.

Dieu y soit !

Guillaume Joceaume, drappier.

Dieu y soit ! Et Dieu vous doint joye !

Pathelin.

Or ainsi m’aist Dieu, que j’avoye
De vous veoir grant voulenté !
Comment se porte la santé ?
Estes-vous sain et dru, Guillaume ?

Le Drappier.

Ouy, par Dieu !

Pathelin.

Ouy, par Dieu ! Ça, ceste paulme,
Comment vous va ?

Le Drappier.

Comment vous va ? Et bien, vrayement,
A vostre bon commandement
Et vous ?

Pathelin.

Et vous ? Par sainct Pierre l’apostre
Comme celuy qui est tout vostre.
Ainsi, vous esbatez ?

Le Drappier.

Ainsi, vous esbatez ? Et voire !
Mais marchans, ce devez-vous croire,
Ne font pas tousjours à leur guise.

Pathelin.

Comment se porte marchandise ?
S’en peut-on ne soigner ne paistre ?

Le Drappier.

Et, se m’aist Dieu, mon doulx maistre,
Je ne sçay ; tousjours hay ! avant !

Pathelin.

Ha ! qu’estoit ung homme sçavant !
Je requier Dieu qu’il en ait l’ame,
De vostre pere. Doulce Dame !
Il m’est advis tout clerement
Que c’est-il de vous proprement.
Qu’estoit ce ung bon marchand et saige !
Vous luy ressemblez de visaige,
Par Dieu, comme droicte painture.
Se Dieu eut oncq’ de creature
Mercy, Dieu vray pardon luy face
A l’ame !

Le Drappier.

A l’ame ! Amen, par sa grace,
Et de nous, quand il luy plaira !

Pathelin.

Par ma foy, il me desclaira,
Maintefois et bien largement,
Le temps qu’on voit présentement.
Moult de fois m’en est souvenu.
Et puis lors il estoit tenu
Ung des bons…

Le Drappier.

Ung des bons… Seez-vous, beau sire :
Il est bien temps de le vous dire ;
Mais je suis ainsi gracieux.

Pathelin.

Je suis bien, par Dieu, précieux.
Il avoit…

Le Drappier.

Il avoit… Vrayement, vous seerez…

Pathelin.

Voulentiers. Ha ! que vous verrez
Qu’il me disoit de grans merveilles !
Ainsi, m’aist Dieu ! que des oreilles,
Du nez, de la bouche, des yeulx,
Oncq’ enfant ne ressembla mieulx
A pere. Quel menton forché !
Vrayement, c’estes-vous tout poché…
Or, sire, la belle Laurence,
Vostre belle ante, mourut-elle ?

Le Drappier.

Nenny dea.

Pathelin.

Nenny dea.Que la vy-je belle,
Et grande, et droicte, et gracieuse !
Par la Mere-Dieu precieuse,
Vous luy ressemblez de corsaige,
Comme qui vous eust fait de naige.
En ce pays n’a, ce me semble,
Lignage qui mieulx se ressemble…
Quel vaillant bachelier c’estoit,
Le bon preud’homme ! et si prestoit
Ses denrées à qui les vouloit.
Dieu lui pardoint ! Il me souloit
Tousjours de si très-bon cueur rire !
Pleust à Jesus-Christ, que le pire
De ce monde luy ressemblast !
On ne tollist pas, ne n’emblast
L’ung à l’autre, comme l’en faict !
Que ce drap icy est bien faict !
Qu’est-il souef, doulx, et traictis !

Le Drappier.

Je l’ay faict faire tout faictis
Ainsi des laines de mes bestes.

Pathelin.

Hen, hen, quel mesnagier vous estes !
Vous n’en ystriez pas de l’orine
Du pere, vostre corps ne fine
Incessament de besoingner !

Le Drappier.

Que voulez-vous ? Il faut soingner.
Qui veult vivre et soustenir paine.

Pathelin.

Cestuy-cy est-il taint en laine ?
Il est fort comme ung courdouen.

Le Drappier.

C’est ung très-bon drap de Rouen,
Je vous prometz, et bien drappé.

Pathelin.

Or vrayement j’en suis attrapé ;
Car je n’avoye intention
D’avoir drap, par la passion
De Nostre Seigneur ! quand je vins.
J’avoye mis à part quatre vingts
Escus, pour retraire une rente :
Mais vous en aurez vingt ou trente,
Je le voy bien ; car la couleur
M’en plaist très-tant, que c’est douleur.

Le Drappier.

Escus ? Voire, se peut-il faire
Que ceulx, dont vous devez retraire
Ceste rente, prinssent monnoye ?

Pathelin.

Et ouy dea, se je le vouloye ;
Tout m’en est ung en payement.
Quel drap est cecy ? Vrayement.
Tant plus le voy, et plus m’assotte.
Il m’en fault avoir une cotte,
Brief, et à ma femme de mesme.

Le Drappier.

Certes, drap est cher comme cresme !
Vous en aurez, se vous voulez :
Dix ou vingt francs y sont coulez
Si tost !

Pathelin.

Si tost ! Ne m’en chault, couste et vaille !
Encor’ ay-je denier et maille
Qu’oncq’ ne virent pere ne mere.

Le Drappier.

Dieu en soit loué ! Par sainct Pere,
Il ne m’en desplairoit empiece.

Pathelin.

Brief, je suis gros de ceste piece ;
Il m’en convient avoir.

Le Drappier.

Il m’en convient avoir. Or bien.
Il convient adviser combien
Vous en voulez ? Premierement,
Tout est à vostre commandement,
Quant que il y en a en la pille !
Et n’eussiez-vous ne croix ne pille.

Pathelin.

Je le sçay bien : vostre mercy !

Le Drappier.

Voulez-vous de ce pers cler cy ?

Pathelin.

Avant, combien me coustera
La premiere aulne ? Dieu sera
Payé des premiers ; c’est raison :
Vecy ung denier ; ne faison
Rien qui soit, où Dieu ne se nomme.

Le Drappier.

Par Dieu, vous estes un bonhomme,
Et m’en avez bien resjouy !
Voulez-vous à ung mot ?

Pathelin.

Voulez-vous à ung mot ? Ouy.

Le Drappier.

Chascune aulne vous coustera
Vingt et quatre solz ?

Pathelin.

Vingt et quatre solz ? Non sera.
Vingt et quatre solz ! Saincte Dame !

Le Drappier.

Il le m’a cousté, par ceste ame !
Autant m’en fault, se vous l’avez…

Pathelin.

Dea, c’est trop.

Le Drappier.

Dea, c’est trop. Ha ! vous ne sçavez
Comment le drap est enchery ?
Trestout le betail est pery,
Cest yver, par la grant froidure.

Pathelin.

Vingt solz, vingt solz.

Le Drappier.

Vingt solz, vingt solz. Et je vous jure
Que j’en auray ce que je dy.
Or attendez à samedy :
Vous verrez que vault ? La toyson,
Dont il souloit estre foyson,
Me cousta, à la Magdeleine,
Huict blancs, par mon serment, de laine,
Que je soulois avoir pour quatre.

Pathelin.

Par le sang bieu ! sans plus debattre,
Puis qu’ainsi va, donc je marchande ;
Sus, aulnez ?

Le Drappier.

Sus, aulnez ? Et je vous demande
Combien vous en faut-il avoir ?

Pathelin.

Il est bien aysé à sçavoir.
Quel lé a-il ?

Le Drappier.

Quel lé a-il ? Lé de Brucelle.

Pathelin.

Trois aulnes pour moy, et pour elle
(Elle est haute) deux et demye.
Ce sont six aulnes… Ne sont mye…
Et ne sont… Que je suis bec jaune !

Le Drappier.

Il ne s’en fault que demye aulne,
Pour faire les six justement.

Pathelin.

J’en prendray six tout rondement ;
Aussi me faut-il chaperon.

Le Drappier.

Prenez-la, nous les aulneron.
Si sont-elles cy, sans rabattre :
Empreu, et deux, et trois, et quatre,
Et cinq, et six.

Pathelin.

Et cinq, et six. Ventre sainct Pierre !
Ric à ric !

Le Drappier.

Ric à ric ! Aulneray-je arriere ?

Pathelin.

Nenny, ce n’est qu’une longaigne.
Il y a plus perte ou plus gaigne,
En la marchandise. Combien
Monte tout ?

Le Drappier.

Monte tout ? Nous le sçaurons bien.
A vingt et quatre solz chascune :
Les six, neuf francs.

Pathelin.

Les six, neuf francs. Hen, c’est pour une…
Ce sont six escus ?

Le Drappier.

Ce sont six escus ? M’aist Dieu ! voire.

Pathelin.

Or, sire, les voulez-vous croire,
Jusques à jà quand vous viendrez ?
Non pas croire, mais les prendrez
A mon huys, en or ou monnoye.

Le Drappier.

Nostre Dame ! je me tordroye
De beaucoup, à aller par là.

Pathelin.

Hé ! vostre bouche ne parla
Depuis, par monseigneur sainct Gille,
Qu’elle ne dit pas evangile…
Jamays trouver nulle achoison
De venir boire en ma maison :
Or y burez-vous ceste fois.

Le Drappier.

Et, par sainct Jacques, je ne fais
Gueres autre chose que boire.
Je yray ; mais il faict mal d’accroire,
Ce sçavez-vous bien, à l’estraine ?

Pathelin.

Souffist-il, se je vous estraine
D’escus d’or, non pas de monnoye ?
Et si mangerez de mon oye,
Par Dieu ! que ma femme rostit.

Le Drappier.

Vrayement, cest homme m’assotist !
Allez devant : sus, je iray doncques,
Et les porteray.

Pathelin.

Et les porteray. Rien quiconques.
Que me grevera-il ? Pas maille,
Soubz mon aisselle.

Le Drappier.

Soubz mon aisselle. Ne vous chaille :
Il vaut mieulx, pour le plus honneste,
Que je le porte.

Pathelin.

Que je le porte.Male feste
M’envoye la saincte Magdaleine,
Se vous en prenez jà la paine !
C’est très-bien dit : dessoubz l’aisselle.
Cecy me fera une belle
Bosse !… Ha ! C’est très-bien allé !
Il y aura beu et gallé
Chez moy, ains que vous en saillez.

Le Drappier.

Je vous prie que vous me baillez
Mon argent, dès que j’y seray ?

Pathelin.

Feray. Et, par bieu, non feray,
Que n’ayez prins vostre repas
Très-bien : et si ne voudroye pas
Avoir sur moy dequoy payer.
Au moins, viendrez-vous essayer
Quel vin je boy. Vostre feu pere,
En passant, huchoit bien : Compere !
Ou Que dis-tu ? ou Que fais-tu ?
Mais vous ne prisez un festu,
Entre vous riches, povres hommes !

Le Drappier.

Et, par le sang bieu ! nous sommes
Plus povres…

Pathelin.

Plus povres… Voire. Adieu, adieu.
Rendez-vous tantost audict lieu ;
Et nous beurons bien, je me vant’!

Le Drappier.

Si feray-je. Allez devant,
Et que j’aye or !



Scène III.


PATHELIN.

Pathelin, seul, dans la rue.

Et que j’aye or ! Or ? et quoy doncques ?
Or ! dyable ! je n’y failly oncques !
Non. Or ! Qu’il puist estre pendu !
Endea, il ne m’a pas vendu

A mon mot ; ce a esté au sien ;
Mais il sera payé au mien.
Il luy faut or ? on le luy fourre !
Pleust à Dieu qu’il ne fist que courre,
Sans cesser, jusque à fin de paye !
Sainct Jehan ! il feroit plus de voye,
Qu’il n’y a jusque à Pampelune.

Il rentre chez lui.




Scène IV.


LE DRAPPIER.


Le Drappier, dans sa boutique.

Ilz ne verront soleil ny lune,
Les escuz qu’il me baillera,
De l’an, qui ne les m’emblera.
Or, n’est-il si fort entendeur,
Qui ne treuve plus fort vendeur :
Ce trompeur-là est bien bec jaune,
Quand, pour vingt et quatre solz l’aulne
A prins drap qui n’en vaut pas vingt !


fin du premier acte.

ACTE II


Scène I


PATHELIN, GUILLEMETTE.

Pathelin, rentrant chez lui.

En ay-je !

Guillemette.

En ay-je ! De quoy ?

Pathelin.

En ay-je ! De quoy ? Que devint
Vostre vieille cotte hardie ?

Guillemette.

Il est grand besoin qu’on le die !
Qu’en voulez-vous faire ?

Pathelin.

Qu’en voulez-vous faire ? Rien, rien.
En ay-je ? Je le disoye bien.
Est il ce drap-cy ?

Guillemette.

Est il ce drap-cy ? Saincte Dame !
Or, par le peril de mon ame,
Il vient d’aucune couverture.
Dieu ! d’où nous vient ceste aventure ?
Helas ! Helas ! qui le payera ?

Pathelin.

Demandez-vous qui ce sera ?
Par sainct Jehan ! il est jà payé.
Le marchand n’est pas desvoyé.
Belle seur, qui le m’a vendu.
Parmy le col soye pendu,
S’il n’est blanc comme ung sac de plastre !
Le meschant vilain challemastre
En est ceint sur le cul !

Guillemette.

En est ceint sur le cul ! Combien
Couste-il doncques ?

Pathelin.

Couste-il doncques ? Je n’en doy rien !
Il est payé : ne vous en chaille.

Guillemette.

Vous n’aviez denier ne maille !
Il est payé ? En quel’ monnoye ?

Pathelin.

Et, par le sang bieu ! si avoye,
Dame : j’avoye ung parisi.

Guillemette.

C’est bien allé ! Le beau nisi
Ou ung brevet y ont ouvré :
Ainsi l’avez-vous recouvré.
Et, quand le terme passera,
On viendra, on nous gagera ;
Quanque avons, nous sera osté.

Pathelin.

Par le sang bieu, il n’a cousté
Qu’ung denier, quant qu’il en y a.

Guillemette.

Benedicite ! Maria !
Qu’ung denier ? Il ne se peut faire !

Pathelin.

Je vous donne cest œil à traire,
S’il en a plus eu, ne n’aura,
Jà si bien chanter ne sçaura.

Guillemette.

Et qui est il ?

Pathelin.

Et qui est il ? C’est ung Guillaume,
Qui a surnom de Joceaume,
Puisque vous le voulez sçavoir.

Guillemette.

Mais la maniere de l’avoir
Pour un denier ? et à quel jeu ?

Pathelin.

Ce fut pour un denier à Dieu :
Et encore, se j’eusse dict :
« La main sur le pot ! » par ce dict,
Mon denier me fust demouré.
Au fort, est-ce bien labouré ?
Dieu et luy partiront ensemble
Ce denier-là, si bon leur semble ;
Car c’est tout ce qu’ilz en auront,
Jà si bien chanter ne sçauront,
Ne pour crier, ne pour brester.

Guillemette.

Comment l’a-il voulu prester,
Luy, qui est homme si rebelle ?

Pathelin.

Par saincte Marie la belle !
Je l’ay armé et blasonné,
Si qu’il me l’a presque donné.
Je luy disoye que feu son pere
Fut si vaillant, « Ha ! fais-je, frere,
Qu’estes-vous de bon parentaige !
Vous estes, fais-je, du lignaige
D’icy entour plus à louer ! »
Mais je puisse Dieu avouer,
S’il n’est attrait d’une peautraille
La plus rebelle villenaille
Qui soit, ce croy-je, en ce royaume ;
« Ha ! fais-je, mon amy Guillaume,
Que vous ressemblez bien de chere
Et du tout à vostre bon pere ! »
Dieu sçait comment j’eschaffauldoye,
Et, à la fois, j’entrelardoye.
En parlant de sa drapperie !
« Et puis, fais-je, saincte Marie !
Comment prestoit-il doucement
Ses denrées si humblement ?
C’estes-vous, fais-je, tout craché ! »
Toutesfois, on eust arraché
Les dents du villain marsouin
Son feu pere, et du babouin

Le fils, avant qu’ilz en prestassent
Cecy, ne que ung beau mot parlassent.
Mais, au fort, ay-je tant bresté
Et parlé, qu’il m’en a presté
Six aulnes ?

Guillemette.

Six aulnes ? Voire, à jamais rendre.

Pathelin.

Ainsi le devez-vous entendre.
Rendre ? On luy rendra le dyable !

Guillemette.

Il m’est souvenu de la fable
Du corbeau, qui estoit assis
Sur une croix, de cinq à six
Toyses de hault ; lequel tenoit
Un formage au bec : là venoit
Un renard qui vit ce formaige.
Pensa à luy : « Comment l’auray-je ? »
Lors se mist dessoubz le corbeau :
« Ha ! fist-il, tant as le corps beau,
Et ton chant plein de melodie ! »
Le corbeau, par sa conardie,
Oyant son chant ainsi vanter,
Si ouvrit le bec pour chanter,
Et son formaige chet à terre ;
Et maistre renard vous le serre

A bonnes dents, et si l’emporte.
Ainsi est-il (je m’en fais forte)
De ce drap : vous l’avez happé
Par blasonner, et attrapé,
En luy usant de beau langaige.
Comme fist renard du formaige :
Vous l’en avez prins par la moe.

Pathelin.

Il doit venir manger de l’oe :
Mais voicy qu’il nous faudra faire.
Je suis certain qu’il viendra braire,
Pour avoir argent promptement.
J’ay pensé bon appoinctement :
Il convient que je me couche,
Comme un malade, sur ma couche ;
Et, quand il viendra, vous direz :
« Ha ! parlez bas ! » et gemirez,
En faisant une chiere fade :
« Las ! ferez-vous, il est malade
Passé deux moys, ou six semaines ! »
Et, s’il vous dit : « Ce sont trudaines !
Il vient d’avec moy tout venant. »
« Helas ! ce n’est pas maintenant
(Ferez-vous) qu’il faut rigoller ! »
Et le me laissez flageoller ;
Car il n’en aura autre chose.

Guillemette.

Par l’ame qui en moy repose !
Je feray très-bien la maniere.
Mais, si vous rencheez arriere,
Que justice vous en reprengne,
Je me doubte qu’il ne vous prengne
Pis la moitié, qu’à l’autre fois !

Pathelin.

Or, paix : je sçay bien que je fais.
Il faut faire ainsi que je dy.

Guillemette.

Souviengne vous du samedy,
Pour Dieu, qu’on vous pilloria :
Vous sçavez que chascun cria
Sur vous, pour vostre tromperie ?

Pathelin.

Or laissez ceste baverie.
Il viendra ; nous ne gardons l’heure.
Il faut que ce drap nous demeure.
Je m’en voys coucher.

Guillemette.

Je m’en voys coucher. Allez doncques.

Pathelin.

Or ne riez point !

Guillemette.

Or ne riez point ! Rien quiconques,
Mais pleureray à chaudes larmes.

Pathelin.

Il nous fault estre tous deux fermes,
Affin qu’il ne s’en apperçoive.

Ils sortent.



Scène II.


LE DRAPPIER, seul.
.
Le Drappier

Je crois qu’il est temps que je boive
Pour m’en aller. Ha ! non feray :
Je doy boire, et si mangeray
De l’oe, par sainct Mathelin,
Cheux maistre Pierre Pathelin,
Et là recevrai-je pécune.
Je happeray là une prune,
A tout le moins, sans rien despendre.
J’y voys ; je ne puis plus rien vendre.

Il frappe à la porte de Pathelin.

Hau ! maistre Pierre ?


Scène III.


LE DRAPPIER, GUILLEMETTE.
.
Guillemette

Hau ! maistre Pierre ? Helas ! sire,
Par Dieu ! se vous voulez rien dire,
Parlez plus bas !

Le Drappier.

Parlez plus bas ! Dieu vous gard, dame !

Guillemette.

Ha ! plus bas !

Le Drappier.

Ha ! plus bas ! Et quoy ?

Guillemette.

Ha ! plus bas ! Et quoy ? Bon gré, m’ame...

Le Drappier.

Où est-il ?

Guillemette.

Où est-il ? Las ! où doit-il estre ?

Le Drappier.

Le qui ?

Guillemette.

Le qui ? Ha ! c’est mal dit, mon maistre :
Où est-il ? et Dieu, par sa grace,
Le sache ! Il garde la place
Où il est, le povre martir,
Unze semaines, sans partir…

Le Drappier.

De qui ?

Guillemette.

De qui ? Pardonnez-moy, je n’ose
Parler haut ; je croy qu’il repose :
Il est un petit aplommé.
Helas ! il est si assommé,
Le povre homme…

Le Drappier.

Le povre homme… Qui ?

Guillemette.

Le povre homme… Qui ? Maistre Pierre.

Le Drappier.

Ouay ! n’est-il pas venu querre
Six aulnes de drap maintenant ?

Guillemette.

Qui, luy ?

Le Drappier.

Qui, luy ? Il en vient tout venant,
N’a pas la moytié d’ung quart d’heure.
Delivrez-moy ; dea ! je demeure
Beaucoup. Ça, sans plus flageoller,
Mon argent ?

Guillemette.

Mon argent ? Hé ! sans rigoller ?
Il n’est pas temps que l’en rigolle.

Le Drappier.

Çà, mon argent ? Estes-vous folle !
Il me fault neuf francs.

Guillemette.

Il me fault neuf francs. Ha ! Guillaume !
Il ne fault point couvrir de chaume
Icy, ne bailler ces brocards.
Allez sorner à vos coquardz,
A qui vous vous voudrez jouer !

Le Drappier.

Je puisse Dieu désavouer,
Si je n’ay neuf francs !

Guillemette.

Si je n’ay neuf francs ! Helas ! sire,
Chascun n’a pas si faim de rire
Comme vous, ne de flagorner.

Le Drappier.

Dictes, je vous pry’, sans sorner :
Par amour, faites-moy venir
Maistre Pierre ?

Guillemette.

Maistre Pierre ? Mesavenir
Vous puist-il ! Et est-ce à meshuy ?

Le Drappier.

N’est-ce pas ceans que je suy
Cheuz maistre Pierre Pathelin ?

Guillemette.

Ouy. Le mal sainct Mathelin,
Sans le mien, au cueur vous tienne !
Parlez bas !

Le Drappier.

Parlez bas ! Le dyable y avienne !
Ne le oseray-je demander !

Guillemette.

A Dieu me puisse commander !
Bas, se ne voulez qu’il s’esveille ?

Le Drappier.

Quel bas ? Voulez-vous en l’oreille,
Au fons du puys ou de la cave ?

Guillemette.

Hé Dieu ! que vous avez de bave !
Au fort, c’est tousjours vostre guise.

Le Drappier.

Le dyable y soit ! quand je m’avise :
Se voulez que je parle bas,
Payez-moy sans plus de debas ;
Telz noises n’ay-je point aprins.
Vray est que maistre Pierre a prins
Six aulnes de drap aujourd’huy.

Guillemette.

Et qu’est-ce cecy ? Est-ce à meshuy ?
Dyable y ait part ! Aga ! quel prendre ?

Ha ! sire, que l’en le puist pendre,
Qui ment ! Il est en tel party,
Le povre homme, qu’il n’est party
Du lict y a unze semaines !
Nous baillez-vous de vos trudaines ?
Maintenant en est-ce raison ?
Vous vuiderez de ma maison,
Par les angoisses Dieu, moy lasse !

Le Drappier.

Vous disiez que je parlasse
Si bas, saincte benoiste Dame ?
Vous criez !

Guillemette.

Vous criez ! C’estes vous, par m’ame,
Qui ne parlez, fors que de noise !

Le Drappier.

Dictes, afin que je m’en voise :
Baillez-moy ?

Guillemette.

Baillez-moy ? Parlez bas ! Ferez ?

Le Drappier.

Mais vous-mesmes l’esveillerez ;
Vous parlez plus hault quatre fois,

Par le sang bieu ! que je ne fais.
Je vous requier qu’on me delivre ?

Guillemette.

Et qu’est cecy ? Estes-vous yvre,
Ou hors de sens ? Dieu nostre pere !

Le Drappier.

Yvre ! Maugré en ait sainct Pere !
Voicy une belle demande !

Guillemette.

Helas ! plus bas !

Le Drappier.

Helas ! plus bas ! Je vous demande
Pour six aulnes, bon gré saint George,
De drap, dame…

Guillemette.

De drap, dame… On le vous forge !
Et à qui l’avez-vous baillé ?

Le Drappier.

A luy-mesme.

Guillemette.

A luy-mesme. Il est bien taillé
D’avoir drap ! Helas ! il ne hobe !
Il n’a nul besoin d’avoir robe :
Jamais robe ne vestira
Que de blanc, ne ne partira
D’ond il est que les piedz devant !

Le Drappier.

C’est doncq depuis soleil levant ?
Car j’ay à luy parlé sans faute.

Guillemette.

Vous avez la voix si très-haute :
Parlez plus bas, en charité !

Le Drappier.

C’estes-vous, par ma verité,
Vous-mesme, en sanglante estraine
Par le sang bieu ! veez-cy grant paine !
Qui me payast, je m’en allasse !
Par Dieu ! oncques que je prestasse,
Je n’en trouvay point autre chose !

Pathelin.

Guillemette ? Un peu d’eaue rose !
Haussez-moy, serrez-moy derriere !

Trut ! à qui parlay-je ? L’esguiere ?
A boire ? Frottez-moy la plante ?

Le Drappier.

Je l’oy là ?

Guillemette.

Je l’oy là ? Voire.

Pathelin.

Je l’oy là ? Voire. Ha, meschante !
Vien çà ? T’avoye-je fait ouvrir
Ces fenestres ? Vien moy couvrir !
Ostez ces gens noirs !… Marmara,
Carimari, carimara.
Amenez-les-moy, amenez !

Guillemette.

Qu’est-ce ? Comment vous demenez !
Estes-vous hors de vostre sens ?

Pathelin.

Tu ne vois pas ce que je sens :
Vela un moine noir qui vole ?
Prens-le, baille-luy une estole…
Au chat, au chat ! Comment il monte !

Guillemette.

Et qu’est cecy ? N’a’ vous pas honte ?
Et, par Dieu ! c’est trop remué.

Pathelin.

Ces physiciens m’ont tué
De ces brouilliz qu’ilz m’ont fait boire :
Et toutesfois les faut-il croire,
Ilz en oeuvrent comme de cire.

Guillemette.

Helas ! venez-le voir, beau sire :
Il est si très-mal patient.

Le Drappier.

Est-il malade, à bon escient,
Puis orains qu’il vint de la foire l

Guillemette.

De la foire ?

Le Drappier.

De la foire ? Par sainct Jehan, voire !
Je cuide qu’il y a esté.
Du drap que je vous ay presté,
Il m’en fault l’argent, maistre Pierre !

Pathelin.

Prendray-je ung autre cristere ?

Le Drappier.

Et que sçay-je ! Qu’en ay-je à faire ?
Neuf francs m’y fault, ou six escus.

Pathelin.

Ces trois petis morceaulx becuz,
Les m’appellez-vous pilloueres ?
Ilz m’ont gasté les machoueres.
Pour Dieu ! ne m’en faites plus prendre,
Maistre Jehan : ilz m’ont fait tout rendre.
Ha ! il n’est chose plus amere !

Le Drappier.

Non ont, par l’ame de mon pere !
Mes neuf francs ne sont point rendus.

Guillemette.

Parmy le col soient-ilz pendus
Tels gens qui sont si empeschables !
Allez-vous-en, de par les dyables,
Puis que de par Dieu ne peult estre !

Le Drappier.

Par celuy Dieu qui me fist naistre,
J’auray mon drap, ains que je fine,
Ou mes neuf francs !

Pathelin.

Ou mes neuf francs ! Et mon orine
Vous dit-elle point que je meure ?…

Bas à Guillemette.

Pour Dieu ! faites qu’il ne demeure.

Haut.

Que je ne passe point le pas !

Guillemette.

Allez-vous-en ! Et n’est-ce pas
Mal faict de luy tuer la teste ?

Le Drappier.

Dame ! Dieu en ait male feste !
Six aulnes de drap maintenant,
Dictes, est-ce chose avenant,
Par vostre foy, que je les perde ?…
Il me fault neuf francs rondement,
Que, bon gré sainct Pierre de Romme…

Guillemette.

Helas ! tant tourmentez cest homme !
Et comment estes-vous si rude ?

Vous voyez clerement qu’il cuide
Que vous soyez physicien ?
Helas ! le povre chrestien
A assez de male meschance :
Unze semaines, sans laschance,
A esté illec, le povre homme…

Le Drappier.

Par le sang Dieu ! je ne sçay comme
Cest accident luy est venu,
Car il est aujourd’huy venu
Et avons marchandé ensemble,
A tout le moins, comme il me semble,
Ou je ne sçay que ce peult estre !

Guillemette.

Par Nostre Dame ! mon doulx maistre,
Vous n’estes pas en bon memoire.
Sans faute, si me voulez croire.
Vous yrez un peu reposer :
Car moult de gens pourroient gloser
Que vous venez pour moy ceans.
Allez hors ! Les physiciens
Viendront icy tout en presence,
Je n’ay cure que l’en y pense
A mal, car je n’y pense point.

Le Drappier.

Et maugrebieu ! suis-je en poinct ?

Par la feste Dieu ! je cuidoye
Encor… Et n’avez-vous point d’oye
Au feu ?

Guillemette.

Au feu ? C’est très-belle demande !
Ah, sire ! ce n’est pas viande
Pour malades. Mangez vos oes,
Sans nous venir jouer des moes !
Par ma foy, vous estes trop aise !

Le Drappier.

Je vous pry’ qu’il ne vous desplaise,
Car je cuidoye fermement…
Encor’, par le sainct sacrement
Dieu !… Dea ! or voys-je sçavoir.
Je sçay bien que je dois avoir
Six aulnes, tout en une piece ;
Mais ceste femme me despiece
De tous poinctz mon entendement…
Il les a eues vrayement ?…
Non a, dea ! il ne se peut joindre !
J’ay veu la mort qui le vient poindre ;
Au moins, ou il le contrefaict…
Et si a ! il les print de faict,
Et les mist dessoubz son aisselle,
Par saincte Marie la belle !…
Non a ! Je ne sçay si je songe.
Je n’ay point aprins que je donge

Mes drapz, en dormant, ne veillant ?
A nul, tant soit mon bien vueillant,
Je ne les eusse point accrues…
Par le sang bieu ! il les a eues…
Et, par la mort ! non a, ce, ce tiens-je,
Non a !… Mais à quoy donc en viens-je ?
Si a, par le sang Notre-Dame !
Meschoir puist-il de corps et d’ame,
Si je sçay qui sçauroit à dire
Qui a le meilleur ou le pire
D’eux ou de moy ! Je n’y voy goute !…



Scène IV.


PATHELIN, GUILLEMETTE.

Pathelin, à Guillemette.

S’en est-il allé ?

Guillemette.

S’en est-il allé ? Paix ! J’escoute
Ne sçay quoy qu’il va flageollant.
Il s’en va si fort grumelant,
Qu’il semble qu’il doive desver.

Pathelin.

Il n’est pas temps de se lever ?
Comme il est arrivé à poinct !

Guillemette.

Je ne scay s’il reviendra point.
Nenny dea, ne bougez encore !
Nostre fait seroit tout frelore,
S’il vous trouvoit levé.

Pathelin.

S’il vous trouvoit levé. Sainct George !
Qu’il est venu à bonne forge,
Luy qui est si très-mescreant !
Il est en luy trop mieux seant
Qu’ung crucifix en ung monstier.

Guillemette.

En ung très-ord vilain bronstier,
Onc lard ès pois n’escheut si bien !
Et, quoy, dea, il ne faisoit rien
Aux dimenches !

Pathelin.

Aux dimenches ! Pour Dieu ! sans rire !
S’il venoit, il pourroit trop nuyre.
Je m’en tiens fort qu’il reviendra.

Guillemette.

Par mon serment, il s’en tiendra,
Qui vouldra ; mais je ne pourroye !



Scène V.


LE DRAPPIER, GUILLEMETTE, PATHELIN.

Le Drappier, seul, chez lui.

Et, par le sainct soleil qui roye,
Je retourneray, qui qu’en grousse,
Cheuz cest advocat d’eaue douce.
Hé, Dieu ! quel retrayeur de rentes
Que ses parens ou ses parentes
Auroient vendu ! Or, par sainct Pierre,
Il a mon drap, le faux tromperre !…
Je luy baillay en ceste place.

Guillemette, chez elle.

Quand me souvient de la grimace
Qu’il faisoit en vous regardant,

Je ris ! Il estoit si ardant
A demander…

Pathelin.

A demander… Or, paix, riace !
Je regnie bieu, que jà ne face :
S’il advenoit qu’on vous ouist,
Autant vaudroit qu’on s’enfouist.
Il est si très-rebarbatif.

Le Drappier, chez lui.

Et cest advocat portatif,
A trois leçons et trois pseaumes !
Et tient-il les gens pour Guillaumes ?
Il est, par Dieu ! aussi pendable
Comme seroit un branc prenable.
Il a mon drap, ou je regnie bieu !
Et il m’a joué de ce jeu…

Il va frapper à la porte de Pathelin.

Hola ! Où estes-vous fouye ?

Guillemette.

Par mon serment, il m’a ouye !
Il semble qu’il doye desver.

Pathelin.

Je feray semblant de resver.
Allez là ?

Guillemette, ouvrant au drappier.

Allez là ? Comment, vous criez !

Le Drappier.

Bon gré en ayt Dieu ! Vous riez ?
Çà, mon argent !

Guillemette.

Çà, mon argent ! Saincte Marie !
De quoy cuidez-vous que je rie ?
Il n’a si dolente en la feste !…
Il s’en va : oncques tel tempeste
N’ouystes, ne tel frenaisie :
Il est encore en resverie ;
Il resve, il chante, et puis fatrouille
Tant de langaiges, et barbouille.
Il ne vivra pas demye heure.
Par ceste ame ! je ris et pleure
Ensemble.

Le Drappier.

Ensemble. Je ne sçay quel rire.
Ne quel pleurer. A brief vous dire.
Il faut que je soye payé.

Guillemette.

De quoy ? Estes-vous desvoyé ?
Recommencez-vous vostre verve ?

Le Drappier.

Je n’ay point apprins qu’on me serve
De tels mots en mon drap vendant.
Me voulez vous faire entendant
De vessies que sont lanternes ?

Pathelin.

Sus tost ! la royne des guiternes !
A coup, qu’ell’me soit approuchée !…
Je sçay bien qu’elle est accouchée
De vingt et quatre guiterneaux,
Enfans de l’abbé d’Iverneaux.
Il me fault estre son compere.

Guillemette.

Helas ! pensez à Dieu le pere,
Mon amy, non pas à guiternes.

Le Drappier.

Ha ! quels bailleurs de balivernes
Sont-ce cy ?… Or tost, que je soye
Payé, en or ou en monnoye,
De mon drap que vous avez prins !

Guillemette.

Hé, dea, se vous avez mesprins
Une foys, ne souffit-il mye ?

Le Drappier.

Sçavez-vous qu’il est, belle amye ?
M’aist Dieu, je ne sçay quel mesprendre !…
Mais, quoy ! il convient rendre ou pendre,
Quel tort vous fais je, se je vien
Ceans pour demander le mien ?
Quel ? Bon gré sainct Pierre de Romme !

Guillemette.

Helas ! tant tormentez cest homme !
Je voy bien, à votre visaige,
Certes, que vous n’estes pas saige…
Par ceste pecheresse lasse,
Si j’eusse ayde, je vous lyasse !
Vous estes trestout forcené.

Le Drappier.

Helas ! j’enraige que je n’ay
Mon argent !

Guillemette.

Mon argent ! Ha ! quel niceté !
Seignez-vous. Benedicite !
Faites le signe de la croix.

Le Drappier.

Or, regnie-je bieu se j’accrois,
De l’année, drap !… Hen ! quel malade !

Pathelin.

Mere de Diou, la Coronade,
Par fyé, y m’en voul anar,
or renague biou, outre mar !
Ventre de Diou ! zen dict gigone,
Castuy carrible, et res ne donne.
Ne carillaine, fuy ta none ;
Que de l’argent il ne me sone.

Au Drapier.

Avez entendu, beau cousin ?

Guillemette.

Il eut ung oncle Lymosin,
Qui fut frere de sa belle ante :
C’est ce qui le faict, je me vante,
Gergonner en lymosinois.

Le Drappier.

Dea, il s’en vint en tapinois
A-tout mon drap soubz son aisselle.

Pathelin.

Venez ens, doulce damizelle…
Et que veut ceste crapaudaille ?
Allez en arriere, mardaille !
Cha tost, je veuil devenir prestre.

Or cha, que le deable y puist estre
En chelle viele prestrerie !
Et faut-il que le preste rie
Quand il deust canter sa messe ?

Guillemette.

Helas ! helas ! l’heure s’appresse
Qu’il fault son dernier sacrement !

Le Drappier.

Mais comment parle-il proprement
Picard ? D’ond vient tel coquardie ?

Guillemette.

Sa mere fut de Picardie ;
Pour ce, le parle maintenant.

Pathelin.

D’ond viens-tu, caresme prenant ?
Wacarme liefve, Gonedman,
Tel bel bighod gheueran.
Henriey, Henriey, conselapen
Ich salgned, ne de que maignen ;
Grile, grile, schole houden,
Zilop, zilop, en nom que bouden,
Disticlien unen desen versen
Mat groet festal ou truit den herzen.

Hau, Wattewille ! come trie.
Cha, à dringuer, je vous en prie !
Tantost, qui me confessera ?

Le Drappier.

Qu’est cecy ? Il ne cessera
Huy de parler divers langaige ?
Au moins, qu’il me baillast ung gaige
Ou mon argent, je m’en allasse !

Guillemette.

Par les angoisses Dieu ! moy lasse !
Vous estes ung bien divers homme !
Que voulez-vous ? Je ne sçay comme
Vous estes si fort obstiné.

Pathelin.

Les playes Dieu ! Qu’est-ce qui s’ataque
A men cul ? Est-che or une vaque,
Une mousque ou ung escarbot ?
Hé dea, j’ay le mau sainct Garbot !

Le Drappier.

Comment peut-il porter le fés
De tant parler ? Ha ! il s’affole !

Guillemette.

Celuy qui l’apprint à l’escole
Estoit Normand : ainsi avient
Qu’en la fin il luy en souvient.
Il s’en va !

Le Drappier.

Il s’en va ! Ah ! saincte Marie !
Vecy la plus grand’resverie
Où je fusse oncques-mais bouté.
Jamais ne me fusse douté
Qu’il n’eust huy esté à la Foire !

Guillemette.

Vous le cuydez ?

Le Drappier.

Vous le cuydez ? Saint Jacques ! voire :
Mais j’apperçoy bien le contraire.

Pathelin.

Sont-il ung asne que j’os braire ?
Huiz oz bez ou dronc noz badou
Digaut an can en ho madou
Empedit dich guicebnuan
Quez que vient ob dre donchaman
Men ez cachet hoz bouzelou
Eny obet grande canou

Maz rechet crux dan holcon,
So ol oz merveil gant nacon,
Aluzen archet episy,
Har cals amour ha courteisy.

Le Drappier.

Helas ! pour Dieu, entendez y !
Il s’en va ! Comment il gargouille ?
Mais que dyable est-ce qu’il barbouille ?
Saincte Dame ! comme il barbote !
Par le corps bien ! il barbelote
Ses mots, tant qu’on n’y entent rien.
Il ne parle pas chrestien.
Ne nul langaige qui apere.

Guillemette.

Ce fut la mere de son pere,
Qui fut attraicte de Bretaigne…
Il se meurt : cecy nous enseigne
Qu’il faut ses derniers sacremens

Pathelin.

Hé, par sainct Gignon, tu ne mens !
Et bona dies sit vobis,
Magister amantissime,
Pater reverendissime.

Quomodò brûlis ? Quæ nova ?
Parisius non sum ova.
Quid petit ille mercator ?
Dicat sibi quod trufator
Ille, qui in lecto jacet,
Vult ei dare, si placet,
De ocâ ad comedendum :
Si sit bona ad edendum,
Pete sibi sine morâ.

Guillemette.

Par mon serment, il se mourra,
Tout parlant ! Comment il escume !
Veez-vous pas comment il fume ?
A haultaine divinité,
or s’en va son humanité !
Or demourray-je povre et lasse !

Le Drappier.

Il fust bon que je m’en allasse,
Avant qu’il eust passé le pas.
Je doute qu’il ne voulsist pas
Vous dire à son trespassement,
Devant moy, si priveement,
Aucuns secrez, par aventure ?
Pardonnez-moy ; car je vous jure
Que je cuydoie, par ceste ame,
Qu’il eust eu mon drap. Adieu, dame.
Pour Dieu, qu’il me soit pardonné !

Guillemette.

Le benoist jour vous soit donné !
Si soit à la povre dolente !

Le Drappier.

Par saincte Marie la gente !
Je me tiens plus esbaubely
Qu’onques !… Le dyable, en lieu de ly,
A prins mon drap pour moy tenter.
Benedicite ! Attenter
Ne puist-il jà à ma personne !
Et, puis qu’ainsi va, je le donne.
Pour Dieu, à quiconques l’a prins.



Scène VI.


PATHELIN, GUILLEMETTE.

Pathelin.

Avant ! Vous ay-je bien apprins ?
Or s’en va-il, le beau Guillaume !
Dieux ! qu’il a dessoubz son heaulme
De menues conclusions !
Moult luy viendra d’avisions
Par nuyt, quant il sera couchié.

Guillemette.

Comment il a esté mouchié !
N’ay-je pas bien faict mon devoir ?

Pathelin.

Par le corps bieu ! à dire voir,
Vous y avez très-bien ouvré.
Au moins, avons-nous recouvré
Assez drap pour faire des robes.


fin du deuxième acte.

ACTE III


Scène I


LE DRAPPIER, puis LE BERGIER.

Le Drappier, seul.

Quoy ! dea chascun me paist de lobes !
Chascun m’emporte mon avoir,
Et prent ce qu’il en peut avoir !
Or suis-je roy des meschéans ?
Mesmement, les bergers des champs
Me cabassent, ores le mien,
A qui j’ay tousiours faict du bien.
Il ne m’a pas pour rien gabé :
Il en viendra au pied levé.
Par la Benoiste couronnée !

Thibault Aignelet, bergier.

Dieu vous doint benoiste journée
Et bon vespre, mon seigneur doulx !

Le Drappier.

Ha ! es-tu là, truant merdoux !
Quel bon varlet ! Mais à quoy faire ?

Le Bergier.

Mais qu’il ne vous vueille desplaire ;
Ne sçay quel vestu de royé.
Mon bon seigneur, tout desvoyé,
Qui tenoit ung fouet sans corde,
M’a dict… Mais je ne me recorde
Point bien, au vray, ce que peut estre.
Il m’a parlé de vous, mon maistre,
Et ne sçay quelle ajournerie.
Quant à moy, par saincte Marie !
Je n’y entends ne gros, ne gresle
Il m’a brouillé de pesle mesle,
De brebis et de relevée,
Et m’a faict une grant levée
De vous, mon maistre, de boucher…

Le Drappier.

Se je ne te fais emboucher
Tout maintenant devant le juge,
Je prie à Dieu que le deluge
Courre sur moy et la tempeste !
Jamais tu n’assommeras beste,
Par ma foy, qu’il ne t’en souvienne !

Tu me rendras, quoy qu’il advienne.
Six aulnes… dis-je, l’assommaige
De mes bestes et le dommaige
Que tu m’as faict depuis dix ans.

Le Bergier.

Ne croyez pas les mesdisans.
Mon bon seigneur, car, par ceste ame…

Le Drappier.

Et, par la Dame que l’en reclame !
Tu rendras, avant samedy,
Mes six aulnes de drap… Je dy
Ce que tu as prins sur mes bestes.

Le Bergier.

Quel drap ? Ah ! mon seigneur, vous estes,
Ce croy, courroucé d’autre chose.
Par sainct Leu ! mon maistre, je n’ose
Rien dire quand je vous regarde.

Le Drappier.

Laisse m’en paix, va t’en, et garde
Ta journée, se bon te semble !

Le Bergier.

Mon seigneur, accordons ensemble,
Pour Dieu ! que je ne plaide point.

Le Drappier.

Va, ta besongne est en bon poinct ;
Va t’en ! Je nen accorderay,
Par Dieu, je n’en appointeray
Qu’ainsi que le juge fera.
Ha, quoy ! chacun me trompera
Mesouen, se je n’y pourvoie.

Le Bergier.

A Dieu, sire, qui vous doint joie !
Il faut donc que je me defende.

Il frappe à la porte de Pathelin.

A-il ame là ?



Scène II.


PATHELIN, GUILLEMETTE, LE BERGIER.

Pathelin.

A-il ame là ? On me pende,
S’il ne revient, parmy la gorge !

Guillemette.

Et non faict, que bon gré sainct George !
Ce seroit bien au pis venir.

Le Bergier, entrant.

Dieu y soit ! Dieu puist advenir !

Pathelin.

Dieu te gard, compains ! Que te fault ?

Le Bergier.

On me piquera en defaut
Se je ne voys à ma journée.
Monseigneur, à de relevée.
Et, s’il vous plaist, vous y viendrez,
Mon doulx maistre ; et me defendrez
Ma cause, car je n’y sçay rien.
Et je vous payeray très-bien,
Pourtant, se je suis mal vestu.

Pathelin.

Or vien çà ? Parles ! Qui es-tu ?
Ou demandeur ? ou defendeur ?

Le Bergier.

J’ay affaire à ung entendeur
(Entendez-vous bien, mon doulx maistre ?)
A qui j’ay longtemps mené paistre
Ses brebis, et les luy gardoye.
Par mon serment ! je regardoye
Qu’il me payoit petitement…
Diray-je tout ?

Pathelin.

Diray-je tout ? Dea, seurement :
A son conseil doit-on tout dire.

Le Bergier.

Il est vray et vérité, sire,
Que je les luy ay assommées ;
Tant que plusieurs se sont pasmées
Maintesfois, et sont cheutes mortes,
Tant feussent-elles saines et fortes.
Et puis, je luy fesoye entendre,
Afin qu’il ne m’en peust reprendre,
Qu’ilz mouroient de la clavelée.
« Ha ! faict-il ; ne soit plus meslée
Avec les autres : gette-la !
— Voulentiers ! » fais-je. Mais cela
Se faisoit par une autre voye :
Car, par sainct Jean ! je les mangeoye,
Qui sçavoye bien la maladie.
Que voulez-vous que je vous die ?
J’ay cecy tant continué,
J’en ay assommé et tué
Tant, qu’il s’en est bien apperçeu.
Et quand il s’est trouvé deçeu,
M’aist dieu ! il m’a fait espier :
Car on les ouyt bien crier

(Entendez-vous ?) quand on le sçait.
Or, j’ay esté prins sur le faict :
Je ne le puis jamais nier.
Si vous voudroye bien prier
(Pour du mien, j’ay assez finance)
Que nous deux luy baillons l’avance.
Je sçay bien qu’il a bonne cause ;
Mais vous trouverez bien tel clause,
Se voulez, qu’il l’aura mauvaise.

Pathelin.

Par ta foy, seras-tu bien aise ?
Que donras-tu, si je renverse
Le droit de ta partie adverse,
Et si je t’en envoye absoulz ?

Le Bergier.

Je ne vous payeray point en soulz,
Mais en bel or à la couronne.

Pathelin.

Donc auras-tu ta cause bonne.
Et, fust-elle la moytié pire,
Tant mieulx vault, et plustost l’empire,
Quand je veulx mon sens aplicquer.
Que tu m’orras bien descliquer,
Quand il aura fait sa demande !
Or, vien çà : et je te demande,

Par le sainct sang bien précieux !
Tu es assez malitieux
Pour entendre bien la cautelle.
Comment est-ce que l’en t’appelle ?

Le Bergier.

Par sainct Maur ! Thibault l’Aignelet.

Pathelin.

L’Aignelet, maint aigneau de laict
Tu as cabassé à ton maistre ?

Le Bergier.

Par mon serment ! il peut bien estre
Que j’en ay mangé plus de trente
En trois ans.

Pathelin.

En trois ans. Ce sont dix de rente.
Pour tes dez et pour ta chandelle.
Je croy que luy bailleray belle !…
Penses-tu qu’il puisse trouver
Sur piez, par qui ces faicts prouver ?
C’est le chief de la playderie.

Le Bergier.

Prouver, sire ! Saincte Marie !
Par tous les saincts de paradis !
Pour ung, il en trouvera dix,
Qui contre moy deposeront.

Pathelin.

C’est ung cas qui bien fort desrompt
Ton faict… Vecy que je pensoye :
Je faindray que point je ne soye
Des tiens, ne que je te visse oncques ?

Le Bergier.

Ne ferez, dieux !

Pathelin.

Ne ferez, dieux ! Non, rien quelconques.
Mais vecy qui te conviendra :
Se tu parles, on te prendra,
Coup à coup, aux positions ;
Et, en telz cas, confessions
Sont si très-prejudiciables,
Et nuysent tant, que ce sont dyables !
Et, pour ce, vecy qu’il faudra :
Jà tost, quand on t’appellera
Pour comparoir en jugement,
Tu ne respondras nullement,
Fors Bée, pour riens que l’on te die,
Et, s’il advient qu’on te mauldie,
En disant : « Hé, cornart puant ;
Dieu vous mette en mal an, truant !
Vous mocquez-vous de la justice ? »
Dy : Bée. « Ha ! feray-je, il est nice ;

Il cuide parler à ses bestes. »
Mais, s’ilz devoient rompre leurs testes,
Que autre mot n’ysse de ta bouche :
Garde-t’en bien !

Le Bergier.

Garde-t’en bien !Le faict me touche.
Je m’en garderay vrayement,
Et le feray bien proprement,
Je vous promets et afferme.

Pathelin.

Or t’en garde ; tiens-toy bien ferme,
A moy-mesme, pour quelque chose
Que je te die, ne propose,
Si ne respondz point autrement.

Le Bergier.

Moy ! nenny, par mon sacrement !
Dictes hardiment que j’affolle,
Se je dy huy autre parolle,
Vous ne à autre personne,
Pour quelque mot que l’on me sonne,
Fors Bée, que vous m’avez apprins.

Pathelin.

Par sainct Jean ! ainsi sera prins
Ton adversaire par moe.

Mais, aussi, fais que je me loe,
Quand ce sera faict, de ta paye.

Le Bergier.

Monseigneur, se je ne vous paye
A vostre mot, ne me croyez
Jamais. Mais, je vous pry’, voyez
Diligemment à ma besongne.

Pathelin.

Par Nostre Dame de Boulogne !
Je tiens que le juge est assis.
Car il se siet tousjours à six
Heures, ou illec environ,
Or vien après moy : nous n’iron
Pas tous les deux par une voye.

Le Bergier.

C’est bien dit : afin qu’on ne voye
Que vous soyez mon advocat ?

Pathelin.

Nostre Dame ! moquin, moquat,
Se tu ne payes largement !…

Le Bergier.

Dieux ! à vostre mot vrayment,
Monseigneur, n’en faictes nul doubte.

Pathelin, seul.

Hé dea, s’il ne peult, il desgoute.
Au moins, auray-je une espinoche :
J’auray de luy, s’il chet en coche,
Ung escu ou deux, pour ma paine.



Scène III.


PATHELIN, LE JUGE.

Pathelin, au Juge.

Sire, Dieu vous doint bonne estraine,
Et ce que vostre cueur desire !

Le Juge.

Vous soyez le bien venu, sire !
Or vous couvrez. Çà, prenez place.

Pathelin.

Dea, je suis bien, sauf vostre grace :
Je suis icy plus à delivre.

Le Juge.

S’il y a riens, qu’on se delivre
Tantost, affin que je me lieve ?


Scène IV.


LES MÊMES, LE DRAPPIER, puis LE BERGIER.

Le Drappier.

Mon advocat vient, qui achieve
Ung peu de chose qu’il faisoit.
Monseigneur ; et, s’il vous plaisoit,
Vous feriez bien de l’attendre.

Le Juge.

Hé dea ! j’ay ailleurs à entendre.
Se vostre partie est presente,
Delivrez-vous, sans plus d’attente.
Et n’estes-vous pas demandeur ?

Le Drappier.

Si suis.

Le Juge.

Si suis. Où est le defendeur ?
Est-il cy present en personne ?

Le Drappier.

Ouy : veez-le là qui ne sonne
Mot ; mais Dieu scet qu’il en pense !

Le Juge.

Puisque vous estes en presence
Vous deux, faites vostre demande.

Le Drappier.

Vecy doncques que luy demande,
Monseigneur. Il est verité
Que, pour Dieu et en charité.
Je l’ay nourry en son enfance ;
Et, quand je vy qu’il eut puissance
D’aller aux champs, pour abregier,
Je le fis estre mon bergier.
Et le mis à garder mes bestes :
Mais, aussi vray comme vous estes
Là assis, monseigneur le juge,
Il en a faict ung tel deluge
De brebis et de mes moutons,
Que sans faulte…

Le Juge.

Que sans faulte… Or, escoutons :
Estoit-il point vostre aloué ?

Pathelin.

Voire ; car, s’il s’estoit joué
A le tenir, sans alouer…

Le Drappier, reconnaissant Pathelin, qui se couvre le visage avec la main.

Je puisse Dieu desavouer.
Se n’estes-vous sans nulle faulte !

Le Juge.

Comment, vous tenez la main haute ?
A’vous mal aux dents, maistre Pierre ?

Pathelin.

Ouy ; elles me font telle guerre,
Qu’oncques-mais ne senty tel raige :
Je n’ose lever le visaige.
Pour Dieu, faites-les procéder !

Le Juge.

Avant, achevez de plaider.
Suz, concluez appertement ?

Le Drappier.

C’est-il, sans autre, vrayement !
Par la croix où Dieu s’estendy !
C’est à vous à qui je vendy
Six aulnes de drap, maistre Pierre.

Le Juge.

Qu’est-ce qu’il dit de drap ?

Pathelin.

Qu’est-ce qu’il dit de drap ? Il erre.
Il cuide à son propos venir,
Et il n’y scet plus advenir,
Pour ce qu’il ne l’a pas apprins.

Le Drappier.

Pendu soye, se autre l’a prins,
Mon drap, par la sanglante gorge !

Pathelin.

Comme le meschant homme forge
De loing, pour fournir son libelle !
Il veut dire (il est bien rebelle !)
Que son bergier avoit vendu
La laine (je l’ay entendu)
Dont fut faict le drap de ma robbe
Comme il dict qu’il le desrobe,
Et qu’il luy a emblé la laine
De ses brebis.

Le Drappier.

De ses brebis. Male semaine
M’envoye Dieu, se vous ne l’avez !

Le Juge.

Paix ! par le dyable ! vous bavez !
Et ne sçavez-vous revenir
A vostre propos, sans tenir
La court de telle baverie ?

Pathelin, ayant toujours sa main au visage.

Je sens mal, et faut que je rie.
il est desja si empressé,
Qu’il ne scet où il l’a laissé :
Il faut que nous luy reboutons.

Le Juge.

Suz, revenons à ces moutons :
Que fit-il ?

Le Drappier.

Que fit-il ? Il en print six aulnes
De neuf francs.

Le Juge.

De neuf francs. Sommes-nous bejaunes,
Ou cornarts ? Où cuidez-vous estre ?

Pathelin.

Par le sang bieu ! il nous fait paistre !

Qu’est-il bon homme par sa mine !
Mais, je le loz, qu’on examine
Un bien peu sa partie adverse.

Le Juge.

Vous dictes bien : il le converse !
Il ne peut qu’il ne le cognoisse.
Vien çà ! Dy !

Le Bergier.

Vien çà ! Dy ! Bée !

Le Juge.

Vien çà ! Dy ! Bée ! Vecy angoisse !
Quel Bée est-ce cy ? Suis-je chievre ?
Parle à moy.

Le Bergier.

Parle à moy. Bée !

Le Juge.

Parle à moy. Bée ! Sanglante fievre
Te doint Dieu ! Et te moques tu !

Pathelin.

Croyez qu’il est fol, ou testu,
Ou qu’il cuide estre entre ses bestes.

Le Drappier, à Pathelin.

Or regnie-je bieu, se vous n’estes
Celuy, sans autre, qui avez
Eu mon drap… Ha ! vous ne sçavez,
Monseigneur, par quelle malice…

Le Juge.

Et taisez-vous ! Estes-vous nice ?
Laissez en paix cest accessoire.
Et venons au principal.

Le Drappier.

Et venons au principal. Voire,
Monseigneur ; mais le cas me touche :
Toutesfois, par ma foy, ma bouche
Meshuy un seul mot n’en dira.
Une autre fois, il en yra
Ainsi qu’il en pourra aller :
Il le me convient avaller
Sans mascher… Or çà, je disoye,
A mon propos, comment j’avoye
Baillé six aulnes… Doy-je dire
Mes brebis… Je vous en pry, sire,
Pardonnez-moy… Ce gentil maistre…
Mon bergier, quant il devoit estre
Aux champs… Il me dit que j’auroye

Six escus d’or, quant je viendroye…
Dy-je, depuis trois ans en çà.
Mon bergier me convenança
Que loyaument me garderoit
Mes brebis, et ne m’y feroit
Ne dommaige ne villenie…
Et puis, maintenant il me nie
Et drap et argent plainement !
Ah ! maistre Pierre, vrayement,
Ce ribaut-cy m’embloit les laines
De mes bestes ; et, toutes saines.
Les fesoit mourir et perir,
Par les assommer et ferir
De gros baston sur la cervelle…
Quant mon drap fut soubz son aisselle,
Il se mist en chemin grant erre,
Et me dist que j’allasse querre
Six escus d’or en sa maison…

Le Juge.

Il n’y a rime ne raison
En tout quant que vous rafardez.
Qu’est cecy ? Vous entrelardez
Puis d’un, puis d’autre. Somme toute.
Par le sang bieu ! je n’y voy goute !
Il brouille de drap, et babille
Puis de brebis, au coup la quille !
Chose qu’il dit ne s’entretient.

Pathelin.

Or, je m’en fais fort, qu’il retient
Au povre bergier son salaire.

Le Drappier.

Par Dieu ! vous en peussiez bien taire !
Mon drap, aussi vray que la messe…
Je sçay mieux où le bas m’en blesse,
Que vous ne un autre ne sçavez…
Par la teste bieu ! vous l’avez !

Le Juge.

Qu’est-ce qu’il a ?

Le Drappier.

Qu’est-ce qu’il a ? Rien, monseigneur.
Certainement, c’est le greigneur
Trompeur… Holà ! je m’en tairay
Si je puis, et n’en parleray
Meshuy, pour chose qu’il advienne.

Le Juge.

Et non ! Mais qu’il vous en souvienne !
Or, concluez appertement !

Pathelin.

Ce bergier ne peut nullement

Respondre aux fais que l’on propose,
S’il n’a du conseil ; et il n’ose
Ou il ne scet en demander.
S’il vous plaisoit moy commander
Que je fusse à luy, je y seroye.

Le Juge.

Avecques luy ? Je cuideroye
Que ce fust trestoute froidure :
C’est peu d’acquest.

Pathelin.

C’est peu d’acquest. Mais je vous jure
Qu’aussi n’en veuil rien avoir :
Pour Dieu soit ! Or, je voys sçavoir
Au pauvret, qu’il voudra me dire,
Et s’il me sçaura point instruire
Pour respondre aux fais de partie.
Il auroit dure departie
De ce, qui ne le secourroit !
Vien çà, mon amy. Qui pourroit
Prouver ?… Entens ?

Le Bergier.

Prouver ?… Entens ? Bée !

Pathelin.

Prouver ?… Entens ? Bée ! Quel Bée, dea ?

Par le sainct Sang que Dieu crea !
Es-tu fol ? Dy-moy ton affaire.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Quel Bée ? Oys-tu tes brebis braire ?
C’est pour ton prouffit : entens-y.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Et dy : Ouy ou Nenny,
C’est bien faict. Dy tousjours. Feras ?

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Plus haut ! Ou tu t’en trouveras
En grans depens, ou je m’en doubte,

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Or est plus fol cil qui boute
Tel fol naturel en procès !
Ha ! sire, renvoyez-l’en à ses
Brebis. Il est fol de nature.

Le Drappier.

Est-il fol ? Sainct Sauveur d’Esture !
Il est plus saige que vous n’estes.

Pathelin.

Envoyez-le garder ses bestes.
Sans jour que jamais ne retourne.
Qtie maudit soit-il qui adjourne
Tels folz, que ne fault adjourner !

Le Drappier.

Et l’en fera-l’en retourner
Avant que je puisse estre ouy !

Pathelin.

M’aist Dieu ! Puis qu’il est fol, ouy.
Pourquoy ne fera ?

Le Drappier.

Pourquoy ne fera ? Hé dea, sire,
Au moins, laissez-moy avant dire
Et faire mes conclusions.
Ce ne sont pas abusions
Que je vous dy, ne mocqueries !

Le Juge.

Çe sont toutes tribouilleries,

Que de plaider à folz ne à folles !
Escoutez : à moins de parolles,
La Court n’en sera plus tenue.

Le Drappier.

S’en iront-ilz, sans retenue
De plus revenir !

Le Juge.

De plus revenir ! Et quoy doncques ?

Pathelin.

Revenir ? Vous ne veistes oncques
Plus fol, ne en faict, ne en response :
Et cil ne vault pas mieulx une once.
Tous deux sont folz et sans cervelle :
Par saincte Marie la belle !
Eux deux n’en ont pas un quarat.

Le Drappier.

Vous l’emportastes, par barat,
Mon drap, sans paye, maistre Pierre !
Par la chair bieu, ne par sainct Pierre !
Ce ne fut pas faict de preud’homme.

Pathelin.

Or, je regny sainct Pierre de Romme,
S’il n’est fin fol, ou il affolle !

Le Drappier.

Je vous cognois à la parolle,
Et à la robbe, et au visaige.
Je ne suis pas fol ; je suis saige,
Pour congnoistre qui bien me faict.
Je vous compteray tout le faict,
Monseigneur, par ma conscience.

Pathelin.

Hé, sire, imposez-luy silence !

Au Drappier.

N’avous honte de tant debatre
A ce bergier, pour trois ou quatre
Vieilz brebiailles ou moutons,
Qui ne valent pas deux boutons ?
Il en faict plus grand kyrielle !…

Le Drappier.

Quelz moutons ? Cest une vielle :
C’est à vous-mesme que je parle,
A vous ! Et me le rendrez, par le
Dieu qui voult à Noël estre né !

Le Juge.

Veez-vous ! Suis-je bien assené ?
Il ne cessera huy de braire.

Le Drappier.

Je luy demande…

Pathelin, au Juge.

Je luy demande… Faictes-le taire !

Au Drappier.

Et, par Dieu, c’est trop flageollé.
Prenons qu’il en ait affollé
Six ou sept, ou une douzaine,
Et mengez en sanglante estraine :
Vous en estes bien meshaigné !
Vous avez plus que tant gaigné,
Au temps qu’il les vous a gardez.

Le Drappier.

Regardez, sire ; regardez !
Je luy parle de drapperie,
Et il respond de bergerie !
Six aulnes de drap, où sont elles,
Que vous mistes soubz vos aisselles ?
Pensez-vous point de me les rendre ?

Pathelin.

Ha ! sire, le ferez-vous pendre
Pour six ou sept bestes à laine ?
Au moins, reprenez vostre halaine :
Ne soyez pas si rigoureux

Au povre bergier douloureux,
Qui est aussi nud comme un ver !

Le Drappier.

C’est très-bien retourné le ver !
Le Dyable me fist bien vendeur
De drap à ung tel entendeur !

Au Juge.

Dea, monseigneur, je luy demande…

Le Juge, au Drappier.

Je l’absoulz de vostre demande.
Et vous deffens le proceder.
C’est un bel honneur de plaider
A ung fol !…

Au Bergier.

A ung fol !…Va-t’en à tes bestes.

Le Bergier.

Bée !

Le Juge, au Drappier.

Bée ! Vous monstrez bien quel vous estes
Sire, par le sang Nostre Dame !

Le Drappier.

Hé dea, monseigneur, bon gré m’ame,
Je luy vueil…

Pathelin.

Je luy vueil… S’en pourroit-il taire ?

Le Drappier, à Pathelin.

Et c’est à vous que j’ay affaire :
Vous m’avez trompé faulcement,
Et emporté furtivement
Mon drap, par vostre beau langaige.

Pathelin, au Juge.

Ho ! j’en appelle à mon couraige :
Et vous l’oyez bien, monseigneur.

Le Drappier.

M’aist Dieu ! vous estes le greigneur
Trompeur !…

Au Juge.

Trompeur !… Monseigneur, quoy qu’on die…

Le Juge.

C’est une droicte conardie
Que de vous deux : ce n’est que noise.

Il se lève.

M’aist Dieu, je loe que je m’en voise.

Au Bergier.

Va-t’en, mon amy ; ne retourne
Jamais, pour sergent qui t’adjourne.
La Cour t’absout : entends-tu bien ?

Pathelin, au Bergier.

Dy grand mercy.

Le Bergier.

Bée !

Le Juge, au Bergier.

Bée ! Dy-je bien ?
Va-t’en, ne te chault ; autant vaille.

Le Drappier.

Mais est-ce raison qu’il s’en aille
Ainsi ?

Le Juge.

Ainsi ? Ouy. J’ay affaire ailleurs.
Vous estes par trop grands railleurs :
Vous ne m’y ferez plus tenir :
Je m’en voys. Voulez-vous venir
Souper avec moy, maistre Pierre ?

Pathelin.

Je ne puis.

Le Juge s’en va.


Scène V.


PATHELIN, LE DRAPPIER, LE BERGIER.

Le Drappier, à Pathelin.

Je ne puis. Ha ! qu’es-tu fort lierre !
Dictes : seray-je point payé ?

Pathelin.

De quoy ? Estes-vous desvoyé ?
Mais qui cuidez-vous que je soye ?
Par le sang de moy ! je pensoye
Pour qui c’est que vous me prenez.

Le Drappier.

Hé, dea !

Pathelin.

Hé, dea ! Beau sire, or vous tenez.
Je vous diray, sans plus attendre,
Pour qui vous me cuidez prendre :
Est-ce point pour escervellé ?
Voy : nenny, il n’est point pellé,
Comme je suis, dessus la teste.

Le Drappier.

Me voulez-vous tenir pour beste ?
C’estes-vous en propre personne,
Vous de vous : vostre voix le sonne,
Et ne le croy point aultrement.

Pathelin.

Moy de moy ! Non suis, vrayement.
Ostez-en vostre opinion.
Seroit-ce point Jean de Noyon ?
Il me ressemble de corsaige.

Le Drappier.

Hé dea ! il n’a pas le visaige
Ainsy potatif, ne si fade.
Ne vous laissay-je pas malade
Orains dedans vostre maison ?

Pathelin.

Ha ! que vecy bonne raison !
Malade ! Et quelle maladie ?
Confessez vostre conardie :
Maintenant elle est bien clere.

Le Drappier.

C’estes vous ! je regnie sainct Pierre !
Vous, sans aultre, je le sçay bien
Pour tout vray !

Pathelin.

Pour tout vray ! Or n’en croyez rien ;
Car, certes, ce ne suis-je mye.
De vous, onc aulne ne demye
Ne prins : je n’ay pas le loz tel

Le Drappier.

Ha ! je voys veoir en vostre hostel,
Par le sang bieu, se vous y estes.
Nous n’en debatrons plus nos testes
Icy, se je vous treuve là.

Pathelin.

Par Nostre Dame, c’est cela :
Par ce poinct le sçaurez-vous bien.

Le Drappier sort.




Scène VI.


PATHELIN, LE BERGIER.

Pathelin.

Dy, Aignelet ?

Le Bergier.

Dy, Aignelet ? Bée !

Pathelin.

Dy, Aignelet ? Bée ! Vien çà, vien ?
Ta besogne est-elle bien faicte ?

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Ta partie est retraicte :
Ne dy plus Bée; il n’y a force.
Luy ay-je baillé belle estorse ?
T’ay-je point conseillé à poinct ?

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Hé dea ! On ne te orra point !
Parle hardiment : ne te chaille.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Il est jà temps que je m’en aille.
Paye-moy.

Le Bergier.

Paye-moy. Bée !

Pathelin.

Paye-moy. Bée ! A dire voir,
Tu as très-bien faict ton devoir,
Et aussy bonne contenance.
Ce qui luy a baillé l’advance,
C’est que tu t’es tenu de rire.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Quel Bée ! Il ne le fault plus dire.
Paye-moy bien et doulcement.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Quel Bée ! Parle sagement,
Et me paye ! Si m’en iray.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Scez tu quoy je te diray ?
Je te prie, sans plus m’abayer,
Que tu penses de moy payer.
Je ne vueil plus de bayerie.
Paye-moy.

Le Bergier.

Paye-moy. Bée !

Pathelin.

Paye-moy. Bée ! Est-ce mocquerie ?
Est-ce à tant que tu en feras ?
Par mon serment ! tu me payeras,
Entends-tu, se tu ne t’envolles !
Çà, argent.

Le Bergier.

Ça, argent. Bée !

Pathelin.

Ça, argent. Bée ! Tu te rigolles !

Se parlant à lui-même.

Comment ! N’en auray-je autre chose ?

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Tu fais le rimeur en prose !
Et à qui vends-tu tes coquilles ?
Scez-tu qu’il est ? Ne me babilles
Meshuy de ton Bée, et me paye.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! N’en auray-je autre monnoye ?
A qui cuides-tu te jouer ?
Et je me devoye tant louer
De toy ! Or fay que je m’en loë.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Me fais-tu manger de l’oë ?
Maugré bieu ! Ay-je tant vescu
Qu’un bergier, un mouton vestu,
Un villain paillart, me rigolle ?

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! N’en auray-je autre parolle ?
Se tu le fais pour toy esbatre,
Dy-le : ne m’en fais plus debatre.
Vïen-t’en souper à ma maison.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Par sainct Jean ! tu as bien raison :
Les oysons menent les oes paistre.

À lui-même.

Or cuidois-je estre sur tous maistre
Des trompeurs d’icy et d’ailleurs,
Des forts coureux, et des bailleurs
De parolles en payement,
A rendre au jour du jugement :
Et un bergier des champs me passe !

Au Bergier.

Par sainct Jacques ! si je trouvasse
Un bon sergent, te feisse prendre.

Le Bergier.

Bée !

Pathelin.

Bée ! Heu, Bée ! L’en me puisse pendre,
Se je ne voys faire venir
Un bon sergent ! Mesavenir
Luy puisse-il, s’il ne t’emprisonne !

Le Bergier, s’enfuyant.

S’il me treuve, je luy pardonne !


cy fine pathelin