La Duchesse de Chevreuse
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 12 (p. 929-979).
II  ►
LA DUCHESSE


DE CHEVREUSE




PREMIERE PARTIE.


MADAME DE CHEVREUSE ET RICHELIEU.




Si les lecteurs de la Revue ne sont pas fatigués de nos portraits de femmes du XVIIe siècle, nous voudrions bien leur présenter encore deux figures nouvelles, également, mais diversement remarquables, deux personnes que le caprice du sort jeta dans le même temps, dans le même parti, parmi les mêmes événemens, et qui, loin de se ressembler, expriment pour ainsi dire les deux côtés opposés du caractère et de la destinée de la femme : toutes deux d’une beauté ravissante, d’un esprit merveilleux, d’un courage à toute épreuve ; mais l’une aussi pure que belle, unissant en elle la grâce et la majesté, semant partout l’amour et imprimant le respect, quelque temps l’idole et la favorite d’un roi, sans que l’ombre même d’un soupçon injurieux ait osé s’élever jusqu’à elle, fière jusqu’à l’orgueil envers les heureux et les puissans, douce et compatissante aux opprimés et aux misérables, aimant la grandeur et ne mettant que la vertu au-dessus de la considération, mêlant ensemble le bel esprit d’une précieuse, les délicatesses d’une beauté à la mode, l’intrépidité d’une héroïne, la dignité d’une grande dame, par-dessus tout chrétienne sans bigoterie, mais fervente et même austère, et ayant laissé après elle une odeur de sainteté ; l’autre, peut-être plus séduisante, d’une grâce et d’une vivacité irrésistible, pleine d’esprit et fort ignorante, jetée dans toutes les extrémités du parti catholique et ne pensant guère à la religion, trop grande dame pour daigner connaître la retenue et n’ayant d’autre frein que l’honneur, livrée à la galanterie et comptant pour rien tout le reste, méprisant pour celui qu’elle aimait le péril, l’opinion, la fortune, plus remuante qu’ambitieuse, jouant volontiers sa vie et celle des autres, et après avoir passé sa jeunesse dans des intrigues de toute sorte, traversé plus d’un complot, laissé sur sa route plus d’une victime, parcouru toute l’Europe en exilée à la fois et en conquérante et tourné la tête à des rois, après avoir vu Chalais monter sur un échafaud, Châteauneuf chassé du ministère, le duc de Lorraine presque dépouillé de ses états, Buckingham assassiné, le roi d’Espagne engagé dans une guerre de plus en plus malheureuse, la reine Anne humiliée et vaincue et Richelieu triomphant, soutenant jusqu’au bout la lutte, toujours prête, dans ce jeu de la politique, devenu pour elle un besoin et une passion, à descendre aux menées les plus ténébreuses ou à se porter aux résolutions les plus téméraires ; d’un coup d’œil incomparable pour reconnaître la vraie situation et l’ennemi du moment, d’un esprit assez ferme et d’un cœur assez hardi pour entreprendre de le détruire à tout prix ; amie dévouée, ennemie implacable presque sans connaître la haine, l’adversaire enfin le plus redoutable qu’aient rencontré tour à tour Richelieu et Mazarin. On entrevoit que nous voulons parler de Mme de Hautefort et de Mme de Chevreuse.

Est-il besoin d’ajouter que nous n’entendons pas tracer ici des poitraits de fantaisie, et que si parfois nous avons l’air de raconter des aventures de roman, c’est en nous conformant à toute la sévérité des lois de l’histoire. On peut donc compter et bientôt on reconnaîtra que ces peintures en apparence légères méritent toute confiance, et qu’elles reposent ou sur des témoignages contemporains éprouvés ou même sur des documens authentiques, aussi certains que nouveaux, et qui peuvent défier la critique la plus scrupuleuse. Nous commencerons par Mme de Chevreuse. Elle remonte un peu plus haut dans le XVIIe siècle que Mme de Hautefort ; elle la précède au moins si elle ne la surpasse. Il faut dire aussi qu’elle a occupé une situation plus élevée, joué un rôle plus considérable, et que son nom appartient à l’histoire politique aussi bien qu’à celle de la société et des mœurs.

Mme de Chevreuse en effet a possédé presque toutes les qualités du grand politique ; une seule lui a manqué, et celle-là précisément sans laquelle toutes les autres tournent en ruine : elle ne savait pas se proposer un juste but, ou plutôt elle ne choisissait pas elle-même ; c’était un autre qui choisissait pour elle. Mme de Chevreuse était femme au plus haut degré ; c’était là sa force et aussi sa faiblesse. Son premier ressort était l’amour ou plutôt la galanterie, et l’intérêt de celui qu’elle aimait lui devenait son principal objet[1]. Voilà ce qui explique les prodiges de sagacité, de finesse et d’énergie qu’elle a déployés en vain à la poursuite d’un but chimérique qui reculait toujours devant elle, et semblait l’attirer par le prestige même de la difficulté et du péril. La Rochefoucauld l’accuse d’avoir porté malheur à tous ceux qu’elle a aimés[2] ; il est aussi vrai de dire que tous ceux qu’elle a aimés l’ont précipitée à leur suite dans des entreprises insensées. Ce n’est pas elle apparemment qui a fait de Buckingham une sorte de paladin sans génie, de Charles IV un brillant aventurier, de Chalais un étourdi assez fou pour s’engager contre Richelieu sur la foi du duc d’Orléans, de Châteauneuf un ambitieux impatient du second rang sans être capable du premier. Il ne faut pas croire que l’on connaît Mme de Chevreuse quand on a lu le portrait célèbre que Retz en a tracé, car ce portrait est outré et chargé comme tous ceux de Retz, et destiné à amuser la curiosité maligne de Mme de Caumartin : sans être faux, il est d’une sévérité poussée jusqu’à l’injustice. Appartenait-il bien, en vérité, au remuant et déréglé coadjuteur d’être le censeur impitoyable d’une femme dont il a partagé les égaremens ? Ne s’est-il pas trompé tout autant et bien plus longtemps qu’elle ? A-t-il montré dans le combat plus d’adresse et de courage, et dans la défaite plus d’intrépidité et de constance ? Mais Mme de Chevreuse n’a pas écrit des mémoires d’un style aisé et piquant où elle relève sa personne aux dépens de tout le monde. Pour nous, nous lui reconnaissons deux juges, et qui ne sont pas suspects, Richelieu et Mazarin. Richelieu a tout fait pour la gagner, et, n’y pouvant parvenir, il l’a traitée comme une ennemie digne de lui : plusieurs fois il l’a exilée, et quand après sa mort les portes de la France s’ouvraient à tous les proscrits, son implacable ressentiment, lui survivant dans l’âme de Louis XIII expirant, les fermait à Mme de Chevreuse. Lisez avec attention les carnets et les lettres confidentielles de Mazarin, vous y verrez la profonde et continuelle inquiétude qu’elle lui inspire en 1643. Plus tard, pendant la Fronde, il s’est fort bien trouvé de s’être réconcilié avec elle, et d’avoir suivi ses conseils, aussi judicieux qu’énergiques. Enfin, en 1660, quand Mazarin, victorieux de toutes parts, ajoute le traité des Pyrénées à celui de Westphalie, et que don Luis de Haro le félicite du repos qu’il va goûter après tant d’orages, le cardinal lui répond qu’on ne se peut promettre de repos en France, et que les femmes même y sont fort à craindre. « Vous autres Espagnols, lui dit-il, vous en parlez bien à votre aise, vos femmes ne se mêlent que de faire l’amour ; mais en France ce n’est pas de même, et nous en avons trois qui seraient capables de gouverner ou de bouleverser trois grands royaumes : la duchesse de Longueville, la princesse Palatine et la duchesse de Chevreuse[3]. »

Un mot d’abord de la beauté de Mme de Chevreuse, car cette beauté a fait une grande partie de sa destinée. Tous les témoignages contemporains s’accordent à la célébrer. Un portrait, à peu près de grandeur naturelle, que possède M. le duc de Luynes et qu’il a bien voulu nous laisser voir[4], lui donne une taille ravissante, le plus charmant visage, de grands yeux bleus, de fins et abondans cheveux d’un blond châtain, le plus beau sein, et dans toute sa personne un piquant mélange de délicatesse et de vivacité, de grâce et de passion. C’est bien là le caractère de la beauté de Mme de Chevreuse ; on le retrouve dans l’excellente gravure de Daret[5], que Harding a reproduite en Angleterre, et jusque dans le tableau de Ferdinand Elle[6], qui l’a peinte en veuve et déjà vieille. On sent encore en ce dernier portrait que la grande beauté a passé par là, et la finesse, la distinction, la vivacité et la grâce ont survécu.


I

Marie de Rohan, fille aînée d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon, et de Madeleine de Lenoncourt, sa première femme, née en décembre 1600, épousa en 1617 cet audacieux favori de Louis XIII, qui, sur la foi de la mobile amitié d’un roi, osa entreprendre de renverser l’autorité de la reine-mère, Marie de Médicis, détruisit le maréchal d’Ancre, combattit à la fois les princes et les protestans, et commença contre Richelieu lui-même le système de Richelieu. Disons-le en passant : n’est-il pas indigne de l’histoire de rapporter l’élévation de Luynes à un caprice de roi, qui prend un de ses pages, un petit gentilhomme, pour en faire un premier ministre, parce qu’il le trouve habile dans l’art de dresser des faucons ? C’est là peut-être l’origine de la fortune de Luynes, ce n’en est pas le fondement. Ce petit gentilhomme, fils du capitaine de Luynes, comme on l’appelait, un des officiers les plus courageux et les plus intelligens d’Henri IV, était lui-même un homme d’esprit et de cœur, qui remit en honneur et maintint tant qu’il vécut, sous l’inspiration directe de Louis XIII, l’œuvre du grand roi, que Richelieu avait d’abord combattue en sa qualité de favori de Marie de Médicis, et que plus tard il reprit avec une grandeur incomparable, se tournant peu à peu contre ses anciens amis et sa première protectrice, au point de la faire exiler, précisément comme avait fait Luynes. Le jeune et ambitieux connétable était fait pour plaire au cœur hardi de la belle Marie, et elle l’aima très fidèlement[7]. Elle en eut une fille, morte sans alliance dans la plus haute dévotion, et un fils qui joua un certain rôle au XVIIe siècle par ses liaisons avec Port-Royal, traduisit en français les Méditations de Descartes, écrivit, sous le nom de M. de Laval, d’estimables livres de piété, et continua l’illustre maison.

La duchesse et connétable de Luynes, restée veuve en 1621, épousa en secondes noces, en 1622, Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, un des fils de Henri de Guise, grand chambellan de France, dont le plus grand mérite était celui de son nom, accompagné de la bonne mine et de la vaillance qui ne pouvaient manquer à un prince de la maison de Lorraine, d’ailleurs sans nul ordre dans ses affaires, et bien peu édifiant dans ses mœurs, ce qui explique et atténue les torts de sa femme. De ce nouveau mariage vinrent trois filles : deux qui moururent en religion, et la troisième, la belle et célèbre Mme de Chevreuse, qui eut la faiblesse d’écouter Retz, à ce que Retz nous assure, et qu’en récompense il n’a pas oublié de peindre en caricature, pour divertir celle à laquelle il écrivait[8].

La nouvelle duchesse de Chevreuse avait été nommée, du temps de son premier mari, surintendante de la maison de la reine, et elle était bientôt devenue la favorite d’Anne d’Autriche, comme le connétable était le favori de Louis XIII. La cour était alors très brillante, et la galanterie à l’ordre du jour. Marie de Rohan était naturellement vive et hardie ; elle céda aux séductions du plaisir et de la jeunesse ; elle eut des amans, et ses amans la jetèrent dans la politique. Retz lui-même en convient dans ce passage, trop fameux pour que nous puissions ne pas le donner ici, après avoir bien averti que, si le fond a quelque vérité, la couleur en est exagérée à plaisir : « Je n’ai jamais vu qu’elle, dit-il[9], en qui la vivacité suppléât au jugement. Elle lui donnoit même assez souvent des ouvertures si brillantes qu’elles paroissoient comme des éclairs, et si sages qu’elles n’eussent pas été désavouées par les plus grands hommes de tous les siècles. Ce mérite toutefois ne fut que d’occasion. Si elle fût venue dans un siècle où il n’y eût point eu d’affaires, elle n’eût pas seulement imaginé qu’il y en pût avoir. Si le prieur des chartreux lui eût plu, elle eût été solitaire de bonne foi. M. de Lorraine la jeta dans les affaires, le duc de Buckingham et le comte de Holland l’y entretinrent, M. de Châteauneuf l’y amusa. Elle s’y abandonna parce qu’elle s’abandonnoit à tout ce qui plaisoit à celui qu’elle aimoit, sans choix, et purement parce qu’il falloit qu’elle aimât quelqu’un. Il n’étoit pas même difficile de lui donner un amant de partie faite ; mais dès qu’elle l’avoit pris, elle l’aimoit uniquement et fidèlement, et elle nous a avoué, à Mme de Rhodes et à moi, que par un caprice, disoit-elle, elle n’avoit jamais aimé ce qu’elle avoit estimé le plus, à la réserve du pauvre Buckingham. Son dévouement à la passion qu’on pouvoit dire éternelle, quoiqu’elle changeât d’objet, n’empêchoit pas qu’une mouche lui donnât des distractions[10] ; mais elle en revenoit toujours avec des emportemens qui les faisoient trouver agréables. Jamais personne n’a fait moins d’attention sur les périls, et jamais femme n’a eu plus de mépris pour les scrupules et pour les devoirs ; elle ne connoissoit que celui de plaire à son amant. » De cette peinture, qui eût fait envie à Tallemant, retenez au moins ces traits frappans et fidèles : le coup d’œil prompt et sûr de Mme de Chevreuse, son courage à toute épreuve, sa loyauté et son dévouement en amour. D’ailleurs Retz se trompe entièrement sur l’ordre de ses aventures, il en oublie et il en invente ; il a l’air de regarder comme des bagatelles les événemens auxquels les passions de Mme de Chevreuse lui firent prendre part, tandis qu’il n’y en a pas eu de plus grands, de plus tragiques même. Laissons là le ton léger et railleur, et mettons à sa place la vérité.

La jeune reine Anne d’Autriche et sa jeune surintendante, qui étaient à peu près du même âge, ne s’occupèrent d’abord que de passe-temps frivoles. Anne, négligée par son mari, trouvait sa consolation dans la société et dans l’humeur vive et enjouée de Mme de Chevreuse. Elles passaient leur vie ensemble, et se faisaient de toutes choses « une matière agréable à leur gaieté, à leur plaisanterie : a giovine cuor tutto è giuoco[11]. » Lord Rich, depuis le célèbre comte de Holland, était venu à la cour de France, à la fin de 1624 ou au commencement de 1625, demander pour le prince de Galles, qui devint bientôt Charles Ier, la main de Madame, la belle Henriette, sœur de Louis XIII Pendant cette négociation, le comte de Holland s’éprit de Mme de Chevreuse. Il était jeune et d’une beauté remarquable : il lui plut[12], et la mit dans les intérêts de l’Angleterre. Voilà, je crois, le vrai début de Mme de Chevreuse dans l’amour et dans les affaires. Holland, qui était léger, homme de plaisir et d’intrigue, lui persuada d’engager sa royale amie dans quelque belle passion semblable à la leur. Anne d’Autriche était vaine et coquette, elle aimait à plaire, et avec le goût de son pays pour la belle galanterie et dans l’abandon où la laissait Louis XIII, elle ne s’interdisait pas de recevoir des hommages ; mais ici le jeu n’était pas sans danger, et le beau, le magnifique Buckingham parvint à troubler assez sérieusement le cœur de la reine. Ce ne fut pas la faute de Mme de Chevreuse si Anne d’Autriche ne succomba pas tout à fait. Buckingham était entreprenant, la surintendante fort complaisante, et la reine ne se sauva qu’à grand’peine[13].

Quoi qu’en dise Retz, nous doutons fort que Buckingham ait été autre chose à Mme de Chevreuse que l’intime ami de son amant, le chef du parti dans lequel Holland l’entraîna. Nous ne saurions où placer les amours de Buckingham et de Mme de Chevreuse. Elle le vit pour la première fois quand il vint en France, au mois de mai 1625, pour épouser Madame au nom de Charles Ier, et alors Buckingham était dans toute la folie de sa passion pour la reine Anne, et Mme de Chevreuse aimait le comte de Holland, qu’elle alla rejoindre en Angleterre, ayant eu l’art de se faire nommer pour y conduire avec son mari la nouvelle princesse de Galles. Or, quand Mme de Chevreuse aimait, Retz le dit lui-même, elle aimait fidèlement et uniquement. Ce n’est pas à vingt-quatre ans qu’on se moque d’un premier attachement au point de vouloir donner son propre amant à une autre, et le rôle de la pauvre femme n’est déjà pas assez beau dans cette affaire pour se complaire à l’enlaidir encore. Mme de Chevreuse, il est vrai, se trouva mal en apprenant la nouvelle de l’assassinat de Buckingham. Rien de plus naturel : elle perdait en lui un ami éprouvé, le confident et le témoin de ses premières amours, le chef et l’espoir des ennemis de Richelieu. Aux propos hasardés de Retz il faut opposer le récit clair et bien lié de La Rochefoucauld, surtout le silence de Tallemant, qui n’aurait pas manqué d’ajouter ce trait à sa chronique scandaleuse, s’il en avait jamais entendu parler. Ainsi, sans avoir la prétention de voir clair en de pareilles choses, surtout après deux siècles, mais en suivant nos habitudes de n’admettre rien que sur des témoignages certains, nous inclinons à penser qu’on doit rayer le duc de Buckingham de la liste, encore bien nombreuse, des amans de Mme de Chevreuse, et qu’au beau comte de Holland a succédé immédiatement le beau Chalais dans le cœur de la belle duchesse.

Sans faire de la conspiration de Chalais, comme le veut Richelieu, « la plus effroyable conspiration dont jamais les histoires aient fait mention[14], » on ne peut se refuser à admettre qu’elle n’était pas si peu de chose que l’a dit Chalais, tremblant pour sa tête. La cour de Monsieur était déjà un foyer d’intrigues contre Richelieu. Monsieur ne voulait pas du mariage qu’on lui proposait avec Mme de Montpensier, et de son côté la reine Anne, n’ayant pas encore d’enfans, redoutait fort ce même mariage, qui, dans l’avenir, pouvait lui enlever la couronne et la transporter dans la maison d’Orléans. Henri de Talleyrand, prince de Chalais, de la maison de Périgord, entreprit de venir en aide à Monsieur et à la reine : il rêva je ne sais quelle intrigue ténébreuse[15] que Richelieu exagéra peut-être, mais qu’il parvint à établir si fortement dans l’esprit du roi, que nonseulement Louis XIII lui abandonna Chalais, comme plus tard il lui abandonna Cinq-Mars, mais que toute sa vie il demeura persuadé que la reine avait trempé dans cette affaire, et qu’elle et Monsieur avaient eu la pensée, lui mort ou détrôné, de s’unir ensemble. Chalais, malgré les larmes de sa vieille mère, monta sur le premier échafaud dressé par Richelieu. Monsieur se tira d’affaires en épousant Mme de Montpensier, la reine tomba plus que jamais en disgrâce, et Mme de Chevreuse, lâchement dénoncée par le duc d’Orléans et par Chalais lui-même, qui, au moment de périr, démentit en vain ses premiers aveux, fut condamnée à sortir de France. Quelle part avait-elle eue dans cette conspiration ? Celle que l’amour à la fois et l’amitié lui avaient faite. Chalais était son amant, et elle était dévouée à la reine Anne. Elle n’avait pas plus imaginé ce complot-là que tous ceux que recommença si souvent le duc d’Orléans, sans en achever aucun ; mais, en y entrant, elle y dut porter son ardeur et son énergie. Richelieu dit, et nous l’en croyons, « qu’elle faisait plus de mal que personne[16]. » Elle apprit à ses dépens ce qu’il en coûte de trop aimer une reine. Anne d’Autriche en fut quitte pour courber un peu plus la tête, mais sa courageuse confidente vit l’homme qu’elle aimait périr par la main du bourreau, et elle-même, arrachée à toutes les douceurs de la vie, aux fêtes du Louvre et à son beau château de Dampierre, fut réduite à aller chercher un asile sur une terre étrangère. Aussi, dit Richelieu, « elle fut transportée de fureur. » Elle s’emporta jusqu’à dire « qu’on ne la connoissoit pas, qu’on pensoit qu’elle n’avoit d’esprit qu’à des coquetteries, qu’elle ferait bien voir, avec le temps, qu’elle étoit bonne à autre chose, qu’il n’y avoit rien qu’elle ne fit pour se venger, et qu’elle s’abandonnerait plutôt à un soldat des gardes qu’elle ne tirât raison de ses ennemis. » Elle voulait aller en Angleterre, où elle était sûre de l’appui de Holland, de Buckingham et de Charles Ier lui-même. Cette permission ne lui fut pas accordée ; on voulait même l’enfermer, et son mari eut de la peine à obtenir qu’elle se retirât en Lorraine.

On sait qu’au lieu d’un refuge, elle y trouva le plus éclatant triomphe. Elle éblouit, séduisit, entraîna l’impétueux et aventureux Charles IV[17]. Elle n’a pas été, comme le dit La Rochefoucauld et comme on l’a tant répété, la première cause des malheurs de ce prince ; non : la vraie cause des malheurs de Charles IV était dans son caractère, dans son ambition présomptueuse, ouverte à toutes les chimères, et qui rencontrait devant elle, en France, un politique tel que Richelieu. N’oublions pas que ces deux personnages étaient déjà brouillés bien avant que Mme de Chevreuse mît le pied à Nancy. Richelieu revendiquait plusieurs parties des états du duc, et celui-ci, placé entre l’Autriche et la France, commençait à se déclarer pour la première contre la seconde. C’était l’homme le plus fait pour entrer dans les sentimens de Mme de Chevreuse, comme elle était admirablement faite pour seconder ses desseins. Elle trouva Charles IV déjà lié à l’Autriche ; elle le lia à l’Angleterre, dont Buckingham disposait ; elle noua des intelligences avec la Savoie, et forma ainsi une ligue européenne, à laquelle elle donna à l’intérieur l’appui du parti protestant, que gouvernaient ses parens, Rohan et Soubise. Le plan était sérieux ; une flotte anglaise, conduite par Buckingham lui-même, devait débarquer à l’île de Ré et se joindre aux protestans de La Rochelle ; le duc de Savoie devait descendre à la fois dans le Dauphiné et dans la Provence, le duc de Rohan, à la tête des réformés, soulever le Languedoc, enfin le duc de Lorraine marcher sur Paris par la Champagne. L’agent principal de ce plan, chargé de porter des paroles à tous les intéressés, était mylord Montaigu, un des amis particuliers de Holland et de Buckingham, qui, dit-on, s’était laissé séduire aussi aux charmes de Mme de Chevreuse. Richelieu, averti par sa sagacité et par sa police, épiait toutes les démarches de Montaigu ; il osa le faire arrêter[18]) jusque sur le territoire lorrain, se saisit de ses papiers, découvrit toute la conjuration, et y fit face avec sa vigueur accoutumée. L’attaque principale sur l’île de Ré échoua ; Buckingham battu fut forcé à une retraite honteuse. Bientôt après La Rochelle céda à la constance et à l’habileté du cardinal, la coalition vaincue était dissoute, et l’Angleterre demandait la paix, en mettant parmi ses conditions les plus pressantes le retour en France de la belle exilée, devenue une puissance politique, pour laquelle on fait la paix et la guerre. « C’étoit une princesse aimée en Angleterre, à laquelle le roi portoit une particulière affection, et il la voudroit assurément comprendre en la paix, s’il n’avoit honte d’y faire mention d’une femme ; mais il se sentiroit très obligé si sa majesté ne lui faisoit point de déplaisir. Elle avoit l’esprit fort, une beauté puissante dont elle savoit bien user, ne s’amollissant par aucune disgrâce, et demeurant toujours en une même assiette d’esprit[19] : » portrait moins brillant, mais tout autrement sérieux et fidèle que celui de Retz, et qui pourrait bien être de la main même de Richelieu, étant assez vraisemblable que le cardinal, selon sa coutume, aura ici plutôt résumé à sa manière que reproduit textuellement les propositions de Montaigu. Quoi qu’il en soit, Richelieu, qui désirait vivement n’avoir plus sur les bras les Rohan, les protestans et l’Angleterre, afin de porter toutes ses forces contre l’Espagne, accepta la condition demandée, et Mme de Chevreuse revint à Dampierre.


II

Il y eut là quelques années de repos dans cette vie agitée. Marie de Rohan reparut à la cour dans toute sa beauté. Elle n’avait pas trente ans, et il était difficile de la voir impunément. Richelieu lui-même ne fut pas insensible à ses charmes[20] : il s’efforça de lui plaire, mais ses hommages ne furent point accueillis. Mme de Chevreuse préféra au tout-puissant cardinal un de ses ministres, celui sur lequel il avait le plus droit de compter : elle le lui enleva d’un regard, et le conquit au parti de la reine et des mécontens.

Charles de l’Aubépine, marquis de Châteauneuf, d’une vieille famille de conseillers et de secrétaires d’état, déjà chancelier des ordres du roi et gouverneur de Touraine, avait succédé on 1630 à Michel de Marillac dans le poste de garde des sceaux ; il le devait à la faveur de Richelieu et au dévouement qu’il lui avait montré. Il avait poussé ce dévouement bien loin, car il présida à Toulouse la commission qui jugea l’imprudent et infortuné Montmorency, et par là il mit à jamais contre lui les Montmorency et les Condé. Châteauneuf avait donc donné des gages sanglans à Richelieu, et ils semblaient inséparables. C’était un homme consommé dans les affaires, laborieux, actif, et doué de la qualité qui plaisait le plus au cardinal, la résolution ; mais il avait une ambition démesurée qu’il conserva jusqu’à la fin de sa vie, l’amour s’y joignant la rendit aveugle. On ne se peut empêcher de sourire quand on se rappelle ce que dit Retz, que Châteauneuf amusa Mme de Chevreuse avec les affaires ; cet amusement-là était d’une espèce toute particulière : on y jouait sa fortune et quelquefois sa tête, et l’intrigue où l’un et l’autre s’engagèrent était si téméraire, que pour cette fois nous admettons que ce ne fut pas Châteauneuf qui y jeta Mme de Chevreuse, et que c’est elle bien plutôt qui y poussa le garde des sceaux.

Châteauneuf avait alors cinquante ans[21], et le sentiment qu’il avait conçu pour Mme de Chevreuse devait être une de ces passions fatales qui précèdent et qui marquent la fuite suprême de la jeunesse. Pour Mme de Chevreuse, elle partagea dans toute leur étendue les dangers et les malheurs de Châteauneuf, et jamais plus tard elle ne consentit à séparer sa fortune de la sienne. Elle portait au moins dans ses égaremens ce reste d’honnêteté, que, lorsqu’elle aimait quelqu’un, elle l’aimait avec une fidélité sans bornes, et que l’amour passé, il lui en demeurait une amitié inviolable. Déjà, depuis quelque temps, Richelieu s’était aperçu que son garde des sceaux n’était plus le même. On dit que pendant une maladie dont le cardinal pensa mourir, Anne d’Autriche donna un bal, et que Châteauneuf y parut et y dansa[22], folie insigne qui éclaira et irrita Richelieu. Au milieu de février 1633, le garde des sceaux fut arrêté, et tous ses papiers saisis. On y trouva cinquante-deux lettres de la main de Mme de Chevreuse où, sous des chiffres faciles à pénétrer et à travers un jargon transparent, on reconnaissait les sentimens de Châteauneuf et de la duchesse. Il y avait aussi beaucoup de lettres du chevalier de Jars, du comte de Holland, de Montaigu, de Puylaurens, du duc de Vendôme et de la reine d’Angleterre elle-même. Ces papiers furent apportés au cardinal, qui les garda ; après sa mort, on les trouva dans sa cassette, et ils arrivèrent ainsi en la possession du maréchal de Richelieu, qui les communiqua au père Griffet pour son Histoire du règne de Louis XIII. Une copie assez ancienne est aujourd’hui entre les mains de M. le duc de Luynes, dont l’esprit est trop élevé pour songer à dérober à l’histoire les fautes, d’ailleurs bien connues, de son illustre aïeule, surtout quand ces fautes portent encore la marque d’un noble cœur et d’un grand caractère. Nous avons pu examiner à loisir ces curieux manuscrits, et particulièrement les lettres de Mme de Chevreuse. On y voit que Richelieu était fort empressé auprès d’elle, qu’il lui rendait des soins, qu’il était jaloux[23] de Châteauneuf, et que celui-ci s’alarmait des ménagemens qu’elle gardait envers le premier ministre pour mieux cacher leur commerce et leurs trames. On ne lira pas sans intérêt divers passages de ces lettres encore inédites où se montre l’esprit délié à la fois et audacieux de la duchesse, son empire sur le garde des sceaux, et la haine intrépide qu’elle portait au cardinal parmi les habiles déférences qu’elle lui prodiguait.

« 28 Mme de Chevreuse) se plaint à 38 (Châteauneuf) de son serviteur, qui a si peu d’assurance en la générosité et amitié de son maître, et fait bien pis quand il demande si 28 le néglige pour l’avoir promis à 22 (Richelieu). Vous avez tort d’avoir eu cette pensée, et l’âme de 28 est trop noble pour qu’il y entre jamais de lâches sentimens. C’est pourquoi je ne considère non plus la faveur de 22 que sa puissance, et ne ferai jamais rien d’indigne de 28 pour le bien que je pourrais tirer de l’une ni pour le mal que me pourrait faire l’autre. Croyez cela si vous me voulez faire justice. Je vous la rendrai toute ma vie, et souhaite que vous y ayez de l’avantage, car je prendrai grand plaisir à vous contenter et j’aurai grand’ peine à vous déplaire. Voilà, en conscience, mes sentimens, et vous n’en avez point si vous manquez jamais à votre maître.

« 28 n’a point eu de nouvelles de 22 (Richelieu). S’il est aussi aise de n’ouïr point parler de 28 comme je le suis de n’ouïr plus parler de lui, il est bien content, et moi hors de la persécution dont le temps et notre bon esprit nous délivreront.

« La tyrannie de 22 s’augmente de momens en momens. Il peste et enrage de ce que 28 ne le va pas voir. Je lui avois écrit deux fois avec des complimens dont il est indigne, ce que je ne lui eusse jamais rendu sans la persécution que 57 ( ?) m’a faite pour cela, me disant que c’étoit acheter le repos. Je crois que les faveurs de 23 (le roi) ont mis au dernier point sa présomption. Il croit épouvanter 28 de sa colère, et se persuade, à mon opinion, qu’il n’y a rien que 28 ne fît pour l’apaiser ; mais 28 aime mieux se résoudre à périr qu’à faire des soumissions à 22. Sa gloire m’est odieuse. Il a dit à 57 que l’humeur de 28 étoit insupportable à un homme de cœur comme lui, et qu’il étoit résolu de ne rendre plus aucun devoir particulier à 28, puisque 28 n’étoit pas capable de donner à lui seul son amitié et sa confidence. C’est 38 seul que je veux qui sache ceci. Ne faites pas semblant à 57 de le savoir. Il a eu une petite brouillerie avec 28 à cause qu’il a été si intimidé par l’insolence de 22, qu’il a voulu persécuter 28 pour endurer bassement 22. J’estime tant le courage et l’affection de 38 que je veux qu’il sache tous les intérêts de 28. Elle se fie si entièrement en 38 qu’elle tient ses intérêts aussi chers entre ses mains qu’aux siennes. Aimez fidèlement votre maître, et quelle que persécution qu’on lui puisse faire, croyez qu’il se montrera toujours digne de l’être par toutes ses actions.

« Je ne vous fais point d’excuse de ne vous avoir pas écrit aujourd’hui, mais je veux que vous croyez que je n’ai pas laissé de songer souvent à vous, quoique mes lettres ne vous l’ayent pas témoigné. Je ne vous saurois bien représenter l’entrevue de 22 et de 28 qu’en vous disant qu’il témoigne à votre maître autant de passion que 28 en a cru autrefois dans le cœur de 33 ( ?) ; mais comme 28 l’a toujours estimée véritable là, elle la croit fausse en celui de 22, qui dit n’avoir plus de réserve pour 28, voulant faire absolument tout ce que 28 lui ordonnera, pourvu que 28 vive en sorte avec lui qu’il lui puisse assurer d’être en son estime et confiance par-dessus tout ce qui est sur la terre…

« Je suis désespérée de ce que 22 a mandé à 28 ce soir. Il lui a envoyé un exprès pour la conjurer de deux choses : l’une pour l’intérêt de 28 et l’autre pour la satisfaction de 22 ; la première, de ne point parler à Brion (François-Christophe de Levis, comte de Brion, un des favoris du duc d’Orléans, le futur duc de Damville) ; la seconde de ne point voir 38 ; en ce dernier seul est ma peine. Toutefois ma résolution de témoigner mon affection à 38 est plus forte que toute la considération de 22. C’est pourquoi j’ai mandé à 22 que je ne me pouvois pas défendre des prières que M. de Chevreuse me fait de voir 38 pour mille affaires qu’il a. La plus grande que j’aye est de me revenger des obligations que j’ai à 38, à qui je suis plus véritablement que toutes les personnes du monde.

« Je ne doute pas de la peine où est 38, et vous proteste que 28 la partage bien s’en croyant la cause. Mandez-moi comment je vous pourrai voir sans que 22 le sache, car je ferai tout ce que vous jugerez à propos pour cela, souhaitant passionément de vous entretenir, et ayant bien des choses à vous dire qui ne se peuvent pas bien expliquer par écrit, surtout touchant 37 ( ?) et 22, mais du dernier beaucoup davantage, l’ayant vu ce soir et trouvé plus résolu à persécuter 28 que jamais. Il est sorti bien d’avec elle, mais jamais 28 ne l’a trouvé comme aujourd’hui, si inquiet, et des inégalités telles en ses discours que souvent il se désespérait de colère, et en un moment s’apaisoit et étoit dans des humilités extrêmes. Il ne peut souffrir que 28 estime 38, et ne saurait l’empêcher, je vous le promets, mon fidèle serviteur, que j’appelle ainsi parce que je le crois tel. Adieu, il faut que je vous voye à quelque prix que ce soit, faites-moi réponse, et prenez garde à 22, car il épie 28 et 38, en qui 28 se fie comme à elle-même.

« Il est vrai que je voudrais avoir donné de ma vie et avoir vu hier 38. Je sortis le soir et faillis aller pour cela chez sa sœur (Elisabeth de l’Aubespine, qui avait épousé André de Cochefilet, comte de Vaucellas). Si 22 vous parle de la visite de 28, dites que ce fut pour l’affaire de la princesse de Guymenée (belle-sœur de Mme de Chevreuse) ; mais je veux que vous lui témoigniez être mal satisfait de votre maître et le mépriser. Je sais que 38 aura de la peine en cela. Toutefois il m’obéira parce qu’il est absolument nécessaire. C’est pourquoi je vous le recommande. Prenez-y occasion bien adroitement, et n’envoyez pas chez moi. Vous aurez souvent de mes nouvelles, et toute ma vie des preuves de mon affection. Je serai aujourd’hui où vous allez.

« Encore que je me porte mal, je ne veux pas laisser de vous dire comme s’est passée la visite de 28 à 22. Il lui a parlé de sa passion qu’il dit être au point de lui avoir causé son mal par le déplaisir du procédé de 28 avec 22. Il s’est étendu en de longs discours de plainte de la conduite de 28, surtout touchant 38, concluant qu’il ne pouvoit plus vivre dans les sentimens où il est pour 28, si 28 ne lui témoignoit d’être en d’autres pour lui que par le passé ; à quoi 28 a répondu qu’elle avoit toujours essayé de donner sujet à 22 d’être satisfait d’elle, et qu’elle vouloit lui en donner plus que jamais. Force gens ont interrompu souvent 22 et 28, qu’il a pressé au dernier point pour savoir comment 38 étoit avec 28, disant que tout le monde l’y croyoit en une intelligence extrême, ce que 28 a absolument désavoué. Je ne vous en veux dire davantage à cette heure, mais croyez que j’estime autant 38 que je méprise 22, et que je n’aurai jamais de secret pour 38 ni de confiance pour 22.

« Je vous confirme la promesse que je vous fis de la dernière religion. Si j’en ai fait quelque difficulté, ce n’est pas que j’aye changé de volonté depuis, mais ça été pour voir si vous étiez bien ferme dans la vôtre. Il est vrai en cette occasion que vous me priez de ce que je désire pour vous rendre plus coupable si vous y manquez, et moi plus excusable en ce que j’aurai fait.

« Pourvu que l’affection de 38 soit aussi parfaite que la bague qu’il a envoyée à 28, vous n’aurez jamais sujet de rougir pour avoir fait un mauvais présent à votre maître, ou lui de l’avoir reçu.

« Je veux partager avec vous le regret que vous avez de vous éloigner sans me voir. J’ai plus de haine de la tyrannie de 22 que 38, mais je la veux surmonter et non pas m’en plaindre, puisque le premier sera un effet de courage et le dernier seroit un acte de foiblesse. Jamais je n’eus tant d’envie de vous entretenir qu’à cette heure. 22 jure que 28 sera mal avec vous dans peu, que 38 n’aime pas 28 et en fait des railleries avec 47 (dame inconnue). Pour ce qui la regarde, je me moque de cela ; je crois 38 fidèle et affectionné pour moi et le serai toute ma vie pour lui, pourvu que, comme il a mérité que j’aye pris cette bonne opinion de lui, il ne se rende pas digne que je la perde. Je suis au désespoir de ne pouvoir vous envoyer aujourd’hui la peinture de 28, que je vous ai promise.

« Vous vous obligez à beaucoup ; mais il faut que vous sachiez que la moindre faute est capable de me fâcher extrêmement. C’est pourquoi prenez garde à ce que vous promettez. Cela serait déshonorant pour vous si vos actions n’étoient conformes à vos paroles et honteux à moi de le souffrir. Je vous dis encore un coup que vous ne vous engagiez pas tant, si vous n’êtes bien assuré de ne manquer jamais à rien. Je m’obligerai de peu tant que je ne me serai pas attendue à tout ; mais quand 38 me l’aura promis, et que je l’aurai reçu, 28 ne sera plus satisfait de lui si elle y remarque la moindre réserve. Je vous conseille, ne pouvant pas encore dire que je vous commande et ne voulant plus dire que je vous prie, de porter le diamant que je vous envoyé, afin que voyant cette pierre, qui a deux qualités, l’une d’être ferme, l’autre si brillante qu’elle paroit de loin et fait voir les moindres défauts, vous vous souveniez qu’il faut être ferme dans vos promesses pour qu’elles me plaisent, et ne point faire de fautes pour que je n’en remarque point.

« 22 est en meilleure humeur qu’il n’avoit été depuis son retour pour 28. Il m’a écrit ce soir qu’il étoit en des peines extrêmes de mon mal, que toutes les faveurs de 23 ne le touchoient point en l’état où j’étois, et que la gayeté que 38 avoit aujourd’hui a ôté l’opinion qu’il aime 28, à qui il a dit sa maladie sans que cela l’ait touché, et que si 28 avoit vu sa mine, elle le croirait le plus dissimulé ou le moins affectionné homme du monde, ce qui l’obligerait à ne l’aimer jamais ou à ne jamais le croire. Sur cela 28 promet à 38 que, ne se gouvernant pas par les advis de 22, elle fera les deux, l’aimant et le croyant toujours.

« Hier au soir 22 envoya savoir des nouvelles de 28 et lui écrivit qu’il mourait d’envie de la voir, qu’il avoit bien des choses à lui dire, étant plus que jamais à 28, qui fait peu de cas de cette protestation et beaucoup de celle que 38 lui a faite d’être absolument à elle. Demain je vous en dirai davantage. Aimez toujours votre maître, il se porte mal et n’est sorti ces deux jours que par contrainte ; mais en quelque état qu’il puisse être et quoi qu’il lui puisse jamais arriver, il mourra plutôt que de manquer à ce qu’il vous a promis.

« Je vous commanderai toujours, hors cette fois que je vous demande une grâce qui est la plus grande que vous me puissiez faire, c’est que 38 ne doute jamais de 28 et s’assure qu’il ne perdra jamais les bonnes grâces de son maître que 28 ne perde la vie, ce qu’elle aurait regret qui arrivât avant d’avoir prouvé à 38 combien il est estimé de 28, encore que ce soit plus que 28 ne lui a promis. Mais un bon maître ne saurait craindre de faillir en obligeant son serviteur, quand il se témoigne plein de fidélité et d’affection. 22 veut persuader à 28 qu’il a le cœur rempli de tous les deux pour elle. Je donnerais de ma vie pour vous entretenir, mais je ne sais comment faire, car il ne faut pas que 22 puisse le savoir. Croyez qu’il n’y a que la mort qui me puisse ôter les sentimens où je suis pour 38.

« Jamais il n’y eut rien de pareil à l’extravagance de 22. Il a envoyé à 28 et lui a écrit des plaintes étranges. Il dit que 28 a perpétuellement raillé avec Germain (lord Jermin, agent et ami très-particulier de la reine d’Angleterre), afin qu’il dit en son pays le mépris qu’elle faisoit de lui, qu’il sait assurément que 28 et 38 sont en intelligence, et que vos gens ne bougent de chez moi, que je reçois Brion à cause qu’il est son ennemi pour lui faire dépit, que tout le monde dit qu’il est amoureux de moi, qu’il ne sauroit plus souffrir mon procédé. Voilà l’état où est 22. Mandez-moi ce que vous apprendrez de cela. Croyez que, quoi qu’il puisse arriver à votre maître, il ne fera rien d’indigne de lui ni qui vous doive faire honte d’être à lui. Je me porte un peu mieux, et plus résolue que jamais d’estimer 38 jusqu’à la mort comme 28 lui a promis. »

Quel ne fut pas le courroux du superbe et impérieux cardinal, lorsqu’il acquit la preuve certaine qu’il avait été ainsi joué par une femme et trahi par un ami ! Il exhale son ressentiment contre Châteauneuf dans des pages jusqu’ici restées inédites et qui nous semblent un chapitre égaré de ses mémoires[24]. Sa vengeance s’appesantit sur les deux coupables. Celui de leurs complices qu’il put atteindre, le chevalier de Jars, fut jeté à la Bastille, condamné à avoir la tête tranchée ; il monta sur l’échafaud, et c’est là seulement qu’il reçut sa grâce[25]. Châteauneuf fut conduit au château-fort d’Angoulême, où il demeura en prison pendant dix années, et Mme de Chevreuse, ménagée par le cardinal dans un reste d’espérance, reçut pour toute punition l’ordre de se retirer à Dampierre. Mais la reine ne pouvait se passer d’elle, et elle ne pouvait se passer de la reine ; les deux amies avaient besoin de se voir souvent pour soulager au moins leurs peines en s’en entretenant, et vraisemblablement aussi pour aviser aux moyens de les faire cesser. Souvent le soir, à l’ombre naissante, Mme de Chevreuse venait à Paris déguisée, s’introduisait au Louvre ou au Val-de-Grâce, voyait la reine, et au milieu de la nuit s’en retournait à Dampierre. Bientôt on découvrit ou on soupçonna ces visites clandestines, et la fidèle et hardie confidente d’Anne d’Autriche fut reléguée en Touraine dans une terre de son premier mari.

Qu’on juge du mortel ennui qui dut accabler la belle duchesse, ensevelie à trente-trois ans dans le fond d’une province, loin du bruit et de l’éclat de Paris, loin de toutes les émotions qui lui étaient si chères, loin de toute intrigue de politique et d’amour ! Celui était un divertissement fort médiocre de tourner la tête au vieil archevêque de Tours[26], et pour se soutenir elle avait grand besoin des visites du jeune et aimable La Rochefoucauld[27], qui habitait dans son voisinage, et des lettres de la reine Anne. Elle resta en Touraine pendant quatre longues années, depuis 1633 jusqu’au milieu de 1637, employant son loisir et son activité, à nouer une correspondance mystérieuse entre la reine, Charles IV, la reine d’Angleterre et le roi d’Espagne.


III

Quel était le véritable objet de cette correspondance ? Jusqu’ici, tout ce que nous en savions de bien certain, c’est que l’on en tira les plus graves accusations contre Anne d’Autriche et Mme de Chevreuse. La reine se servait pour ce commerce secret d’un de ses valets de chambre nommé La Porte. Quelquefois aussi elle se retirait an Val-de-Grâce, en apparence pour y faire ses dévotions, et elle y écrivait des lettres que la supérieure, Louise de Milley, la mère de Saint-Etienne, se chargeait de faire arriver à leur adresse. La reine et ses amis croyaient agir dans une ombre impénétrable ; mais la police du soupçonneux cardinal était aux aguets. Un billet d’Anne d’Autriche à Mme de Chevreuse, confié par La Porte à un homme dont il se croyait sûr et qui le trahit, fut intercepté, La Porte arrêté, jeté dans un cachot de la Bastille, interrogé tour à tour par les suppôts les plus habiles du cardinal, Laffernas et La Poterie, par le chancelier Pierre Séguier et par Richelieu lui-même. En même temps le chancelier, accompagné de l’archevêque de Paris, se faisait ouvrir les portes du Val-de-Grâce, pénétrait dans la cellule de la reine, saisissait tous ses papiers et interrogeait la supérieure, la mère de Saint-Étienne, après lui avoir fait commander par l’archevêque de dire la vérité au nom de l’obéissance qu’il lui devait et sous peine d’excommunication. La reine aussi eut beaucoup à souffrir et courut les plus grands dangers. Écoutons La Rochefoucauld, qui, ce semble, devait être parfaitement informé, puisqu’il était alors, avec Mme d’Hautefort et Mme de Chevreuse, le confident le plus intime d’Anne d’Autriche : « On accusoit la reine d’avoir des intelligences avec le marquis de Mirabel, ministre d’Espagne… On lui en fit un crime d’état… Plusieurs de ses domestiques furent arrêtés, ses cassettes furent prises. M. le chancelier l’interrogea comme une criminelle ; on proposa de la renfermer au Hâvre, de rompre son mariage et de la répudier. Dans cette extrémité, abandonnée de tout le monde, manquant de toutes sortes de secours et n’osant se confier qu’à Mme d’Hautefort et à moi, elle me proposa de les enlever toutes deux et de les emmener à Bruxelles. Quellesque difficultés et quelsque périls qui parussent dans un ici projet, je puis dire qu’il me donna plus de joie que je n’en avois eu de ma vie. J’étois dans un âge où l’on aime à faire des choses extraordinaires et éclatantes, et je ne trouvois pas que rien le fût davantage que d’enlever en même temps la reine au roi son mari, et au cardinal de Richelieu, qui en était jaloux, et d’ôter Mme d’Hautefort au roi, qui en était amoureux. Heureusement les choses changèrent ; la reine ne se trouva pas coupable, l’interrogation du chancelier la justifia, et Mme d’Aiguillon adoucit le cardinal de Richelieu[28]. » Tout ce récit nous est fort suspect. Nous ne croyons pas le moins du monde que la reine ait eu la folle idée que lui prête La Rochefoucauld ; il aura pris une plaisanterie de Mme d’Hautefort pour une proposition sérieuse, et il la rapporte ici pour se donner, selon sa coutume, un air d’importance. Il n’était pas d’ailleurs, quoi qu’il en dise, assez hardi pour se charger d’une entreprise aussi téméraire, et nous allons le voir très circonspect en des occasions bien moins périlleuses. Jamais le chancelier n’a fait subir d’interrogatoire à la reine : la dignité royale s’y opposait absolument, et puis la reine n’était pas alors à Paris ; elle n’était point au Val-de-Grâce quand le chancelier s’y transporta ; elle était à Chantilly avec le roi[29], et tout se dut passer en explications confidentielles entre le roi, la reine et Richelieu, sans l’intervention du chef de la justice. L’interrogatoire du chancelier n’a donc point justifié la reine, et la reine ne s’est point trouvée innocente ; loin de là, elle a été trouvée et elle-même s’est reconnue coupable, et c’est à ses aveux qu’elle dut le pardon qui lui fut accordé. Mme de Motteville le déclare formellement, bien entendu en défendant, comme à son ordinaire, l’innocence de sa maîtresse : « La reine, dit-elle, avoit été réduite[30] à ce point de ne pouvoir obtenir de pardon qu’en signant de sa propre main qu’elle étoit coupable de toutes les choses dont elle étoit accusée, et elle le demanda au roi en des termes fort humbles et fort soumis… Chacun étoit dans cette croyance qu’elle étoit innocente. Elle l’étoit en effet autant qu’on le croyoit à l’égard du roi ; mais elle étoit coupable, si c’étoit un crime d’avoir écrit au roi d’Espagne, son frère, et à Mme de Chevreuse. La Porte, domestique de la reine, m’a conté lui-même toutes les particularités de cette histoire. Il me les a apprises dans un temps où il étoit disgracié et mal satisfait de cette princesse, et ce qu’il m’en a dit doit être cru. Il fut arrêté prisonnier comme étant le porteur de toutes les lettres de la reine, tant pour l’Espagne que pour Mme de Chevreuse. Il fut interrogé trois fois dans la Bastille par La Poterie. Le cardinal de Richelieu le voulut interroger lui-même en présence du chancelier. Il le fit venir chez lui dans sa chambre, là où il fut questionné et pressé sur tous les articles sur quoi on désiroit de pouvoir confondre la reine. Il demeura toujours ferme sans rien avouer… refusant les biens et les récompenses qu’on lui promettait, et acceptant plutôt la mort que d’accuser la reine de choses dont il disoit qu’elle était innocente. Le cardinal de Richelieu, admirant sa fidélité et persuadé qu’il ne disoit pas vrai, souhaita d’être assez heureux pour avoir à lui un homme aussi fidèle que celui-là. On avoit surpris aussi une lettre en chiffre de la reine qu’on montra à cette princesse. Elle ne put qu’elle ne l’avouât, et, pour ne pas montrer de dissemblance, il fallut faire avertir La Porte de ce que la reine avoit dit, afin qu’il en fît autant. Ce fut en cette occasion que Mme d’Hautefort, qui étoit encore à la cour, voulant généreusement se sacrifier pour la reine, se déguisa en demoiselle suivante pour aller à la bastille faire donner une lettre à La Porte, ce qui se fit avec beaucoup de peine et de danger pour elle par l’habileté du commandeur de Jars, qui étoit encore prisonnier. Comme il étoit créature de la reine et qu’il avoit gagné beaucoup de gens en ce lieu-là, ils firent tomber la lettre entre les mains de La Porte. Elle lui apprenoit ce que cette princesse avoit confessé, si bien qu’étant tout de nouveau interrogé par Laffemas et menacé de la question ordinaire et extraordinaire même, il fit semblant de s’en épouvanter, et dit que si on lui faisoit venir quelque officier de la reine, homme de créance, il avouerait tout ce qu’il savoit. Laffemas, croyant l’avoir gagné, lui dit qu’il pouvoit nommer celui qu’il voudrait, et que sans doute on le lui ferait venir. La Porte demanda un nommé Larivière, officier de la reine, qu’il savoit être des amis de Laffemas, et dont il n’avoit pas bonne opinion, ce que cet homme accepta avec grande joie. Le roi et le cardinal firent venir ce Larivière. On lui commanda d’aller voir La Porte sans voir la reine, et gagné par les promesses qu’on lui fit, il s’engagea de faire tout ce qu’on voudrait. Il fut mené à la Bastille, et il commanda de la part de la reine à La Porte de dire tout ce qu’il savoit de ses affaires. La Porte fit semblant de croire que c’étoit la reine qui l’envoyoit, et lui dit, après bien des façons, ce que la reine avoit déjà avancé, et protesta n’en pas savoir davantage. Le cardinal de Richelieu fut alors confondu, et le roi demeura satisfait. La Porte, homme de bien et sincère, m’a assuré qu’ayant vu les lettres dont il étoit question et sachant ce qu’elles contenoient, il y avoit lieu de s’étonner qu’on pût former des accusations contre la reine, qu’il y avoit seulement des railleries contre le cardinal de Richelieu, et qu’assurément elles ne parloient de rien qui lut contre le roi ni contre l’état. » La Porte, dans ses curieux mémoires[31], confirme ce récit de Mme de Motteville ; il atteste qu’il n’y avait point de « finesse » dans la correspondance de la reine et de Mme de Chevreuse, et que toute cette affaire avait été concertée pour y « embarquer Mme de Chevreuse, et faire croire au public que c’étoit une grande cabale contre l’état, car il étoit de la coutume de son éminence de faire passer des choses de rien pour de grandes conspirations. »

Reste à savoir si en effet il n’y avait là que des choses de rien, comme dit La Porte. Nous venons d’entendre les amis de la reine et de Mme de Chevreuse ; mais il faut entendre aussi Richelieu[32] ; il faut entendre surtout des témoins bien autrement sûrs que tous les mémoires, c’est-à-dire les documens originaux et authentiques d’après lesquels Richelieu a écrit, et qui ont échappé à tous les historiens, le père Griffet excepté, qui, dans cette affaire comme dans celle de Châteauneuf, a tout su, tout connu, et, pièces en main, justifie le récit du cardinal. Grâce à ces pièces, que nous avons pu étudier aussi[33], tous les voiles sont levés, on voit clair dans la conduite d’Anne d’Autriche ; on reconnaît, n’en déplaise à La Rochefoucauld, à Mme de Motteville et à La Porte, qu’elle était certainement coupable, et que très vraisemblablement Mme de Chevreuse était sa principale complice, puisqu’elle n’avait pas cessé de lui être aussi unie dans son exil de Touraine qu’au temps où elle était la surintendante de sa maison.

Contre Mme de Chevreuse, dont on n’avait saisi ni la personne ni les papiers, on n’avait que des présomptions, mais des présomptions très fortes. Ainsi La Porte, valet de chambre de la reine et porteur avoué de la plupart de ses lettres, appartenait à Mme de Chevreuse autant qu’à la reine elle-même, et il avait à l’hôtel de Chevreuse une chambre qui lui servait de retraite. La duchesse, avant de se rendre à Tours en 1633, était venue deux fois secrètement de Dampierre au Val-de-Grâce, où elle avait eu une entrevue avec la reine. Lord Montaigu, agent bien connu de la reine d’Angleterre et ami particulier de Mme de Chevreuse, avait vu aussi la reine une fois au Val-de-Grâce. La courageuse exilée avait proposé à la reine de rompre son ban et de venir déguisée la trouver à Paris. Elle correspondait constamment avec le duc de Lorraine, et tout récemment elle avait reçu un envoyé du duc. Il est difficile de supposer que tant de mouvemens n’eussent eu d’autre but que de savoir des nouvelles de la santé de la reine. Pour celle-ci, les preuves sont directes ; on a ses propres aveux, signés de sa main. Il est probable même qu’elle n’a pas tout dit, mais de ce qu’elle a dit il résulte qu’elle avait plusieurs fois écrit en Espagne et en Flandre, c’est-à-dire en pays ennemis, non pas seulement pour se plaindre de sa situation, mais pour communiquer et livrer les secrets les plus importans du gouvernement français.

1° Elle avait signalé à la cour de Madrid le voyage d’un religieux envoyé en Espagne avec une mission secrète ;

2° Elle avait fait savoir que la France travaillait à s’accommoder avec le duc de Lorraine, afin que le gouvernement espagnol prît ses mesures pour empêcher cet accommodement ;

3° Elle avait aussi averti qu’elle avait ses raisons de craindre que l’Angleterre, au lieu de demeurer unie à l’Espagne, ne s’en détachât, et ne s’entendit avec la France.

Il nous semble qu’il n’y a plus au monde de crimes d’état, ou qu’il y en a là de très manifestes. Aussi n’avait-on amené Anne d’Autriche à faire de pareils aveux qu’avec des peines infinies. D’abord elle avait tout nié, et dit que si elle avait plusieurs fois écrit à Mme de Chevreuse, c’avait toujours été sur des choses indifférentes. Le jour de l’Assomption, après avoir communié, elle avait fait venir son secrétaire des commandemens, Le Gras, et elle lui avait juré sur le saint sacrement, qu’elle venait de recevoir, qu’il était faux qu’elle eût une correspondance en pays étranger, et elle lui avait commandé d’aller dire au cardinal le serment qu’elle faisait. Elle fit venir aussi le père Caussin, jésuite, confesseur du roi, et lui renouvela le même serment. Puis, deux jours après, voyant qu’il n’y avait pas moyen de s’en tenir à une dénégation aussi absolue, elle commença par avouer à Richelieu qu’à la vérité elle avait écrit en Flandre à son frère, le cardinal infant, mais pour savoir des nouvelles de sa santé, et autres choses d’aussi peu de conséquence. Richelieu lui ayant montré qu’on en savait davantage, elle fit retirer sa dame d’honneur, Mmes de Sénecé, Chavigny et de Noyers, qui étaient présens, et, restée seule avec le cardinal, sur l’assurance qu’il lui donna du plein et absolu pardon du roi si elle disait la vérité, elle avoua tout, en témoignant une extrême confusion d’avoir fait des sermens contraires. Pendant cette triste confession, appelant à son secours les grâces et les ruses de la femme et couvrant ses vrais sentimens de démonstrations affectueuses, elle s’écria plusieurs fois : « Quelle bonté faut-il que vous ayez, monsieur le cardinal ! » Et, protestant d’une reconnaissance éternelle, elle lui dit : « Donnez-moi la main, » et lui présenta la sienne comme un gage de sa fidélité ; mais le cardinal s’y refusa par respect, se retirant au lieu de s’approcher[34]. L’abbesse du Val-de-Grâce fit comme la reine ; après avoir tout nié, elle avoua ce qu’elle savait. Le roi et Richelieu pardonnèrent, mais en faisant signer à la reine une sorte de formulaire de conduite auquel elle devait se conformer religieusement. On lui interdit provisoirement l’entrée du val-de-Grâce et de tout couvent jusqu’à ce que le roi lui en donnât de nouveau la permission, on lui défendit d’écrire jamais qu’en présence de sa première dame d’honneur et de sa première femme de chambre, qui devaient en rendre compte au roi, ni d’adresser une seule lettre en pays étranger par aucune voie directe ou indirecte, sous peine de se reconnaître elle-même déchue du pardon qu’on lui accordait. La première à la fois et la dernière de ces prescriptions se rapportaient à Mme de Chevreuse : le roi commandait à sa femme de ne jamais écrire à Mme de Chevreuse, « parce que ce prétexte, disait-il, a été la couverture de toutes les écritures que la reine a faites ailleurs. » Il lui commande aussi de ne plus voir ni Craft, gentilhomme anglais, ami de Montaigu et de la duchesse, fort suspect d’être mêlé à toutes leurs intrigues, ni des autres entremetteurs de Mme de Chevreuse. » On le voit, c’est toujours Mme de Chevreuse que Louis XIII et Richelieu considèrent comme le principe de tout mal, et ils ne se croient bien sûrs de la reine qu’après l’avoir séparée de sa dangereuse amie.

Mais que fallait-il faire de celle-ci ? Fallait-il la laisser à Tours, ou l’arrêter, ou lui faire quitter la France ? Il est curieux de voir quelles furent à cet égard les délibérations du cardinal avec lui-même et avec le roi. Il rend involontairement un bien grand hommage à la puissance de Mme de Chevreuse en établissant par une suite de raisons, un peu scolastiquement déduites à sa manière, que le pire des partis serait de la laisser sortir de France : « Cet esprit est si dangereux, qu’étant dehors il peut porter les affaires à de nouveaux ébranlemens qu’on ne peut prévoir[35]. » C’est elle qui, disposant absolument du duc Charles, lui a persuadé de donner asile en Lorraine à Monsieur, duc d’Orléans, c’est elle aussi qui a poussé l’Angleterre à la guerre ; si on la jette hors du royaume, elle empêchera le duc de Lorraine de s’accommoder ; » elle donnera grand branle aux Anglais à ce à quoi elle les voudra porter ; » elle remuera de nouveau pour le chevalier de Jars et pour Châteauneuf, elle suscitera mille difficultés intérieures et extérieures, et le cardinal conclut à la retenir en France.

Pour cela, il y avait deux voies à prendre, la violence ou la douceur. Le cardinal fait voir beaucoup d’inconvéniens à la violence, qui serait infailliblement suivie de tant de sollicitations importunes de la part de toute la famille de Mme de Chevreuse et de toutes les puissances de l’Europe, qu’il serait fort difficile d’y résister avec le temps. Il propose donc de la gagner par la douceur et de la traiter comme on avait traité la reine, mais à la condition qu’elle serait aussi sincère, et répondrait aux questions qui lui seraient adressées. Connaissant Mme de Chevreuse, il prévoit qu’elle ne fera aucun aveu, et il oublie de nous dire ce qu’alors il aurait fait. On avait pardonné à la reine humiliée et repentante ; mais quelle conduite aurait-on tenue envers la fière et habile duchesse persévérant dans d’absolues dénégations ? Content de l’avoir séparée d’Anne d’Autriche, Richelieu l’aurait-il laissée libre et tranquille en Touraine ? Est-il bien sincère quand il l’assure ? ou l’ancien charme agissait-il encore, et ce cœur de fer, cette âme impitoyable, mais que la beauté trouva plus d’une fois sensible, ne pouvait-elle se défendre d’une faiblesse involontaire pour une femme qui rassemblait en sa personne et portait au plus haut degré ces deux grands dons si rarement unis, la beauté et le courage ?

Il lui fit parler comme étant toujours son ami ; il lui rappela quels ménagemens il avait eus pour elle dans l’affaire de Châteauneuf, et la sachant en ce moment assez dépourvue, il lui envoya de l’argent. La duchesse fit beaucoup de cérémonie pour le recevoir ; elle ne le prit pas comme un don, mais comme un prêt, et demanda pour toute grâce au cardinal de l’assister dans le juste procès qu’elle poursuivait pour être séparée de biens d’avec son mari, procès qu’elle gagna quelque temps après. Sur les questions qui lui furent adressées, elle répondit sans s’étonner et avec sa fermeté accoutumée. Ne pouvant nier qu’elle eût proposé à la reine de se rendre à Paris déguisée, puisqu’on avait saisi la lettre où la reine déclinait cette proposition, elle déclara qu’en cela elle n’avait eu d’autre désir que d’avoir l’honneur de saluer sa souveraine, et qu’aussi le besoin de ses affaires l’appelait à Paris ; que, loin de songer à animer la reine contre le cardinal, son intention était d’employer le crédit qu’elle pouvait avoir sur elle à la bien disposer en faveur du premier ministre. Et, payant Richelieu de la même monnaie, elle lui rendit avec usure ses démonstrations d’amitié ; mais au fond du cœur elle s’en défiait. En vain l’un des envoyés de Richelieu, l’abbé Dudorat, avec qui elle était assez liée, lui dit-il tout ce qu’il put imaginer pour lui persuader la bonne foi du cardinal ; elle ne vit dans cette bienveillance empressée qu’un leurre habile pour endormir sa vigilance et lui inspirer une fausse sécurité. Elle pensa à ses amis le chevalier de Jars et Châteauneuf, tous deux languissant encore dans les cachots de Richelieu, et elle résolut de tout entreprendre plutôt que de partager leur sort.

Cependant Anne d’Autriche avait senti de bonne heure, dans son propre intérêt, le besoin d’avertir Mme de Chevreuse de tout ce qui se passait, et ayant promis de n’avoir aucun commerce avec elle, elle chargea La Rochefoucauld, qui s’en allait en Poitou, de lui dire ce qu’elle n’osait lui écrire elle-même. La Rochefoucauld venait de faire la même promesse à son père et à Chavigny, l’homme de confiance du cardinal, et lui, qui prétend qu’il aurait volontiers enlevé la reine et Mme d’Hautefort, s’arrêta avec une admirable conscience devant l’engagement qu’il venait de prendre, et pria Graft, ce même gentilhomme anglais si suspect au roi et à Richelieu, de faire la commission de la reine[36]. De son côté, Mme d’Hautefort, dans le plus vif de la crise, avait envoyé à Tours un de ses païens, M. de Montalais, dire à Mme de Chevreuse le véritable état des affaires, et il avait été convenu qu’on lui adresserait des Heures reliées en vert si tout prenait une tournure favorable, et que des Heures reliées en rouge lui seraient la marque qu’elle se hâtât de pourvoir à sa sûreté. Une méprise fatale sur le signe convenu, avec une défiance profonde des intentions de Richelieu et du roi, précipita Mme de Chevreuse dans une résolution extrême : elle aima mieux se condamner à un nouvel exil que de courir le risque de tomber entre les mains de ses ennemis, et elle s’enfuit de Touraine pour gagner l’Espagne à travers tout le midi de la France.

Elle ne voulut d’autre confident que son vieil adorateur, l’archevêque de Tours, Bertrand de Chaux. Comme il était du Béarn et avait des parens sur la frontière, il lui donna des lettres de créance avec tous les renseignemens nécessaires et les divers chemins qu’elle devait prendre ; mais, pressée de fuir, elle oublia tout, partit le 6 septembre 1637 en carrosse comme pour faire une promenade, puis, à neuf heures du soir, monta à cheval déguisée en homme, et au bout de cinq ou six lieues elle se trouva sans lettres et sans itinéraire, sans femme de chambre, et suivie seulement de deux domestiques. Elle ne put changer de cheval pendant toute la nuit, et le lendemain elle arriva, sans avoir pris une heure de repos, à Ruffec, à une lieue de Verteuil, où demeurait La Rochefoucauld. Au lieu de lui demander l’hospitalité, elle lui écrivit le billet suivant : « Monsieur, je suis un gentilhomme françois et demande vos services pour ma liberté et peut-être pour ma vie. Je me suis malheureusement battu. J’ai tué un seigneur de marque. Cela me force de quitter la France promptement, parce qu’on me cherche. Je vous crois assez généreux pour me servir sans me connoître. J’ai besoin d’un carrosse et de quelque valet pour me servir[37]. » La Rochefoucauld lui envoya ce qu’elle désirait. Le carrosse lui fut d’un grand secours, car elle était épuisée de fatigue. Son nouveau guide la conduisit sur-le-champ à une autre maison de La Rochefoucauld, où elle arriva au milieu de la nuit ; elle laissa là le carrosse et les deux domestiques qui l’avaient accompagnée, et repartit à cheval, se dirigeant vers la frontière d’Espagne. Dans l’état où elle se trouvait, la selle de sa monture était toute baignée de sang : elle dit que c’était un coup d’épée qu’elle avait reçu à la cuisse. Elle coucha sur du foin dans une grange et prit à peine quelque nourriture. Mais aussi belle, aussi séduisante sous le costume noir d’un cavalier que dans les brillans atours de la grande dame, les femmes, en la voyant, admiraient sa bonne mine ; pendant cette course aventureuse, elle fit malgré elle autant de conquêtes que dans les salons du Louvre, et, ainsi que le dit La Rochefoucauld, elle montra « plus de pudeur et de cruauté que les hommes faits comme elle n’ont accoutume d’en avoir[38]. » Une fois elle rencontra dix ou douze cavaliers commandés par le marquis d’Antin, et il lui fallut s’écarter de sa route pour éviter d’être reconnue. Une autre fois, dans une vallée des Pyrénées, un gentilhomme qui l’avait vue à Paris lui dit qu’il la prendrait pour Mme de Chevreuse, si elle était vêtue d’une autre façon, — et le bel inconnu se tira d’affaire en répondant qu’étant parent de cette dame, il pouvait bien lui ressembler. Son courage et sa gaieté ne l’abandonnèrent pas un moment, et, pour peindre la vaillante amazone, on fit une chanson où elle disait à son écuyer :

La Poissière, dis-moi,
Vais-je pas bien en homme ?

Vous chevauchez, ma foi,
Mieux que tant que nous sommes, etc.[39].

Celui qui l’accompagnait la pressant de lui apprendre son nom, elle lui dit avec un ton mystérieux qu’elle était le duc d’Enghien que des affaires extraordinaires et le service du roi forçaient de sortir de France, ce qui peut nous donner une idée de la tournure qu’elle avait à cheval et du ton décidé et résolu qu’elle avait. Puis, prenant confiance en son guide et n’aimant pas à porter longtemps un masque, elle lui avait avoué qu’elle était la duchesse de Chevreuse. Elle n’atteignit l’Espagne qu’avec des fatigues inouïes et à travers mille périls[40]. Un peu avant de franchir la frontière, elle écrivît au gentilhomme qui avait pensé la reconnaître dans les Pyrénées, et avait eu pour elle toute sorte d’égards et de politesses, qu’il ne s’était pas trompé, qu’elle était en effet celle qu’il avait cru, et « qu’ayant trouvé en lui une civilité extraordinaire, elle prenoit la liberté de le prier de lui procurer des étoffes pour se vêtir conformément à son sexe et à sa condition[41]. » Arrivée enfin en Espagne, elle s’élança pour la deuxième fois, avec sa résolution accoutumée, dans tous les hasards de l’exil, n’emportant avec elle que sa beauté, son esprit et son courage. Elle avait envoyé, par un de ses gens, à La Rochefoucauld toutes ses pierreries, qui valaient 200,000 écus, le priant de les recevoir en don si elle mourait, ou de les lui rendre quelque jour[42].

Au bruit de la fuite de Mme de Chevreuse, Richelieu s’émut, et il fit tout pour l’empêcher de sortir de France. Les ordres les plus précis furent expédiés, non pour l’arrêter, mais pour la retenir. M. de Chevreuse fit courir après sa femme l’intendant de leur maison, Boispille, avec l’assurance qu’elle n’avait rien à craindre. Le cardinal envoya aussi le président Vignier, pour lui porter non-seulement la permission de résider à Tours en pleine liberté, mais l’espérance de revenir bientôt à Dampierre. En même temps Vignier avait l’ordre d’interroger le vieil archevêque, ainsi que La Rochefoucauld et ses gens, et d’en tirer tous les renseignemens qui pouvaient éclairer le ministre[43]. Ni Boispille ni Vignier ne purent atteindre la belle fugitive, et elle avait touché le sol de l’Espagne, que le président arrivait à peine à la frontière. Il voulut du moins remplir sa mission autant qu’il était en lui, et il envoya un héraut, sur le territoire espagnol, signifier à Mme de Chevreuse le pardon du passé et l’invitation de revenir en France. Elle n’apprit toutes ces démarches que lorsqu’elle était déjà à Madrid.

On comprend l’accueil que fit le roi d’Espagne à l’intrépide amie de sa sœur. Il avait envoyé au-devant d’elle plusieurs carrosses à six chevaux, et à Madrid il la combla de toute sorte de marques d’honneur. Mme de Chevreuse avait alors trente-sept ans. À tous ses moyens de plaire elle joignait le prestige des aventures romanesques qu’elle venait de traverser, et l’on dit que Philippe IV grossit le nombre de ses conquêtes[44]. Elle était déjà tout Anglaise et toute Lorraine ; elle devint Espagnole. Elle se lia avec le comte-duc Olivarès, et prit un grand ascendant sur les conseils du cabinet de Madrid. Elle le dut sans doute à son esprit et à ses lumières, mais particulièrement à la noble fierté qu’elle déploya en refusant les pensions et l’argent qu’on lui offrait, et en parlant toujours de la France comme il appartenait à l’ancienne connétable de Luynes[45]. Néanmoins quelque agrément que lui donnât en Espagne la faveur déclarée du roi, de la reine et du premier ministre, elle n’y demeura pas longtemps. La guerre des deux pays rendait sa situation trop délicate ; ses lettres pénétraient difficilement en France ; on n’osait lui écrire, tant la police de Richelieu était redoutée, tant on craignait d’être accusé de correspondre avec l’ennemi et avec Mme de Chevreuse. L’intendant même de sa maison, Boispille, recevant d’elle une lettre, dit au messager qui lui demandait une réponse : Nons ne faisons pas de réponse en Espagne. Aussi, pour avoir plus de liberté et pour être plus près de la France, elle prit le parti de passer dans un pays neutre et même ami, et au commencement de l’année 1638 elle arriva en Angleterre.


IV

Mme de Chevreuse fut reçue et traitée à Londres comme elle l’avait été à Madrid. Elle y retrouva le premier de ses adorateurs, le comte de Holland, lord Montaigu, toujours enflammé pour elle[46], Craft, et bien d’autres gentilshommes, anglais et français, qui s’empressèrent de lui faire cortège. Elle charma particulièrement le roi et la reine. Elle avait toujours beaucoup plu à Charles Ier, et Henriette, en revoyant celle qui autrefois l’avait conduite à son royal époux, l’embrassa, et voulut qu’elle s’assît devant elle, distinction tout à fait inusitée dans la cour d’Angleterre. Le roi et la reine écrivirent en sa faveur au roi Louis XIII, à la reine Anne et au cardinal de Richelieu[47]. Mme de Chevreuse réclamait la pleine et entière jouissance de son bien, qui lui avait été naguère accordée et ensuite retirée depuis sa fuite en Espagne. Au printemps de 1638, la grossesse de la reine Anne, étant devenue publique, avait rempli la cour de France d’allégresse et ouvert tous les cœurs à l’espérance. Mme de Chevreuse profita de cet événement pour adresser à la reine la lettre suivante qu’Anne d’Autriche pouvait très bien montrer à Louis XIII, et qui pourtant, sous sa réserve et sa circonspection diplomatique, laisse paraître la réciproque et intime affection de la reine et de l’exilée[48] :

« A la reine, ma souveraine dame.

« Madame, je ne serois pas digne de pardon si j’avois pu et manqué de rendre compte à votre majesté du voyage que mon malheur m’a obligée d’entreprendre. Mais la nécessité m’ayant contrainte d’entrer en Espagne, où le respect de votre majesté m’a fait recevoir et traiter mieux que je ne méritois, celui que je vous porte m’a fait taire jusqu’à ce que je fusse en un royaume qui, étant en bonne intelligence avec la France, ne me donne pas sujet d’appréhender que vous ne trouviez pas bon d’en recevoir des lettres. Celle-ci parlera devant toute chose de la joie particulière que j’ai ressentie de la grossesse de votre majesté. Dieu récompense et console tous ceux qui sont à elle par ce bonheur, que je lui demande de tout mon cœur d’achever par l’heureux accouchement d’un dauphin. Encore que ma mauvaise fortune m’empêche d’être des premières à le voir, croyez que mon affection au service de votre majesté ne me laissera pas des derniers à m’en réjouir. Le souvenir que je ne saurois douter que votre majesté n’aie de ce que je lui dois et celui que j’ai de ce que je lui veux rendre lui persuaderont assez le déplaisir que ce m’a été de me voir réduite à m’éloigner d’elle pour éviter les peines où j’appréhendois que des soupçons injustes ne me missent. Il m’a fallu priver de la consolation de soulager mes maux en les disant à votre majesté, jusqu’à cette heure que je puis me plaindre à elle de ma mauvaise fortune, espérant que sa protection me garantira de la colère du roi et des mauvaises grâces de M. le cardinal. Je n’ose le dire moi-même à sa majesté et ne le fais pas à M. le cardinal, m’assurant que votre générosité le fera, et rendra agréable ce qui pourrait être importun de ma part. La vertu de votre majesté m’assure qu’elle l’exercera volontiers en cette occasion, et qu’elle emploiera sa charité pour me dire, ce que je sais, qu’elle est toujours elle-même. Votre majesté saura par les lettres du roi et de la reine de la Grande-Bretagne l’honneur qu’ils me font. Je ne le saurois mieux exprimer qu’en disant à votre majesté qu’il mérite sa reconnoissance. Je crois que vous approuverez ma demeure en leur cour, que cela ne me rendra pas digne d’un mauvais traitement, et que l’on ne me refusera point les choses que l’autorité de votre majesté et le soin de M. le cardinal m’avoient procurées avant mon départ, et que je demande à monsieur mon mari. En quoi je supplie votre majesté de me protéger, afin que j’en aie bientôt les effets si justes que j’en attends. » En même temps qu’elle réclamait son bien, Mme de Chevreuse songeait à acquitter une dette qui pesait à sa fierté. À Tours, elle avait bien été forcée d’accepter l’argent que lui avait envoyé Richelieu ; mais, ainsi que nous l’avons dit, elle l’avait accepté comme un simple prêt, et sous le couvert de la lettre officielle à la reine Anne qu’on vient de lire, était un petit billet confidentiel et réservé à la reine seule, où nous voyons que la reine de France avait elle-même autrefois emprunté de l’argent à son ancienne surintendante. Celle-ci, en effet, la conjure de payer M. le cardinal sur ce qu’elle lui doit, et, si elle le peut, « d’achever le surplus de la dette. »

Ces derniers mots, et bien d’autres de lettres subséquentes, nous apprennent que depuis sa sortie de France, n’ayant rien voulu recevoir de l’étranger, Mme de Chevreuse avait épuisé toutes ses ressources, et que, n’ayant pas la disposition de son bien, elle en était réduite à Londres à faire des dettes toujours croissantes, et auxquelles elle ne savait comment satisfaire. Pendant ce temps-là, M. de Chevreuse, qui avait mis sa maison dans le plus triste état, et pour la rétablir n’espérait que dans la raison et le crédit de sa femme, ne cessait d’intercéder auprès du roi et du premier ministre pour qu’on la laissât revenir en France. Le cardinal en était resté avec elle à l’offre de pardon et d’abolition, comme on disait alors, que le président Vignier avait été lui porter jusqu’à la frontière d’Espagne. Outre les raisons générales de souhaiter son retour, que lui-même a développées, Richelieu en avait une toute particulière en ce moment ; il traitait avec le duc de Lorraine, dont les talens militaires et la peu nombreuse, mais excellente armée l’inquiétaient ; plus que jamais il s’efforçait de l’attirer à un accommodement qui lui permît de rassembler toutes les forces de la France contre l’Autriche et contre l’Espagne. Il avait donc le plus grand intérêt à ménager Mme de Chevreuse toute-puissante sur l’esprit du duc, et qui déjà, à ce qu’il croyait, avait en 1637 empêché l’accommodement désiré, et pouvait l’empêcher encore. De son côté, Mme de Chevreuse était lasse de l’exil ; elle soupirait après son château de Dampierre, après ses enfans, après sa fille, l’aimable Charlotte, qui grandissait loin de sa mère. Elle frémissait à la pensée de la douloureuse alternative qui chaque jour la pressait davantage, ou d’être forcée de recourir à l’Angleterre et à l’Espagne, ou d’engager ses pierreries qu’elle avait fait redemander à La Rochefoucauld[49]. Elle tenait à cette riche parure, qui venait, dit-on, de la maréchale d’Ancre et de Florence, brillant souvenir d’un temps plus heureux ; car Mme de Chevreuse était femme, elle en avait les faiblesses comme les grâces, et quand la passion et l’honneur ne la jetaient pas au milieu des périls, elle se complaisait dans toutes les élégances de la vie[50]. C’est ce mélange de mollesse féminine et de virile énergie qui est le trait particulier de son caractère, et qui la rendait propre à toutes les situations, aux douceurs et à l’abandon de l’amour, comme à l’agitation des intrigues et des aventures. C’est avec ces divers sentimens qu’elle se décida à reprendre avec Richelieu une négociation qui n’avait jamais été entièrement rompue, et dont le succès paraissait assez facile, puisque des deux parts on le souhaitait presque également.

Cette négociation dura plus d’une année. Le cardinal autorisa l’intendant de la maison de Chevreuse, Boispille, et l’abbé Dudorat, à se rendre en Angleterre pour mener à bien cette affaire délicate. Ils y mirent bien du temps, y prirent bien des peines ; plus d’une fois il leur fallut retourner de Londres à Paris et de Paris à Londres pour aplanir les difficultés qui s’élevaient. Le fil souvent rompu se renouait pour se rompre encore. Le cardinal et la duchesse désiraient fort sincèrement s’accommoder ; mais, se connaissant bien, ils voulaient prendre l’un envers l’autre des sûretés presque inconciliables. Quand on a sous les yeux les pièces diverses auxquelles a donné lieu cette longue négociation[51], on y reconnaît tout l’esprit et le caractère de Richelieu et de Mme de Chevreuse, les artifices habituels du cardinal avec sa hauteur mal dissimulée, la souplesse de la belle dame, son apparente soumission et ses précautions inflexibles. Successivement Richelieu se relâche davantage de sa rigueur accoutumée ; mais ses prétentions, perçant toujours sous la courtoisie la plus recherchée, avertissent Mme de Chevreuse de prendre garde à elle et de ne faire aucune faute devant un homme qui n’oubliait rien et qui pouvait tout. C’est un curieux spectacle de les voir, pendant plus d’une année, employer toutes les manœuvres de la plus fine diplomatie et épuiser les ressources d’une habileté consommée pour se persuader l’un l’autre et s’attirer vers le but commun qu’ils désirent tous les deux sans y parvenir et se pouvoir guérir de leurs réciproques et incurables défiances. Faisons connaître les traits principaux, les commencemens, le progrès, les péripéties et la fin inévitable de cette singulière correspondance.

Elle s’ouvre le 1er juin 1638 par une lettre de Mme de Chevreuse. La duchesse remercie le cardinal des assurances de bienveillance qu’on lui a données de sa part ; elle lui avoue que si l’année précédente elle s’est résolue à quitter la France, ça été par appréhension des soupçons qu’il paraissait nourrir envers elle ; elle a voulu laisser au temps le soin de les dissiper : « J’espère, lui dit-elle, que le malheur qui m’a contraint de sortir de France s’est lassé de me poursuivre Je serais très aise d’être tout à fait guérie des craintes que j’ai eues en reconnoissant que mes ennemis ne sont pas plus puissans que mon innocence[52]. » La lettre, en feignant de la confiance et de l’abandon, est fort calculée et réservée. Mme de Chevreuse se garde bien d’engager une polémique sur le passé, mais elle y revient un peu pour sonder Richelieu, ne voulant pas s’exposer à rentrer en France pour y être recherchée sur sa conduite antérieure ; aussi a-t-elle soin de placer habilement et sans déclamation le mot d’innocence. Dès cette première lettre, on comprend le jeu de Mme de Chevreuse : il consiste à prendre doucement ses sûretés. Cesser de se dire innocente, c’eût été se remettre entre les mains de Richelieu, qui, au premier mécontentement feint ou réel, pouvait s’armer de ses aveux et l’en accabler. La réponse du cardinal découvre aussi, et, selon nous, découvre un peu trop sa secrète pensée : elle est, comme en général toute sa politique, captieuse à la fois et impérieuse. Au milieu des démonstrations d’une politesse un peu maniérée, il lui dit : « Ce que vous me mandez est conçu en tels termes, que n’y pouvant consentir sans agir contre vous-même par excès de complaisance, je ne veux pas répondre de peur de vous déplaire en voulant vous servir. En un mot, madame, si vous êtes innocente, votre sûreté dépend de vous-même, et si la légèreté de l’esprit humain, pour ne pas dire celle du sexe, vous a fait relâcher quelque chose dont sa majesté ait sujet de se plaindre, vous trouverez en sa bonté tout ce que vous pouvez en attendre. » Mme de Chevreuse comprend aisément la finesse du cardinal ; mais, pour ne laisser subsister aucune équivoque, elle lui adresse un mémoire où elle lui rend compte de toute sa conduite et des motifs qui l’ont déterminée à sortir de France. Elle a fui, parce que, tout en lui prodiguant les bonnes paroles, on essayait de lui faire avouer qu’elle avait écrit au duc de Lorraine pour l’empêcher de rompre avec l’Espagne et de s’entendre avec la France, et que, ne pouvant avouer une faute qu’elle n’avait pas commise, et voyant qu’on en était persuadé et qu’on alléguait même des lettres interceptées, elle avait mieux aimé quitter son pays que d’y rester soupçonnée et en un perpétuel danger. Richelieu s’empresse de la rassurer, mais au contraire il l’épouvante en paraissant convaincu qu’elle a fait ce qu’elle est bien décidée à ne jamais avouer. Était-ce une bien heureuse manière de lui inspirer de la confiance que de lui rappeler l’affaire de Châteauneuf, et de lui insinuer assez clairement qu’on a en main des preuves qui dispensaient de tout aveu de sa part ? » Quand le sieur de Boispille vous alla trouver, je lui dis ce que j’estimois pour votre service et votre sûreté, qui consistoit, à mon avis, à ne tenir rien de caché ; ce à quoi j’estimois que vous vous dussiez porter d’autant plus facilement, que l’expérience vous a fait connoître, par ce qui s’est passé au fait de M. de Châteauneuf, qu’en ce qui vous intéresse, ce dont vos amis ont la preuve en main est plus secret que s’ils ne l’avoient point. Tant s’en faut qu’on ait voulu vous faire avouer une chose qu’on ne sût pas, qu’on voudrait ne savoir pas ce qu’on sait, pour ne pas vous obliger à le dire[53]. » Peut-on s’étonner, après cela, que Mme de Chevreuse recule, ou du moins qu’elle soit fort embarrassée ? Elle écrit le 8 septembre au cardinal pour lui exprimer sa reconnaissance des bontés qu’il lui témoigne, et en même temps le trouble où la jette la conviction manifestement arrêtée dans son esprit, qu’elle est réellement coupable. Sa lettre peint à merveille ses perplexités : « Considérez l’état où je suis, très satisfaite d’un côté des assurances que vous me donnez de la continuation de votre amitié, et de l’autre fort affligée des soupçons, ou pour mieux dire des certitudes que vous dites avoir d’une faute que je n’ai jamais commise, laquelle, j’avoue, serait accompagnée d’une autre, si, l’ayant faite, je la niois, après les grâces que vous me procurez du roi en l’avouant. Je confesse que ceci me met en un tel embarras, que je ne vois aucun repos pour moi dans ce rencontre. Si vous ne vous étiez pas persuadé si certainement de savoir cette faute, ou que je la pusse avouer, ce serait un moyen d’accommodement ; mais vous laissant emporter a une créance si ferme contre moi, qu’elle n’admet point de justification, et ne me pouvant faire coupable sans l’être, j’ai recours à vous-même, vous suppliant, par la qualité d’ami que votre générosité me promet, d’aviser un expédient par lequel sa majesté puisse être satisfaite, et moi retourner en France avec sûreté, et n’en pouvant imaginer aucun, et me trouvant dans de grandes peines. »

Or voici l’expédient qu’inventa Richelieu pour délivrer Mme de Chevreuse des inquiétudes qui la tourmentaient : il lui envoya une déclaration royale par laquelle elle était autorisée à rentrer en France avec un pardon absolu pour sa conduite passée, et notamment pour ses négociations avec le duc de Lorraine contre le service du roi. En recevant cette grâce inattendue, Mme de Chevreuse protesta contre le pardon d’une faute qu’à aucun prix elle ne voulait reconnaître, ne s’avouant coupable que de sa sortie précipitée du royaume. Ses ombrages s’accroissant par le moyen même qu’on avait pris pour les dissiper, elle se mit à examiner, à la lumière d’une attention défiante, tous les termes de cette déclaration, et elle trouva bien du touché dans ce qui se rapportait à son retour à Dampierre. Il n’était pas dit nettement qu’elle y pourrait demeurer en liberté. La seule privation à laquelle elle se condamnait était celle de ne plus voir la reine et de n’entretenir aucune correspondance étrangère. Hormis cela, elle demandait une entière liberté ; elle demandait surtout que, sous un air de pardon, on ne la noircît pas d’une faute qu’elle prétendait n’avoir pas commise. Elle refuse donc le 23 février 1639 l’abolition qui lui est envoyée, et demande des explications sur la manière dont il lui sera permis de vivre en France. Le cardinal, irrité de voir découvertes et éludées toutes ses feintes, s’emporte et laisse paraître le fond de sa pensée dans une lettre du 14 mars à l’abbé Dudorat, où il se plaint que Mme de Chevreuse ne veuille pas reconnaître ses négociations avec les étrangers, comme si, dit-il, « on avoit jamais vu de malade guérir d’un mal dont il ne veut pas qu’on le croye malade[54]. » Il n’entend pas non plus laisser Mme de Chevreuse séjourner à Dampierre plus de huit ou dix jours, et elle devra se retirer dans quelqu’une de ses terres éloignées de Paris. Il consent toutefois à modifier l’abolition royale qui avait déplu à Mme de Chevreuse, et il lui en envoie une autre un peu adoucie[55], comme une preuve extrême de sa condescendance et de la bonté du roi.

Cette déclaration nouvelle était encore bien loin d’être celle que désirait Mme de Chevreuse ; elle n’y était pas seulement absoute de sa sortie de France, mais « des autres fautes et crimes qu’elle avait pu commettre contre la fidélité qu’elle devait au roi, » et Richelieu revenait par un détour à son but, imposer indirectement au moins à la malheureuse exilée une sorte de confession de crimes qu’elle soutenait n’avoir pas commis, confession à la fois humiliante et dangereuse, et qui la mettait à sa merci. Cependant ici était le désir de la pauvre femme de revoir sa patrie et sa famille, qu’après avoir réclamé de nouveau et inutilement, elle se résigna à cette grâce suspecte. Elle fit plus ; Richelieu s’étant empressé de remettre à l’abbé Dudorat et à Boispille l’argent nécessaire pour acquitter les dettes qu’elle avait contractées en Angleterre, et lui permettre de sortir de cette cour comme il convenait à sa dignité et à son rang, elle consentit à laisser signer en son nom aux deux agens intermédiaires un écrit destiné à satisfaire Richelieu sans trop la compromettre, où, en termes très généraux, elle parlait humblement de sa mauvaise conduite passée[56], et s’engageait, pourvu qu’on la laissât vivre en toute liberté à Dampierre, à ne jamais venir secrètement à Paris. Elle avait dû vaincre bien des scrupules, étouffer bien des défiances, et faire céder ses secrets instincts aux sollicitations de sa famille, aux instances de l’abbé Dudorat et de Boispille, et à la parole solennelle que lui renouvela Richelieu dans une dernière lettre du 13 avril 1630.

Les choses en étaient là : la fière duchesse avait courbé la tête sous le poids de l’exil et du malheur ; elle allait partir, déjà elle avait fait ses adieux à la reine d’Angleterre ; un vaisseau était prêt qui devait la conduire à Dieppe, où un carrosse l’attendait, quand tout à coup, à la fin du mois d’avril, elle reçut la lettre suivante, ni datée ni signée, que nous transcrivons fidèlement[57] : « Il ne faudrait pas vous être ce que je vous suis pour manquer de vous dire que si vous aimez Mme de Chevreuse, vous empêchiez sa perte, qui est indubitable en France, où on la veut pour sa ruine. Ceci n’est pas une opinion ; il n’y a autre remède qu’à suivre cet avis pour garantir Mme de Chevreuse, dont le cardinal a dit affirmativement trop de mal, touchant l’Espagne et M. de Lorraine, pour n’en plus rien dire à l’avenir. Enfin il n’y a que patience pour Mme de Chevreuse à cette heure, ou perdition sûre, et regret éternel pour celui qui écrit. »

De quelque part que vînt ce billet, on peut juger s’il troubla Mme de Chevreuse. Il répondait à tous les instincts de son cœur, et à la connaissance que de longue main elle avait acquise des implacables ressentimens du cardinal. Elle suspendit ou prolongea ses préparatifs de départ, et aussi loyale que prudente, elle montra à Boispille ce qu’elle venait de recevoir, l’autorisant à le communiquer à Richelieu.

Un mois à peine écoulé, elle reçut une autre lettre du même genre, non plus anonyme, mais signée de l’homme au monde qui lui était le plus dévoué, le duc de Lorraine : « Je suis certain du dessein qu’a fait M. le cardinal de Richelieu de vous offrir toutes choses imaginables pour vous obliger de retourner en France, et aussitôt vous faire périr malheureusement. Le marquis de Ville, qui a parlé à lui et à M. de Chavigny, vous en pourra rendre plus savante, comme l’ayant ouï lui-même. Je l’attends à toute heure, et si je croyois pouvoir assez sur votre esprit pour vous divertir de prendre cette résolution, je m’en irois me jeter à vos pieds pour vous faire connaître votre perte absolue, et vous conjurer, par tout ce qui vous peut être au monde de plus cher, d’éviter ce malheur, trop cruel à toute la terre, mais à moi plus insupportable qu’à tout le reste du monde, vous protestant que si ma perte pouvoit procurer votre repos, j’estimerois cette occasion très heureuse qui me la procurerait, et que rien autre chose ne me fait vous servir que votre seule considération, étant pour jamais, madame, votre très affectionné serviteur,

« CHARLES DE LORRAINE. »

« Cirk, le 26 mai 1639[58]. »

Ce nouvel avis porta à son comble l’anxiété de Mme de Chevreuse. Elle fit passer à Richelieu cette seconde lettre, comme elle avait fait la première, pour lui montrer qu’elle n’était pas retenue par de médiocres motifs, et le faire juge de ses incertitudes. Elle déclara aussi qu’elle ne partirait point avant d’avoir vu et entendu le marquis de Ville, que lui annonçait le duc de Lorraine.

Henri de Livron, marquis de Ville, était un gentilhomme lorrain, plein d’esprit et de valeur, attaché à son pays et à son prince, qui, fait prisonnier, mis à la Bastille, puis relâché par Richelieu, avait été rejoindre le duc Charles dans les Pays-Bas. Il vint à Londres dans les premiers jours du mois d’août 1639, et fit tous ses efforts pour persuader à Mme de Chevreuse de rompre avec le cardinal. La duchesse voulut qu’il s’expliquât devant Boispille, et que celui-ci rendît compte à Richelieu de cette conférence. Le marquis de Ville demeura inébranlable dans son opinion, et il ne demanda pas mieux que de rédiger et de signer cette déposition : « Un nommé Lange, m’ayant accompagné l’hiver dernier depuis Paris jusqu’à Charenton, me dit qu’il savoit l’affection que j’avois au service de Mme de Chevreuse, qui l’obligeoit de s’adresser à moi pour me dire qu’elle étoit perdue, si elle retournoit à cette heure en France. Le pressant de me dire ce qu’il savoit particulièrement sur ce sujet, après avoir tiré parole de moi que je ne le dirois qu’à son altesse de Lorraine ou à Mme de Chevreuse, il me dit qu’il n’y avoit que deux jours que M. le cardinal, en parlant à M. de Chavigny de Mme de Chevreuse, témoignoit d’être fort mal satisfait de ce qu’elle persistoit à nier d’avoir conseillé à M. de Lorraine de ne s’accommoder pas avec la France. De quoi M. de Chavigny faisoit aussi fort l’étonné, disant tous deux que cette affaire est bien éclaircie, et que, Mme de Chevreuse étant en France, on la feroit bien parler français avec ses lettres qu’ils avoient, qu’elle ne croit pas, et que si elle les pensoit tromper, elle se trompoit elle-même. Disant savoir ceci comme l’ayant ouï lui-même. À Londres, ce 8 août 1635). Henri de Livron, marquis de Ville[59]. » Cet écrit fut loyalement envoyé à Richelieu, comme les précédens.

Nous le demandons : tout cela ne devait-il pas faire la plus forte impression sur l’esprit de Mme de Chevreuse ? Pouvait-elle se rappeler sans terreur les sollicitations obstinées du cardinal pour lui arracher, par diverses voies directes et indirectes, un aveu bien indifférent, s’il n’avait eu l’intention de s’en servir contre elle ? Ne connaissait-elle pas son humeur altière, la passion qu’il avait de tenir tout le monde à ses pieds, et d’avoir toujours de quoi perdre ses ennemis ? Quiconque a ressenti les amertumes et les misères de l’exil ne s’étonnera pas que l’infortunée duchesse fût descendue jusqu’ à subir des conditions pénibles et mal sûres, dans l’ardent désir de retrouver la patrie et le foyer domestique. Qui pourrait aussi la blâmer d’avoir hésité, sur des avis tels que ceux que nous venons de rapporter, à franchir le pas après lequel, si par malheur elle s’était trompée, il n’y avait plus pour elle que des regrets éternels et un désespoir sans ressource ?

Bientôt un autre conseil, qui lui était un ordre, l’enchaîna sur la terre étrangère. Celle pour qui depuis dix années elle avait tout souffert et tout bravé, son auguste amie, sa royale complice, Anne d’Autriche, lui fit dire de ne pas se fier aux apparences. Un jour à Saint-Germain, la reine, rencontrant M. de Chevreuse, lui demanda des nouvelles de la duchesse. Celui-ci répondit qu’il avait fort à se plaindre de sa majesté, qui seule empêchait sa femme de revenir. La reine lui dit qu’il avait grand tort de se plaindre d’elle, qu’elle aimait bien Mme de Chevreuse, qu’elle souhaitait bien de la revoir, mais qu’elle ne lui conseillerait jamais de rentrer en France[60]. Il parut à Mme de Chevreuse qu’Anne d’Autriche devait être bien informée, et elle se décida à suivre un avis parti de si haut. Elle ne toucha point à l’argent de Richelieu, et lui écrivit une dernière fois le 16 septembre, lui représentant ses incertitudes et ses embarras, et lui demandant du temps pour apaiser les inquiétudes qui travaillaient son esprit. Le même jour, elle annonce à son mari, à Dudorat et à Boispille, sa résolution définitive : « Je désire bien vivement, dit-elle à son mari, me voir en France en état de remédier à nos affaires, et de vivre doucement avec vous et mes enfans ; mais je commis tant de périls dans le parti d’y aller, comme je sais les choses, que je ne le puis prendre encore, sachant que je n’y puis servir à votre avantage ni au leur, si j’y suis dans la peine. Ainsi il me faut chercher avec patience quelque bon chemin qui enfin me mène là, avec le repos d’esprit que je ne puis encore trouver… J’ai appris des particularités très importantes dont je suis absolument innocente, ainsi que peut-être on le reconnaît à cette heure, et dont toutes les apparences montrent qu’on me voulait accuser. Je ne puis pas m’expliquer plus clairement sur cela. » — A l’abbé Dudorat : « Je m’étonne comme on me peut accuser de feindre des appréhensions imaginaires pour n’aller pas jouir des biens véritables, au lieu de me plaindre des peines où ma mauvaise fortune me réduit[61]. » — A Boispille : « Depuis votre départ, j’ai eu tant de nouvelles connoissances de la continuation de mon malheur dans les soupçons qu’il donne de moi, qu’il m’est impossible de me résoudre à m’aller exposer à tout ce qu’il peut produire Croyez que je souhaite si passionnément mon retour, que je passe par-dessus beaucoup de choses ; mais il y en a qui m’arrêtent avec tant de raison qu’il faut nécessairement que je demeure encore où je suis. Je sens et sens trop les incommodités de cet éloignement, pour ne le pas faire finir aussitôt que j’y verrai jour. En attendant, il vaut mieux souffrir que de périr[62]. »

Ainsi s’évanouirent les dernières espérances d’un rapprochement sincère entre deux personnes qu’attiraient l’une vers l’autre et que séparaient avec la même force d’insurmontables instincts, qui se connaissaient trop pour ne pas se craindre, et pour se fier à des paroles dont elles n’étaient point avares, sans exiger de sérieuses garanties qu’elles ne pouvaient ni ne voulaient donner. À Tours, deux ans auparavant, Mme de Chevreuse avait mieux aimé reprendre une seconde fois le chemin de l’exil que de risquer sa liberté ; à Londres aussi elle préféra supporter les douleurs de l’exil, consumer ses derniers beaux jours dans les privations et les fatigues, pour demeurer libre, avec l’espoir de lasser la fortune à force de courage, et de faire payer cher ses souffrances à leur auteur.

Au milieu de l’année 1639, Marie de Médicis, lasse de la vie errante qu’elle menait dans les Pays-Bas, à la merci du gouvernement espagnol, qui lui avait prodigué les promesses dans l’espoir de s’en servir, et qui la délaissait la voyant impuissante, prit le parti de venir demander un asile à sa fille, la reine d’Angleterre. Celle-ci pouvait-elle donc repousser sa mère vieille, malade, réduite aux dernières extrémités ? L’impitoyable Richelieu accuse Mme de Chevreuse[63] d’avoir soutenu et secondé la résolution de la reine Henriette ; nous, nous la blâmerions de ne l’avoir pas fait, et de n’avoir pas été, elle-même exilée et malheureuse, mêler ses respectueux hommages à ceux de la cour d’Angleterre envers la veuve d’Henri IV, la mère de Louis XIII et de trois grandes reines, qui venait d’essuyer sur l’Océan une tempête de sept jours, et arrivait, dénuée, abattue, mourante, triste objet de la compassion universelle. Richelieu, qui ne voit partout que la politique, incline à trouver dans ces hommages et dans les visites que fit Mme de Chevreuse à Marie de Médicis des intrigues et des complots. Ce sont là vraisemblablement les accusations dont se plaint à mots couverts Mme de Chevreuse dans ses dernières lettres. Elle les repousse et avec raison ; elle se tint tranquille et même fort circonspecte aussi longtemps qu’elle conserva l’espoir d’une sincère réconciliation avec Richelieu ; mais lorsqu’elle se crut bien sûre qu’il la trompait, l’attirait en France pour l’avoir en sa dépendance et au besoin pour la faire enfermer, ayant rompu avec lui, elle se considéra comme délivrée de tout scrupule, et ne songea plus qu’à lui rendre guerre pour guerre.

Quelque temps après Marie de Médicis vint encore à Londres chercher un refuge une autre victime du cardinal, un autre proscrit, intéressant au moins par l’incroyable iniquité des formes du jugement rendu contre lui : le duc de La Valette, le fils aîné du vieux duc d’Epernon, le propre frère du cardinal de La Valette, l’un des généraux et des confidens de Richelieu, qui peut-être l’avait sauvé par ses conseils à la journée des dupes, et dont l’épée l’avait tant de fois fort bien servi dans les Pays-Bas et en Italie. Le duc de La Valette avait commis sans doute une grande faute. Au siège de Fontarabie, placé sous les ordres de M. le Prince, il avait fait échouer cette importante entreprise en ne secondant pas son général comme il le devait. Il n’avait point trahi, il ne s’entendait point avec l’ennemi ; mais une jalousie fatale envers le prince de Condé l’avait fait manquer à son devoir. Une juste punition eut satisfait l’armée ; l’excès de la condamnation et le scandale du procès révoltèrent tous les honnêtes gens. Au lieu d’être traduit devant le parlement en sa qualité de duc et pair, selon les règles de la justice du temps, Bernard de La Valette fut livré à une commission, comme l’avait été le maréchal de Marillac. Le duc, voyant qu’on en voulait à sa vie, s’enfuit, et on le jugea par contumace de la façon la plus inouïe. Le roi assembla dans sa chambre un certain nombre de membres du parlement, le premier président, les présidens à mortier, quelques conseillers d’état, quelques ducs et pairs bien choisis ; il en forma une sorte de tribunal, se mit à sa tête, présida lui-même, et malgré la résistance généreuse de la plupart des membres du parlement, qui demandaient que l’affaire leur fût renvoyée selon toutes les ordonnances, il força ces prétendus juges de délibérer[64], d’adopter les tristes conclusions du procureur-général, et on déclara le duc de La Valette criminel de lèse-majesté, coupable de perfidie, trahison, lâcheté et désobéissance ; il fut condamné à être décapité, ses biens confisqués, et ses terres mouvant de la couronne réunies au domaine du roi. Le procureur-général Mathieu Molé eut grand’peine à se faire décharger du soin de mettre à exécution cette odieuse sentence, et l’illustre contumace fut décapité en effigie, sur la place de Grève, le 8 juin 1639. une telle façon de procéder en matière criminelle était le renversement de toutes les lois du royaume. Puisqu’elle consterna des magistrats attachés au roi, et qui certes n’étaient pas des factieux, tels que les présidens Lejay, Novion, Bailleul, de Mesmes, Bellièvre, est-il surprenant qu’elle ait révolté l’âme d’une femme, et que Mme de Chevreuse ait conjuré Charles Ier de recevoir dans ses états le noble fugitif ? Remarquez bien que le duc de La Valette n’arriva en Angleterre qu’à la fin d’octobre 1639, lorsque Mme de Chevreuse n’avait plus aucun ménagement à garder envers Richelieu. Elle intercéda si vivement auprès de Charles Ier, que malgré l’opinion contraire du conseil des ministres et grâce à l’intervention de la reine, elle obtint pour le duc la permission de venir résider à Londres, et même d’être présenté au roi, mais en particulier et en secret, pour ne pas trop blesser la France[65] : vaine précaution, qui ne sauva pas le roi Charles des rancunes vindicatives de Richelieu. Le cardinal, voyant que Mme de Chevreuse l’emportait sur lui auprès du roi d’Angleterre et qu’elle le poussait vers ses ennemis, travailla plus que jamais à susciter au malheureux roi des embarras domestiques qui le missent hors d’état de nuire à la France ; il poursuivit dans l’ombre ses pratiques artificieuses auprès des parlementaires, et surtout auprès des puritains d’Écosse[66].

De son côté, Mme de Chevreuse ne s’endormit pas. Une fois son ancien duel avec Richelieu renouvelé, elle forma à Londres, avec le duc de Vendôme, La Vieuville et La Valette, une faction d’émigrés actifs et habiles qui, s’appuyant sur le comte de Holland, alors un des chefs du parti royaliste et de l’armée de Charles Ier, sur lord Montaigu, ardent catholique et le conseiller intime de la reine Henriette, sur le chevalier d’Igby et sur d’autres seigneurs puissans dans cette cour, entretenant aussi des intelligences avec les mécontens de France, encourageant et enflammant les espérances de tous les proscrits, semaient partout des obstacles sur la route de Richelieu, et assemblaient des périls sur sa tête.

V

En 1641, nous trouvons Mme de Chevreuse à Bruxelles servant de lien entre l’Angleterre, l’Espagne et la Lorraine. On ne sait pas communément, mais nous pouvons démontrer qu’elle prit une assez grande part à l’affaire du comte de Soissons, c’est-à-dire à la conspiration la plus formidable qui ait été tramée contre Richelieu.

Le comte de Soissons, prince du sang, était bien plus considérable encore que ne l’avait été Henri de Montmorency : il avait sa bravoure et ses talens militaires ; son plan était mieux conçu, et l’occasion tout autrement favorable. Le premier ministre, en tendant tous les ressorts du gouvernement, en perpétuant la guerre, en aggravant les charges publiques, en opprimant les corps, en frappant aussi les particuliers, avait soulevé bien des haines, et il ne gouvernait guère plus que par la terreur. Son génie imposait, la grandeur de ses desseins parlait à quelques esprits d’élite ; mais cette dureté continue et tant de sacrifices sans cesse renaissans fatiguaient le plus grand nombre, à commencer par le roi. Le favori du jour, le grand-écuyer Cinq-Mars, minait et noircissait le plus qu’il pouvait le cardinal dans l’esprit de Louis XIII. Il connaissait la conspiration du comte de Soissons, et sans en faire partie il la favorisait. On pouvait compter sur lui pour le lendemain. La reine Anne, toujours en disgrâce malgré les deux fils qu’elle venait de donner à la France, faisait au moins des vœux pour la fin d’un pouvoir qui l’opprimait. Monsieur avait engagé sa parole, il est vrai, bien peu sûre ; mais le duc de Bouillon, homme de guerre et politique éminent, était ouvertement déclaré, et sa place forte de Sedan, située sur les frontières de la France et de la Belgique, était un asile d’où on pouvait braver longtemps toutes les forces du cardinal. On s’était ménagé de vastes intelligences dans toutes les parties du royaume, dans le clergé, dans le parlement. On conspirait jusque dans la Bastille, où le maréchal de Vitry et le comte de Cramail, tout prisonniers qu’ils étaient, avaient préparé un coup de main avec un secret admirablement gardé. L’abbé de Retz, qui avait alors vingt-cinq ans, préludait à sa carrière aventureuse par cet essai de guerre civile[67]. Le duc de Guise, échappé de l’archevêché de Reims et réfugié dans les Pays-Bas[68], devait venir à Sedan partager les périls des conjurés ; mais le plus grand, le plus solide espoir du comte de Soissons reposait sur l’Espagne : elle seule pouvait le mettre en état de sortir de Sedan, de marcher sur Paris, et de briser le pouvoir de Richelieu ; aussi envoya-t-il à Bruxelles un de ses gentilshommes les plus braves et les plus intelligens pour négocier avec les ministres espagnols et en obtenir de l’argent et des soldats. Ce gentilhomme s’appelait Alexandre de Campion. Il rencontra à Bruxelles Mme de Chevreuse, et lui fit confidence de la mission dont il était chargé. Elle s’empressa de le seconder de tout son crédit. Comme nous verrons reparaître plus d’une fois ce personnage dans la vie de Mme de Chevreuse, et au milieu des plus tragiques aventures, il nous faut bien nous y arrêter quelques momens et le faire un peu connaître.

Lui-même au reste a pris soin de se peindre dans un ouvrage intitulé Recueil de Lettres qui peuvent servir à l’histoire, et diverses Poésies, à Rouen, aux dépens de l’auteur, 1657. Cet écrit, destiné seulement à quelques personnes, fort peu remarqué dans le temps, et depuis aussi peu connu que s’il n’avait jamais été, n’en est pas moins, quoique le titre le dise, très précieux pour l’histoire. Il est dédié à cette célèbre Gillonne d’Harcourt, comtesse de Fiesque, un des aides de camp de Mademoiselle pendant la guerre de la fronde, femme d’esprit, intrigante et galante. Le livre est à l’avenant. Alexandre de Campion s’y montre plein de prétentions au bel esprit et à la galanterie ; il recueille avec soin tous les petits vers qu’il fit dans sa jeunesse pour les belles d’alors, et donne sans façon les lettres qu’autrefois il écrivit, dans les circonstances les plus délicates, au comte de Soissons, au duc de Vendôme, au duc de Beaufort, au comte de Beaupuis, à de Thou, au duc de Bouillon, au duc de Guise, à Mme de Montbazon et à Mme de Chevreuse. On voit dans ces lettres qu’Alexandre de Campion, né, en 1610, d’une très bonne famille de Normandie, entré à vingt-quatre ans, en 1634, au service du jeune comte de Soissons, en qualité de gentilhomme, le suivit dans ses diverses campagnes, s’y distingua, et partagea peu à peu sa confiance avec Beauregard, Saint-Ibar, Varicarville, braves officiers et gens d’honneur, mais inquiets et un peu brouillons, qui flattaient l’ambition de leur maître, et le poussaient de concert à jouer un grand rôle en France en renversant le cardinal de Richelieu. Alexandre de Campion nous apprend que, dès l’année 1636, le comte de Soissons méditait déjà ce qu’il exécuta un peu plus tard, qu’il s’entendait parfaitement avec le duc de Bouillon, et que l’un et l’autre s’efforcèrent d’attirer à Sedan le duc d’Orléans, afin de lever de là l’étendard de la révolte et contraindre le roi à sacrifier son ministre. Campion alla à Blois pour décider le duc d’Orléans et lui indiquer les moyens les plus sûrs de se rendre à Sedan. En même temps il négociait avec Richelieu par le moyen du père Joseph. La fin de l’année 1636 et toute l’année 1637 se passèrent en ces intrigues, qui échouèrent par la peur qu’au moment d’agir éprouvèrent les conjurés à s’embarquer dans une pareille entreprise. Le comte de Soissons finit par s’accommoder avec Richelieu par l’intermédiaire de son beau-frère, le duc de Longueville, tout en conservant l’intention de se séparer du cardinal et de le détruire dès qu’il en trouverait une bonne occasion. Pendant cette paix de courte durée, le confident du comte de Soissons travaille à lui faire des partisans par tous les moyens. Il se lie avec Cinq-Mars, et tandis que le comte a un engagement secret avec une personne qu’il aime et qui n’est pas ici nommée, Alexandre de Campion ne laisse pas de faire espérer sa main à diverses princesses et à leurs familles. En 1640, le complot, qui n’avait jamais été entièrement abandonné, se ranime entre le duc de Bouillon et le comte de Soissons. Le grand-écuyer, sans y entrer directement, promet son appui. Le père de Gondi, autrefois général des galères, maintenant prêtre de l’Oratoire, père du duc de Retz et du futur cardinal, les présidens de Mesmes et Bailleul, sont consultés, non comme complices, mais comme amis. Le pénétrant Richelieu les devine, et les éloigne de la cour et de Paris. Après être resté quelque temps sur ce théâtre périlleux, où il vit souvent l’abbé de Retz[69], Campion est bientôt réduit à fuir lui-même à Sedan. On l’envoie à Bruxelles négocier avec l’Espagne. C’est alors qu’il connut Mme de Chevreuse. La politique fit-elle seule les frais de cette liaison ? Nous l’ignorons ; mais lorsque Alexandre de Campion raconte au comte de Soissons tout ce qu’il doit à Mme de Chevreuse, le comte, jeune et galant, plaisante un peu son jeune et galant gentilhomme sur ses succès auprès de la belle duchesse, et celui-ci lui répond avec une apparente modestie, mêlée d’assez de fatuité : « 3 juin 1641. M. de Châtillon (qui commandait l’année envoyée par Richelieu contre les rebelles) ne vous fait guère de peur, puisque vous songez à me railler dans votre lettre, et c’est me savoir peu de gré des services que je vous rends en réunissant une illustre personne avec vous, et en vous procurant une amie qui ne l’avoit jamais été. Elle est persuadée de votre amitié par les complimens que vous lui faites dans votre lettre ; mais si elle avoit vu celle que vous m’écrivez, peut-être n’agiroit-elle pas avec tant de chaleur, vos railleries n’étant pas trop obligeantes pour elle. Elle a écrit au comte-duc, de sorte que son assistance ne vous sera pas inutile ; même, comme elle a tout pouvoir sur don Antonio Sarmiento, elle l’a fait écrire de la même manière, et elle a un très grand zèle pour vous. Je ne sais si vous en seriez quitte à si bon marché que vous pensez, si l’état de vos affaires vous obligeoit à faire un tour ici, ou si les siennes lui faisoient prendre le chemin de Sedan ; mais si vous m’en croyez, vous n’aurez pas si bonne opinion de moi, puisqu’il est constant que j’envisage ces sortes de déités qui sont au-dessus de moi avec respect et vénération, et que comme elles n’ont garde de s’abaisser jusqu’à moi, je m’empêche bien d’élever mes prétentions jusqu’à elles. Après vous avoir parlé sincèrement, j’ose espérer que vous m’épargnerez à l’avenir, et elle aussi, qui se charge de solliciter vos affaires comme les siennes propres. » En effet, Mme de Chevreuse, sans qu’il soit besoin de lui prêter des raisons plus particulières, servit avec chaleur une entreprise dirigée contre l’ennemi commun. Elle écrivit au comte-duc Olivarès, et appuya vivement auprès de lui les demandes du comte de Soissons et du duc de Bouillon. À Bruxelles, elle entraîna don Antonio Sarmiento, et elle donna à Campion, ainsi qu’à l’abbé de Merci, agent d’intrigues au service de l’Espagne, des lettres pour le duc de Lorraine, où elle le pressait de ne pas manquer cette occasion suprême de réparer ses malheurs passés et de porter un coup mortel à Richelieu. Charles IV, sollicité à la fois par Mme de Chevreuse, par son parent le duc de Guise, par le ministre espagnol, surtout par son inquiète et aventureuse ambition, rompit l’alliance solennelle qu’il venait de contracter avec la France, entra dans le traité de l’Espagne et du comte de Soissons, et fit diligence pour aller au secours de Sedan. Le général Lamboy et le colonel de Metternic accoururent de Flandre avec six mille impériaux. En même temps Mme de Chevreuse et les émigrés firent jouer tous les ressorts qui étaient entre leurs mains. La France et l’Europe étaient dans l’attente. Jamais Richelieu ne courut un plus grand danger, et la perte de la bataille de la Marfée lui serait devenue funeste, si le comte de Soissons n’eût trouvé la mort dans son triomphe.

Mme de Chevreuse est-elle restée étrangère en 1642 à la nouvelle conspiration de Monsieur, de Cinq-Mars et du duc de Bouillon ? Ce serait donc la seule à laquelle elle n’ait pas pris part. Il est bien douteux qu’elle ne fût pas dans le secret, ainsi que la reine Anne, dont l’intelligence avec Cinq-Mars et Monsieur ne peut pas être contestée. Tout en se ménageant très soigneusement avec Louis XIII et son ministre, Anne d’Autriche n’avait pas abandonné ses anciens sentimens ni même ses desseins, et elle eût pu être compromise dans l’affaire du comte de Soissons, si nous en croyons ces mois d’un billet d’Alexandre de Campion à Mme de Chevreuse, du 15 août 1641 : « N’ayez point de peur des lettres qui parlent de la personne du monde pour qui vous avez le plus de dévouement ; M. de Bouillon et moi nous avons brûlé toutes celles qui étoient dans la cassette du comte. » La reine connaissait certainement le complot de Cinq-Mars, et elle y donna les mains. Peut-être ignorait-elle le traité avec l’Espagne ; mais pour tout le reste et contre le cardinal elle s’entendait avec les conspirateurs. La Rochefoucauld l’affirme plusieurs fois comme une chose où il a été mêlé : « l’éclat du crédit de M. le Grand, dit-il, réveilla les espérances des mécontens ; la reine et Monsieur s’unirent à lui ; le duc de Bouillon et plusieurs personnes de qualité firent la même chose. M. De Thou vint me trouver de la part de la reine pour m’apprendre sa liaison avec M. le Grand, et qu’elle lui avoit promis que je serois de ses amis[70]. » Le duc de Bouillon déclare que la reine s’était étroitement liée avec Monsieur et avec le grand-écuyer, et qu’elle-même lui avait demandé son concours : « La reine[71], que le cardinal avoit persécutée en tant de manières, ne douta point que si le roi venait à mourir, ce ministre ne voulût lui ôter ses enfans pour se faire donner la régence. Elle fit rechercher le duc de Bouillon par De Thou secrètement et avec beaucoup d’instances. Elle lui fit demander que, le roi venant à mourir, il voulût lui promettre de la recevoir dans Sedan avec ses deux enfans, ne croyant pas, tant elle étoit persuadée des mauvaises intentions du cardinal et de son pouvoir, qu’il y eût aucun lieu de sûreté pour eux dans toute la France. De Thou dit encore au duc de Bouillon que, depuis la maladie du roi, la reine et Monsieur, le duc d’Orléans, s’étoient liés étroitement ensemble, et que c’étoit par Cinq-Mars que leur liaison avoit été faite. Deux jours après, De Thou souhaita que la reine témoignât au duc de Bouillon la satisfaction qu’elle avoit de la manière dont il avoit répondu aux choses qui lui avoient été dites de sa part ; ce qu’elle ne put faire qu’en peu de paroles et en passant pour aller à la messe, se remettant du reste à De Thou comme ayant en lui une confiance entière. » Turenne écrivant plus tard à sa sœur, Mlle de Bouillon, lui dit : » Vous pouvez juger combien il doit être sensible à mon frère de voir la reine et Monsieur tout-puissans, et d’avoir perdu Sedan pour l’amour d’elle[72]. « Or, où la reine Anne s’était si fort engagée, Mme de Chevreuse n’avait guère dû s’abstenir. Ajoutez qu’elle était depuis longtemps très liée avec De Thou, qui s’était compromis pour elle dans une affaire qu’il nous est impossible de déterminer, mais où nous savons qu’il eut grand’peine à obtenir son pardon du cardinal, comme il le reconnaît lui-même dans le tragique procès qui le conduisit à l’échafaud[73]. Un ami de Richelieu, qui ne se nomme pas, mais qui paraît parfaitement informé, n’hésite point à mettre Mme de Chevreuse, ainsi que la reine, parmi ceux qui alors ont voulu le renverser : « M. le Grand, écrit-il au cardinal[74], a été poussé à son mauvais dessein par la reine-mère, par sa fille, par la reine de France, par Mme de Chevreuse, par Montaigu et autres papistes d’Angleterre. »

Enfin le cardinal lui-même, dans les premiers jours de juin 16A2, retiré à Tarascon, pour sa santé sans doute, mais aussi pour sa sûreté, avec ses deux confidens, Mazarin et Chavigny, et les fidèles régimens de ses gardes, se sentant environné de périls et faisant représenter à Louis XIII la gravité de la situation, cite parmi les indices les plus frappans ce qu’on lui écrit de Mme de Chevreuse[75]. Quel parti en effet conspirait contre Richelieu ? N’était-ce pas le parti du passé, — le parti de la ligue, de l’Autriche et de l’Espagne ? et Mme de Chevreuse à Bruxelles, par ses liens avec le duc de Lorraine, la reine d’Angleterre, le chevalier de Jars à Rome et le comte-duc Olivarès à Madrid, n’était-elle pas une des puissances considérables de ce parti ? Quand donc on le sentait s’agiter, il était fort naturel de soupçonner dans tous ses mouvemens la main de Mme de Chevreuse.

Mais bientôt l’œil de Richelieu perce la nuit qui l’enveloppe ; il voit clair dans les menées du grand-écuyer, que depuis longtemps il surveillait : une trahison, dont le secret est demeuré impénétrable à toutes les recherches depuis deux siècles, fait tomber entre ses mains le traité conclu avec l’Espagne, par l’intermédiaire de Fontrailles, au nom de Monsieur, de Cinq-Mars et du duc de Bouillon. Dès-lors le cardinal se tient assuré de la victoire. Il connaissait Louis XIII ; il savait qu’il avait pu, dans quelque accès de son humeur mobile et bizarre, se plaindre de son ministre auprès de son favori, souhaiter même d’en être délivré, et prêter l’oreille à d’étranges propos[76] ; mais il savait aussi à quel point il était roi et Français, et dévoué à leur commun système. Il se hâta donc d’envoyer Chavigny à Narbonne avec les preuves authentiques du traité d’Espagne. À la vue de ces preuves, Louis se trouble ; il a peine à en croire ses yeux, il tombe dans une sombre mélancolie, et il n’en sort qu’avec des éclats d’indignation contre celui qui a pu abuser ainsi de sa confiance et conspirer avec l’étranger. On n’a pas besoin de l’enflammer ; il est le premier à demander une punition exemplaire ; pas un jour, pas une heure il ne s’attendrit sur la jeunesse d’un coupable qui lui a été si cher ; il ne pense qu’à son crime, et signe sans hésiter l’arrêt de sa mort[77]. Sur un bruit parti d’un domestique de Fontrailles, et que les mémoires de Fontrailles confirment pleinement[78], ses soupçons se portent sur la reine[79], et on ne parvint jamais à lui arracher de l’esprit qu’ici, comme dans l’affaire de Chalais, Anne d’Autriche ne s’entendît avec Monsieur. Qu’eût-il dit s’il avait lu la relation de Fontrailles, les mémoires du duc de Bouillon, le billet de Turenne et la déclaration de La Rochefoucauld ? A nos yeux, l’accord de ces témoignages est décisif. Les paroles du duc de Bouillon et de La Rochefoucauld sont telles qu’on n’en peut révoquer en doute l’autorité qu’en imputant à l’un et à l’autre non pas une erreur, mais un mensonge, et un mensonge à la fois gratuit et odieux. La reine fit tout au monde pour conjurer ce nouvel orage et persuader son innocence au roi et à Richelieu. Nous avons vu qu’en 1657 les protestations les plus solennelles, les sermens les plus saints ne lui avaient pas coûté pour démentir d’abord ce qu’ensuite il lui avait bien fallu confesser. En 1642, elle eut recours aux mêmes moyens. Elle descendit à des humilités aussi incompatibles avec une bonne conscience qu’avec sa dignité et son rang. Elle prodigua à Richelieu les marques d’intérêt et d’attachement ; elle fit paraître « une grande horreur pour l’ingratitude du grand-écuyer ; » elle déclara qu’elle « se remettoit sans réserve entre les mains du cardinal, » qu’elle ne voulait plus se gouverner que par ses conseils, et qu’elle chercherait désormais tout son bonheur en ses enfans, dont elle abandonnait bien volontiers l’éducation à Richelieu. Elle lui écrivit elle-même pour lui demander avec tendresse des nouvelles de sa santé, comme autrefois elle lui avait demandé sa main et offert la sienne en signe d’éternelle alliance, ajoutant très humblement qu’il ne se donnât pas la fatigue de lui répondre[80]. Elle fit bien plus, elle ne se borna pas à la dissimulation et au mensonge : dans ce péril extrême, elle alla jusqu’à se tourner contre la courageuse amie qui se dévouait pour elle. Elle l’eût embrassée comme une libératrice, si la fortune se fût déclarée en sa faveur ; vaincue et désarmée, elle l’abandonna. Comme elle avait protesté de son horreur pour la conspiration qui avait échoué et pour ses deux imprudens et infortunés complices qui montèrent sans la nommer sur l’échafaud, ainsi, voyant le roi et Richelieu déchaînés contre Mme de Chevreuse et bien décidés à repousser les nouvelles instances que faisait sa famille pour obtenir son rappel, la reine, loin d’intercéder pour son ancienne favorite, se joignit avec passion à ses ennemis, et, afin de donner le change sur ses propres sentimens et de paraître applaudir à ce qu’elle ne pouvait empêcher, elle demanda comme une grâce toute particulière qu’on tint la duchesse éloignée de sa personne et même de la France. « La reine, écrit à Richelieu son ministre des affaires étrangères, Chavigny[81], la reine m’a demandé avec soin s’il étoit vrai que Mme de Chevreuse revînt, et, sans attendre ce que je lui répondrais, elle m’a témoigné qu’elle serait très marrie de la voir présentement en France, qu’elle la connoissoit pour ce qu’elle étoit, et elle m’a ordonné de prier son éminence de sa part, si elle avoit quelque envie de faire quelque chose pour Mme de Chevreuse, que ce fût sans lui permettre son retour en France. J’ai assuré sa majesté qu’elle aurait satisfaction sur ce point. » — « Je n’ai jamais vu une plus véritable et plus sincère satisfaction en personne que celle qu’a eue la reine d’apprendre ce que je lui ai dit de la part de monseigneur. Elle proteste que non-seulement elle ne veut point que Mme de Chevreuse l’approche, mais qu’elle est résolue, comme à son propre salut, de ne plus souffrir que personne lui parle contre la moindre chose de son devoir. »

Voilà donc Mme de Chevreuse tombée, ce semble, au dernier degré du malheur. Sa situation était affreuse, elle souffrait dans toutes les parties de son cœur ; plus d’espoir de revoir sa patrie, son beau château, ses enfans, sa fille Charlotte. Ne tirant presque rien de France, elle était à bout de ressources, d’emprunts et de dettes. Elle apprenait combien il est dur de monter et de descendre l’escalier de l’étranger[82], d’avoir à subir tour à tour la vanité de ses promesses et la hauteur de ses dédains. Et pour qu’aucune amertume ne lui fût épargnée, celle qui lui devait au moins une fidélité silencieuse se rangeait ouvertement du côté de la fortune et de Richelieu. Elle passa ainsi quelques mois bien douloureux, sans nul autre soutien que son courage. Tout à coup, le 4 décembre 1642, le redouté cardinal, victorieux de tous ses ennemis au dehors et au dedans, maître absolu du roi et de la reine, succombe au faite de la puissance. Louis XIII ne tarda pas à le suivre ; mais, forcé bien malgré lui de confier la régence à la reine et de nommer son frère lieutenant-général du royaume, il leur imposa un conseil sans lequel ils ne pouvaient rien, et où dominait, en qualité de premier ministre, l’homme le plus dévoué au système de Richelieu, son ami particulier, son confident, et sa créature, le cardinal Jules Mazarin. Ce n’était point assez de cette mesure bizarre qui, par défiance de la future régente, mettait en quelque sorte la royauté en commission ; Louis XIII ne crut avoir assuré après lui le repos de ses états qu’en confirmant et en perpétuant, autant qu’il était en lui, l’exil de Mme de Chevreuse. Dans sa pieuse aversion pour la vive et entreprenante duchesse, il avait coutume de l’appeler le Diable. Il n’aimait guère plus, il craignait presque autant, l’ancien garde des sceaux Châteauneuf, enfermé dans la citadelle d’Angoulême. Comme si l’ombre du cardinal le gouvernait encore à son lit de mort, avant d’expirer il inscrivit dans son testament, dans la déclaration royale du 20 avril, contre Châteauneuf et Mme de Chevreuse, cette clause extraordinaire : « D’autant, dit le roi, que pour de grandes raisons, importantes au bien de notre service, nous avons été obligé de priver le sieur de Châteauneuf de la charge de garde des sceaux de France, et de le faire conduire au château d’Angoulême, où il a demeuré jusqu’à présent par nos ordres, nous voulons et entendons que ledit sieur de Châteauneuf demeure au même état qu’il est de présent audit château d’Angoulême jusques après la paix conclue et exécutée, à la charge néanmoins qu’il ne pourra lors être mis en liberté que par l’ordre de la dame régente, avec l’avis du conseil, qui ordonnera d’un lieu pour sa retraite, dans le royaume ou hors du royaume, ainsi qu’il sera jugé pour le mieux. Et comme notre devoir est de prévoir tous les sujets qui pourroient en quelque sorte troubler le bon établissement que nous avons fait pour conserver le repos et la tranquillité de notre état, la connoissance que nous avons de la mauvaise conduite de la dame duchesse de Chevreuse, des artifices dont elle s’est servie jusques ici pour mettre la division dans notre royaume, les factions et les intelligences qu’elle entretient au dehors avec nos ennemis nous font juger à propos de lui défendre, comme nous lui défendons, l’entrée de notre royaume pendant la guerre, voulons même qu’après la paix conclue et exécutée elle ne puisse retourner dans notre royaume que par les ordres de ladite dame reine régente, avec l’avis dudit conseil, à la charge néanmoins qu’elle ne pourra faire sa demeure ni être en aucun lieu proche de la cour et de ladite dame reine. » Ces solennelles paroles désignaient Mme de Chevreuse et Châteauneuf comme les deux plus illustres victimes du règne qui allait finir, mais aussi comme les chefs de la politique nouvelle qui semblait appelée à remplacer celle de Richelieu. Louis XIII rendit le dernier soupir le 14 mai 1643. Quelques jours après, le même parlement qui avait enregistré la déclaration du 20 avril l’abolissait ; la nouvelle régente était délivrée de toute entrave et mise en possession de l’absolue souveraineté ; Châteauneuf sortait de prison, et Mme de Chevreuse quittait Bruxelles en triomphe pour revenir en France et à la cour.


VICTOR COUSIN.

  1. Mme de Motteville, t. Ier, de l’édit. d’Amsterdam de 1750, p. 698 : « Je lui ai ouï dire à elle-même, sur ce que je la louois un jour d’avoir eu part à toutes les grandes affaires qui étoient arrivées en Europe, que jamais l’ambition ne lui avoit touché le cœur, mais que son plaisir l’avoit menée, c’est-à-dire qu’elle s’étoit intéressée dans les affaires du monde seulement par rapport à ceux qu’elle avoit aimés. » C’est à quoi se réduit le passage de Retz, que nous citerons tout à l’heure.
  2. Mémoires, collection Petitot, deuxième série, t. LI, p. 339.
  3. Vie de madame de Longueville, par Villefore, édition de 1739, IIe partie, p. 33. Mme de Motteville, t. Ier, p. 178 : « J’ai ouï dire à ceux qui l’ont connue particulièrement qu’il n’y a jamais eu personne qui ait si bien connu les intérêts de tous les princes et qui en parlât si bien, et même je l’ai entendu louer de sa capacité. »
  4. Ce portrait n’est pas un original ; c’est une copie, mais ancienne.
  5. Voyez la collection in-4o de Daret, dédiée à Mme de Chevreuse elle-même. Il y a un autre portrait gravé de Mme de Chevreuse, et fort rare, par Leblond, in-f°. Vingt-cinq à vingt-six ans. Ovale admirable, grands yeux, beau sein, cheveux frisés et crêpés du commencement de Louis XIII. Très belle personne, mais sans aucun charme, par l’effet d’un burin sec et vulgaire. Quant aux vilains petits portraits de Moncornet, ils n’ont aucun rapport avec Mme de Chevreuse à aucun âge.
  6. L’original de Ferdinand Elle est chez M. le duc de Luynes. Odieuvre l’a gravé dans l’Europe illustre.
  7. Mme de Motteville, t. Ier, p. 2 : « La duchesse de Luynes étoit très bien avec son mari. »
  8. Tom. Ier de l’édition d’Amsterdam, 1731, p. 221.
  9. Tome Ier de l’édition d’Amsterdam, 1731, p. 219.
  10. Cette grande accusation n’a pas la portée qu’où lui pourrait donner : elle signifie seulement que Mme de Chevreuse « étoit distraite dans ses discours, » comme nous l’apprend Mme de Motteville, t. Ier, p. 198.
  11. Mme de Motteville, ibid., p. 12. Elle dit même que la reine étant devenue grosse, se blessa en courant après la connétable.
  12. La Rochefoucauld, ibid., p. 340. La Porte, Mémoires, collection Petitot, n° série, t. LIX, p. 295 : « Un des plus beaux hommes du monde, mais d’une beauté efféminée ; »
  13. Nous croyons en effet à la scène du jardin d’Amiens, telle que la racontent Mme de Motteville et La Rochefoucauld, mais nous ne croyons pas le moins du monde à celle du jardin du Louvre, et que la reine ait le lendemain envoyé Mme de Chevreuse demander à Buckingham s’il était sûr qu’elle ne fût pas en danger d’être grosse, ainsi que le dit Retz dans le manuscrit original de ses Mémoires, que reproduit fidèlement l’édition de M. Aimé Champollion, collection Michaud et Poujoulat C’est la scène d’Amiens que Mme de Chevreuse aura racontée à Retz, et qui vingt ans après se sera agrandie et embellie dans l’imagination libertine du cardinal.
  14. Mémoires de Richelieu, dans la collection Petitot, t. III, p. 64.
  15. La Rochefoucauld, ibid., p. 339 : « Chalais étoit maître de la garde-robe ; sa personne et son esprit étoient agréables, et il avoit un attachement extraordinaire pour Mme de Chevreuse. Il fut accusé d’avoir eu dessein contre la vie du roi et d’avoir proposé à Monsieur de rompre son mariage dans le but d’épouser la reine aussitôt qu’il seroit parvenu à la couronne. Bien que ce crime ne fut pas entièrement prouvé, Chalais eut la tête tranchée, et le cardinal n’eut pas de peine à persuader au roi que la reine et Mme de Chevreuse n’avoient pas ignoré le dessein de Chalais. » Fontenay-Mareuil, Mémoires, coll. Petitot, t. LI, p. 23, dit qu’au milieu de l’affaire et malgré tous ses engagemens il se rapprocha de Richelieu, mais que Mme de Chevreuse lui en fit tant de reproches et le pressa si fort que rien n’étant quasi impossible a une femme aussi belle et avec autant d’esprit que celle-là, il n’y put résister, et il aima mieux manquer au cardinal de Richelieu et à lui-même qu’à elle, de sorte qu’ayant aussitôt fait changer Monsieur, il le rendit plus révolté que jamais… Quand il n’auroit fait que conseiller à Monsieur de sortir de la cour pour aller à La Rochelle, personne ne l’auroit pu sauver ; mais on disoit, et beaucoup de gens le croyoient, qu’il avoit été plus avant. »
  16. Richelieu, Mémoires, t. III, p. 105.
  17. Ici, et sur toute la première partie de la vie de Mme de Chevreuse, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de M. le comte d’Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, avec notes, pièces justificatives et documens historiques entièrement inédits, ouvrage dont nous ferions un éloge plus étendu, si des juges bien compétens ne nous avaient prévenu dans cette Revue même, et n’avaient déjà mis en lumière le savoir, l’esprit et l’agrément qui brillent dans ce livre remarquable.
  18. La reine Anne était si avant dans cette intrigue, qu’elle trembla pour elle-même à la nouvelle de l’arrestation dîle Montaigu, et elle n’eut de repos qu’après s’être bien assurée qu’elle n’était pas nommée dans les papiers du prisonnier et ne le serait pas dans ses interrogatoires. Voyez La Porte, Mémoires, page 304.
  19. Mémoires de Richelieu, t. IV, p. 74.
  20. Mme de Motteville, t. Ier, p. 62 : « Ce ministre, malgré la rigueur qu’il avoit eue pour elle, ne l’avoit jamais haïe ; sa beauté avoit eu des charmes pour lui, etc. »
  21. Il était né en 1580. On admirable portrait au crayon de D. Demonstier, gravé par Ragot, le représente en garde des sceaux, d’une mine ferme et relevée.
  22. Mémoires de Richelieu, t. VII, p. 248 ; note de l’éditeur.
  23. La jalousie de Richelieu contre Châteauneuf parait dans cet endroit des Mémoires de La Porte, ibid., p. 322 : « Le cardinal m’interrogea fort sur ce que faisoit la reine, si M. de Châteauneuf alloit souvent chez elle, s’il y étoit tard, et s’il n’alloit pas ordinairement chez Mme de Chevreuse. »
  24. Nous avons rencontré ce fragment précieux aux Archives des affaires étrangères ; FRANŒ, t. CI, à la fin du volume, sous ce titre : Mémoire de M. le cardinal de Richelieu contre M. de Chateauneuf. 12 nages, de la main bien connue de Charpentier, un des secrétaires du cardinal.
  25. Mme de Motteville, t. Ier, p. 62-69.
  26. La Rochefoucauld, Mémoires, p. 355.
  27. La Rochefoucauld, ibid., p. 355 : « Mme de Chevreuse étoit alors reléguée à Tours. La reine lui avoit donné bonne opinion de moi ; elle souhaita de me voir, et nous fûmes bientôt dans une très grande liaison d’amitié… En allant et en revenant, j’étais souvent chargé par l’une ou par l’autre de commissions périlleuses. »
  28. Mémoires, ibid., p. 352 et suiv.
  29. Mme de Motteville, t. Ier, p. 83. « Ce fut à Chantilly que cette grande querelle se passa. »
  30. Mémoires, p. 80.
  31. Mémoires, p. 358, etc.
  32. Mémoires,t. X, p. 195, etc.
  33. Ces précieux documens sont passés de la cassette du cardinal de Richelieu dans la bibliothèque du maréchal, qui les a communiqués au père Griffet, comme il avait fait les papiers de Châteauneuf. La Bibliothèque nationale les a acquis assez récemment. En voici la liste exacte : Supplément français, n° 4008, avec ce titre : Pièces relatives à l’affaire du Val-de-Grâce,1637. Ces pièces sont : 1° Relation de ce qui s’est passé en l’affaire de la reine, au mois d’aoûst 1637, sur le sujet de La Porte et de l’abbesse du Val-de-Grâce ; cette relation est de la main même de Richelieu : c’est à peu près le récit des Mémoires ; on voit par là comment le cardinal composait ses mémoires, et que cet ouvrage n’est autre chose qu’une collection de mémoires spéciaux, unis entre eux par quelques mots de narration ; 2° procès-verbaux de quatre interrogatoires de La Porte, du 13, 15, 18 et 27 aoûst 1637 ; 3° procès-verbal de l’interrogatoire de l’ablesse du Val-de-Grâce, du 24 aoûst ; 4° Instructions autographes de M. De Noyers, adressées au chancelier Séguier pour ces différens interrogatoires ; 5° plusieurs lettres autographes de Séguier ; 6° une déposition de la reine écrite par son secrétaire des commandemens, Le Gras, le 21 aoûst, à Chantilly, pour être donnée à monseigneur l’éminentissime cardinal de Richelieu ; 7° une nouvelle déclaration de la reine du 22 aoûst, de la main de Le Gras ; 8° un premier pardon du roi, du 17 aoûst, ainsi qu’un Mémoire des choses que le roi désire de la reine, et l’engagement de la reine de se conformer à toutes les choses qui lui sont prescrites.
  34. Mémoires de Richelieu, t. X, p. 201, et la Relation manuscrite.
  35. Mémoires, p. 224, etc.
  36. La Rochefoucauld, Mémoires, p. 354.
  37. Extrait de l’information faite par le président Vignier de la sortie de madame de Chevreuse hors de France, avec diverses pièces à l’appui, Bibliothèque Nationale, collection Du Puy, n° 499, 500, 501, réunis en un seul volume.
  38. La Rochefoucauld, p. 356. Tallemant, t. I, p. 250, raconte les traits les plus singuliers, mais nous ne rapportons que les faits certains et authentiques. Extrait de l’information, etc. : « Une bourgeoise de ce bourg-là passa fortuitement et la vit couchée sur ce foin et s’écria : Voilà le plus beau garçon que je vis jamais ! Monsieur, dit-elle, venez vous en reposer chez moi ; vous me faites pitié, etc. »
  39. Tallemant.
  40. Extrait de l’information : « Malhasty lui dit qu’elle se perdroit, qu’elle rencontreroit mille voleurs, qu’elle n’avoit qu’un seul homme avec elle, qu’il craignoit qu’où lui fit du déplaisir… Elle offrit audit Malhasty un grand rouleau de pistoles, etc. »
  41. Extrait d’une lettre écrite de Toulouse, le 2 novembre 1637.
  42. La Rochefoucauld, Mémoires.
  43. Ce sont ceux que Du Puy a recueillis et dont nous avons fait usage pour établir notre récit, en nous aidant aussi du récit de Richelieu et de celui de La Rochefoucauld. C’est en cette occasion que La Rochefoucauld fut mis huit jouis à la Bastille. Voyez ses Mémoires et surtout la Jeunesse de madame de Longueville, 3e édit., chap. IV, p. 279, etc., et l’Appendice, p. 467, etc.
  44. Mme de Motteville, tome Ier, p. 93.
  45. Bibliothèque nationale, Manuscrits de Colbert, affaires de France, in-fol. t. II. fol. 9. Mémoire de ce que Madame de Chevreuse a donné charge au sieur de Boispille de dire à monseigneur le cardinal : « Elle ne s’est obligée a rien du tout en Espagne et ne se trouvera pas qu’elle ait pris un teston, fors les bonnes chères et traitemens… Elle a parlé comme elle devoit en Espagne, et croit que c’est une des choses qui l’a le plus fait estimer du comte-duc. »
  46. Mémoires de Richelieu, tome X, p. 488.
  47. Manuscrits de Colbert, tome II, fol. 1 et 2.
  48. Manuscrits de Colliert, ibid., fol. 4.
  49. Voyez, sur cette particularité, la Jeunesse de madame de Longueville, 3e édit., chap. IV, p. 280, et Appendice, p. 467.
  50. Mme de Chevreuse, comme son petit-fils, aimait les arts et les encourageait. Elle a été la protectrice de l’excellent graveur Pierre Daret, qui lui a dédié sa collection des Illustres Français et estrangers de l’un et de l’autre sexe, in-4o, 1652. Cette dédicace, trop peu connue, nous apprend des choses qui ne se trouvent dans aucune des biographies de cet artiste, pas même dans l’Abécédaire de Mariette, et qui font le plus grand honneur à Mme de Chevreuse.
  51. La Bibliothèque nationale possède deux manuscrits qui la contiennent toute entière : l’un, que le père Griffet a connu et mis à profit, est le tome II des Manuscrits de Colbert, affaires de France (ce ne sont que des copies, souvent assez défectueuse) ; l’autre, Supplément français, n° 4967, renferme, il est vrai, moins de pièces, mais originales, parmi lesquelles il y a plusieurs lettres autographes de Richelieu et de Mme de Chevreuse.
  52. Manuscrits de Colbert, t. II, fol. 6.
  53. Manuscrits de Colbert, f° 11, lettre du 24 juillet 1638.
  54. Manuscrits de Colbert, fo 18. L’original, de la main de Charpentier, est au Supplément français, no 4067.
  55. Ibid., fo 41 et aussi Supplément français, no 4067.
  56. Ibid., fo 21, et Supplément français, no 4067.
  57. Manuscrits de Colbert, f° 24, et Supplément français.
  58. Ibid., f° 27, et Supplément français.
  59. Manuscrits de Colbert, f° 43 et 44.
  60. Lettre de l’abbé Dudorat à Richelieu, Manuscrits de Colbert, f° 47, verso.
  61. Ibid., f° 53.
  62. Manuscrits de Colbert, f° 54.
  63. Mémoires, t. X, p. 484.
  64. Il faut voir cette scène inouïe, non pas seulement dans la relation détaillée et suspecte que publièrent les amis de La Valette, et qui se trouve parmi les pièces imprimées à la suite des Mémoires de Montrésor, mais dans les Mémoires d’Omer Talon, collection Petitot, n° série, t. LX, p. 186-197.
  65. Mémoires de Richelieu, t. X, p. 498 et 199.
  66. Voyez la lettre de Richelieu au comte d’Estrade du 2 décembre 1637 ; voyez aussi diverses lettres de 1639 de Boispille au cardinal, où il lui donne des nouvelles du peu de progrès de l’armée royaliste en Écosse avec une satisfaction mal dissimulée qui trahit les sentimens de celui auquel il écrit. — Manuscrits de Colbert, t. II, f° 29, 32, 33, etc. Richelieu fit imprimer le Manifeste des Écossais, lorsqu’ils s’avancèrent en 1641 vers l’Angleterre, dans la Gazette de cette année, n° 34, p. 161. « On ne peut douter, dit l’exact et savant père Griffet, t. III, p. 158, que Richelieu n’ait été un des premiers auteurs de la révolution qui conduisit dans la suite Charles Ier sur l’échafaud et Cromwell sur le trône. M. de Brienne parait en convenir, mais il a soin de remarquer que les choses allèrent bien plus loin que le cardinal ne l’avait prévu et qu’il ne l’eût souhaité. »
  67. Voyez dans le premier volume des Mémoires, p. 28-41, tout le détail de cette affaire.
  68. On lit dans la Gazette de Renaudot, pour l’année 1641, n° 61, p. 314 : « Le 20 de ce mois de mai, le duc de Guise arriva de Sedan à Bruxelles, où il fut souper chez la duchesse de Chevreuse et coucher chez don Antonio Sarmiento. » Et dans le n° 64, p. 327, sous la date du 28 mai : « Le secrétaire du duc de Bouillon est parti d’ici ( Bruxelles] pour Sedan, où le duc de Guise est aussi retourné. »
  69. Mémoires, t. Ier, p. 26.
  70. Mémoires, ibid., p. 362 et 363.
  71. Mémoires de la vie de Fréd.-Maurice de La Tour d’Auvergne, duc de Bouillon (par son secrétaire Langlade), l’avis. 1692, in-12.
  72. Lettres et Mémoires, etc., publiés par le général Grimoard, in-f°, t. Ier, p. 40.
  73. Nouveaux Mémoires d’histoire, de critique et de littérature, par M. L’abbé d’Artigny, t. IV. Pièces originales concernant le procès de MM. de Bouillon, Cinq-Mars et De Thou. Interrogatoire du 6 juillet 1642, et surtout deuxième interrogatoire du 24 juillet : « Interpellé que pour ses sentimens il les a trop fait connoître en l’affaire de Mme de Chevreuse, a dit que pour l’affaire de Mme de Chevreuse, ayant la parole de M. le cardinal il s’en tient assuré, sachant bien qu’il ne fait pas de grâce à demi. »
  74. Archives des affaires étrangères, France, t. CI, etc.
  75. Archives des affaires étrangères, France, t. CII, mémoire inédit de Richelieu : « … Il faut que MM. de Chavigny et de Noyers parlent au roi et lui disent une le cardinal, voulant partir de Narbonne, suivant son conseil, pour changer d’air, et ne sachant quel changement son transport apporteroit à son mal, a voulu témoigner l’extrême confiance qu’il a en sa majesté en lui découvrant ce qui s’apprend de toutes parts, Les lettres du prince d’Orange, la Gazette de Bruxelles, celle de Cologne, les préparatifs de la reine-mère pour venir, les litières et mulets achetés, ce qui s’écrit par lettres sûres de Mme de Chevreuse, ce qui s’écrit encore de nos côtes de la France, les bruits qu’il y a dans toutes les armées, les avis qui viennent de toutes les cours d’Italie, les espérances des Espagnols, soit du côté d’Espagne, soit de Flandres, la résolution que Monsieur a prise de ne point venir contre ce qu’il avoit promis, attendant peut-être l’événement du tonnerre, toutes ces choses ont obligé à en avertir le roi, afin qu’il mette ici ordre qu’il lui plaira à des bruits qui ruinent les affaires. »
  76. Voyez les Mémoires de Montglat, collect. Petitot, t.1er, p. 375.
  77. Les détails précis de cette importante affaire ne sont nulle part, pas même dans le père Giilfet. Voyez les pièces authentiques conservées aux Archives des affaires étrangères. FRANCE, t. CII.
  78. Relation de Fontrailles, collection Petitot, t. LIV, p. 438 : « Soudain que je fus seul avec M. De Thou (à Carcassone après le voyage d’Espagne), il me dit le voyage que je venois de faire, ce qui me surprit fort, car je croyois qu’il lui eût été celé. Quand je lui demandai comme quoi il l’avoit appris, il me déclara en confiance fort franchement qu’il le savoit de la reine, et qu’elle le tenait de Monsieur. À la vérité, je ne la croyois pas si bien instruite, quoique je n’ignorasse pas que sa majesté eut fort souhaité qu’il se pût former une cabale dans la cour, et qu’elle y avoit contribué de tout son pouvoir, pour ce qu’elle n’en pouvoit que profiter. »
  79. Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CII. Chavigny à Richelieu, 24 octobre : « Le roi fit hier assez mauvaise chère à la reine… Il est toujours fort animé contre elle, et en parle à tous momens. »
  80. Archives des affaires étrangères, ibid., t. CI., lettre de Le Gras, secrétaire des commandemens de la reine, à Chavigny, Saint-Germain, 2 juillet 1642 ibid., t. CII, lettre du comte de Brassac, surintendant de la maison de la reine, à Chavigny, du 20 juillet. Ibid l. CI, autre lettre de Le Gras à Chavigny, où il lui rappelle sa première lettre et celle de M. de Brassac, etc. Ibid., Chavigny à Richelieu, du 28 juillet. Ibid., le même an même, 12 août, jour de l’exécution de Cinq-Mars et de De Thou : « … Je suis persuadé que la tendresse que la reine témoigne pour monseigneur est sans dissimulation, et qu’il n’y a rien au monde plus aisé que l’y entretenir, ne demandant autre grâce dans le monde que d’être auprès de messieurs ses enfans, sans y prétendre aucun pouvoir, ni se mêler de leur éducation dont elle souhaite passionnément que monseigneur soit le maître. Elle m’a commandé d’en assurer son éminence, et qu’elle est dans une extrême impatience de le voir. »
  81. Archives des affaires étrangères, ibid.
  82. Dante.