La Tentation de l’homme/La Douleur de notre sœur notre ombre

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LA DOULEUR DE NOTRE SŒUR NOTRE OMBRE


 
Les ténèbres du soir sont l’obscure muraille
Que chaque nuit élève entre la vie et nous,
Derrière qui, fugace et sinistrement doux,
L’invisible se meut comme un spectre, et nous raille.

L’homme se trouble alors et n’ose pas savoir
Si cette Sœur muette a nos pas attachée,
Et que nous appelons notre ombre, s’est cachée
Pour nous laisser plus seuls dans le silence noir,

Ou si, reine sans yeux d’un aveugle royaume,
Elle ne trône pas au cœur de la forêt
Des songes, acceptant, de son geste distrait,
L’hommage sans regards de son peuple fantôme.


Mais, lorsque sous la lampe active, à notre seuil,
Elle revient errer, triste et moraine honteuse,
Elle n’est plus que la hâtive visiteuse
Qui tremble sous le froid de sa robe de deuil.

Et qui parfois, à l’heure où s’attardent nos veilles,
Sourdement suppliante, attend, souvent en vain,
L’instant où le foyer, en s’éteignant enfin,
La laissera partir au pays des merveilles.

Peut-être qu’elle souffre au soleil, elle aussi ;
Peut-être voudrait-elle aussi marcher et vivre,
Et ne plus être la captive, qui doit suivre
Le pas indifférent d’un maître sans merci.

Compagne patiente et toujours taciturne,
Dont ma seule pitié devine le tourment,
Ah ! ne serais-tu pas heureuse infiniment
De fondre ta douleur dans la douleur nocturne ?


Et lorsque tu languis sous l’éclat des flambeaux,
N’est-ce pas que tu crains la minute dernière,
Qui peut te faire, à tout jamais, la prisonnière
D’une lampe allumée au fond de nos tombeaux ?