La Douceur mosane/Terres latines

Georges Thone (p. 21-22).


Terres latines


Quand je suis revenu de ce pays latin,
de la Provence aux cyprès noirs, aux tuiles roses,
aux mas silencieux que les roseaux enclosent,
qui sentent le soleil, la lavande et le thym,

Quittant les amandiers et les pêchers en fleurs
dont les bouquets légers, dans les ceps, s’éparpillent
et les ajoncs dorant la blancheur des Alpilles,
J’avais l’âme et les yeux emplis de leurs couleurs.

Mais c’était plus que des couleurs ; vous reviviez
au fond de moi, les souvenirs peuplant la plaine,
l’arcade triomphale et la maison romaine
et toi, le vieux berger, dans ton champ d’oliviers.

Vous reviviez, tous ceux de Daudet, de Mistral,
Vous que je fus revoir à Maillanne, à Fontvieille,
Rose Mamaï, Ramon, la Renaude et Mireille,
Balthazar, Frédéri, Vincent et Calendal,

Vous qui, jadis, durant mes nuits d’adolescent,
Vous évadiez des pages blanches de mon livre
Et qu’hier, sous un ciel dont la clarté m’enivre,
Je suis venu serrer sur mon cœur frémissant,

Arles et Saint-Remy, fier pays enchanté,
et vous les Baux, taillés dans la légende, à même,
Vous étiez faits pour inspirer un grand poème.
— Qu’ils soient bénis vos fils qui vous surent chanter !

Je voudrais humblement, célébrer à mon tour,
de ma terre, où le ciel a des douceurs câlines
le fleuve qui la berce et les vertes collines,
leur dire ma ferveur filiale et mon amour.

Le printemps seulement vient de s’y réveiller.
Ici tout est tendresse en l’air léger qui penche
Le lilas qui verdit sur l’aubépine blanche
et fait frémir la poudre d’or des peupliers.

Point d’espace grandiose, un horizon bleuté ;
point d’éclat ; des toits bleus, une muraille grise,
un fleuve-femme qui se cambre sous la brise
Tout y dit de jouir d’un bonheur limité,

Le bonheur qui convient à mon cœur apaisé.
Ô Meuse, ô mon pays, ô Meuse, ô ma maîtresse,
Tout mon être meurtri se tend vers ta caresse
Et ma fièvre se fond en toi, dans un baiser.