La Doublure/Chapitre 01

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 1-23).
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La Doublure
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I

Le décor renaissance est une grande salle
Au château du vieux comte. Une portière sale
Sert d’entrée. Un vieillard, en beaux habits de deuil
Et l’air grave, est assis sur le bord d’un fauteuil
À dossier haut. Il met sa main sur une table

Auprès de lui, disant :

Auprès de lui, disant : « C’est là le véritable
Moyen ; quoi qu’il en soit, je ferai jusqu’au bout
Mon devoir ; vous pouvez vous retirer. »

Mon devoir ; vous pouvez vous retirer. » Debout,
À trois pas de la rampe, en écuyer, l’épée
Nue en main, de profil, la poitrine drapée
Dans un grand manteau brun, une jambe en dehors,
Gaspard est immobile. Il réplique :

Gaspard est immobile. Il réplique : « Pour lors,
Monseigneur, si tels sont vos vœux, il ne me reste
Qu’à remettre l’épée au fourreau. »

Qu’à remettre l’épée au fourreau. » D’un grand geste
Exagéré, levant sa main gantée en l’air,
Il abaisse la lame en lançant un éclair,
Puis cherche à la rentrer ; mais il remue et tremble,

Ses mains ne peuvent pas faire toucher ensemble,
La pointe, avec le haut du fourreau noir en cuir,
Qui tournent tous les deux en paraissant se fuir.
Gaspard, très rouge avec sa fraise qui l’engonce,
Rage et devient nerveux. Une fois il enfonce
La pointe à faux, voulant quand même aller trop fort,
Et la pique à côté de l’ouverture, au bord
En cuivre du fourreau. Le moment semble immense ;
Dans la salle, partout attentive, on commence
À chuchoter et puis à rire ; plusieurs fois
Gaspard repique au bord. Tout en haut une voix
Crie :

Crie : « Il est donc bouché ton fourreau ? »

Crie : « Il est donc bouché ton fourreau ? » Ça redouble,
Et devant ce gros rire augmentant qui le trouble,
Gaspard exaspéré, sans forces, se retient
De tout abandonner pour sortir. Il parvient
Juste, à trouver enfin l’orifice ; bien vite

Il enfonce le fer entier. Mais on profite
De la chose, au public, pour faire de nouveau
Du bruit. On applaudit ; les cris « bis » et « bravo »
Se mêlent aux coups sourds des cannes. L’avanie
Énorme qu’on lui fait, et toute l’ironie
Qu’il sent dans ce succès, atterrent Gaspard. Tant
Que le tumulte dure, impassible il attend,
Les bras croisés. L’épée à son flanc se balance,
Miroitant par endroits.
                                            
Miroitant par endroits. Enfin quand le silence
Après assez longtemps se rétablit partout,
Le vieux comte, resté calme, se met debout ;
Et Gaspard, dénouant ses bras avec emphase,
Commence, en reprenant assurance, une phrase
Entortillée et longue, affirmant que jamais
Personne ne saura le sombre secret. Mais
Avant de terminer sa tirade il s’embrouille,
Et sur plusieurs serments successifs qu’il bredouille,
Parlant de son honneur, de son nom, et du sort

Qui l’attend au prochain lever du jour, il sort
Par la portière, avec tout un nouveau tapage
D’ironiques rappels.

D’ironiques rappels. Grande, une femme en page,
Dans un costume tout en velours noir et bleu,
Qui sans être ajusté, dessine encore un peu
Sa taille longue, est près d’entrer ; la plume blanche
De son chapeau frissonne. Un poing sur une hanche,
Elle maintient, chacun par sa laisse, deux grands
Lévriers ; derrière elle, un tas de figurants
Causent très bas ; l’un d’eux tripote sa cuirasse
Qui, pour lui, semble trop étroite et l’embarrasse.
Gaspard, sans s’arrêter, tourne ; là-bas au fond,
Deux escaliers de bois très courts, tout usés, font
Les deux pendants ; il va vite à celui de droite,
Et trouvant la largeur des marches trop étroite,
Il les monte dès les premières deux par deux.
Les figurants font un cliquetis autour d’eux ;
Un gros rouge étudie un grand geste de haine

Du bras droit ; à travers le décor, sur la scène,
On entend le vieillard qui parle, encore seul,
Jurant « par le tombeau de son illustre aïeul
Le duc Louis, le grand batailleur, dont il porte
Le nom très glorieux et fameux ».
                                            
Le nom très glorieux et fameux ». Une porte
Est là sur un palier, massive, tout en fer ;
Gaspard, en arrivant au bout du nombre impair
Des marches, va dessus et du bras il la pousse ;
Puis pour passer il la maintient avec son pouce,
Et sort en la cognant du pied sans le vouloir.
Là, presque tout de suite, à gauche d’un couloir
Au fond duquel on voit le cadran d’une horloge,
Il se trouve devant la porte de la loge
Numéro vingt. Il entre et referme très fort
Avec rage ; la clé, de l’autre côté, sort
De la serrure, tombe en résonnant, puis saute
Avant de se poser tout à fait. Gaspard ôte
Vite, en tirant les doigts nerveusement, ses gants

Gris, terminés par deux grands poignets élégants ;
Puis avec ses doigts nus, il enlève sa fraise
Qui le gêne. Et tombant alors sur une chaise
Capitonnée, et d’où sort un peu de coton
Par une déchirure, il saisit son menton,
Le coude sur la cuisse, et murmure à voix basse,
Le regard angoissé tout perdu dans l’espace,
Dirigé fixement en bas, vers le milieu
De la porte : « Mon Dieu… mon Dieu… mon Dieu… mon Dieu… ! »
L’esprit, dans une crise aiguë, en proie au doute.



La loge est encombrée et petite ; elle est toute
En longueur ; à main gauche en entrant, un côté
Long, est plein de pendoirs ; un pantalon crotté
Pendant au premier, a, sauf une seule patte,

Ses bretelles en place ; on voit une cravate ;
Une chemise au col traversé d’un bouton
De nacre, cache presque en entier un veston.
En face, à l’autre mur, une longue tablette,
Pleine de fards divers et d’objets de toilette,
Est en désordre ; auprès du couvercle d’un pot
De pommade, un flacon d’huile montre un dépôt
Jaunâtre, plus foncé que le reste. Une coupe
En gros verre, a beaucoup de poudre qu’une houppe
Surmonte. Des ciseaux aux tranchants écartés
Sont couverts de reflets cassés et de clartés ;
Le dessus d’un des deux tranchants forme une lime
Étroite, avec son bord ; un peu de rouille abîme
Une des pointes dont l’acier n’est plus ardent.
Un peigne est moitié gros, moitié fin ; une dent
Manque du côté fin. Sur le mur une glace
Assez grande, a dans un de ses coins une place
Plus claire, qui paraît une tache en dessous ;
Une lettre avec un timbre bleu de trois sous
Est enfoncée un peu sous le bois qui la serre

Fort, en cachant son coin d’en bas, contre le verre ;
D’une grosse écriture elle est adressée à
Monsieur Gaspard Lenoir, au Théâtre de la
République, Paris. Le coin de l’enveloppe,
En haut, a le portrait d’un hôtel de l’Europe ;
Deux endroits sur les toits compliqués sont ôtés,
Déchirés en ouvrant. Au mur des deux côtés
De la glace sont deux bec de gaz ; sous la flamme,
Sur un blanc de faïence on lit une réclame
Qu’on voit partout ; le bec de gauche fait plus clair
Que l’autre, dont la clef n’est pas très droite ; en l’air,
Une haleine du gaz, transparente, s’élève
Du verre, en faisant faire une frisure brève
Au mur qui paraîtrait, lui, trembloter. Plus loin
Une tablette très petite prend le coin
Près de la porte ; auprès d’une épaisse cuvette,
Toute propre et pliée en long, une serviette
Dépasse de très peu le bord ; un savon vert,
Dans une savonnière, est encore couvert
De mousse desséchée ; en arrière une éponge

Est à même le bois.

Est à même le bois. Gaspard toujours se ronge,
Dans tout l’ébranlement du doute qu’il ressent.
À la fin, il se lève avec force, en poussant,
Après avoir enflé sa poitrine, un immense
Soupir ; il tire fort son manteau, puis commence
À se déshabiller avec mauvaise humeur
Et hâte d’en finir.



Et hâte d’en finir. Là-bas une rumeur
Arrivant du côté de la scène, pareille
À des bravos confus, lui fait prêter l’oreille.
C’est la pièce qui vient de finir. Plusieurs fois
On rappelle un acteur ; ensuite un bruit de voix
S’approche, et la clameur devient soudain plus forte,

Au moment où l’on pousse, avec un coup, la porte
En fer de l’escalier plein de monde ; ce sont
Les figurants sortant de scène, qui s’en vont
Avec leur cliquetis. Le deuxième qui passe
S’arrête quelque temps à la porte et ramasse,
Faisant un bruit de fer continuel, la clé ;
Il s’approche d’un pas ; après avoir raclé
Du bout pointu le bord de l’ouverture, il pousse
La clé dedans. Un autre, en passant plus loin, tousse
Deux ou trois fois, et lance avec bruit un crachat.
Un autre imite un long miaulement de chat,
Puis fait claquer ses doigts en disant : « Viens donc ! » comme
S’il appelait le gros noir d’en bas qui se nomme
Moustapha, mais que tous appellent plus Noiraud,
Et qu’on rencontre assez souvent, marchant en haut.
Un pas marche tout près, et la porte est cognée
D’un choc sec et vibrant, comme par la poignée
D’une épée ; à la fin la lourde porte bat,
Et tous les figurants dans leur bruit de combat,
Pareil au cliquetis sans règle d’une troupe

Débandée au repos, s’éloignent.

Débandée au repos, s’éloignent. Mais un groupe
Nouveau, de cinq ou six seulement, en retard,
Causant et se cognant de tous les côtés, part
Encore par la porte. Ils marchent pour rejoindre
Les autres. Sans penser, Gaspard comprend le moindre
De leurs détours au fond du couloir familier
Pour lui. Tous les premiers, déjà, dans l’escalier
De bois, craquant sans cesse, et menant à l’étage
Qui leur est réservé, se perdent davantage.



Gaspard a déjà mis, chacun sur son pendoir,
Son large manteau brun et le pourpoint tout noir
Qu’il avait, sans changer, tout au long de la pièce ;

Le reste est pêle-mêle, en tas, sur une espèce
De fauteuil long et clair ; et surmontant le tout,
Son chapeau, dont la boucle en acier se découd.
Ses bottes noires sont près du mur, côte à côte ;
L’une est un peu moins raide ; elle se tient moins haute.
                                            
Il remet ses souliers ; il est en pantalon,
En gilet de flanelle ; un blanchâtre galon,
Tout recroquevillé, finit ses courtes manches
Sur le haut de ses bras. Pendantes sur ses hanches,
Ses bretelles, sans plis, se montrent à l’envers ;
Ses souliers, qu’il finit de mettre, sont couverts,
Surtout sur le rebord des semelles, de boue ;
La poitrine penchée et les bras longs, il noue
Le cordon du deuxième. Ensuite, se levant,
Il prend la chaise en main, et la pose devant
La glace ; en s’asseyant, un instant il accroche
Les bretelles au coin du dossier. Il rapproche
Avec vivacité, de deux coups prompts et secs
Qui font plonger un peu la flamme, les deux becs.

Et levant ses deux mains qu’il met près de sa nuque,
En entraînant sa barbe il ôte sa perruque
Blonde, qu’il pose là, sur un court champignon.
Cela fait ressortir son air sombre et grognon ;
Il est brun ; sa coiffure en brosse qui moutonne
Sur le haut de la tête et rase en bas, lui donne
Tout de suite, par sa régularité, l’air
Plus mâle et moins paré que le blond frisé clair
D’auparavant. Rasé complètement, il semble
Trente ans.

Trente ans. Mais, regardant un des deux feux qui tremble
Moins haut que l’autre, avec un doigt il le remet,
En recouchant la clé très doite, à son sommet,
Sans que du reste dans la loge il y paraisse
Beaucoup. Puis enfonçant son index dans la graisse
D’un pot, il se l’étale, afin d’ôter le fard
De sa figure ; mais tout le temps il lui part
Quelque soupir ou bien un haussement d’épaule
Muets.


Muets. Depuis un mois, il double dans ce rôle
Important, d’écuyer près du vieux comte veuf,
Dans la pièce à très long succès de Charles Neuf,
Litert, le créateur, pas assez gentilhomme,
Selon lui, dans le geste et les allures. Comme
Toujours, il s’était mis à l’avance au travail
Avec ardeur, cherchant jusqu’au moindre détail
Chaque intonation de voix et chaque pose,
En tâchant de donner au dialogue en prose,
L’enflure et la rondeur emphatique des vers.
Puis il avait joué, tout à fait à l’envers
De Litert, espérant soulever un délire
De bravos, par endroits, et croyant déjà lire
Aux Théâtres, dans tous les journaux, que Lenoir

S’était vu révéler dans l’acte du manoir.
Mais, une fois de plus, toutes ses espérances
Avaient, le soir venu, fait place à des souffrances
De déboire ; tous les grands passages d’éclat
Sur lesquels il comptait étaient tombés à plat.
Pourtant sa foi n’était quand même pas partie ;
Et chaque soir, malgré toute l’antipathie
Obstinée, et le froid malveillant qu’il sentait
Dans ce public pourtant indulgent, il s’était
Repris d’espoir, enflant la parole et le geste
Pour forcer le succès, toujours en vain du reste.
Mais jamais il n’avait reçu comme ce soir
Un tel affront.



Un tel affront. Avec le coin d’un vieux mouchoir
Fendu dans sa longueur presque entière, il s’essuie

Pour la dernière fois. De son doigt il appuie
Assez fort sur la peau, pour en laisser le moins
Possible ; déjà gras aussi, les autres coins
Du mouchoir sont tachés de son fard.
                                            
Du mouchoir sont tachés de son fard. Il achève
Le tour de sa figure, et, reculant, se lève
Pour aller se laver à la cuvette, sans
Avoir quitté son air toujours soucieux. Dans
La cuvette elle-même, un pot de porcelaine
Est court ; il verse, et quand elle est à moitié pleine,
Avec un clapotis il met le pot en bas,
Sous la tablette, auprès du mur, ne trouvant pas
De place en haut ; il prend ensuite son éponge,
Et de sa main aux doigts écartés, il la plonge ;
Puis se baisse et se lave aussi vite qu’il peut.
En finissant, il tient sa figure, d’où pleut
Tout un ruissellement, par-dessus la cuvette,
Et, de deux doigts, prenant par un coin la serviette,
Il la secoue, afin de la déplier, fort,

Par saccades ; le bout qu’il tient, ainsi, se tord
Un peu ; de ses deux doigts, pour le poids, il la presse
Solidement, ayant peu de prise. Il se dresse
À présent, et commence à s’essuyer avec
Les deux mains, en cherchant parfois un endroit sec
Quand la place devient mouillée et trop ancienne ;
Il est assez bien fait, d’une taille moyenne,
Et beaucoup de largeur d’épaules, plutôt grand.
Il remet la serviette à sa place, puis prend
En fouillant après un pendoir, dont il s’approche,
Une montre à la chaîne épaisse, dans la poche
Entre-bâillée au poids qui tire, d’un gilet
Tout pareil au veston ; voyant l’heure qu’il est,
Il s’apprête à finir de se rhabiller vite,
Car ce soir, vers minuit, Roberte, qui profite
De l’absence de Paul en voyage aujourd’hui,
Doit venir le rejoindre en cachette chez lui,
Où, dit-elle, elle croit se sentir disparue
Pour toujours, dans sa chambre étroite de la rue
Alibert.



Alibert. C’est un an avant, l’hiver dernier,
Qu’un soir elle l’a vu faire un palefrenier,
Doublant aussi Litert, dans un grand mélodrame,
Où son faux témoignage entortillait la trame.
La pièce en huit tableaux avait fait quelque bruit,
Et par hasard, pendant un temps, avait conduit
Un peu de public mieux parmi la multitude
Très grossière, qui seule encombre d’habitude
Les places bon marché de ce théâtre-ci.
Litert était tombé malade, et c’est ainsi
Que Roberte de Blou, dans la pénombre noire
Qui la cachait pour lui, d’une étroite baignoire
Avait du premier coup ressenti quelque élan
Vers lui, puis combiné, lentement, tout un plan.
Dès sa première entrée, elle s’était de suite
Sentie avec ardeur, attirée et séduite

Par sa figure, à l’air vil, hypocrite et bas,
Et la précaution timide de son pas,
Quand, au commencement, à l’improviste, en mise
Du matin, pantalon simplement et chemise,
En chaussons, comme ayant laissé sur le pavé
De la cour, ses sabots, il était arrivé
Dans la chambre du crime, et semblant correspondre
Avec l’autre valet, s’était mis à répondre
De son air doucereux et faux de scélérat,
Aux questions du gros et calme magistrat,
Pour le mettre, en mentant, sur une piste fausse.
                                           
Dans le cours de la pièce, ensuite, toute grosse
De complications, sous des aspects divers
Il s’échappait toujours. Puis enfin découverts
Tous les deux, lui, l’auteur du crime, et sa complice,
Par les ruses sans fin de l’agent de police
Qui les savait les vrais assassins du vieillard,
Attablés dans un noir bouge, où « café-billard »
Se lisait à l’envers, tout au fond, à l’entrée,

Sur un treillis faisant une porte vitrée,
Laissant voir des maisons peintes comme horizon,
Ils étaient emmenés, après lutte, en prison.

Roberte, en le voyant en rôdeur de barrières
Dire, en ricanant, des paroles ordurières
Avec des airs voyous, sans cesse avait senti
En elle s’aviver un amour perverti,
Que n’avaient fait qu’accroître et le crime et la fange.

À peine quelques jours après, par un échange
De lettres, augmenté par un premier refus
De lui, tout méfiant d’abord, ils s’étaient vus.

Et depuis ce temps-là leur amour est le même ;
Lui, tout de suite épris de ses grands yeux noirs, l’aime
Pour son visage mat, fin, pour le joli bruit
Que fait son rire aux dents blanches, qui l’a séduit,
Le charme gracieux et la délicatesse
De son corps à la peau blanche, la petitesse

De ses mains, pour la force aussi de son parfum.
Parfois quelque bijou nouveau donné par l’un
Ou par l’autre, une bague énorme ou quelque broche
Qu’il ne lui connaît pas, font, sans qu’il lui reproche
Jamais rien, la douleur d’un de ses rendez-vous,
En excitant en lui des haines de jaloux
Qu’il n’aurait pas osé lui dire, et qu’il redoute.
Il aurait tant voulu l’avoir pour lui seul, toute
À lui, mais il sent bien qu’il n’a guère le droit
D’exiger rien, que c’est lui-même qui lui doit
Tout. Souvent, lorsqu’elle est plus libre, elle préfère
Au luxe surchargé partout, à l’atmosphère
Chaude, au clinquant doré de son appartement
Où l’on peut être, aussi, surpris à tout moment,
Les murs et le parquet froids de sa chambre nue
Où depuis quelque temps elle n’est pas venue.
Mais pour se rattraper, disait-elle aujourd’hui
Dans un mot en papier parfumé qu’elle lui
Écrivait, elle s’en faisait toute une fête
De revenir ce soir !



De revenir ce soir ! Gaspard met sur sa tête,
L’enfonçant par le bord ensuite, un chapeau mou.
Son paletot lui vient au-dessus du genou,
Râpé quoique plucheux, et sentant l’économe.
Puis il prend une canne en bois brun, dont la pomme
À rayures faisant une courbe, en argent,
Est toute cabossée. Après, se dirigeant
Vers la porte, il regarde un peu, voir s’il ne laisse
Rien traîner ; il revient vers les deux gaz qu’il baisse
Beaucoup, jusqu’au moment où le feu devient vert.
Puis il sort et s’éloigne en laissant grand ouvert.