La Demande de Garanties

La Demande de Garanties
Revue des Deux Mondes5e période, tome 51 (p. 45-76).
LA DEMANDE DE GARANTIES


I

La manière dont Bismarck apprit l’effondrement de son plan est presque tragique. De la solitude où il était allé attendre l’explosion de sa mine, tenu heure par heure au courant par Abeken, il suivait d’une attention de plus en plus inquiète, puis irritée, ce qui se passait à Ems entre Benedetti et le Roi. Il avait été furieux que le Roi eût reçu notre ambassadeur avant d’avoir obtenu réparation de ce qu’il appelait les injures de Gramont ; qu’il lui eût avoué sa participation à la candidature et les négociations avec le prince Antoine et lui eût promis, si Léopold se décidait à la retraite, de l’en instruire. C’étaient des concessions, et il aurait dû n’en accorder aucune, éconduire le négociateur au premier mot, non se prêter à une discussion quelconque. Il craignait que, sous l’influence pacificatrice de la reine Augusta, le Roi n’inclinât les princes à abandonner la partie. Quoique persistant à maintenir la candidature, il était tellement sûr de son candidat, si le Roi ne l’influençait pas, qu’il insistait pour qu’on ne s’occupât point des Hohenzollern et qu’on les laissât libres de leur décision[1]. Il voulut couper court aux compromissions et arrêter le Roi sur la pente où il glissait. Il lui écrivit que, sa santé lui permettant de voyager, il était prêt à se rendre à Ems sur l’ordre de Sa Majesté. Le Roi lui envoya cet ordre, et Bismarck se mit en route le 12 au matin, ayant Keudell dans sa berline de voyage. Il avait laissé Lothar Bucher à Varzin auprès de sa femme. « Il était, dit Keudell, plus taciturne qu’à l’ordinaire, bien que sa mine fût riante. » En passant à Wussow, son ami, le vieux pasteur Mullert, le salue amicalement, debout devant la porte de son presbytère ; du fond de sa calèche découverte il lui répond par un geste qui esquissait un coup de tierce et de quarte indiquant qu’il allait au combat. Il se proposait, après avoir conféré quelques instans avec Roon, arrivé de son côté à Berlin, de poursuivre jusqu’à Ems ; là, il mettrait fin aux complimens, aux courtoisies et aux condescendances ; il montrerait l’honneur du pays sacrifié, et obtiendrait de notifier péremptoirement, et peut-être avec insolence, un refus des princes et du Roi ; il reprendrait d’un ton brutal les raisonnemens de Thile ; il n’admettrait pas que le Roi s’expliquât plus longtemps avec nous sur ses actes de chef de famille ; enfin il congédierait Benedetti, et proposerait la convocation du Reichstag en vue d’une mobilisation[2]. Comme préliminaire à ces mesures, sentant la signification très grave de l’envoi de Werther à Paris, il télégraphia de le retenir, mais celui-ci était déjà en route.

Bismarck arriva à Berlin à six heures du soir, comptant prendre à huit heures trente le train d’Ems. En suivant les Tilleuls il croisa le prince Gortchakof ; tous deux s’arrêtèrent et se serrèrent les mains. Dans la cour de son hôtel, avant même d’être descendu de voiture, parmi les dépêches qu’on lui remet, il en trouve une de Paris annonçant la renonciation du prince Antoine. Il demeure pétrifié. Il ne suppose pas qu’un prince aussi discipliné ait pris sur lui d’accomplir, sans l’autorisation ou plutôt sans l’encouragement du Roi, un acte qui, émanant de sa propre initiative, constituerait une trahison : un prince prussien, un ami, un confident, pouvait-il se permettre de défaire seul, par un coup de tête, sans entente préalable, ce qui avait été si laborieusement organisé en commun ? Dans un éclair, il entrevit toutes les conséquences lamentables pour lui de l’événement[3]. Il était déçu, battu, humilié, abandonné par son Roi, par son candidat ; il allait devenir la fable de l’Allemagne et de l’Europe, son édifice de ruse croulait sur sa tête. Qu’un Allemand apprenne à nos historiens l’étendue de cet effondrement : « Cette renonciation, dit Lenz, était la paix. Son voyage était devenu inutile, inutile le soulèvement de la nation, qu’il avait provoqué de toutes ses forces, inutile sa tentative ourdie avec une ruse savante pour préparer une contre-mine aux efforts français. S’il pouvait encore maintenir sa position pour la forme, la partie était perdue. Au lieu de surprendre la France comme il l’avait espéré, il voyait, à partir de là, sa route barrée par elle. Le moment de reculer était arrivé ; pour la première fois de sa vie, le grand homme d’Etat avait subi une défaite[4]. »

Ce résultat écrasant était dû en grande partie à notre déclaration du 6 juillet. Olozaga et Strat n’auraient pas réussi dans leur tentative, et n’en eussent même pas conçu l’idée sans les facilités que leur donna notre ultimatum courageux. Nigra l’a reconnu : « La renonciation du prince doit être attribuée principalement à son désir d’épargner une conflagration à l’Europe ainsi qu’à l’attitude décidée du gouvernement français[5]. » La déclaration avait secoué l’apathie des Cabinets en leur montrant le péril, réveillé les scrupules de conscience engourdis du Roi, inspiré au prince Antoine une crainte salutaire ; elle n’avait pas fermé la porte à la négociation, elle l’avait ouverte à deux battans. Grâce à la souplesse avec laquelle nous l’avions utilisée elle nous avait obtenu ce que la mollesse du langage ou le traînant des pourparlers craintifs ne nous eût pas donné. Nous avions dit le 6 : Nous ne tolérerons pas une candidature Hohenzollern, et le 12 la candidature Hohenzollern avait disparu. Nous n’étions pas tombés dans le précipice que Bismarck avait creusé sous nos pas, nous l’y avions jeté lui-même. En l’apprenant, Guizot s’écria : « Ces gens-là ont un bonheur insolent : c’est la plus belle victoire diplomatique que j’aie vue de ma vie. » Et Thiers : « Avoir forcé la Prusse à reculer dans une entreprise que le monde croyait très intentionnelle de sa part, cet avantage restait immense… Nous sortions d’embarras par un triomphe ! Sadowa était presque réparé[6]. »

Quoique Bismarck fût un de ces vaillans qu’un incident malheureux ne jette pas dans le désarroi, son échec était tel qu’il eut un moment de prostration. Il l’a raconté dans ses Souvenirs : « Ma première pensée fut de donner ma démission. Après toutes les provocations offensantes qui s’étaient déjà produites, je voyais, dans ce recul auquel on nous forçait, une humiliation pour l’Allemagne, et je ne voulais pas en prendre la responsabilité officielle. L’impression de l’honneur national blessé par cette retraite imposée me dominait tellement que j’étais déjà décidé à envoyer à Ems ma démission. Je considérais cette humiliation devant la France et ses manifestations fanfaronnes comme pire que celle d’Olmütz. Le fait d’Olmütz pourra toujours trouver son excuse dans l’histoire antérieure à laquelle nous avions été mêlés et dans l’impossibilité où nous nous trouvions alors de commencer une guerre. J’estimai que la France escompterait le renoncement du prince comme une satisfaction qui lui était accordée. J’étais très abattu. Ce mal envahissant qu’une politique timide me faisait redouter pour notre position nationale je ne voyais pas le moyen de le guérir sans nous engager maladroitement dans la première querelle venue, ou sans en provoquer une artificiellement. Car je regardais la guerre comme une nécessité à laquelle nous ne pourrions plus nous dérober honorablement. Je télégraphiai aux miens à Varzin de ne pas faire les malles, de ne pas partir ; je serais de retour auprès d’eux dans quelques jours. Je croyais à ce moment à la paix. Mais je ne voulais pas assumer la responsabilité de défendre l’attitude par laquelle on aurait acheté cette paix. J’abandonnai donc mon voyage d’Ems et priai le comte Eulenbourg de s’y rendre pour exposer à Sa Majesté mon point de vue[7]. »

Il chargea Eulenbourg de porter le grand coup habituellement efficace de la démission et de dire au Roi « que Bismarck considérait la guerre comme nécessaire et qu’il retournerait à Varzin si cette guerre était évitée[8]. » Il devança l’arrivée de son messager par un télégramme dans lequel il exprimait déjà sa résolution. « Il passa la nuit sans dormir, » ajoute Keudell. On le comprend. Se décider à la guerre était facile, mais il n’était pas un Frédéric disposant à lui seul de l’Etat. Il lui fallait se découvrir, créer artificiellement une provocation, prendre le rôle d’agresseur, « de chercheur de noise[9], » auquel il avait voulu acculer la France. Mais où aurait-il trouvé cette noise ? Eût-ce été dans les termes qu’il prétendait insolens de notre déclaration ? Tout cela avait été couvert par la négociation d’Ems et par les concessions que le Roi nous avait accordées. « Après la question principale résolue, revenir en arrière eût été trop maladroit[10]. » Pour ce prétexte, s’il le trouvait, il fallait l’assentiment du Roi, et il était à peu près certain qu’il ne l’aurait pas.

En effet, en recevant dans cette journée du 12 le message du colonel Strantz, le Roi en avait ressenti un véritable soulagement : « Cela m’ôte une pierre du cœur, écrivait-il à la Reine, mais tais-le vis-à-vis de tout le monde, afin que la nouvelle ne vienne pas d’abord de nous, et moi aussi, je n’en dis rien à Benedetti, jusqu’à ce que nous ayons demain, par Strantz, la lettre entre les mains. Il est aussi maintenant d’autant plus important que tu accentues aujourd’hui encore à dessein que je laisse tout aux Hohenzollern en ce qui touche la décision à prendre, comme je l’ai fait pour l’acceptation. » Gramont d’autre part avait, dès le début de ses négociations avec Lyons, promis qu’à défaut d’une renonciation ordonnée ou conseillée par le Roi, nous nous contenterions d’une renonciation spontanée de Léopold, pourvu que le Roi y participât d’une manière quelconque ; cette participation n’étant plus douteuse, Benedetti a eu raison de dire que si, le 12, rien n’était conclu encore définitivement, la solution était un fait moralement certain, qu’elle avait à ce moment l’agrément des deux parties, et qu’il ne restait plus qu’à recevoir la déclaration du Roi.

Tout épanoui de n’avoir plus cette « pierre au cœur, » le Roi avait accepté à souper avec le prince Albrecht et quelques amis dans le jardin du Casino. Au moment même où il s’y rendait. Abeken arrivait avec le télégramme comminatoire de Bismarck. Le Roi s’approcha d’un bec de gaz et le lut. Son visage s’anima, il s’écria : « C’est la dépêche la plus importante que j’aie jamais reçue. Dites à mon frère que je n’aurai probablement pas le temps de venir parce qu’il faut que je travaille avec Abeken et qu’il soit entendu que, si j’arrive plus tard, personne ne se lèvera. » Le souper était commencé depuis longtemps lorsque le Roi arriva tout seul, il fit signe qu’on ne se levât point et s’assit à la place qu’on lui avait réservée entre deux dames. Chappuis, qui remplaçait le maréchal de Cour, lui ayant demandé s’il devait lui verser du Champagne, le Roi lui répondit : « Donnez-moi de l’eau de Seltz, il faut que je conserve mes idées claires. » La nuit du Roi fut sans sommeil, comme celle de Bismarck. L’ultimatum de Bismarck allait-il le rejeter en arrière et l’amener à rétracter les bonnes assurances données à Benedetti ?

Les réflexions de l’insomnie ne furent pas favorables au Chancelier : Bismarck ne disposait de son roi que dans certaines limites, et à condition de ne pas heurter les idées irréductibles qu’il avait adoptées comme règles de conduite. Une de ces règles était de ne jamais prendre l’initiative d’une grande guerre, et Bismarck ne l’y avait entraîné deux fois qu’en lui persuadant qu’il avait été provoqué : or, dans ce cas, c’est la provocation de la Prusse qui eût été évidente. Une autre de ses règles était de permettre tous les conseils avant une résolution, mais, une fois cette résolution prise, de ne tolérer aucune contradiction : or, il avait, depuis plusieurs jours, tellement annoncé ce qu’il ferait après une renonciation de Léopold, qu’il ne pouvait revenir sur un parti aussi bien pris. Il persista donc dans la volonté de clore par la paix une aventure dont il avait hâte de sortir, de ne pas éconduire Benedetti et de lui communiquer lui-même la résolution spontanée des princes qu’il allait recevoir.

Si donc aucun incident nouveau ne surgissait, voici comment les choses se seraient passées. Le Roi, dans la journée du 13, aurait communiqué à Benedetti la renonciation qu’il attendait. Il eût ajouté qu’il l’approuvait et autorisé notre ambassadeur à transmettre cette double assurance à notre gouvernement. Ainsi eussent été obtenues les deux conditions posées par Gramont : l’abandon de la candidature et la participation saisissable du Roi à cet abandon. Notre victoire du 12 au soir eût été complétée le 13 et Bismarck eût été définitivement vaincu. Il se serait retiré au moins quelque temps des affaires, et le nuage gros de calamités que ce barbare de génie promenait sur l’Europe disparaissait de l’horizon européen. Notre ministère, après avoir donné au pays la liberté, lui eût assuré le prestige d’une paix glorieuse.

Que ne puis-je m’arrêter ici ! Pourquoi suis-je obligé de continuer ? Au moment même où Bismarck essayait de se reconnaître au milieu de la confusion tumultueuse des projets risqués ou impossibles, d’autres travaillaient en France à le tirer d’embarras, à le relever de sa défaite, à lui rendre la position que nous lui avions fait perdre et à ramener la fortune dans son jeu. C’est l’œuvre que va accomplir notre Droite, conduite, quoique composée de gens irréprochables, par deux malfaiteurs, Jérôme David et Clément Duvernois.

L’Empereur, le 12 au matin, était venu aux Tuileries présider le Conseil des ministres. Nous délibérâmes sur la réponse à faire à la demande d’un délai, qui nous avait été adressée la veille par Benedetti au nom du Roi en termes assez vifs. Nous autorisâmes Gramont à télégraphier à Benedetti que notre dessein n’avait jamais été de provoquer un conflit, mais de défendre l’intérêt légitime de la France. Aussi, tout en contestant la justesse des raisonnemens du Roi et en maintenant nos prétentions, nous ne refusions pas le délai demandé, mais nous espérions qu’il ne s’étendrait pas au-delà d’un jour. Cet incident réglé, nous nous occupions des affaires courantes, lorsqu’un chambellan entre, dit quelques mots à voix basse à l’Empereur, qui aussitôt se lève et sort. Il rentre quelque temps après et s’associe de nouveau à nos conversations d’affaires sans nous rien dire du motif de cette sortie inusitée. Il était allé recevoir Olozaga qui, n’ayant pu lui apporter à Saint-Cloud, pendant la nuit, le télégramme chiffré de Strat, avait instamment demandé à le voir tout de suite, malgré les usages, afin de faire cette information urgente. Le télégramme chiffré annonçait les télégrammes en clair que le prince Antoine avait expédiés le 12 au malin. Olozaga demanda à l’Empereur de tenir sa communication confidentielle jusqu’à l’arrivée de ces télégrammes, qui, seuls, donneraient un caractère irrévocable à la renonciation. Il est regrettable que l’Empereur ait accepté cette obligation d’un secret provisoire, vis-à-vis de ses ministres. S’il nous eût raconté alors la négociation occulte que nous ignorions, s’il nous en avait appris l’heureuse issue, nous n’eussions pas été surpris par la nouvelle, comme nous le fûmes quelques heures plus tard. Nous aurions échangé à loisir nos idées, réfléchi, délibéré, et nous n’aurions pas été contradictoires ou embarrassés dans notre attitude devant la Chambre et devant le public.

Vers deux heures, je quittai le ministère pour me rendre à pied à la Chambre, à travers le jardin des Tuileries. J’étais profondément triste : il me paraissait évident que la volonté de la Prusse était de nous imposer la guerre et que nous y étions acculés. Cette perspective me désespérait. J’avais à peine fait quelques pas, absorbé dans mes pénibles réflexions, que je fus comme réveillé en sursaut par la voix d’un employé du ministère de l’Intérieur qui me remit une lettre de Chevandier. Cette lettre contenait la copie de la dépêche en clair expédiée par le prince Antoine à Olozaga, qui venait d’arriver et dans laquelle était inclus le texte de la renonciation de ce prince au nom de son fils. Il existait au ministère de l’Intérieur un service spécial chargé de prendre copie de toutes les dépêches traversant Paris, y arrivant ou en partant, qui, malgré leur caractère privé, étaient de nature à intéresser la paix publique. La dépêche du prince Antoine ayant ce caractère avait été copiée, et Chevandier me l’envoyait en même temps qu’à l’Empereur et à Gramont.

Je revins vivement sur mes pas pour donner la bonne nouvelle à ma femme, et je repris ma route. Quelques doutes m’assaillirent. Que signifiait cette renonciation qui tombait tout à coup du ciel ? Était-elle sérieuse ? N’était-ce pas une mystification de l’agiotage ? Pourquoi Olozaga, avec lequel j’avais des relations journalières, ne me l’avait-il pas fait pressentir ? L’Empereur ne paraissait pas s’en douter au Conseil : la connaissait-il ? l’ignorait-il ? En avait-on parlé à Gramont ? J’écartai ces doutes. Il me parut impossible qu’un acte ainsi annoncé fût une mystification ; je le considérai comme certain. Je crus alors tout sauvé et telle fut ma joie de la paix ressaisie, telle ma crainte de la perdre de nouveau que les dispositions de combativité que j’avais manifestées dans ma note du 11 au soir fondirent sous la chaleur de la nouvelle inespérée. Il n’y avait plus à se montrer raide, mais accommodant, facile, et qu’à consolider le résultat obtenu au lieu de le compromettre. L’affaire était sûrement finie, si nous ne commettions aucune imprudence et j’en étais si heureux que, par momens, je ne pouvais pas y croire.

Toutefois il me parut que je ne devais pas divulguer le document que je tenais dans mes mains, que je relisais comme si j’allais y trouver le secret de l’événement. C’était un document de police politique ; sans caractère officiellement avouable et j’étais tenu à n’en pas révéler l’existence. Je le mis donc dans ma poche qu’il brûlait en quelque sorte. J’avais à peine fait encore quelques pas que je fus rejoint par un autre envoyé, celui-là de mon cabinet, Boissy. Il m’apportait un rapport dans lequel on relatait que, dans le local de la réunion de la Gauche irréconciliable, à la Sourdière, Gambetta venait de prononcer un discours superbe : le thème en était qu’il ne fallait considérer l’affaire Hohenzollern que comme un détail et demander résolument l’exécution du traité de Prague et la démolition des forteresses qui menaçaient notre frontière. « S’il prononçait ce discours à la Chambre, me disait-on, le ministère n’y résisterait pas. »

J’arrive au Corps législatif ; on m’interroge : qu’y a-t-il de nouveau ? Je me garde bien de dire ce que je venais d’apprendre. « Rien encore, dis-je, mais Gramont doit conférer avec Werther dans quelques instans et, à la fin de la journée, nous saurons à quoi nous en tenir définitivement. » À ce moment, Olozaga débouche dans la salle des conférences ; le visage animé, agitant un papier, il se précipite vers moi et m’attire dans un coin. « Gramont est-il là ? — Non, il est aux Affaires étrangères en conférence avec Werther. — C’est que j’ai une bonne nouvelle à vous donner. » Et il me lit le télégramme dont j’avais la copie. « La nouvelle est donc sérieuse ? lui dis-je. --- Oui, oui, n’en doutez pas ; tout est terminé. » Et il me quitta pour se rendre auprès de Gramont.

Les députés qui avaient vu l’arrivée d’Olozaga, sa pantomime, le papier tendu, m’entourent dès qu’il m’a quitté : « Il y a quelque chose d’important ? » Une délibération rapide comme la pensée eut lieu alors dans mon esprit. Divulguerai-je la dépêche ou la garderai-je pour moi ? La copie, saisie au passage, d’une transmission par la haute police d’État, était devenue un texte authentique produit devant de nombreux assistans par l’ambassadeur auquel il était adressé. Une communication ainsi faite n’indiquait pas le désir du secret ; le caractère même de la dépêche l’excluait : on n’expédie une dépêche en clair que lorsqu’on veut la rendre publique. Pourquoi aurais-je caché à ces députés, pour faire inutilement l’important, un fait que tout le monde allait connaître par les journaux du soir, que beaucoup connaissaient déjà, au ministère, au télégraphe, dans les ambassades, dans les chancelleries, dans les offices d’agences, dans les bureaux de journaux ? Les indignes adversaires avec lesquels j’étais aux prises n’auraient pas manqué d’incriminer ma réserve comme une complaisance aux spéculateurs. Certes, je n’aurais pas hésité à affronter ce risque, quoiqu’il me fût beaucoup plus sensible que d’autres auxquels je m’exposais quotidiennement, si un intérêt public l’eût exigé. Il n’y en avait aucun, car je ne pouvais regarder comme un intérêt public l’espérance vaine d’empêcher une manifestation parlementaire du parti de la guerre, manifestation qui, retardée au lendemain et mieux organisée, n’en eût été que plus violente. Je donnai donc lecture du télégramme à ceux qui m’interrogeaient. Un de mes auditeurs était le célèbre ingénieur Paulin Talabot, le créateur des chemins de fer français, ancien saint-simonien, pacifique par doctrine et par intérêt. « La Prusse se moque de vous, » murmura-t-il à mon oreille.

On m’appelle dans la salle des Pas-Perdus. Une cohue roule vers moi et m’interpelle. Je n’avais pas à cacher dans une salle ce que je venais de dire dans l’autre : — « Oui, répondis-je, il y a une dépêche adressée à Olozaga par le prince Antoine annonçant qu’il retire la candidature de son fils. — Et le traité de Prague ? s’écrie une voix. — Nous n’en avons jamais parlé à la Prusse ; nos pourparlers n’ont porté que sur la candidature. » « Est-ce la paix ? » me cria-t-on encore. Je répondis en ouvrant les bras par un geste évasif qui voulait signifier : « Je ne veux pas vous répondre. » Mais si mes lèvres restèrent muettes, l’éclair de joie qui illuminait mon visage disait l’espérance qui remplissait mon cœur. Apercevant, parmi les auditeurs, Léonce Détroyat, le rédacteur en chef de la Liberté, j’allai à lui, et lui demandai d’engager son oncle à ne plus écrire des articles comme ceux des jours derniers et à travailler à prévenir la guerre puisque cela devenait honorablement possible : « Je vous en supplie, ayez le courage de lui refuser l’insertion de ses articles, vous lui rendrez un grand service en même temps qu’au pays. » Girardin, anxieux et trop nerveux pour venir jusqu’à la salle des Pas-Perdus, l’attendait au bout du pont, sur la place de la Concorde. Détroyat courut lui répéter ce que je venais de dire. Girardin le quitta brusquement dès les premiers mots, en haussant les épaules. En même temps débouchait du Palais législatif une bande agitée : c’était à qui envahirait les fiacres de la place, à qui les escaladerait, à qui les prendrait d’assaut. — « A la Bourse ! à la Bourse ! criaient les hommes d’affaires. Nous doublons le prix de la course, et au triple galop ! » Parmi les journalistes, même empressement et concert de même nature. « Aux bureaux de la Marseillaise ! s’exclamaient les uns. Au Réveil ! Au Siècle ! A l’Opinion nationale ! Au Rappel ! » commandaient les autres, et, sous le stimulant du fouet, on voyait les haridelles de la place sortir l’une après l’autre de leur repos et s’élancer rapides comme des flèches.

Dans la salle des conférences des députés, Gressier, l’ancien ministre, esprit ferme, judicieux, nullement disposé à la guerre, m’aborde. Je lui exprime ma volonté, si la renonciation est sérieuse, de ne pas me prêter à ce qu’on ente une nouvelle exigence sur l’incident Hohenzollern, pas plus celle du traité de Prague que toute autre. « C’est bien, me répondit-il, vous ferez un acte de courage ; mais ne vous y méprenez pas, c’est votre chute ; le pays ne se contentera pas de cette satisfaction. » Un grand nombre de députés se forment en groupe autour de moi, m’interpellent. Plus libre d’exprimer ma pensée avec eux que je ne l’avais été quand je me trouvais au milieu de journalistes, je leur répétai ce que je venais de dire à Gressier. De nombreuses protestations s’élevèrent. A droite, ce fut un bouillonnement de colère : « Ollivier dit que tout est terminé. C’est indigne. La Prusse est venue nous chercher ; il faut en finir avec elle. » Quelques membres se réunissent en hâte dans un bureau de la Chambre, décident qu’il ne faut pas tarder à protester contre la pusillanimité du Cabinet et rédigent une demande d’interpellation que Duvernois est chargé de porter immédiatement à la tribune.

J’entre dans la salle des séances. Clément Duvernois se lève et, d’un ton menaçant, comme réponse à mes espérances pacifiques, dépose en son nom et au nom de Leusse, l’interpellation suivante : « Nous demandons à interpeller le Cabinet sur les garanties qu’il a stipulées ou qu’il compte stipuler pour éviter le retour de complications successives avec la Prusse. » Il ajouta qu’il n’insistait pas pour la fixation d’un jour et qu’il s’en remettait à la Chambre et au gouvernement. « Le courant de la guerre, disait la Gazette de France, semble l’emporter. A la salle des conférences du Corps législatif, un député vendéen a dit hautement que, si le ministère se contente de la renonciation du prince Antoine au nom de son fils, l’Extrême-Droite ne s’en contentera pas. En somme, la majorité semble portée à la guerre ; il se pourrait que le ministère fût renversé s’il s’arrêtait maintenant. »


II

Duvernois venait de s’asseoir ; un huissier m’avertit qu’un aide de camp de l’Empereur désirait me parler. Je sors, et l’aide de camp me remet le billet suivant : « Les Tuileries, 12 juillet 1870. — Mon cher monsieur Émile Ollivier, je voudrais pouvoir causer quelques instans avec vous avant de rentrer à Saint-Cloud. Vous connaissez la dépêche du prince de Hohenzollern au maréchal Prim. Si on annonce la nouvelle à la Chambre, il faut au moins en tirer le meilleur parti et bien faire sentir que c’est sur l’injonction du roi de Prusse que la candidature a été retirée. — Je n’ai pas encore vu Gramont. — Le pays sera désappointé. Mais qu’y faire ? Croyez à ma sincère amitié. » C’était la première note pacifique qui m’arrivait. Je devinai le désir qui se cachait sous le si on annonce. Évidemment l’Empereur eût voulu que je montasse à la tribune pour y lire la dépêche, insinuer que le résultat était dû à l’intervention impérative du Roi et que l’incident était clos. Lire la dépêche n’avait plus d’opportunité depuis que tous les députés en avaient connaissance. Quant au public, il l’apprendrait plus vite ou aussi vite par les journaux du soir. Une lecture, comme du reste l’indiquait le billet de l’Empereur, n’aurait eu de valeur que si elle avait été accompagnée d’un commentaire ou suivie d’une conclusion. Comment aurais-je pu me permettre un commentaire ou une conclusion sans m’être au préalable concerté avec mes collègues ? Je les cherchais autour de moi : aucun n’était présent, et Gramont conférait avec Werther, venu d’Ems.

On peut juger, par la lettre suivante de Chevandier, de ce qui serait arrivé si j’avais obéi au désir implicite de l’Empereur « D’après ce que j’ai su de nos collègues du ministère, la Chambre serait très belliqueuse, et cela les impressionne quelque peu. — On se plaint, je vous aime trop pour ne pas vous le dire, de la communication que vous avez faite dans les couloirs d’une dépêche qui ne vous était pas adressée (à cet égard vous seriez couvert par la communication faite par l’ambassadeur d’Espagne) et dont, en tout cas, on trouve la communication prématurée. — Je trouve que vous avez eu tort[11]. — Vous savez que, sans craindre la guerre, je n’en suis pas partisan quand même. Ne nous jetons pas tête baissée dans la paix. Elle est le but auquel il faut tendre maintenant, mais il faut bien y arriver. » Ce langage du plus pacifique de mes collègues indique à quel diapason les esprits les plus modérés étaient montés. Que n’eût-il pas dit, que n’eussent pas dit avec lui nos autres collègues, et surtout Gramont, si, contre toutes les convenances, j’avais, de ma propre autorité, déclaré à la Chambre que je considérais le différend comme tranché par une dépêche encore énigmatique ? Je n’en eus pas même la tentation et je me rendis aux Tuileries pour m’en expliquer avec l’Empereur (3 heures). En traversant la salle des conférences je rencontrai Thiers. « J’aperçois, a-t-il raconté lui-même, M. Ollivier qui accourt vers moi et me dit : « Oui, nous avons réussi ; nous avons obtenu ce que nous désirions, c’est la paix. » La joie de M. Ollivier était extrême et manifestée sans réserve. » — Je lui fis lire la dépêche. Il me dit : « Maintenant il faut vous tenir tranquille. — Soyez rassuré, lui répondis-je, nous tenons la paix, nous ne la laisserons pas échapper[12]. »

L’Empereur était dans le salon de service au milieu de ses officiers, causant familièrement avec eux ; il leur disait avec un accent de sincérité qui les impressionnait : « C’est un grand soulagement pour moi. Je suis bien heureux que tout se termine ainsi. Une guerre est toujours une grosse aventure… » L’huissier annonça : « M. Emile Ollivier est aux ordres de Sa Majesté. — Je viens, » dit l’Empereur. Et il sortit. Il me parut, en effet, très satisfait, mais cependant un peu inquiet : satisfait parce qu’il jugeait l’affaire Hohenzollern complètement terminée, inquiet à cause de la déception qu’allait éprouver le pays de ne pas vider définitivement sa querelle avec la Prusse. Je lui exposai les raisons de mon silence à la Chambre et je lui demandai si c’était véritablement sur l’injonction du Roi, malgré tous ses refus à Benedetti, que la renonciation avait été obtenue. Sans entrer dans aucun détail, l’Empereur m’apprit que la renonciation était due à l’initiative d’Olozaga seul agissant de son propre mouvement, à l’insu de Prim, mais autorisé par lui l’Empereur. « Dans ce cas, répondis-je, il serait très risqué de se vanter, même indirectement, d’une soumission du roi de Prusse. La satisfaction que nous donnerions à l’opinion publique par cette assurance erronée ne serait pas de longue durée : Bismarck nous opposerait un démenti brutal, et l’affaire, qui paraît terminée, recommencerait. D’ailleurs, si Olozaga a agi sans mandat de son gouvernement, qui sait comment on accueillera son initiative à Madrid ? Qui sait aussi quel sera, en présence de cette surprise, le langage du roi de Prusse qui, jusque-là, n’a rien répondu à nos demandes ? »

L’Empereur reconnut la justesse de ces remarques. J’ajoutai que je ne pouvais pas présenter aux Chambres la communication faite par Olozaga comme une communication officielle. Olozaga n’était pas l’ambassadeur du prince Antoine, mais celui du gouvernement espagnol. Il n’y avait d’officiel que ce qu’il communiquait au nom de son gouvernement ; la démarche du prince Antoine n’était, strictement parlant, qu’une démarche privée, dénuée de caractère officiel ; dans cet état des choses, une déclaration était inopportune et pourrait devenir dangereuse. Nous étions entourés d’obscurités ; nous ne nous rendions compte ni des intentions de Berlin, ni de celles de Madrid : l’attente n’était-elle pas le seul parti prudent ? Quelquefois on est tout à coup saisi par un brouillard intense dans un sentier de montagne, le long d’un précipice. Que fait-on ? On s’arrête jusqu’à ce que le brouillard soit dissipé. Gramont, à la suite de sa conférence avec Werther, nous instruirait peut-être des volontés du roi Guillaume ; d’heure en heure Olozaga pouvait recevoir des réponses de Madrid : avant d’avoir obtenu et d’avoir pesé ces élémens de décision, il était imprudent de s’expliquer. L’Empereur adopta cette manière de voir, et il fut convenu que rien ne serait arrêté avant la réunion du Conseil à Saint-Cloud le lendemain à neuf heures du matin.

Nigra me succéda. L’Empereur l’avait mandé. Il lui tendit la copie du télégramme du prince Antoine à Olozaga. Nigra lut, félicita vivement le souverain. « C’est une grande victoire morale pour la France, d’autant plus précieuse qu’elle est gagnée sans avoir répandu le sang humain, et j’espère que l’Empereur s’en contente et qu’il m’a fait appeler ici pour m’annoncer la paix. — Oui, c’est la paix, répondit l’Empereur, et je vous ai fait venir pour que vous le télégraphiiez à votre gouvernement. Je n’ai pas eu le temps d’écrire au Roi. Je sais bien que l’opinion publique en France, dans l’excitation où elle est, aurait préféré une autre solution, la guerre, mais je reconnais que la renonciation est une solution satisfaisante, et qu’elle ôte tout prétexte de guerre, du moins pour le moment. » L’Empereur paraissait donc résolu à se contenter du retrait pur et simple de la candidature et n’avait fait aucune allusion à des garanties à demander au roi de Prusse. A la réception du télégramme de Nigra racontant cette conversation, Victor-Emmanuel, qui était revenu de la chasse à Turin, remonta dans la montagne. Le Bœuf survenant ensuite, l’Empereur lui tint le même langage, à ce point que, rentré au ministère, le maréchal réunit ses chefs de service, leur annonce qu’on a la paix et leur prescrit d’arrêter les dépenses extraordinaires. Notre attaché militaire à Vienne, le colonel de Bouille, alors en congé, averti de regagner son poste en toute hâte, venant prendre congé du ministre, celui-ci lui dit que l’affaire était arrangée, et qu’il pouvait différer son départ. Enfin Mac Mahon fut avisé de suspendre l’embarquement des troupes de l’Afrique.


III

Gramont, enfermé dans son cabinet, ne savait rien de ces agitations, de ces pourparlers, de ces va-et-vient. Prévoyant, d’après les avis reçus, que la candidature allait être retirée spontanément, sans l’ordre et le conseil du Roi, il télégraphie à Benedetti confidentiellement : « Employez votre habileté, je dirai même votre adresse, à constater que la renonciation du prince nous est annoncée, communiquée ou transmise par le roi de Prusse ou son gouvernement. C’est pour nous de la plus haute importance ; la participation du Roi doit à tout prix être consentie par lui ou résulter des faits d’une manière saisissable. » Il n’exigeait plus une participation directe et explicite ; il se contentait d’une participation indirecte et implicite résultant de la communication par le Roi du désistement du prince accompagnée de quelques bonnes paroles (12 juillet, 1 h. 40). Cette participation indirecte du Roi nous était assurée sans qu’il fût nécessaire d’employer ni adresse ni habileté. Cette excellente dépêche qui, restée la dernière expédiée, eût clos la crise à notre gloire, partait à peine que Gramont recevait lui aussi, de la main d’un envoyé du ministère de l’Intérieur, la copie de la dépêche en clair du prince Antoine à Olozaga. Il n’accueillit pas la nouvelle avec la même joie que moi. Je n’y avais vu que la disparition de la candidature, me préoccupant peu de la manière dont elle avait disparu ; lui s’arrêta surtout à la forme et, dans la notification directe faite par le prince Antoine à Prim, il vit l’escamotage de cette participation indirecte du Roi. A partir de ce moment, cessa l’accord complet qui avait existé entre nous : il continua à attacher une importance majeure à cette participation du Roi, qui devint secondaire à mes yeux.

Ce fait nouveau venait de lui être révélé quand Werther se présenta à son audience (3 heures moins le quart). Au moment de commencer l’entretien, on remit à Gramont un billet d’Olozaga demandant avec insistance d’être reçu immédiatement pour une communication de la plus haute importance. Werther voulut bien passer dans un salon voisin et autoriser Gramont à recevoir Olozaga. L’ambassadeur espagnol, en montrant à Gramont le télégramme du prince Antoine, le félicita de cette solution. Gramont répondit froidement à ces félicitations : sous cette forme, selon lui, le désistement, loin d’avancer nos affaires, les compliquait : pas un mot de la France, pas un mot de la Prusse, tout se passait entre le prince de Hohenzollern et l’Espagne ; le texte de la dépêche froisserait le sentiment public : il semblait admettre que la France avait porté atteinte par ses réclamations à l’indépendance du peuple espagnol.

Plongé dans ces préoccupations il reprit l’entretien avec Werther. Il essaya d’obtenir de lui l’aveu que le Roi n’avait pas été étranger au désistement : la situation alors se redressait d’elle-même ; il aurait pu faire, sans être contredit, la déclaration dont l’Empereur sentait la nécessité. Mais Werther ne se prêta pas à l’artifice : il contesta, sur un ton qui n’admettait pas de doute, « que la renonciation émanait certainement de la propre initiative du prince Léopold. » Et il recommença cette perpétuelle argutie dont nos lecteurs doivent être excédés, sur la distinction entre le souverain et le chef de famille, sur l’impossibilité pour le Roi de refuser son approbation du moment que le prince acceptait la couronne, sur la conviction du Roi que, eu égard aux liens de famille des Hohenzollern avec Napoléon III, cette candidature ne pouvait être désagréable à la France. Gramont réfuta patiemment les sophismes de la mauvaise foi borusque, rappela les précédens belges, grecs, etc., dit avec vivacité que dans les Hohenzollern l’Empereur ne voyait pas des alliés plus ou moins éloignés, pour lesquels il avait eu des bontés, mais des princes, des sujets, des officiers prussiens dont on s’était servi pour inquiéter et humilier son pays, et que rappeler cette alliance, c’était le blesser. « Vous dites que le Roi n’a jamais eu l’intention d’être désagréable et de porter ombrage à la France ; je n’en doute pas, puisque vous l’affirmez ; mais pourquoi le Roi ne nous le dirait-il pas lui-même ? Pourquoi, dans une lettre amicale à l’Empereur, en s’associant à la renonciation du prince, ne dirait-il pas qu’on a mal interprété l’origine et exagéré les conséquences de cette candidature, qu’il attache trop de prix à l’amitié entre nos deux pays pour ne pas désirer qu’avec son abandon disparaisse toute mésintelligence et tout sujet d’ombrages ? » Et il formula ses idées dans une note dont les termes, peu médités, n’étaient qu’une esquisse ad memoriam : « En autorisant le prince Léopold à accepter la couronne d’Espagne, le Roi ne croyait pas porter atteinte aux intérêts ni à la dignité de la nation française. Sa Majesté s’associe à la renonciation du prince et exprime son désir que toute cause de mésintelligence disparaisse désormais entre son gouvernement et celui de l’Empereur. »

En parlant ainsi, Gramont n’avait pas entendu commettre la grossièreté de réclamer une lettre d’excuses. On ne demande pas une lettre d’excuses à un Roi qui est en même temps gentilhomme, quand on est gentilhomme soi-même et qu’on a le sentiment de l’honneur. Il savait très bien qu’à une telle impertinence le Roi eût répondu en faisant conduire à la frontière l’ambassadeur chargé de la lui présenter et en ordonnant la mobilisation de son armée. La sincérité de ses intentions pacifiques, le respect avec lequel il parla du Roi, tout en exprimant avec force nos propres sentimens, ne permirent pas à Werther de croire un instant que cette suggestion fût blessante. Werther aurait coupé l’entretien s’il avait eu devant lui un homme préoccupé d’humilier son souverain, car, tout en se montrant animé des dispositions les plus conciliantes, il ne cessa de maintenir le point de vue de son gouvernement avec une invincible fierté. Gramont ne formula donc aucune demande : il suggéra un expédient à l’appréciation de l’ambassadeur, et cet expédient n’avait rien de nouveau ni d’insolite. L’Empereur lui-même avait donné l’exemple chevaleresque que Gramont eût souhaité de la part du roi de Prusse. Après l’insertion au Journal Officiel, lors de l’attentat Orsini, de l’adresse des colonels, n’avait-il pas autorisé l’ambassadeur anglais Cowley à dire à la reine Victoria qu’il envoyait, comme ambassadeur à Londres, Malakoff, le plus grand soldat de l’armée, pour réparer l’offense faite par les adresses de l’armée ? En vue de dissiper la défiance excitée partout depuis la guerre d’Italie, n’avait-il pas écrit une lettre apologétique publique à Persigny (20 juillet 1860) et protesté de son désir de vivre dans la meilleure entente possible avec tous ses voisins, et surtout avec l’Allemagne ? N’avait-il pas sollicité une entrevue du régent de Prusse et des princes allemands réunis à Bade, et n’avait-il pas fait cette avance, bien autrement grave qu’une lettre amicale, de venir apporter en personne ses explications ? Lors de l’affaire du Luxembourg, son ministre n’avait-il pas désavoué à satiété, par son ordre, « toute intention d’offenser et d’irriter la Prusse ? »

J’arrivai à ce moment au ministère des Affaires étrangères (trois heures et demie). On me dit que l’entretien avec Werther durait encore. Je me fis annoncer. Gramont vint me rejoindre, nous nous mîmes réciproquement au courant par quelques mots rapides, puis je le suivis dans son cabinet. Alors l’entretien changea de nature. Il cessa d’être officiel comme il l’avait été jusque-là et devint une de ces conversations libres que les hommes politiques ont entre eux quand ils sont en dehors de leur rôle officiel, dans lesquelles on échange ses idées sans s’engager soi-même et à plus forte raison son gouvernement, « conversations qu’on ne saurait supprimer sans rendre impossibles les relations familières qui facilitent la bonne entente entre ministres et gouvernemens. » Werther me parut inquiet, agité, attristé. Il lui échappa de dire, ce qu’il s’est bien gardé de rappeler dans son rapport : « Ah ! si j’avais été auprès du Roi, cette malheureuse affaire ne se serait pas engagée ! — Bien malheureuse, en effet, répondis-je, par ses conséquences lointaines plus encore que par elle-même, puisqu’elle paraît maintenant finie ou tout au moins en bonne voie d’arrangement. C’est l’état d’esprit qui va persister dans le pays après cette solution qui m’inquiète. L’œuvre d’apaisement à laquelle je travaillais péniblement est compromise : au lieu d’une opinion publique résignée, nous allons être aux prises avec une opinion irritée ; la question Hohenzollern est mise au second plan et on parle d’exiger des garanties de la Prusse pour la fidèle exécution du traité de Prague ; aurons-nous la force d’arrêter ce mouvement ? Déjà on nous trouve trop accommodans, et le parti de la guerre se met en mesure de nous ôter la direction des affaires. Comme l’a dit le duc, le roi Guillaume rendrait à nos deux pays et au monde entier un service incomparable si, par la spontanéité d’une démarche amicale, il rétablissait la cordialité des rapports qu’il a lui-même troublés. En fortifiant notre position ministérielle il nous donnerait le moyen de poursuivre notre œuvre pacifique. »

Ainsi, pas plus après mon arrivée qu’avant, il ne s’agit d’une demande quelconque de nature à changer Je caractère de la négociation. Comment me le serais-je permis ? Comment n’aurais-je pas arrêté Gramont, s’il l’avait fait, puisque je venais de convenir avec l’Empereur, quelques instans auparavant, que nous ajournerions toute décision jusqu’au lendemain neuf heures en Conseil ? Il y a des impossibilités logiques et morales qui sont des preuves. J’ai, il est vrai, appuyé la suggestion de Gramont, mais cette suggestion même, n’ayant été approuvée ni par l’Empereur ni par le Conseil, restait toute personnelle et n’avait aucune espèce de valeur officielle. Il est évident que, si nous avions réclamé une lettre d’excuses du Roi, par Werther, nous aurions aussitôt renouvelé notre requête par Benedetti, et celui-ci fût devenu le porte-voix naturel de cette nouvelle exigence comme il l’était déjà de nos autres réclamations. Gramont ne communiqua pas cette suggestion même à titre de renseignement ; et il n’y eût certes pas manqué, versé comme il l’était dans les procédés diplomatiques, si elle avait eu une réelle importance. Avoir transformé une pensée sincère d’apaisement en une machination insolente et provocatrice, avoir fait de la suggestion d’une lettre d’amitié la demande d’une lettre d’excuses, c’est une des plus abominables calomnies de la légende de mensonge avec laquelle je suis aux prises.

Nous quittâmes Werther à quatre heures, Gramont partit pour Saint-Cloud. En nous séparant, il fut entendu, comme il l’avait été déjà avec l’Empereur, que nous ne prendrions de résolution que dans le Conseil du lendemain matin. En rentrant au ministère, je rencontrai, sur le pont, Pessard, le rédacteur du Gaulois aux articles si virulens. Je lui dis que je trouvais sa polémique absurde, et je le priai instamment, maintenant qu’il n’y avait plus de candidature, de n’y pas persister. C’est ainsi que j’excitais les journaux. Et je tins le même langage à tous ceux que je trouvai sur mon chemin.


IV

Au sortir des Tuileries, l’Empereur était calme et apaisé. L’aide de camp de service qui l’accompagnait, Bourbaki, lui dit : « Faudra-t-il, Sire, faire seller mes chevaux de guerre ? — Pas si vite, général, répond l’Empereur ; supposez qu’une île surgisse tout à coup entre la France et l’Espagne : toutes deux se la disputent ; elle disparaît ; sur quoi continuerait-on à se quereller ? » Cependant l’Empereur est impressionné par les acclamations exceptionnelles élevées sur son passage et qui sont évidemment une incitation belliqueuse. A Saint-Cloud, il tombe dans un milieu encore plus excité. A la Cour, dominaient la Droite et le parti de la guerre : on n’y entendait de protestations que de la part de l’écuyer Bachon : « Je ne comprends pas, disait-il, qu’on songea la guerre quand on ne peut plus se tenir à cheval. » On lui faisait froide mine. L’Impératrice convaincue, elle aussi, que la France était malade depuis Sadowa, s’était mise, après l’abattement passager signalé par le maréchal Vaillant, à écouter volontiers ce parti qui lui donnait des promesses de victoire. Le général Bourbaki, bon juge en matière de bravoure et de combat, connaissant à fond l’armée prussienne, lui prodiguait les assurances encourageantes : « Sur dix chances, lui disait-il, nous en avons huit. » Le plébiscite avait mis hors de toute atteinte la solidité de la dynastie, mais il n’avait pas rétabli la prépondérance de la France. Si la guerre n’était plus un intérêt dynastique, elle restait un intérêt national, et l’Impératrice croyait qu’il était du devoir de l’Empereur de relever notre prestige, d’autant plus qu’on ne pourrait plus le soupçonner d’être mû par une pensée personnelle. A son arrivée, elle accourt l’interroger : « Eh bien ! cela paraît fini. » Les visages s’assombrissent. L’Empereur s’explique. On l’écoute avec incrédulité, et on lui répète le mot courant : « Le pays ne sera pas satisfait. » Lorsque la nouvelle se répand dans le personnel du château, le mécontentement éclate comme au Corps législatif : — « L’Empire est perdu ! » s’exclame-t-on de toutes parts. « C’est une honte ! s’écrie l’Impératrice, l’Empire va tomber en quenouille. » Le général Bourbaki, plus excité que les autres, décroche son épée, l’étend sur le billard et dit : « S’il en est ainsi, désormais je refuse de servir. » On apporte le texte de l’interpellation Duvernois. L’Empereur, qui en a deviné la maligne intention, la blâme ; néanmoins, il y voit l’expression d’une exigence publique dont il sera peut-être difficile de ne pas tenir compte. Dans cet état des esprits, Gramont survient. Il raconte les échappatoires excédans de Werther, sa déclaration que le Roi est absolument étranger à ta renonciation ; il montre les défectuosités palpables de l’acte du prince Antoine. Alors l’Empereur oublie que toute résolution a été remise au Conseil du lendemain, « et, dit Gramont, des délibérations consciencieuses s’ouvrent aussitôt. »

Qui prit part à ces délibérations ? Gramont ne le dit pas. Je sais seulement ceux qui n’y furent pas appelés. N’y furent pas appelés : le ministre de la Guerre, qui, rassuré, avait arrêté ses préparatifs, et dont cependant la responsabilité pouvait devenir si lourde ; le garde des Sceaux, qui supportait presque seul le fardeau de la discussion publique dans les Chambres ; le ministre de l’Intérieur, plus particulièrement informé des mouvemens de l’esprit public ; le ministre des Finances, attentif aux perturbations du crédit de l’Etat ; en un mot, en dehors du ministre des Affaires étrangères, aucun des membres du Cabinet. Le résultat de ces délibérations fut la dépêche suivante à Benedetti que Gramont alla immédiatement expédier (sept heures du soir) : « Nous avons reçu des mains de l’ambassadeur d’Espagne la renonciation du prince Antoine, au nom de son fils Léopold, à sa candidature au trône d’Espagne. Pour que cette renonciation du prince Antoine produise tout son effet, il paraît nécessaire que le roi de Prusse s’y associe et nous donne l’assurance qu’il n’autoriserait pas de nouveau cette candidature. Veuillez vous rendre immédiatement auprès du Roi pour lui demander cette déclaration, qu’il ne saurait refuser, s’il n’est véritablement animé d’aucune arrière-pensée. Malgré la renonciation qui est maintenant connue, l’animation des esprits est telle que nous ne savons pas si nous parviendrons à la dominer. Faites de ce télégramme une paraphrase que vous pourrez communiquer au Roi. Répondez le plus promptement possible. » C’est ce qu’on a appelé la demande de garanties.

Cette dépêche inconsidérée annulait la sage dépêche de 1 h. 40. Elle ne se contentait, plus d’une participation du Roi au fait présent, elle demandait un engagement en vue de faits problématiques de l’avenir et nous rejetait dans les hasards dont, sans elle, nous étions sûrs de sortir heureusement. Quelle nécessité de se précipiter ainsi ? Quel péril était à redouter qu’on ne pût attendre avec patience une réponse de Madrid et de Berlin certaine dans quelques heures, et qui nous eût apporté des satisfactions suffisantes ? Mais la Droite n’entendait pas que l’affaire se terminât pacifiquement. Cette demande de garanties était, comme on l’a vu, par l’interpellation de Duvernois qui l’avait précédée, sa conception. Au début, unissant sa voix à celle qui s’élevait de tous les cœurs français contre la candidature provocatrice, elle supposait que nous ne pourrions pas l’accepter, et que la Prusse ne voudrait pas la retirer. Dès que la perspective d’un retrait fut entrevue, elle changea de langage, et l’on entendit les mêmes personnes, qui avaient estimé la candidature Hohenzollern si menaçante que son succès eût été notre déchéance, affecter de ne la plus considérer que comme un événement secondaire, beaucoup trop grossi, dont on avait eu tort de s’alarmer, si on ne voulait pas y chercher l’occasion favorable de vider notre querelle permanente avec la Prusse. J’avais signalé à l’Empereur ce mouvement lorsqu’il commença à se produire, et je m’y étais opposé avec une intraitable résolution.

La Droite, n’espérant pas venir à bout de ma résistance, me déchirait rageusement. J’étais accusé de manquer de courage, de patriotisme et de clairvoyance. Le Pays et le Public avaient lancé les insinuations les plus désobligeantes. Oubliant qu’Olozaga était demeuré aussi étranger à la candidature Hohenzollern que moi-même, le Pays écrivait : « Quand M. Olozaga venait coqueter place Vendôme et offrir ses Toisons d’or, il savait sans doute que la vanité grise et trouble les têtes. Et si les yeux de nos gouvernails ont été fermés et aveuglés, c’est que peut-être tel grand cordon des Dames nobles leur servait de bandeau. » Le Public de Rouher était encore plus venimeux. Mais tout ce déchaînement de colère ne m’ébranlait pas. Gramont, après les engagemens pris envers moi et envers Lyons, l’Empereur, après l’assentiment qu’il avait donné à ses promesses, étaient aussi engagés que moi à ne pas élargir le débat. La Droite alors eut l’habileté infernale de ne pas braver en face une résistance dont elle était sûre de ne pas venir à bout ; elle renonça à parler du traité de Prague et se mit à envenimer la question Hohenzollern sur laquelle nous ne pouvions pas éluder la discussion. Elle saisit habilement ce qu’il y avait de critiquable dans la renonciation : les journaux anglais en constataient l’étrangeté ; elle était faite par le père pour le fils, et le Standard trouvait « ce procédé bizarre ; » le Times s’étonnait de ne voir paraître nulle part le nom du prince Léopold lui-même, « qui est cependant majeur, âgé de trente-cinq ans et qui a eu une part active dans toute l’affaire. — Reste à savoir, ajoutait-il, jusqu’à quel point le jeune prince se croira lié par le désistement de son père. » La Droite raillait plus encore cette renonciation. « Le père Antoine, disait-elle, se joue de nous autant que l’a fait le père Augustenbourg. » Le 30 novembre 1852, le chef de la famille des Augustenbourg, sur l’honneur et la foi de prince, avait renoncé pour lui et son fils, moyennant un million et demi de doubles rixdales, à tous ses droits dans les duchés ; son fils n’en réclama pas moins cette succession, tout en gardant la somme reçue ; quand on lui contesta la validité de ses droits, il répondit : « Comment ! ils ne valent rien ! mais je les ai déjà vendus et ils sont encore bons ! » Que n’eussent pas dit les membres de la Droite s’ils avaient su que le prince Antoine n’avait renoncé au nom de son fils que parce que le prince Léopold avait d’abord refusé de le faire ?

Ils invoquaient ensuite des considérations historiques très spécieuses ; ils rappelaient cette pensée si forte de La Bruyère : « Ne songer qu’au présent, source d’erreur en politique. » C’est pourquoi, concluaient-ils, les hommes d’Etat sérieux ne sauraient considérer comme terminée une affaire de nature à recommencer tant qu’à la solution présente on n’aurait pas ajouté des mesures préservatrices contre un recommencement futur. Ils nous accablaient d’exemples d’affaires dont les solutions ont été subordonnées à une garantie pour l’avenir. A la suite d’un soulèvement, les Autrichiens, appelés par le Pape, avaient occupé les Légations ; Casimir Perier envoie aussitôt des troupes à Aucune et le Pape se décide à reconnaître cette mainmise sur une ville de son territoire, à la condition qu’elle sera temporaire et que les Français se retireront d’Ancône en même temps que les Autrichiens de Bologne. Nonobstant, Thiers, ministre des Affaires étrangères, subordonne le départ de nos troupes à des garanties pour l’avenir en cas d’une nouvelle intervention autrichienne, motivée par de nouveaux soulèvemens. Son successeur, Molé, les Autrichiens s’étant retirés de Bologne, évacue Ancône, sans avoir obtenu ces garanties. Duchâtel, Thiers, Guizot, Broglie le lui reprochent au Parlement[13]. Palmerston subordonna la fin de la guerre de Crimée à l’obtention des « garanties pour l’avenir contre les nouvelles entreprises possibles de la Russie[14]. » La Prusse et l’Allemagne ne cessèrent de réclamer du gouvernement danois des garanties pour l’avenir en faveur des Allemands établis dans les Duchés. En 1869, lorsqu’on parla de la candidature Hohenzollern une première fois, si l’Empereur, fidèle aux exemples des politiques sérieux, n’avait pas regardé seulement au présent, s’il avait pris des sûretés pour l’avenir, il n’aurait pas été surpris par le guet-apens prusso-espagnol : on lui reprochait cette imprévoyance. Devait-il la commettre de nouveau, laisser ouverte la possibilité d’une troisième alerte ? Il fallait donc assurer l’avenir en demandant au roi de Prusse, non seulement l’approbation du retrait de la candidature, mais une garantie formelle qu’il n’autoriserait pas les princes à la renouveler.

Ces raisonnemens, en thèse, n’étaient pas dépourvus de vérité. Il est incontestable que, quand une affaire s’assoupit momentanément, il est prudent de prévoir par des garanties un recommencement possible. Mais tel n’était point le cas. L’aventure avait eu des conséquences si pénibles pour tous ceux qui y avaient été mêlés qu’on ne pouvait leur supposer la tentation de la recommencer, et le roi de Prusse, qui s’y était engagé à contre-cœur, ne voudrait certes plus en entendre parler. De plus, quand on délibère si l’on doit ou non accomplir un acte, il ne suffit pas de le considérer en lui-même : il faut tenir compte des circonstances au milieu desquelles il se produira. L’acquiescement du Roi à la demande de l’Empereur eût produit des conséquences déplorables pour lui. Si à la renonciation qui, malgré tous les démentis, lui était attribuée il avait ajouté un engagement quelconque, une clameur universelle se fût élevée contre son humiliation : c’était précisément la perfidie de la Droite d’avoir soulevé une exigence à laquelle il était impossible que notre adversaire fît droit. La demande de garanties ne pouvait être interprétée que comme une volonté d’amener la guerre.

La plupart des meneurs de la Droite (il convient toujours de faire une part aux sincères) se souciaient peu et de l’Espagne, et des Hohenzollern, et de l’avenir : le présent seul les occupait. Se flattant de la victoire que les généraux leur promettaient, ils voulaient d’une guerre dont nous ne voulions pas, afin de nous débusquer du gouvernement, de le reprendre et de jeter au ruisseau, comme une loque, le régime libéral. Ils attendaient de la mauvaise humeur du roi de Prusse le rejet de la demande de garanties : ils supposaient que ce refus aigrirait les esprits, que la querelle envenimée de part et d’autre les amènerait, par cette voie détournée, à la guerre.

Entre la poussée belliqueuse de la Droite et la politique pacifique du ministère, l’Empereur oscillait, se laissant tour à tour aller à l’une ou à l’autre de ces impulsions. La paix paraissait-elle assurée, il regrettait les satisfactions que la guerre eût données au pays et ressentait une secousse guerrière. La guerre semblait-elle imminente, il reculait et retombait sur son fond pacifique. Cette fois, en adoptant la demande de garanties de la Droite, il semblait bien qu’il eût pris parti pour la guerre, et comme il était certain que pour cette politique il n’obtiendrait ni mon concours, ni celui du Cabinet, il l’imposait par un acte de pouvoir personnel au seul de ses ministres qui pût se prêter à un tel oubli des règles protectrices du régime parlementaire. Gramont n’était pas imbu des exigences de ce régime ; il restait l’ambassadeur habitué à obéir à tous les ordres de son souverain ; de très bonne foi, il n’eut pas l’idée que ce n’était pas correct, et, ministre parlementaire, il s’associa à un acte destructif du pouvoir parlementaire. De sa part, ce n’était qu’obéissance et non préméditation belliqueuse ; de la part de l’Empereur, j’en suis sûr, ce n’était que condescendance de la faiblesse, non volonté décidée de guerre. Mon habitude des procédés de son esprit et de la facilité avec laquelle, sans se laisser arrêter par des considérations d’amour-propre, il revenait sur ses pas s’il s’était trop avancé, me donne la conviction qu’une arrière-pensée le décida à passer de la sage résolution des Tuileries à la folle improvisation de Saint-Cloud. Il se dit qu’après tout cette demande de garanties, à laquelle il n’avait pas donné la forme d’un ultimatum public, n’était pas d’une telle nature qu’elle ne pût être abandonnée, si elle devait conduire à la guerre. Il oubliait que, dans des situations aiguës, certains actes produisent des effets immédiats et irrévocables et entraînent où l’on ne voulait pas aller.

Gramont put se convaincre, dès son retour au ministère, de la façon dont on interpréterait sa dépêche de Saint-Cloud. Lyons étant venu le voir, il ne lui dissimula pas ses objections sur le caractère insuffisant de l’acte du prince Antoine, et l’impossibilité, en présence de l’excitation de l’esprit public, de clore l’incident, sans avoir obtenu une satisfaction quelconque du roi de Prusse. Lyons exprima sa surprise. Il représenta que la situation était complètement modifiée : « Si la guerre survenait maintenant, toute l’Europe dirait que c’est le fait de la France, qu’elle s’est jetée dans une querelle sans cause sérieuse, par orgueil et par ressentiment. Peut-être, au premier moment, la Chambre et le pays exprimeraient quelque désappointement d’une résolution pacifique ; mais le ministère est dans une meilleure situation s’il se contente de son triomphe diplomatique que s’il plonge le pays dans une guerre pour laquelle n’existe aucun motif avouable. » Il insista surtout sur les assurances qu’il avait été formellement autorisé à donner au gouvernement de la Reine, que, si le prince retirait sa candidature, tout serait terminé. C’était le langage même de la raison et de l’amitié. Gramont reconnut qu’il l’avait en effet autorisé à donner ces assurances, à la condition toutefois, que Lyons oubliait, que le prince Léopold retirerait sa candidature sur le conseil du roi de Prusse : ce conseil impliquait la garantie tacite que la candidature ne serait pas reprise. Le roi de Prusse avait refusé de donner ce conseil et il nous faisait déclarer par son ambassadeur qu’il était étranger à la résolution toute spontanée du prince Antoine ; dès lors, la garantie sur laquelle nous comptions, à laquelle nous avions subordonné la fin de l’affaire, n’avait pas été obtenue. En raisonnant de la sorte, Gramont oubliait sa dépêche de 1 h. 40, dans laquelle, supposant une renonciation sans l’ordre ou le conseil du Roi, il se contentait d’une participation indirecte à une renonciation spontanée, et il n’avait aucune raison de croire, lorsqu’il consentit à lancer sa dépêche, que cette participation ne se produirait pas. Cependant, frappé des observations de l’ambassadeur, voulant, peut-être, se préparer une retraite, il dit à Lyons que la résolution définitive serait arrêtée dans le Conseil du lendemain et annoncée aussitôt après aux Chambres.


V

Je n’étais pas préoccupé de ce qui pouvait arriver de Berlin ou d’Ems. Je l’étais, au contraire, beaucoup de ce qui surviendrait de Madrid, et je redoutais toujours quelque nouvelle noirceur de Prim. Selon l’observation très juste de Gramont, le texte de la dépêche du prince Antoine était conçu de manière à soulever le sentiment public espagnol ; on y remarquait comme une certaine affectation à admettre que la France portait atteinte à l’indépendance de ce peuple ; on eût dit qu’il voulait établir une solidarité entre la candidature de son fils et la fierté nationale de l’Espagne. Il disait en effet : « Si je ne retirais pas la candidature de mon fils, le peuple espagnol ne pourrait prendre conseil que du sentiment de son indépendance, et l’élection serait assurée. Je la retire pour ne pas exposer l’Espagne à la nécessité de défendre ses droits. » Le gouvernement espagnol excité sous-main par Prim, à l’exemple des Grecs après la renonciation du prince Alfred, ne se déciderait-il pas à passer outre et à proclamer roi le prince Léopold, à titre d’affirmation de son indépendance nationale ? Le prince, qui personnellement n’avait pas renoncé, imitant la conduite de son frère Charles en Roumanie, ne débarquerait-il pas, à l’improviste, sur les côtes espagnoles ? Une correspondance étrangère l’annonçait.

Dans la soirée, ayant ma femme à mon bras, je me dirigeai vers le quai d’Orsay où se trouvait alors l’ambassade d’Espagne. Olozaga dînait en ville. Nous l’attendîmes quelque temps en nous promenant sur le quai : il n’avait encore rien reçu de Madrid, mais il me rassura ; il ne doutait pas que son initiative ne fût approuvée ; si on la désavouait, il cesserait aussitôt d’être ambassadeur ; il l’avait notifié, et l’on n’oserait pas s’exposer à cet embarras. Il me confirma ce que l’Empereur m’avait raconté de la manière dont la renonciation avait été amenée. « Malgré l’intimité de nos rapports, me dit-il, je ne vous ai instruit de rien, parce que le secret le plus absolu était la première condition du succès. Sur mon insistance, l’Empereur n’a pas gardé une réserve moindre. » Et il me conta alors sa visite pendant le Conseil du matin aux Tuileries. Il ajouta à ces confidences les avis les plus affectueux et les plus sensés : « Croyez-moi, de notre côté tout est terminé, la renonciation sera acceptée, la candidature ne sera pas reprise ; ne vous inquiétez pas, ne précipitez pas vos résolutions, et cela s’arrangera. »

Quoiqu’il fût tard, onze heures passées, nous montâmes ensuite chez Gramont, dont le ministère était à quelques pas, afin de lui redire ce que je venais d’entendre de la bouche d’Olozaga, et de savoir si d’Ems n’était pas venue quelque information. En réponse à ma demande, Gramont me présenta son télégramme de sept heures réclamant des garanties. Je n’en avais pas achevé la lecture qu’on annonça un aide de camp porteur d’une lettre de l’Empereur. Gramont la lut, puis il me la passa. Elle était ainsi conçue : « Palais de Saint-Cloud, le 12 juillet 1870. — Mon cher duc, en réfléchissant à nos conversations d’aujourd’hui et en relisant la dépêche du père Antoine, comme l’appelle Cassagnac, je crois qu’il faut se borner à accentuer davantage la dépêche que vous avez dû envoyer à Benedetti en faisant ressortir les faits suivans : — 1o Nous avons eu affaire à la Prusse, et non à l’Espagne. — 2o La dépêche du prince Antoine adressée à Prim est un document non officiel pour nous, que personne n’a été chargé en droit de nous communiquer. — 3o Le prince Léopold a accepté la candidature au trône d’Espagne, et c’est le père qui renonce. — 4o Il faut donc que Benedetti insiste comme il en a l’ordre, pour avoir une réponse catégorique par laquelle le Roi s’engagerait pour l’avenir à ne pas permettre au prince Léopold, qui n’est pas engagé, de suivre l’exemple de son frère et de partir un beau jour pour l’Espagne. — 5o Tant que nous n’aurons pas une communication officielle d’Ems, nous ne sommes pas censés avoir eu de réponse à nos justes demandes. — 6o Tant que nous n’aurons pas eu cette réponse, nous continuerons nos armemens. — 7o Il est donc impossible de faire une communication aux Chambres avant d’être mieux renseignés. — Recevez, mon cher duc, l’assurance de ma sincère amitié. »

Voici l’explication de cette lettre : dans la soirée, quelques membres de la Droite, parmi lesquels Jérôme David et Cassagnac, étaient venus à Saint-Cloud. Ils avaient raconté (ce qui était vrai) que la renonciation du père Antoine était la fable de Paris ; ils avaient effrayé l’Empereur des périls et du ridicule auxquels il s’exposait en se payant d’une satisfaction dérisoire, lui avaient montré le mécontentement de l’armée, la désaffection du peuple, les ricanemens hostiles de l’opposition, notre abaissement définitif en Europe, et ils l’avaient menacé du discours furibond de Gambetta dont il était question dans les couloirs. L’Empereur, sous l’influence de leurs paroles, s’enfonçant dans sa défaillance, avait écrit à Gramont « d’accentuer davantage la dépêche qu’il avait dû envoyer à Benedetti. » La poussée intérieure de Saint-Cloud avait amené le télégramme de sept heures, la poussée extérieure des visiteurs du soir dicta la lettre à Gramont.

Quelque haut qu’on ait placé son âme au-dessus des susceptibilités vulgaires, il est impossible de ne pas ressentir certains procédés. Etre demeuré d’accord avec l’Empereur, à trois heures, qu’aucune détermination ne serait prise avant le lendemain au Conseil, et apprendre après onze heures du soir, par hasard, qu’une détermination grave a été adoptée, mise à exécution, sans qu’on ait été ni consulté, ni prévenu ; là où l’on arrivait pour une conversation dénouée se trouver en présence d’un fait accompli d’une importance majeure, il y avait de quoi justifier une explosion de rudes paroles. Cependant, je dominai mon sentiment. Cette lettre de l’Empereur, la première traçant une ligne de conduite au ministère qui ne me fût pas adressée, me faisait apparaître la demande de garantie, non comme l’incitation d’un collègue oublieux des devoirs de la solidarité ministérielle, mais comme un acte du pouvoir personnel auquel Gramont s’était prêté par habitude de métier. Ce ne fut pas à lui, ce fut à l’Empereur que je me réservai d’adresser ma plainte. A l’heure actuelle, que faire ? Je n’avais pas le pouvoir d’exiger de Gramont qu’il reprit son télégramme de sept heures envoyé en vertu d’un premier ordre, pas davantage celui de lui interdire d’exécuter le second ordre qu’il venait de recevoir. Tout au plus aurais-je pu le prier de se rendre avec moi auprès de l’Empereur, afin de l’amener à rétracter ses injonctions. Si nous eussions été en plein jour, je n’y aurais pas manqué. Mais à minuit je n’y pouvais songer. Aurais-je réussi à aborder l’Empereur, l’aurais-je amené à révoquer ses instructions et à n’y point persister, ces démarches eussent employé une partie de la nuit et un contre-ordre ne serait parvenu à Benedetti qu’après qu’il aurait exécuté l’ordre. Le fait était irrévocablement accompli ; je n’avais l’option qu’entre deux partis : ou protester par une démission, ou m’ingénier à annuler les conséquences de ce fait que je ne pouvais plus empêcher.

Quoique très blessé, je crus que je devais d’abord atténuer l’effet d’une démarche que je ne pouvais plus empêcher. Je dis à Gramont d’un ton navré : « On va vous accuser d’avoir prémédité la guerre et de n’avoir vu dans l’incident Hohenzollern qu’un prétexte de la provoquer. N’accentuez pas votre première dépêche comme vous le prescrit l’Empereur, atténuez-la. Benedetti aura déjà accompli sa mission lorsque cette atténuation lui parviendra, mais dans la Chambre vous y trouverez un argument pour établir vos intentions pacifiques. » Alors, je m’assis devant un bureau, et j’écrivis les deux paragraphes suivans : « Afin que nous soyons sûrs que le fils ne désavouera pas le père et qu’il n’arrivera pas en Espagne, comme son frère l’a fait en Roumanie, il est indispensable que le Roi veuille bien nous dire qu’il ne permettra pas au prince de revenir sur la renonciation communiquée par le prince Antoine. Dites bien au Roi que nous n’avons aucune arrière-pensée, que nous ne cherchons pas un prétexte de guerre, et que nous ne demandons qu’à sortir honorablement d’une difficulté que nous n’avons pas créée nous-mêmes[15]. »

La différence entre ce texte et le premier était considérable. C’était une transformation plus qu’une atténuation : indépendamment de l’assurance pacifique qui ne se trouvait pas dans le premier, il contenait un amoindrissement de la demande de garanties ; la dépêche de sept heures réclamait une garantie générale en vue de toutes les éventualités de l’avenir, mon texte limitait cette garantie au présent et n’avait en vue que le cas où Léopold ne ratifierait pas la renonciation actuelle faite par son père. Le champ de la discussion se restreignait ainsi singulièrement.

Ces lignes écrites, je me levai, et comme je n’avais pas encore vu clairement la conduite que devait me conseiller l’acte grave qui venait de m’être révélé, je partis troublé et soucieux. Gramont trouva mon conseil bon, mais il ne le suivit qu’à demi. Il juxtaposa mon texte, qui restreignait la garantie au fait pré : sent, à son texte précédent, qui la réclamait pour l’avenir, et il mit ainsi une contradiction dans la nouvelle dépêche qu’après mon départ il adressa à Benedetti. Du reste, ainsi que je l’avais prévu, cette dépêche expédiée à 11 h. 45 n’arriva à Benedetti que le lendemain à 10 heures et demie, lorsqu’il avait déjà vu le Roi.


VI

Au ministère, je trouvai Robert Mitchell. Il me demanda comment il devait présenter, dans le Constitutionnel du lendemain matin, la renonciation du prince Antoine. N’ayant pas encore réfléchi au parti que j’allais prendre, je ne lui parlai pas de la demande de garanties, et ne lui exprimai que ma pensée propre, ce qui était une manière de commencer la lutte avec Saint-Cloud : « Déclarez que nous sommes satisfaits et que tout est fini. » Mitchell, qui soutenait de la verve de son merveilleux esprit, et du courage d’un brave cœur, la cause de la paix presque seul au milieu des ardeurs guerrières de la plupart des journalistes parisiens, accueillit mes assurances comme une victoire personnelle, et, me félicitant chaudement, partit tout enchanté rédiger sa note pacifique.

Resté seul, je débattis, pendant une longue nuit d’insomnie, la conduite que je devais suivre, et je revins sur tous les incidens de la journée. Mon premier mouvement fut d’envoyer ma démission : « Vous étiez trop surchargé d’affaires, — m’a écrit un de mes collègues qui connaissait la Droite de près depuis longtemps, Parieu, — pour observer tout ce qui se tramait autour de vous. » Sans avoir eu, en effet, le temps d’observer leur trame, je l’avais devinée. Je me sentais trahi, mal servi, de tous les côtés ; il fallait faire une épuration de l’ancien personnel, et je n’avais pas la dureté de cœur de l’opérer. Je me sentais profondément blessé de cette renaissance du pouvoir personnel. J’étais las et désireux de reprendre haleine ; l’idée d’être obligé de donner le signal d’une guerre me bouleversait ; l’occasion de me retenir était opportune, j’eus une violente tentation de la saisir.

En creusant mes pensées, cette retraite me parut un acte d’égoïsme condamnable. C’eût été, comme les Saxons, au milieu de la bataille, passer à l’ennemi, donner raison à Bismarck, augmenter l’arrogance de ses refus, convier l’Europe à se prononcer contre nous, enfin détruire l’unique espérance de paix qui nous restait encore. Je n’avais aucun doute sur ce qui allait advenir. Le roi de Prusse approuverait la renonciation, mais il repousserait toute promesse de garanties. A la suite de ma démission, un ministère de guerre, tout préparé dans la coulisse, me remplacerait et répondrait au refus du Roi par de hautaines insistances dont la guerre serait inévitablement sortie. En demeurant aux affaires, j’avais au contraire l’espérance de faire annuler la demande de garanties et d’obtenir du Conseil et de l’Empereur lui-même qu’ils accepteraient le refus du Roi sans prolonger la crise par d’inutiles insistances. Quand Daru envoya son memorandum sans consulter le Conseil, je ne m’étais pas retiré, et j’avais réussi à anéantir ce mémorandum. C’était encore la meilleure conduite à suivre. J’étais certain de la majorité dans le Conseil ; la Chambre me suivrait-elle et ne succomberais-je pas sous une coalition de Droite et de Gauche ? Je ne le croyais pas, tant que l’Empereur serait avec moi. Dans tous les cas, je tomberais noblement, n’ayant pas sacrifié l’intérêt de mon pays à une susceptibilité personnelle, quelque légitime qu’elle fût. Je n’envoyai donc pas ma démission. Par là, il est vrai, je me rendais solidaire officiellement d’un acte que je déplorais. En apparence, je m’y associais, mais comme le paratonnerre s’associe à la foudre pour la conjurer.


EMILE OLLIVIER.

  1. Lettre du Roi à la Reine du 12 juillet 1870.
  2. Souvenirs, t. 11, p. 100 et suivantes.
  3. M. Paul Matter, dans son étude remarquable sur Bismarck, a le premier constaté en France cet échec de Bismarck : « Un travail de longs mois, une négociation mystérieuse et subtile, les excitations de la presse, l’irritation du peuple allemand, tout a été vain ; le roi de Prusse a cédé, et, pour la première fois de sa carrière politique, Bismarck le tout-puissant a éprouvé un échec. » (T. III, p. 53.)
  4. Lenz, Geschichte, Bismarck, p. 349-350.
  5. Mars 1895.
  6. Déposition devant la Commission d’enquête sur le 4 septembre.
  7. Souvenirs de Bismarck, p. 102.
  8. Ce sont les propres paroles de Bismarck dans un rapport du 25 septembre 1888 inséré dans le Journal officiel. C’est un aveu aussi important que celui de la dépêche d’Ems, et qui cependant a passé inaperçu.
  9. Dans tout son récit, Keudell donne à son chef un rôle de pacifique imbécile qui ne se rend jamais compte de ce qu’il fait et il s’explique son arrêt à Berlin encore plus ridiculement. « Il s’arrêta, dit-il, parce qu’il n’était pas bien. » S’il veut parler moralement, oui, mais matériellement, c’est niais ; les souvenirs de Bismarck sur la dépêche d’Ems rendent à l’événement sa véritable physionomie.
  10. Souvenirs de Bismarck, p. 102.
  11. Chevandier ignorait à ce moment les circonstances que je viens de raconter. Quand il les connut, il trouva que je n’avais pas eu tort.
  12. Déposition dans l’enquête du 4 septembre.
  13. Séance de la Chambre du 12 janvier 1839.
  14. Lettre de Palmerston à John Russell, 28 mars 1855.
  15. Voici le texte intégral : « L’Empereur me charge de vous faire remarquer que nous ne saurions considérer la renonciation que nous a communiquée l’ambassadeur d’Espagne et qui ne nous est pas adressée directement, comme une réponse suffisante aux justes demandes adressées par nous au roi de Prusse ; encore moins saurions-nous y voir une garantie pour l’avenir. Afin que nous soyons sûrs que le fils ne désavouera pas son père ou qu’il n’arrivera pas en Espagne comme son frère l’a fait en Roumanie, il est indispensable que le Roi veuille bien nous dire qu’il ne permettra pas au prince de revenir sur la renonciation communiquée par le prince Antoine. — M. de Bismarck arrivant à Ems, veuillez y rester jusqu’à ce que vous soyez appelé à Paris. Dites bien enfin au comte de Bismarck et au Roi que nous n’avons aucune arrière-pensée, que nous ne cherchons pas un prétexte de guerre, et que nous ne demandons qu’à sortir honorablement d’une difficulté que nous n’avons pas créée nous-mêmes. »