Librairie Nouvelle (2p. 139-149).
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XLIV


Après avoir raconté son escapade avec cette sorte de candeur propre aux êtres qui n’ont pas beaucoup de religion morale, la belle Medora remit tranquillement son chapeau et, voulant l’assujettir dans ses cheveux pour reprendre son voyage, elle m’ordonna de chercher dans la mousse une grande épingle d’acier qu’elle y avait laissée tomber en se décoiffant brusquement.

Son aventure, quoique gaiement racontée, m’avait paru longue, dans la situation précaire où je me trouvais. Ce n’est pas quand il faut avoir l’œil et l’oreille aux aguets, se rendre compte du moindre bruit et du moindre mouvement autour de soi, que l’on se sent bien disposé à prendre la vie par le côté léger et facile, comme cette Anglaise capricieuse semblait résolue à le faire. La circonstance de l’épingle qu’elle me faisait chercher me parut un raffinement de bravade égoïste, d’autant plus qu’elle se mit à rire tout haut, je ne sais de quoi ; peut-être de l’idée qu’il serait fort plaisant pour moi, après avoir surmonté des dangers sérieux, d’être surpris par mes ennemis, pour m’être obstiné, hors de saison, à chercher une épingle.

L’amour-propre dont, quoi qu’on fasse, on ne se débarrasse jamais entièrement quand on se sent ou quand on se croit mis au défi par une jolie femme, m’empêcha de laisser voir mon impatience, et j’arrivai à retrouver la perfide épingle sans me départir du plus convenable sang-froid.

— C’est bien ! me dit-elle en la recevant d’un air de bizarre triomphe : vous êtes véritablement le seul homme que j’aurais pu aimer ! Mais je n’aimerai plus personne, si ce n’est d’amitié. An revoir donc, et bonne chance pour rentrer à Mondragone !

Elle fit deux pas et se retourna en disant :

— Vous ne venez pas m’aider à remonter sur mon cheval ?

— Non ! répondis-je, révolté de cette nouvelle exigence ; j’entends venir.

— Tiens ! c’est vrai ! reprit-elle après un moment de silence. Je me sauve ! à bientôt !

Et, sans attendre une réponse que j’étais peu disposé à lui faire, elle disparut.

Je me baissai dans les rochers et prêtai l’oreille, étonné d’avoir dit vrai en parlant au hasard pour couper court à cette périlleuse entrevue. Les branches mortes criaient sous des pas rapides, et ce n’était pas seulement sous ceux de Medora fuyant vers ma gauche. Une autre personne venait vers moi par une autre direction. Mon cœur et mes sens reconnurent Daniella. Je m’élançai joyeux à sa rencontre.

Elle était pâle et tremblante ; je crus qu’elle était poursuivie et voulus armer mon fusil ; mais elle me fit signe que cela n’était pas nécessaire, et s’enfonça dans le taillis avec une sorte d’impétuosité désespérée, en se retournant de temps en temps pour s’assurer que je la suivais. Sa figure était bouleversée, non d’effroi, mais de colère.

Quand nous eûmes gagné le pied du rocher del buco, je voulus la faire expliquer. Elle ne répondit pas et se mit à gravir, avec l’agilité et la force d’un chamois, les gradins inégaux et par endroits gigantesques de la cascatelle.

Elle entra la première dans la tour, et, se jetant par terre, elle fondit en larmes.

— Daniella, ma bien-aimée, m’écriai-je en la saisissant dans mes bras, qu’est-ce donc ? que t’est-il arrivé ? Est-ce l’émotion de cet enterrement ? sommes-nous en danger ? Vais-je encore être forcé de me séparer de toi ? Non ! je ne le veux pas, c’est impossible ! J’aime mieux être tué à tes côtés. Mais réponds donc ! Quelqu’un t’a-t-il offensée à cause de moi ? As-tu reçu quelque reproche, quelque outrage ? Parle, ou je deviens fou !

— Vous me demandez ce que j’ai ? dit-elle enfin d’une voix étouffée par l’indignation. Vous doutez que je sois outragée, avilie, désespérée ! Vous croyez donc que je ne l’ai pas vue, cette femme qui s’enfuyait tout à l’heure d’auprès de vous en m’entendant venir ?

— Cette femme ! Comment, c’est là la cause de ton chagrin ? Cette femme est celle qui doit moins que toute autre, te porter ombrage : c’est miss…

— Miss Medora ?

— Précisément !

— Vous l’avouez, parce que vous sentez bien que je l’avais reconnue ! Oh ! elle ne se cachait pas ! Au contraire, elle a relevé son voile en passant à dis pas de moi, et elle s’est mise à rire avec insolence. Elle me brave, elle m’avilit. C’est bien la preuve que vous me trahissez.

Je voulus en vain me justifier : la terrible enfant ne m’écoutait pas. Même lorsqu’elle faisait un effort pour recueillir et comprendre mes paroles, il semblait qu’il lui fût impossible d’y saisir aucun sens. Elle marchait avec agitation ou se jetait avec des poses d’une insouciance effrayante sur les frêles rebords de la terrasse. Dix fois je crus qu’elle allait s’élancer dans le précipice. Elle était tragiquement belle dans ce paroxysme de la passion et de la douleur, avec ses cheveux noirs épars, sa pâleur de marbre, ses yeux creusés d’un cercle bleuâtre, ses lèvres frémissantes ; elle me faisait peur et me remplissait d’admiration. Rien ne pouvait la calmer, car rien ne pouvait la convaincre. En proie à une idée fixe qui semblait paralyser toute faculté de raisonnement, elle trouvait une éloquence effrénée pour se plaindre, pour m’accuser, pour maudire et outrager sa rivale ; elle avait comme des trésors de haine, amassés depuis longtemps au fond du cœur et retenue au bord des lèvres. Elle rugissait comme une lionne blessée ; elle avait des hallucinations de vengeance atroce ; elle était folle.

Je la regardais avec stupeur en me disant que toute cette rage et toute cette souffrance venaient de la chute d’une épingle ; une minute plus tard, notre bonheur n’eût pas été troublé. Pour une minute, pour une épingle, il l’était peut-être sans retour.

Je me défendis longtemps de la contagion de ce délire. Enfin, ne pouvant l’apaiser, je sentis qu’il me gagnait, que je ne trouvais plus de paroles pour me justifier, que mes nerfs se crispaient aussi, et que l’impassible bruissement de la cascade m’entraînait comme un vertige. L’amour de Daniella changé en mépris, son âme profanée par le soupçon, ses lèvres souillées par le blasphème, c’était pour moi comme un rêve affreux. Je ne pouvais pas supporter l’idée de survivre à un bonheur trop grand sans doute pour durer sur la terre où nous sommes. Je sentis le froid du désespoir paralyser mes facultés, et je devins comme hébété devant ses reproches.

Lorsqu’elle vit enfin ce qui se passait en moi, elle se jeta dans mes bras. Ce fut à mon tour de ne pas comprendre ce qu’elle me disait : mon âme avait descendu trop avant dans l’abîme, j’avais la gorge serrée comme par une main de fer et de glace. Je restai condamné à un farouche silence qui lui fit croire que j’étais irrité contre elle.

Pauvre chère âme ! elle me demandait pardon, elle se roulait à mes pieds, elle couvrait mes mains de baisers, et je ne pus la consoler et la tranquilliser qu’après une réaction nerveuse où je crus que ma poitrine et mon cerveau allaient se briser dans les sanglots.

Quand je pus lui raconter tout ce qui s’était passé à propos de Medora, je la vis prête à retomber dans sa crise. Elle ne me pardonnait pas de lui avoir caché le nom de la dame voilée, et ses réflexions me prouvaient à moi-même qu’en effet, aux yeux d’une femme jalouse, les apparences étaient contre moi. J’avais vu Medora à Mondragone, et je pouvais être devenu jaloux de la bonne fortune du prince. Je l’avais escortée dans cette fuite qui m’avait exposé ensuite à de graves périls, et cela pouvait être l’effet d’une passion qui ne recule devant rien. J’avais parlé avec elle, cette nuit-là, et je l’avais peut-être décidée, par mes prières, à quitter son sigisbée. J’avais peut-être concerté, avec elle le rendez-vous que Daniella venait de surprendre. De plus, Daniella m’avait aperçu, de loin, agenouillé devant elle pour chercher l’épingle. Elle pouvait avoir dérangé une déclaration, comme dans les pièces de théâtre, où la pantomime classique de plier un genou exprime tout au plus, aux yeux du spectateur, les circonstances atténuantes d’une criminal conversation.

En dépit de la sincérité de ma justification, il restait d’ailleurs un point mystérieux que ma pauvre Daniella s’efforçait de me faire avouer et que l’honneur me prescrivait de taire. L’amour que Medora se figure avoir eu pour moi, et qu’elle n’avait pas craint de me rappeler avec un air de détachement superbe ; la scène de Tivoli et les paroles qui, depuis, dans sa bouche, avaient eu rapport à celle folle circonstance, c’était là un secret que, même vis-à-vis de la maîtresse la plus chère, je devais ne jamais trahir, sous peine d’être un fat et un lâche à mes propres yeux. Il me suffisait d’établir et de jurer, en toute loyauté, que je n’avais jamais eu un moment d’amour pour Medora. Je ne devais à personne au monde la confession d’un moment d’égarement de la part d’une femme qui s’était fiée à mon honneur.

Malheureusement, les questions de Daniella s’acharnaient tellement à ce cas réservé de ma conscience, qu’elle me contraignait à mentir. Elle poussa la rudesse de sa passion jusqu’à vouloir me faire jurer sur l’honneur que jamais Medora n’avait cherché à provoquer mon cœur, mon imagination où mes sens.

C’est en disant toute la vérité que j’aurais pu victorieusement me disculper. Ma vie, ma conduite, depuis l’aventure de Tivoli, étaient bien la preuve d’une sorte d’antipathie pour la belle Anglaise, si j’eusse pu avouer qu’elle m’avait offert sa main ; mais Daniella ne croyait pas qu’elle eût été jusque-là. Elle pensait, au contraire, que j’avais pu être rebuté le jour de la promenade à Tivoli ; que ma fièvre n’avait pas eu d’autre cause que cette contrariété ; enfin, qu’elle-même n’avait été pour moi qu’un pis-aller. C’était donc ma justification pleine et entière qu’elle me demandait, et je vous jure que j’étais stoïque de lui résister, en refusant de lui livrer Medora, provocante et déçue.

Quand elle vit qu’en me défendant d’avoir jamais senti le moindre attrait pour cette beauté, la moindre sympathie pour ce caractère, je m’abstenais de railler et de mépriser la conduite de miss ***, l’orage recommença. La colère était épuisée, mais ce fut un déluge de pleurs.

— Pourquoi ne pas me dire ce que je croyais savoir et ce que je voulais croire ? s’écria-t-elle en tordant ses petites mains comme si elle eût voulu les briser. Cette infâme coquette m’a dit elle-même que vous ne l’aimiez pas, mais qu’elle saurait bien se faire aimer !

— Elle disait cette sottise on cette folie ?

— Oui, par moments, car tous les soirs, à Rome, quand tu étais dans la maison, elle avait des crises de nerfs et des accès de dépit, où elle disait ce qu’elle avait dans la tête ; mais quand elle s’apercevait du plaisir que me causait son chagrin, elle disait autrement. Elle prétendait que, dès le premier jour où tu l’as vu sur le bateau à vapeur, lu l’avais regardée avec extase ; qu’elle ne pouvait pas faire un mouvement ni lever les yeux sans rencontrer les tiens. Elle était persuadée qu’en courant au-devant de la diligence sur la via Aurélia, tu n’avais pas eu d’autre idée que de savoir si elle allait droit à Rome, ou si elle s’arrêtait aux environs dans quelque villa ; et enfin, que tu ne te serais pas jeté si bravement sur les brigands quand tu pouvais te tenir caché, sans un grand désir de te faire distinguer par elle. Que veux-tu ? toutes ces vanteries me brisaient le cœur, à moi qui t’aimais déjà ! Je ne t’ai jamais dit ce que cette fille injuste et despote m’a fait souffrir à cause de toi ; quel, dédain elle affectait pour ma pauvre condition et pour ma pauvre figure, et comme elle aimait à répéter devant moi qu’avec sa beauté, son esprit et sa fortune, elle ne devait jamais trouver de cœur qui lui fût réellement fermé. « Il n’osera jamais me déclarer qu’il m’aime, disait-elle pendant ta maladie ; il se croit trop au-dessous de moi ; mais je lui tiens compte de cette fierté modeste, et moins il parle, mieux je le comprends. »

— S’il est vrai qu’elle t’ait dit tout cela, elle manque de clairvoyance et de jugement.

— Elle manque tout à fait d’esprit, comme elle manque de cœur. Je la connais bien, moi ! Une femme de chambre connaît mieux sa maîtresse que tous les hommes qui lui font la cour. De même qu’elle sait tous les défauts et tous les artifices de sa personne, elle sait toutes les pauvretés de son caractère et toutes les sottises de son imagination. Ces poupées que nous habillons pour vous se tiennent devant vous comme des marionnettes dont on ne voit que le dessus ; mais, quand elles quittent leur costume, elles quittent aussi leur rôle, elles ont besoin de redevenir elles-mêmes et de se vanter devant nous des succès qu’elles ont eus et de ceux qu’elles n’ont pas pu avoir.

Daniella, dont le dépit et l’aversion déliaient la langue, ne manqua pas en véritable fille d’Ève qu’elle se sentait redevenir, cette occasion de déprécier les charmes de Medora et de me révéler les artifices, vrais ou supposés, de son teint et de sa taille. Je l’écoutais d’abord en riant de cette malice qui la soulageait ; puis tout cela me rendit triste. Je n’avais jamais voulu parler de Medora avec elle, et elle avait compris ou paru comprendre que, dans le divin concert de notre bonheur, ce souvenir étranger arrivait pour moi comme une fausse note. Elle avait été si belle dans sa confiance, si grande en me disant :

— Si je pouvais douter de toi, c’est que je ne t’aimerais plus !

Et je la voyais maintenant s’acharner à enlaidir et à ridiculiser un fantôme de rivale, sans plus tenir aucun compte de ma parole et de ma loyauté.

Je ne pus m’empêcher de le lui dire, et ce fut encore une blessure pour elle, tant il est vrai qu’un peu de foi et d’idéal qui se détache entraîne une avalanche de troubles et d’amertumes. Elle me fit un crime de ne pas me complaire à lui voir exhaler sa haine, et m’accusa de défendre, dans mon cœur, celle qui lui ôtait son bonheur et son repos.

Je m’assoupis pendant qu’elle continuait à me parler avec une énergie qui dépassait la mienne. Je n’avais pas dormi de la nuit. Trop de joie et trop de douleur m’avaient épuisé. Je succombais à la fatigue et au dégoût d’une querelle qui me faisait l’effet d’un mauvais rêve dont le sens vous échappe à chaque instant.

Je crois que je dormis une heure. Quand je m’éveillai, je la vis assise auprès de moi, chassant les cousins de ma figure et me regardant avec une expression si tendre et si triste que j’en fus navré.

— Pardonne-moi, lui dis-je en l’attirant sur mon cœur ; tu souffrais, et, moi, j’ai dormi ! C’est la première fois que cela m’arrive, et je ne croyais pas que cela pût m’arriver jamais, de me trouver anéanti devant tes larmes, et de n’avoir pas en moi la force de te consoler. C’est donc que ta douleur est, pour moi, une chose impossible à soutenir, et qu’il faudra que je m’endorme dans la mort si elle continue ! Tiens ! si notre bonheur est fini, si je dois ne plus te faire que du mal, cesse de m’aimer, toi qui es forte, et laisse-moi me tuer, car je me sens faible et incapable de réagir contre tes reproches.

— Non, non ! s’écria-t-elle, il n’en sera pas ainsi ! Tu sauras souffrir, s’il m’arrive de souffrir encore. Que puis-je te promettre ? Rien, puisque je deviens folle à l’idée d’être trahie, Oui, folle ! Tu l’as bien vu, il m’était impossible de t’entendre et de m’entendre moi-même. Mon cœur te défendait et me criait que tu étais sincère ; mais je ne sais quel démon criait encore plus fort dans mes oreilles. Ah ! ne me dis pas que notre bonheur est fini, car je me poignarderais tout de suite si tu croyais cela ! Non ! non ! Je te jure que je ne suis plus jalouse et que je ne veux plus l’être. Si cela m’arrive encore, eh bien ! dis-toi que j’ai un terrible accès de fièvre, et ne m’abandonne pas plus que tu ne le ferais si je tombais malade. Est-ce que tu ne comprends pas cela, mon Dieu, qu’on soit jaloux avec rage de ce qu’on aime avec passion ? Serais-tu tranquille et raisonnable si tu me voyais courir ou me cacher pour causer avec ce prince ou avec ce docteur dont tu me parlais hier ? Non certes, toi aussi tu perdrais l’esprit, tu ne m’écouterais pas, et tu serais peut-être aussi injuste que je l’étais tout à l’heure. D’ailleurs, est-ce que l’amour est tout entier dans le bonheur qu’on goûte ensemble ? Est-ce qu’il n’est pas aussi dans le chagrin, dans le délire, dans l’inquiétude que l’on se cause l’un à l’autre ? Est-ce que nous n’avons pas déjà bien souffert de notre passion ? S’est-elle refroidie pour cela ?

— Tu as raison ! Il ne s’agit pas d’être heureux, mais d’aimer ! Eh bien, fais-moi tout le mal que tu voudras, pourvu que je vois renaître ton sourire et que je retrouve l’ardeur de ton baiser.

La journée s’acheva dans les célestes voluptés d’une tendresse plus vive et plus délicate que nous ne l’avions encore ressentie. Il s’était fait en Daniella comme une transformation à la suite de cette crise terrible. Elle parlait avec plus d’élévation et de clarté ; elle trouvait des mots plus nets et plus profonds pour exprimer son amour. Elle voyait presque en artiste et en poète les grandeurs de la nature qui nous environnait. Sa beauté même me semblait avoir pris un caractère plus touchant et plus intelligible. Son expansion ne m’étonnait plus par des réticences et des élans imprévus. Elle était intelligente comme un être cultivé dès l’enfance, et tendre comme la femme la plus douce et la plus pieuse. Je n’osais lui dire combien j’étais frappé de cette sorte de transfiguration soudaine. Peut-être m’apparaissait-elle ainsi parce que j’avais vu éclater la violence cachée sous son calme habituel, et que, la connaissant enfin tout à fait, je me sentais épris de l’excès même de son redoutable amour.

Peut-être aussi ce prompt retour à une complète sérénité et cette révélation d’une beauté morale plus exquise, étaient-ils tout simplement le résultat d’une organisation qui a besoin quelquefois d’exhaler un excès de puissance pour se remettre dans son progrès naturel. Les âmes méridionales sont sans doute comme leur ciel, qui, après des orages formidables, verse tout à coup de si bénignes influences sur terre et fait pousser tant de fleurs sur le sol, meurtri et dévasté une heure auparavant.

À onze heures nous commençâmes à plier bagage. La toile qui nous servait de porte fut roulée et cachée sons les décombres avec les autres ustensiles ; le feu et la lumière furent éteints. Je renouvelai l’amorce de mon fusil. Daniella releva sa jupe de dessus dans ses agrafes. Nous nous donnâmes un dernier baiser en envoyant un adieu amical à la vieille tour et à la cascade argentée. Puis nous descendîmes la cascatelle pour être prêts à recevoir Felipone, qui devait se trouver là à minuit.