La Damnation de Faust
La
DAMNATION DE FAUST
LÉGENDE DRAMATIQUE
PREMIÈRE PARTIE
Scène premiere.
Le vieil hiver a fait place au printemps ;
La nature s’est rajeunie ;
Des cieux la coupole infinie
Laisse pleuvoir mille feux éclatants.
Je sens glisser dans l’air la brise matinale ;
De ma poitrine ardente un souffle pur s’exhale.
J’entends autour de moi le réveil des oiseaux,
Le long bruissement des plantes et des eaux….
Oh ! qu'il est doux de vivre au fond des solitudes,
Loin de la lutte humaine et loin des multitudes !
ORCHESTRE SEUL
(Des fragments de la Ronde des paysans et de la fanfare de la
Marchz hongroise se distinguent au travers de la trame instrumentale, Lointaines rumeurs agrestes et guerrières, qui commen-
cent à troubier le calme de la scène pastorale.)
Scène II
Les bergers laissent leurs troupeux ;
Pour la fête ils se rendent beaux ;
Fleurs des champs et rubans sont leur parure ;
Sous les tilleuls, les voilà tous,
Dansant, sautant comme des fous.
Ha ! ha ! ha ! ha !
Landerida !
Suivez donc la mesure !
Quels sont ces cris, ces chants ? quel est ce bruit lointain ?
…
…
Ce sont des villageois, au lever du matin,
Qui dansent en chantant sur la verte pelouse.
De leurs plaisirs ma misère est jalouse.
Ils passent tous comme l'éclair,
Et les robes volaient en l'air ;
Mais bientôt on fut moins agile :
Le rouge leur montait au front,
Et l'un sur l'autre dans le rond,
Ha ! ha ! ha ! ha !
Landerida !
Tous tombaient à la file.
Ne me touchez donc pas ainsi !
— Paix ! ma femme n'est point ici !
Profitons de la circonstance !
Dehors il l'emmena soudain,
Et tout pourtant allait son train,
Ha ! ha ! ha ! ha ! landerida !
La musique et la danse.
Scène III
Mais d’un éclat guerrier les campagnes se parent.
Ah ! les fils du Danube aux combats se préparent !
Avec quel air fier et joyeux
Ils portent leur armure ! et quel feu dans leurs yeux !
Tout cœur frémit à leur chant de victoire ;
Le mien seul reste froid, insensible à la gloire.
ORCHESTRE SEUL
Deuxième Partie
Scène IV
(Nord de l’Allemagne.)
Sans regrets j’ai quitté les riantes campagnes
Où m’a suivi l’ennui ;
Sans plaisirs je revois nos altières montagnes ;
Dans ma vielle cité je reviens avec lui.
Oh ! je souffre ! et la nuit sans étoiles,
Qui vient d’étendre au loin son silence et ses voiles,
Ajoute encore à mes sombres douleurs.
O terre ! pour moi seul tu n’as donc pas de fleurs !
Par le monde, où trouver ce qui manque à ma vie ?
Je cherchais envain, tout fuit mon âpre envie !
Allons, il faut finir !… Mais je tremble… Pourquoi
Trembler devant l’abîme entr’ouvert devant moi ?
O coupe trop longtemps à mes désirs ravie,
Viens, viens, noble cristal, verse le poison
Qui doit illuminer
Ou tuer ma raison.
hymne de la fête de pâques.
Christ vient de ressuciter !
Quittant du tombeau
Le séjour funeste,
Au parvis céleste
Il monte plus beau.
Vers le gloires immortelles
Tandis qu’il s’élance à grands pas.
Ses disciples fidèles
Languissent ici-bas.
Hélas ! c’est ici qu’il nous laisse
Sous les traits brûlants du malheur.
O divin maître ! ton bonheur
Est cause de notre tristesse
Mais croyons en sa parole éternelle,
Nous le suivrons un jour
Au céleste séjour
Où sa voix nous appelle.
Hosanna !
Hosanna !
Qu’entends-je ?…O souvenirs !… O mon âme tremblante !
Sur l’aile de ces chants vas-tu voler aux cieux !
La foi chancelante
Revient, me ramenant la paix des jours pieux,
Mon heureuse enfance,
La douceur de prier,
La pure jouissante
D’errer et de rêver
Par les vertes prairies,
Aux clartés infinies
D’un soleil de printemps !
O baiser de l’amour céleste
Qui remplissais mon cœur de doux présentiments
Et chassais tout désir funeste !
Hélas ! doux chants du ciel, pourquoi dans sa poussière
Réveiller le maudit ! Hymnes de la prière,
Pourquoi soudain venir ébranler mon dessein ?
Vos suaves accords rafraîchissent mon sein.
Chants plus doux que l’aurore
Retentissez encore,
Mes larmes ont coulé, le ciel m’a reconquis.
Scène V
O pure émotion ! Enfant du saint parvis !
Je t'admire, docteur ! les pieuses volées
Des ces cloches d'argent
Ont charmé grandement
Tes oreilles troublées !
Qui donc es-tu, toi dont l'ardent regard
Pénètre ainsi que l'éclat d'un poignard,
Et qui, comme la flamme,
Brûle et dévore l'âme ?
Vraiment pour un docteur, la demande est frivole !
Je suis l'esprit de vie, et c'est moi qui console.
Je te donnerai tout, le bonheur, le plaisir,
Tout ce que peut rêver le plus ardent désir !
Eh bien ! pauvre démon, fais-moi voir tes merveilles.
Certes ! j'enchanterai tes yeux et tes oreilles.
Au lieu de t'enfermer, triste comme le ver
Qui ronge tes bouquins, Viens, suis-moi, change d'air.
J'y consens.
Et laisse le fatras de la philiosophie.
ORCHESTRE SEUL
Scène VI
(La cave d’Auerbach à Leipzig.)
A boire encor ! Du vin
Du Rhin
Voici, Faust, un séjour de la folle compagnie.
Ici vins et chansons réjoissent la vie.
Oh ! qu’il fait bon quand le ciel tonne
Rester près d’un bol enflammé,
Et se remplir comme une tonne
Dans un cabaret enfumé !
J’aime le vin et cette eau blonde
Qui fait oublier le chagrin.
Quand ma mère me mit au monde,
J’eus un ivrogne pour parrain.
Oh ! qu’il fait bon, etc., etc.
Qui sait quelque plaisante histoire ?
En riant le vin est meilleur.
A toi, Brander !
Il n'a plus de mémoire !
J'en sais une, et j'en suis l'auteur.
Eh bien donc ! vite !
Puisqu'on m'invite,
Je vais vous chanter de nouveau.
Bravo ! bravo !
Certain rat, dans une cuisine
Établi, comme un vrai frater,
S'y traiter si bien que sa mine
Eût fait envie au gros Luther.
Mais un beau jour le pauvre diable,
Empoisonné, sauta dehors
Aussi triste, aussi misérable
Que s'il eût eu l'amour au corps.
Que s'il eût eu l'amour au corps.
Il courait devant et derrière ;
Il grattait, renifflait, mordait,
Parcourait la maison entière ;
La rage à ses maux ajoutait,
Au point qu’a l’aspect du délire
Qui consumait ses vains efforts,
Les mauvais plaisants pouvaient dire :
Il a, ma foi, l’amour au corps.
Il a, ma foi, l’amour au corps.
Dans le fourneau le pauvre sire
Crut pourtant ses cacher très bien ;
Mais il se trompait, et le pire,
C’est qu’on l’y fut rôtir enfin.
La servante, méchante fille,
De son malheur rit bien alors !
Ah ! disait-elle, comme il grille !
Il a vraiment l’amour au corps.
Il a vraiment l’amour au corps.
Requiescat in pace. Amen.
Pour l’Amen une fugue ! une fugue, un choral ! Improvisons un morceau magistral !
Écoute bien ceci ! nous allons voir, Docteur,
La bestialité dans toute sa candeur.
Amen. A…men. A…men. Amen
Vrai dieu ! messieurs, votre fugue est fort belle,
Et telle
Qu’à l’entendre on se croit aux saints lieux.
Souffrez qu’on vous le dise :
Le style en est savant, vraiment religieux ;
On ne saurait exprimer mieux
Les sentiments pieux
Qu’en terminant ses prières l’Église
En un seul mot résume. Maintenant,
Puis-je à mon tour riposter par un chant
Sur un sujet non moins touchant
Que le vôtre ?
Ah ça ! mais se moque-t-il de nous ?
Quel est cet homme ?
Oh ! qu’il est pâle et comme
Son poil est roux.
N’importe ! Volontiers ! Autre chanson ! A vous !
Une puce gentille
Chez un prince logeait.
Comme sa propre fille,
Le brave homme l’aimait,
Et, l’histoire assure,
Par son tailleur un jour
Lui fit prendre mesure
Pour un habit de cour.
L’insecte, plein de joie
Dès qu’il se vit paré
D’or, de velours, de soie,
Et de crois décoré.
Fit venir de province
Ses frères et ses sœurs
Qui, par ordre du prince,
Devinrent grands seigneurs.
Mais ce qui fut bien pire,
C’est que les gens de cour,
Sans en oser rien dire,
Se grattaient tout le jour.
Cruelle politique !
Ah ! plaignons leur destin,
Et, dès qu’une nous pique,
Écrasons-la soudain !
Ah ! ah ! Bravo !
Bravissimo !
Écrasons-la soudain !
Assez ! fuyons ces lieux, où la parole est vile,
La joie ignoble et le geste brutal !
N’as-tu d’autres plaisirs, un séjour plus tranquille
A me donner, toi, mon guide infernal ?
Ah ! ceci te déplaît ? suis-moi !
Scène VII
Voici des roses,
De cette nuit écloses.
Sur ce lit embaumé,
O mon Faust bien-aimée,
Repose !
Dans un voluptueux sommeil
Où glissera sur toi plus d’un baiser vermeil,
Où des fleurs pour ta couche ouvriront leurs corolles,
Ton oreille entendra de divines paroles.
Écoute ! écoute Les esprits de la terre et de l’air
Commencent pour ton rêve un suave concert.
Dors, heureux Faust, dors ! Bientôtsous un voile
D’or et d’azur, Tes yeux vont se fermer,
Songes d’amour vont enfin te charmer.
Au front des cieux va briller ton étoile.
De sites ravissants
La campagne se couvre,
Et notre œil y découvre
Des fleurs, des bois, des champs,
Et d’épaisses feuillées,
Où de tendres amants
Promènent leurs pensées.
Mais plus loin sont couverts
Les longs rameaux des treilles
De bourgeons, pampres verts,
Et de grappes vermeilles.
Vois ces jeunes amants,
Le long de la vallée,
Voici ces jeunes amants
Oublier les instants
Sous la fraîche feuillée.
Une beauté les suit
Ingénue et pensive ;
A sa paupière luit
Une larme furtive.
Faust, elle t’aimera.
Bientôt
Margarita !
A l'entour des montagnes ;
Le lac étend ses flots
Dans les vertes campagnes
Il serpente en ruisseaux.
La rive retentit.
D'autres chœurs là sans cesse
La danse nous ravit.
Les uns gaiement s'avancent
Autour des côteaux verts !
De plus hardis s'élancent
Au sein des flots amers.
Partout l'oiseau timide,
Cherchant l'ombre et le frais,
S'enfuit d'un vol rapide
Au milieu des marais.
Tous, pour goûter la vie,
Cherchant dans les cieux
Une étoile chérieQui s'alluma pour eux.
Dors, dors !
Margarita !
C’est elle
Qu’amour te destina. Regarde ! qu’ellipsoïdales est belle !
Le charme opère, il est à nous !
C’est bien, jeunes Esprits, je suis content de vous.
…
Bercez, bercez son sommeil enchanté.
(Les esprits de l’air se balancent quelque temps en silence autour de Faust endormi et disparaissent peu à peu.)
Quelle céleste image ! Oh ! Qu’ai-je vu ! Quel ange
Au front mortel !
Où le trouver ? Vers quel autel
Traîner à ses pieds ma louange !…
Eh bien ! il faut me suivre encor
Jusqu’à cette alcôve embaumée
Où repose ta bien-aimée.
A toi seul ce divin trésor !
Des étudiants voici la joyeuse cohorte
Qui va passer devant sa porte ;
Parmi ces jeunes fous, au bruit de leurs chansons,
Vers ta beauté nous parviendrons.
Mais contiens les transports et suis bien mes leçons.
Scène III
marchant vers la ville.
Villes entourées
De murs et remparts,
Fillettes parées,
Aux malins regards,
Victoire certaine
Près de vous m'attend ;
Si grande est la peine,
Le prix est plus grand.
Au son des trompettes,
Les braves soldats
S'élancent aux fêtes
Ou bien aux combats ;
Fillettes et villes
Font les difficiles ;
Bientôt tout se rend.
Si grande est la peine, le prix le plus grand.
[2]Jam nox stella velamina pandit ; nunc, nunc bibenet amandum est ! Vita brevis fugaxque voluptas. Gaudeamus igitur, gaudeamus !
Nobis subridente lunâ, per urbem quaerentes puellas eamus ! ut cras, fortunati Caesares, dicamus : veni, vidi, vici ! Gaudeamus igitur !
Villes entourées, etc
Jam nox stellata, etc
TROISIÈME PARTIE
Scène IX
(Des tambours et des trompettes sonnant au loin la retraite. )
Merci, doux crépuscule ! Oh ! sois le bienvenu !
Éclaire enfin ces lieux, sanctuaire inconnu,
Où je sens à mon front glisser comme un beau rêve,
Comme le frais baiser d'un matin qui se lève.
C'est de l'amour, j'espère. Oh ! comme on sent ici
S'envoler le souci !
Que j'aime ce silence, et comme je respire
Un air pur !...O Seigneur !
Après ce long Martyre
Que de bonheur !
O jeune fille !O ma charmante !
O ma trop idéale amante !
Quel sentiment j'éprouve en ce moment fatal !
Que j'aime à contempler ton chevet virginal !
Quel air pur je respire !
Seigneur ! Seigneur !
Après ce long martyre,
Que de bonheur !
Scène X
La voici, Je l'entends ! Sous ces rideaux de soie
Cache-toi.
Dieu ! mon cœur se brise dans la joie !
Profite des instants. Adieu, modère-toi,
Ou tu la perds.
Bien. Mes follets et moi
Nous allons vous chanter un bel épithalame.
Oh ! calme-toi, mon âme.
Scène XI
Que l’air est étouffant !
J’ai peur comme une enfant.
C’est mon rêve d’hier qui m’a toute troublée…
En songe je l’ai vu… lui… mon futur amant.
Qu’il était beau ! Dieu ! j’étais tant aimée !
Et combien je l’aimais !
Nous verrons-nous jamais
Dans cette vie ?…
Folie !
Autrefois un roi de Thulé,
Qui jusqu’au tombeau fut fidèle,
Reçut, à la mort de sa belle,
Une coupe d’or ciselé.
Comme elle ne le quittait guère,
Dans les festins les plus joyeux,
Toujours une larme légère
A sa vue humectait ses yeux.
Ce prince, à la fin de sa vie,
Lègue ses villes et son or,
Excepté la coupe chérie
Qu'à la main il conserve encor.
Il fait, à sa table royale,
Asseoir ses barons et ses pairs,
Au milieu de l'antique salle
D'un château que baignaient les mers.
Le buveur se lève et s'avance
Auprès d'un vieux balcon doré ;
Il boit, et soudain sa main lance
Dans les flots le vase sacré.
Le vase tombe : l'eau bouillonne,
Puis se calme aussitôt après.
Le vieillard pâlit et frissonne :
Il ne boira plus désormais.
…
Autrefois un roi… de Thulé…
Jusqu’au tombeau… fut fidèle…
Scène XII
Esprits des flammes inconstantes,
Accourez ! j’ai besoin de vous.
ORCHESTRE SEUL
Follets capricieux, vos lueurs malfaisantes
Vont charmer une enfant et l’amener à nous.
ORCHESTRE SEUL
Au nom du Diable, en danse !
Et vous, marquez bien la cadence,
Ménétriers d’enfer, ou je vous éteins tous.
Maintenant,
Chantons à cette belle une chanson morale,
Pour la perdre plus sûrement.
Devant la maison
De celui qui t’adore,
Petite Louison,
Que fais-tu dès l’aurore ?
Au signal du plaisir,
Dans la chambre du drille,
Tu peux bien entrer fille,
Mais non fille en sortir.
Il te tend les bras :
Près de lui tu cours vite.
Bonne nuit, hélas !
bonne nuit, ma petite.
Près du moment fatal
Fais grande résistance,
S’il ne t’offre d’avance
Un anneau conjugal.
Il te tend les bras, etc.
Chut ! disparaissez !… silence !…
Allons voir roucouler nos tourtereaux.
Scène XIII
Grand Dieu !
Que vois-je !… est-ce bien lui ? dois-je croire mes yeux ?…
Ange adoré dont la céleste image
Avant de te connaître illuminait mon cœur,
Enfin je t’aperçois, et du jaloux nuage
Qui te cachait encor mon amour est vainqueur.
Marguerite, je t’aime !
Tu sais mon nom ? Moi-même
J’ai souvent dit le tien :
Faust !…
Ce nom est le mien ;
Un autre le sera, s’il te plaît davantage.
En songe, je t’ai vu tel que je te revois.
En songe !… tu m’as vu ?
Je reconnais ta voix,
Tes traits, ton doux langage…
Et tu m’aimais ?
Je… t’attendais.
Marguerite adorée !
Ma tendresse inspirée
Était d’avance à toi.
Marguerite est à moi.
Mon bien-aimé, ta noble et douce image,
Avant de te connaître, illuminait mon cœur !
Enfin je t’aperçois, et du jaloux nuage
Qui te cachait encor ton/mon amour est vainqueur.
Ange adoré, etc.
Marguerite, ô tendresse !
Cède à l’ardente ivresse
Qui vers toi m’a conduit.
Je ne sais quelle ivresse
Brûlante enchanteresse
Dans ses bras me conduit.
Quelle langueur s’empare de mon être !
Au vrai bonheur dans mes bras tu vas naître,
Viens…
Dans mes yeux des pleurs…
Tout s’efface…Je meurs…
Scène XIV
Allons, il est trop tard !
Quel est cet homme ?
Un sot.
Un ami.
Son regard
Me déchire le cœur.
Sans doute je dérange…
Qui t’a permis d’entrer ?
Il faut sauver cet ange !
Déjà tous les voisins, éveillés par nos chants,
Accourent, désignant la maison aux passants ;
En raillant Marguerite, ils appellent sa mère.
La vieille va venir…
Que faire ?
Il faut partir !
Damnation !
Vous vous verrez demain ; la consolation
Est bien près de la peine.
Oui, demain, bien-aimé. Dans la chambre prochaine
Déjà j’entends du bruit.
Adieu donc, belle nuit
A peine commencée ! Adieu, festin d’amour
Que j’étais promis !
Partons, voilà le jour !
Te reverrai-je encor, heure trop fugitive,
Où mon âme au bonheur allait enfin s’ouvrir !
La foule arrive :
Hâtons-nous de partir !
Holà ! mère Oppenheim, vois ce que fait ta fille !
L’avis n’est pas hors de saison ;
Un galant est dans ta maison,
Et tu verras dans peu s’accoître ta famille.
Ciel ! entends-tu ces cris ? Devant Dieu, je suis morte
Si l’on te trouve ici !
Viens, on frappe à la porte !
O fureur !
O sottise !
Adieu, par le jardin
Vous pouvez échapper.
O mon ange ! à demain !
A demain ! à demain !
Je connais donc enfin le prix de la vie,
Le bonheur m’apparaît, il m’appelle et je vais le saisir.
L’amour s’est emparé de mon âme ravie,
Il comblera bientôt mon dévorant désir.
O mon Faust bien aimé, Je te donne ma vie.
Pourrai-je te charmer au gré de mon désir
L’amour s’est emparé de mon âme ravie,
Il m’entraîne vers toi : te perdre, c’est mourir.
Je puis donc à mon gré te traîner dans la vie,
Fier esprit ! sans combler ton dévorant désir,
L’amour en t’enivrant doublera ta folie.
Et le moment approche où je vais te saisir.
Je connais donc enfin, etc.
O mon Faust bien aimé, etc.
Je puis donc à mon gré, etc.
Holà ! etc., etc.
QUATRIÈME PARTIE
Scène XV.
D’amour l’ardente flamme
Consume mes beaux jours.
Ah ! Ja paix de mon âme
A donc fui pour toujours !
Son départ, son absence,
Sont pour moi le cercueil,
Et loin de sa présence
Tout me paraît en deuil.
Alors ma pauvre tête
Se dérange bientôt ;
Mon faible cœur s’arrête,
Puis se glace aussitôt.
Sa marche que j’admire,
Son port si gracieux,
Sa bouche au doux sourire,
Le charme de ses yeux,
Sa voix enchanteresse
Dont il sait m’embraser,
De sa main la caresse,
Hélas ! et son baiser,
D’une amoureuse flamme
Consument mes beaux jours.
Ah ! la paix de mon âme
À donc fui pour toujours !
Je suis à ma fenêtre
Ou dehors tout le jour :
C’est pour le voir paraître
Ou hâter son retour.
Mon cœur bat et se presse
Dès qu’ille sent venir ;
Au gré de ma tendresse
Puis-je le retenir !
O caresses de flamme !
Que je voudrais un jour
Voir s’exhaler mon âme
Dans ses baisers d’amour !
Villes entourées
De murs et remparts,
Fillettes parées,
Aux malins regards,
Victoire certaine
Près de vous m’attend !
Si grande est la peine,
Le prix est plus grand.
Bientôt la ville entière au repos va se rendre ;
Clairons, tambours du soir déjà se font entendre.
Avec des chants joyeux,
Comme au soir où l’amour offrit Faust à mes veux.
Jam nox stellata velumina pandit.
Per urbem quærentes puellas camus.
Il ne vient pas !
Hélas !
Scène XVI.
Nature immense, impénétrable et fière,
Toi seule donnes trêve à mon ennui sans fin ;
Sur ton sein tout-puissant jesens moins mamisère ;
Je retrouve ma force, et je crois vivre enfin.
Oui, soufflez, ouragans ! criez, forêts profondes !
Croulez, rochers ! Torrents, précipitez vos ondes |
À vos bruits souverains ma voix aime à s’unir.
Forêts, rochers, torrents, je vous adore ! Mondes
Qui scintillez, vers vous s’élance le désir
D’un cœur trop vaste et d’une âme altérée
D’un bonheur qui la fuit.
Scène XVII.
A la voûte azurée
Apercois-tu, dis-moi, l’astre d’amour constant ?
Son influence, ami, serait fort nécessaire :
Uar tu rêves ici, quand cette pauvre enfant,
Marguerite.
Tais-toi !
Sans doute il faut me taire
Tu n’aimes plus ! Pourtant en un cachot trainée,
Et pour un parricide à la mort condamnée…
Quoi !
J’entends des chasseurs qui parcourent les bois.
Achève, qu’as-tu dit ? Marguerite en prison ?…
Certaine liqueur brune, un innocent poison,
Qu’elle tenait de toi, pour endormir sa mere
Pendant vos nocturnes amours,
A causé tout le mal. Caressant sa chimère,
T’attendant chaque soir, elle en usait toujours.
Elle en a tant usé, que la vieille en est morte.
Tu comprends maintenant ?
Feux et tonnerre !
En sorte
Que son amour pour toi la conduit.
Sauve-la,
Sauve-la, misérable !
Ah ! je suis le coupable !
On vous reconnaît là,
Ridicules humains ! N’importe !
Je suis le maître encor de t’ouvrir cette porte ;
Mais qu’as-tu fait pour moi
Depuis que je te sers ?
Qu’exiges-tu ?
De toi ?
Rien qu’une signature
Sur ce vieux parchemin.
Je sauve Marguerite à l’instant, si tu jures
Et signes ton serment de me servir demain.
Eh ! que me fait demain, quand je souffre à cette heure ?
Donne. (Il signe.) Voilà mon nom. Vers sa sombre demeure
Volons donc maintenant. O douleur insensée !
Marguerite, j’accours
!
À moi, Vortex ! Giaour !
Sur ces deux noirs chevaux, prompts comme la pensée,
Montons et au galop… La justice est pressée.
Scène XVIII.
Dans mon cœur retentit sa voix désespérée.
…
…
O pauvre abandonnée!
Sancta Maria, ora pro nobis,
Sancta Magdalena, ora pro nobis.
Prends garde à ces enfants, à ces femmes priant
Au pied de cette croix.
Eh qu'importe! en avant!
Sancta Margarita, ora pro… — Ah ! ! !
…
…
Dieux ! un monstre hideux en hurlant nous poursuit :
Tu rêves !
Quel essaim de grands oiseaux de nuit !
Quels cris affreux ! ils me frappent de l’aile…
Le glas des trépassés sonne déjà pour elle.
As-tu peur ? Retournons.
Non, je l’entends. Courons !
ORCHESTRE SEUL
Hop ! hop ! hop !
Regarde, autour de nous, cette ligne infinie
De squelettes dansant.
Avec quel rire horrible ils nous saluent !
Enfant
Hop ! hop !… pense à sauver sa vie,
Hop ! et ris-toi des morts.
ORCHESTRE SEUL.
Nos chevaux frémissent,
Leurs crins se hérissent,
ls brisent leur mors !
Je vois onduler
Devant nous la terre ;
J’entends le tonnerre
Sous nos pieds rouler !
Il pleut du sang ! ! !
Cohortes infernales !
Sonnez vos trompes triomphales !
Il est à nous !
Horreur !
Je suis vainqueur !
Scène XIX et dernière.
[3] Has ! Irimiru Karabrao !
De cette âme si fière,
A jamais es-tu maître et vainqueur, Méphisto ?
J’en suis maître à jamais.
Faust a donc librement
Signé l’acte fatal qui le hivre à la flamme ?
H signa librement.
Tradioun marexil Trudinxé burrudixe.
Fory my dinkorlits Hor meak omévixe !
Uraraiké !
Muraraikié !
Diff ! Diff ! merondor mit aysko !
Has ! Has ! Satan, Belphégor, Méphisto,
Has ! Has ! Krôix, Astaroth, Belzébuth
Sut rayk irkimour.
ÉPILOGUE
Alors l’enfer se tut.
L’affreux bouillonnement de ses grands lacs de flammes,
Les grincements de dents de ses tourmenteurs d’âmes,
Se firent seuls entendre ; et. dans ses profondeurs,
Un mystère d’horreur s’accomplit.
O terreurs !…
Laus !.… Hosanna !
Elle à beaucoup aimé, Seisneur !…
Margarita ! ! !
Remonte au ciel, âme naïve
Que l’amour égara ;
Viens revêtir ta beauté primitive
Qu'une erreur altéra.
Viens, les vierges divines,
Tes sœurs les Séraphines,
Sauront tarir les pleurs
Que t'arrachent encor les terrestres douleurs.
L'Éternel te pardonne, et sa vaste clémence
Un jour sur Faust aussi peut-être s'étendra.
Conserve l'espérance
Et souris au bonheur. Viens, viens, Margarita !
- ↑ Le thème de cette marche, que M. Berlioz a instrumenté et développé, est célèbre en Hongrie sous le non de Rakoczy ; il est très ancien, d’un auteur inconnu ; c’est le chant de guerre des Hongrois.
- ↑ Déjà la nuit étend ses voiles étoilés ; c’est l’heure de boire et d’aimer. La vie est courte et le plaisir fugitif ! réjouissons-nous ! pendant que la lune nous sourit, allons par la ville cherchant les jeunes filles, pour que demain, heureux Césars, nous disions : Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu ! Réjouissons-nous donc, réjouissons-nous !
- ↑ Cette langue est celle que Swedenborg appelait la langue infernale, et qu’il croyait en usage parmi les démons et les damnés.