Librairie Théâtrale (p. 139-276).
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ACTE II


Le château du Grêlé, en Touraine.

Un grand salon au rez-de-chaussée, donnant de plain-pied par trois grandes baies cintrées sur la terrasse dominant le parc. Aux baies, seules les impostes vitrées, les battants de portes ayant été enlevés pour la circonstance. À droite de la scène, premier et deuxième plan, deux grandes portes pleines. Entre les portes, une cheminée assez haute surmontée d’un portrait d’ancêtre enchâssé dans la boiserie. À gauche, une porte entre premier et deuxième plan. En scène, à gauche, un peu au-dessous de la porte, un piano quart de queue placé le clavier tourné à gauche, perpendiculairement au public. Entre le cintre et la queue du piano, trois chaises volantes, deux autres au-dessus du piano. Devant le clavier, une chaise et un tabouret de piano, ce dernier au lointain par rapport à la chaise. À droite de la scène, une bergère, le siège tourné à gauche, face au piano ; lui faisant vis-à-vis, une chaise volante ; au-dessus, une autre chaise, face au public. Ces trois sièges sont groupés ensemble, le tout placé à 1 m. 50 environ de la porte de droite, premier plan. Au-dessus de la porte, une autre chaise volante. Partant obliquement de la cheminée jusqu’au chambranle gauche de la baie de droite, un buffet servi, avec services d’argenterie. Au fond, consoles dorées de chaque côté de la baie du milieu. Lustre et girandoles actionnés par un bouton placé au-dessus et à gauche de la console de gauche. Tout est allumé dès le début de l’acte. Sur la terrasse, trois ou quatre chaises volantes. Suspendues en l’air, des guirlandes de fleurs avec lampes électriques. Rayon de lune sur l’extérieur pendant tout l’acte. Sur le piano, le képi du général.





Scène première

LE GÉNÉRAL, LA MÔME, PETYPON, CLÉMENTINE, L’ABBÉ, MADAME PONANT, LA DUCHESSE, LA BARONNE, MADAME HAUTIGNOL, MADAME VIRETTE, MADAME CLAUX, GUÉRISSAC, CHAMEROT, ÉMILE, Officiers, Invités, Valets de pied, Les Enfants.
Au lever du rideau, les personnages sont placés ainsi qu’il suit : le long du piano, du clavier à la partie cintrée, mesdames Claux (1), Hautignol (2), la Baronne (3). Devant la queue du piano, perpendiculairement à la rampe, la Môme (1), le Général (2), Clémentine (3), Petypon (4), Au-dessus du piano, Chamerot (1), Guérissac (2). Devant le général, entre lui et les enfants qui occupent le centre de la scène, le curé. À droite des enfants, mesdames Ponant et Virette, puis la Duchesse ; au-dessus, des invités. Au coin du buffet, Émile ; derrière le buffet, un valet ; au fond, sur la terrasse, contre la balustrade et face à chaque baie, trois domestiques en livrée. Les enfants, quand le rideau se lève, sont en train de chanter la cantate composée en l’honneur du général et de ses deux nièces. Ils sont en groupe, se détachant en tête le petit soliste, tous tournés face au général ; le curé dirige en leur battant la mesure.
Premier Enfant[1].
…Et le pays gardera la mémoire
Le Chœur.
…Et le pays gardera la mémoire
L’Enfant.
De l’heure de félicité
Le Chœur.
…licité
Premier Enfant.
Qui réuni-it ici, dans l’antique manoi… re
Le Chœur.
Dans l’antique manoi… re
L’Enfant.
Les lauriers de la gloi… re


Le curé, sans cesser de battre la mesure, s’incline légèrement en se tournant à demi vers le général pour indiquer que c’est à lui que s’adresse le compliment.
Le Chœur.
Les lauriers de la gloi… re
L’Enfant.
Aux grâces de la beauté !
Même jeu du curé à la Môme et à Clémentine.
Le Chœur.
Aux grâces de la beauté !
Tout le Monde, murmure flatteur.

Ah ! ah !

Le Chœur.
Amis que l’on s’unisse,
Pour boire, boire, boire, à ces époux parfaits,
Oui, buvons à longs traits,
Et que Dieu vous bénisse,


Parlé en frappant du pied :

« Une, deux, trois. »

À vos souhaits !
Tout le monde.

Bravo ! Bravo ! (Puis c’est un murmure confus, au milieu duquel percent des :) « C’est délicieux !… Ah ! charmant !… N’est-ce pas que c’est exquis ?… Quelle délicate surprise ! »


Pendant ce temps, on aperçoit la Môme, Clémentine, Petypon, le Général, qui serrent la main de l’abbé, embrassent les enfants, etc.
Le Général, qui a soulevé le petit soliste pour l’embrasser, après l’avoir déposé à terre, dominant de la voix le brouhaha général.

Allez, mes nièces, des sirops et des gâteaux à ces enfants ! et qu’ils s’en fourrent jusque-là !

Clémentine.

Oui, mon oncle.

La Môme.

Par ici, les gosses !

La Môme et Clémentine emmènent les enfants et, pendant ce qui suit, leur distribuent, aidées des domestiques, des verres de sirop, des sandwichs et des gâteaux, cependant que le invités entourent l’abbé et le félicitent.
La Baronne.

Ah ! Monsieur l’abbé, je vous fais mes compliments.

L’Abbé, flatté.

Ah ! Madame, vraiment… !

La baronne remonte.
Mademoiselle Virette.

Ah ! très bien, monsieur l’abbé.

L’Abbé.

Vraiment ?

Madame Ponant.

Ah ! délicieux !

Madame Claux.

Exquis !

Madame Hautignol.

Divin !

La Baronne, qui est redescendue à droite.

À pleurer !

L’Abbé, modeste et ne sachant à laquelle répondre.

Oui ? Vous trouvez ? oh !

Tout le Monde, tandis que la Môme et Clémentine sortant terrasse fond gauche, emmènent les enfants restaurés.

Ah ! oui ! Ah ! oui !

La Duchesse, passant devant mesdames Ponant et Virette pour aller au curé.

Oui, vraiment, l’abbé, c’est touchant !… et d’une délicatesse !

Tous.

Ah ! oui ! oui !

L’Abbé.

Ah ! Madame la duchesse, vous me comblez !… (Tandis que la duchesse va rejoindre à l’avant-scène droite mesdames Virette et Ponant et converse avec elles.) Ah ! mesdames, messieurs !…

Le Général, qui était au buffet avec les enfants, redescendant à gauche de l’abbé en perçant le groupe pour aller serrer les mains à son hôte.

Ah ! Monsieur l’abbé, merci ! je ne saurais vous dire combien j’ai été touché ! Vraiment, cette manifestation !… tout cela était si imprévu !… aussi vous me permettrez, à mon tour… (Appelant.) Émile !

Émile, qui était au buffet, descendant au milieu de la scène, entre le général et l’Abbé.

Mon général ?

Le Général.

Descendez la chose, vous savez !

Émile a un petit hochement de tête malicieux de l’homme qui est dans la confidence, puis.

Bien, mon général !

Le Général.

Allez !

Émile remonte, parle bas à deux domestiques et sort avec eux par le fond gauche.
L’Abbé, au général qui est redescendu près de lui, au même numéro que précédemment.

Ah ! général, je suis confus !

Le Général.

Mais voulez-vous bien vous taire !… c’est moi, au contraire, l’abbé !… Vrai ! ces paroles, bien qu’en musique, m’ont été au cœur !

L’Abbé.

Ah ! général !

Le Général.

Parole ! je leur trouve un air de bonhomie et de sincérité, qui m’a littéralement ému ! Je me suis dit : « Il n’y a que l’abbé pour avoir écrit ça ! » Quelqu’un me demandait : « Est-ce que ça n’est pas de Musset ?… » Je lui ai répondu : « Non ! C’est de l’abbé ! » Je suis heureux d’être tombé juste !

L’Abbé.

Ah ! général, vraiment, je ne mérite pas !…

Le Général.

Si, si, c’est très bien ! C’est comme cette fin : Et que Dieu vous bénisse, à vos souhaits !… comme pour un rhume de cerveau !

Tous.

Ah ! oui ! oui !

Le Général.

Et puis… et puis comment donc, déjà : Le pays qui gardera la mémoire…

L’Abbé, chantonnant.

De l’heure de félicité !

Le Général, continuant de mémoire.

…licité !

L’Abbé.

Qui réunit ici, dans l’antique manoi… re.

Le Général.

Dans l’antique manoi…

L’Abbé, terminant.

…re.

Le Général.

Comment, « manoi… re » ! Ça prend donc un e, manoire ? Je l’ai toujours écrit sans.

L’Abbé, a un geste plein de bonhomie.

C’est pour la rime ; licence poétique !

Le Général.

Ah ! voilà ! voilà !… C’est que, j’aime autant vous le dire, je ne suis pas poète !… ce qui fait que, quand je prends une licence, moi, elle est prosaïque !

Tout le monde rit et le général plus fort que les autres.
Tous.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

Guérissac, flagorneur.

Ah ! bravo ! mon général… bravo ! charmant !

Chamerot, même jeu.

Mon général a un esprit !

À ce moment, précédés par Émile, paraissent les deux valets de pied apportant un objet d’assez grande dimension dissimulé sous une élégante gaine de taffetas jaune, sur une petite civière, recouverte de fine lingerie, et dont ils soutiennent les brancards, chacun sur une épaule. Les domestiques viennent se placer au milieu de la scène, deuxième plan.
Le Général.

Ah ! voilà l’objet !

Tout le monde se range.
Chamerot.

Messieurs ! aux champs !

Tous les officiers se mettent en ligne et, le pouce aux lèvres, imitent le clairon.

Ta… tatata, tataire,
Tatata, tatata,
Tatata, tatatata, etc.

Aussitôt la dernière note de la sonnerie, le général, qui est à gauche devant les brancardiers, soulève la gaine qui découvre une admirable cloche de bronze doré, toute chargée de ciselures et de hauts reliefs.
Tout le monde, levant les bras d’étonnement.

Une cloche !

Le Général[2], après avoir donné la gaine à tenir à Émile. À l’abbé, sur le ton militaire, scandé et vibrant sur lequel il haranguait ses soldats.

Monsieur l’abbé ! permettez-moi à mon tour de vous témoigner ma reconnaissance en vous offrant cette cloche dont je fais hommage à l’église de votre village ! Elle est peut-être un peu culottée ! mais elle a cet avantage d’être un objet historique. (Un peu sur le ton du camelot.) Rapportée de Saint-Marc de Venise, par les soldats du général Bonaparte, elle fut offerte à mon grand-père qui devint général de l’Empire !

Tous, approuvant.

Ah !

Le Général, même jeu.

Maintenant, si elle n’est pas plus grande, c’est que les soldats avaient précisément choisi la plus petite, attendu !… qu’une cloche est un objet plutôt encombrant à trimbaler en secret et surtout en voyage !… J’ai dit !

Corignon.

Bravo ! Bravo !

Mesdames Claux et Hautignol remontent en causant pour redescendre par la suite auprès de la duchesse.
L’Abbé, au comble de l’émotion.

Ah ! général… mon émotion !… Je ne sais comment vous dire !… Laissez-moi vous embrasser !

Le Général, ouvrant ses bras.

Allez-y l’abbé !… (Arrêtant l’élan de l’abbé.) Ah ! je ne vous dis pas que ça vaudra une jolie femme ! mais pour un ecclésiastique, n’est-ce pas ?… Sur mes joues, l’abbé !

Tous les officiers, pendant l’accolade, claironnant l’air « Au Drapeau ».
Tarata ta taire, etc.


Tout le monde applaudit des mains.

« Bravo ! bravo ! »

Le Général, la cérémonie terminée, remet la gaine sur la cloche ; puis, aux valets de pied, leur indiquant la console de gauche.

C’est bien ! posez la cloche sur cette console et rompez ! (Les valets remontent jusqu’à la console indiquée sur laquelle Émile dépose la cloche surmontée de sa gaine, puis les deux valets se retirent. Pendant que le général surveille la manœuvre, Guérissac et Chamerot sont descendus en causant devant le piano. L’Abbé va s’asseoir sur la chaise face au public, près de la duchesse assise elle-même depuis un instant dans la bergère. Conversation générale, brouhaha de voix, la cloche d’un côté et madame Petypon de l’autre font évidemment l’objet des différents bavardages. À ce moment paraissent, venant de la terrasse, la Môme et Clémentine suivies de Petypon. Le Général, redescendant vers ses officiers.) Ah ! voilà mes nièces !

La Môme n’a pas plus tôt paru qu’aussitôt, attirées comme par un aimant, toutes les dames Virette, Ponant, Hautignol, Claux, la baronne remontent, empressées vers elle. On l’entoure, on la comble d’adulations, de prévenances. On arrive ainsi en groupe devant le buffet. Clémentine, plus effacée, se tient près de sa pseudo cousine. Quant à Petypon, il va et vient autour du groupe avec des allures de chien de berger ou d’« Auguste de cirque », effaré qu’il est à l’appréhension des impairs que la Môme peut commettre et voulant être là pour y parer.

Madame Ponant.

Oh ! divine ! délicieuse, exquise !

Madame Hautignol.

Et un chic !

Madame Claux.

Une élégance !

La Baronne, surenchérissant.

La reine de l’élégance !

La Môme.

Oh ! vous me charriez, baronne, vous me charriez.

La Baronne.

Ah ! charmant !

Madame Virette.

Exquis !

Madame Claux.

« Vous me charriez » ! est-ce assez parisien !

La Môme.

Oh ! mesdames !

Le Général (3), à Guérissac (2) et Chamerot (1).

Hein ! Croyez-vous qu’elle en a un succès, ma nièce, madame Petypon ?

Guérissac (2), à gauche devant le piano.

L’attrait de la Parisienne sur toutes ces provinciales.

La Môme[3], dos au public, avec des tortillements et sautillements de croupe, minaudant au milieu de ces dames qui forment éventail autour d’elle et allant successivement de l’une à l’autre.

Oh ! vraiment, madame, me refuser, oh ! c’est mal ! Et vous, madame ? Quoi, pas même une coupe de champagne ? On n’a pas idée, vraiment ! Vous me contristez ! vrai, vous me contristez !… Et vous, chère baronne, serez-vous aussi impitoyable ? Une petite coupe de champagne ?

La Baronne.

Une larme !

La Môme.

Une larme, à la bonne heure ! (Au maître d’hôtel à la façon des garçons de café.) Une coupe de champagne ! une !

Le Général, qui observe la scène depuis un instant.

Le fait est qu’elle a un je ne sais quoi, ma nièce ! un chien !…

Clémentine, descendant (4), au général (3).

Vous ne désirez pas vous rafraîchir, mon oncle ?

Le Général, l’embrassant.

Merci, mon enfant ! va ! va !

Clémentine.

Oui, mon oncle !

Elle remonte.
Le Général, aux officiers.

Ah ! je voudrais bien que celle-ci ressemblât un peu à mon autre nièce !

Chamerot, tandis que mesdames Hautignol et Ponant, qui se sont détachées du groupe, viennent en causant s’asseoir sur les chaises qui sont devant le piano.

Mais, pourquoi ? Elle est charmante ainsi.

Guérissac.

Charmante !

Le Général (3).

Ben oui ! ben oui ! elle est gentille, c’t'entendu ! mais c’t une oie.

Chamerot.

Oh ! mon général !

Il gagne l’extrême gauche suivi dans ce mouvement par Guérissac et le général, de façon à ne pas masquer les deux femmes.
Le Général.

Aussi lui ai-je donné un avis : puisqu’elle a la chance d’avoir sa cousine, qu’elle lui demande donc carrément de la dégourdir un peu. Vous voyez d’ici la satisfaction de Corignon en trouvant sa petite provinciale de fiancée entièrement transformée.

Les Officiers.

Ah ! quelle heureuse idée !

Madame Hautignol, à Madame Ponant.

Enfin, ma chère amie, regardez plutôt comment est habillée madame Petypon !

Le Général (3), vivement, à mi-voix à ses officiers en leur indiquant de l’œil les deux femmes.

Tenez ! écoutez-les ! écoutez-les !

Madame Ponant (5).

Vous pensez bien que je n’ai regardé qu’elle !

Le Général, à ses officiers tout en passant devant eux pour remonter par la gauche du piano, suivi dans ce mouvement par les deux officiers.

Toujours ma nièce sur le tapis.

Madame Hautignol.

Ça prouve bien ce que je vous disais : qu’on ne portait que des robes princesse[4] cette année.

Madame Ponant, tandis que madame Virette descend jusqu’à elle sans quitter de l’œil la Môme toujours au buffet.

Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise : madame Courtois m’a affirmé qu’on faisait la jupe cloche[5].

Madame Virette, qui a entendu ces derniers propos.

Ah ! madame Courtois ! madame Courtois ! Vous pensez bien que madame Petypon, qui est une Parisienne, doit mieux savoir que madame Courtois !

Le Général s’assied en face de la duchesse, près du curé.
Madame Hautignol (1), se levant ainsi que Madame Ponant.

Oh ! nous finirons toutes par la lâcher, madame Courtois ! Elle ne se donne même pas la peine de se tenir au courant des modes.

Madame Ponant.

Et ce n’est vraiment pas la peine d’avoir sa couturière à Tours !… pour être nippée comme si on se faisait habiller… à Douai !

La Môme, toujours suivie de Petypon à ses trousses, surgissant au milieu du groupe entre mesdames Ponant et Virette.

Vous ne désirez pas vous rafraîchir, mesdames ?

Cette apostrophe produit un effet magnétique. Le groupe s’élargit comme mécaniquement, laissant la Môme au centre, Petypon un peu au-dessus. Et, tout en répondant machinalement à leur interlocutrice, il est visible que les trois dames n’ont qu’une préoccupation : passer l’inspection de la toilette de la Parisienne, car leurs regards se promènent de la jupe au corsage de la Môme, ainsi qu’on fait devant un mannequin chez la couturière.
Madame Hautignol.

Merci beaucoup, madame !

La Môme.

Et vous ?

Madame Ponant.

Oh ! moi, rien ! Merci, merci mille fois !

La Môme.

Et vous, madame ?

Madame Virette.

Vous êtes trop bonne, merci !

La Môme, gaiement.

Oh ! mais alors quoi, mesdames, la sobriété du cham…

Petypon, vivement, intervenant entre la Môme et madame Ponant.

… de l’anachorète !… de l’anachorète !

La Môme, vivement.

J’allais le dire, mesdames ! j’allais le dire !

Petypon, remontant en s’essuyant le front.

Ouf ! Elle me donne chaud !…

La Môme.

Alors, rien ?

Madame Hautignol (1).

Eh bien ! toute réflexion faite, un peu d’orangeade.

La Môme.

Une orangeade, à la bonne heure !… je vais vous chercher ça, madame, je vais vous chercher ça ! (De loin, en remontant, suivie de Petypon.) Une orangeade ! une !

À peine la Môme a-t-elle quitté le groupe que, d’un élan simultané, le cercle se resserre comme par un mouvement de contraction et les trois femmes presque ensemble.
Presque simultanément.
Madame Hautignol[6], très vite et passant (2).

Eh bien ! vous avez vu, ma chère ! la jupe est plate par derrière avec l’ouverture sur le côté !

Madame Ponant, avant que l’autre ait fini sa phrase et aussi vivement.

La manche, ma chère ! la manche ! avez-vous

remarqué comme elle est faite ? l’épaulette, le haut est rapporté !

Madame Virette, de même.

J’ai bien regardé la jupe, elle est de biais, ma chère ! avec le volant en forme comme je le disais.


Madame Claux, surgissant brusquement (3), au milieu des trois femmes.

Grande nouvelle, mes amies !

Toutes.

Quoi donc ?

Madame Claux[7].

J’ai vu son jupon de dessous.

Les trois femmes.

À qui ?

Madame Claux.

Mais à ELLE ! À qui voulez-vous ? à madame Petypon !

Les trois femmes.

Pas possible !

Madame Claux.

Comme je suis là, mes toutes chères ! tout en linon rose, figurez-vous !… et ample ! ample !…

Madame Ponant (1).

Non ?

Madame Hautignol (2).

C’est bien ça ! Notre couturière qui nous fait toujours des jupons très collants !

Madame Ponant (1).

En nous disant que c’est ce qu’on porte à Paris !

Madame Claux (3).

Celui-là on peut en prendre un bout de chaque main et tendre les deux bras, il en flottera encore !… et alors des volants en dessus ! des volants en dessous !… un fouillis de dentelles !… c’est d’un chic !

Les trois femmes.

Non ?

Madame Hautignol, avec une curiosité gourmande.

Oh ! comment avez-vous fait pour savoir ?

Madame Claux, sur un ton mystérieux.

Ah ! voilà !… J’ai été diplomate !

Madame Ponant.

Oh ! je suis sûre que ça doit être d’un ingénieux !

Madame Claux, prenant simultanément madame Hautignol et madame Virette par l’avant-bras et les faisant descendre jusqu’à l’avant-scène. Sur un ton entouré de mystère.

À un moment où il n’y avait personne autour d’elle, je me suis approchée et je lui ai dit : (Avec lyrisme.) « Ah ! madame !… (Sur un ton tout à fait opposé.) je voudrais bien voir votre jupon de dessous ! »

Toutes, avec admiration.

Oh !

Madame Virette.

Quoi ? Comme ça ?

Madame Claux.

Comme ça !… Alors… (Bien détaillé.) le plus gracieusement du monde, de sa main droite elle a pris le bas de sa robe par devant… Comme ça : (Elle fait le geste de pincer le bas de sa jupe au ras du pied droit et, restant dans cette position.) et avec un geste indéfinissable… où la jambe aussi bien que le bras jouait son rôle, elle a rejeté le tout au-dessus de sa tête : hop-là !… (Elle simule le geste d’envoyer une robe imaginaire au-dessus de sa tête à la façon des danseuses de cancan.) Et je n’avais plus devant les yeux qu’une cascade de rose et des froufrous de dentelles, au milieu desquels une jambe, suspendue en l’air, décrivait des arabesques dans l’espace.

Les trois femmes, n’en croyant pas leurs oreilles.

Non, ma chère ?

Madame Claux.

Si, ma chère !…

Les trois femmes, se pâmant.

Oh ! mes chères !

Madame Claux[8].

Eh ! bien, voilà, mes chères !

Madame Ponant.

Oh ! ces Parisiennes, il n’y a vraiment qu’elles pour savoir s’habiller !


Scène II

Les Mêmes, M. et MADAME VIDAUBAN,
puis LE SOUS-PRÉFET en tenue, et MADAME SAUVAREL.
Un Valet de pied, annonçant du fond.

Monsieur et madame Vidauban !

Cette annonce est accueillie par une rumeur flatteuse, comme pour quelqu’un dont la venue est de quelque importance. On entend des chuchotements : « Madame Vidauban !… C’est madame Vidauban !… Voilà madame Vidauban !… etc. »
Le Général, tout en se levant, cherchant ce que ce nom lui rappelle.

Madame Vidauban ?… Attendez donc, madame Vidauban ?…

Madame Virette, venant à son secours.

Eh ! général, notre Parisienne ! la Parisienne du pays !… celle qui donne le ton dans nos salons !

Madame Vidauban entre en coup de vent, l’air dégagé et souriant, suivie de son mari, l’air modeste du « mari de la jolie femme ».
Le Général[9], qui est allé au-devant d’elle.

Ah ! madame, enchanté de vous recevoir chez moi !… ainsi que monsieur Vidauban !

Madame Vidauban.

Mais c’est nous, général, qui nous faisions une véritable fête !… (À son mari.) N’est-ce pas, Roy ?

Vidauban.

Oui, ma bonne amie !

À ce moment, la duchesse se lève et, pendant ce qui suit, sortira sur la terrasse au bras de l’abbé.
Madame Vidauban, descendant vers les quatre femmes rangées en ligne devant le piano, et, leur serrant successivement la main, tout en leur décernant à chacune un mot aimable.

Bonjour, mes chères ! (À madame Hautignol.) Oh ! quelle jolie toilette !… (Avec la décision de l’expert.) C’est un modèle de Paris ! (Sans transition, à madame Ponant.) Eh ! bien mignonne ! je ne vous ai pas vue ce matin, jour du marché ; vous avez donc oublié ?

Madame Ponant.

Non, figurez-vous, je n’ai pas pu !

Madame Vidauban, tandis que mesdames Hautignol et Virette, une fois madame Vidauban passée, décrivent au-dessus du groupe formé par cette dernière, son mari et le général, et en passant l’inspection de la toilette de leur Parisienne, un mouvement arrondi qui les amène à droite de la scène, près du général.

Oh ! toutes ces dames y étaient… (Au général.) J’avais pensé y faire la connaissance de cette charmante madame Petypon, dont tout le pays vante le succès !

Le Général, un peu surpris.

Au… au marché ?

Madame Vidauban.

Oh ! mais ici, c’est le grand chic !… Le marché du vendredi, ce sont nos Acacias, à nous !… On se contente… de ce qu’on a !

Le Général.

J’ignorais !… Il y a si longtemps, n’est-ce pas… ? Mais, tenez, si vous me permettez, je vais vous présenter ma nièce.

Madame Vidauban, prenant le bras que lui offre le général.

Mais nous serons ravis !… N’est-ce pas, Roy ?

Vidauban.

Oh ! oui, ma bonne amie !

Le Général et madame Vidauban remontent vers le buffet, suivis de Vidauban. Mesdames Virette et Hautignol, par un même mouvement arrondi, mais en sens contraire, et toujours les yeux sur madame Vidauban, reviennent vers mesdames Claux et Ponant.
Madame Claux, qui regarde madame Vidauban remonter — Brusquement, aux trois femmes, en descendant avec elles à l’avant-scène.

Vous savez, la Vidauban ! elle meurt d’envie de connaître madame Petypon : mais, au fond, elle doit crever de dépit !…

Les trois femmes[10], pendant qu’au buffet le général fait les présentations.

Pourquoi ?

Madame Claux.

Tiens, vous êtes bonne !… Elle, qui faisait autorité ici pour la mode et le ton, la voilà supplantée par une plus Parisienne qu’elle !

Révérences exagérées avec saut de croupe de la Môme. Salutations immédiatement imitées et rendues par madame Vidauban.
Madame Hautignol.

Oh ! bien, c’est pain bénit, ma chère ! Elle nous la faisait aussi trop à la Parisienne, avec ses « Ah ! ma chère, à Paris, nous ne faisons plus que ça… » et « À Paris, ma chère, voici ce que nous portons !… »

Même jeu de la part de la Môme et de madame Vidauban.
Madame Ponant.

Tout ça parce qu’elle est née à Versailles !… et qu’elle va tous les ans passer huit jours dans la capitale !

Les trois femmes.

Ça, c’est vrai !

Madame Hautignol, indiquant de la tête le jeu des deux femmes qui se trémoussent à qui mieux mieux.

Non, mais regardez-la ! se tortille-t-elle !

Madame Vidauban, à la Môme, avec des minauderies et des sauts de croupe.

Mais non, du tout ! je dis ce que je pense, je dis ce que je pense !

La Môme, même jeu que Madame Vidauban.

Oh ! madame, vraiment, c’est moi, au contraire !… Euh !… (Non suspensif et bien bête.) croyez que ! (Salut.) Croyez que !

Salut.
Petypon, avec les mêmes sauts de croupe que les deux femmes.

C’est vraiment trop d’honneur que vous faites à ma femme !

La Môme.

Oh ! voui ! Oh ! voui !

Elle descend, accompagnée de madame Vidauban, et va s’asseoir fauteuil extrême droite, occupé précédemment par la duchesse.
Madame Vidauban, qui s’assied face à elle, tandis que Petypon s’assied sur la chaise au-dessus d’elle et que Vidauban s’assied sur la chaise qu’il est allé chercher près du buffet pour la placer entre Petypon et la Môme.

Comment, trop d’honneur ! Si vous saviez quelle joie c’est pour moi de rencontrer une vraie Parisienne ! Nous en sommes tellement sevrées dans notre province !

Petypon.

Ah ! Vous êtes sevrée ?…

Madame Vidauban.

Quand je pense que je suis seule ici à porter le drapeau du parisianisme !

Madame Virette, à son clan rangé devant la caisse du piano.

Oh ! non, mais écoutez-la !

La Môme.

Vous êtes Parisienne, madame ?…

Madame Vidauban.

Oh ! Parisienne !…

Madame Claux, entre ses dents, dans la direction de Madame Vidauban.

Mais dis-donc que tu es de Versailles !

Madame Vidauban.

C’est-à-dire que j’ai toujours vécu à Paris.

Madame Claux, à son clan.

Non !… elle ne le dira pas !

Clémentine, qui fait son service de jeune fille de la maison, va avec deux verres pleins à la main au-dessus du piano rejoindre les officiers et leur offre des consommations.
Madame Vidauban.

Il n’y a que depuis mon mariage… Les occupations de mon mari !… (Elle indique Vidauban qui s’incline.) Mais si je suis ici, mon âme est restée à Paris !

Madame Claux.

Oh ! chérie !

Elle s’assied, ainsi que madame Hautignol, sur les chaises 1 et 2 qui sont devant le piano. Mesdames Ponant et Virette restent un moment debout près d’elles, puis peu après se détachent, contournent le piano par l’extrême gauche, pour remonter en causant jusqu’aux officiers et redescendent ensuite retrouver mesdames Hautignol et Claux à la pointe droite du piano.
Petypon.

J’espère au moins que vous allez la rejoindre quelquefois ?

Madame Vidauban.

Oh ! une fois par an, pendant huit jours ! Mais, je me tiens tellement au courant de la vie parisienne que c’est comme si j’y étais !

Émile descend du buffet et, entre Petypon et Vidauban, présente à la Môme, sur un plateau, une orangeade dans laquelle trempent deux pailles.
La Môme, prenant le verre.

Ah ! merci ! (À madame Vidauban, tout en se levant, avec un certain maniérisme.) Je vous demande pardon, chère madame, il faut que j’aille porter ce verre d’orangeade.

Émile remonte au buffet.
Petypon, vivement, se levant en voyant la Môme se lever, et passant, en l’enjambant presque, devant madame Vidauban, avec de petites courbettes.

Oui, on l’attend ! on l’attend !… Je vous demande pardon !

Madame Vidauban.

Je vous en prie !

À ce moment, suivie de l’abbé, la duchesse rentre du fond au bras du général, qui va la conduire au fauteuil extrême droite. Madame Vidauban et son mari se lèvent à son approche, puis, les politesses faites, se rasseyent, Vidauban à la même place, madame Vidauban sur la chaise précédemment occupée par Petypon.
La Môme, qui se dirige vers madame Hautignol, à Petypon, qui lui emboîte le pas.

Oh ! je t’en prie, ne sois pas tout le temps sur mes talons !

Petypon.

C’est plus prudent ! Merci ! « La sobriété du chameau ! » Pour peu que tu en lâches quelques-unes comme ça !

La Môme, (1) qui machinalement suce le chalumeau du verre qu’elle porte.

Oh ! ben quoi ! « chameau », « anachorète », c’est un mot pour un autre ! (Elle tire à nouveau sur le chalumeau.) Et au moins le premier, on le comprend !

Petypon.

Oui, eh bien ! je préfère celui qui se ne comprend pas !

La Môme, a un haussement d’épaules, tire une dernière gorgée sur la paille, puis, plantant là Petypon, à madame Hautignol, très gracieusement.

Voici, chère madame, votre verre d’orangeade !

Madame Hautignol, qui s’est levée, prenant le verre.

Oh ! merci, chère madame.

La Môme.

Oh ! mais, de rien, madame ! de rien ! (Apercevant Clémentine qui est descendue extrême gauche et allant à elle.) Ah ! vous voilà, mignonne !

Elle la prend amicalement par la main et la fait passer devant elle, pour remonter vers le buffet.
Madame Claux, au moment où la Môme, précédée de Clémentine, passe devant elle, l’arrêtant au passage.

Vous savez, la Parisienne, là ! Eh bien ! elle est de Versailles !

La Môme.

Ah ?… (Gaiement et très légèrement entre ses dents.) Je m’en fous !

Elle va rejoindre, avec Clémentine, Petypon toujours à la même place.
Madame Claux, à son clan.

Je ne suis pas fâchée de le lui avoir dit.

Madame Hautignol et madame Claux remontent par la gauche du piano.
Le Général, qui est au milieu de la scène avec Guérissac et Chamerot, aux deux soi-disant cousines en train de remonter.

Eh bien ? ça va-t-il comme vous voulez, mes nièces ?

La Môme, Clémentine, ensemble.

Oh ! oui, mon oncle.

Petypon, se précipitant vers le général et arrivant presque en même temps que la Môme et Clémentine qui, dès lors, s’effacent à droite.

Oh ! oui, mon oncle !

Le Général, à Petypon, en le faisant pirouetter à gauche.

Quoi, « oui, mon oncle » ? c’est pas à toi que je le demande ! Je dis : « Eh bien ! mes nièces » ; tu n’es pas ma nièce ?

Petypon.

Ah ! non !… Non ! Je regrette.

Le Général.

Pas moi ! Merci, une nièce de ton âge !… Tu es déjà assez vieux comme neveu !… (Chamerot et Guérissac, un peu au-dessus de lui.) Je vous demande un peu s’il ne devrait pas être mon cousin ? (On rit. À la Môme et à Clémentine.) Oh ! mais, je vois avec plaisir que vous faites bon ménage, les deux cousines !

Clémentine.

Oh ! oui, mon oncle.

Le Général.

Tant mieux, bon sang ! Tu sais ce que je t’ai dit, Clémentine ! tu as ta cousine, profite-z-en !

Clémentine.

Oh ! oui, mon oncle !…

L’Abbé, qui précédemment était allé s’asseoir en face de la duchesse, se lève et écoute (5) ce qui suit, avec un sourire approbateur.
Le Général.

Mais ne réponds donc pas toujours, (l’imitant.) : « Oh ! oui, mon oncle », comme une serinette ! Tu ne sais donc pas dire autre chose, sacré nom de D…

L’Abbé, sursautant.

Oh !

Clémentine, scandalisée.

Oh ! oh ! mon oncle !

Le Général, sans se déconcerter, indiquant l’abbé tout contrit.

… comme dit monsieur l’abbé !

L’Abbé, scandalisé.

Moi !… Oh ! oh ! général !…

Il remonte en esquissant un imperceptible signe de croix.

Le Général, à la Môme.

Ah ! elle a bien besoin que vous la dégourdissiez un peu !

La Môme.

Oh ! mais, c’est entendu, mon oncle ! Tout à l’heure, nous nous éclipserons un moment et je lui donnerai quelques conseils élémentaires.

Le Général.

Bravo !

Petypon, près du piano.

Eh bien ! ce sera du joli !

En voyant la Môme remonter avec Clémentine, il s’élance pour la retrouver, trouve le général sur son chemin, hésite, tantôt à droite, tantôt à gauche, le général contrariant sans le vouloir chaque fois son mouvement.
Le Général, l’envoyant à droite.

Allons, prends ta droite ! (À Chamerot et Guérissac qui, par l’extrême-gauche, sont descendus jusque devant le piano.) Est-il jaloux, ce bougre-là, il ne la quitte pas d’une semelle !

En se retournant il trouve près de lui le curé occupé à considérer de loin Petypon et la Môme en train de se chamailler devant le buffet.
L’Abbé, au général, indiquant le couple.

C’est beau, général, de voir un ménage aussi uni !

Le Général.

Ah ! oui ! ça c’est beau !

Il remonte. Le curé sans détacher son regard du couple Petypon-Môme, se rapproche insensiblement des deux officiers.
Chamerot, (1), sans faire attention à l’abbé qui, près d’eux, les écoute, à Guérissac (2), tout en regardant du côté de la Môme.

Ce qu’il y a de drôle, c’est que plus je regarde madame Petypon, plus il me semble que je l’ai vue quelque part.

Guérissac.

Oh ! que c’est curieux ! moi aussi !

L’Abbé, (3) jette un coup d’œil du côté de la Môme, puis.

Ah ?… Pas moi !…

Il remonte au fond.
Guérissac.

Oh ! moi si !… Mais où ! Voilà ce que je serais bien en peine de préciser !

Guérissac et Chamerot remontent par l’extrême gauche et vont rejoindre le général au-dessus du piano. La Môme, pendant tout ceci, est près du buffet, très entourée. On entend tout à coup ce monde éclater de rire, tandis que Petypon s’arrache désespérément les cheveux.
Toutes, riant.

Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Petypon, s’arrachant les cheveux.

Oh !

Madame Claux.

Ah ! qu’elle est drôle !

Madame Hautignol.

Qu’elle est amusante !

Madame Pontant.

Elle a une façon de dire les choses !

Toutes.

Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

La Môme, riant de confiance.

Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai dit quelque chose ?… (À Petypon, qui lui a saisi la main droite et l’entraîne à l’avant-scène, tandis que le groupe se disperse.) Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce qui te prend ?

Petypon, l’amène à l’avant-scène.

Non ! non ! tu ne peux donc pas nous priver de tes : « Où c’t’y qui ? », de tes « Qui c’t’y qui ? » et de tes « Eh ! allez donc, c’est pas mon père !… » ? À l’instant, là : « Où c’t’y qu’il est, le valet de pied ? », tu a vu l’effet que ça a fait !…

La Môme, (2)

Ah ! non, c’t' averse !…

Petypon.

Quoi !

La Môme

Zut ! tu me cours !

Petypon[11] (1).

En voilà une réponse ! C’est comme ce matin, à déjeuner ; comme c’est d’une femme du monde de s’écrier : « Ah ! ça, monsieur l’abbé, vous me faites du pied ! »

La Môme.

Tiens, il me raclait avec ses godillots !

Petypon.

Oui, oh ! je t’engage !…

La Môme, mimant ce qu’elle dit avec sa jambe.

Et aïe donc, là ! Aïe donc les pieds ! Aïe donc !

Petypon.

Le pauvre homme, je t’assure qu’il ne s’apercevait guère !…

La Môme.

C’est possible ! mais moi je m’en apercevais !

Petypon.

Je ne savais plus où me fourrer ! heureusement qu’avec ton prestige de simili Parisienne, ce qui eût choqué chez une autre a paru du dernier genre ; on a ri. Mais il ne faudrait pas recommencer.

La Môme (2).

Oh ! non, écoute, ferme ça !

Petypon.

Ferme quoi ?

La Môme, avançant une main en bec de canard sous le nez de Petypon.

Ta bouche !… miniature !

Petypon, esquissant une remontée en poussant un soupir de découragement.

Pfffue !

La Môme, sans transition, apostrophant l’abbé qui descend du buffet tout en humant une orangeade avec une paille.

Eh ! bien, monsieur l’abbé ? nous sirotons ? (Recevant sur les mains, qu’elle a jointes derrière le dos, une tape de Petypon pour l’inciter à la prudence, — se retournant vivement.) Aïe donc, toi !

L’Abbé (3).

Mon Dieu, je le confesse ! Que voulez-vous, madame ? la soutane ne nous préserve pas de toutes les faiblesses humaines !

Petypon (2), sur les charbons.

Oui !… oui !

La Môme (2).

Ah ! monsieur l’abbé, que je vous félicite — je n’ai pu le faire tout à l’heure — pour votre délicieuse composition !… (À mi-voix, à Petypon.) C’est-y ça ?

Petypon fait signe que ça peut aller.
L’Abbé, confus.

Oh ! madame, vraiment !…

La Môme.

Voyez-vous, j’aimerais que vous me la donnassiez.

Petypon, à part.

Ouïe là !

La Môme.

Je veux l’apprendre et la chanter.

L’Abbé (3).

Oh ! madame, c’est trop d’honneur !

Petypon, vivement s’interposant entre la Môme et l’Abbé.

Non, non ! elle ne chante pas ! elle ne chante pas !

La Môme.

Pffo ! Comme on dit : entre le zist et le zest.

L’Abbé, malicieux.

Oh ! si, si ! Je vois ça à votre figure.

La Môme.

Mon Dieu, monsieur l’abbé !… Qui c’t’y qui ne chante pas un peu dans notre monde ?

Petypon, pivotant sur les talons, manque de s’effondrer.

Boum là ! Aïe donc !

Il remonte pour redescendre aussitôt (1).
L’Abbé.

Ah ! charmant ! Vous avez une façon si piquante de dire les choses, vous autres Parisiennes !

La Môme, avec des révérences à sauts de croupe.

Ah ! vous nous flattez, monsieur l’abbé ! Croyez que ! Croyez que !

Petypon, la faisant passer (1) en se substituant à elle et par ses courbettes à reculons, repoussant la Môme vers la gauche de la scène.

Oui ! vous nous flattez, monsieur l’abbé, vous nous flattez !

Le Valet de pied, annonçant du fond.

Monsieur le sous-préfet ! Madame Sauvarel !

Le Général, se détachant du groupe du buffet.

Ah ! (Appelant.) Ma nièce !

La Môme et Petypon, celui-ci se précipitant.

Mon oncle ?

Le Général, à Petypon qui est arrivé premier, en l’envoyant à l’écart, à droite du buffet.

Oh ! naturellement, il faut que tu arrives, toi ! (Accueillant le sous-préfet et sa femme qui arrivent du fond droit et entrent par la baie du milieu.) Chère madame !… Monsieur le sous-préfet !… (Au sous-préfet.) Voulez-vous me permettre… euh ! (Présentant la Môme.) Ma nièce… (À la Môme.)) Monsieur le sous-préfet et madame Sauvarel.

Le Sous-Préfet[12].

Mademoiselle, tous mes vœux !

Le Général.

Ah ! non ! non ! vous vous trompez ! (Indiquant Clémentine.) La fiancée, la voilà !

Le Sous-Préfet, à Clémentine.

Ah ! mademoiselle, derechef !

Le Général, indiquant la Môme.

Celle-ci est la nièce mariée !… au vieux monsieur là !

Petypon.

Charmant !

Le Général.

Mon neveu, le docteur Petypon ! (À la Môme.) Et maintenant, ma chère enfant, voulez-vous conduire au buffet notre aimable sous-préfète ?

La Môme, au général.

Oh ! mais, comment donc ! (À Madame Sauvarel.) Madame, si vous voulez m’accompagner ?

Madame Sauvarel.

Avec plaisir. (À son mari.) Tu permets, Camille ?

Le Sous-Préfet (1), gentiment.

Va donc ! Va donc ! (Il fait mine de descendre, puis se ravisant.) Ah ! seulement !…

Madame Sauvarel, qui déjà esquissait le mouvement d’aller au buffet, s’arrête à la voix de son mari.
Madame Sauvarel.

Quoi ?

Le Sous-Préfet, à mi-voix.

Tu sais, hein ? tu te rappelles ce que je t’ai dit ?

Madame Sauvarel (2).

Non, quoi donc ?

Le Sous-Préfet.

Mais si, voyons ! (Madame Sauvarel fait un geste d’ignorance.) Oh ! (À la Môme.) Vous permettez ?

La Môme.

Je vous en prie.

Le Sous-Préfet, entraînant sa femme à part (milieu scène) et à mi-voix, très posément.

Je t’ai dit de bien observer comment toutes ces dames parlent… agissent… se tiennent… afin de prendre modèle ! Ça peut me servir pour ma carrière !

Madame Sauvarel (2).

Ah ! oui ! (Elle va pour remonter, puis, se ravisant.) Oh !… on sait bien que nous sommes des fonctionnaires de la République.

Le Sous-Préfet.

C’est possible !… Mais ce n’est tout de même pas la peine d’en avoir l’air ! (Haut.) Va, va ! Madame Petypon t’attend.

Le Général vient la prendre par la main et la conduit au buffet, où l’attend la Môme, coin droit du buffet.
La Môme, à Madame Sauvarel.

Chère madame, que puis-je vous offrir ?… de l’orangeade !… une coupe de champagne ?… du café glacé ?… Qué c’t’y que vous voulez prendre ?

Petypon, qui était près de la Môme, dévalant jusqu’au milieu de la scène.

V’lan ! ça y est !

Madame Sauvarel.

Mais, je ne sais vraiment pas !… Qué… qué c’t’y que vous avez de bon ?

Petypon, n’en croyant pas ses oreilles.

Hein !… Ah ?… (Soulagé.) Oh ! alors !…

Il descend à droite ; la Môme s’occupe de son invitée, mesdames Claux, Virette et la baronne vont au buffet. Mesdames Ponant et Hautignol sont à gauche du piano.
Le Général[13], causant (2) près du piano avec le sous-préfet (1). Tous deux sont dos au public.

Oh ! ici, il n’y a rien… Voici pourtant un plafond de Fragonard.

Le Sous-Préfet, la tête en l’air.

Ah ! très joli !… De quelle époque ?

Le Général.

Eh bien ! de l’époque… euh !… de Fragonard !

Le Sous-Préfet.

C’est juste !

Le Général, indiquant avec son index l’étage supérieur.

Ah ! par exemple, là haut, j’ai la salle des Pastels.

Petypon, qui s’est rapproché du général, entendant ces derniers mots.

Oui… au-dessus !

Le Général (2), se retournant.

Non, comment ! te voilà toi ?… Bartholo a quitté Desdémone ?

Petypon.

Comme vous voyez !… (À part, avec ironie.) Bartholo avec Desdémone ! (Haut.) Hein ! Si Don Juan savait ça !…

Le Général, gouailleur.

Ah ! ah ! « Don Juan et Desdémone ! » tu es fort en littérature, toi !

Petypon, s’inclinant ironiquement.

Vous me l’apprendrez.

Le Général.

Je pourrais !… En attendant, tiens, puisque tu n’as rien à faire, montre donc la salle des Pastels à notre sous-préfet.

Petypon, bas au général.

Hein !… C’est que ma femme !…

Le Général.

Eh bien ! quoi, « ta femme ? » on ne la mangera pas, « ta femme !… » Est-il jaloux, ce bougre-là !… (L’envoyant no 2.) Allons, va !

Petypon, qui va donner contre la poitrine du sous-préfet.

Oh ! (Au sous-préfet.) Par ici, monsieur le sous-préfet.

Le Sous-Préfet.

Oh ! monsieur, vraiment, j’abuse…

Petypon, la pensée ailleurs.

Certainement, monsieur ! Certainement ! Si vous voulez me suivre !…

Le Sous-Préfet.

Volontiers !

Petypon.

C’est ça, passez devant !

Le Sous-Préfet, sortant le premier, porte gauche.

Pardon !

Petypon, à part, jetant un dernier regard vers la Môme avant de sortir.

Mon Dieu, faites qu’elle ne quitte pas la sous-préfète !

Ils sortent.

Scène III

Les Mêmes, moins LE SOUS-PRÉFET et PETYPON,
puis LE DUC.
Moment de conversation générale. Les dames qui étaient au buffet redescendent devant le piano pour s’asseoir. Madame Claux va au-dessus du piano causer avec Chamerot, Guérissac a pris une des chaises au-dessus du piano et la descend face à madame Virette, assise près du piano. Il s’assied et bavarde avec les dames. Brusque éclat de rire dans le groupe Duchesse, Vidauban, madame Vidauban.
La Duchesse, riant.

Non, vraiment, le percepteur a répondu ça au capitaine de gendarmerie ?

Madame Vidauban.

Comme je vous le dis, duchesse.

La Duchesse.

Oh ! c’est à envoyer à un journal de Paris.

Madame Vidauban.

Il n’y a vraiment que chez nous qu’on a de l’esprit.

La Duchesse.

C’est positif ! (Appelant.) Guy !

La Môme, qui était au buffet avec des invités, redescendant vivement et très empressée vers la duchesse.

Vous désirez quelque chose, duchesse ?

La Duchesse.

Oh ! rien !… Je voudrais que mon fils m’apporte un verre d’eau.

La Môme, au-dessus de la chaise qui fait face à la duchesse.

Hein ? Mais, pas du tout !… (Appelant en voix de tyrolienne, l’ « É » dans le grave, « mile » dans l’aigu :) Émile !… (À la duchesse.) Mais, comment donc, duchesse !… (Même appel.) Émile ! (S’asseyant en face de la duchesse.) Nos gens sont là pour ça !… (Même appel.) Émile !

Émile, venant du buffet et descendant à gauche de la Môme.

Madame ?

La Môme, sur le ton gouape.

Eh ! ben, mon vieux ! pour quand ?… (Femme du monde.) Un verre d’eau pour madame la duchesse ! (Émile s’incline et remonte. À la duchesse.) Ah ! duchesse, je suis vraiment confuse !… ces larbins sont d’un lent !

La Duchesse, riant sous cape.

Oh ! oh ! oh ! oh !

La Môme.

Qu’est-ce qui vous fait rire ?

La Duchessse.

C’est cette expression de « larbin », dans votre bouche !…

La Môme, le rire à fleur des lèvres.

Quoi ? Vous ne connaissez pas ce mot de larbin ?

La Duchessse.

Je le connais… sans le connaître !

La Môme, pouffant de rire, avec des rejets du corps en arrière, accompagnés de claques sur la cuisse et de lancement de jambe en l’air à chaque phrase.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! Elle ne connaît pas ce mot de « larbin », la duchesse !… (À madame Vidauban, qui considère sa tenue avec une attention un peu étonnée.) Vous entendez, ma chère ?… (Se tapant sur la cuisse.) La duchesse qui ne connaît pas le mot « larbin » !

Même jeu.
Madame Vidauban, se tapant sur la cuisse, à l’instar de la Môme.

Ah ! ah ! ah ! elle est bien bonne, ma chère !… (Même jeu.) Elle est bien bonne !

La Môme, se tapant sur la cuisse.

Mais, « larbin », nous n’employons que ce mot-là !

Madame Vidauban, même jeu.

Mais il n’y en a pas d’autres !… « Larbin », (Même jeu.) nous ne disons que ça aujourd’hui ! (Même jeu.) N’est-ce pas, Roy ?

Toutes deux rient en se tapant la cuisse.
Vidauban[14], se tapant également sur la cuisse.

Oui, ma bonne amie !

La Duchesse, tandis qu’Émile descend du buffet avec un verre d’eau sur son plateau et vient à elle par le milieu de la scène, passant devant la Môme.

Eh bien ! oui, qu’est-ce que vous voulez ? (Considérant avec son face à main Émile qui lui présente son plateau.) Alors… c’est un larbin, ça ? (Prenant le verre d’eau.) C’est drôle !

Émile, vexé, à part, tout en rebroussant chemin avec son plateau.

Eh ! bien, elle est polie !

Il remonte au buffet.
La Duchesse.

Voilà ce que c’est de n’être plus Parisienne ! Mais, qui sait ! je vais peut-être être obligée de le redevenir. Voici mon fils majeur… (Appelant.) Guy !

D’un groupe, dans la baie du milieu, se détache un gros et jeune garçon, bien costaud, bien rablé, qui, dos au public, bavardait avec les autres.
Guy, (smoking), descendant avec empressement.

Maman ?

La Môme, regardant le duc, debout entre elle et madame Vidauban, mais légèrement au-dessus.

Non, c’est vrai ? C’est à vous, ce grand fils ?

Le Duc.

Oui, madame.

La Duchesse.

Mais, oui !

La Môme.

Oh ! le Jésus !

La Duchesse.

Ah ! ça grandit !… Et ce qui m’inquiète c’est l’idée de l’envoyer à Paris !

Le duc lance un clin d’œil malicieux au public et descend à gauche de la Môme, milieu de la scène.
Madame Vidauban.

Mais quel besoin ?…

La Duchesse.

Que voulez-vous ? Il faut qu’il travaille (Moue du duc.) Malheureusement… il ne sait rien !

Nouvelle moue vexée du duc.
La Môme, un œil de côté sur le duc, et entre ses dents.

C’ t’un crétin !

La Duchesse, comme de la chose la plus simple du monde.

Alors, n’est-ce pas ?… il va faire de la littérature.

Madame Vidauban[15].

Ah ! oui.

La Môme, se retournant vers la duchesse.

C’est évident !

La Duchesse, sur un ton détaché.

Tout le monde sait plus ou moins écrire.

La Môme.

Ben, là, voyons, c’te farce !

La Duchesse.

Mais je conviens que, pour cette carrière, il est utile que mon fils vive à Paris !… Et c’est ce qui m’inquiète ! Le voici majeur ! en possession, par conséquent, de la grosse (Appuyer sur « grosse ».) fortune que lui a laissée son père…

La Môme, pivotant immédiatement, face au duc qui, sous le regard de la Môme, baisse les yeux.

Ah ?

La Duchesse.

Il est très faible !… Avec ça… (Rapprochant sa bergère et se penchant pour n’être pas entendue de son fils. — Confidentiellement aux deux femmes qui, curieuses, se sont rapprochées également.)… on devient un petit homme !…

La Môme, les dents serrées, l’œil en coulisse vers le Duc.

C’est que c’est vrai qu’on devient un petit homme !

La Duchesse, à mi-voix.

Nous savons toutes ce que c’est que la chair !…

La Môme, les yeux au ciel.

Oh ! voui !

La Duchesse.

S’il lui arrive de tomber sur une de ces femmes… innommables, comme il en est !…

La Môme, repoussant avec une horreur comique l’affreuse vision.

Ah !… dussèche !…

La Duchesse.

Le pauvre enfant sera mangé !

La Môme.

Ne m’en parlez pas ! Oh !

La Duchesse.

Ah ! quand j’y pense !…

La Môme, se levant.

Oh ! mais que vois-je ? Votre verre est vide ! Permettez-moi de vous débarrasser.

Le duc s’est rapproché, dans le but de débarrasser sa mère du verre en question. Mais la présence de la Môme, devant lui, l’empêche d’aller jusqu’au bout de son intention et il reste ainsi sur place, tout contre la Môme et la main prête à prendre l’objet qu’on lui tendra.
La Duchesse, gracieusement.

Oh ! mais, laissez donc !… (Avec intention, pour montrer qu’elle a profité de la leçon.) Le larbin est là !

La Môme, insistant.

Mais, du tout ! du tout !


De la main gauche, elle prend le verre des mains de la duchesse puis, en se retournant, se trouve nez à nez avec le duc qui, intimidé sous son regard, recule instinctivement. Elle s’arrête un quart de seconde tout contre le duc et les yeux plongés dans les siens. Celui-ci, très gêné, ne sait où poser son regard et détourne légèrement la tête. La Môme lentement le contourne, en passant devant et tout contre lui, retrouvant quand même ses yeux ; puis une fois arrivée à sa droite (c’est-à-dire no 1, par rapport à lui no 2), au moment de remonter et quand elle est dos au public, bien près de lui, de sa main droite, elle saisit la main droite du duc qui pend le long de son corps, lui imprime une forte pression qui force le duc, tout décontenancé, à plonger sur lui-même, et, trébuchant, l’envoie à gauche, tout près du dossier de la chaise. Pendant ce temps, avec un air de ne pas y toucher, la Môme remonte jusqu’au buffet déposer son verre.


La Duchesse, qui n’a pas quitté la Môme des yeux et pourtant n’a vu que du feu à tout ce jeu de scène, aussitôt celui-ci terminé, à Madame Vidauban.

Quelle charmante petite femme !

Madame Vidauban.

Charmante !

À ce moment, la Môme redescend du buffet, et, n’abandonnant pas son idée de derrière la tête, pique droit sur le duc et arrivée tout contre lui, avec un geste aussi dissimulé que possible pour les autres, elle pince de la main droite la lèvre inférieure du jeune homme et la lui agitant convulsivement : « Ouh ! ma crotte ! »
La Duchesse, à Madame Vidauban.

Et distinguée !

Madame Vidauban.

Tout à fait !

La Môme[16], lâchant le duc (qui, absolument abruti et l’air vexé, essaie de remettre en place sa bouche meurtrie par de grandes contorsions des lèvres) et allant, de l’air le plus innocent du monde, s’asseoir en face de la duchesse.

Et voilà, madame la duchesse ! Voilà qui est fait !

La Duchesse.

Oh ! chère petite madame, je suis confuse !

La Môme.

Mais, comment donc !… (L’œil en coulisse sur le duc.) Ah ! il est très gentil, votre fils ! Il me plaît beaucoup !… (Avec un coup d’œil plus insistant, au duc.) Beaucoup !

La Duchesse, ravie.

Oui ?

Le duc, pour qui cette situation devient un supplice, ne sachant que faire, fait un demi-tour plongé sur lui-même et remonte vers la terrasse à grandes enjambées.
La Môme, entre ses dents et en haussant les épaules en voyant filer le duc.

Ballot !

La Duchesse, à la Môme, en réponse à ses compliments.

Ah ! que vous me faites plaisir !


Scène IV

Les Mêmes, PETYPON et LE SOUS-PRÉFET.
Le Sous-Préfet, arrivant à la suite de Petypon, par la porte de gauche.

Tous mes remerciements, cher monsieur !

Petypon, distrait, tout à la préoccupation de retrouver la Môme.

Certainement, monsieur ! certainement. (Bondissant en apercevant la Môme assise sur sa chaise, le corps en avant, les bras sur les genoux et la croupe saillante, causant avec la duchesse.) Nom d’un chien ! La Môme avec la duchesse !

Il court à elle et du revers de la main lui envoie une claque cinglante sur la croupe.
La Môme, se redressant sous la douleur.

Chameau !

La Duchesse, étonnée.

Comment ?

La Môme, très femme du monde.

Non ! je cause avec mon mari !… (Se levant.) Pardon ! Vous permettez ?

La Duchessse.

Je vous en prie !

La Môme, allant retrouver Petypon qui s’est aussitôt écarté milieu de la scène.

Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?

Petypon (1), à mi-voix à la Môme.

Tu es folle de te lancer avec la duchesse !

La Môme (2).

Ah ! non ! Tu vas pas recommencer, hein ?

Petypon, tenace.

Qu’est-ce que tu lui as dit ?… De quoi lui as-tu parlé ?

La Môme.

J’y ai parlé de ce qui m’a plu ! Et puis, si tu n’es pas content, zut ! (Enjambant la chaise du milieu qui est entre elle et Petypon.) Eh ! allez donc, c’est pas mon père !

Elle gagne l’extrême droite.
Petypon, comme s’il avait reçu un coup de pied dans les reins.

Oh !

Tout le monde, stupéfait.

Ah !

Les assis se sont levés, Mesdames Virette, la baronne, Ponant, Hautignol, descendent devant la queue du piano. La duchesse, par la suite, accompagnée de madame Vidauban et de Vidauban, ira rejoindre madame Claux au buffet.
La Môme, ayant subitement conscience de son étourderie et toute confuse.

Oh !

Petypon, désespéré.

V’lan ! Ça devait arriver !

Le Général, qui était au-dessus du piano, descendant par l’extrême gauche jusque devant le piano et d’un ton ravi.

Ah ! ah ! elle est très amusante avec son tic : (L’imitant.) « Eh ! allez donc, c’est pas mon père ! »

En ce disant il remonte par le milieu de la scène et va retrouver la duchesse au buffet.
Petypon, saisissant la balle au bond et tout en passant d’une invitée à l’autre en commençant par la gauche.

Oui !… Oui ! C’est le dernier genre à Paris !… Toutes ces dames du faubourg Saint-Germain font ce petit !…

Il simule le geste.
La Môme, de son coin à droite, corroborant.

Oui !… oui !

Tout le monde, étonné.

Ah ?… Ah ?

Petypon.

C’est une mode qui a été lancée par la princesse de Waterloo et la baronne Sussemann !… Et, comme elles donnent le ton, à Paris, alors !…

La Môme.

Oui ! Oui !

Murmures confus : « Ah ! que c’est drôle !… Ah ! que c’est curieux ! Drôle de mode ! Où va-t-on chercher ces choses-là ! etc. »
Petypon, en appelant, à madame Vidauban qui, du buffet, s’est détachée, suivie de Vidauban, pour se rapprocher du groupe du milieu.

N’est-ce pas, madame Vidauban ?

Madame Vidauban, à gauche de Petypon, avec assurance.

Oui ! oui !

Petypon, enchanté de cet appui inespéré.

Là ! Vous voyez : madame Vidauban, qui est au courant des choses de Paris, vous dit aussi !…

Il redescend extrême droite près de la Môme qui est no 2, par rapport à lui, no 1. Étonnement général.
Madame Hautignol, à Madame Vidauban.

Comment, vous le saviez ?

Madame Vidauban, avec un aplomb imperturbable.

Mais, évidemment, je le savais !

Madame Ponant, même jeu.

C’est drôle ! nous ne vous l’avons jamais vu faire !

Madame Vidauban.

À moi ? Ah ! bien, elle est bonne ! Mais toujours ! Mais tout le temps ! N’est-ce pas, Roy ?

Vidauban, de confiance.

Oui, ma bonne amie !

Madame Vidauban.

Ça c’est fort !… Vous ne me l’avez jamais vu faire ? Ah ! ben… ! (Enjambant la chaise du milieu à l’instar de la Môme.) Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !

Tout le monde, étonné.

Ah !

Petypon.

Ouf !

La Môme, en délire, traversant la scène en applaudissant des mains et en gambadant comme une gosse.

Elle l’a fait !… elle l’a fait !… elle l’a fait !

Petypon, la rattrapant par la queue de sa robe au moment où elle passe devant lui et courant à sa suite.

Allons, voyons !… Allons, voyons !

Arrivée au piano, par un crochet en demi-cercle, toujours en gambadant, la Môme remonte au buffet, avec Petypon, toujours à ses trousses.
Le Sous-Préfet, qui est à l’extrême gauche du piano, à sa femme qui est (2) près de lui (1).

Eh bien ! tu vois, ma chère amie, ce sont ces petites choses-là qu’il faut connaître ! ce sont des riens !… mais c’est à ces riens-là qu’on reconnaît la Parisienne. Étudie, ma chère amie ! étudie !

Il remonte par l’extrême gauche.
Madame Sauvarel.

Oui ! oui !

Immédiatement, elle prend la première chaise qui est devant le piano, l’apporte extrême gauche, presque contre le mur, puis, avec acharnement, s’applique maladroitement à l’enjamber à plusieurs reprises, en répétant chaque fois à voix basse : « Eh ! allez donc, c’est pas mon père ! » Au même moment on entend un son de fanfare, au loin, qui à mesure se rapproche.
Tout le monde, se retournant instinctivement vers le fond.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Le Général, dos au public, à ses invités.

Ah ! je sais !… Ce sont les pompiers de la commune dont on m’a annoncé la visite. Mesdames et messieurs, si vous voulez que nous allions à leur rencontre ? (Tandis que tout le monde remonte, il va prendre le bras de Petypon qui est avec la Môme près du buffet.) Allons, viens, toi !

Petypon, résistant.

Mais, mon oncle, c’est que…

Le Général.

Oui, oui, c’est entendu, « ta femme » ! Eh ben ! tu l’embêtes, ta femme !… Allez, viens ! (Il l’envoie milieu scène, puis se dirige vers le piano pour prendre son képi. À ce moment, son attention est attirée par madame Sauvarel qui répète consciencieusement dans son coin. Il la signale de l’œil à Petypon, puis, brusquement, en applaudissant des mains.) Bravo, madame Sauvarel !

Madame Sauvarel, sursautant et avec un petit cri aigu.

Ah !

Elle se sauve vers le fond, tout effarée. Le général remonte en riant, entraînant Petypon. Tout le monde à ce moment est à peu près sorti. Le duc est le dernier. Il s’efface pour laisser passer le général et le docteur. La Môme, qui est restée seule près du buffet, voyant que le duc sort le dernier, s’élance vers lui d’un pas rapide et sur la pointe des pieds et le fait descendre à vive allure jusque devant le trou du souffleur. La musique peu à peu s’éloigne, mais on ne cesse de l’entendre pendant toute la scène qui suit.

Scène V

LA MÔME, LE DUC, puis PETYPON.
La Môme, d’un geste brusque tourne à elle le duc peu rassuré, puis sans ambages.

Embrasse-moi !

Le Duc (1), ahuri.

Hein ?

La Môme (2).

Mais embrasse-moi donc, imbécile !

Elle est face au public et tend sa joue droite.
Le Duc, absolument annihilé.

Euh !… Oui, madame !

Il jette un regard d’angoisse vers le public puis, se décidant lentement, il tourne la tête pour embrasser la Môme sur la joue : mais, en même temps que lui ; la Môme a fait de la tête le même mouvement en sens contraire, de sorte qu’ils en arrivent à se trouver face à face et, avant que le duc ait eu le temps de s’y reconnaître, il reçoit entre les lèvres comme un coup de lancette, aussitôt sortie, aussitôt rentrée, la langue alerte de la Môme. Le duc a un petit soubresaut de la tête, puis, face au public, médusé, reste l’œil angoissé, avec un petit « mniam, mniam » dégustation de la bouche.
La Môme, le regardant, et après un temps.

Eh ben ?… C’est donc si désagréable ?

Le Duc, timidement, mais sincère.

Oh ! non, madame !

La Môme, brusquement, le tournant face à elle.

J’ai un béguin pour toi, tu sais ?

Le Duc (1), bien stupide.

Ah ?

La Môme, pressante, et sans lâcher la main du duc.

Tu viendras me voir à Paris ?

Le Duc.

Mais… votre mari ?

La Môme, lui prenant les deux mains et gagnant à reculons jusqu’à la chaise face à la bergère.

Il ne sera pas là ; ne t’occupe pas de lui ! Tu viendras ? (Après s’être assise.) C’est très chic chez moi, tu sais !…

Le Duc.

Ah ?

La Môme, d’un mouvement sec, attirant brusquement le duc sur ses genoux. Elle, face au public, lui, dos côté cour.

Ouh ! le petit Ziriguy à sa Momôme ! (Elle lui a passé le bras droit autour des jambes, le bras gauche autour du corps, la main tenant le biceps, et le berce comme une nourrice.) On n’est pas bien comme ça ?

Le Duc, gigotant joyeusement des deux jambes tendues.

Oh ! si !

La Môme.

Mais, embrasse-moi donc, grand nigaud !

Le Duc, tout excité, complètement déniaisé.

Ah !… madame !

Il l’embrasse goulûment dans le cou.
La Môme.

À la bonne heure !

Petypon, arrivant du fond gauche et descendant par la baie du milieu. À la vue du couple enlacé, poussant une exclamation.

Oh !

Instinctivement il remonte sur la terrasse pour s’assurer que, ni de droite ni de gauche, personne n’a pu voir.
Le Duc, sursautant au cri de Petypon et pivotant aussitôt sur les genoux et entre les bras de la Môme qui le tient enlacé.

Sapristi ! Votre mari !… votre mari ! Lâchez-moi !…

La Môme, sans lâcher prise.

C’est rien ! fais pas attention !

Le Duc.

Mais lâchez-moi, voyons !

D’une secousse des reins, il se dégage et gagne l’extrême droite.
Petypon, redescendant (1) vers la Môme qui ne s’est même pas levée, tant cette arrivée intempestive la trouble peu.

Malheureuse ! tu es folle !… Si un autre vous avait vus !

Le Duc, ahuri, à part.

Hein ?

La Môme (2), assise, avec lassitude.

Ah ! non ! dis ? tu vas pas recommencer ?

Petypon.

Enfin, voyons, est-ce que c’est une tenue, ça ?… avec monsieur sur tes genoux !…

La Môme.

Où voulais-tu que je le mette ?

Petypon.

Mais, nulle part ! Que diable ! quand tu seras à Paris, tu feras ce que tu voudras ! Mais, au moins, pendant que tu es ici, je t’en supplie, au nom du ciel, observe-toi !

La Môme hausse les épaules.
Le Duc, à part, dans son coin.

Oh ben ! il n’est pas méchant !

Petypon, voyant qu’il perd son temps avec la Môme, allant vers le duc dont l’inquiétude transparaît aussitôt sur la physionomie. — Une fois arrivé à lui.

Je vous en prie, mon cher duc, soyez raisonnable pour elle !… Je vois que vous êtes au courant ; je peux vous parler à cœur ouvert !… Eh ! je comprends très bien, parbleu : vous êtes jeune ; elle est jolie… Mais, quoi ? à Paris, vous aurez bien le temps ! Songez donc à l’effet que ça ferait si le général ou quelqu’un d’autre…

Le Duc, (3) qui s’est peu à peu rasséréné.

Mais comment, monsieur !… mais je comprend très bien !… (À la Môme qui, l’air maussade, est redescendue.) C’est vrai ; il a raison, madame !

La Môme.

Ah ! laissez donc ! Il est d’un collet monté !…

Petypon.

Ah ! par exemple, ça, si je suis collet monté !… J’en appelle au duc.

Le Duc.

Ah ! ben, non ! ça, écoutez, vraiment, on ne peut pas lui reprocher !…

Petypon.

Là ! je ne suis pas fâché que monsieur le duc te dise…!

La Môme.

Laisse-moi donc tranquille ! Monsieur le duc ne sait pas comme moi…

Petypon, tout en remontant.

Mais si, mais si, monsieur le duc se rend très bien compte… (Arrivé au fond.) Chut, du monde ! (Bondissant.) Nom d’un chien ! Gabrielle ! C’est Gabrielle ! (Sautant sur la Môme, toujours assise, et l’entraînant par le poignet dans la direction de la porte de gauche.) Vite, viens ! viens !

La Môme.

Oh ! mais quoi ? quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?

Petypon.

Ça ne te regarde pas ! Viens ! Viens !

La Môme, entraînée par Petypon, envoyant des baisers au duc.

À tout à l’heure, mon duc !… mon petit duc !

Petypon.

Oui, ça va bien ! ça va bien !

Ils sortent de gauche.
Le Duc, qui a suivi le mouvement et, à leur suite, est arrivé jusqu’à la porte de gauche, s’arrêtant sur le seuil.

Eh ! bien, qu’est-ce qui lui prend ! Ah ! ben !… (Changeant de ton, tout en redescendant extrême-gauche.) J’ai subjugué une femme du monde !… J’fais des béguins ! Ah ! si je pouvais raconter ça à maman ! Elle qui a toujours peur que je tombe sur une femme innommable.

Il remonte vers la porte de gauche et reste ainsi, rêveur, à fixer l’intérieur de la pièce par laquelle est sortie la Môme.

Scène VI

LE DUC, GABRIELLE, ÉMILE.
Gabrielle, costume de voyage, cache-poussière. Elle arrive de droite, un petit sac de voyage en cuir à la main. Elle est précédée d’Émile portant sa valise. Arrivée à la baie du milieu.

Tenez, mon ami ! portez tout ça dans la chambre qui m’est réservée.

Émile.

Dans la chambre ?… Mais laquelle ? On n’attend personne.

Gabrielle.

Comment, laquelle ?… Il n’y a pas une chambre pour madame Petypon ?

Émile.

Ah ! si !

Gabrielle.

Eh ! bien, c’est bien ! faites-y monter mes colis !

Émile.

Ah ?… Bien, madame !

Il passe devant Gabrielle et sort premier plan cour en emportant la valise.
Le Duc (1), redescendant extrême gauche, et sans voir Gabrielle.

J’ai subjugué une femme du monde ! (Apercevant Gabrielle.) Oh ! pardon, madame.

Gabrielle (2), descendant en scène.

Oh ! pardon ! monsieur ! (Le duc s’incline.) Excusez-moi d’être en costume de voyage, je descends de chemin de fer et je ne me doutais pas qu’il y eût déjà réception ce soir.

Tout en parlant, elle s’est débarrassée du petit sac de cuir qu’elle a posé sur le piano.
Le Duc, homme du monde.

Mais, madame, vous êtes tout excusée.

Gabrielle.

Le général n’est pas là ?

La musique, qui n’a pas cessé, mais lointaine, pendant les scènes précédentes, ici commence à se rapprocher.
Le Duc.

Il est dans le parc avec ses invités, mais il va revenir.

Gabrielle.

Parfait !… je vais en profiter pour aller voir si on monte mes malles !

Le duc s’incline, Gabrielle salue également et sort premier plan droit.
Le Duc, après la sortie de Madame Petypon.

Au revoir, belle madame ! au revoir ! Qu’est-ce que c’est que ce tocasson ?… (Brusquement.) J’aime mieux madame Petypon !

Il remonte se mêler aux invités qui, arrivant de gauche pendant ces derniers mots, ont envahi la terrasse à mesure que la fanfare s’est rapprochée. Tout le monde est en ligne le long de la balustrade, et dos au public. Le général est au centre, face à la baie du milieu. Madame Claux et la baronne sont visibles par la baie de droite. Mesdames Ponant et Virette sont à gauche du général. Les autres invités ad libitum.

Le Général, aussitôt la fin de l’exécution du morceau, dos au public, aux pompiers en contre-bas et dont on n’aperçoit que le haut de la bannière, — toussant.

Hum ! Hum !… Messieurs les pompiers de la Membrole ! C’est toujours une profonde émotion pour un vieux militaire, qui, par conséquent, j’ose le dire sans forfanterie, aime les militaires, de voir, réuni devant lui et dans un même élan, tout un groupement, euh… militaire !… Oui !… Euh ! qu’est-ce que je voulais donc vous dire ? Je ne sais plus ! Ah ! oui ! Je vous salue, messieurs les pompiers ! Je salue votre drapeau en la personne si j’ose dire de vote bannière, ornée d’autant de médailles que la poitrine d’un brave. Comme disait Napoléon à Austerlitz… Attendez donc ! était-ce bien à Austerlitz ? Non, c’était à… D’ailleurs, peu importe ! À quoi bon des souvenirs historiques ? À quoi bon avoir recours aux paroles des grands quand on peut puiser en soi-même ? J’aime mieux vous dire tout simplement ce que mon cœur me dicte : merci, messieurs ! Vive les pompiers de la Membrole ! Vive la France et… et au revoir !

Tous, chaleureusement.

Bravo ! bravo !

Les Pompiers, à la cantonade.

Vive le général ! Vivent les fiancés !

Le Général, aux pompiers.

Il y a du vin et de la bière pour vous là-bas sous la tonnelle ! Allez ! et, comme on dit au régiment, tâchez moyen de ne pas vous pocharder !

Les Pompiers.

Vive le général !

Le Général.

À la bonne heure !

La musique reprend et va en s’éloignant pour s’éteindre par la suite tout à fait.
Madame Ponant, descendant en scène.

Ah ! c’était charmant.

Madame Virette, même jeu.

Ah ! exquis.

Madame Claux.

Ah ! délicieux ! (Enjambant la chaise qui est au milieu.) Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !

Elle descend jusque devant le piano.
Tous.

Ah ! bravo, madame Claux !

Madame Claux[17].

Tiens ! je ne vois pas pourquoi je ne serais pas Parisienne, moi aussi !

Le Général, au milieu de la scène.

Ah çà ! où sont donc mes nièces ?

Guérissac, no 2 par rapport au général (1).

Mon général, je viens de voir madame Petypon se promenant avec mademoiselle Clémentine dans le parc.

Le Général, gagnant un peu à droite.

Ah ! parfait ! elle lui donne sa leçon de parisianisme.

L’Abbé, descendant entre Guérissac et le Général.

Oh ! général, je sais bien une chose qui ferait plaisir à tout le monde !

Le Général.

Quoi donc ?

Tous, se rapprochant du groupe.

Quoi ? quoi ?

L’Abbé.

Ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai dit : il paraît que madame Petypon est excellente musicienne !…

Le Général.

Ma nièce ?

L’Abbé.

Parfaitement ! Et qu’elle chante à merveille.

Madame Vidauban.

Ah ! il faut lui demander de chanter !…

Madame Ponant.

Oh ! ce serait si gentil, si elle voulait bien !…

Madame Hautignol.

La moindre des choses : quelques couplets, une romance !

Le Général, passant devant l’abbé et descendant à gauche, près du piano, suivi de toutes les dames qui l’entourent.

Je vous promets, dès qu’elle sera là, de le lui demander.

Tous.

Ah ! Bravo !… bravo !…

Le Général est descendu vers le piano (sur lequel il dépose en passant son képi, coiffe et visière en l’air), puis va s’asseoir devant, ainsi que quelques dames ; les autres restent debout près du général, qui se trouve ainsi dissimulé par leur présence à tout arrivant de droite. Chamerot et Guérissac sont plus au fond et au milieu de la scène ainsi que l’abbé. Mesdames Ponant et Sauvarel vont rejoindre les autres dames près du général.

Scène VII

Les Mêmes, GABRIELLE, puis MONSIEUR et MADAME TOURNOY.
Gabrielle, arrivant de droite, premier plan. Elle a retiré son chapeau et son cache-poussière.

Là, mes malles sont montées !… Où est donc le général ?

Elle remonte en cherchant des yeux le général.
Madame Ponant, qui est debout devant le Général.

Général ! Quelle est donc cette dame ?

Le Général, se levant, ainsi que les dames, déjà assises.

Quelle dame ?

Madame Ponant, indiquant Gabrielle, qui erre au fond.

Là !

Le Général, regardant dans la direction indiquée.

Hein ! Mais c’est la dame que j’ai vue hier chez mon neveu !

Gabrielle, aux officiers.

Pardon, messieurs ! vous n’auriez pas vu le général ?

Chamerot.

Le Général ?

Le Général.

Ah çà ! qu’est-ce qu’elle vient faire ?

Guérissac.

Mais, le voilà !

Gabrielle.

Oh ! c’est juste !

Le Général.

Je ne l’ai pas invitée, moi !

Gabrielle, radieuse, courant au général.

Ah ! général !

Le Général, qui s’est avancé de deux pas et se trouve à un mètre environ du groupe des dames, et séparé de Gabrielle seulement par la chaise du milieu qui est entre eux deux. — À Gabrielle.

Chère madame… que c’est aimable à vous !

Gabrielle par rapport au général.

Excusez-moi, général, de me présenter ainsi. Je descends du train, et j’ignorais qu’il y eût ce soir réception !

Le Général, ne sachant trop que dire.

Mais, madame… comment donc !… certainement !… je… je vous en prie !…

Gabrielle.

Oh ! mais, je vais aller m’habiller ! J’ai déjà fait monter mes malles !…

Le Général.

Hein !… (À mi-voix, de façon à n’être entendu que par le groupe des dames.) Eh bien ! elle est sans façon !

Les dames rient discrètement. Quelques-unes s’asseyent.
Gabrielle.

J’aurais bien voulu vous amener mon mari ! Malheureusement, il n’a pu m’accompagner ! Il vous prie de l’excuser.

Le Général, moqueur, et moitié pour la galerie, moitié pour Gabrielle.

Ah ! il vous prie de ?… Comment donc ! Comment donc !… Mon Dieu, vous auriez peut-être pu trouver une autre personne de votre famille.

Il rit ; les dames font chorus.
Gabrielle, bien ingénument.

Je n’avais personne.

Le Général, à Gabrielle.

Ah ! c’est regrettable !… (Se retournant, l’air narquois, vers les dames.) C’est regrettable ! Vraiment !

La duchesse rentre du dehors au bras du sous-préfet et s’arrête à causer avec lui au fond, près du buffet.
Gabrielle.

Mais moi, vous pensez bien que je me suis fait un devoir !… Aussi, malgré ce que vous m’avez raconté des revenants qui hantent ce château…

Le Général.

Ah ! ah ! oui, c’est vrai ! vous croyez à ces choses-là ! Mais ça n’existe pas, les revenants !

Gabrielle, ne voulant pas discuter.

Oui, enfin !… je suis venue ; c’est le principal ! (S’écartant à droite, puis de là faisant signe au général et à mi-voix.) Général !

Le Général, s’avançant jusqu’à elle, après avoir jeté un regard d’étonnement aux dames.

Madame ?

Gabrielle, bas.

Voulez-vous me présenter à ces dames ?

Le Général.

À ces… ? Mais, comment donc ! avec plaisir !… (Au moment d’aller vers les dames, s’arrêtant et à part.) Saperlipopette, c’est que je ne me rappelle pas du tout le nom qu’on m’a dit en me la présentant !… Ah ! ma foi, tant pis ! (À mi-voix, aux dames, tandis que Gabrielle se tapote coquettement les cheveux, la cravate, se préparant à la présentation.) Mesdames, je vous demanderai la permission de vous présenter cette dame ! Seulement, ne me demandez pas son nom, je ne me le rappelle pas ! Je n’ose pas le lui demander, parce qu’il y a des gens que ça vexe ! Tout ce que je sais, c’est que c’est une excellente amie de ma nièce, madame Petypon !


Madame Vidauban.

Une Parisienne ?

Le Général.

Oui, une Parisienne !

Les Dames, se levant.

Ah ! mais, nous serons enchantées !

Madame Vidauban.

Mais comment donc !

Remue-ménage parmi ces dames. Elles sont placées ainsi qu’il suit, obliquement le long de la queue du piano : mesdames Virette (1), Claux (2), Hautignol (3), Sauvarel (4), Vidauban (5). Au-dessus du piano, madame Ponant cause avec les officiers, la baronne et l’abbé.
Le Général, debout derrière la chaise du milieu, dont il tient le dossier entre les mains, — haut, au groupe des dames.

Mesdames ! voulez-vous me permettre de vous présenter madame euh… (Se penchant vers les dames, le dos de la main droite en écran contre le coin gauche de la bouche, et très glissé, à mi-voix, comme s’il prononçait le nom de la personne qu’il présente.) Taratata n’importe quoi c’que vous voudrez !

Madame Vidauban.

Comment ?

Le Général, vivement et bas.

Rien, chut ! (Haut, présentant.) Madame Vidauban !

Madame Vidauban, s’avançant d’un pas et avec une révérence.

Ah ! madame, enchantée !…

Gabrielle.

Mais c’est moi, madame, qui…

Madame Vidauban, enjambant la chaise près de laquelle est le Général.

Eh ! allez donc, c’est pas mon père !

Elle descend se ranger (1) à côté de madame Virette.
Gabrielle, sursautant de stupéfaction.

Ah !

Le Général, présentant.

Madame Sauvarel !

Madame Sauvarel, même jeu, mais timidement, maladroitement.

Madame, enchantée !…

Gabrielle.

Oh ! madame, vraiment !…

Madame Sauvarel, enjambant la chaise.

Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !

Nouveau sursaut de Gabrielle, tandis que madame Sauvarel descend (1) près de madame Vidauban. Chaque fois, tout le rang remonte d’un numéro.
Gabrielle, à part.

Hein ! elle aussi ?

Le Général, présentant.

Madame Hautignol !

Gabrielle, s’inclinant.

Madame !…

Madame Hautignol.

Madame, enchantée !

Gabrielle, à part.

Nous allons un peu voir si celle-là aussi ?…

Madame Hautignol, enjambant la chaise.

Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !

Gabrielle, à part.

Ça y est ! Ça doit être un usage de la Touraine. (Haut.) Madame, enchantée !…

Madame Hautignol descend (1) à côté de madame Sauvarel.
Le Général, voyant les deux dames qui s’avancent couplées.

Mesdames Claux et Virette !

Gabrielle, saluant.

Mesdames !

Mesdames Claux et Virette, ensemble, s’inclinant.

Madame ! (Enjambant la chaise en même temps, madame Virette de la jambe droite, madame Claux de la jambe gauche, ce qui fait qu’elles s’envoient mutuellement un coup de pied dans le jarret.) Eh ! allez donc ! c’est… Oh !

Madame Virette.

Oh ! pardon.

Madame Claux.

Je vous ai fait mal !

Madame Virette.

Du tout ! et moi ?

Madame Claux.

C’est rien ! c’est rien !

Elles prennent les nos 1 et 2.
Gabrielle, à part.

Eh ben !… il faut venir en province pour voir ça !

Le Général, avisant l’abbé au-dessus du piano.

Et, enfin, notre excellent ami, l’abbé Chantreau !

L’Abbé, descendant.

Ah ! madame, très honoré !

Gabrielle, s’inclinant.

C’est moi, monsieur l’abbé !…

L’Abbé, enjambant la chaise.

Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !

Il remonte, tandis que son entourage lui fait un succès.
Gabrielle, à part.

Le clergé aussi ! Oh ça ! c’est tout à fait curieux ! (Traversant pour aller aux dames qui sont devant le piano.) Vous m’excuserez, mesdames, de me présenter dans cette tenue ; mais je descends de chemin de fer !

Le Général, toujours derrière le dossier de sa chaise.

Mais oui, mais oui !… (Voyant la duchesse qui descend en causant avec le sous-préfet. À part.) Ah ! et puis à la duchesse ! (Haut à la duchesse.) Ma chère duchesse ! Voulez-vous me permettre de vous présenter madame… euh… (Comme précédemment.) « Taratata n’importe-quoi-c’que vous voudrez !… »

La Duchesse, à droite de la chaise.

Madame quoi ?

Le Général, vivement et entre les dents.

Chut ! oui ! n’insistez pas ! (Présentant, à Gabrielle.) La duchesse douairière de Valmonté !

Il descend à droite (3) par rapport à la duchesse (2) et Gabrielle (1). La duchesse salue.
Gabrielle, à gauche de la chaise et face à la duchesse.

Madame, enchantée !… (Enjambant la chaise comme elle l’a vu faire aux autres.) Eh ! allez donc ! C’est pas mon père ! (À part.) Puisque c’est l’usage !

Chuchotements parmi les hommes : « Hein ! vous voyez ?… Vous avez vu ?… Hein ?… la Parisienne !… etc. »
Madame Hautignol.

En tout cas nous lui avons montré que nous étions à la hauteur !…

La Duchesse, de l’autre côté de la chaise, à Gabrielle avec un joli sourire.

Excusez-moi, madame ! mais mon vieil âge ne me permet pas d’être dans le mouvement.

Gabrielle.

Mais comment donc !

La Duchesse, pinçant du bout des doigts un pli de sa robe à hauteur du genou de façon à découvrir juste le haut du pied, esquisse, en la soulevant à peine de terre, un discret rond de jambe.

Eh ! allez donc ! (Avec une révérence de menuet.) C’est pas mon père !

Gabrielle, maintenant.

C’est ça, madame, c’est ça ! (Au général qui s’est effacé pour livrer passage à la duchesse, laquelle va s’asseoir sur la bergère de droite.) Et maintenant ne vous occupez plus de rien ! je me charge de tout !

Le Général, étonné.

Ah ?

Gabrielle, passant successivement — et en commençant par la gauche — d’une dame à l’autre, et chaque fois avec des petits trémoussements de la croupe.

Asseyez-vous, je vous en prie, mesdames !… Madame asseyez-vous, je vous en prie !… Si vous voulez vous asseoir, madame !… Asseyez-vous, je vous en prie, madame !… (Arrivée au bout de la rangée, brusquement au général.) Mais quoi ? Est-ce qu’on ne fait pas un peu de musique ? Quelque chose pour distraire cette aimable société ?…

Le Général[18], tandis que les femmes sur l’invitation de Gabrielle se sont assises sur les chaises longeant le piano, madame Sauvarel sur la chaise du milieu qu’elle a rapprochée du groupe.

Si ! Si ! on attend ma nièce, pour la prier de chanter.

Gabrielle.

Ah ! parfait ! parfait !… Cette chère mignonne, je serai enchantée de l’embrasser.

Le Général, avec une politesse narquoise.

Elle aussi, croyez-le bien !

Gabrielle, aux invités.

Mesdames et messieurs, vous êtes priés de patienter un peu ; nous attendons la nièce du général pour qu’elle nous chante quelque chose !

Les Invités.

Oh ! mais nous savons ! nous savons !…

Gabrielle, un peu dépitée.

Ah ? Ah ?… vous savez ?…

Le Général.

Mais oui ! Mais oui !

Gabrielle, de même.

Ah ? ah ?… Très bien ! très bien !

Le Général, à part.

Non ! mais elle est étonnante !… De quoi se mêle-t-elle ?

Gabrielle, repassant successivement d’une dame à l’autre comme elle l’a fait précédemment pour les faire asseoir.

Vous ne désirez pas vous rafraîchir, chère madame ?… Et vous, chère madame ?… Vous ne désirez pas vous rafraîchir ? Et vous ?

Le Général, à l’avant-scène, dos au public, la regardant circuler et gagnant ainsi jusqu’aux dames de gauche.

Non ! mais regardez-la : elle va ! elle va !

Gabrielle[19], qui, arrivée au bout de la rangée, a traversé la scène pour aller à Madame Vidauban.

Et vous, chère madame, vous ne désirez pas vous rafraîchir ? (Voyant qu’elle hésite.) Si ! Si ! (En se retournant, elle se trouve face à face avec Émile qui descend du buffet avec un plateau chargé de rafraîchissements.) Valet de pied, voyons ! passez donc des rafraîchissements !… Qu’est-ce que vous attendez ?

Émile, interloqué, roule des yeux écarquillés sur Gabrielle, puis regarde le général, comme pour lui demander avis.
Le Général, jovialement.

Eh bien ! qu’est-ce que vous voulez, mon garçon… passez des rafraîchissements, puisque madame vous le demande. (Émile s’incline puis passe les rafraîchissements aux dames de gauche en commençant par en haut. Le Général à part, gagnant la droite.) Ma parole, elle m’amuse !…

Émile, après avoir fait la rangée des dames, remontera par la gauche du piano et regagnera par la suite le buffet par le fond.
Un Valet de pied, contre le chambranle droit de la baie du milieu, annonçant au fond, presque en même temps que paraissent les deux arrivants.

Monsieur et madame Tournoy !

Le Général, aussitôt, l’annonce, remontant dans un mouvement arrondi.

Ah !

Gabrielle[20], qui s’est élancée également à l’annonce, arrivant à la rencontre des arrivants avant le général, et quand celui-ci arrive, l’écartant de la main gauche et se mettant devant lui. — Très verbeuse, passant sans transition d’une idée à l’autre.

Ah ! monsieur et madame Tournoy ! que c’est aimable à vous !… (Avec un rond de jambe dans le vide.) Eh ! allez donc, c’est pas mon père !… (Ahurissement du couple.) Comme vous arrivez tard !… Excusez-moi de vous recevoir dans cette tenue, je descends de chemin de fer !

Monsieur et Madame Tournoy.

Mais, madame, je vous en prie !…

Le Général, à Gabrielle.

Pardon ! je vous serais obligé…

Gabrielle, sans le laisser achever.

Oh ! c’est juste ! (Au couple.) Vous ne connaissez pas le général, peut-être ?… (Au général.) Général ! monsieur et madame Tournoy !

Le Général, redescendant légèrement.

Ah ! bien, elle est forte !

Gabrielle.

Tenez, madame, si vous voulez vous rafraîchir au buffet… ainsi que M. Tournoy !

Elle les fait passer devant elle dans la direction du buffet.
Le Général, par rapport à Gabrielle.

Ah ! non, mais permettez !…

Gabrielle, le repoussant doucement.

Laissez ! laissez ! ne vous occupez de rien !

Le Général, redescendant milieu gauche de la scène.

Oh ! mais elle commence à m’embêter !

Gabrielle, redescendant, sautillante, vers le Général.

Là ! voilà qui est fait !

Le Général (1).

Oui ! Eh bien ! c’est très bien ! mais je vous prierai dorénavant, madame !…

Gabrielle (2), chatte.

Oh ! non !… Pas madame ! Ne m’appelez pas madame, voulez-vous ?

Le Général.

Eh ! ben, comment voulez-vous que je vous appelle ?

Gabrielle, minaudière.

Mais je ne sais pas ?… (Prenant de chaque main une main du général qui se demande où elle veut en venir, et l’amenant doucement à l’avant-scène, puis :) Comment appelez-vous votre nièce ?

Le Général.

Ma nièce ?… eh ! bien, je l’appelle : ma nièce !

Gabrielle.

Eh ! bien, voilà ! Appelez-moi : « ma nièce » !… ça me fera plaisir ! et moi, je vous appellerai mon oncle.

Le Général.

Hein ?

Gabrielle, d’une secousse des mains sur les mains du général, l’amenant chaque fois à elle.

Ah ! mon oncle (Elle l’embrasse sur la joue droite.) Mon cher oncle !

Elle l’embrasse sur la joue gauche tandis que tous les assistants rient sous cape.
Le Général, à part, en remontant vers la droite, tandis que Gabrielle va vers le groupe de droite expliquer à madame Vidauban et à la duchesse que le général est son oncle.

Ah ! non ! elle est à enfermer ! (Apercevant Clémentine et la Môme qui bras dessus bras dessous reviennent par la terrasse.) Ah ! vous voilà les cousines !… Eh ! bien vous en avez mis un temps !

Clémentine (2).

Je prenais ma leçon, mon oncle.

La Môme (1).

Elle prenait sa leçon, notre oncle !

Le Général (3).

Je sais ! Au moins, ça t’a-t-il profité ?

Clémentine.

Oh ! oui, mon oncle !

Le Général.

Bravo ! (À la Môme, avec un geste de la tête dans la direction de Gabrielle qui tourne le dos.) Et vous, ma chère enfant, préparez-vous à une surprise !

La Môme, descendant.

Une surprise !… Laquelle ! (Reconnaissant Gabrielle et, à part, bondissant vers la gauche.) La mère Petypon !… Ah ! bien ! je comprends pourquoi le docteur filait comme un lapin !

Elle revient près du général.
Le Général, à Gabrielle (4), lui présentant Clémentine qu’il fait passer (3).

Chère madame !… D’abord, ma nièce, Clémentine, la fiancée !

Gabrielle, qui s’est retournée à l’apostrophe.

Oh ! qu’elle est mignonne ! Tous mes vœux, ma chère enfant !

Elle l’embrassé sur le front.
Le Général, tout en prenant la main de Clémentine pour la ramener à lui.

Chère madame, je n’ai pas besoin de vous présenter mon autre nièce… (Un petit temps grâce auquel l’énoncé du nom qui suit peut s’appliquer aussi bien à la Môme qu’à Gabrielle.) madame Petypon ?…

Il remonte au buffet avec Clémentine qui se mêle au groupe des invités.
La Môme, coupant la parole à Gabrielle, qui ouvrait déjà la bouche pour répondre, se précipite vers elle, lui saisit les deux mains, et, avec aplomb, l’abrutissant de son caquetage et chaque fois lui imprimant dans les avant-bras des secousses qui se répercutent dans la tête de Madame Petypon.

Nous présenter ! Ah ! bien ! en voilà une question ! le général qui demande s’il faut nous présenter ; elle est bien bonne, ma chère ! Elle est bien bonne ! Non ! c’est pas croyable ! Comment, c’est toi ?

Gabrielle (2), ahurie.

Hein ?

La Môme (1).

Ah ! bien ! c’est ça qui est gentil !… Et tu vas bien ? oui ? tu vas bien ?

Gabrielle (2), complètement ahurie.

Mais… pas mal ! et… et toi ?

La Môme.

Ah ! que je suis contente de te voir ! Mais regarde-moi donc !… mais tu as bonne mine, tu sais ! tu as bonne mine ! (En appelant, à l’assistance.) N’est-ce pas qu’elle a bonne mine !…

Le Général, qui est descendu près des dames de gauche et se trouve par conséquent (1) par rapport à la Môme (2) — d’une voix tonitruante.

Elle a bonne mine !

Il remonte en riant.
La Môme, toujours même jeu, à Gabrielle qui écoute tout ça bouche bée, l’air abruti, le regard dans celui de la Môme.

Figure-toi, depuis que je ne t’ai vue, j’ai eu un tas d’embêtements ! Émile a été très malade !

Gabrielle[21].

Ah ?

La Môme.

Heureusement, il a été remis pour le mariage de sa sœur !

Gabrielle.

Ah ?

La Môme.

Tu sais, Jeanne !

Gabrielle.

Jeanne ?

La Môme.

Oui ! Elle a épousé Gustave !

Gabrielle.

Gustave ?

La Môme.

Tu sais bien, Gustave !

Gabrielle, n’osant se prononcer.

Euh…

La Môme.

Mais si… le bouffi !

Gabrielle.

Ah !

La Môme.

Oui ! Eh ! bien, elle l’a épousé, ma chère ! Hein ? qui aurait cru ? « Gustave » ! tu te rappelles ce qu’elle en disait ?… Enfin, c’est comme ça : c’est comme ça ! tout va bien… on dit noir un jour, on dit blanc le lendemain ! c’est la vie ! on est girouette ou on ne l’est pas. Tel qui rit… Mais, qu’est-ce que tu as ? Tu as l’air tout drôle ?… Je t’en prie, mets-toi à ton aise. As-tu soif ? veux-tu boire ? orangeade ? café glacé ?… orgeat ? limonade ?

Gabrielle, abrutie.

Bière !

La Môme.

Oui ! parle ! dis ce que tu veux ! tu sais, tu es ici chez toi !

Le Général, sur le ton blagueur.

Oh ! elle y est !

Gabrielle, de plus en plus démontée.

J’te… j’ te remercie bien !

La Môme.

Oh ! mais je te demande pardon !… Tu permets ? hein ! tu permets !

Gabrielle.

Mais va donc, j’ t’en prie, va donc ! va d… (Sans transition, pendant que la Môme la laisse en plan pour aller rire avec les dames de gauche puis un instant après remonter au buffet.) Qu’est-ce que c’est que cette dame-là ? (Un temps.) Elle doit me connaître, puisqu’elle me tutoie !… Il n’y a pas, j’ai beau chercher ?… je ne la connais pas ! Si encore le général m’avait dit son nom, mais il n’a dit que le mien en présentant. (Voyant le général qui cause avec le groupe des dames de gauche et prenant un parti.) Ah ! ma foi, tant pis ! (Allant au général et confidentiellement.) Dites-moi donc, général !

Le Général.

Madame ?

Gabrielle.

Quel est donc le nom de cette dame ?

Le Général.

Quelle… dame ?

Gabrielle, indiquant du coin de l’œil la Môme qui est au buffet où Clémentine est allée la rejoindre.

Celle-là !… que vous venez de me présenter.

Le Général, croyant à une plaisanterie.

Hein, la da… Ah ! ah ! très bien !… (Avec un sourire et un hochement de tête approbatif.) Elle est bonne !

Gabrielle.

Comment ?

Le Général, avec un crescendo à chaque fois dans la voix.

Elle est bonne ! Elle est bonne ! Elle est bonne !

Tous les voisins rient et le général, pivotant sur les talons remonte en riant pour rejoindre la Môme au buffet.
Gabrielle, reste un instant comme abrutie.

Qu’est-ce qu’il a ? (Elle hésite une seconde, puis, à part.) Oh ! il n’y a pas !… (Avisant madame Vidauban.) Dites-moi donc, chère madame ?

Madame Vidauban, se levant.

Madame ?

Gabrielle.

Pouvez-vous me dire quelle est cette dame ? (Elle indique la Môme de l’œil.) à qui le général vient de me présenter ?

Madame Vidauban.

Quelle est cette dame à qui ?… Ah ! ah ! Vous voulez rire !… Très drôle ! C’est très drôle !…

Tout le groupe rit.
Gabrielle, décontenancée, s’éloignant un peu pendant que madame Vidauban se rassied.

Ah ?… Ah ? (À part.) Ah ça ! elle aussi ! Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle dans ma question ! (Tandis qu’Émile présente son plateau pour reprendre les verres vides, au groupe de droite, remontant vers l’abbé qui cause avec le sous-préfet au-dessus du piano.) Dites-moi, monsieur l’abbé, ne pourriez-vous me dire… ?

L’Abbé.

Oui !… oui ! J’ai entendu la question… (Riant et comme le général, mais avec une certaine onction.) Ah ! Ah ! elle est bonne ! elle est bonne !… Ah ! ah ! ah !

Il remonte un peu, laissant Gabrielle bouche bée.
Tous les Invités du voisinage, faisant chorus.

Ah ! ah ! elle est bien bonne !

Gabrielle.

Oui !… (Un temps, puis à part.) C’est curieux comme on est rieur ici ! (S’adressant à Émile qui est en train de remonter avec son plateau) Dites-moi donc, mon ami ! quel est donc cette dame qui cause avec le général ?

Émile (2), par rapport à Gabrielle (1).

Là ?… Mais c’est madame Petypon !

Aussitôt Gabrielle descendue, il va au-dessus du piano ramasser les verres vides qui traînent.
Gabrielle, descendant d’un pas.

Hein ?… madame Petypon !… (Descendant d’une envolée jusqu’à l’avant-scène légèrement à droite, — et bien large :) Le Général est remarié !… Lucien ne m’avait pas dit ça !… (Voyant la Môme qui, venant du buffet, se dirige rapidement du côté des dames de gauche, s’élançant vers elle et la happant au passage, de façon à la faire virevolter pour l’entraîner par les deux mains jusqu’à droite du souffleur.) Oh ! venez ici ! que je vous voie ! que je vous regarde !

La Môme, ahurie.

Qu’est-ce qu’il y a ?

Gabrielle.

Figurez-vous que je ne me doutais de rien ! C’est le valet de pied qui m’a dit que vous étiez madame Petypon !

La Môme[22], inquiète.

Ah ?

Gabrielle.

Je ne savais pas que vous étiez la femme du général !

La Môme (1), immense.

Hein !

Gabrielle, sans transition, l’attirant contre elle par une traction des mains.

Ah ! ma tante !

Elle l’embrasse sur la joue droite.
La Môme.

Quoi ?

Gabrielle, même jeu.

Ma chère tante !

Nouveau baiser sur la joue gauche.
La Môme, pendant que Gabrielle l’embrasse.

Moi ? Ah ! zut !

Tous, étonnés.

Ah !

Gabrielle, s’épanchant.

Ah ! que je suis contente ! que je suis ravie ! (L’embrassant à gauche.) Ma tante ! (L’embrassant à droite.) Ma chère tante ! (Lâchant la Môme et allant à madame Vidauban.) C’est ma tante, figurez-vous, madame !!

Le Général, descendant (1), par rapport à la Môme (2).

Comment est-ce qu’elle vous appelle ? Ma tante ?…

La Môme, ne sachant plus où elle en est.

Oui !… oui !

Le Général.

Ah ! elle est bien bonne ! Moi, elle m’a demandé à m’appeler mon oncle !

Les Dames.

Non, vraiment ?

La Môme, vivement, passant entre les dames et le Général.

Oui ! oui ! c’est une manie chez elle ! elle est tellement expansive qu’elle éprouve le besoin de vous donner comme ça des petits noms de famille !

Le Général (2), par rapport à la Môme (1).

Oui, enfin, elle est braque !

L’Abbé, qui est descendu (3), à Gabrielle (4).

Eh bien ! madame ! vous êtes tout de même arrivée à être renseignée ?…

Gabrielle.

Mais oui, (Avec une petite révérence.) mon père !

Le Général, à la Môme, en pouffant de rire.

Ah !… ah !… C’est à se tordre !… Moi, je suis son oncle ! Vous êtes sa tante ! Et l’abbé est son père ! (Avisant de sa place Guérissac qui est à l’avant-scène gauche et le désignant à Gabrielle.) Dites donc, madame !

Gabrielle.

Général ?

Le Général.

Est-ce que monsieur n’est pas votre neveu ?

Gabrielle, qui ne saisit pas la moquerie.

Monsieur ?… Non !… non !

Le Général, à Guérissac.

Ah ! mon ami ! Vous n’êtes pas son neveu !… C’est regrettable ! Ce sera pour une autre fois !

Gabrielle, petite folle.

Oh ! mais je cause ! je cause ! et, pendant ce temps-là, je ne m’habille pas !… (Aux dames de gauche.) À tout à l’heure, mesdames, je ne serai pas longue… (Traversant la scène, et, au groupe de droite :) Je ne serai pas longue, mesdames, à tout à l’heure !

La Môme, remontant légèrement et de loin à Gabrielle sur un ton gavroche.

C’est ça, va ! va !

Gabrielle, passant entre madame Vidauban et Vidauban, dérangeant chacun.

Pardon ! Pardon, monsieur ! pardon !

Elle sort premier plan droit.
Le Général, sur un ton péremptoire à la Môme qui est redescendue (2) par rapport à lui.

Ma nièce ! elle est complètement folle, votre amie.

Tout le monde, approuvant.

Ah ! oui ! Ah ! oui !

L’Abbé, qui causait près du buffet avec le duc, descendant (3) et faisant des signes d’intelligence au général dont il est séparé de la Môme.

Hum ! hum ! Général.

Le Général (1).

Qu’est-ce qu’il veut, l’abbé ! (Même jeu de l’abbé qui indique la Môme de l’œil au général.) Ah ! oui ! (À la Môme.) Ah ! ma nièce ! je vous avertis qu’un complot a été tramé contre vous !

La Môme (2).

Contre moi ?

Le Général (1).

Ma nièce, vous allez nous chanter quelque chose !

Tous, se levant.

Oh ! oui ! oui !

La Môme.

Qui, moi ?… mais vous n’y pensez pas !… mais je ne chante pas !…

L’Abbé, finaud.

Oh ! que si !

Tout le monde.

Oh ! si ! oh ! si !

La Môme.

Mais je vous assure !…

Le Général.

Allons, voyons, vous n’allez pas vous faire prier !

La Môme.

Puis enfin, je n’ai pas de musique !

Tous, désappointés.

Oh !

Clémentine, qui est descendue entre le général et la Môme.

Oh ! ma cousine, j’en ai vu un rouleau dans votre chambre !

La Môme.

Ah ! c’est traître ce que vous faites là !

Le Duc, descendant (4).

Oh ! si, madame ! chantez-nous quelque chose !

La Môme (3), les yeux dans les yeux du duc, côte contre côte, de sa main gauche lui serrant la main qui pend le long de son corps et sur un ton pâmé.

Ça vous ferait plaisir… duc ?

Le Duc.

Oh ! oui !

La Môme, même jeu, lui broyant la main dans la sienne.

Ah ! duc !… Je ne peux rien vous refuser !

Le Duc, radieux.

Ah ! madame !

Il remonte jusqu’au-dessus du piano.
La Môme, à pleine voix.

Allons, soit !… Mais il me faudrait ma musique !

Clémentine, esquissant un mouvement de retraite.

Je vais vous la chercher !… (S’arrêtant.) Dans votre chambre, n’est-ce pas ?…

La Môme, indiquant la porte de gauche.

Non, je l’ai descendue ce matin dans la bibliothèque !…

Clémentine.

Ah ! bon !

Elle sort de gauche. Le monde remonte ; les domestiques ont pris les chaises et les rangent en ligne oblique, et ce, à partir de la bergère de la duchesse.
Le Général, à ses officiers.

Tenez, jeunes gens, aidez donc à ranger les chaises ! ça gagnera du temps !

Les officiers prennent également des chaises et achèvent de les ranger pendant ce qui suit.

Scène VIII

Les Mêmes, PETYPON, puis CLÉMENTINE.
Petypon (2), débouchant tout essoufflé de la porte de droite premier plan.

Ouf ! ça y est !

La Môme (1), se précipitant vers Petypon, l’amène à l’avant-scène, puis vivement.

Ah ! te voilà, toi !… Qu’est-ce que ça veut dire ? Ta femme est ici !

Petypon.

Je le sais bien !

La Môme.

Qu’est-ce que tu en as fait ?

Petypon.

Je l’ai enfermée !

La Môme, avec un sursaut de surprise.

Hein !

Petypon.

Je l’ai aperçue qui entrait dans une chambre ; la clé était à l’extérieur ; alors, vling ! vlan ! deux tours !

La Môme.

Mais c’est fou ! qu’est-ce que tu y gagnes ?

Petypon.

J’y gagne du temps ! Gagner du temps, tout est là, dans la vie !

Clémentine, revenant de gauche avec un rouleau de musique et descendant (1), à la Môme.

Voici votre musique, ma cousine !…

Tout le monde.

Ah ! bravo ! bravo !

Clémentine remonte.
Petypon, flairant quelque nouveau danger.

Hein ! pourquoi ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

La Môme, tout en dénouant son rouleau de musique.

On me demande de chanter quelque chose.

Petypon, bondissant.

En voilà une idée ! mais, c’est insensé !… pas du tout !

La Môme[23], d’une voix pâmée.

Ça fait plaisir au duc !

Elle gagne vers la caisse du piano.
Petypon, emboîtant le pas derrière elle.

Mais, je m’en moque, que ça fasse plaisir au duc !… Mais malheureuse, qu’est-ce que tu vas leur chanter ?

La Môme, qui a développé son rouleau cherchant dans sa musique.

Je ne sais pas !… J’ai bien là : La langouste et le vieux marcheur

Petypon, bondissant à cette idée.

Mais tu divagues !… La langouste et le vieux marcheur, ici !

La Môme.

Oui, tu as raison ! J’ai peur que ce soit un peu !… Ah ! bien ! attends !… j’ai là une complainte sentimentale…

Petypon.

C’est ça ; voilà ! une complainte sentimentale, ça fera l’affaire.

La Môme, en gambadant et en brandissant son morceau de musique, gagnant le milieu de la scène.

Allez ! Qui c’t’y qui va m’accompagner ?

Le Général, qui cause au fond avec l’Abbé.

Eh ! bien… l’abbé !

L’Abbé.

Moi ! Mais, général, je ne joue que de l’orgue !

Le Général.

Eh ! ben ? C’est la même chose !… (Non restrictif, par conséquent dans la même modulation.) sans les pieds !

L’Abbé.

Ah ! mais non, général ! permettez !

Le Général.

Non ?… Bon ! adjugé ! (À l’assemblée tout entière.) Qui est-ce qui joue du piano ?

Le Duc, de sa place, indiquant sa mère.

Maman !

Tout le monde, se tournant vers la duchesse.

Ah ! duchesse !…

Le Général, descendant vers la duchesse.

Ah ! duchesse ! puisque l’abbé ne peut pas accompagner, vous ne pouvez pas nous refuser !

La Duchesse.

Je veux bien essayer !

Tous, murmure de satisfaction.

Ah !

Le Général, à la duchesse.

Duchesse ! mon bras est à vos pieds.

La Duchesse, prenant le bras.

Oh ! général, vraiment !…

Ils traversent obliquement la scène pour descendre au piano par le fond gauche.
Tout le monde, tandis qu’ils remontent.

Bravo ! Bravo !

Le Général, après avoir accompagné la duchesse, voyant le sac laissé par Gabrielle sur le piano.

Ah ça ! qui est-ce qui a fourré ce sac là ? (Appelant.) Émile !

Émile, de la baie du milieu.

Mon général ?

Le Général.

Tenez ! enlevez donc ça ?

Il lui jette le sac qu’Émile rattrape au vol.
La Môme (2), se rapprochant du duc qui, s’étant effacé pour laisser passer le général et la duchesse, est descendu milieu de la scène, et à mi-voix.

Vous voyez, duc ! vos désirs sont des ordres !

Petypon (1), vivement saisissant la Môme par le poignet et la faisant passer (1).

Oui, oui ! ça va bien.

Le Duc, au public avec extase.

Elle est exquise ! (Croyant la Môme toujours à côté de lui, dans un élan irréfléchi, il se retourne pour lui donner un baiser rapide. Avec passion.) Ah !

Baiser que reçoit Petypon qui s’est substitué à la Môme.
Petypon, s’essuyant la joue.

Allons, voyons !

Le Duc.

Ah ! pouah !

Petypon, tandis que la Môme va au piano.

Je vous en prie, duc, on vous regarde !

Le Duc.

Oui, monsieur ! oui ! (À part, tandis que Petypon va rejoindre la Môme qui cause avec la duchesse au piano.) Il n’y a pas à dire : elle est délicieuse !… Au fait, elle ne m’a pas donné son adresse ! (Il se dirige carrément vers le piano pour aller parler à la Môme, mais en route rencontre Petypon qui se dirige vers le cintre du piano pour y prendre une chaise. — Mouvement de droite et de gauche des deux personnages pour se livrer passage.) Pardon !

Petypon.

Qu’est-ce que vous cherchez ?

Le Duc.

Non, c’était pour… Au fait, vous pouvez aussi bien !… Dites-moi donc, docteur, où demeurez-vous, à Paris ?


Petypon, tout en prenant sa chaise par le coin gauche du dossier.

Moi, 66 bis, boulevard Malesherbes ; pourquoi ?

Le Duc, avec malice.

Mais pour… (Avec un clin d’œil dans la direction de la Môme.) pour y aller !

Petypon, qui n’y entend pas malice et lui tendant instinctivement sa main gauche comme pour la lui offrir, sans réfléchir qu’il tient sa chaise.

Ah ?… Très heureux de vous recevoir ?

Le Duc, prenant machinalement le côté droit du dossier.

Trop aimable ! (Ils secouent tous les deux la chaise comme s’ils échangeaient un shake-hand puis, tandis que Petypon lui laisse étourdiment sa chaise dans la main, à part.) Je suis l’amant… d’une femme du monde !

Petypon, qui déjà retournait au piano, revenant.

Eh ben ! mais… j’avais une chaise !

Le Duc.

Oh ! pardon ! distraction !

Il lui remet sa chaise.
Petypon.

Il n’y a pas de mal !


Il va porter la chaise à l’avant-scène droite, cependant que le duc remonte, radieux, vers le fond, au-dessus du piano. Pendant ce qui précède, les dames ont pris place sur les chaises alignées et sont assises dans l’ordre suivant : madame Vidauban sur la bergère, puis, en suivant, mesdames Sauvarel, Hautignol, Ponant, Virette, la baronne, Claux, puis l’abbé, le Général et le duc. Sont restés debout derrière les dames : Guérissac derrière madame Vidauban, puis à la suite, Chamerot, Sous-Préfet, Vidauban, un officier, madame Tournoy, Tournoy, un officier, invités. Domestiques dans le fond. Petypon sur une chaise à gauche dans le cintre du piano.
La Môme[24], qui a fini de donner ses instructions à la duchesse, descendant avec sa musique à la main, pour aller se placer devant la caisse du piano et, après avoir fait une révérence, annonçant.

La Marmite à Saint-Lazare !…

Tout le monde.

Ah !… Chut !… Chut ! Ah !

Petypon, à part, sur les charbons.

Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est que cette romance-là ?

La duchesse prélude.
La Môme, chantant.

Calme, ordonné, fait pour l’ ménage,
Dans mon p’tit taudis,
’Vec ma marmit’ pour tout potage
J’avais l’ paradis.

Hélas ! pourquoi, sur cette terre,
Le bonheur du (respirer.) re-t-il si peu ?
Le mien devait être éphémère ;
Voyez ! il n’a pas fait long feu :
Ma pauv’ marmit’, la cher’ petite !
Faut-il que le mond’ soy’ méchant[25] !
Pour Saint-Lazar’, v’là qu’on m’la prend,
Ma pauv’ marmite !

Tout le monde, applaudissant.

Bravo ! charmant ! délicieux !

Petypon, à part.

Ah ! ça va bien… ah ! ça promet !

La Môme, annonçant.

Deuxième strophe ![26]

Chantant.

On s’inquièt’ peu d’ mon existence,
Comment j’m'en tir’rai ?
À Saint-Lazare faut sa pitance,
Moi je turbin’rai !
Et, sans cœur, ils (respirer.) me l’ont bouclée !
Ell’ qui f’sait l’orgueil des fortifs !
« Ell’ n’était pas matriculée »
V’là c’qu’ils ont do (respirer.) nné comm’ motif !
À Saint-Lazar’, v’là qu’on l’abrite !
T’en as donc pas assez comm’ ça,
Grand Saint, qu’i’t faut aussi cell’-là,
Ma pauv’marmite ?

Tous, applaudissant.

Bravo ! bravo !

Guérissac, à mi-voix, à Chamerot, aussitôt la fin de l’accompagnement.

Dis donc ! Ça me paraît plutôt poivré ce qu’elle chante là !

Chamerot.

Plutôt !

Madame Hautignol, à mi-voix à Madame Ponant.

Est-ce que vous comprenez quelque chose, vous ?

Madame Ponant.

Moi ? pas un mot !

Madame Hautignol.

Ah ! bien, je ne suis pas fâchée de n’être pas la seule !

La Môme, qui est allée pendant ce qui précède jusqu’à la duchesse lui faire quelques petites recommandations, revenant à sa place et annonçant.

Troisième strophe ! (Troisiè… meustrophe !)

Tous, avec satisfaction.

Ah !

La Môme.

Couplet sentimental !

Chantant.

Eh ! bien, soit, je t’en fais l’offrande,
— Puisqu’y faut, y faut ! —
En priant que Dieu me la rende
Quelque jour là-haut !
Et j’ f’rai trois crans, à ma ceinture
En attendant que j’ trouv’ un’ peau
Pour m’assurer ma nourriture

Puisqu’hélas ! on n’vit pas que d’eau.
Sois heureux a (respirer.) vec la petite !
Je m’ sacrifi’ le cœur bien gros !
Pour le bonheur et le repos
D’ ma pauv’ marmite !

Tout le monde, très ému, se lève et vient féliciter la Môme ; on entend des :

« Ah ! bravo ! bravo ! ah ! quelle délicieuse diseuse !… Ah ! comme c’est chanté !… »

Le Général, descendant.

Bravo, ma nièce !

Petypon, se levant.

Mon Dieu ! heureusement qu’ils n’y ont rien compris !

Le Duc, qui est descendu entre les dames et La Môme.

Ah ! merci, madame ! Vous m’avez fait un plaisir…

La Môme, se rapprochant de lui et pâmée, à mi-voix.

C’est vrai… duc ?

Le Duc.

Oh ! oui, madame !

La Môme, même jeu.

Ah ! tant mieux, duc ! tant mieux !

Petypon, vivement, la rappelant à l’ordre en la tirant par sa robe.

Allons, voyons ! allons, voyons !

La Môme, sur le même ton pâmé à Petypon, tandis que le duc, en arrondissant devant les invités, remonte fond droit.

La ferme, toi !


La Duchesse, qui s’est levée, descendant (1) devant le coin gauche du piano, à la Môme (3) par-dessus Petypon (2) affalé sur une chaise dans le cintre du piano.

Ah ! madame, je ne saurais vous dire l’émotion délicate que vous m’avez fait éprouver !… Ce cantique… est vraiment touchant !… C’est vrai : cet homme qui n’a qu’une marmite pour toute batterie de cuisine !… et qui l’offre en ex-voto sur l’autel de Saint-Lazare !

La Môme, (3) sur un ton de moquerie contenue.

N’est-ce pas, madame la duchesse ?

La Duchesse.

C’est émouvant dans sa simplicité !… Seulement, il y a une chose qui me chiffonne dans la chanson !

La Môme (3).

Ah ?… Quoi donc ?

Les invités curieusement se rapprochent un peu.
La Duchesse.

C’est ceci, voilà un homme qui fait l’offrande de sa marmite ; et il dit que pour la remplacer il va chercher… une peau !

La Môme, qui ne voit pas où la duchesse veut en venir.

Eh ! ben ?

La Duchesse.

Eh bien ! c’est un pot qu’il devrait dire !

La Môme, n’en croyant pas ses oreilles.

Hein !…

Approbation des invités : « Mais oui, c’est juste !… c’est que c’est vrai !… Elle a raison !… » Les officiers, qui eux sont à la « coule », remontent en riant.
La Duchesse, achevant d’exposer son idée.

Une marmite ; c’est un pot !… C’est pas… une peau !

La Môme.

Hein ? Quoi ?… (Prise d’un rire convulsif.) Ah ! ah ! ah ! Elle est bien bonne !… Un pot pour remplacer la marmite ! Ah ! ah ! ah ! La duchesse qui s’imagine !… Ah ! ah ! ah ! c’est à mourir !

Tout le monde, gagné par le rire.

Qu’est-ce qu’elle a ? Mais qu’est-ce qu’elle a ?

Petypon, à part, dans les transes.

Mon Dieu !…

La Môme, de même.

Ah ! ah ! ah ! ah !… Ah ! non c’est trop drôle ! Ah ! Ah ! ah !… Ah ! ah ! ah ! ah ! (Dans l’épuisement du rire.) Ah !… meeerde !

Sursaut général.
Petypon, qui s’est dressé d’un bon et reste cloué sur place.

Oh ! (Parmi les invités, le rire s’est figé sur toutes les lèvres ! un silence glacial règne ! l’on se regarde et, peu à peu, l’on entend des chuchotements. « Qu’est-ce qu’elle a dit ?… Qu’est-ce qu’elle a dit ?… » Petypon, passant vivement devant la Môme et s’élançant face aux invités.) C’est la grrrande mode à Paris ! Ç’a été lancé chez la baronne Bayard !…

Les Invités, peu édifiés par ces arguments, tout en remontant.

Oui… Oh ! ben !…

Petypon, s’apercevant de l’échec de son intervention, pour faire diversion, à pleine voix.

Là ! eh bien ! si on faisait quelque chose, à présent ! On a fini de chanter, qu’est-ce qu’on pourrait faire ?

Le Général, qui est derrière le piano.

Eh ! ben, dansez, maintenant !

La Môme, bondissant à cette idée jusqu’au milieu de la scène.

Oh ! c’est ça ! C’est ça ! dansons !… (Pirouettant pour courir au piano.) Un quadrille !

Tous, comme un écho.

Un quadrille !

Petypon, rattrapant la Môme.

Hein ! Ah ! non ! non !

La Môme, se retournant.

Quoi ? Je vais accompagner !

Petypon.

Ah ! au piano ? bon ! bon ! ça je veux bien !

La Duchesse, assise au piano, à la Môme qui est venue la rejoindre.

Tenez, madame, voilà justement un recueil de musique de danse !

La Môme, s’asseyant à sa droite.

Parfait !… Madame la duchesse, nous allons jouer à quatre mains !

Petypon, qui est venu jusqu’au piano également.

C’est ça, à quatre mains !

Il s’assied sur la chaise, avant-scène gauche.
Quelques personnes[27].

Un quadrille ! un quadrille !

Chamerot, qui est au buffet avec un groupe d’invités, parmi lesquels Guérissac et le duc, se frappant brusquement le front et descendant perpendiculairement au buffet.

Ah ! mon Dieu ! Ce mot de « quadrille » ! quel éclair ! (Appelant.) Guérissac !

Guérissac, descendant (1) à l’appel de Chamerot.

Chamerot ?

Chamerot (2).

La ressemblance, j’ai trouvé ! La môme Crevette !

Guérissac, regardant vivement dans la direction de la Môme.

Ah !… c’t épatant.

Chamerot, dévisageant également la Môme de loin.

Hein ? Crois-tu ?

Guérissac, saisi d’un scrupule.

Mais non, c’est pas possible ! le docteur n’aurait pas épousé la môme Crevette !

Chamerot.

Il ne s’en doute peut-être pas ! Enfin, regarde : les façons ; le mauvais genre !

Guérissac (1).

En tout cas, Môme ou non, elle a une de ces tenues !

Le Duc, descendant du buffet et arrivant entre eux pour entendre ces derniers mots.

Qui ça ?

Chamerot (3), au duc (2).

Madame Petypon ! c’est une fille !

Le Duc, les toisant et sur un ton pincé.

Je ne trouve pas, moi !

Il leur tourne les talons et remonte derrière le piano. À ce moment, la duchesse et la Môme attaquent la ritournelle en quadrille.
Chamerot, riant.

Mazette ! qu’est-ce qu’il lui faut !

La Môme, aussitôt la fin de la ritournelle.

Eh bien ! c’est comme ça que vous dansez ?

Chamerot et Guérissac.

Voilà ! Voilà !

Ils courent rejoindre les danseurs déjà placés. La Môme et la duchesse recommencent les neuf premières mesures du quadrille qui forment ritournelle et pendant lesquelles danseurs et danseuses échangent des révérences.
La Môme, aussitôt l’accord final.

Vous y êtes ?

Tous.

On y est !


La Môme et la duchesse attaquent la première figure qui commence en fait à la dixième mesure. Le quadrille principal, qui occupe le milieu de la scène, est composé comme suit : à gauche, de profil, Clémentine, avec à sa gauche le sous-préfet ; en vis-à-vis, Guérissac et madame Ponant. À l’avant-scène milieu, dos au public, Chamerot et madame Vidauban, en vis-à-vis madame Claux et un officier. Sur la terrasse, s’il y a la place, autre quadrille d’invités. Au commencement de la figure, les messieurs, au milieu, se tenant par la main gauche, font un tour de promenade complet avec les dames dans le bras droit ; puis, « en avant-deux » de madame Claux avec l’officier, puis de Chamerot et de madame Ponant. À ce moment, arrive de la terrasse Émile, qui semble chercher quelqu’un du regard. Apercevant Clémentine, et au moment où celle-ci commence son « en avant-deux », il en profite pour passer derrière elle et descendre à l’avant-scène gauche.
Émile, tout en exécutant le même pas à la suite de Clémentine toutefois à distance respectueuse, et parlant à très haute voix.

La couturière vient d’apporter la robe de mariée de mademoiselle. Mademoiselle n’a rien à lui faire dire ?

Clémentine, tout en revenant à sa place à reculons avec son cavalier et accompagnée dans ce mouvement par Émile.

Non, rien ! C’est bien.

Madame Ponant, exécutant à son tour son « en avant-deux ».

Votre robe de mariée ? Oh ! est-ce qu’on pourrait la voir ?

Les Dames du Quadrille.

Oh ! oui ! Oh ! oui !

Clémentine, « en avant-deux ».

C’est facile ! (À Émile.) Après la danse, vous irez chercher ma robe de mariée et vous la descendrez dans cette pièce !

Elle indique, par-dessus son épaule et tout en dansant, la porte gauche au-dessus du piano.
Émile.

Bien, mademoiselle !

Reprise de la promenade du commencement de la figure ; Émile suit le mouvement et sort par la porte de droite.
La Môme, aussitôt la fin de la figure.

Deuxième figure !

Tous, en écho.

Deuxième figure !

Les danseurs se placent perpendiculairement à la scène, et vis-à-vis quatre par quatre : à gauche, Clémentine, le sous-préfet, madame Claux, l’officier ; à droite, Guérissac, madame Vidauban, Chamerot, madame Ponant. Aussitôt que la Môme et la duchesse attaquent la deuxième figure, ils font un « en avant-quatre », mais très raides, très guindés.
La Môme, chantant, tout en jouant.

Tralala lalala lalala, lalaire…

Petypon, la rappelant à l’ordre.

Allons, voyons !

La Môme, à mi-voix, à Petypon.

Ta gueule !

Petypon.

Oh !

La Môme.

Tralala… oh ! ce que je l’ai dansé, celui-là !… tralala lalala… (Considérant tout en jouant la façon dont dansent les invités.) Mais, allez donc ! Chaud, chaud-là !…

Petypon, même jeu.

Je t’en prie !…

La Môme, à Petypon.

Zut ! (Aux danseurs.) Vous avez l’air d’être en visite… Vous n’avez pas avalé votre parapluie ?

Petypon, sur les charbons, à la Môme.

Je t’en prie ! pas de commentaires !

La Môme.

Quoi ? on ne peut plus parler ! Oh ! ce qu’ils sont mous ! Aïe donc, là !… Oh ! non, ce tas de ballots ! (N’y tenant plus, à la duchesse.) Tenez, continuez toute seule ! Voir des choses pareilles !…

Elle s’élance vers le quadrille.
Petypon, la rattrapant par sa jupe.

J’ t’en prie ! Je t’en prie !

La Môme, lui faisant lâcher prise d’un coup sec sur sa jupe.

Fiche-moi la paix !

Elle a bondi au milieu du quadrille, en séparant brusquement le sous-préfet de Clémentine, et exécute, jusqu’à la fin de la figure, un cavalier seul échevelé à la manière des bals publics.
Tous, cloués sur place.

Oh !

Petypon, s’élevant (1) instinctivement vers la Môme (2) et, de ses deux mains écartant les basques de son habit pour se faire plus large, essayant de lui faire un paravent de son dos, tout en suivant malgré lui les pas de la Môme.

Assez ! chose ! euh ! ma femme !… Je t’en prie ! assez ! assez !

À ce moment, sur la dernière note de la figure, la Môme a pivoté dos au public et, d’une envolée, rejetant ses jupes par dessus sa tête, remonte ainsi vers le fond, au grand scandale de toute l’assistance.
Tous.

Oh !

Les dames surtout se choquent. Plusieurs messieurs ont l’air de trouver cela très piquant.
Petypon, s’affalant sur la chaise près du piano.

C’est la fin de tout ! C’est la catastrophe ! (Grande agitation générale. On entends des : « Ah ! non, tout de même, elle va un peu loin !… Jamais on n’a vu danser comme ça… On ne nous fera pas croire que dans les salons !… », etc. Petypon, s’élançant vers les dames, et avec l’énergie du désespoir.) C’est la grrrande mode à Paris ! Ç’a été lancé chez la princesse de…

Les Dames, remontant.

Ah ! non ! non ! À d’autres !

Petypon, interloqué.

Non ? Non ? Bon ! bien ! alors (Comme diversion.) la farandole ! la farandole !

Il gagne l’avant-scène droite.
La Môme, qui est redescendue (1) extrême-gauche en passant derrière la duchesse, toujours au piano.

C’est ça ! la farandole !

Elle va feuilleter le recueil de musique qui est au pupitre du piano.
Tous.

La farandole !

Mouvement général : une partie des invités (quatorze ou seize) se mettent en place pour la farandole. Les autres remontent sur la terrasse. Le Général gagne la droite, près de Petypon.
Chamerot, qui est descendu avec Guérissac devant le piano, à mi-voix, à Guérissac.

Eh bien ? Tu me diras encore que ce n’est pas la môme Crevette ?

Guérissac, même jeu.

Je reste confondu !

Chamerot.

D’ailleurs, j’en aurai le cœur net !

Tous.

La farandole !

La Môme, passant en gambadant devant les deux officiers rangés contre le piano.

La farandole !

Chamerot (1), vivement, à mi-voix, au moment où la Môme passe devant lui.

Eh ! La Môme !

La Môme, se retournant instinctivement.

Quoi ?

Chamerot, à mi-voix, mais sur un ton de triomphe.

Allons donc !

La Môme, entre eux deux.

Oh ! la moule !

Guérissac, émoustillé.

Aha !

La Môme, vivement et bas, serrée contre eux et en leur saisissant la main à la dérobée.

Oh ! Pas de blagues ! Au nom du ciel, pas de blagues !… À Paris, tout ce que vous voudrez ! mais ici, pas de blagues !

Guérissac et Chamerot, bas.

À Paris ? bon ! bon !

La Môme, aussi à l’aise que si de rien n’était.

La farandole !

Tous.

La farandole !

Les deux officiers vont se placer parmi les farandoleurs.
La Môme, qui a traversé la scène pour aller au général.

Allons, mon oncle !…

Le Général.

Merci ! Moi, je suis trop vieux ! (Prenant Petypon par le bras et le faisant passer devant lui.) Tiens, Lucien ! tu me remplaceras !

La Môme, happant Petypon au poignet.

C’est ça !

Petypon, résistant.

Mais non ! mais non !

Tous.

Si ! Si !

On entraîne Petypon qu’on encadre dans les farandoleurs dont Guérissac prend la tête. À sa suite est la Môme, Petypon, Clémentine, Chamerot, le reste ad libitum. La duchesse attaque la farandole dont tous les farandoleurs chantent l’air en dansant ! « Ta ta ta ta, ta ta ta ta, ta ta ta ta, ta ta ta ta, etc. » Ils descendent ainsi jusqu’à l’avant-scène droite, passent devant le trou du souffleur et remontent toujours en chantant, pour disparaître par le côté gauche de la terrasse.
Le Général, qui est remonté à la suite des farandoleurs, s’arrêtant à la baie de gauche de la terrasse.

S’amusent-ils ! sont-ils jeunes !… (Se retournant, apercevant Corignon, qui arrive du fond droit.) Ah ! voilà le fiancé !


Scène IX

LE GÉNÉRAL, LA DUCHESSE, CORIGNON,
puis CLÉMENTINE, puis LA MÔME, puis GABRIELLE.
Corignon, arrivant baie du milieu et sur le seuil, saluant militairement le Général.

Mon général !

Le Général, également dans la baie du milieu, face (1), Corignon (2).

Ah ! ben, mon ami ! vous arrivez un peu tard ! Votre fiancée vient justement de partir en farandolant !

Corignon, avec un regret de pure convenance.

Vraiment ! Oh !

Il salue la duchesse qui lui rend son salut, mais sans cesser de jouer.
Le Général, remontant sur la terrasse et appelant, dans la direction des farandoleurs.

Clémentine ! Eh ! Clémentine ! (Redescendant.) Ah ! ouiche ! elle ne m’entend pas ! (À la duchesse.) Dites donc, duchesse ! pas besoin de vous fatiguer davantage les phalanges ! Il n’y a plus personne !

La Duchesse, s’arrêtant de jouer.

Tiens, oui !

Elle se lève.
Le Général, lui tendant son bras.

Si vous le voulez, nous allons aller à la recherche de la future !

La Duchesse.

Volontiers !

Le Général.

Vous, le fiancé ! attendez là ! je vous envoie votre fiancée !… Je crois qu’elle vous ménage une petite surprise !… Je ne vous dis que ça ! eh ! eh !

Corignon (3).

Vraiment, mon général ?

Le Général (2).

Je ne vous dis que ça ! (À la duchesse.) Duchesse ! En avant,… arche !

Il sort de gauche avec la duchesse.
Corignon, maussade et tout en décrochant de la bélière, son sabre qu’il dépose contre la console de droite, après y avoir posé son képi.

Une petite surprise ! une paire de pantoufles brodées par elle ! quelque chose comme ça (Descendant avant-scène droite.) Ah ! ce mariage ! Vrai, j’aurais mieux fait de ne pas revoir la Môme avant-hier ! (Apercevant Clémentine qui arrive par la terrasse, côté gauche, en courant, et s’arrête, hésitante, au moment de franchir la baie du milieu.) Ah ! la voilà ! (Tout en allant à elle.) Je vous attendais avec impatience, ma chère fiancée !

En lui baisant galamment la main il la fait descendre plus en scène.
Clémentine (1), avec hésitation, puis brusquement.

Ah ! le… Ah ! le voilà le gros Coco !

Corignon (2), qui avant les lèvres sur sa main, se redressant et reculant, ahuri.

Hein !

Clémentine, toute confuse de son audace, baisse les yeux, puis se reprenant.

Où c’ t’y qu’il était donc, qu’il arrive si tard ?

Corignon, n’en croyant pas ses oreilles.

Ah ! mon Dieu !

Clémentine, qui est allée prendre de la main droite la chaise qui est contre le piano et, tout en la posant plus en scène, tendant la main gauche à Corignon.

Venez là !… (Elle lui prend la main.) qu’on vous regarde ! (Sans lâcher la main de Corignon, qui la regarde hébété et se laisse conduire, elle s’est assise sur la chaise. Brusquement, tirant à elle Corignon qui tombe assis sur ses genoux, elle face au public, lui dos côté cour.) Ouh ! le petit Ziriguy à sa Titine !

Corignon, rejetant le corps en arrière.

Ah ! Mon Dieu !

Clémentine, le ramenant à elle et le tenant de la main gauche par l’épaule, de la main droite par les genoux.

Ouh ! ma choute !

Elle l’embrasse dans le cou, près de l’oreille.
Corignon.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !

Clémentine.

Oh ! qu’il aimait donc bien qu’on le bécotte à son coucou, le gros pépère !

Nouveau baiser dans le cou.
Corignon, se dégageant et gagnant l’extrême droite.

Mon Dieu ! ces mots résonnent à mon oreille comme un refrain déjà entendu !

Clémentine, se levant et gagnant un peu à gauche.

Eh bien ! je crois qu’on est à la coule, hein ?… (Se retournant et enjambant gauchement la chaise qu’elle vient de quitter.) Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !…

Corignon (2), à part, de plus en plus décontenancé.

« Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !… » Ah çà ! suis-je fou ? Ai-je des hallucinations ? C’est comme un écho de la môme Crevette !… (À Clémentine.) Clémentine ! est-ce vous ? Est-ce vous qui me parlez de la sorte ?

Clémentine, tout en allant à Corignon.

Ah ! Ah ! Ça vous la coupe, ça, eh ?… bidon !

Corignon.

Est-ce possible ? vous la pensionnaire naïve ? Qui vous a transformée de la sorte ?

Clémentine, qui est tout près de Corignon, pivotant sur elle-même en manière de minauderie.

Ah ! voilà !… c’est ma cousine ! (Grâce à ce jeu de scène, apercevant la môme Crevette qui a paru quelques secondes avant et s’est arrêtée dans l’encadrement de la baie pour écouter les propos des deux fiancés.) ma cousine Petypon… que je vous présente !

Corignon (3), sursautant d’ahurissement.

La môme Crevette !

La Môme, descendant no 1.

Eh bien ! mon cousin ?… Êtes-vous content de mon élève ?

Corignon (3), en oubliant de dissimuler sa stupéfaction.

Vous !… Vous ici !

Clémentine (2).

Tiens, vous vous connaissez ?

Corignon, étourdiment.

Oui ! (Vivement.) Non ! (Un temps.) C’est-à-dire…

La Môme, avec un sérieux comique.

On s’est rencontré chez le photographe !

Corignon, prenant Clémentine par la main et tout en la conduisant vers le fond.

Je vous en prie, ma chère fiancée, laissez-nous un moment ! il faut que je parle à… à votre cousine.

Clémentine, au seuil de la baie du fond.

Oh ! allez-y !

Corignon.

Merci !

Clémentine, faisant un rond de jambe au moment où Corignon lui quitte la main.

Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !

Corignon, avec découragement.

Oh !

Clémentine, à part, au moment de s’en aller.

Je crois qu’il doit être content de ma transformation !

Elle se sauve terrasse côté jardin.
Corignon, attend que Clémentine se soit éloignée, puis descendant carrément à la Môme qui, pendant ce qui précède, est descendue, et la tournant brusquement face à lui.

Qu’est-ce que tu fais là ?

La Môme (2), sans se déconcerter.

Eh ! ben, et toi ?

Corignon (1).

Moi ! moi !… Il ne s’agit pas de moi !… Est-ce que c’est ta place ici ? dans une famille honnête !…

La Môme, avec une moue comique.

T’es encore poli, toi ! Ça m’amusait d’assister à ton mariage ! (Bien sous le nez de Corignon.) Après tout, quoi ? tu es venu rejoindre ta fiancée ? Moi, je suis venue accompagner mon amant !

Corignon, rageur, frappant du pied.

Ah !… tais-toi !

Il dégage légèrement à gauche.
La Môme, se rapprochant de lui, et les yeux dans les yeux.

Qu’est-ce que ça te fait ?… tu n’es pas jaloux, je suppose ?

Corignon.

Jaloux ? Ah ! ah ! Certainement non, je ne suis pas jaloux ! Mais, enfin… je t’ai aimée ; et rien que pour ça, si tu avais un peu de délicatesse !…

La Môme, sous son nez.

J’ai pas de délicatesse, moi ! J’ai pas de délicatesse !

Corignon, même jeu.

Non, t’as pas de délicatesse ! Non, t’as pas de délicatesse !

Il lui tourne à moitié le dos.
La Môme.

Ah ben ! celle-là !… (Retournant Corignon face à elle.) Dis donc ! est-ce que je t’en ai jamais parlé, de mes amants, tant que tu étais avec moi, hein ?… (Se détachant un peu à droite.) Mais aujourd’hui que tu ne m’aimes plus !…

Corignon, sur un ton maussade, et les yeux fixés sur son doigt qu’il promène sur le dossier de la chaise.

Ah ! je ne t’aime plus… je ne t’aime plus !… Je n’en sais rien, si je ne t’aime plus !…

La Môme, retournant le couteau dans la plaie.

Puisque tu te maries !

Corignon, se retournant, rageur, en frappant du pied.

Ah ! et puis ne m’embête pas avec mon mariage ! (Il remonte.) C’est vrai, ça ! plus j’en approche et plus je recule !…

La Môme, le dos à demi tourné à Corignon, malicieusement et en sourdine.

Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !

Corignon, brusquement, descendant vers la Môme et la faisant virevolter face à lui.

Écoute ! Te sens-tu encore capable de m’aimer ?

La Môme, avec une moue comique, les yeux baissés.

On pourrait !

Corignon (1), lui prenant les deux mains.

Vrai ? Eh ! bien, dis un mot ! dis ! et j’envoie tout promener !

La Môme (2), retirant ses mains, d’un petit air sainte nitouche.

Oh ! tu ne voudrais pas faire une crasse à cette petite !

Corignon, haussant les épaules en remontant vers le fond.

Ah ! si tu crois qu’elle m’aime ! (La main dans la direction par laquelle Clémentine est sortie, et comme s’il l’indiquait.) Elle m’épouse comme elle en épouserait un autre !… parce que son oncle lui a dit !

La Môme, bien catégorique.

Ça… c’est vrai.

Corignon, ahuri, se retourne à blanc, puis.

Comment le sais-tu ?

La Môme, avec un sourire très aimable.

Elle me l’a dit.

Corignon, vexé.

C’est charmant !

Il redescend.
La Môme.

Je lui ai demandé si elle avait de l’amour pour toi, elle m’a répondu : (L’imitant.) « Mais non ! l’amour ne doit exister que dans le mariage ! Et comme je ne suis pas encore mariée !… Eh ! allez donc ! c’est pas mon père ! »

Corignon.

Est-elle bête !

La Môme, avec une petite inclination de la tête.

Ah ben !… tu es bien le premier mari qui aura reproché de pareils principes à sa femme !

Corignon.

Non, je te demande : quel bonheur peut-on espérer d’un mariage où il n’entre d’amour ni d’un côté ni de l’autre ?…

La Môme.

Le fait est !…

Corignon, la reprenant par les deux mains.

N’est-elle pas plus morale, l’union libre de deux amants qui s’aiment, que l’union légitime de deux êtres sans amour ?

La Môme, courbant la tête contre la poitrine de Corignon et avec un ton d’humilité comique.

Mon passé est là pour te répondre !

Corignon, avec transport.

Va ! Va ! Nous pouvons encore être heureux ensemble ! Ne réfléchissons pas ! ne discutons pas ! laissons-nous aller à l’élan qui nous pousse l’un vers l’autre ! veux-tu encore être à moi ?

La Môme, lui campant ses deux mains sur les épaules.

Tu veux ?

Corignon.

Oui, je veux ! Oui, je veux !… Et tu me seras fidèle ?

La Môme, se dérobant comiquement.

Ah ! et pis quoi ?

Corignon, lui rattrapant les mains.

Si ! si ! tu me seras fidèle ! partons, veux-tu ? Je t’enlève ! partons !

La Môme.

Eh ben ! soit !

Corignon, radieux, lui lâchant les mains.

Ah !

La Môme.

Je passe une mante ! je mets une dentelle sur ma tête… et nous filons !

Elle remontre vers le fond.
Corignon (1), qui est remonté parallèlement à la Môme.

C’est ça ! C’est ça ! (S’arrêtant ainsi que la Môme sur le seuil de la baie.) Moi, j’écris un mot au général, pour lui rendre sa parole !

La Môme.

Et moi, je fais dire à Petypon de me renvoyer mes malles !

Corignon.

Où y a-t-il de quoi écrire ?

La Môme, indiquant la porte de droite premier plan.

Par là ! (S’élançant d’un bond dans les bras de Corignon qui l’enlève dans ses bras et lui ceinturant la taille de ses jambes.) Ouh ! le petit Ziriguy à sa Mômôme !

Corignon, pivotant sur lui-même de façon à déposer la Môme à terre numéro 1.

À la bonne heure ! avec toi, ça sonne juste ! Chez la petite, ç’avait l’air d’une tradition dans la bouche d’une doublure !

La Môme (1).

À tout à l’heure !…

Corignon.

À tout à l’heure !

La Môme, se retournant au moment de sortir et avec un rond de jambe.

Eh ! allez donc, c’est pas mon père !

Elle sort par la porte de gauche.
Corignon, descendant vers la pointe du piano.

Ah ! ma foi, c’est le ciel qui le veut ! il ne m’aurait pas envoyé la tentation pour que j’y résiste ! Il doit me connaître assez pour ça. (Tout en parlant, il est allé prendre machinalement le képi du général qui est posé la visière en l’air sur le piano, s’en coiffe et fait volte-face dans la direction de la porte de droite ! À peine a-t-il fait quelques pas, qu’il a la sensation que le képi est bien large pour lui ; il agite sa tête ; pour s’en assurer, puis, édifié, retire le képi, fait « Oh ! » en constatant son erreur, va respectueusement reposer le képi à sa place, mais cette fois bord et visière en bas, recule de deux pas ; réunit les talons, salue militairement, fait demi-tour, remonte à la console, prend son képi dont il se coiffe et gagne vers la porte de droite, tout en raccrochant son sabre à sa bélière. Au moment où il s’apprête à sortir, il va donner dans Gabrielle qui, affolée, fait irruption par la porte de droite.) Oh ! pardon, madame !

Gabrielle, s’accrochant désespérément à lui en le tenant par un des boutons de sa tunique, et le forçant ainsi à reculer.

Oh ! monsieur ! par quelle émotion je viens de passer !

Corignon.

Ah ! vraiment, madame ? Je vous demande pardon, c’est que !…

Il fait un pas de côté vers le lointain dans l’espoir de gagner la porte.
Gabrielle, qui a exécuté en même temps le même mouvement que lui et continue ainsi à lui barrer la sortie.

Figurez-vous, monsieur ! j’étais entrée dans ma chambre en fermant simplement ma porte sans toucher à la serrure…

Corignon, n’ayant d’autre objectif que la porte, mais ne sachant s’il doit passer à droite ou à gauche de madame Petypon qui contrarie toujours ses mouvements.

Oui, madame, oui ! c’est que !…

Gabrielle, sans lui laisser le temps de placer un mot.

Et quand j’ai voulu sortir, monsieur, elle était fermée à double tour !

Corignon, passant (2).

Oui, madame ! oui !…

Gabrielle, le rattrapant au passage par le bras droit, sans cesser de parler.

La clef avait tourné toute seule ! et voilà une demi-heure que je crie sans que personne entende ! (Lui lâchant le bras.) Enfin, heureusement, tout à l’heure…

Corignon, lui coupant nettement la parole et avec le salut militaire, les pieds, réunis, — la phrase bien scandée en trois fractions.

Madame ! J’ai bien l’honneur de vous saluer.

Il fait demi-tour et sort militairement du pied gauche, laissant Gabrielle bouche bée.
Gabrielle, après un temps, au public.

Ça n’a pas l’air de l’intéresser, ce que je lui dis là !… (Descendant milieu de la scène.) Ah ! le général a beau dire que les revenants n’existent pas !… c’est égal, il y a de ces mystères !… Allons, ne nous mettons pas martel en tête !… Qu’est-ce que je suis venue chercher ?… Ah ! oui ! les clefs de mes malles… (Elle va jusqu’à la pointe du piano et cherche sur la caisse.) Eh ben ?… Ma sacoche ?… Je l’avais posée là sur le piano !… Elle est peut-être tombée !…

Appuyée du bras droit sur le piano, côté public, elle se baisse complètement pour chercher sous l’instrument ; sa croupe seule émerge de la pointe du piano.

Scène X

GABRIELLE, PETYPON, puis ÉMILE,
puis Toute la Farandole, puis LE GÉNÉRAL.
Petypon (1), arrivant par le côté gauche de la terrasse, entrant première baie et descendant en scène tout en parlant.

Ah ! quelle soirée, mon Dieu ! quelle soirée ! (Se trouvant, nous ne dirons pas nez à nez, mais c’est tout comme, avec la croupe débordante de sa femme.) Nom d’un chien ! on l’a relâchée !

Il saute sur le bouton de l’électricité, à gauche de la console, le tourne et la lumière s’éteint partout.
Gabrielle[28], faisant un bond en arrière.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Petypon, à part.

Filons ! (Il s’élance pour s’éclipser par la terrasse extrême gauche, mais s’arrête brusquement et fait volte-face en se voyant en pleine lumière de la lune.) Oh ! sapristi, la lune !

Il réintègre le salon en se baissant.
Gabrielle, qui a gagné le milieu de la scène.

Ah ! mon Dieu ! je n’y vois plus clair ! Que signifient ces ténèbres qui soudain m’environnent ?

Petypon, à mi-voix.

Derrière le piano, en me baissant, on ne me verra pas !

Il se dirige à pas de loup, en longeant le mur, dans la direction du clavier du piano.
Gabrielle.

Ah ! suis-je sotte !… c’est un plomb de l’électricité qui aura fondu !… Il n’y a pas de quoi s’alarmer. (S’armant de courage, elle se dirige vers le piano. À ce moment, Petypon trébuche dans le tabouret de piano qu’il n’a pas vu et, en cherchant à se rattraper, applique quatre accords violents sur le piano. Gabrielle, bondissant en arrière en poussant un cri strident.) Ah !

Petypon, à part.

Oh ! maudit tabouret !

Il se dissimule derrière le piano en s’accroupissant, de façon à ce que sa tête, soit au niveau du clavier.
Gabrielle, au milieu de la scène, terrifiée, et d’une voix tremblante.

Qui… qui est là ?… (Silence de Petypon.) Au piano, qui est là ?… Personne ne répond ?… J’ai bien entendu, cependant !… (Se faisant violence.) Allons ! voyons ! voyons, Gabrielle ! (Avec décision, elle reprend le chemin du piano. Ce que voyant, Petypon toujours accroupi, lève ses deux mains au-dessus de sa tête et applique à nouveau deux ou trois coups de poing sur le clavier. Gabrielle, bondissant en arrière.) Ah !… (Petypon, voyant que son truc a réussi, se met, toujours à croupetons, à jouer l’air « des côtelettes » sur le piano.) Dieu ! le piano qui joue tout seul ! Le piano est hanté ! (Elle se sauve éperdue, et se précipite dans la pièce de droite. Elle n’a pas plus tôt disparu que, dans cette même pièce, on entend pousser un grand cri d’effroi, et Gabrielle reparaît affolée, reculant, les mains en avant, comme pour se protéger, devant l’apparition blanche qui s’avance sur elle. Les bras tendus, la tête courbée, en poussant des petits cris d’effroi, elle vient, par un mouvement arrondi, s’affaler à genoux devant le trou du souffleur, tandis qu’Émile paraît à la porte de droite, portant, à hauteur de sa propre taille et bien face au public, un mannequin d’osier revêtu de la robe de mariée à longue traîne de satin qui le dissimule complètement et qui au rayon de lune semble un gigantesque revenant. Émile, sans même se rendre compte de l’émoi qu’il cause, traverse la scène et sort de gauche deuxième plan, cependant que toute la théorie des farandoleurs, qui a fait le tour du parc et dont on entend depuis un moment les chants éloignés à la cantonade droite, fait irruption en scène, toujours dansant, et remplaçant la musique absente par des « tatatata tatatata », sur l’air de la farandole du départ. Elle pénètre par la baie du milieu, descend jusqu’à droite de madame Petypon qui crie : Grâce ! Grâce ! décrit un demi-cercle au-dessus d’elle, de façon à ce qu’elle soit toujours visible du spectateur, puis, faisant un crochet, remonte vers le fond gauche et, comme le vent, franchit la baie du milieu pour disparaître. Gabrielle, côté jardin, pendant tout ce jeu de scène.) Grâce ! Grâce ! messieurs les revenants !

À peine le dernier farandoleur a-t-il franchi la baie que Petypon bondit vers la cloche, en prend la gaine et, s’élançant vers sa femme toujours à genoux, lui couvre la tête avec. Celle-ci, en recevant la gaine, pousse un petit cri de détresse.
Petypon (1), de la main gauche maintenant la gaine sur la tête de sa femme, de l’autre main se faisant un écran auprès de sa bouche afin d’éloigner sa voix.

Gabrielle ! Gabrielle ! je suis ton bon ange ! Écoute ma voix et suis mes conseils !

Gabrielle (2), à genoux.

L’ange Gabriel !

Petypon, même jeu.

Sous cette égide dont je couvre tes épaules, tu peux braver la malignité des esprits ! Mais, pour éviter un malheur, quitte à l’instant ce château ensorcelé !… Emporte ta malle ! et pars sans regarder en arrière !

Gabrielle.

Oh ! merci, mon bon ange !

Petypon.

Va !… et remercie le ciel !

Il relève sa femme et, sans changer de numéro, la dirige vers le fond, elle, la tête toujours recouverte de la gaine.
Voix du Général, cantonade gauche.

Eh ! bien, oui, bon ! Quoi ! c’est bon ! Je vais voir.

Petypon, pivotant sur les talons à la voix du général et courant se cacher à gauche du piano, derrière lequel il s’accroupit.

Sapristi ! le général !

Le Général, arrivant par la première baie gauche.

Eh ben ?… Qu’est-ce qui a éteint l’électricité, donc ? (Il tourne le bouton électrique qui rend la lumière partout. Apercevant Gabrielle qui, sous sa gaine, semble jouer toute seule à colin-maillard au milieu de la scène.) Qu’est-ce que c’est que ça ? (Reconnaissant Gabrielle à sa tournure.) Hein ! encore la folle ! (À Gabrielle.) Ah çà ! qu’est-ce que vous faites là-dessous, vous ?

En ce disant, il veut lui enlever la gaine qu’il a saisie par le pompon ou l’anneau du sommet.
Gabrielle, défendant sa gaine en la maintenant des deux mains par le bord.

Laissez-moi ! laissez-moi !

Le Général, tirant à lui par le pompon.

Mais, jamais de la vie !

Gabrielle, retirant à elle par les bords.

Laissez-moi !

Le Général, même jeu.

Mais non ! Mais non ! Elle emporte ma gaine, à présent ! Voulez-vous me rendre ça ?

Gabrielle, qui d’une volte du corps est passée no 1 par rapport au général (2), ceci sans lâcher la gaine ni l’un ni l’autre.

Non !… c’est l’ange Gabriel qui me l’a mise sur la tête ! C’est l’ange Gabriel qui me l’a mise sur la tête !

Elle se sauve par la gauche de la terrasse, avec le général à ses trousses.
Petypon, sortant de sa cachette et traversant toute l’avant-scène jusqu’à l’extrême-droite.

Enfin ! j’en suis débarrassé ! Mon Dieu ! je n’ai plus qu’un précipice au lieu de deux ! Sauvez-moi du second !

Pendant cette dernière phrase on a vu arriver de droite sur la terrasse, Mongicourt, qui s’avance ainsi un peu plus loin que la baie du milieu, semblant chercher des yeux dans le parc. À ce moment, en se retournant, il aperçoit Petypon.

Scène XI

PETYPON, MONGICOURT.
Mongicourt, descendant, essoufflé, par la baie du milieu, après avoir aperçu Petypon.

Ah ! te voilà !

Petypon (2).

Hein ! toi ici ?

Mongicourt (1).

Dieu soit loué ! J’arrive à temps ! Ah ! mon cher ! Je viens de faire deux cent cinquante kilomètres… — je ne le regrette pas ! — pour t’avertir qu’un grand danger te menace !

Petypon (2), courbant l’échine, sur un ton épuisé.

Allons, bon ! qu’est-ce que c’est encore ? Parle ! Je suis prêt à tout.

Mongicourt, ménageant bien son coup de théâtre.

Ta femme… est ici !

Il gagne la gauche comme soulagé d’une mission pénible.
Petypon, relève la tête, le regarde d’un air ahuri, puis.

Oh ! que c’est bête de me faire des peurs comme ça !

Mongicourt, n’en croyant pas ses oreilles.

Hein ?

Petypon.

Non, vrai, si c’est pour ça, tu aurais aussi bien fait de ne pas te déranger !

Mongicourt, revenant à Petypon.

Comment ! tu le savais ?

Petypon.

Mais, voilà une heure qu’elle est ici ! Ce que j’ai eu de la peine à m’en débarrasser !

Mongicourt.

J’en ai eu le pressentiment ! C’est fait, alors ? Ah ! tant mieux !… (S’épongeant le front avec un mouchoir.) Mais, n’est-ce pas, je ne savais pas, moi ! Quand j’ai appris que ta femme partait, je me suis dit : « Il faut que j’aille prévenir Petypon ! » J’ai couru à la gare ; j’ai demandé à quelle heure le premier train ; j’ai sauté dedans, en me disant : « Ça y est. J’arriverai avant elle ! » Malheureusement, je n’ai pas réfléchi que le premier train était un omnibus, tandis que le second était un express ; de sorte que c’est le second qui arrivait le premier ! Comme dans l’Évangile : « les premiers seront les derniers ! »

Petypon.

Ah ! non ! pas de mots, hein ? je t’en prie !

Mongicourt.

Enfin, puisque tout s’est bien passé !…

Petypon.

Comment, « tout s’est bien passé ! » Et la Môme que tu oublies ! qui fait pataquès sur pataquès ! Ah ! il n’y a que toi qui puisses me tirer de là ! Va trouver le général ; dis-lui que tu es venu me chercher pour une opération qui ne souffre aucun retard ! J’invoque l’urgence ; j’emmène la Môme ; et pour le reste, je m’en charge ! (Le poussant vers le fond.) Va ! va !… et tu me sauves !

Mongicourt, se laissant conduire.

Entendu ! Où est le général !

Petypon, sur le seuil de la baie du milieu.

Par là ! Dans le jardin ! avec ses invités !

Mongicourt.

J’y cours ! (Au moment de s’en aller.) Ah ! tu avais bien besoin de te mettre dans ce pétrin-là !

Il sort rapidement terrasse côté jardin.

Scène XII

PETYPON, puis CORIGNON, LA MÔME.
Corignon, l’air affairé, arrive de droite premier plan ; il tient une lettre à la main.

Voyons ! il n’y a pas un valet de pied pour faire porter ma lettre ?

Petypon (1), descendant.

Monsieur Corignon !

Corignon (2).

Monsieur Petypon ?

Petypon, comme Mongicourt précédemment.

Ah ! monsieur, que je vous avertisse ! je crois que c’est mon devoir : la Môme… est ici !

Corignon, souriant.

Allons donc !

Petypon.

Comme je vous le dis !

Corignon.

Eh bien ! mon Dieu ! grand bien lui fasse.

Petypon.

Et çà ne vous effraie pas ?… Ah ! Dieu !… je voudrais la voir à cent lieues d’ici, moi !

Corignon, sur un ton énigmatique.

Le ciel vous fera peut-être cette surprise !

Petypon.

Le ciel vous entende !

Corignon, remontant, en cherchant des yeux.

Mais je vous demande pardon, je suis un peu pressé… (Redescendant.) Oh ben ! puisque vous êtes là ! voulez-vous me rendre un petit service ?

Petypon.

Moi !

Corignon.

Je suis obligé de partir brusquement voulez-vous remettre cette lettre au général quand vous le verrez ?

Petypon (2), prenant la lettre et redescendant extrême droite.

Très volontiers !

Corignon (1).

Merci ! (Apercevant la Môme qui paraît, porte gauche, enveloppée dans une mante, la figure couverte d’un voile de dentelle. — S’élançant vers elle et à mi-voix.) Ah ! vous voilà ! partons !

Il lui offre le bras droit.
La Môme, reconnaissant Petypon qui à ce moment se retourne de son côté.

Sapristi, Petypon ! (Elle se courbe comme une petite vieille et prenant le bras de Corignon, d’une voix tremblotante.) Au revoir, monsieur !

Petypon, s’inclinant.

Au revoir, madame ! (À part, pendant qu’ils sortent par la terrasse, côté cour.) Sa grand’mère, sans doute !


Scène XIII

PETYPON, LE GÉNÉRAL, puis ÉMILE.
Petypon.

Quelle drôle d’idée d’écrire au général puisqu’il est chez lui ! Enfin, ça le regarde !

Le Général (1), venant de la terrasse et entrant par la première baie. Il tient à la main la gainé qu’il repose en passant sur la cloche.

C’est étonnant !… Tu n’as pas vu Corignon ? Je ne peux pas mettre la main dessus.

Petypon (2).

Mais, si fait ! (Déclamant.) Voici même une lettre, qu’entre vos mains, mon oncle, il m’a dit de remettre !

Il remet la lettre et, discrètement, s’écarte un peu à droite.
Le Général, décachetant la lettre.

À moi ? quelle drôle d’idée ?… (Après avoir parcouru la lettre des yeux.) Oh !

Petypon.

Quoi ?

Le Général.

Mille tonnerres !

Petypon.

Qu’est-ce qu’il y a ?

Le Général[29], s’emportant.

Le polisson ! Il me rend sa parole et m’écrit qu’il part avec sa maîtresse !… Nom d’un chien ! Ah ! il croit que parce qu’il est mon filleul… Eh bien ! je lui ferai voir !… (Remontant et appelant en voyant Émile qui, venant du fond droit, est en train de traverser la terrasse.) Émile !

Émile, faisant immédiatement demi-tour à l’appel de son nom et accourant par la première baie côté jardin, pour s’arrêter dans l’encadrement de la baie centrale.

Mon général ?

Le Général.

Vous n’avez pas vu le lieutenant Corignon ?

Émile (1).

Si, mon général ! il montait en voiture avec madame Petypon.

Petypon (3).

Hein ?…

Le Général (2), bondissant.

Qu’est-ce que vous dites ?… avec madame Petypon ?… Corignon ?… (Brusquement, faisant pirouetter Émile par les épaules et l’envoyant baller d’une tape du plat de la main.) C’est bien ! allez ! (Redescendant vivement, à Petypon, tandis qu’Émile se sauve par la porte de gauche.) Tu as entendu ? Il a enlevé ta femme !

Petypon, a un sursaut des épaules, puis, joignant les mains, dans un transport de joie.

C’est vrai ?

Le Général, avec un recul de surprise.

« C’est vrai ! » C’est tout ce que tu trouves à dire : « C’est vrai » ? V’là tout l’effet que ça te fait ?… (Volubile et énergique, en marchant sur Petypon.) Oh ! mais, ça ne se passera pas comme ça ! Si tu es philosophe, moi je ne le suis pas !… Tu portes mon nom ; et tu sauras qu’il n’y a jamais eu de cornards dans ma famille ! ce n’est pas toi qui commenceras ! (Il est remonté à grandes enjambées jusqu’à la porte de gauche, l’ouvrant d’un coup de poing et appelant.) Émile !

Émile, sortant de gauche deuxième plan.

Mon général ?

Le Général, qui est revenu dans le mouvement jusqu’à la console de gauche.

Vite ! préparez ma valise et celle de M. Petypon et descendez-les !

Il fait pirouetter Émile et l’envoie d’une poussée jusqu’à la porte de gauche par laquelle celui-ci disparaît.
Émile, tout en se sauvant.

Bien, mon général.

Petypon, au général qui revient à lui.

Mais pourquoi ?

Le Général, bondissant à la question de Petypon.

« Pourquoi ! » (Saisissant Petypon au collet et le secouant comme un prunier.) Tu penses que je vais les laisser filer sans que nous courions après ?… (L’envoyant no 1 près du piano.) Attends-moi ! (Tout en prenant son képi dont il se coiffe.) Je vais voir si par hasard ils n’ont pas encore eu le temps de partir. Et s’ils sont partis, je t’emmène et nous les rattraperons !

Tout en parlant il remonte au fond, et dans l’encadrement de la baie, il rencontre Gabrielle qui, après avoir fait le tour du parc, arrive de droite de la terrasse.
Gabrielle, toujours palpitante.

Ah ! général !…

Le Général, sans s’arrêter.

Oh ! vous, la folle, foutez-moi la paix !

Il sort terrasse côté cour.

Scène XIV

PETYPON, GABRIELLE, puis LE GÉNÉRAL, puis MONGICOURT.
Gabrielle, apercevant son mari.
Ah ! Lucien !
Petypon (1), descendant.

Nom d’un chien ! La v’là revenue !

Gabrielle (2), courant à lui.

Toi ! toi ici !

Petypon.

Oui ! Oui ! je t’expliquerai !…

Gabrielle, haletante.

Ah ! Lucien ! Lucien ! ne me quitte pas ! sauve-moi ! le château est possédé du démon !

Petypon, la poussant vers la sortie (terrasse baie du milieu.)

Ben oui ! Ben oui ! Calme-toi ! là ! nous allons partir ! va devant ! va devant ! (Arrivé à la baie, apercevant le général revenant côté droit terrasse.) Nom d’un chien ! le général !

Instinctivement, il donne à sa femme une dernière poussée qui l’envoie près du buffet, en même temps qu’il descend jusque devant le piano.
Le Général, descendant carrément.

Ça y est ! ils sont partis ! (À Petypon.) Lucien, madame Petypon est une drôlesse !

Gabrielle (3), bondissant.

Qu’est-ce qu’il a dit ? (Elle descend vers le général, le saisit par l’arrière-bras de façon à lui faire faire demi-tour face à elle et, prenant du champ, lui envoie un soufflet retentissant. Tiens !

Le Général (2), se cabrant au soufflet.

Mille tonnerres !

Petypon (1), comme s’il avait reçu le soufflet lui-même.

Oh !

Gabrielle, remontant.

Ah ! madame Petypon est une drôlesse !

Elle sort furieuse par la porte premier plan droit.
Le Général, traversant la scène et gagnant l’extrême droite.

Mort de ma vie ! C’est la première fois qu’une femme ose porter la main sur moi pour un pareil motif !

Mongicourt (2), qui a apparu à gauche sur la terrasse sur ces derniers mots, apercevant le général et descendant à lui, la bouche enfarinée.

Ah ! vous voilà, général ! Je vous cherchais !

Le Général (3).

Ah ! vous arrivez bien, monsieur !… vous êtes responsable des actes de votre femme : V’lan !

Il lui applique un soufflet retentissant qui l’envoie tomber sur la chaise près du piano.
Mongicourt, s’affalant sur la chaise.

Oh !

Le Général.

Je suis à vos ordres, monsieur ! (À Petypon, tout en remontant vers la terrasse d’un pas accéléré.) Viens, toi ! courons après eux !

Petypon, passant dans un mouvement arrondi devant Mongicourt pour courir à la suite du général. À Mongicourt, tout en passant.

Oh ! ça se gâte !… ça se gâte !…


Il sort vivement, tandis que Mongicourt reste à se frotter la joue d’un air abruti.

Rideau.

  1. Pour la musique, chœur des enfants, le quadrille, la farandole, ainsi que pour la chanson de « Marmitte à Saint-Lazare », s’adresser à la maison d’édition G. Ondet, 83, faubourg Saint-Denis, Paris. Il est interdit de substituer une autre musique à celle-ci qui a été écrite spécialement pour la pièce.
  2. Pour la cloche et sa gaine s’adresser à la maison Bérard, 8, rue de la Michodière, Paris
  3. La Môme, au centre du groupe, devant le buffet. Autour d’elle, un peu au-dessus, mesdames Hautignol (1), Ponant (2), Virette (3) ; Claux (4), tout près du buffet. La baronne est à l’extrémité droite du buffet, de l’autre côté duquel est Émile et un valet servant des rafraichissements. Clémentine est un peu à l’écart, entre mesdames Hautignol et Ponant. Petypon est entre la bergère où est assise la duchesse et le buffet. On le sent sur le qui-vive.
  4. À modifier au fur et à mesure des transformations des modes.
  5. Même observation.
  6. Tout ce dialogue est à modifier au fur et à mesure de la transformation des modes et en tenant compte de la toilette adoptée par l'artiste jouant la Môme. Bien entendu ce sont les toilettes dont certaines dames se plaignent qui seront précisément à la mode du moment, alors que celle qu’elles envient à la Môme sera de pure excentricité.
  7. Madame Ponant (1), madame Hautignol (2), madame Claux (3), madame Virette (4) devant le piano. Guérissac, Chamerot, la baronne au fond près du buffet. Petypon, la Môme, Clémentine près du buffet côté droit. Général assis face duchesse, près abbé.
  8. Tout le récit de madame Claux devra, chaque fois qu'on reprendra la pièce, être modifié, en tenant compte de la transformation des modes comme aussi de la toilette adoptée par l’artiste jouant la Môme.
  9. Le général (3), madame Vidauban (1), Vidauban (2) au-dessus.
  10. Devant le buffet, premier plan, la Môme, au-dessus le général, au-dessus Petypon face à la Môme, à gauche madame Vidauban, au-dessus Vidauban.
  11. Mesdames Hautignol (1) et Ponant (2) viennent s'asseoir sur les chaises près du piano, Virette et Claux se tiennent debout au-dessus du piano. Chamerot au coin du clavier (côté lointain) cause avec ces dernières, tandis que Guérissac, devant le clavier côté public, bavarde avec les premières.
  12. Le Sous-Préfet (1) et Madame Sauvarel (2) au milieu de la scène. Devant le buffet Clémentine (1), le Général (2), la Môme (3), Petypon (4).
  13. Pour les théâtres qui n’auraient pas de plafond peint pour leur décor, remplacer le plafond par un tableau, ou alors remplacer le texte par le suivant : « Oh ! ici, il n’y a rien. Mais dans la salle à côté, j’ai un plafond de Fragonard. — Ah ! mes compliments. De quelle époque ? », etc.
  14. À ce moment Guérissac, qui causait, assis avec le groupe de dames, Virette, Sauvarel, Ponant, se lève, offre son bras à madame Virette, tandis que de la main gauche, tout en causant, il écarte sa chaise qui gênait le passage, et la place ainsi au milieu de la scène ; puis toujours avec madame Virette à son bras, remonte jusqu’au buffet.
  15. Guérissac redescend du buffet avec madame Virette, la reconduit à sa place, puis remonte près de Chamerot, au-dessus du piano.
  16. Mesdames Hautignol et Ponant se lèvent et, tout en bavardant, se dirigent vers le buffet.
  17. À gauche, le long du côté droit du piano, Mesdames Claux (1), Ponant (2), la Baronne (3), Mesdames Vidauban (4), Hautignol (5). Au milieu, Chamerot (1), Guérissac (2), général (3). Près du buffet, l'abbé, Madame Sauvarel, Vidauban.
  18. Mesdames Claux (1) et Chamerot (2), extrême gauche ; Guérissac (3), appuyé contre la partie cintrée du piano ; madame Hautignol (4), assise, ainsi que madame Ponant (5), madame Virette (6), madame Sauvarel (7) ; Gabrielle (8), derrière la chaise du milieu ; Général (9), à droite assis ; madame Vidauban (10), Vidauban (11), Duchesse (12) ; au fond, au-dessus piano : l'abbé, le sous-préfet ; à droite au buffet : la baronne, invités, Émile.
  19. Gabrielle (3) au milieu de la scène, Émile (2), le général (1) près des dames de gauche.
  20. M. Tournoy (1), madame Tournoy (2), Galos, contre console droite (3), le général (4).
  21. Clémentine va s'asseoir auprès de madame Vidauban qui cause avec la duchesse.
  22. M. et madame Sauvarel remontent sur la terrasse où sont déjà quelques invités.
  23. La Môme (1) et Petypon (2) devant la caisse du piano. Au-dessus du piano, le duc (3). À droite du piano, le général (4), l’abbé (5). À droite de la scène, près du buffet, les invités hommes et femmes. Avant-scène droite, madame Vidauban, debout, causant avec la duchesse assise sur la bergère.
  24. Note de l’auteur. — Ayant remarqué que beaucoup d’interprètes ont tendance à chanter la romance ci-dessus bien plus face au public que face aux invités, je leur ferai observer qu’en ce faisant elles commettent un véritable non sens au détriment de la situation. La Môme, à ce moment, est censée chanter pour les invités du général, donc elle doit leur faire face et ne pas descendre à l’avant-scène comme le bon sens l’indique. Je compte sur les artistes qui interpréteront ce rôle pour prendre en considération cette observation. Lorsque j’aurai affaire à une cabotine, bien entendu, je l’autorise à agir au mieux de ses intérêts.
  25. Prononcer « meuchant ».
  26. Prononcer : « Deuxiè… meustrophe ! »
  27. Pendant la scène qui suit des groupes se forment au fond et on se prépare à danser. Toutes les chaises, aussitôt la fin de la romance ont d'ailleurs été enlevées et rangées contre la balustrade de la terrasse par les domestiques, aidés par quelques invités. Il ne reste en scène que la bergère et une chaise dans le cintre du piano, indépendemment de la chaise sur laquelle est assis Petypon, avant-scène gauche, et de la chaise de la Môme près du tabouret du piano.
  28. La scène est dans l’obscurité. Seule la terrasse est éclairée par un rayon de lune qui doit être dirigé de telle sorte qu’il vienne frapper la porte de droite premier plan. Éteindre les portants qui éclairent la découverte côté cour, de façon à avoir la nuit en coulisse quand on ouvre la porte de droite.
  29. Toute cette scène, ainsi que la scène finale, doit être jouée par le général dans un mouvement d’enfer et sur un diapason à tout casser.