La Défense de Paris

Anonyme
Revue rétrospectivecinquième semestre (p. 280-284).

Complainte sur le siège de Paris (1871)[1]


Non, jamais, sur cette terre,
on ne vit, en vérité,
pareille calamité
ni plus affreuse misère
que celle que l’on subit
sous le siège de Paris.

Paris ! cette ville aimable,
qui donc ose l’assiéger ?
serait-ce cet étranger
qu’avec un accueil affable
elle admettait dans son sein ?
Oui, c’est lui son assassin.



C’est d’accord avec l’infâme,
celui qui livra Sedan,
Bonaparte, ce tyran,
ce gredin sans cœur, sans âme,
que la Prusse avec ardeur
accomplit notre malheur.

Lors du fameux plébiscite,
sans tous ceux qu’ont voté oui,
on n’aurait pas aujourd’hui
cette guerre tant maudite :
Paris, qui n’y est pour rien,
à cette heure en souffre bien.

Que de chagrin, que de peine,
pour un moment d’abandon !
Si l’on avait voté non,
la France républicaine,
pour l’instant, ne serait pas
dans un si triste embarras.

Quand on pense que nous sommes
privés de relations,
de communications
avec le reste des hommes !
Du monde, pour nous, le bout
ne va pas même à St-Cloud !

Quand le ballon nous emporte,
dans tous les départements,
des lettres pour nos parents,
jamais il ne nous rapporte
les réponses, ce qui fait
qu’on en est très-inquiet.


Nous n’avons de leurs nouvelles
qu’au moyen de nos pigeons,
mais des Prussiens les faucons
les chassent à tire d’ailes :
sur dix il en revient deux ;
on le voit, c’est très-chanceux.

L’aspect de toutes nos rues
est lugubre, car, hélas !
on a supprimé le gaz,
même avant une heure indue,
et les magasins, le soir,
font vraiment du mal à voir.

D’ailleurs, toutes les boutiques
n’ont plus rien d’étalagé,
à part chez le boulanger.
C’est en vain que les pratiques
chercheraient quoi que ce soit ;
on n’a plus même de bois.

Car, dans cet horrible siège,
on est bien privé de tout,
mais de chauffage, surtout,
et, sur nos toits blancs de neige,
l’hiver en signe de deuil,
vient étendre son linceul.

Un jour, une pauvre mère,
privée de bois, de charbon,
attend la distribution
une journée tout entière :
dans ses bras, cruel effroi,
son enfant est mort de froid.


On a vu, dans les tranchées,
des soldats, de froid périr ;
ils préféreraient mourir
d’une mort plus recherchée,
vis-à-vis de l’ennemi,
en défendant le pays !

Et nos pauvres ménagères
attendent, en pataugeant,
souvent trois heures durant,
pour obtenir, d’ordinaire,
un pot au feu de cheval,
ce brave et noble animal,

C’est en pleurant qu’on le mange
et l’on en a pas toujours ;
il arrive bien des jours
que, par force, l’on s’arrange
d’un plat qui n’est pas très-gros
de riz cuit avec de l’eau.

Il est des êtres rapaces ;
j’en rougis, mais des marchands
exploitent les pauvres gens.
Jugez où va leur audace :
ils vendent un mauvais chou
jusqu’à des six francs dix sous.

On se nourrit d’épluchures,
de chats, de chiens et de rats ;
on vend des choses, au tas,
que l’on jetait aux ordures,
mais on s’en repaît, enfin,
pour ne pas mourir de faim.


Dans une pauvre mansarde,
située rue Desnoyers,
la femme vient d’expirer
et, seul, son mari la garde ;
quand, privé de tout secours,
de faim il meurt à son tour.

Et le matin, quand on rentre
de la garde du rempart,
des pommes de terre au lard
feraient tant de bien au ventre !
Mais ce légume est passé :
du moins, c’est pour les blessés.

Or, toutes les ambulances
que l’on a fait à grands frais
sont pleines, ou à peu près,
sans compter ceux que la France,
parmi ses enfants perdus,
ne reverra jamais plus.

Que de mères en alarmes
gémissent, en ce moment,
sur le sort de leurs enfants
qu’a trahis celui des armes,
morts sous le plomb meurtrier,
ou tout au moins prisonniers !

Moralité

Eh bien ! de tous ces ravages
nous souffrons sans murmurer ;
loin de nous désespérer,
ils augmentent nos courages :
on ne vaincra pas Paris,
tant que nous serons unis !

  1. Tirée d’un placard, imprimé sur quatre colonnes, qui se vendait dans Paris en février 1871. Elle est assez oubliée, aujourd’hui, pour mériter une place dans notre recueil. En haut du placard se trouve le nom de l’éditeur Matt. Au-dessous est représentée une porte de Paris gardée par la garde nationale. À droite un ballon s’élève.

    On lit ensuite, en gros caractères : Défense de Paris complainte et récit véridique des maux soufferts par la population parisienne pendant le siège.