La Découverte du style impudique des courtisanes de Normandie à celles de Paris


La descouverte du style impudicque des courtisannes de Normandie à celles de Paris, envoyée pour estrennes, de l’invention d’une courtisanne angloise.

1618



La descouverture du style impudique des courtisannes de Normandie à celles de Paris, envoyée pour estrennes, de l’invention d’une courtisanne angloise.
À Paris, chez Nicolas Alexandre, demourant rue Neuve-des-Mathurins. 1618.
In-8º.

Chères sœurs, puis que l’amour, ce clairvoyant aveugle, cet argus aveuglant qui, avec ses yeux bandez, se glisse insensiblement dans les ames des courtisannesques, étant charmé des traicts de nos perfidies inventées, de la poison de nos malices, desquelles, comme compatriotes, nous vous envoyons ce petit narré pour vous instruire en cas de nécessité, pour user des moyens qui vous seront très utiles pour cacher les infirmitez de celles de votre confrairie, pour attraper et abuser ceux qui ordinairement sont en vos quartiers, en cas qu’ils veulent être si valeureux champions que de vouloir combattre seul à seul soubz la cornette de Vénus, lequel style nous vous prions de recevoir pour vos agreables estreines, vous asseurant qu’usant d’iceluy, vous cognoistrez que cet enfant, cet insigne voleur, ce grand detrousseur des ames, ce brigand renommé quy s’enrichit des depouilles d’autruy et qui endommage indifferemment tout ce qu’il rencontre, fera voir, par ce moyen, vos charmantes faintises, lesquels, par les moyens cy-après specifiez, penseront avoir quelques belle nymphe amadriade, auront le plus souvent la mère des dieux : et pour ce faire, chères compaignes, vous serez adverties et advertirez celles à qui nature n’a tant donné de perfection, qu’il est necessaire pour jouer au reversis, et qui plus souvent, par faute d’intelligence, demeure cazanière, gratant les cendres à leur foyer ; c’est doncques à elles à qui ces preceptes pourront être utiles et necessaires ; est qui s’ensuit.

Premierement, celles qui, par faute de devotion, n’auront jeûné le caresme souvent, et qui auront la face grosse et grasse, ce qui est fort mal séant d’être comme des mamulères, elles y pourront obvier et se faire paroistre poupines1, moyennant qu’elles portent leurs fraises et collet plus grands et plus larges que d’ordinaire, et aussi leur coiffeure comme leur perrucque et moulle estroits ; et pour l’ornement d’icelles, il est nécessaire, si leurs propres cheveux ne sont ni beaux ni longs, elles auront recours aux fausses perruques2, lesquelles, etant bien agensées de roses de diverses couleurs et des plus voyantes, sans y oublier la poudre de Chypre3, qu’elles pourront y applicquer avec une houppe de soie qu’elles tiendront pour cet effet ordinairement dans leurs petites boites, et surtout que, si tant est qu’elles aient recours aux fausses perruques, comme il n’est pas que quelqu’une n’est fait quelque voyage au royaume de Suède4, et pourront avoir passé la forêt de la Pellade5, qu’elles applicquent ces susdicts cheveux revenant à leurs sourcils.

Item, celles qui auront le visage blanc de trop, ainsi que pasle, trop rouge ou trop triste, elles pourront, pour la blancheur, y appliquer le vermillon destrempé sur la rondeur de leurs joues ; et pour la rougeur, le blanc d’Espagne deslayé assez clairement, qu’elles appliqueront très doucement sur leurs visages, et sans y oublier la petite mouche6 noire sur leurs tempes et la plume orangé pastel, meslée avec vert naissant, et puis après voilà un cheval de louage.

Item, celles quy auront la bouche belle et coraline, il ne faut qu’elles portent leurs masques longs, ains courts et fort relevés, à icelle fin qu’elles paroissent et soient à la vue des regardans, et que par ce moyen leur fasse envie d’en desirer des baisers.

Item, celles quy ne l’auront belle et bien faite, et leurs lèvres pasles, il leur sera necessaire de porter leurs dicts masques tant soit peu plus longs et leurs mentonnières un peu largettes, nonobstant leurs masques un peu relevés, pour suivre l’usage qui se pratique de les porter de la façon.

Item, celles qui auront la gorge blanche et bien taillée et les tetons blancs et bien relevez, qu’elles se donnent bien de garde de mettre rien de leurs affutages au devant, qui empechent la vue des regardans, mais leur fassent souhaiter de s’en servir de coucinets.

Item, celles quy l’auront au contraire ci-dessus, qu’elles mettent de larges paremens à leurs collets et robbes, et n’en fassent paroistre que des eschantillons.

Item, celles qui auront une espaule plus grosse que l’autre et seront bossues, par le moyen d’un corps de cuirasse et force garnitures à leurs robbes les feront paroistre esgalles et cacheront cette imperfection.

Item, celles qui sont d’une grosse stature et grossière taille, portent d’amples et larges manches et de grands vertugadins, ou, pour bien dire, cache-bastards7, qui relèvent fort par derrière. Par iceluy moyen, on ne verra point cette desfectuosité.

Item, celles qui auront soufflé l’alquemie devant le siége de Soissons8, quy seront maigres et descharnées, il faut pour cela faire paroistre d’une assez bonne façon, portant leurs coiffeures fort estroictes, et leurs collets assez petits, et leurs robbes moderement garnies.

Item, celles qui seront boiteuses, il leur est necessaire de porter un soulier plus haut que l’autre.

Item, celles quy seront d’une petite stature, et quy seront restées de la race des pygmés, pourront estre en un instant, sans esternuer, ne leur dire que Dieu les croisse, se faire de la riche taille par le moyen d’un soulier d’un demy-pied de liége de haut, quy sera caché par leurs longues robbes, et par ainsy, où la nature a denié la bienseance, il est necessaire de la trouver par artifice.

De plus, il vous est necessaire, chères compatriotes, qu’outre la bienseance des habits il se faut estudier à former vos actions, affin que l’un corresponde à l’autre, et que par ce moyen vous puissiez parler sans dire mot ; et pour ce faire, vous employerez les yeux de quelque vieille matrone qui aura fait son cours en la phylosophie cyprienne, devant laquelle vous cheminerez, pour estre asseurées si votre allure est trop prompte, trop lente, trop affectée, trop niaise ou trop grave, afin de la former selon votre taille, votre air et votre naturel, pour ce qu’il faut laisser tousjours quelque chose de sa nature, qui veut avoir bonne grace.

Plus, pour votre dernier stile, pour voir ce que nous avons specifié vous estre convenable, vous aurez recours à un miroir pour y puiser vos secrets, et apprendrez par iceluy à regarder si votre visage est trop gay, trop triste, trop doux ou trop soucieux, et y reformerez et adjoutterez ce que vous y trouverez necessaire. Par ce moyen, vous instruirez vos yeux à donner des regards doux, et vos bouches à former en un instant des petits souris pour les accompagner, et apprendre à jeter de rudes œillades, et quelquefois de douces à ceux qu’il vous plaira ; et suivant ces instructions, nous sommes asseurées, chères compatriotes, que jamais l’ambre n’attirera tant à soy que vos feintises amoureuses attireront à vous autres ces pauvres malheureux errans. Voilà donc ce que pour le present, à ce nouvel an, nous vous pouvons envoyer, que nous vous prions de recevoir d’aussy bon cœur que nous sommes à tout jamais vos chères compatriotes et humbles servantes.

De Rouen, aux fauxbours de Soteville, fripant la crème, ce premier jour de l’an mil six cens dix huict.

Amy lecteur, l’une des copies de ce discours m’estant tombée entre les mains, j’ay estimé que je serois très ingrat si je ne le faisois voir au jour, pour servir d’avertissement à ceux qui sont tellement abandonnez à leurs appetits charnels, et quy le plus souvent se laissent aller aux charmes et faintises de ces bestes envenimées, quy ne s’estudient, comme il paroist par ces salles et impudiques discours, que pour attraper ceux quy par trop aiment leurs salles et deshonnestes plaisirs, et quy le plus souvent, par le moyen de ces canailles, perdent le corps et l’ame. C’est pourquoy je m’en estonne si Aristote disoit que nature a faict les femmes plus belles et tendres que les hommes ; aussi les a-t-elle faict plus fines, cauteleuses et malicieuses. Cela occasionna Codrus à dire que le ciel ne contenoit tant d’estoiles, ne la mer tant de poissons, que la femme couvoit de fraude et de malice dans son ame pleine de curiosité et de desirs. Chiron disoit qu’il estoit meilleur d’ensevelir une femme que de l’espouser. La femme chaste, pudique et vertueuse, se fait bien cognoistre et respecter sans mot dire.

La fille de joye porte preuve de son deshonneur en ses gestes et en sa contenance, disoit l’ancien tragique Eschylian, dans Athènes.

C’est le propre de la femme de se laisser tromper, dit sainct Hierosme, et de tromper les autres. Aussi, si la première femme ne se fust mise du party du diable, le diable se desesperoit de venir à bout du premier homme. Il suit encore son premier train, dont il s’estoit bien trouvé. Tu es la porte du diable, disoit Tertulian à sa femme, etc. La première qui a mis la main au fruict deffendu, la première qui a abandonné Dieu, et avec si peu de peine a faict perdre l’homme, quy est l’image de Dieu, que le diable n’avoit osé aborder. J’aurai recours, disoit ce malin, dans Origènes, quand il vouloit s’aider de la femme, j’aurai recours à mes anciennes armes, disoit-il, pour vaincre l’homme.

Les Sybarites convioient les femmes au festin un an avant le jour, afin qu’elles eussent le loisir de se parer de vestemens et joyaux pour y venir et s’y presenter. Ces festins sont aussy ruyneux à la bouche que les plaisirs charnels à ceux quy les frequentent.

Vous semblez aux tombeaux, peinturez au dehors ;
Au dedans l’on n’y voit que pourriture et morts,
Où repaissent les vers leur extrême famine ;
Vos visages sont feintz, vernissez et fardez ;
De mille clouds luisans vos habits sont parez,
Mais vos corps sont remplis de puante vermine.

Vous fardez vos discours afin de nous flechir,
Vous emplastrez vos cols, afin de les blanchir,
De graisse et d’argent vif encorporez ensemble9 ;
Puis, nous livrant l’assaut, vous laschez vos boutons,
Afin de nous monstrer vos estranquez tetons,
Que vous faictes enfler au moyen d’une sangle.

Vostre miroir vous fasche en disant verité ;
Vous accusez le ciel pour n’avoir de beauté ;
De vermeil et de blanc vous forcez la nature ;
Vos visages fumez, barbouillez et rouillez,
Semblent des parchemins de lescive mouillez
Quand d’un fard espagnol vous raclez la peinture.

Ny du foudre eclatant l’epouvantable bruict,
Ny les affreux demons quy volent jour et nuict,
Ny les crins herissez de l’horrible Cerbère,
Ny du Cocyte creux la rage et le tourment,
Ny du père des dieux le sainct commandement,
Ne sauroit empescher la femme de malfaire.

Un demon, une femme, sont tous deux compagnons :
L’un est maistre en malice, l’autre en inventions.




1. Être poupin, c’étoit avoir le visage et la taille mignonne.

2. On voit bien ici que c’est une Angloise qui parle. L’usage des faux cheveux, peu à peu délaissé en France, depuis l’époque où Guil. Coquillard en avoit parlé, ne s’étoit jamais perdu en Angleterre, du moins chez les femmes (V. Fr. Junius, Comment. de Comâ, cap. 1.)

3. La première fois qu’il est parlé de la poudre pour les cheveux à cette époque, c’est dans le Journal de l’Estoille : il y est dit qu’en 1593, on vit se promener à Paris des religieuses frisées et poudrées.

4. « Manière de parler figurée qui signifie suer… le mal de Naples. » Leroux, Dict. comique.

5. Maladie du cuir chevelu, suite ordinaire d’un autre mal. S.-Amant a dit :

Que la tigne, que la pelade,
Se jette dessus ma salade.

6. C’est une mode qui ne datoit alors que de quelques années. V. Tallemant, édit. in-8º, t. III, p. 326, et L. de Laborde, le Palais Mazarin, p. 318, note 368.

7. Les vertugadins, si « favorables aux filles qui s’étoient laissé gâter la taille », comme il est dit dans le dictionnaire des jésuites de Trévoux, étoient pour cela nommés ironiquement vertu-gardiens. Les Espagnols, qui furent les derniers à en conserver la mode, les appeloient sérieusement garde-infante.

8. J’ignore ce qui se cache ici ; je soupçonne seulement une grosse obscénité. La ribaudie de Soissons étoit déjà proverbiale au XIIIe siècle. Il en est parlé dans le Dit de l’Apostoile.

9. Dans le livre rare ayant pour titre : Les amours, intrigues et cabales des domestiques des grandes maisons de ce temps, Paris, 1633, in-8º, p. 218, il est ainsi parlé de l’art d’une camériste pour attifer sa maîtresse : « Tout son crédit procède de ce qu’elle sait bien… ajuster ses cheveux et appliquer ses mouches, bien preparer le sublimé, le blanc d’Espagne et la pommade, et tant d’autres mixtions, etc. » La sorcière de la Celestine « fabriquoit du sublimé, des fards…, des pommades, des eaux pour le teint, du blanc et autres drogues pour le visage. » (Trad. de M. Germond de La Vigne, in-12, p. 36).