La Culture des idées/Appendice

(p. 315-318).

                                APPENDICE

PIÈCE JUSTIFICATIVE


LA LANGUE FRANÇAISE EN HOLLANDE

« Déjà, à plusieurs reprises, nous avons indiqué la place considérable que la langue française a conquise et conservée aux Pays-Bas. Les considérations historiques qui expliquaient dans une large mesure cette situation privilégiée — création de nombreuses églises wallonnes et d’écoles françaises — ont forcément perdu, par suite des circonstances, beaucoup de leur valeur. Cependant, le français garde son prestige et, si la connaissance de notre idiome n’est plus considérée comme la plus utile, l’étude du français reste toujours la plus attrayante et la plus nécessaire pour les classes aristocratiques et pour tous les hommes cultivés.

»Dans aucun pays étranger, l’Alliance française n’a trouvé un terrain plus favorable qu’en Hollande. Dans les grands centres, elle a créé des associations puissantes et dans beaucoup de petites villes de province des sections vivantes. Tout récemment encore, une section s’est fondée à Assen, la capitale de la province la moins importante du royaume.

»Cette année le choix des conférenciers a été particulièrement heureux. Mme Thénard, M.Chailley — Bert etc., ont obtenu partout, et notamment à la Haye et à Amsterdam, un succès très vif et très mérité. En général, les soirées dramatiques, qui offrent plus de variété et une note plus gaie que la conférence ordinaire, sont surtout goûtées du public. Par tempérament ce dernier est plutôt froid, mais chaque fois que des artistes parisiens entrent en contact avec lui la glace ne tarde à se rompre et la soirée finit par une ovation.

»On continue à lire de préférence les ouvrages français. Nos écrivains, les romanciers spécialement, se sont créé dans ce pays une excellente clientèle. Le dernier roman qui a fait sensation à Paris ne tarde pas à faire son apparition à la vitrine de tous les libraires. De plus, dans chaque ville, des sociétés de lecture fournissent à leurs membres, à prix fort modérés, une foule de revues françaises très demandées.

»En réalité, le français ne semble pas avoir perdu de terrain, comme on avait pu le craindre un instant. On se souvient que le conseil municipal de Rotterdam résolut, il y a quelques années, de supprimer l’étude du français dans les nouvelles écoles de la ville. Cette décision fit grand bruit. Or, d’après nos renseignements puisés à la meilleure source, toute l’affaire se réduit à ceci : le conseil municipal a voulu tenter un essai et il a supprimé le français dans une seule école publique. Cette dernière n’est fréquentée que par des enfants de la petite bourgeoisie. Les parents jugent la connaissance de l’anglais et de l’allemand plus utile à leurs enfants au point de vue commercial. Mais dans toutes les autres écoles le français reste inscrit au programme comme branche obligatoire.

»Même dans certains établissements libres, on consacre beaucoup de temps et de soins à l’étude de la langue française. Ainsi, à l’institut de M. Esmeijer, à Rotterdam, on réserve dans certaines classes jusqu’à sept heures par semaine à l’enseignement du français. Et les résultats sont positivement remarquables.

» C’est à M. Esmeijer que revient l’honneur d’avoir introduit aux Pays-Bas, pour l’étude des langues vivantes, la méthode directe ou intuitive, qui consiste à parler à l’enfant et à le faire parler dès le début. Le maître chargé d’enseigner le français proscrit dans ses leçons l’usage de hollandais. Cette innovation hardie a provoqué une vive opposition de la part des défenseurs de la vieille méthode des traductions. Mais les progrès des élèves sont si rapides, la supériorité de la nouvelle méthode ressort si clairement que M. Esmeijer a eu beaucoup d’imitateurs et que la cause paraît gagnée.

» Dans cet établissement modèle, les enfants commencent l’étude du français dès l’âge de six ans, tandis que dans les autres écoles on ne débute qu’à neuf ans. Au bout de trois mois d’exercices — une demi-heure par jour — ces petits garçons comprennent déjà fort bien et s’expriment avec une réelle facilité. Dans les classes supérieures, les travaux des élèves sont absolument remarquables. En narration française, beaucoup d’entre eux dépassent la moyenne des jeunes Français aspirant au brevet élémentaire.


» Naturellement, le français est aussi enseigné avec soin dans les gymnases, dans les écoles secondaires et dans les classes supérieures des écoles publiques. Mais ce seul exemple, pris dans l’enseignement libre, suffit pour montrer tout le prix qu’on attache à la connaissance de notre langue ».

(Le Petit Temps, 4 mars 1900.)