La Culture des eaux salées

La Culture des eaux salées
Revue des Deux Mondes4e période, tome 148 (p. 845-875).
LA CULTURE DES EAUX SALÉES

Abandonnée à elle-même, sans culture, sans labours, sans semis de graines méthodiquement choisies entre les meilleures, sans ces mille soins qui, toute l’année durant, absorbent le temps de l’agriculteur et de l’horticulteur, la terre est une médiocre nourrice. Elle consent bien, il est vrai, à réjouir les yeux par des fleurs opulentes, dont les couleurs et la forme resplendissent au milieu de la verdure, et servent aussi à attirer les insectes qui aideront à l’œuvre de reproduction : mais elle n’a guère cure de l’estomac. Les fruits qui suivent sont âpres et pauvres, le plus souvent, et c’est faute de mieux que l’homme s’en est contenté pendant une longue succession de siècles.

Il ne s’en contente plus au reste ; et l’une des grandes œuvres de la civilisation, — à la fois cause et effet de celle-ci, tant les choses s’enchaînent et se tiennent mutuellement, — œuvre qui a commencé dans les lointaines profondeurs de la préhistoire, et qui se poursuit chaque jour, dans chaque champ, dans tout jardin, a consisté dans l’amélioration des plantes naturellement comestibles. Nul ne l’ignore, cette amélioration des plantes sauvages est le fruit des labeurs de l’homme, le résultat des soins par lui apportés à la culture, et de la sélection surtout.

S’il a su cultiver la terre, pourquoi ne cultiverait-il pas les mers aussi bien ? Sont-elles moins étendues, moins riches en ressources naturelles ? Et si la récolte y est moins accessible, ne peut-on toutefois en arracher une bonne partie ?


I

Dans ce réservoir immense, qu’à peine on peut sonder en certains points, tant il est profond ; dans ce réservoir qui recouvre la plus grande partie du globe, la vie est abondante. Elle y prend mille formes, plus variées les unes que les autres, étranges, parfois déconcertantes pour l’imagination, souvent utiles à l’alimentation de l’homme. Dans ce monde si prolifique des eaux, où, pour qui le voit, la vie bouillonne et se gaspille avec prodigalité, les alimens abondent : beaucoup d’espèces sont comestibles, et les poissons, en particulier, payent un large tribut à l’appétit de l’homme. Et on se demande s’ils n’en pourraient payer un plus large encore, si l’humanité ne pourrait prélever un impôt plus considérable.

Mais il faut bien s’entendre... Il n’est point question ici de tenter l’œuvre qui a pu se faire pour la terre ferme ; nous ne demandons point que par des soins judicieux l’on contraigne les eaux à nous fournir des espèces nouvelles, et peut-être infiniment savoureuses. Il ne s’agit pas de perfectionner le hareng, par exemple, et de le faire monter en grade, par des sélections savantes, de façon qu’il fasse oublier la sole ou le saumon, tant sa chair deviendra exquise. Nous pouvons et devons nous tenir contens de ce que la nature nous fournit, et il n’y a pas lieu de récriminer sur la qualité. Ce que nous demandons, c’est la quantité ; nous voulons que le nombre des individus soit accru, et que les pêches deviennent plus productives.

L’œuvre est-elle possible ? Peut-on corriger artificiellement la nature ?

Pourquoi pas ? On l’a bien corrigée en ce qui concerne les productions de la terre. On sait aujourd’hui, à n’en pas douter, — et les belles études de M. Dehérain sur la culture du blé sont assurément présentes à la mémoire de nos lecteurs, — on sait les conditions à remplir pour que le sol produise le maximum de telle culture qu’il lui est possible de fournir. L’agriculture est devenue une science exacte, grâce à laquelle nul ne peut ignorer qu’il existe un rendement maximum pour chaque ensemble de circonstances extérieures, — climat, composition du sol, nature des engrais, espèce, et même variété de la plante cultivée, — et que ce maximum est infiniment supérieur au rendement de la plante abandonnée à elle-même. La nature a donc été corrigée au point de vue de la quantité, autant qu’à celui de la qualité. Pour les eaux, je le répète, nous sommes moins exigeans : il nous suffirait de la quantité ; et il paraît certain que celle-ci pourrait être accrue.

Cent ans d’expérience sont là pour le montrer.

La question s’est en effet posée, depuis bien longtemps, pour le poisson d’eau douce. On a vu les rivières et les fleuves se dépeupler par le fait du braconnage, de la pêche légitime, des souillures des usines, et l’homme a corrigé la nature en repeuplant les cours d’eau. Il serait téméraire de dire que la pisciculture des eaux douces a donné tout ce qu’on en attendait ; mais il y a trop de raisons aussi pour que son œuvre fut imparfaite. Ses efforts devaient porter peu de fruits si, en même temps qu’elle repeuplait, on ne réduisait pas le nombre des causes de destruction, et cette réduction, dans bien des cas, était impossible à opérer. Trop d’intérêts étaient en jeu, — et des intérêts pécuniaires, — pour qu’il fût possible de supprimer la pollution des rivières, et le braconnage. De là le succès trop relatif de la pisciculture des eaux douces, dans beaucoup de cas. Dans d’autres, la réussite a été très nette, très évidente : et ces cas heureux ont montré avec plus de clarté encore les causes des insuccès : l’exception a confirmé la règle, et l’œuvre de la pisciculture, ressuscitée des anciens, et perfectionnée par Joseph Rémy, puis par Coste, en France, par Jacobi en Allemagne, par John Shaw en Angleterre, est de celles qui ont fait leurs preuves. Assurément nous ne risquons point de revenir aux beaux jours où, sur les bords du Rhin, en Écosse, et en Bretagne, les domestiques stipulaient qu’il ne leur serait pas servi de saumon plus de deux fois par semaine, — et du reste les chemins de fer ne permettraient point à de tels faits de se reproduire, — mais le repeuplement et l’acclimatation ont certainement contribué à ralentir la disparition du poisson, et c’est à peu près tout ce qu’ils peuvent faire en l’état actuel.

Maintenant la question se pose aussi pour les mers. Peut-on accroître le rendement des mers, et la pêche peut-elle y trouver des ressources plus abondantes ? La mise en culture des mers est-elle possible, et peut-on, par des pratiques quelconques, accroître le nombre des poissons ?

On sait que l’idée de la pisciculture marine a été déjà plusieurs fois émise. Emise, d’ailleurs, mais guère appliquée. N’est-ce pas en 1878 encore que M, L. Vaillant, professeur au Muséum, dans son rapport sur l’Exposition, disait que la pisciculture marine « n’a jusqu’ici donné lieu à aucune tentative suivie » ? N’ajoutait-il pas, pour expliquer cette circonstance, que « les œufs de la plupart des espèces demandent, pour leur développement, des conditions très spéciales », que leur éclosion est des plus difficiles à obtenir : « l’alevin de très petite taille a besoin malgré cela, de quantités d’eau très considérables, son éducation serait donc des plus pénibles » ? Et M. Vaillant concluait que tout ce qu’on pourrait faire, pour ralentir le dépeuplement des mers, serait de protéger les alevins, sans doute en les recueillant dans des viviers jusqu’à l’âge où ils peuvent se suffire, en créant pour les « moralement abandonnés » du monde des poissons des retraites provisoires.

À la même époque, toutefois, d’autres pensaient de façon différente. Dès 1868, M. Doumel-Adanson, président de la Société D’histoire naturelle de l’Hérault, proposait en effet au Congrès scientifique la création, à Cette d’un établissement expérimental de pisciculture marine. « La Science, disait-il, la Science a marché ; la fécondation et l’éclosion artificielles, inconnues, ou au moins oubliées pendant des siècles, se sont élevées au rang que leur assigne une incontestable utilité, et ce qui alors ne pouvait réussir spontanément peut être aujourd’hui tenté artificiellement avec probabilité de succès. Eclos dans un laboratoire, les jeunes poissons, après avoir grossi pendant quelques semaines dans des bassins spéciaux où ils trouveraient nourriture abondante et protection contre leurs ennemis naturels, seraient lâchés par myriades dans les étangs salés et les lagunes, où la pêche, ne s’exécutant qu’avec des engins fixés et réglementaires, ne leur porterait aucun préjudice. Puis, l’hiver venu, ayant acquis déjà une dimension moyenne, ils arriveraient à la mer par innombrables légions, et se joindraient à ceux dont la suppression de la pêche aux filets traînans (suppression demandée par Duhamel du Monceau pour empêcher la destruction des alevins) aurait permis l’éclosion et le développement. »

La proposition de M. Doumet-Adanson eut des partisans, mais aussi des adversaires. L’idée était dans l’air, toutefois ; elle y était déjà quand le naturaliste de l’Hérault la formula publiquement. Elle suscita des critiques vives ; en 1809, dans un ouvrage intitulé : l’Industrie des eaux salées, un ancien commissaire de la marine, M, J.-B.-A. Rimbaud, n’hésitait pas à écrire que « l’art de cultiver les eaux n’est qu’une prétention, » et encore que la pisciculture « n’est pas parvenue et ne saurait jamais parvenir à jeter dans l’Océan une seule poignée d’alevins viables. »

Quelques années auparavant, déjà, en 1850, des expériences faites à Bandol montraient que l’éclosion était chose possible et réelle, et, au reste, quelle raison pouvait-on invoquer a priori, pour douter de la possibilité de la fécondation artificielle chez les espèces marines, alors qu’elle réussissait si bien chez les espèces d’eau douce ? Un fait devait, au surplus, fournir un encouragement sérieux : c’est aux États-Unis qu’il se produisit, en 1867.

Je veux parler des expériences de Seth-Green sur la fécondation artificielle de l’alose. Ce poisson est de ceux qu’on appelle anadromes : habitant de la mer, il remonte dans les rivières à l’époque de la reproduction, et y dépose ses œufs, qui sont aussitôt fécondés : les alevins font leur apparition, et, quelques semaines plus tard, descendent le cours de la rivière pour gagner les eaux salées. Plus tard, périodiquement, repris de l’amour ancestral des eaux douces, ils imitent leurs parens, passant environ dix mois par an à la mer, et deux dans les rivières.

Très abondantes à une époque encore récente, c’est-à-dire vers 1850, les aloses de la rivière Connecticut avaient beaucoup diminué de nombre, en raison de pêches abusives et d’obstacles à la montée : les pêcheries couraient à la ruine. C’est sur ces entrefaites que Seth-Green entreprit l’étude des causes du phénomène, espérant aussi trouver le remède.

Il constata que les œufs de l’alose se prêtent le mieux du monde à la fécondation artificielle, qu’ils se développent fort bien à condition qu’en leur fournisse l’air et la chaleur nécessaires ; et, de fil en aiguille, il fut conduit à essayer de repeupler en immergeant les œufs fécondés en pleine rivière, non pas libres, — car alors le courant risque de les entraîner ou bien la vase s’accumule et les ensevelit, — mais dans des boîtes fermées par des toiles métalliques, où l’eau passe sans peine, apportant l’oxygène dont il est besoin, et présentant la température voulue. Chaque boîte contenait de 50 000 à 100 000 œufs ; ceux-ci avaient été recueillis par les procédés habituels : obtenus par pression légère, ils avaient été ensuite arrosés de laitance qu’on s’était procurée de la même manière, chez des adultes des deux sexes qui remontaient la rivière pour y procédera l’œuvre de nature.

L’expérience réussit à tel point que, dès la première année, en 1867, Seth-Green put verser 93 millions d’alevins dans les eaux de l’Hudson et du Connecticut : elle fut continuée, et les résultats en sont excellens.

Du moment où l’on pouvait pratiquer la pisciculture d’une espèce marine, il y avait tout lieu de penser pouvoir réussir avec d’autres espèces, même celles qui se reproduisent dans la mer au lieu de remonter les fleuves, et, malgré les critiques rappelées plus haut, malgré le ridicule que l’on essaya, de divers côtés, de jeter sur la tentative de repeupler les mers, la tentative fut faite.

C’est aux États-Unis, dans le petit port de Gloucester, qu’elle fut réalisée, et l’espèce dont on fit choix fut la morue

Mais une objection se présente dès l’abord.

Quand un propriétaire d’étang ou de lac s’avise d’acheter quelques centaines ou milliers d’alevins, pour les introduire dans son domaine aquatique, ou quand il se fait envoyer des œufs fécondés, quand il pratique la pisciculture en un mot, nul ne trouve son acte déraisonnable. Voilà de l’eau où des poissons pourraient vivre : la nourriture et l’espace s’y trouvent : la nature a jugé à propos de ne point peupler ces eaux, ou bien l’homme les a imprudemment dévastées. Dans ces conditions, il n’est pas téméraire de prétendre corriger la nature — ou l’homme — et de tenter le repeuplement. Très vraisemblablement, en effet, les jeunes poissons introduits de façon artificielle se développeront, engendreront progéniture, et les eaux, jusque-là stériles, deviendront fécondes. Si elles deviennent telles, en tout cas, l’intérêt de la tentative est évident ; celui qui en aura pris la peine en recueillera les bénéfices : ses « élèves » ne sauraient lui échapper.

En va-t-il de même dans l’Océan ? Est-il raisonnable de penser que, même en procédant en grand, le repeuplement d’une côte, qui a quelques centaines ou milliers de kilomètres de développement, peut avoir des effets réels ? Que les alevins mis en mer sur la côte du Massachusetts, par exemple, resteront dans ces parages, et reviendront, avec obéissance, se faire prendre à la belle saison ?

Longtemps on a répondu par la négative, et il y avait apparence que la négative fût justifiée. L’Océan est immense, disait-on ; les poissons circulent en tous sens ; nous savons bien qu’en hiver ils ne se tiennent point où ils se tiennent en été, et de quel droit imaginera-t-on qu’ils se contentent d’excursions restreintes ? Vous jetterez votre argent, votre temps et votre peine à l’eau — littéralement ; — vos alevins se promèneront au loin, et ne reviendront pas. L’œuvre peut être d’intérêt général : elle ne saurait être particulièrement avantageuse pour ceux qui s’y livrent : elle profitera aux pêcheurs de l’Atlantique tout entier, mais non pas à ceux du Massachusetts seulement.

Cette réponse repose sur la croyance à la doctrine des grandes migrations qui a eu longtemps cours, et ceux qui la formulent ont raison de combattre les prétentions de la pisciculture marine. Mais la doctrine même est-elle exacte ? C’est là toute la question.

En réalité, beaucoup de faits lui sont contraires. Il ne faut pas s’imaginer que, parce que les océans sont continus et que d’immenses nappes d’eau se rejoignent, le poisson y circule librement en tous sens. Il y a tout autant de barrières aux migrations dans l’eau qu’il y en a sur terre, et l’habitat des espèces aquatiques est le plus souvent tout aussi limité que celui des espèces terrestres. Le nombre de ces dernières que l’on rencontre sur toute l’étendue d’un même continent est facile à compter ; on peut dire qu’il n’y en a pas une. Oiseau ou mammifère, reptile ou batracien, les espèces terrestres sont sans cesse arrêtées. Ici, c’est le défaut de nourriture ; là, c’est le climat, ou trop chaud, ou trop froid, et le résultat est celui que nous voyons : chaque espèce a un habitat plus ou moins restreint, et ce n’est qu’avec des précautions spéciales qu’on arrive à la faire vivre en dehors de celui-ci, à l’acclimater, en un mot.

Les choses ne vont pas autrement dans les mers, et la zoologie géographique est là pour le montrer. Elle nous montre, en effet, que chaque espèce de poisson occupe un habitat déterminé : celui-ci peut se modifier légèrement avec les saisons, mais c’est tout. L’Atlantique nord a sa faune, et aussi l’Atlantique sud ; et de même pour la Méditerranée et le golfe du Mexique. Très peu d’espèces, malgré les facilités apparentes de communication, ont un habitat très étendu. Parmi les poissons, beaucoup se pourraient citer, qui ne se trouvent dans l’Atlantique nord, les uns que sur la côte européenne, les autres sur la côte américaine. Et pourtant, les voies sont bien libres entre les deux continens ?

Il le semble ; en réalité, c’est autre chose. Pour les poissons de haute mer, qui se nourrissent de proies voisines de la surface, ces voyages étendus seraient encore possibles ; mais, pour toutes les espèces, si nombreuses, qui se nourrissent sur les fonds voisins des côtes, il n’en saurait être question. Elles ne sauraient. en effet, traverser l’Atlantique : les grands fonds leur opposent une barrière aussi difficile à franchir que les hautes chaînes de montagnes aux espèces terrestres.

En réalité, les grandes migrations n’existent pas, et les faits sont là pour le prouver[1]. Les migrations des poissons sont restreintes et limitées : telle est la conclusion générale qui s’est peu à peu imposée, et Spencer Baird le savait bien quand il résolut de faire des essais de pisciculture marine. La morue — puisque c’est d’elle qu’il s’agit — se trouve en toute saison dans les eaux où les pêcheurs la vont chercher en été, et, dans ces eaux, elle exécute des voyages très limités, comme cela a lieu pour l’alose, bien étudiée à ce point de vue aux États-Unis ; comme cela a lieu pour le hareng aussi, dont les pêcheurs connaissent un certain nombre de races et de variétés distinctes, avant chacune son habitat bien défini le long des côtes, où ils les retrouvent chaque année, la saison de pêche revenue. Ces petits déplacemens saisonniers sont déterminés par les changemens de température, par les préférences alimentaires, par les mouvemens des autres poissons, — prédateurs ou proies, — et ils se font en réalité entre les profondeurs et la surface, dans le sens vertical. En hiver, les poissons gagnent les profondeurs voisines ; en été, ils vont aux fonds plus rapprochés de la surface, et dans bien des cas leur excursion est peu considérable : elle est réglée par la distance à franchir pour arriver aux sites appropriés. La morue aime les eaux fraîches, et les recherche en toute saison, et c’est là, semble-t-il, la raison fondamentale de ses déplacemens. Elle ne les veut pas trop froides, non plus, et en hiver elle trouve le milieu dont elle a besoin en se réfugiant dans les fonds où la température est moins froide, et plus constante. Au printemps, elle en sort et se montre sur les bords des bancs de Terre-Neuve, et d’autres encore, pour se réfugier en été dans les eaux du courant froid du Labrador.

L’objection tombe donc, et c’est en pleine connaissance de cause qu’en 1878 Spencer Baird commença ses premières expériences sur la multiplication artificielle de la morue, dans l’espoir d’accroître le rendement des pêches américaines[2].

Gloucester est un petit port de la Nouvelle-Angleterre, à quelques heures au nord de Boston. C’est un centre important de pêcheries : pêcheries littorales, et pêcheries au large, sur les bancs de Terre-Neuve. On y arrive en traversant un paysage de rochers et de verdure entremêlés, et à l’automne, époque où je m’y rendis, les échappées de vue, à travers les portières du wagon, sont pleines de variété. Après un grand pré qu’encadrent des roches énormes, c’est un talus de verdure qui se dresse tout à coup, et çà et là s’en échappe un jaillissement polychrome, une belle flamme d’or et de rouge mariés, quelque arbre dans sa parure automnale. Puis le train glisse au rebord d’une crique d’eau bleue qu’encadrent les rochers et la verdure, et ce paysage, doux et austère à la fois, tient en même temps de la lande de Bretagne et des plus fins recoins du littoral de Provence.

La ville n’est ni belle ni grande : le touriste n’y passe guère. Les rues sont étroites le plus souvent, et la ligne droite n’exerce point ici sa monotone tyrannie. La pêche est la principale occupation, et les quais, dans le port, sont encombrés d’agrès, de provisions, de poissons que l’on débarque.

En 1877, la commission des pêcheries fit ici acquisition d’un local où elle installa un bureau. Ce bureau servait à recueillir les renseignemens auprès des pécheurs : il servait aussi à conserver les échantillons que ceux-ci voulaient bien abandonner. Dès l’année suivante, une station de pisciculture fut ajoutée au bureau. Elle était fort rudimentaire : quelques réservoirs et appareils à éclosion, et voilà tout. Une longue conduite amenait l’eau de mer, car les œufs en voie de développement ont besoin d’eau constamment renouvelée pour subvenir à leurs besoins respiratoires qui sont considérables. C’est très vivant, un œuf : on pourrait presque dire que cela vit double. Mais les œufs, d’où venaient-ils ?

C’étaient les pêcheurs de Gloucester qui les fournissaient. Les poissons qu’ils venaient de pêcher n’étaient pas tous morts, quand les barques accostaient : de suite on leur achetait quelques mâles et quelques femelles : les œufs et la laitance étaient extraits par le procédé ordinaire, une légère compression des parois ventrales ; on mélangeait le tout dans des récipiens préparés, sans addition d’eau, par la méthode de Vrassky ; l’œuvre de la fécondation s’opérait, et les œufs étaient alors placés dans les appareils à éclosion. Souvent aussi un employé accompagnait telle ou telle barque, et, à mesure que le poisson était détaché des filets ou des lignes, il prélevait l’impôt, soulageait la bête de son fardeau, et quand il revenait à terre, ramenait de pleins baquets d’œufs fécondés. Ou encore, on achetait les morues vivantes, quand le vapeur de la station ne les allait pas quérir lui-même, et on les gardait en vivier jusqu’à la maturité, époque où l’on pratiquait les opérations qui viennent d’être décrites.

Les appareils à éclosion donnèrent quelque souci : on ne trouva pas d’emblée celui qui convenait le mieux. Au début, on employa les cônes qui servent à la pisciculture de l’alose. Mais il fut bientôt prouvé qu’ils ne valent rien pour la morue. Les œufs de la morue flottent à la surface, au lieu de rester au fond comme ceux de l’alose : de là nombre de déboires et d’accidens. Deux ou trois autres appareils furent improvisés tour à tour, sans donner de meilleurs résultats. Enfin le capitaine Chester en construisit un qui convint.

Cet appareil est bien connu maintenant : c’est un seau, contenant une hélice dont la rotation chasse l’eau de bas en haut, et celle-ci s’échappe par des fentes latérales que les œufs, retenus par un grillage, ne peuvent franchir.

Cette première année fut surtout consacrée à des essais. On ne savait rien, en effet, sur les conditions requises pour l’éclosion : on ne savait rien, en particulier, sur la température la plus favorable à celle-ci. L’observation montra que, pour la morue comme pour les autres espèces, la rapidité de l’éclosion est, dans certaines limites, en rapport avec la chaleur de l’eau. A 0°, il faut 50 jours pour obtenir des alevins : à 7° centigrades, il en faut 13 seulement.

Quarante-trois femelles fournirent 9 250 000 œufs : c’était peu, car la morue est très prolifique. Mais il faut remarquer que, dans aucun cas, on ne recueillit tous les œufs : ceux-ci mûrissent successivement, et chaque traite — s’il est permis d’employer ce mot — ne fournit que les œufs actuellement mûrs. On en perdit donc beaucoup à laisser aller les morues après une seule traite, au lieu de les conserver pour recommencer quelques jours plus tard. Ces œufs donnèrent 1 500 000 alevins, ce qui représente une proportion très faible. Mais il s’était beaucoup perdu d’œufs en raison de l’imperfection des premiers appareils, et aussi de l’impureté de l’eau de mer, puisée dans le port même.

L’expérience ne fut point perdue. On apprit aussi, par les essais de cette première année, que les viviers flottans où l’on conservait les poissons non encore mûrs pour l’œuvre reproductrice, et sur lesquels on avait fondé de grandes espérances, sont de médiocre valeur. Tant qu’il fit beau, tout alla bien : mais quand vinrent les rigueurs de l’hiver, on vit les dangers de ces viviers : les morues y périrent en foule, et à l’autopsie on leur trouva le ventre plein de glaçons ; d’où la conclusion qu’il fallait renoncer aux viviers, ou bien se servir, en hiver, de viviers immergés, la température, à quelques mètres de profondeur, ne s’abaissant jamais autant que celle de l’eau superficielle.

Pour en finir avec les 1 500 000 alevins, je dirai qu’ils furent, après quelques jours, jetés à la mer, pour y chercher leur existence. Sans doute, il en existe encore, qui, devenus adultes, errent à l’heure présente le long de la côte, broutant les prairies sous-marines, tandis que d’autres, qui ont connu la vie grâce aux soins de l’homme, ont, par les soins de l’homme encore, connu le trépas, et fini leur brève carrière dans quelque casserole, ou dans un tonneau de saumure.

Ce n’est point là de l’imagination, est-il besoin de l’ajouter ? et ce qui le prouve c’est que, dès l’année 1879, un an après l’expérience qui vient d’être relatée, les pêcheurs de Gloucester furent grandement surpris en rencontrant dans le port même de petites morues de la variété que d’habitude ils ne rencontraient qu’au large. Pleins de méfiance et d’ironie à l’égard des entreprises des terriens, les pêcheurs avaient douté de l’utilité de la tentative : qu’est-ce que ces habitans du plancher aux vaches pouvaient bien connaître à la morue, et quelle était cette prétention d’en fabriquer dans des bocaux ?

Ils eurent bientôt changé de ton. Les petites morues étaient bien là, et c’était assurément la morue des bancs, celle dont ils avaient rapporté des individus destinés à l’expérience. Ils ne les renièrent point : bien mieux, ils leur servirent de parrains, et les petites morues reçurent le nom de « morues de la Commission. » Et encore, s’il est permis d’anticiper, un pêcheur de la même localité donnait, en 1882 et 1883, des détails intéressans sur ces mêmes poissons. Il racontait avoir, avec autant de satisfaction que de surprise, trouvé des morues en abondance dans les parcs où il venait prendre du poisson pour servir d’appât à ses casiers à homards : chaque jour il en trouvait une centaine de livres, alors que précédemment il n’avait jamais trouvé la morue en une telle abondance, et que, surtout, il n’avait jamais, jusque-là, rencontré la morue des bancs, ou morue grise, très distincte de la morue de roche qui fréquente habituellement la côte.

L’expérience de 1878 avait réussi. On ne pouvait deviner quelles conséquences elle aurait ; mais on savait comment s’y prendre pour opérer en grand. Le problème était en partie résolu. On recommença donc en 1879. Je ne vais pas narrer en détail ce que fut l’œuvre de cette année, ou des années subséquentes, mais j’indiquerai sommairement les progrès réalisés. En 1879, on produisit douze millions d’alevins, à Gloucester, et on constata aussi ce fait important que des œufs fécondés peuvent être sans inconvénient transportés à vingt-quatre heures de distance, par chemin de fer, à condition de les placer dans des bonbonnes d’eau, remplies aux deux tiers, et entourées de glace pilée. Ceci revient à dire qu’il n’est point indispensable de posséder sur place l’espèce que l’on veut propager : il suffit qu’on la trouve à une distance qui ne soit pas excessive, car alors on à la ressource de faire voyager les œufs fécondés, et il suffit d’avoir des appareils à éclosion prêts. On se doutait de cette conclusion en 1879 ; on 1898, les progrès ont été tels que nous avons pu voir, en janvier, arriver à Paris, venant des États-Unis, des milliers d’œufs fécondés de salmonidés divers, en parfait état, et qui ont été aussitôt distribués par la Société d’Acclimatation. En réalité, les œufs fécondés peuvent se conserver, au froid, pendant dix et quinze jours, et peut-être plus, sans perdre l’aptitude à se développer : et c’est là un fait de grande importance pratique.

En 1880, les opérations ne se ralentirent point, tant s’en faut. Les commencemens étaient si encourageans que l’on songea à marcher encore de l’avant, et que le gouvernement fédéral créa une nouvelle station de pisciculture, celle de Wood’s Holl, au voisinage de Boston. La commission des Pêcheries, très satisfaite déjà de l’œuvre exécutée à Gloucester, voulut que Wood’s Holl conquît aussi son droit de cité, et le regretté Marshall Mac Donald, alors chef de cette commission, avec qui j’eus le plaisir de m’entretenir de ses expériences, il y a quatre ans, à Chicago, y vint en personne pour essayer un appareil à circulation de son invention.

La station de Wood’s Holl ne fut toutefois réellement équipée qu’en 1883 et 1884. Et quand on la crut bien organisée, en 1885, on s’aperçut qu’elle ne l’était point. Manipuler — et avec quelles tendresses — 15 millions d’œufs pour obtenir 2 millions d’alevins, en vérité, c’était une médiocre opération. La faute en fut bien vite apparente : les appareils à incubation étaient les coupables. On les avait construits sur des données fausses : et, pensant que les œufs de la morue flottent de façon permanente, on n’avait point envisagé l’éventualité opposée : on n’avait pas prévu qu’au bout de cinq ou six jours ces œufs coulent vers le fond[3]. Force fut donc de renoncer aux appareils Mac Donald, et dès 1886-87, les boîtes à circulation Chester furent mises en usage. Les résultats furent plus satisfaisans. Le Grampus, un des vapeurs de la commission fédérale, fut quérir des morues dans le golfe du Maine, et celles-ci fournirent la majeure partie des 43 millions d’œufs mis en incubation, lesquels produisirent 22 millions d’alevins dont 19 millions et demi survécurent et furent « plantés » dans les eaux voisines. Cette fois, on eut un alevin par paire d’œufs, ce qui est une proportion plus avouable, mais non encore pleinement satisfaisante, puisque, dans bien des cas, on a obtenu jusqu’à 85 alevins pour 100 œufs. Des essais faits pour conserver les alevins en captivité ne réussirent point. On ne savait de quoi les nourrir, en effet, et il parut plus simple de les mettre à la mer aussitôt éclos, c’est-à-dire après dix ou vingt heures en moyenne.

Depuis 1885, les opérations piscicoles appliquées à la morue se sont poursuivies à Gloucester et à Wood’s Holl simultanément. Je ne dirai point que ces opérations aient été invariablement heureuses, et trop souvent la production d’alevins a été hors de proportion avec les frais et la peine. Les échecs, toutefois, ont été profitables : ils ont servi de leçon ; ils ont montré, — et sir James Maitland y a insisté pour les poissons d’eau douce dans son excellente History of Howietoun, — ils ont montré qu’il ne faut point empiler les œufs en couches superposées dans les incubateurs : on peut aller jusqu’à trois couches, mais pas plus, et deux ou une seule seraient préférables. On a fait aussi des tentatives pour conserver les alevins quelque temps avant de les confier aux grandes eaux, et les résultats en ont été satisfaisans en ce sens, qu’en nourrissant les alevins avec les débris de différens lamellibranches réduits en bouillie, on en a pu garder 70 000 en captivité pendant trois semaines.

Les opérations continuent chaque année à Gloucester et à Wood’s Holl avec un succès variable. Il y a tant de causes capables de faire échouer l’entreprise... Tantôt c’est l’impureté des eaux agitées par la tempête ; d’autres fois, c’est le froid ou un accident imprévu. Et quand on croit avoir tout prévu, une cause d’insuccès surgit là où l’on s’y attendait le moins.


II

Née à Gloucester, aux États-Unis, la pisciculture ne s’est pas exclusivement développée sur place. L’exemple donné a été suivi ailleurs et avec beaucoup de succès.

Dès 1883, en effet, la Norvège s’occupait à imiter les États-Unis. A vrai dire, elle s’y employait depuis quelques années déjà, mais c’est en 1883 seulement que fut élevé le premier établissement de pisciculture marine, sur la proposition d’un homme fort expert dans la matière, M. G. M. Dannevig. Cet établissement se trouve à Flödevig, non loin de Bergen, et il est dû à l’initiative privée.

Sur les côtes de Norvège comme sur colles du nouveau monde, le poisson se faisait rare, et la morue disparaissait de façon évidente. La nombreuse population qui vivait de la pêche s’inquiétait de voir diminuer la source principale de sa richesse relative, et ses gains devenaient plus insuffisans que jamais.

M. Dannevig voulut remédier à cet état de choses, et corriger les défaillances de la nature, et, avec le concours financier de quelques personnes à qui il avait pu faire voir le côté utilitaire et patriotique de ses projets, il sut organiser une petite station dont le but était de s’assurer s’il est possible de produire, avec une dépense modérée, une grande quantité d’alevins des poissons les plus recherchés, de façon à remédier à l’excès de destruction d’œufs et de jeunes qui se fait normalement à l’état de nature. C’est de la morue que l’on s’occupa tout d’abord. Les premiers résultats furent médiocres, mais instructifs.

On vit bientôt quelle est l’importance de la question de l’eau. Il fut surabondamment démontré, à Flödevig comme à Gloucester et à Wood’s Holl, qu’il ne suffit nullement, pour réussir en pisciculture marine, de posséder des œufs fécondés qu’on mot tremper dans de l’eau de mer. Les variations de qualité de cette eau sont telles qu’il faut beaucoup de discernement et de pratique pour arriver à se procurer celle qui convient. La plupart des poissons de grande industrie sont des poissons du large, qui ne viennent sur les côtes qu’en passant dans de rapides excursions. Leurs œufs sont pondus à distance du rivage, et ce sont des œufs flottans, des œufs qui restent à la surface au lieu de plonger au fond.

Ils ont bien des ennemis, toutefois, et l’un d’eux est l’eau côtière. L’eau des côtes diffère très sensiblement de l’eau du large, et c’est à cette différence que sont dus beaucoup de mécomptes. Comparez, en traversant l’Atlantique, ces plaines d’un bleu si pur, si profond, qu’on ne trouve guère qu’à vingt-quatre heures de distance, à ces eaux verdâtres ou grises, qui avoisinent le rivage, et tiennent en suspension tant de poussières et de boues, de craie, de marne, de débris de toute sorte. — Recueillez-en un seau, et comparez-en la transparence, la pureté ; faites plus, et analysez les deux échantillons. Les différences sont évidentes. Au voisinage des terres, la composition physique varie beaucoup : l’eau tient eu suspension une quantité très variable de parcelles organisées ou inorganiques, et la nature de celles-ci — de ces dernières surtout — varie selon la nature des fonds. Ces particules de sable, de vase, de craie, sont très nuisibles aux œufs : elles s’agglutinent à la surface de ceux-ci, et les habillent d’un revêtement qui entrave la fonction respiratoire, si active pendant le développement.

L’eau du large diffère encore de celle de la côte, en ce qu’elle est de composition chimique beaucoup plus constante. On n’y observe pas les variations considérables de densité et de salure que les eaux côtières présentent sans cesse, et qui sont dues aux variations de température, beaucoup plus prononcées près du rivage, et au voisinage de l’embouchure des fleuves et rivières. Ces deux causes font que la salure et la densité de l’eau côtière varient beaucoup et constamment, et ces variations sont nuisibles aux œufs.

Il faut donc, — et c’est ici la conclusion pratique, — il faut n’établir de station de pisciculture qu’au voisinage d’eaux très pures, et pauvres en parcelles minérales. Il faut puiser l’eau à distance du rivage — au moyen d’une canalisation appropriée — et la puiser non à la surface, mais vers le fond.

Tous ces points ont été fort bien mis en lumière par M. Dannevig. Il a encore perfectionné la technique en imaginant des appareils à éclosion spéciaux.

Enfin, l’expérience a montré qu’à Flödevig, du moins, on peut très bien se passer de pratiquer la fécondation artificielle. Les choses se font de la façon que voici : on réunit les morues adultes dans un vivier où on les nourrit — par exemple avec dvi hareng congelé — jusqu’au moment où la reproduction est imminente. On les sort du vivier pour les placer dans des bassins où les œufs sont expulsés et fécondés naturellement. Les œufs flottent à la surface, et chaque jour on les recueille pour les disposer dans les appareils à éclosion. Les alevins se développent dans ces appareils, et ceux-ci servent encore au transport des alevins, quand le moment est venu où l’on peut les expédier sur tel ou tel point de la côte, pour les rendre à la mer.

Les premières opérations dont il ait été tenu compte à Flödevig datent de 1884. On obtint cette année sept millions d’éclosions. Depuis, le nombre des œufs manipulés n’a fait qu’augmenter. De 1885 à 1887, on eut 30 millions d’éclosions, en moyenne, par an ; en 1890, le chiffre fut de 50 ; et en 1892, on dépassait 200 millions. La perte est en moyenne de 30 pour 100 : sur 100 alevins, il en reste 70 à jeter à la mer. Le prix de revient est peu élevé : chaque mille d’alevins revient à quatre centimes, cinq centimes au plus.

M. Dannevig ne s’en est pas tenu à la morue : il a abordé d’autres espèces : le hareng, quelques poissons plats, et le homard. C’est en 1885 qu’il a commencé à étudier le précieux crustacé, et les résultats ont été encourageans. En 1887, le laboratoire de Flödevig ayant pleinement fait ses preuves, les collaborateurs financiers de M. Dannevig estimèrent leur tâche achevée. Nous avons, dirent-ils, fait les sacrifices qu’il a fallu, pour démontrer le caractère pratique de la pisciculture marine. Celle-ci est possible et relativement facile. Nous n’avons, dès maintenant, qu’à nous retirer : c’est l’État qui devra se charger des dépenses que nous avons jusqu’ici supportées, et prendre la direction du service de la pisciculture des eaux salées. Ainsi fut fait. Je veux penser que les pionniers qui prêtaient leur concours financier à M. Dannevig ont été décemment remerciés de leurs sacrifices et de leur esprit d’entreprise. Flödevig, devenu établissement d’État, aurait pu péricliter, ou tout au moins coûter beaucoup plus cher par les fonctionnaires incompétens ou inutiles qu’on eût pu y introduire : mais M. Dannevig en est resté directeur, et le danger a été écarté. La station a même été reconstruite sur des plans plus vastes, et on peut la considérer maintenant comme un modèle dans son genre. Elle produit en moyenne 300 millions d’alevins de morue par an.

Dès le début, pour ainsi dire, les effets bienfaisans des opérations entreprises à Flödevig se sont laissé voir. En 1888, M. Dannevig pouvait écrire les lignes suivantes : « L’accroissement en nombre de la petite morue n’a pas été seulement perceptible, mais frappant, partout où des alevins de ce poisson ont été déposés. Pendant les deux dernières années après que des distributions y furent faites, on a pris beaucoup de ces petites morues à Flödevig, Havekil et dans les baies voisines… Dans les eaux peu profondes, deux pêcheurs armés de lignes ont pu en prendre chacun quatorze douzaines par jour[4]. » En 1892, M. Dannevig confirmait pleinement les faits qui viennent d’être énoncés, en y ajoutant ceci, qu’en bien des points les pêcheurs constataient l’apparition d’une grande abondance de poissons étrangers et de variétés de morue qu’ils ne connaissaient point, ou dont les visites étaient très rares. Comme les poissons étrangers dont il s’agit sont précisément les espèces cultivées par M. Dannevig, et que leur présence a été constatée dans les parages où les alevins ont été confiés à la mer, il est permis d’attribuer ces résultats aux opérations de pisciculture.

Et maintenant, traversons l’Atlantique de nouveau. C’est un voyage sans attrait, car c’est au milieu des brumes de Terre-Neuve qu’il le faut achever, dans la baie de la Trinité, en face du petit port de Dildo. Un îlot s’y rencontre, où, en 1889, le gouvernement terre-neuvien a établi, lui aussi, un établissement de pisciculture : le quatrième dans l’ordre chronologique, puisque sa fondation est postérieure à celle des laboratoires de Gloucester, Wood’s Holl, et Flödevig.

La raison qui a déterminé la fondation de cet établissement est la même que dans les autres cas : l’appauvrissement des fonds de pêche et l’espoir de les reconstituer. La direction en a été confiée dès le début à un pisciculteur fort expert, M. Adolphe Nielsen.

Le laboratoire de Dildo s’occupe principalement de la culture de la morue. Planté dans une petite île, au fond d’une anse qui le protège contre les impétuosités de la vague, il est fort bien aménagé. Les morues adultes et mûres sont pochées dans la baie, dès que les glaces hivernales ont disparu, et placées dans un bassin d’élevage. Ce bassin est alimenté en eau sans cesse renouvelée qu’une pompe va puiser à 90 mètres de distance, à 9 ou 10 mètres de profondeur : cette pompe est actionnée tantôt par une machine à vapeur, tantôt — quand le temps le permet — par un moulin à vent. Mises dans ce bassin au nombre de 1 500 environ au commencement de la saison (fin de mai, première quinzaine de juin), les morues sont nourries de harengs, d’autres poissons communs, d’encornets, que les pêcheurs leur apportent chaque jour ; elles pondent à loisir, et les œufs, qui viennent flotter à la surface — après fécondation — sont transportés dans des cloches spéciales, qui plongent dans des auges où l’eau circule sans cesse.

Le nombre d’alevins produits à Dildo, pour la morue seule, varie de 200 à 300 millions par an. Ils paraissent rester dans les environs de la côte ; il ne semble pas que les morues ainsi produites opèrent de migrations étendues : la baie leur fournit tout ce dont elles ont besoin, et elles restent sur place, formant des bancs nombreux qui circulent à travers les eaux, et que les pêcheurs recueillent avec empressement.

M. Nielsen s’occupe beaucoup également du homard. Il en produit un million d’individus en moyenne chaque année : les œufs sont placés dans des incubateurs flottans, amarrés au fond par une corde et une pierre lourde, et l’éclosion s’en fait de façon très satisfaisante.

C’est encore au homard qu’est consacrée — de façon exclusive — la station créée en 1891 par le gouvernement canadien, à Bay-View, en Nouvelle-Écosse. Je me contente de la signaler en passant, pour en venir enfin à la dernière en date des stations de pisciculture marine, à celle de Dunbar, en Écosse, créée par les soins du Fishery Board d’Écosse, en 1893, et placée sous la direction de M. Wemyss Fulton.

Cette station a bénéficié dans une large mesure des expériences faites ailleurs. Aussi Dunbar est-il un excellent type de station de pisciculture. Situé sur la côte de l’Haddingtonshire, près de l’embouchure du Firth of Forth, ce laboratoire rappelle beaucoup celui de Flödevig. Il a coûté une quarantaine de mille francs, et la configuration des lieux a permis de l’établir dans d’excellentes conditions. Un premier vivier sert à recueillir les reproducteurs quelque temps à l’avance, pour leur permettre de bien s’acclimater ; il est aménagé dans une caverne qui se trouve sous les ruines d’un vieux château, et où l’eau pénètre à chaque haute mer.

En attendant la construction d’un vivier plus important, — qui se fera en fermant une crique voisine, — cette caverne rend les meilleurs services. Il va de soi qu’on nourrit les poissons qui y sont enfermés. Quand approche le moment où ceux-ci vont frayer, on les déménage. On les pèche avec des filets. pour les transporter dans un second vivier qui est le véritable laboratoire de reproduction. Comme à Flödevig, on a renoncé à la fécondation artificielle telle qu’elle se pratique aux Etats-Unis. Les poissons, après tout, savent très bien s’y prendre, sans qu’on les aide d’aucune façon, et nos leçons leur sont inutiles. Remarquez aussi que la reproduction naturelle a cet avantage de ne pas nécessiter une manutention qui coûte toujours assez cher, et qui blesse souvent les poissons : elle a aussi ce grand avantage que tous les œufs sont utilisés.

Il faut se rappeler, en effet, que les œufs de la plupart des poissons produisant des œufs flottans, pélagiques, n’arrivent pas tous simultanément à maturité. Ils mûrissent successivement, les uns après les autres. Dès lors, la pratique de la fécondation artificielle entraîne la perte de beaucoup de ceux-ci. Les premiers expulsés sont mûrs et se fécondent : les autres ne sont pas encore mûrs et ne se fécondent pas : ils sont perdus, à moins qu’on n’ait le soin de « traire » chaque poisson à plusieurs reprises, ce qui constitue une complication notable. On a donc décidé, à Dunbar, de laisser faire la nature. Les poissons prêts à frayer sont transportés dans le vivier spécial qui leur est réservé, et on continue à les nourrir. A mesure que les élémens sexuels sont mûrs, ils sont expulsés, et les œufs se fécondent. Ils flottent près de la surface. Pour les recueillir, on fait comme à Flödevig. Le trop-plein du bassin de fécondation — alimenté par une pompe — s’écoule dans un collecteur tapissé de toile fine. L’eau passe, mais les œufs s’arrêtent, et, pour transporter les œufs, il suffit d’emporter le collecteur. Du collecteur, les œufs, après avoir été nettoyés par des procédés spéciaux, passent aux incubateurs.

On visite ceux-ci chaque jour, pour enlever les œufs morts, et pour voir où en est l’éclosion. Celle-ci demande un temps qui varie selon la température de l’eau, comme chacun le sait. En opérant avec de l’eau à zéro, on pourrait retarder presque indéfiniment l’éclosion : avec l’eau à 7° ou 8°, il suffit de douze ou treize jours pour la morue. Les poissons, une fois éclos, sont maintenus quelque temps dans les boîtes à incubation : on attend que le sac vitellin soit à peu près résorbé, et que la bouche soit bien développée. C’est alors le moment de s’en débarrasser... L’homme a fait ce qu’il pouvait : il leur a permis de saisir la vie : à eux maintenant de se tirer d’affaire. Ils sont bien petits, bien faibles, sans doute : il serait tentant de les conserver quelques semaines, pour leur permettre de se développer et de prendre des forces : mais on ne connaît pas encore le moyen d’arriver à ce résultat si désirable.

En attendant que ce problème soit résolu, on continuera, à Dunbar, comme ailleurs, à transporter les alevins, qu’on ne peut nourrir, à quelque distance en mer, par un temps aussi favorable que possible, et là, on leur donnera la liberté : ils retrouveront leurs frères, nés dans la nursery naturelle des poissons, et commenceront la lutte pour l’existence. A coup sûr il en mourra beaucoup : mais il en survivra aussi, qui augmenteront la quotité de l’espèce.

J’ai consacré un peu plus d’espace à la station de Dunbar : c’est qu’elle peut être considérée comme le type le plus perfectionné des établissemens de pisciculture marine, à l’heure présente, et qu’elle réalise à peu près l’idéal actuel. A y regarder de près, on constate qu’il n’est aucunement besoin de magie pour établir pareil laboratoire. La pisciculture marine peut se faire en une infinité de points et, probablement, sous tous les climats. L’essentiel est de bien choisir le site ; il faut chercher les localités favorables, et le nombre des élémens à envisager dans cette appréciation est relativement grand. Nous avons vu de quelle importance est la question de l’eau : il faut tenir compte encore de la facilité qu’offre la configuration des côtes à l’établissement de viviers ; il faut être à portée de pêcheurs qui puissent fournir les reproducteurs. Il est très utile aussi que le chemin de fer passe à petite distance, car dès lors un laboratoire de pisciculture marine peut desservir une étendue de côtes considérable : avec des appareils appropriés, on peut faire voyager les alevins à des distances importantes, et dans ces conditions un seul et même établissement peut alimenter une région étendue.


III

La liste des stations de pisciculture marine est close. Nous n’avons encore rien en France qui corresponde à Gloucester, Dunbar ou Flödevig. M. E. Perrier a bien établi une installation dans son laboratoire de Saint-Vaast-la-Hougue ; mais, faute d’argent, l’usine chôme. D’autre part, M. Eugène Canu, qui a étudié la question avec beaucoup de soin et de compétence, voudrait créer une station véritable sur notre littoral du nord : mais à lui aussi l’argent fait défaut. Nous restons dans l’inaction, et cela est regrettable.

Peut-être convient-il maintenant de montrer en quoi il y a Lieu de regretter notre inertie ; et c’est ce que je veux faire en énumérant les résultats obtenus. En même temps, je signalerai les espèces diverses, autres que la morue, sur lesquelles des tentatives de multiplication artificielle ont été faites.

En une dizaine d’années, de 1878 à 1890, les deux stations de Gloucester et de Wood’s Holl ont déversé quelque deux cent cinquante millions d’alevins dans les eaux du Maine et du Massachusetts. C’est peu de chose, assurément : mais encore cet effort n’a-t-il pas été infructueux, et, comme je l’ai dit plus haut, les pêcheurs ont reconnu l’existence des « . morues de la Commission. »

A Flödevig, en douze ans, — dix en réalité, puisqu’il y eut deux années où le laboratoire ne fonctionna pas, — de 1884 à 1896, il a été fabriqué un milliard et demi d’alevins au bas mot. Répartis dans les fiords des environs, ils ont en partie repeuplé les fonds qui étaient grandement appauvris. Les pêcheurs ont constaté que le poisson est plus abondant, et, comme le disait M. Dannevig au Congrès des pêches maritimes récemment tenu aux Sables-d’Olonne[5], « le résultat pratique de l’œuvre est que la morue augmente rapidement sur la côte méridionale, particulièrement là où les alevins ont été semés. » Le prix de revient moyen est de 6 centimes et demi le mille d’alevins de 1890 à 1895 ; en 1896, il s’abaisse à trois centimes et un tiers le mille.

A Dildo, il a été fabriqué en cinq ans, — de 1890 à 1894, — plus de 600 millions d’alevins, et là encore, les pêcheurs ont accusé la présence de jeunes morues très abondantes dans des eaux où elles étaient devenues rares. De façon générale, donc, on peut dire que le repeuplement s’opère, et que l’œuvre du laboratoire est utile.

Voici le jugement que portait, il y a peu de temps[6], un homme qui est considéré comme fort expert en matière de pêcheries : « En 1879. la pêche côtière de la morue avait à peu près disparu, et cette industrie en était à ses dernières cartouches. M. Baird commença une expérience sur la reproduction artificielle de la morue à Gloucester, et, un an après, les résultats se faisaient déjà connaître. Au bout de dix-huit mois, les filets du port de Provincetown étaient pleins de petites morues, et deux saisons plus tard celles-ci étaient marchandes. Depuis ce moment, les pêcheurs ont, chaque hiver, fait une bonne saison de pêche. Or, d’après ce que nous connaissons des habitudes de la morue dans la baie du Massachusetts, nous savons que leur migration se fait du Cap Cod au Cap Ann, et réciproquement. Si nous tenons compte du fait que la petite morue qui s’est montrée à Provincetown dix-huit mois après les expériences de M. Baird, avait exactement les dimensions de la morue de dix-huit mois, nous pourrons sans crainte tirer la conclusion que la pêche d’hiver satisfaisante qui se fait maintenant au Cap est le résultat des efforts de la commission à Gloucester. »

Et à peu près à la même époque, — en 1894, — un autre observateur disait ceci : « ...Cette année, 221 millions d’alevins de morue ont été plantés dans les eaux de Dildo... Les morues se sont montrées avec une abondance dont nul ne retrouvait d’exemple dans sa mémoire. Des quantités énormes de poisson ont été aperçues par les pêcheurs ; ces poissons ont un an, deux ans, trois ans, et correspondent aux expériences faites pendant les trois dernières années. Jamais on n’a autant vu de poissons dans la baie ; jamais les efforts des pêcheurs n’ont été récompensés par d’aussi abondantes pêches. » Et il ajoute que l’expérience de Trinity Baya été si satisfaisante qu’on a voulu la répéter dans les baies Bonavista et Concepcion. Pour la morue donc, on doit se louer des résultats obtenus.

Il en va de même pour un autre hôte des mers, plus rare que la morue, très apprécié, lui aussi, mais que son prix met habituellement hors de la portée des petites bourses : je veux parler du homard. Ce crustacé bien connu constitue un mets de luxe qu’il serait avantageux de rendre plus abordable, et c’est pourquoi, de différens côtés, on en a tenté l’élevage. Remarquez, en passant, que la multiplication du homard rend service à une population maritime plus étendue, puisque c’est une espèce côtière dont la pêche est relativement facile et peu dangereuse, et ne demande pas de capitaux considérables comme la pêche lointaine sur les bancs d’Islande ou de Terre-Neuve.

Les résultats sont encourageans. La technique est simple : on dépouille les femelles des œufs fécondés, et on place ceux-ci dans des incubateurs spéciaux sur la structure desquels je ne puis m’arrêter : les meilleurs sont ceux qu’a imaginés M. Nielsen.

Une femelle de homard fournit de 5 000 à 100 000 œufs : selon son âge et ses dimensions : 10 000 ou 20 000 en moyenne. En 1895, à Dildo, 25 000 homards ont fourni près de 600 millions d’œufs, dont 470 millions ont éclos : une très belle proportion, soit dit en passant[7], En six ans, Dildo a produit plus de 2 milliards de larves de homard, et les pêcheurs de la région apprécient vivement les efforts qui sont faits pour enrichir leur domaine.

De résultats tangibles, je n’en connais point encore. Remarquez en effet qu’un homard de taille marchande a cinq ans d’âge en moyenne, et que l’expérience n’a pas encore suffisamment duré pour qu’on puisse juger de ses conséquences. D’ici à deux ou trois ans, toutefois, on devra s’apercevoir de celles-ci. dans le cas probable où elles seront satisfaisantes.

Revenons aux poissons. De l’esturgeon, qui se péchait naguère avec quelque abondance à l’embouchure du Delaware, il y a peu de chose encore à dire. Ce poisson, on le sait, est anadrome : il vit en mer, mais vient se reproduire et passer un temps assez long dans les eaux douces ; on le pêche surtout dans les rivières, bien que, en Russie, où il est très abondant, on le pèche aussi et surtout en eaux salées, dans la Caspienne. Depuis peu, on a entrepris des essais de multiplication artificielle aux États-Unis, dans la baie du, Delaware. M. Bashford Dean a montré que la fécondation artificielle des œufs de l’esturgeon est extrêmement facile, et n’exige que des précautions élémentaires. Ces œufs sont très robustes et résistans : ils s’accommodent de conditions qui ne conviendraient pas aux œufs d’autres espèces. Mais ils présentent aussi des exigences particulières. Peu de temps après la fécondation, ils sont le siège d’une transformation spéciale qui fait qu’ils s’agglomèrent et s’agglutinent en une masse compacte, avec ce résultat que, si les œufs de la périphérie peuvent encore trouver assez d’air dans l’eau ambiante, ceux des parties centrales de la masse, sans contact avec l’eau, sont prives du moyen de respirer, et périssent. A l’état de nature, cet inconvénient ne se présente pas : les œufs sont pondus en chapelets minces qui se brisent et s’étirent ; le courant les entraîne ici et là, et la particularité qui en rend le maniement difficile dans le laboratoire leur est au contraire favorable dans les conditions naturelles. Ces chapelets, par suite de leur viscosité, s’attachent à droite et à gauche aux pierres du fond, aux herbes qui ondulent sous l’eau, aux débris de bois qui passent, et ils sont éparpillés en tout sens, au lieu de s’attacher les uns aux autres et de s’étouffer mutuellement. Il y a donc lieu de se préoccuper de cette particularité des œufs dans la culture artificielle de l’esturgeon, et, manifestement, il importe de n’opérer que sur de petites masses d’œufs, sur des cordons de peu d’épaisseur, et de préparer des appareils spéciaux sur lesquels ces cordons pourront se fixer avant de les loger dans les incubateurs. M. Bashford Dean conseille l’emploi de plateaux consistant en un cadre en bois portant un treillis, en toile ou en fil métallique. Les œufs, isolés, sont éparpillés sur ce plateau, avant de devenir visqueux : ils se logent dans les sillons et s’y fixent, et désormais la manipulation en est facile, et l’aération satisfaisante.

Des recherches ont encore été faites sur les poissons plats, le turbot, le carrelet, la sole. La plupart de ces poissons ont une valeur marchande relativement élevée, ils sont très appréciés du consommateur, et il y aurait intérêt à en multiplier le nombre. C’est à quoi l’on tâche de différens côtés, aux États-Unis, en Norvège et en Angleterre. L’entreprise est moins facile qu’à l’égard de la morue ou du homard, parce que l’on connaît moins bien les besoins des œufs, les habitudes des reproducteurs, les exigences des alevins, et encore parce que l’on se procure moins facilement la quantité voulue de poissons adultes prêts à se multiplier.

Comme il arrive souvent, d’ailleurs, les praticiens se sont aperçus que, sur bien des points, les théoriciens n’avaient que de faibles secours à leur offrir. Ils ont pu s’étonner, avec quelque raison, que les ichthyologistes leur aient fourni aussi peu de renseignemens sur les mœurs des poissons les plus usuels, sur l’évolution larvaire, et sur tant de questions connexes. Force a donc été d’entreprendre l’étude de celles-ci et de se procurer une foule de données qu’on pensait obtenir aussitôt des zoologistes. Parmi les travailleurs. M. Mc Intosh[8], le naturaliste bien connu de Saint-Andrews en Écosse, dont je visitais le petit laboratoire il y a cinq ou six ans, et M. Eugène Canu, de la station de Boulogne-sur-Mer, ont fait d’excellente besogne en montrant où et comment il faut chercher les œufs des poissons plats, à quoi on distingue les œufs de chaque espèce, et quelles particularités caractérisent l’évolution larvaire. Ils ont rendu service à la zoologie tout autant qu’à la pisciculture. Je n’oublierai pas non plus les travaux de M. Cunningham, à qui l’on doit une belle monographie de la sole, et un livre très intéressant et pleins de renseignemens qui, sous le titre de Marketable British Marine Fishes, résume à peu près tout ce que l’on sait sur les principales espèces comestibles de nos eaux. Grâce à ces recherches, qui se poursuivent d’ailleurs, on a pu déjà se livrer à des expériences pratiques, on a pu commencer à faire la culture de certaines espèces.

Le carrelet est une de celles avec lesquelles on réussit le mieux. C’est un poisson qui ne saurait se comparer à la sole ou au turbot, il est vrai, mais il est de ceux qui pourraient se vendre beaucoup plus si la pêche était plus abondante. On s’en occupe assidûment à Dunbar et à Wood’s Holl, et les résultats obtenus à Dunbar sont très satisfaisans. Les reproducteurs sont gardés en vivier : la multiplication se fait de façon naturelle, et on se borne à mettre les œufs fécondés, recueillis à la surface, dans les incubateurs, où ils restent trois semaines ou un mois. La perte est de 4 pour 100 seulement : 100 œufs donnent 96 alevins, ce qui constitue une proportion exceptionnellement élevée. Des recherches sont en cours aussi sur la reproduction de la limande, du flet, de la sole.

On n’en fait point, à notre connaissance du moins, sur le flétan, ce géant des poissons plats, peu connu en France, qui est plus fréquent en Angleterre, mais qu’on pèche surtout sur les côtes américaines. Le flétan, tel que je l’ai vu à Gloucester, où l’on en débarquait des goélettes pleines, le flétan arrive à plus de deux mètres de longueur : on en voit qui ont trois mètres, sur un mètre de largeur, et c’est un poisson excellent, malgré ses dimensions considérables. Mais il ne pourrait guère se cultiver que dans le nord de l’Atlantique, et c’est un animal de haute mer à qui les installations existantes ne pourraient convenir.

A l’égard de la sole, il reste beaucoup à faire. C’est depuis peu de temps — deux ou trois ans — seulement que l’on a pu obtenir la multiplication naturelle de ce poisson en captivité. Pour le flet, peut-être la culture artificielle en sera-t-elle relativement facile : car ce poisson se plaît dans les estuaires, et remonte dans les rivières, de sorte qu’on pourrait peut-être l’accoutumer à des rivières d’eau saumâtre ou même douce.

Au total, donc, la culture des poissons plats est à l’étude : elle est encore dans la phase préparatoire.

J’ai déjà parlé de l’alose, plus haut, et du repeuplement qui a été opéré, et qui continue à se faire chaque année, sur les côtes de la Virginie et des Carolines ; mais il faut dire un mot aussi des admirables résultats obtenus sur la côte californienne.

Il n’est pas, en effet, d’exemple plus démonstratif de l’utilité et de l’efficacité de la pisciculture marine, pas de fait plus topique à opposer aux adversaires de celle-ci.

L’alose n’existait pas dans le Pacifique : nulle part, de la Californie à l’Alaska, on n’en avait péché un seul individu, soit en eaux douces, soit en eaux salées. La commission fédérale des pêcheries imagina, en 1871, d’envoyer quelques milliers d’alevins à la commission des pêcheries de Californie pour qu’elle tentât d’acclimater l’espèce dans les eaux du Pacifique. Douze mille alevins traversèrent donc le continent de Washington à San-Francisco, — et c’était un succès que d’avoir réussi à leur faire effectuer un voyage de six journées pleines[9], — et à leur arrivée, on les versa dans la rivière Sacramento. L’expérience fut renouvelée pendant les années suivantes, et en 1886, la commission avait « planté » environ 1 690 000 alevins dans quatre des rivières de la Californie, Les effets ne se firent point attendre : on prit bientôt des aloses dans le Sacramento, et ensuite sur la côte. A l’heure qu’il est, l’alose, jusqu’ici inconnue sur les rivages de la Californie, se trouve sur toute la côte, depuis la baie de Monterey jusqu’à la frontière du Canada. Le jour où l’on saura la chercher, on la péchera probablement en abondance jusqu’à Puget Sound, jusqu’à l’Alaska peut-être, et il n’y aurait rien de surprenant à ce que cette espèce se propageât aussi sur la côte occidentale du Pacifique, vers le Japon. Bien que les pêcheurs californiens ne prennent l’alose que par occasion, n’ayant point encore installé les engins habituellement employés pour cette pêche, ce qui réduit considérablement les possibilités du rendement, c’est par milliers de kilogrammes qu’ils capturent ce poisson chaque année. L’alose s’est donc acclimatée ; et là où elle n’existait pas, la pisciculture marine permet maintenant de la prendre abondamment. A l’heure qu’il est, on a pris pour 725 000 francs d’aloses, et les frais d’ensemencement ont été de moins de 70 000 francs.

Une expérience analogue a été faite avec un autre poisson, le striped hass (Roccus lineatus). On en a introduit 450 alevins, en 1879 et en 1882, à l’embouchure du Sacramento. Ils ont prospéré et se sont reproduits : on les trouve — eux et leur descendance — sur toute la côte de Californie où, auparavant, l’espèce n’existait pas. Les eaux du Pacifique semblent leur convenir beaucoup ; ils grossissent vite et se sont répandus au loin. Ce poisson est très recherché sur le marché de San-Francisco. Il pèse en moyenne de 3 à 4 kilogrammes, mais on en trouve aussi de 15 et 17 kilogrammes. Le coût de l’expérience a été de quelques centaines de dollars : et le rendement annuel est d’environ 90 000 francs. Ces faits et ces chiffres ont une éloquence telle qu’ils se passent de tout commentaire.

La gigantesque expérience en cours, par laquelle différens chercheurs tentent de démontrer la possibilité du repeuplement artificiel des mers, s’est faite tout entière en dehors de nos frontières. Il nous arrive souvent de répéter que nous mettons volontiers les choses en train, et qu’ensuite l’étranger s’empare des résultats obtenus, et en tire profil, tandis que nous restons à la traîne avec notre gloire… et nos déboursés d’inventeur. Ici, cela n’a point été le cas. Saurons-nous au moins profiter de ce qu’ont fait les autres ? Nous possédons des côtes assez étendues, et la population vivant des produits de la pêche est assez nombreuse pour qu’il vaille la peine de s’en préoccuper. En second lieu, les moyens qui réussissent ailleurs ne semblent pas devoir échouer chez nous. Il n’y a pas de raison pour que les effets bienfaisans de la pisciculture marine, s’ils existent, ne se présentent aussi bien dans notre pays que dans tel autre. Dans ces conditions, il s’agit seulement de savoir de quelle façon, sous quelle forme, nous pourrons nous associer au mouvement.

Le poisson ne manque pas sur nos côtes : la matière ouvrable ne fait point défaut, bien qu’elle ne se trouve point en quantité proportionnée à nos besoins. Notre pays, si libéralement pourvu de richesses naturelles, que la nature fit avenant et plein de grâce en y accumulant une variété de terrains, de climats, de paysages, qui frappe d’autant plus qu’on parcourt plus souvent les autres contrées ; notre pays, si bien muni des ressources du sol, est aussi parmi ceux dont les eaux littorales présentent le plus de variétés. Elles donnent abri aux espèces les plus estimées, les plus savoureuses qu’il y ait. Celles-ci y vivent naturellement, il n’y a pas d’importations à faire, pas d’emprunts à l’étranger : il suffit de développer ce qui existe.

Prenons le littoral de la Picardie, de la Manche, par exemple, avec les importans centres de pêche qui ont nom Boulogne, Dieppe, Fécamp, etc., et considérons les espèces qui s’y pèchent, et qu’on pourrait multiplier. Il y a de quoi s’occuper toute l’année. M. Eugène Canu a dressé cette liste, en indiquant l’époque normale de reproduction. Supposons donc un laboratoire de pisciculture marine installé sur un point quelconque de cette côte, et voyons quelle sera sa besogne.

Dès l’entrée de l’hiver, dès novembre ou décembre, il lui faut fonctionner. La morue est là, en effet, pleine d’œufs et de laitance, et de décembre à février, on peut multiplier cette espèce. Elle n’appartient point à la catégorie des poissons les plus recherchés, de ceux qui constituent un mets de luxe : et pourtant elle se vend toujours. En janvier, jusqu’en mars, c’est le tour du carrelet, si abondamment multiplié dans le laboratoire de Dunbar, et le carrelet, lui aussi, se consommera beaucoup, s’il devient abondant. De février en avril, trois espèces se présentent, prêtes à se reproduire : le merlan, la lingue, et le flet, poissons très sains, excellens, très appréciés de la masse des consommateurs. Le printemps n’arrêtera point les opérations, car, en mars et avril, deux espèces demandent à partager les soins offerts aux trois qui viennent d’être citées : la limande et l’églefin ; et en mars la reine de nos eaux, — au point de vue culinaire, cela s’entend, — réclame l’attention : la sole. De mars en juin, la sole est apte à se multiplier, et nul ne contestera l’intérêt qu’il y aurait à rendre cette espèce beaucoup plus abondante qu’elle ne l’est. Au mois d’avril, deux espèces également précieuses s’y joindront : le turbot et la barbue. De mai à septembre, les trigles feront leur apparition, et de juin en juillet, ce seront les maquereaux. Eu plein été, on pourra encore occuper très utilement le laboratoire par la multiplication artificielle des brèmes, dorades, surmulets, et c’est tout juste si l’on aura, à l’automne, un mois ou deux de répit pour se reposer ou pour remettre le matériel en état.

Toute l’année durant, ou peu s’en faut, le laboratoire de pisciculture marine peut s’employer utilement, et pour peu qu’on sache s’y prendre, pour peu qu’on profite de l’expérience acquise à l’étranger, pour peu que l’on organise intelligemment l’installation et qu’on assure l’approvisionnement, c’est par milliards que, chaque année, les alevins seront déversés dans nos eaux côtières. De difficulté sérieuse, d’obstacles importans, il n’en est pas.

Une entreprise de ce genre ne pourrait être que l’œuvre de l’État. Ce n’est pas que l’administration et la gérance de l’État soient le moins du monde de nature à exciter l’enthousiasme : l’opinion est faite là-dessus. Mais, dans une question du genre de celle dont il s’agit ici, il serait difficile, impossible peut-être, de procéder autrement, et les intérêts en jeu sont d’ordre si général que c’est au mandataire de la généralité de les prendre en main. Le repeuplement de nos côtes semble donc devoir être une affaire conduite par l’État, et, au reste, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne donne pas de bons résultats, si elle est confiée à des mains habiles et pas trop nombreuses.

Il y a assez à faire, un nombre d’espèces à multiplier amplement suffisant pour qu’un laboratoire bien aménagé soit occupé toute l’année ou peu s’en faut, et pour que, par conséquent, les frais soient relativement faibles. Une dépense première de 50 000 ou 60 000 francs intelligemment employés, mis en œuvre par un praticien qui aura vu ce qui s’est fait ailleurs, et de quelle façon il faut s’y prendre — et surtout ne pas s’y prendre — suffirait à la création d’un laboratoire capable de préparer des quantités énormes d’alevins : et le choix de l’emplacement serait encore assez facile, pour un homme qui connaîtrait les conditions matérielles et économiques à réaliser. Pour l’entretien annuel, un budget de ; 20 000 francs paraît pouvoir suffire largement. À Dunbar, les frais matériels sont de 10 000 francs par an environ, et avec 10 000 francs on peut payer le personnel nécessaire. En tous cas, on pourrait commencer sur ces bases, et à coup sûr, si l’entreprise devenait prospère par ses résultats, — car il ne saurait être question de recettes, — le budget pourrait être accru.

Peut-être pourrait-on, du reste, l’augmenter par le prélèvement de droits à établir sur les transactions, si le rendement des pêches s’élevait dans des proportions marquées, et ce ne serait que justice que ceux qui profitent de l’œuvre en prissent quelque charge, ne la laissant pas tout entière à la collectivité. La méthode actuelle qui consiste à saigner la vache pour engraisser le bœuf, chère à certaine école économique, ne saurait constituer un système viable, assuré de la permanence.

L’entreprise, l’initiative particulières trouveraient toutefois à s’exercer utilement aussi dans cette question : il y a place pour les efforts individuels dans le sens qu’indique M. Wemyss Fulton. Sur bien des points de nos côtes, des criques se présentent, souvent des baies, de dimensions suffisantes, pour qu’avec des travaux relativement peu importans, l’on puisse les transformer en des bras de mer clos, ou du moins suffisamment isolés de l’Océan pour devenir de véritables viviers où le poisson peut vivre et se développer, et où on peut l’aller pêcher sans grands risques. La pisciculture marine donne le moyen de repeupler ces viviers. Il y a encore des étangs mi-salés, des estuaires saumâtres où certaines espèces vivent très bien, et que l’on pourrait utiliser aussi. Tandis que la mer gagne invinciblement sur nos côtes, les émiettant peu à peu, précipitant les falaises qu’elle désagrège, brise et disperse sous forme de rochers qui finissent par devenir des grains de sable, on pourrait, en bien des points, redemander à la mer la monnaie, et gagner ici ce qu’on perd ailleurs. Les barrières artificielles à élever auraient cet avantage de ralentir beaucoup l’œuvre de destruction : ce seraient des digues doublement utiles, et dans les grands viviers ainsi établis, on pourrait, selon toute vraisemblance, pratiquer l’élevage des poissons de mer dans des proportions considérables et de bonnes conditions[10].

Au total, les expériences faites établissent qu’il y a une œuvre utile à tenter et un exemple à suivre.


HENRY DE VARIGNY.

  1. Voir en particulier, sur ce point, les observations de J. T. Cunningham, dans Marketable Marine Fishes, p. 116-118. Voir aussi les expériences directes de Wemyss Fulton qui attacha des plaques d’aluminium marquées à des poissons qui venaient d’être péchés et qui furent remis aussitôt à l’eau. Il en résulte ceci que la proportion des poissons marqués que l’on pèche à nouveau, dans les mêmes parages, même après un temps assez long, est considérable.
  2. Les documens publiés sur les tentatives de pisciculture marine sont déjà nombreux. Il faut signaler surtout l’admirable collection des Rapports annuels du chef de l’United States Commission of Fish and Fisheries, collection pleine de faits et d’enseignemens très précis, et les rapports officiels publiés par les directeurs des stations de Flödevig, de Dildo, et de Dunbar. De travaux français, le nombre est restreint. Un des premiers est celui de M. Marcel Baudouin, qui s’occupait, comme moi, en 1893, à visiter l’Exposition des pêcheries, à Chicago. Son mémoire a paru dans le compte rendu du Congrès international des Pêcheries maritimes qui s’est tenu aux Sables-d’Olonne en 1896. Il a bien paru dans une publication du ministère de la marine un rapport officiel sur les pêcheries américaines, mais on pourra juger de sa valeur par cette simple citation : « Comme pisciculture, on n’est pas aussi avancé aux États-Unis qu’on pourrait le supposer, et jusqu’à ce jour on ne s’est guère occupé que du saumon, de la truite et des huîtres. » Cette assertion stupéfiante, faite par des rapporteurs qui ont pu voir à Chicago l’Exposition si riche et si curieuse de la Pisciculture, ouverte à tous les visiteurs, s’explique aisément, toutefois, pour qui sait que ce rapport « officiel » est en majeure partie un simple démarquage d’un ouvrage bien connu, publié il y a plusieurs années, The Fishery Industries of the United States, par le regretté G. Brown Goode et différens collaborateurs. Le rapport en question consiste pour une grande partie en extraits traduits et en résumés de le travail. L’ouvrage de Goode, exclusivement consacré aux Pêches et Pêcheries, ne traite point de la pisciculture ; de là la plaisante conclusion que je viens de citer. Il faut ajouter qu’en aucun passage du rapport il n’est fait allusion à la source à laquelle sont empruntés les renseignemens relatifs aux pêches et pêcheries (je ne parle point de la partie relative aux. bateaux de pêche et au matériel). Si c’est de cette façon par trop facile et incomplète que le ministère de la marine se fait renseigner sur les questions qui l’intéressent, par ses délégués à l’étranger, il n’est guère exigeant.
    Il faut signaler encore un ouvrage tout récent, et bien fait, de M. Georges Roche : la Culture des Mers. (F. Alcan, 1898.)
  3. Les expériences et observations auxquelles ont donné lieu les opérations de pisciculture, aux États-Unis, en Scandinavie, en Angleterre. ont fait connaître beaucoup de faits dont on n’avait aucune connaissance. à l’égard des œufs des poissons et de leur développement. Ces faits sont résumés principalement dans les ouvrages de MM. Mc’ Intosh, Masterman, et Cunningham, sur les poissons comestibles d’Angleterre, et dans les publications de la station aquicole de Boulogne, où M. Eugène Canu a fait d’excellente besogne.
  4. Cité dans Notes sur la Pisciculture marine et son application rationnelle aux côtes françaises de la Manche, par M. Eugène Canu (Annales de la Station aquicole de Boulogne-sur-Mer, 1894).
  5. Voir le Compte rendu des séances de ce congrès, publié par MM. A. Odin et Marcel Baudouin, à l’Institut international de bibliographie scientifique, p. 183.
  6. Fishing Gazette (New-York), 17 août 1895, p. 517.
  7. Pour les détails, voir la belle monographie du homard, par M. Herrick, publiée par la Commission des Pêcheries des États-Unis (Bulletin. 1895).
  8. Voir son excellent volume récemment publié : The Life Histories of the British Marine food-fisches, en collaboration avec M. J. Masterman (C.-J. Claye, à Londres).
  9. Voici deux ou trois ans qu’en France on commence à connaître la possibilité d’imposer de longs voyages aux alevins et aux œufs fécondés ou non fécondés. On se donne même la peine d’imaginer des appareils et des wagons à cet usage. Si l’on était tant soit peu au courant de ce qui se fait à l’étranger, on saurait, de façon générale, que ces appareils et ces wagons existent depuis bientôt trente ans...
  10. M. Georges Roché a donné des indications intéressantes (chap. V de la Culture des Mers) sur ce qui se fait déjà dans cet ordre d’idées, à Arcachon, à Marennes, aux Sables-d’Olonne, à Comacchio. en Italie ; mais il est manifeste que l’art pourrait beaucoup aider la nature, et que la pisciculture, — ou la piscifacture, comme on rappelle souvent, — accroîtrait considérablement les ressources fournies par les étangs et viviers.