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LA COUPE


FÉERIE




À MON AMI ALEXANDRE MANCEAU.
GEORGE SAND.


« Il y a trois choses que Dieu ne peut point ne pas accomplir : ce qu’il y a de plus avantageux, ce qu’il y a de plus nécessaire, ce qu’il y a de plus beau pour chaque chose. »
(Mystère des Bardes, tr. 7.)



LIVRE PREMIER


I

L’enfant du prince a voulu se promener bien haut sur la montagne, et son gouverneur l’a suivi. L’enfant a voulu voir de près les belles neiges et les grandes glaces qui ne fondent jamais, et son gouverneur n’a pas osé l’en empêcher. L’enfant a joué avec son chien au bord d’une fente du glacier. Il a glissé, il a crié, il a disparu, et son gouverneur n’a pas osé se jeter après lui ; mais le chien s’est élancé dans l’abîme pour sauver l’enfant, et le chien aussi a disparu.


II

Pendant des minutes qui ont paru longues comme des heures, on a entendu le chien japper et l’enfant crier. Le bruit descendait toujours et allait s’étouffant dans la profondeur inconnue, et puis on a vainement écouté : la profondeur était muette. Alors les valets du prince et les pâtres de la montagne ont essayé de descendre avec des cordes ; mais ils n’ont vu que la fente verdâtre qui plongeait toujours plus bas et devenait toujours plus rapide.


III

Ils y ont en vain risqué leur vie, et ils ont été dire au prince ce qu’ils avaient fait. Le prince les a fait pendre pour avoir laissé périr son fils. On a tranché la tête à plus de vingt nobles qui pouvaient avoir des prétentions à la couronne et qui avaient bien certainement signé un pacte avec les esprits de la montagne pour faire mourir l’héritier ducal. Quant à maître Bonus, le gouverneur, on a écrit sur tous les murs qu’il serait brûlé à petit feu, ce que voyant, il a tant couru qu’on n’a pu le prendre.


IV

L’enfant a eu bien peur et bien froid dans les profondeurs du glacier. Le chien n’a pu l’empêcher de glisser au plus bas ; mais, le retenant toujours par sa ceinture, il l’a empêché de glisser trop vite et de se briser contre les glaces. Entraîné par le poids de l’enfant, il a tant résisté qu’il a les pattes en sang et les ongles presque arrachés. Cependant il n’a pas lâché prise, et quand ils ont enfin trouvé un creux où ils ont pu s’arrêter, le chien s’est couché sur l’enfant pour le réchauffer.


V

Et tous deux étaient si las qu’ils ont dormi. Quand ils se sont réveillés, ils ont vu devant eux une femme si mince et si belle qu’ils n’ont su ce que c’était. Elle avait une robe aussi blanche que la neige et de longs cheveux en or fin qui brillaient comme des flammes répandues sur elle. Elle a souri à l’enfant, mais sans lui parler, et, le prenant par la main, elle l’a fait sortir du glacier et l’a emmené dans une grande vallée sauvage où le chien tout boiteux les a suivis.


VI

Cachée dans un pli profond des montagnes, cette vallée est inconnue aux hommes. Elle est défendue par les hautes murailles de granit et par les glaciers impénétrables. Elle est horrible et riante, comme il convient aux êtres qui l’habitent. Sur ses flancs, les aigles, les ours et les chamois ont caché leurs refuges. Dans le plus profond, la chaleur règne, les plus belles plantes fleurissent ; les fées y ont établi leur séjour, et c’est à ses sœurs que la jeune Zilla conduit l’enfant qu’elle a trouvé dans les flancs glauques du glacier.


VII

Quand l’enfant a vu les ours passer près de lui, il a eu peur, et le chien a tremblé et grondé ; mais la fée a souri, et les bêtes sauvages se sont détournées de son chemin. Quand l’enfant a vu les fées, il a eu envie de rire et de parler ; mais elles l’ont regardé avec des yeux si brillants qu’il s’est mis à pleurer. Alors Zilla, le prenant sur ses genoux, l’a embrassé au front, et les fées ont été en colère, et la plus vieille lui a dit en la menaçant :


VIII

« Ce que tu fais là est une honte : jamais fée qui se respecte n’a caressé un enfant. Les baisers d’une fée appartiennent aux colombes, aux jeunes faons, aux fleurs, aux êtres gracieux et inoffensifs ; mais l’animal impur et malfaisant que tu nous amènes souille tes lèvres. Nous n’en voulons point ici, et, quant au chien, nous ne le souffrirons pas davantage. C’est l’ami de l’homme, il a ses instincts de destruction et ses habitudes de rapine ; reconduis ces créatures où tu les as prises.


IX

Zilla a répondu à la vieille Trollia : « Vous êtes aussi fière et aussi méchante que si vous étiez née de la vipère ou du vautour. Ne vous souvient-il plus d’avoir été femme avant d’être fée, et vous est-il permis de haïr et de mépriser la race dont vous sortez ? Quand, sur les derniers autels de nos antiques divinités, vous avez bu le breuvage magique qui nous fit immortelles, n’avez-vous pas juré de protéger la famille des hommes et de veiller sur leur postérité ? »


X

Alors la vieille Trollia : « Oui, j’ai juré, comme vous, de faire servir la science de nos pères au bonheur de leurs descendants ; mais les hommes nous ont déliées de notre serment. Comment nous ont-ils traitées ? Ils ont servi de nouveaux dieux et nous ont appelées sorcières et démons. Ils nous ont chassées de nos sanctuaires, et, détruisant nos demeures sacrées, brûlant nos antiques forêts, reniant nos lois et raillant nos mystères, ils ont brisé les liens qui nous unissaient à leur race maudite.

XI

» Pour moi, si j’ai jamais regretté de m’être, par le breuvage magique, soustraite à l’empire de la mort, c’est en songeant que j’avais perdu le pouvoir de la donner aux hommes. Autrefois, grâce à la science, nous pouvions jouer avec elle, la hâter ou la reculer. Désormais elle nous échappe et se rit de nous. L’implacable vie qui nous possède nous condamne à respecter la vie. C’est un grand bien pour nous de n’être plus forcées de tuer pour vivre ; mais c’est un grand mal aussi d’être forcé de laisser vivre ce que l’on voudrait voir mort. »


XII

En disant ces cruelles choses, la vieille magicienne a levé le bras comme pour frapper l’enfant ; mais son bras est retombé sans force ; le chien s’est jeté sur elle et a déchiré sa robe, souillée de taches noires qu’on dit être les restes du sang humain versé jadis dans les sacrifices. L’enfant ; qui n’a pas compris ses paroles, mais qui a vu son geste horrible, a caché son visage dans le sein de la douce Zilla, et toutes les jeunes fées ont ri follement de la rage de la sorcière et de l’audace du chien.


XIII

Les vieilles ont tancé et injurié les jeunes, et tant de paroles ont été dites que les ours en ont grogné d’ennui dans leurs tanières. Et tant de cris, de menaces, de rires, de moqueries et d’imprécations ont monté dans les airs, que les plus hautes cimes ont secoué leurs aigrettes de neige sur les arbres de la vallée. Alors la reine est arrivée, et tout est rentré dans le silence, car la reine des fées peut, dit-on, retirer le don de la parole à qui en abuse, et perdre la parole est ce que les fées redoutent le plus.


XIV

La reine est jeune comme au jour où elle a bu la coupe, car, en se procurant l’immortalité, les fées n’ont pu ni se vieillir ni se rajeunir, et toutes sont restées ce qu’elles étaient à ce moment suprême. Ainsi les jeunes sont toujours impétueuses ou riantes, les mûres toujours sérieuses ou mélancoliques, les vieilles toujours décrépites ou chagrines. La reine est grande et fraîche, c’est la plus forte, la plus belle, la plus douce et la plus sage des fées ; c’est aussi la plus savante, c’est elle qui jadis a découvert le grand secret de la coupe d’immortalité.


XV

« Trollia, dit-elle, ta colère n’est qu’un bruit inutile. Les hommes valent ce qu’ils valent et sont ce qu’ils sont. Haïr est contraire à toute sagesse. Mais toi, Zilla, tu as été folle d’amener ici cet enfant. Avec quoi le feras-tu vivre ? Ne sais-tu pas qu’il faut qu’il respire et qu’il mange à la manière des hommes ? Lui permettras-tu de tuer les animaux ou de leur disputer l’œuf, le lait et le miel, ou seulement les plantes qui sont leur nourriture ? Ne vois-tu pas qu’avec lui tu fais entrer la mort dans notre sanctuaire ?


XVI

— Reine, répond la jeune fée, la mort ne règne-t-elle donc pas ici comme ailleurs ? Avons-nous pu la bannir de devant nos yeux ? et de ce que les fées ne la donnent pas, de ce que l’arome des fleurs suffit à leur nourriture, de ce que leur pas léger ne peut écraser un insecte, ni leur souffle éthéré absorber un atome de vie dans la nature, s’ensuit-il que les animaux ne se dévorent ni ne s’écrasent les uns les autres ? Qu’importe que, parmi ces êtres dont la vie ne s’alimente que par la destruction, j’en amène ici deux de plus ?


XVII

— Le chien, je te le passe, dit la reine ; mais l’enfant amènera ici la douleur sentie et la mort tragique. Il tuera avec intelligence et préméditation, il nous montrera un affreux spectacle, il augmentera les pensées de meurtre et de haine qui règnent déjà chez quelques-unes d’entre nous, et la vue d’un être si semblable à nous, commettant des actes qui nous sont odieux, troublera la pureté de nos songes. Si tu le gardes, Zilla, tâche de modifier sa terrible nature, ou il me faudra te le reprendre et l’égarer dans les neiges où la mort viendra le chercher. »

XVIII

La reine n’a rien dit de plus. Elle conseille et ne commande pas. Elle s’éloigne et les fées se dispersent. Quelques-unes restent avec Zilla et l’interrogent. « Que veux-tu donc faire de cet enfant ? Il est beau, j’en conviens, mais tu ne peux l’aimer. Vierge consacrée, tu as jadis prononcé le vœu terrible ; tu n’as connu ni époux ni famille ; aucun souvenir de ta vie mortelle ne t’a laissé le regret et le rêve de la maternité. D’ailleurs l’immortalité délivre de ces faiblesses et quiconque a bu la coupe a oublié l’amour.

XIX

— Il est vrai, dit Zilla, et ce que je rêve pour cet enfant n’a rien qui ressemble aux rêves de la vie humaine : il est pour moi une curiosité, et je m’étonne que vous ne partagiez pas l’amusement qu’il me donne. Depuis tant de siècles que nous avons rompu tout lien d amitié avec sa race, nous ne la connaissons plus que par ses œuvres. Nous savons bien qu’elle est devenue plus habile et plus savante, ses travaux et ses inventions nous étonnent ; mais nous ne savons pas si elle en vaut mieux pour cela et si ses méchants instincts ont changé.

XX

— Et tu veux voir ce que deviendra l’enfant des hommes, isolé de ses pareils et abandonné à lui-même, ou instruit par toi dans la haute science ? Essaie. Nous t’aiderons à le conduire ou à l’observer. Souviens-toi seulement qu’il est faible et qu’il n’est pas encore méchant. Il te faudra donc le soigner mieux que l’oiseau dans son nid, et tu as pris là un grand souci, Zilla. Tu, es aimable et douce, mais tu as plus de caprices que de volontés. Tu te lasseras de cette chaîne, et peut-être ferais-tu mieux de ne pas t’en charger. »

XXI

Elles parlaient ainsi par jalousie, car l’enfant leur plaisait, et plus d’une eût voulu le prendre. Les fées n’aiment pas avec le cœur, mais leur esprit est plein de convoitises et de curiosités. Elles s’ennuient, et ce qui leur vient du monde des hommes, où elles n’osent plus pénétrer ouvertement, leur est un sujet d’agitation et de surprise. Un joyau, un animal domestique, une montre, un miroir, tout ce qu’elles ne savent pas faire et tout ce dont elles n’ont pas besoin les charme et les occupe.

XXII

Elles méprisent profondément l’humanité ; mais elles ne peuvent se défendre d’y songer et d’en jaser sans cesse. L’enfant leur tournait la tête. Quelques-unes convoitaient aussi le chien ; mais Zilla était jalouse de ses captures, et, trouvant qu’on les lui disputait trop, elle les emmena dans une grotte éloignée du sanctuaire des fées et montra à l’enfant l’enceinte de forêts qu’il ne devait pas franchir sans sa permission. L’enfant pleura en lui disant : « J’ai faim. » Et quand elle l’eut fait manger, voyant qu’elle le quittait, il lui dit : « J’ai peur. »

XXIII

Zilla, qui avait trouvé l’enfant vorace, le trouva stupide, et, ne voulant pas se faire son esclave, elle lui montra où les chevrettes allaitaient leurs petit, où les abeilles cachaient leurs ruches, où les canards et les cygnes sauvages cachaient leurs œufs, et elle lui dit : « Cherche ta nourriture. Cache-toi aussi, toi, pour dérober ces choses, car les animaux deviendraient craintifs ou méchants, et les vieilles fées n’aiment pas à voir déranger les habitudes de leur vie. » L’enfant du prince s’étonna bien d’avoir à chercher lui-même une si maigre chère. Il bouda et pleura, mais la fée n’y fit pas attention.

XXIV

Elle n’y fit pas attention, parce qu’elle ne se rappelait que vaguement les pleurs de son enfance, et que ces pleurs ne représentaient plus pour elle une souffrance appréciable. Elle s’en alla au sabbat, et le lendemain l’enfant eut faim et ne bouda plus. Le chien, qui ne boudait jamais, attrapa un lièvre et le mangea bel et bien. Au bout de trois jours, l’enfant pensa qu’il pourrait aisément ramasser du bois mort, allumer du feu et faire cuire le gibier pris par son chien ; mais, comme il était paresseux, il se contenta des autres mets et les trouva bons.

XXV

Un peu plus tard, il oublia que les hommes font cuire la viande, et, voyant que son chien la mangeait crue avec délices, il y goûta et s’en rassasia. Quand la fée Zilla revint du concile, elle trouva l’enfant gai et frais, mais sauvage et malpropre. Il avait les dents blanches et les mains ensanglantées, le regard morne et farouche ; il ne savait déjà presque plus parler ; las de chercher où il était, et pourquoi son sort était si changé, il ne songeait plus qu’à manger et à dormir.

XXVI

Le chien au contraire était propre et avenant. Son intelligence avait grandi dans le dévouement de l’amitié. La fée eut envie d’abandonner l’enfant et d’emmener le chien. Et puis elle se souvint un peu du passé et résolut de civiliser l’enfant à sa manière ; mais il fallait se décider à lui parler, et elle ne savait quelle chose lui dire. Elle connaissait bien sa langue, elle n’était pas des moins savantes ; mais elle ne se faisait guère d’idée des raisons que l’on peut donner à un enfant pour changer ses instincts.

XXVII

Elle essaya. Elle lui dit d’abord : « Souviens-toi que tu appartiens à une race inférieure à la mienne. » L’enfant se souvint de ce qu’il était et lui répondit : « Tu es donc impératrice ? car, moi, je suis prince. » La fée reprit : « Je veux te faire plus grand que tous les rois de la terre. » L’enfant répondit : « Rends-moi à ma mère qui me cherche. » La fée reprit : « Oublie ta mère et n’obéis qu’à moi. » L’enfant eut peur et ne répondit pas. La fée reprit : « Je veux te rendre heureux et sage, et t’élever au-dessus de la nature humaine. » L’enfant ne comprit pas.

XXVIII

La fée essaya autre chose. Elle lui dit : « Aimais-tu ta mère ? — Oui, répondit l’enfant. — Veux-tu m’aimer comme elle ? — Oui, si vous m’aimez. — Que me demandes-tu là ? dit la fée souriant de tant d’audace. Je t’ai tiré du glacier où tu serais mort ; je t’ai défendu contre les vieilles fées qui te haïssaient, et caché ici où elles ne songent plus à toi. Je t’ai donné un baiser, bien que tu ne sois pas mon pareil. N’est-ce pas beaucoup, et ta mère eût-elle fait pour toi davantage ? — Oui, dit l’enfant, elle m’embrassait tous les jours. »

XXIX

La fée embrassa l’enfant, qui l’embrassa aussi en lui disant : « Comme tu as la bouche froide ! » Les fées sont joueuses et puériles comme les gens qui n’ont rien à faire de leur corps. Zilla essaya de faire courir et sauter l’enfant. Il était agile et résolu, et prit d’abord plaisir à faire assaut avec elle ; mais bientôt il vit des choses extraordinaires. La fée courait aussi vite qu’une flèche, ses jambes fines ne connaissaient pas la fatigue, et l’enfant ne pouvait la suivre.

XXX

Quand elle l’invita à sauter, elle voulut, pour lui donner l’exemple, franchir une fente de rochers ; mais, trop forte et trop sûre de ne pas se faire de mal en tombant, elle sauta si haut et si loin que l’enfant épouvanté alla se cacher dans un buisson. Elle voulut alors l’exercer à la nage, mais il eut peur de l’eau et demanda une nacelle, ce qui fit rire la fée, et lui, voyant qu’elle se moquait, se sentant méprisé et par trop inférieur à elle, il lui dit qu’il ne voulait plus d’elle pour sa mère.

XXXI

Elle le trouva faible et poltron. Pendant quelques jours, elle l’oublia ; mais comme ses compagnes lui demandaient ce qu’il était devenu et lui reprochaient de l’avoir pris par caprice et de l’avoir laissé mourir dans un coin, elle courut le chercher et leur montra qu’il était bien portant et bien vivant, « C’est bon, dit la reine ; puisqu’il peut se tirer d’affaire sans causer trop de dommage, je consens à ce qu’il soit ici comme un animal vivant à la manière des autres, car je vois bien que tu n’en sauras rien faire de mieux. »

XXXII

Zilla comprit que la sage et bonne reine la blâmait, et elle se piqua d’honneur. Elle retourna tous les jours auprès de l’enfant, y passa plus de temps chaque jour, apprit à lui parler doucement, le caressa un peu plus, mit plus de complaisance à le faire jouer en ménageant ses forces et en exerçant son courage. Elle lui apprit aussi à se nourrir sans verser le sang, et elle vit qu’il était éducable, car il s’ennuyait d’être seul, et pour la faire rester avec lui, il obéissait à toutes ses volontés, et même il avait des grâces caressantes qui flattaient l’amour-propre de la fée.

XXXIII

Pourtant l’hiver approchait, et bien que l’enfant n’y songeât point, bien qu’il jouât avec la neige qui peu à peu gagnait la grotte où la fée l’avait logé, le chien commençait à hurler et à aboyer contre les empiétements de cette neige insensible qui avançait toujours. Zilla vit bien qu’il fallait ôter de là l’enfant, si elle ne voulait le voir mourir. Elle remmena au plus creux de la vallée, et elle pria ses compagnes de l’aider à lui bâtir une maison, car il est faux que les fées sachent tout faire avec un coup de baguette.

XXXIV

Elles ne savent faire que ce qui leur est nécessaire, et une maison leur est fort inutile. Elles n’ont jamais chaud ni froid que juste pour leur agrément. Elles sautent et dansent un peu plus en hiver qu’en été, sans jamais souffrir tout à fait dans leur corps ni dans leur esprit. Elles gambadent sur la glace aussi volontiers que sur le gazon, et s’il leur plaît de sentir en janvier la moiteur d’avril, elles se couchent avec les ours blottis dans leurs grottes de neige, et elles y dorment pour le plaisir de rêver, car elles ont fort peu besoin de sommeil.

XXXV

Zilla n’eût osé confier l’enfant aux ours. Ils n’étaient pas méchants ; mais, à force de le sentir et de le lécher, ils eussent pu le trouver bon. Les jeunes fées qu’elle incita à lui bâtir un gîte s’y prêtèrent en riant et se mirent à l’œuvre pêle-mêle, à grand bruit. Elles voulaient que ce fût un palais plus beau que tous ceux que les hommes construisent et qui ne ressemblât en rien à leurs misérables inventions. La reine s’assit et les regarda sans rien dire.

XXXVI

L’une voulait que ce fût très-grand, l’autre que ce fût très-petit ; l’une que ce fût comme une boule, l’autre que tout montât en pointe ; l’une qu’on n’employât que des pierres précieuses, l’autre que ce fût fait avec les aigrettes de la graine de chardon ; l’une que ce fût découvert comme un nid, l’autre que ce fût enfoui comme une tanière. L’une apportait des branches, l’autre du sable, l’une de la neige, l’autre des feuilles de roses, l’une de petits cailloux, l’autre des fils de la Vierge ; le plus grand nombre n’apportait que des paroles.

XXXVII

La reine vit qu’elles ne se décidaient à rien et que la maison ne serait jamais commencée ; elle appela l’enfant et lui dit : « Est-ce que tu ne saurais pas bâtir ta maison toi-même ? c’est un ouvrage d’homme. » L’enfant essaya. Il avait vu bâtir. Il alla chercher des pierres, il fit, comme il put, du mortier de glaise qu’il pétrit avec de la mousse ; il éleva des murs en carré, il traça des compartiments, il entre-croisa des branches, il fit un toit de roseaux et se meubla de quelques pierres et d’un lit de fougère.

XXXVIII

Les fées furent émerveillées d’abord de l’intelligence et de l’industrie de l’enfant, et puis elles s’en moquèrent, disant que les abeilles, les castors et les fourmis travaillaient beaucoup mieux. La reine lrs reprit de la sorte : « Vous vous trompez ; les animaux qui vivent forcément en société ont moins d’intelligence que ceux qui peuvent vivre seuls. Une abeille meurt quand elle ne peut rejoindre sa ruche ; un groupe de castors égarés oublie l’art de construire et se contente d’habitations grossières. Dans ce monde-là, personne n’existe, on ne dit jamais moi.

XXXIX

» Ces êtres qui vivent d’une mystérieuse tradition, toujours transmise de tous à chacun, sans qu’aucun d’eux y apporte un changement quelconque, sont inférieurs à l’être le plus misérable et le plus dépourvu dont l’esprit cherche et combine. C’est pour cela que l’homme, notre ancêtre, est le premier des animaux, et que son travail, étant le plus varié et le plus changeant, est le plus beau de tous. Voyez ce qu’il peut faire avec le souvenir, comme il invente l’expérience, et comme il sait accommoder à son usage les matériaux les plus grossiers !

XL

» — L’homme, dit Zilla, serait donc meilleur t plus habile s’il vivait dans l’isolement ? — Non, Zilla, il lui faut la société volontaire et non la réunion forcée. Seul il peut lutter contre toutes choses, et là où les autres animaux succombent, il triomphe par l’esprit ; mais il a le désir d’un autre bonheur que celui de conserver son corps ; c’est pourquoi il cherche le commerce de ses semblables afin qu’ils lui donnent le pain de l’âme, et le besoin qu’il a des autres est encore une liberté. »

XLI

Zilla s’efforça de comprendre la reine, que les autres fées ne comprenaient pas beaucoup. Elles avaient gardé les idées barbares du temps où elles étaient semblables à nous sur la terre, et si leur science les faisait pénétrer mieux que jadis et mieux que nous dans les lois de renouvellement du grand univers, elles ne se rendaient plus compte de la marche suivie par la race humaine dans ce petit monde où elles s’ennuyaient, faute de pouvoir y rien changer. Elles avaient voulu ne plus changer elles-mêmes, il leur fallait bien s’en consoler en méprisant ce qui change.

XLII

Zilla, toute pensive, résolut de procurer à son enfant adoptif tout ce qu’il pouvait souhaiter, afin de voir le parti qu’il en saurait tirer. « Voilà ta maison bâtie, lui dit-elle. Que voudrais-tu pour l’embellir ? — J’y voudrais ma mère, dit l’enfant. — Je vais tâcher de te l’amener », dit la fée, et, sachant qu’elle pouvait faire des choses très-difficiles, elle partit après avoir mis l’enfant sous là protection de la reine. Elle partit pour le monde des hommes, en se laissant emporter par le torrent.

XLIII

Ce torrent, qui donne naissance à un grand fleuve dont les hommes ne connaissent pas la source, sort du glacier où était tombé l’enfant du prince. Il se divise en mille filets d’argent pour arroser et fertiliser le Val-des-Fées, puis il se réunit à l’entrée d’un massif de roches énormes qui est la barrière naturelle de leur royaume. La le torrent, devenu rivière, se précipite dans des abîmes effroyables, s’engouffre dans des cavernes où le jour ne pénètre jamais, et de chute en chute arrive par des voies inconnues au pays des hommes.

XLIV

Les fées, pour lesquelles il n’est pas de site infranchissable, peuvent sortir de chez elles par les cimes neigeuses, par les flèches des glaciers ou par les fentes du roc ; mais elles préfèrent se laisser emporter par la rivière, qui ne leur fait pas plus de mal qu’à un flocon d’écume en les précipitant dans ses abîmes. En peu d’instants, Zilla se trouva dans les terres cultivées et s’approcha d’un village de bergers et de bûcherons, où elle vit un homme étrangement vêtu qui, monté sur une grosse pierre, parlait à la foule.

XLV

Cet homme disait : « Serfs et vassaux, priez pour la grande duchesse qui est morte hier, et priez aussi pour l’âme de son fils Hermann, qui a péri dans les glaces du Mont-Maudit. La duchesse n’a pu se consoler. Dieu l’a rappelée à lui. Le duc vous envoie ses aumônes afin que vous disiez pour tous deux des prières. » Et le héraut jeta de l’or et de l’argent aux bergers et aux bûcherons, qui se battirent pour le ramasser, et remercièrent Dieu de la mort qui leur procurait cette aubaine.

XLVI

La fée fut contente aussi de la mort de la duchesse. « L’enfant ne me tourmentera plus, pensa-t-elle, pour que je le rende à sa mère. Je vais lui porter quelque chose afin de le consoler, et, avisant un sac de blé, elle lui fit signe de la suivre, et le sac de blé, obéissant au pouvoir mystérieux qui était en elle, la suivit. Un peu plus loin elle vit un âne et lui commanda de porter le sac de blé. Elle emmena aussi une petite charrue, pensant, d’après ce qu’elle voyait autour d’elle, que ces jouets plairaient au petit Hermann.

XLVII

Pourtant ce n’était pas ce que les hommes qu’elle avait sous les yeux estimaient le plus. Elle les voyait se battre encore pour les pièces de monnaie répandues à terre. Elle suivit le héraut, qui s’en allait avec une mule blanche chargée d’un coffre plein d’or et d’argent, destiné aux libéralités de la dévotion ducale. Elle fit signe à la mule, qui suivit l’âne et la charrue, et le héraut n’y prit pas garde. La fée avait jeté sur lui et sur son escorte un charme qui les fit dormir à cheval pendant plus de quinze lieues.

XLVIII

La fée ne se fit aucune conscience de voler ces choses. C’était pour l’enfant du prince, et tout dans le pays lui appartenait. D’ailleurs les fées ne reconnaissent pas nos lois et ne partagent pas nos idées. Elles nous considèrent comme les plus grands pillards de la création, et ce que nous volons à la nature, elles pensent avoir le droit de nous le reprendre. Comme elles n’ont guère besoin de nos richesses, il faut dire qu’elles ne nous font pas grand tort. Pourtant leurs fantaisies sont dangereuses. Elles ont fait pendre plus d’un malheureux accusé de leurs rapts.

XLIX

Suivie de son butin, Zilla se rapprocha de la montagne, et, connaissant dans la forêt un passage par où elle pouvait rentrer dans le Val-aux-Fées avec sa suite, elle pénétra au plus épais des pins et des mélèzes. Là elle s’arrêta surprise en rencontrant sous ses pieds un être bizarre qui lui causa un certain dégoût : c’était un vieux homme grand et sec, barbu comme une chèvre et chauve comme un œuf, avec un nez fort gros et une robe noire tout en guenilles.

L

Il paraissait mort, car un vautour venait de s’abattre sur lui et commençait à vouloir goûter à ses mains ; mais en se sentant mordu, le moribond fit un cri, saisit l’oiseau, et, l’étouffant, il le mordit au cou et se mit à sucer le sang avec une rage horrible et grotesque. C’était la première fois que la fée voyait pareille chose : le vautour mangé par le cadavre ! Elle pensa que ce devait être un événement fatidique de sa compétence, et elle demanda au vieillard ce qui le faisait agir ainsi.

LI

« Bonne femme, répondit-il, ne me trahissez pas. Je suis un proscrit qui se cache, et la faim m’a jeté là par terre, épuisé et mourant ; mais le ciel m’a envoyé cet oiseau que je mange à demi vivant, comme vous voyez, n’ayant pas le loisir de m’en repaître d’une manière moins sauvage. » Ce malheureux croyait parler à une vieille ramasseuse de bois, car s’il n’est pas prouvé que les fées puissent prendre toutes les formes, il est du moins certain qu’elles peuvent produire toutes les hallucinations.

LII

« Relève-toi et suis-moi, dit-elle. Je vais te conduire en un lieu où tu pourras vivre sans que les hommes t’y découvrent jamais. » Le proscrit suivit la fée jusqu’à une corniche de rochers si étroite et si effrayante que l’âne et le mulet reculèrent épouvantés ; mais la fée les charma, et ils passèrent. Quant à l’homme, il avait tellement le désir d’échapper à ceux qui le poursuivaient qu’il ne fut pas nécessaire de lui fasciner la vue. Il suivit les animaux, et, dès qu’il eut mis le pied dans le Val-aux Fées, il reconnut, dans celle qui le conduisait, une fée du premier ordre.

LIII

« Je ne suis pas un novice et un ignorant, lui dit-il, et j’ai assez étudié la magie pour voir à qui j’ai affaire. Vous me conduisez en un lieu dont je ne sortirai jamais malgré vous, je le sais bien ; mais, quel que soit le sort que vous me destinez, il ne peut être pire que celui que me réservaient les hommes. Donc j’obéis sans murmure, sachant bien aussi que toute résistance serait inutile. Peut-être aurez-vous quelque pitié d’un vieillard, et quelque curiosité de le voir mourir de sa belle mort, qui ne saurait tarder.

LIV

— Tu te vantes d’être savant, et tu es inepte, répondit Zilla. Si tu connaissais les fées, tu saurais qu’elles ne peuvent commettre aucun mal. Le grand Esprit du monde ne leur a permis de conquérir l’immortalité qu’à la condition qu’elles respecteraient la vie ; autrement votre race n’existerait plus depuis longtemps. Suis-moi et ne dis plus de sottises, ou je vais te reconduire où je t’ai pris. — Dieu m’en garde ! — pensa le vieillard, et, prenant un air plus modeste, il arriva avec la fée à la demeure nouvelle du petit prince Hermann.

LV

Depuis un jour entier que la fée était absente, l’enfant, qui était bon, n’avait ni travaillé, ni joué, ni mangé. Il attendait sa mère et ne pensait plus qu’à elle. Quand il vit arriver le vieillard, il courut à lui, croyant qu’il annonçait et précédait la duchesse. « Maître Bonus, dit-il, soyez le bienvenu, » et, se rappelant ses manières de prince, il lui donna sa main à baiser ; mais le pauvre gouverneur faillit tomber à la renverse en retrouvant l’enfant qu’il croyait ne jamais revoir, et il pleura de joie en l’embrassant comme si c’eût été le fils d’un vilain.

LVI

Alors la fée apprit à l’enfant que sa mère était morte, sans songer qu’elle lui faisait une grande peine et sans comprendre qu’un être soumis à la mort pût ne pas se soumettre à celle des autres comme à une chose toute naturelle. L’enfant pleura beaucoup, et dans son dépit il dit à la fée que puisqu’elle ne lui rapportait qu’une mauvaise nouvelle, elle eût bien pu se dispenser de lui ramener son précepteur. La fée haussa les épaules et le quitta fâchée. Maître Bonus ne se fâcha pas. Il s’assit auprès de l’enfant et pleura de le voir pleurer.

LVII

Ce que voyant, l’enfant, qui était très-bon, l’embrassa et lui dit qu’il voulait bien le garder près de lui et le loger dans sa maison, à la condition qu’il ne lui parlerait plus jamais d’étudier. « Au fait, dit maître Bonus, puisque nous voilà ici pour toujours, je ne sais trop à quoi nous servirait l’étude. Occupons-nous de vivre. J’avoue que je tiens à cela, et si vous m’en croyez, nous mangerons un peu ; il y a si longtemps que je jeûne ! » En ce moment, le chien revenait de la chasse avec un beau lièvre entre les dents.

LVIII

Le chien fit amitié au pédagogue et lui céda volontiers sa proie, que maître Bonus se mit en devoir de faire cuire ; mais les fées, qui le surveillaient, lui envoyèrent une hallucination épouvantable : aussitôt qu’il commença d’écorcher le lièvre, le lièvre grandit et prit sa figure, de manière qu’il s’imagina s’écorcher lui-même. Saisi d’horreur, il mit l’animal sur les charbons, espérant se délivrer de son rêve en respirant l’odeur de la viande grillée ; mais ce fut lui qu’il fit griller dans des contorsions hideuses, et même il crut sentir dans sa propre chair qu’il brûlait en effet.

LIX

Il se rappela qu’il était condamné par les hommes à être rôti tout vivant, et, sentant qu’il ne fallait pas mécontenter les fées, il rendit la viande au chien et y renonça pour toujours. Alors il s’en alla dehors pour recueillir des racines, des fruits et des graines, et il en fit une si grande provision pour l’hiver que la maison en était pleine et qu’il y restait à peine de la place pour dormir. Et ensuite, craignant d’être volé par les fées, et s’imaginant savoir assez de magie pour leur inspirer le respect, il fit avec de la terre des figures symboliques qu’il planta sur le toit.

LX

Mais sa science était fausse et ses symboles si barbares que les fées n’y firent d’autre attention que de les trouver fort laids et d’en rire. Les voyant de bonne humeur, il s’enhardit à demander où il pourrait se procurer des outils de travail, sans lesquels il lui était impossible, disait-il, de rien faire de bien. Elles le menèrent alors dans une grotte où elles avaient entassé une foule d’objets volés par elles dans leurs excursions, et abandonnés là après que leur curiosité s’en était rassasiée.

LXI

Maître Bonus fut étonné d’y trouver des ustensiles de toute espèce et des objets de luxe mêlés à des débris sans aucune valeur. Ce qu’il y chercha d’abord, ce fut une casserole, des plats et des pincettes. Il les déterra du milieu des bijoux et des riches étoffes. Il aperçut des sacs de farine des confitures sèches, une aiguière et un bassin. Il regarda à peine les livres et les écritoires. «  Songeons au corps avant tout, se dit-il ; l’esprit réclamera plus tard sa nourriture, si bon lui semble. »

LXI

Il fit avec Hermann plusieurs voyages à la grotte que les fées regardaient comme leur musée et qu’il appelait, lui, tout simplement le magasin. Ils y trouvèrent tout ce qu’il fallait pour faire du beurre, des fromages et de la pâtisserie. Hermann y découvrit force friandises qu’il emporta, et maître Bonus, après de nombreux essais, parvint à faire de si bons gâteaux qu’un évêque s’en fût léché les doigts. Et, dans la douce occupation de bien dormir et de bien manger, le pédagogue oublia ses jours de misère et ne chicana pas le jeune prince pour lui apprendre à lire.

LXIII

La reine des fées vint voir l’établissement, et comme plusieurs de ses compagnes étaient mécontentes de voir deux hommes, au lieu d’un, s’établir sur leurs domaines, elle leur dit : « Je ne sais de quoi vous vous tourmentez. Cet homme est vieux, et ne vivra que le temps nécessaire à l’enfance d’Hermann. C’est du reste un animal curieux, et le soin qu’il prend de son corps me parait digne d’étude. Voyez donc tout ce que cet homme invente pour se conserver ! Mais il manque de propreté, et je veux qu’il soit convenablement vêtu. »

LXIV

EIle appela maître Bonus, et lui dit : « Ta robe usée et les habits déchirés de cet enfant choquent mes regards. Occupe-toi un peu moins de pétrir des gâteaux et d’inventer des crèmes. Si tu ne sais coudre ni filer, cherche dans la grotte quelque vêtement neuf, et que je ne vous retrouve pas sous ces haillons. — Oui-da, Madame, répondit le pédagogue, cachant sa peur sous un air de galanterie ; il sera fait selon votre vouloir, et si ma figure peut vous devenir agréable, je n’épargnerai rien pour cela. »

LXV

Mais il ne trouva point d’habits pour son sexe dans le magasin des fées, et, ne sachant que faire, il pria la vieille Milith, qui était une fée un peu idiote, ayant bu la coupe au moment où elle tombait en enfance, de l’aider à se vêtir. Milith aimait à être consultée, et comme personne ne lui faisait cet honneur, elle prit en amitié le pédagogue, et lui donna une de ses robes neuves qui était en bonne laine bise, de même que le chaperon bordé de rouge, et, ainsi habillé en femme, maître Bonus semblait être une grande fée bien laide.

LXVI

Alors la petite Régis, qui passait, le trouva si drôle qu’elle en rit une heure ; mais, tout en riant, elle lui persuada de lui amener l’enfant, qu’elle voulait aussi habiller avec une de ses robes, et quand elle l’eut entre les mains, elle le lava, le parfuma, arrangea ses cheveux, le couronna de fleurs, lui mit un collier de perles, une ceinture d’or où elle fixa les mille plis de sa jupe rose, et le trouva si beau ainsi, qu’elle voulut le faire chanter et danser, pour admirer son ouvrage.

LXVII

Hermann aussi se trouvait beau, et il se plaisait dans cette robe parfumée ; mais il ne savait pas obéir, et il refusa de danser, ce qui mit la petite Régis en colère. Elle lui arracha son collier, lui déchira sa robe, et, comme une fée très-fantasque qu’elle était, elle lui ébouriffa les cheveux, lui barbouilla la figure avec le jus d’une graine noire, et le laissa tout honteux, presque nu, et furieux de ne pouvoir rendre à cette folle les injures dont elle l’accablait.

LXVIII

Cependant maître Bonus, voyant la petite Régis en colère, s’était sauvé. Hermann, en le rejoignant, lui reprocha d’avoir fui devant une fée si menue, et de n’avoir pas plus de cœur qu’une poule. « Je serais courageux et fort que je n’aurais pu vous défendre, repondit le pédagogue. Vous voyez bien que vous n’avez pu vous défendre vous-même. Les fées, même celles qui ne sont pas plus grosses que des mouches, sont des êtres bien redoutables, et le mieux est de souffrir leurs caprices sans se révolter.

XLIX

» Quant à moi, qui dois être rôti à petit feu si je sors d’ici, je suis bien décidé à me prêter à toutes les fantaisies de ces dames, et si l’on m’eût ordonné de danser, j’aurais obéi et fait la cabriole par dessus le marché. » L’enfant sentit que son pédagogue avait raison, mais il ne l’en méprisa que plus, car la raison ne conseille pas toujours les plus belles choses. Il courut trouver Zilla pour lui raconter sa mésaventure et lui montrer de quelle manière on l’avait houspillé. Zilla en rougit d’indignation et le mena devant la reine pour porter plainte contre Régis.

LXX

« Tu as mérité ce qui t’arrive, dit la reine à Hermann ; tu soutiens si mal devant nous la dignité que ta race s’attribue, que personne ici n’y peut croire. Tu vis moins noblement qu’un animal sauvage, car celui-ci se contente de ce qu’il trouve, et vous autres, ton précepteur et toi, vous ne songez qu’à aiguiser votre appétit pour augmenter votre faim naturelle. Vous ne pensez pas plus à la nourriture de votre esprit que si vous n’étiez que bouche et ventre : vraiment vous êtes méprisables et ne m’intéressez point. »

LXXI

L’enfant fut mortifié, et Zilla comprit que la leçon de la reine s’adressait à elle plus qu’à l’enfant. Elle dit à Hermann que s’il voulait s’instruire, elle y mettrait tous ses soins, et, l’emmenant avec elle, elle lui choisit une tunique de blanche laine dont elle l’habilla d’une façon plus mâle que n’avait fait Régis, et puis elle lui donna un vêtement de peau pour courir dans la forêt, et de belles armes pour se préserver des animaux qui pourraient le menacer en le voyant devenu grand ; mais elle lui fit jurer de ne jamais verser le sang que pour défendre sa vie.

LXXII

Et puis elle lui donna un livre et lui dit que quand il pourrait le lire, elle se chargerait de lui apprendre de belles choses qui le rendraient heureux. Hermann alla trouver maître Bonus, et d’un coup de pied vraiment héroïque il jeta dans le feu les gâteaux que le pédagogue était en train de pétrir. « Je ne veux plus être méprisé, lui dit-il ; je ne veux plus faire un dieu de mon ventre, je veux être beau et fier de recevoir des compliments. Je t’ordonne de m’apprendre à lire ; je veux savoir demain. »

LXXIII

Maître Bonus obéit en soupirant ; mais comme le lendemain l’enfant ne savait pas encore lire, l’enfant se dépita et lui dit : « Tu ne sais pas me montrer. Peut-être ne sais-tu rien. S’il en est ainsi, reste sous ces habits de servante qui te conviennent, fais la cuisine et appelle-toi maîtresse Bona. Je reviendrai souper et coucher à ton hôtellerie, mais j’irai chercher ailleurs l’honneur de ma race et le savoir qui rend heureux. » Et il sortit avec son chien, laissant le gouverneur stupéfait de l’entendre parler ainsi.

LXXIV

Quand Zilla vit arriver l’enfant résolu et soumis, plein d’orgueil et d’ambition, bien qu’il répétât sans les comprendre les mots qu’il avait entendu dire à la reine et à elle, elle s’étonna de voir la puissance de l’amour-propre sur sa jeune âme, et elle voulut bien essayer de l’instruire elle-même. Elle le trouva si attentif et si intelligent qu’elle y prit goût, et peu à peu, le gardant chaque jour plus longtemps auprès d’elle, elle arriva à ne plus pouvoir se passer de sa compagnie.

LXXV

Lorsque le soleil brillait, elle se promenait avec lui et lui apprenait le secret des choses divines dans la nature, l’histoire de la lumière et son mariage avec les plantes, le mystère des pierres et le langage des eaux, la manière de se faire entendre des animaux les plus rebelles à l’homme, de se faire suivre par les arbres et les rochers, d’évoquer avec le chant les puissances immatérielles, de faire jaillir des étincelles de ses doigts et de causer avec les esprits cachés sous la terre.

LXXVI

Au clair de la lune, elle lui apprenait le langage symbolique de la nuit, l’histoire des étoiles, et la manière de monter les nuages en rêvant. Elle lui enseignait à se séparer de son corps et à voir avec des yeux magiques qu’elle lui faisait trouver dans les gouttes d’eau de la prairie. Elle lui disait aussi en quoi est faite la voie lactée, et quelquefois elle le fit sortir de son propre esprit et se promener dans les espaces muets au-dessus des plus hautes montagnes.

LXXVII

Quand le vent, la neige et la pluie menaçaient d’engourdir l’âme de son élève, elle le conduisait dans les grottes mystérieuses où les fées qui entretiennent le feu mystique consentaient à admettre à quelques-uns de leurs entretiens. Là il apprit à converser avec l’âme des morts, à lire dans la pensée des absents, à voir à travers les roches les plus épaisses, à mesurer les hauteurs du ciel sans le regarder, à peser la terre et les planètes au moyen d’une balance invisible, et mille autres secrets merveilleux qui sont jeux d’enfant pour les fées.

LXXVIII

Quand Ilermann sut toutes ces choses, il avait déjà quinze ans, et il était si beau, si aimable, si instruit, et toujours si agréable à voir, que si les fées eussent été capables d’aimer, elles en eussent toutes été éprises ; mais leurs appétits sont si bien réglés par l’impossibilité de mourir qu’il ne leur est pas possible d’aspirer à un sentiment humain un peu profond ; l’amitié même leur est interdite comme pouvant leur causer du chagrin et troubler le parfait et monotone équilibre de leur existence.

LXXIX

Ce qui leur reste de l’humanité est mesuré juste à la faculté de s’émouvoir sans souffrance ou sans durée. Ainsi elles sont impétueuses et irascibles, mais elles oublient vite, et ne s’en portent que mieux. Elles ont beaucoup de coquetteries et de jalousies, mais étant toujours libres d’oublier si elles veulent, et de déposer leur souci et leur dépit quand elles en sont lasses, elles s’agitent pour rien et se réjouissent de même. Elles ne connaissent pas le bonheur et par conséquent ne le cherchent pas ; qu’en feraient-elles ?

LXXX

Elles ont la science et n’en jouissent pas à notre manière, car elles ne l’emploient qu’à se préserver des malheurs de l’ignorance, sans connaître la joie d’en préserver les autres. Quand elles eurent instruit le jeune Hermann, elles s’en applaudirent parce qu’il était pour elles une société et presque un égal ;. mais à chaque instant elles se disaient l’une à l’autre pour s’empêcher dé l’aimer : « N’oublions pas qu’il doit mourir. » Pourtant, s’il faisait un compliment à l’une, l’autre boudait, et il lui fallait la consoler en lui faisant un compliment plus beau.

LXXXI

Ce qui ne prouve pas qu’elles fussent sottes ou vaines ; mais elles s’estiment beaucoup pour avoir conquis par la science une manière d’exister qui les rend inaccessibles à nos peines. La plus jalouse de toutes était Zilla, parce qu’elle avait des droits sur Hermann ou croyait en avoir, et quand il vantait la gaieté de Régis ou la sagesse de la reine, Zilla devenait froide pour lui et se rappelait le peu qu’un enfant des hommes était devant elle.

LXXXII

Pourtant Hermann l’aimait plus que toutes les autres et il la regardait comme sa mère ; mais il y avait en lui de la crainte et de l’orgueil, et on parlait si peu autour de lui le langage de l’amour, qu’il n’eût osé songer à aimer quelqu’un plus que lui-même. Il allait de temps eu temps voir maître Bonus, qui continuait à inventer des mets friands et qui ne se trouvait pas malheureux dans sa solitude, sauf que les fées s’amusaient de temps en temps à le lutiner.

LXXXIII

Elles lui procuraient toute sorte d’hallucinations ridicules. Tantôt il se croyait femme et rêvait qu’un Éthiopien voulait le vendre aux califes d’Orient. Alors il se cachait dans les rochers et souffrait la faim, ce qui était pour lui une grosse peine. D’autres fois Régis lui persuadait qu’elle était éprise de lui, et l’attirait à des rendez-vous où il était berné et battu par des mains invisibles. Tout cela était pour le punir de prétendre à la magie et de se livrer à de grossières et puériles incantations.

LXXXIV

Du reste il se portait bien, il engraissait et ne vieillissait guère, car les fées sont bonnes au fond, et quand elles l’avaient fatigué ou effrayé, elles lui donnaient du sommeil ou de l’appétit en dédommagement. Hermann essayait de s’intéresser à son sort ; mais lorsqu’il le voyait si égoïste et si positif, il s’éloignait de lui avec dédain. Le seul être qui lui témoignât une amitié véritable, c’était son chien, et quelquefois, quand les yeux de cet animal fidèle semblaient lui dire : « Je t’aime », Hermann, sans savoir pourquoi, pleurait.

LXXXV

Mais le chien était devenu si vieux qu’un jour il ne put se lever pour suivre son maître. Hermann, effrayé, courut trouver Zilla. « Mon chien va mourir, lui dit-il, il faut empêcher cela. — Je ne le puis, répondit-elle ; il faut que tout meure sur la terre, excepté les fées. — Prolonge sa vie de quelques années, reprit Hermann. Tu peux faire des choses plus difficiles. Si mon chien meurt, que deviendrai-je ? C’est ce que j’aime le mieux sur la terre après toi, et je ne puis me passer de son amitié.

LXXXVI

— Tu parles comme un fou, dit la fée. Tu peux aimer ton chien, puisqu’il faut que l’homme aime toujours follement quelque chose ; mais je ne veux pas que tu dises que tu m’aimes, puisque ton chien a droit à des mots que tu m’appliques. Si ton chien meurt, j’irai t’en chercher un autre, et tu l’aimeras autant. — Non, dit Hermann, je n’en veux pas d’autre après lui, et puisque je ne dois pas t’aimer, je n’aimerai plus rien que la mort. »

LXXXVII

Le chien mourut, et l’enfant fut inconsolable. Maitre Bonus ne comprit rien à sa douleur, et les fées la méprisèrent. Alors Hermann irrité sentit ce qui lui manquait dans le royaume des fées. Il y était choyé et instruit, protégé et comblé de biens ; mais il n’était pas aimé, et il ne pouvait aimer personne. Zilla essaya de le distraire en le menant avec elle dans les plus beaux endroits de la montagne. Elle le fit pénétrer dans les palais merveilleux que les fées élèvent et détruisent en une heure.

LXXXVIII

Elle lui montra des pyramides plus hautes que l’Himalaya et des glaciers de diamant et d’escarboucle, des châteaux dont les murs n’étaient que fleurs entrelacées, des portiques et des colonnades de flamme, des jardins de pierreries où les oiseaux chantaient des airs à ravir l’âme et les sens ; mais Hermann en savait déjà trop pour prendre ces choses au sérieux, et un jour il dit à Zilla : « Ce ne sont là que des rêves, et ce que tu me montres n’existe pas. »

LXXXIX

Elle essaya de le charmer par un songe plus beau que tous les autres. Elle le mena dans la lune. Il s’y plut un instant et voulut aller dans le soleil. Elle redoubla ses invocations, et ils allèrent dans le soleil. Hermann ne crut pas davantage à ce qu’il y voyait ; toujours il disait à la fée : « Tu me fais rêver, tu ne me fais pas vivre. » Et quand il s’éveillait, il lui disait : « Je ne me rappelle rien, c’est comme si je n’avais rien vu. »

XC

Et l’ennui le prit. La reine vit qu’il était pâle et accablé. « Puisque tu ne peux aimer le ciel, lui dit-elle, essaie au moins d’aimer la terre. » Hermann réfléchit à cette parole. Il se rappela qu’autrefois Zilla lui avait donné du blé, une charrue, un âne et un mulet. Il laboura, sema et planta, et il prit plaisir à voir comme la terre est féconde, docile et maternelle. Maître Bonus fut charmé d’avoir à moudre du blé et à faire du pain tous les jours.

XCI

Mais Hermann ne comprenait pas le plaisir de manger seul, et après avoir vu ce que la terre peut rendre à l’homme qui lui prête, il ne lui demanda plus rien et retourna à ce qu’elle lui donnait gratuitement. La reine lui dit : « Le torrent n’est pas toujours limpide. Depuis les derniers orages, il entraîne et déchire ses rives » et là où tu te plaisais à nager, il apporte des roches et du limon. Essaie de le diriger. Tâche d’aimer l’eau, puisque tu n’aimes plus la terre. »

XCII

Hermann dirigea le torrent et lui rendit sa beauté, sa voix harmonieuse, sa course légère, ses doux repos dans la petite coupe des lacs ; mais un jour il le trouva trop soumis, car il n’avait plus rien à lui commander. Il abattit les écluses qu’il avait élevées et se plut à voir l’eau reprendre sa liberté et recommencer ses ravages. « Quel est ce caprice ? lui dit Zilla. — Pourquoi, lui répondit-il, serais-je le tyran de l’eau ? Ne pouvant être aimé, je n’ai pas besoin d’être haï. »

XCIII

Zilla trouva son fils ingrat, et, pour la première fois depuis beaucoup de siècles, elle eut un mécontentement qui la rendit sérieuse. « Je veux l’oublier, dit-elle à la reine, car il me donne plus de souci qu’il ne mérite. Permets que je le fasse sortir d’ici et que je le rende à la société de ses pareils. Tu me l’avais bien dit que je m’en lasserais, et la vieille Trollia avait raison de blâmer ma protection et mes caresses.

XCIV

— Fais ce que tu voudras, dit la reine, mais sache que cet enfant sera malheureux à présent parmi les hommes, et que tu ne l’oublieras pas aussi vite que tu l’espères. Nous ne devons rien détruire, et pourtant tu as détruit quelque chose dans son âme. — Quoi donc ? dit Zilla. — L’ignorance des biens qu’il ne peut posséder. Essaie de l’exiler, et tu verras ! — Que verrai-je, puisque je veux ne plus le voir ? — Tu le verras dans ton esprit, car il se fera reproche, et ce fantôme criera jour et nuit après toi. »

XCV

Zilla ne comprit pas ce que lui disait la reine. N’ayant jamais fait le mal, même avant d’avoir bu la coupe, elle ne redoutait pas le remords, ne sachant ce que ce pouvait être. Libre d’agir à sa guise, elle dit à Hermann : « Tu ne te plais point ici ; veux-tu retourner parmi les tiens ? » Mille fois Hermann avait désiré ce qu’elle lui proposait et jamais il n’avait osé le dire, craignant de paraître ingrat et d’offenser Zilla. Surpris par son offre, il doutait qu’elle fût sérieuse.

XCVI

« Ma volonté, répondit-il, sera la tienne. — Eh bien ! dit-elle, va chercher maître Bonus, et je vous ferai sortir de nos domaines. » Il fut impossible de décider maître Bonus à quitter le Val-des-Fées. Il alla se jeter aux pieds de la reine et lui dit ; « Veux-tu que j’aille achever ma vie dans les supplices ? Est-ce que je gêne quelqu’un ici ? Je ne vis que de végétaux et de miel. Je respecte vos mystères et n’approche jamais de vos antres. Laissez-moi mourir où je suis bien. »

XCVII

Il lui fut accordé de rester, et le jeune Hermann, qui était devenu un homme, déclarant qu’il n’avait nul besoin de son gouverneur, partit seul avec Zilla. Quand ils durent passer l’effrayante corniche de rochers où aucun homme du dehors n’eût osé se risquer, elle voulut l’aider d’un charme pour le préserver du vertige. « Non, lui dit-il, je connais ce chemin, je l’ai suivi plus d’une fois, et j’eusse pu m’échapper depuis longtemps. — Pourquoi donc restais-tu malgré toi ? » dit Zilla. Hermann ne répondit pas.

XCVIII

Il était fâché que la fée lui fit cette question. Elle aurait dû deviner que le respect et l’affection l’avaient seuls retenu. Zilla comprit son fier silence et commença à devenir triste du sacrifice qu’elle s’imposait ; mais elle l’avait résolu, et elle continua de marcher devant lui. Quand ils furent à la limite de séparation, elle lui donna l’or qu’elle avait autrefois dérobé au héraut du duc son père et qu’elle avait offert à l’enfant comme un jouet. Il l’avait dédaigné alors, et, cette fois encore, il sourit et le prit sans plaisir.

XCIX

« Tu ne saurais te passer de ce gage, lui dit-elle. Ici tu n’auras le droit de rien prendre sur la terre. Il te faudra observer les conditions de l’échange. » Hermann ne comprit pas. Elle avait dédaigné de l’instruire des lois et des usages de la société humaine. Il était bien tard pour l’avertir de tout ce qui allait le menacer dans ce monde nouveau. D’ailleurs Hermann ne l’écoutait pas, il était comme ivre, car son âme était impatiente de prendre l’essor ; mais son ivresse était pleine d’amertume, et il se retenait de pleurer.

C

En ce moment, si la fée lui eût dit : «Veux-tu revenir avec moi ? » il l’eût aimée et bénie ; mais elle défendait son cœur de toute faiblesse, elle avait les yeux secs et la parole froide. Hermann sentait bien qu’il n’avait encore aimé qu’une ombre, et, se faisant violence, il lui dit adieu. Quand elle eut disparu, il s’assit et pleura. Zilla, en se retournant, le vit et fut prête à le rappeler ; mais ne fallait-il pas qu’elle l’oubliât, puisqu’elle ne pouvait le rendre heureux ?

LIVRE DEUXIÈME

I

Pourtant, lorsque Zilla rentra dans la vallée, il lui sembla que tout était changé. L’air lui semblait moins pur, les fleurs moins belles, les nuages moins brillants. Elle s’étonna de ne pas trouver l’oubli et fit beaucoup d’incantations pour l’évoquer. L’oubli ne vint pas, et la fée fit des réflexions qu’elle n’avait jamais faites. Elle cacha à ses sœurs et à la reine le déplaisir qu’elle avait ; mais elle eut beau chanter aux étoiles et danser dans la rosée, elle ne retrouva pas la joie de vivre.

II

Des semaines et des mois se passèrent sans que son ennui fût diminué. D’abord elle avait cru qu’Hermann reviendrait ; mais il ne revint pas, et elle en conçut de l’inquiétude. La reine lui dit : « Que t’importe ce qu’il est devenu ? Il est peut-être mort, et tu dois désirer qu’il le soit. La mort efface le souvenir. » Zilla sentit que le mot de mort tombait sur elle comme une souffrance. Elle s’en étonna et dit à la reine : « Pourquoi ne savons-nous pas où vont les âmes après la mort ?

III

— Zilla, répondit la reine, ne songe point à cela, nous ne le saurons jamais ; les hommes ne nous l’apprendront pas. Ils ne le savent que quand ils ont quitté la vie, et nous, qui ne la quittons pas, nous ne pouvons ni deviner où ils vont, ni espérer jamais les rejoindre. — Ce monde-ci, reprit Zilla, doit-il donc durer toujours, et sommes-nous condamnées à ne jamais voir ni posséder autre chose ? — Telle est la loi que nous avons acceptée, ma sœur. Nous durerons ce que durera la terre, et si elle doit périr, nous périrons avec elle.

IV

— Ô reine ! les hommes doivent-ils donc lui survivre ? — Leurs âmes ne périront jamais. — Alors c’est eux les vrais immortels, et nous sommes des éphémères dans l’abîme de l’éternité. — Tu l’as dit, Zilla. Nous savions cela quand nous avons bu la coupe, l’as-tu donc oublié ? — J’étais jeune alors, et la gloire de vaincre la mort m’a enivrée. Depuis j’ai fait comme les autres. Le mot d’avenir ne m’a plus offert aucun sens ; le présent m’a semblé être l’éternité.

V

— D’où te vient donc aujourd’hui, dit la reine, l’inquiétude que tu me confies et la curiosité qui te trouble ? — Je ne le sais pas, répondit Zilla. Si je pouvais connaître la douleur, je te dirais qu’elle est entrée en moi. » Zilla n’eut pas plutôt prononcé cette parole que des larmes mouillèrent ses yeux purs, et la reine la regarda avec une profonde surprise ; puis elle lui dit : « J’avais prévu que tu te repentirais d’avoir abandonné l’enfant ; mais ton chagrin dépasse mon attente. Il faut qu’il soit arrivé malheur à Hermann, et ce malheur retombe sur toi.

VI

— Reine, dit la jeune fée, je veux savoir ce qu’Hermann est devenu. » Elles firent un charme. Zilla, enivrée par les parfums du trépied magique, pencha sa belle tête comme un lis qui va mourir et la vision se déploya devant elle. Elle vit Hermann au fond d’une prison. Il avait été vite dépouillé, par les menteurs et les traîtres, de l’argent qu’il possédait. Ayant faim, il avait volé quelques fruits, et il comparaissait devant un juge qui ne pouvait lui faire comprendre que, quand on n’a pas de quoi manger, il faut travailler ou mourir.

VII

À cette vision une autre succéda. Hermann, n’ayant pas compris la justice humaine, comparaissait de nouveau devant le juge, qui le condamnait à être battu de verges et à sortir de la résidence ducale. Le jeune homme indigné déclarait alors qu’il était le fils du feu duc, l’aîné du prince régnant, le légitime héritier de la couronne échue à son frère. Zilla le crut sauvé. — Justice lui sera rendue, pensa-t-elle. Il va être prince, et, comme nous l’avons rendu savant et juste, son peuple le respectera et le chérira.

VIII

Mais une autre vision lui montra Hermann accusé d’imposture et de projets séditieux, et condamné à mort. Alors la fée s’éveilla en entendant retentir au loin cette parole : C’est pour demain ! Quelque bonne magicienne qu’elle fût, elle n’avait pas le don de transporter son corps aussi vite que son esprit. Si les fées peuvent franchir de grandes distances, c’est parce qu’elles ne connaissent pas la fatigue ; mais à toutes choses il faut le temps, et Zilla comprit pour la première fois le prix du temps.

IX

« Donne-moi des ailes ! » dit-elle à la reine ; mais la reine n’avait point inventé cela. « Fais-moi conduire par un nuage rapide » ; mais ni les hommes ni les fées n’avaient découvert cela. « Fais-moi porter par le vent à travers l’espace. — Tu me demandes l’impossible, dit la reine. Pars vite et ne compte que sur toi-même. » Zilla partit, elle se lança dans le torrent, elle fut portée comme par la foudre ; mais, arrivée à la plaine, elle se trouva dans une eau endormie, et préféra courir.

X

Elle était légère autant que fée peut l’être, mais elle n’avait jamais eu besoin de se presser, et, l’énergie humaine n’agissant point en elle pour lui donner la fièvre, elle vit que les piétons qui se rendaient à la ville pour voir pendre l’imposteur Hermann allaient plus vite qu’elle. Humiliée de se voir devancer par de lourds paysans, elle avisa un cavalier bien monté et sauta en croupe derrière lui. Il la trouva belle et sourit ; mais tout aussitôt il ne la vit plus et crut qu’il avait rêvé.

XI

Cependant le cheval la sentait, car elle l’excitait à courir, et l’animal effrayé se cabra si follement qu’il renversa son maître. Elle lui enfonça son talon brûlant dans la croupe, et il fournit une course désespérée au bout de laquelle, ayant dépassé ses forces, il tomba mort aux portes de la ville. Zilla prit le manteau du cavalier, qui était resté accroché à la selle, et elle se glissa dans la foule qui se ruait vers l’échafaud.

XII

Le peuple était furieux et hurlait des imprécations parce qu’on venait de lui apprendre que l’imposteur Hermann avait réussi à s’évader. Il voulait qu’on pendit à sa place le geôlier, le gouverneur de la prison et le bourreau lui-même, qui ne lui donnait pas le spectacle attendu. Le grand chef de la police parut sur un balcon et apaisa cette foule en lui disant : « On n’a pu encore rattraper l’imposteur Hermann, mais on va vous donner le spectacle quand même. »

XIII

Et des hérauts crièrent aux quatre coins de la place : « Vous allez voir pendre sans jugement le scélérat qui a fait fuir le condamné. » La foule battit des mains, et le bourreau apprêta sa corde. On amena la victime, et la fée vit quelque chose d’extraordinaire. Celui qui avait sauvé Hermann n’était autre que maître Bonus, qui s’avançait résigné en remettant son âme à Dieu. « C’en est fait, dit-il à la fée, qui s’approcha de lui ; j’ai mal veillé jadis sur le prince, et on m’a condamné au feu. Je le sauve aujourd’hui, et voici la corde. J’accomplis ma destinée. »

XIV

Maître Bonus, après le départ de son élève, s’était ennuyé dans le royaume des fées. Il avait eu honte de sa couardise ; il s’était dit aussi que le prince Hermann, étant le légitime héritier de la couronne, le sauverait du bûcher. Profitant de ce que les fées l’avaient oublié dans son désert, il était parti depuis huit jours déjà, et il avait pu pénétrer dans la ville sans être reconnu sous ses habits de femme. Là, apprenant que le prince était en prison, il avait été trouver le prince régnant.

XV

Il lui avait juré qu’Hermann était son frère, et le prince régnant lui avait permis d’essayer de le faire évader, à la condition qu’ils retourneraient tous deux chez les fées et ne troubleraient plus la paix de ses États. Maître Bonus avait sauvé Hermann en lui donnant sa robe et son chaperon. Il était resté en prison à sa place, comptant qu’il serait respecté en montrant le sauf-çonduit du prince régnant ; mais, dans sa précipitation à changer d’habit, il avait laissé le sauf-conduit dans la poche de sa robe.

XVI

Et, sans le savoir, Hermann s’en allait avec ce papier, tandis qu’on allait pendre maître Bonus. Zilla résolut de sauver le vieillard, et, faisant claquer ses doigts, elle foudroya le bourreau, qui tomba comme ivre et ne put être réveillé par les cris de la multitude. Des gardes qui voulurent s’emparer de la fée et du patient furent frappé » d’immobilité, et tous ceux qui se présentèrent pour les remplacer ne purent secouer l’engourdissement que leur jeta la magicienne.

XVII

Elle conduisit le vieillard dans une forêt où il lui apprit en se reposant la route qu’Hermann avait dû prendre sans risque, grâce au sauf-conduit, « Allons le chercher », dit Zilla, et bien vite ils repartirent. Plusieurs jours après, ils le rejoignirent sur les terres d’un prince voisin, et ils le trouvèrent travaillant à couper et à débiter des arbres pour gagner sa vie. En voyant apparaître ses amis, il jeta sa cognée et voulut les suivre.

xviii

Mais une jeune fille qui s’approchait en ce moment l’arrêta d’un regard plus puissant que celui de toutes les fées. C’était pourtant une pauvre fille qui marchait pieds nus, la servante du maître bûcheron qui avait enrôlé le prince parmi ses manœuvres. Tous les jours elle apportait sur sa tête l’eau et le pain qu’Hermann mangeait et buvait à midi. Elle allait ainsi servir les autres ouvriers épars dans la forêt, et elle ne s’arrêtait point à causer avec eux.

XIX

Elle avait à peine échangé quelques paroles avec Hermann, mais leurs yeux s’étaient parlé. Elle était belle et modeste. Hermann avait vingt ans, et il n’avait pas encore aimé. Depuis trois jours, il aimait la pauvre Bertha, et quand la fée lui dit : « Partons », il lui répondit : « Jamais, à moins que tu ne me permettes d*emmener cette compagne. — Tu seras toujours un fou, reprit Zilla. Tu as à peine passé une saison parmi les hommes ; ils ont voulu te faire mourir, et tu prétends aimer parmi eux.

XX

— Je ne prétends rien, dit Hermann. Hier, j’étais prêt à mourir sur l’échafaud, et je maudissais ma race : aujourd’hui j’aime cette enfant et je sens que l’humanité est ma famille. — Ne vois-tu pas, reprit la fée, que tu vivras ici dans la servitude, le travail et la misère ? — J’accepte tous les maux, si j’ai le bonheur d’être aimé. » Ziila prit à part la jeune fille et lui demanda si elle voulait être la compagne d’Hermann. Elle rougit et ne répondit pas. « Songe, lui dit la fée que son royaume est la solitude. »

XXI

Bertha demanda s’il était exilé. « Pour toujours, dit la fée. — Mais n’êtes-vous pas sa fiancée ? » La fée sourit avec dédain. « Pardonne-moi, dit Bertha, je veux savoir s’il n’aime que moi. » La fée vit que sa beauté rendait Bertha jalouse, et son orgueil s’en réjouit ; mais la jeune fille pleura, et Hermann, accourant, dit à la fée : « Pourquoi fais-tu pleurer celle que j’aime ? Et si tu ne veux pas qu’elle me suive, comment espères-tu que je te suivrai ?

XXII

— Venez donc tous deux, dit la fée ; mais si tu t’ennuies encore chez nous avec cette compagne, ne compte plus que je m’intéresserai à toi. » Ils partirent tous les quatre, car maître Bonus, plus que jamais, en avait assez du commerce des humains, et ils retournèrent dans le Val-des-Fées, où l’union d’Hermann et de Bertha fut consacrée par la reine, et puis les jeunes époux allèrent vivre avec maître Bonus dans une belle maison de bois qu’Hermann construisit pour sa compagne.

XXIII

Alors les fées virent quelle chose puissante était l’amour dans deux jeunes cœurs également purs, et quel bonheur ces deux enfants goûtaient dans leur solitude. Maître Bonus avait repris ses habits de femme avec empressement, et ses fonctions de ménagère avec orgueil. Bertha, simple et humble, avait du respect pour lui et admirait sincèrement sa pâtisserie. Hermann, depuis que son précepteur s’était dévoué pour lui, lui pardonnait sa gourmandise et lui témoignait de l’amitié.

XXIV

Il travaillait avec ardeur à cultiver la terre et à préparer les plus douces conditions d’existence à sa famille, car il eut bientôt un fils, puis deux et puis une fille, et à chaque présent de Dieu il augmentait sa prévoyance et embellissait son domaine. Bertha était si douce qu’elle avait gagné la bienveillance de Zilla et de toutes les jeunes fées ; et même Zilla aimait désormais Bertha plus qu’Hermann, et leurs enfants plus que l’un et l’autre.

XXV

Zilla ne se reconnaissait plus elle-même auprès de ces enfants. L’ambition d’être aimée lui était venue si forte que l’équité de son esprit en était troublée. Un jour, elle dit à Bertha : « Donne-moi ta fille. Je veux une âme qui soit à moi sans partage. Hermann ne m’a jamais aimée malgré ce que j’ai fait pour lui. — Vous vous trompez, Madame, répondit Bertha. Il eût voulu vous chérir comme sa mère, c’est vous qui ne l’aimiez pas comme votre fils.

XXVI

— Je ne pouvais l’aimer ainsi, reprit la fée. Je sentais qu’il regrettait quelque chose, ou qu’il aspirait à une tendresse que je ne pouvais lui inspirer ; mais ta fille ne te connaît pas encore. Elle ne regrettera personne. Je l’emporterai dans nos sanctuaires, elle ne verra jamais que moi, et j’aurai tout son cœur et tout son esprit pour moi seule. — Et l’aimerez-vous comme je l’aime ? dit Bertha, car vous parlez toujours d’être aimée, sans jamais rien promettre en retour.

XXVII

— Qu’importe que je l’aime, dit la fée, si je la rends heureuse ? — Jurez de l’aimer passionnément, s’écria Bertha méfiante, ou je jure que vous ne l’aurez pas. » La fée, irritée, alla se plaindre à la reine. « Ces êtres sont insensés, lui dit-elle. Ils ne comprennent pas ce que nous sommes pour eux. Ils nous doivent tout, la sécurité, l’abondance, l’offre de tous les dons de la science et de l’esprit. Eh bien ! ils ne nous en savent point de gré. Ils nous craignent peut-être, mais ils ne veulent point nous chérir sans conditions.

XXVIII

— Zilla, dit la reine, ces êtres ont raison. La plus belle et la plus précieuse chose qu’ils possèdent, c’est le don d’aimer, et ils sentent bien que nous ne l’avons pas. Nous qui les méprisons, nous sommes tourmentées du besoin d’inspirer l’affection, et le spectacle de leur bonheur éphémère détruit le repos de notre immortalité. De quoi nous plaindrions-nous ? Nous avons voulu échapper aux lois rigides de la mort, nous échappons aux douces lois de la vie, et nous sentons un regret profond que nous ne pouvons pas définir.

XXIX

— ô ma reine, dit Zilla, voilà que tu parles comme si tu le ressentais toi-même, ce regret qui me consume ! — Je l’ai ressenti longtemps, répondit la reine ; il m’a dévorée, mais j’en suis guérie. — Dis-moi ton secret ! s’écria la jeune fée. — Je ne le puis, Zilla ! Il est terrible et te glacerait d’épouvante. Supporte ton mal et tâche de t’en distraire. Étudie le cours des astres et les merveilles du mystérieux univers. Oublie l’humanité et n’espère pas établir de liens avec elle. »

XXX

Zilla, effrayée, se retira ; mais la reine vit bientôt arriver d’autres jeunes fées qui lui firent les mêmes plaintes et lui demandèrent la permission d’aller voler des enfants chez les hommes. « Hermann et Bertha sont trop heureux, disaient-elles. Ils possèdent ces petits êtres qui ne veulent aimer qu’eux, et qui ne nous accordent qu’en tremblant ou avec distraction leurs sourires et leurs caresses. Hermann et Bertha ne nous envient rien, tandis que nous leur envions leur bonheur.

XXXI

— C’est une honte pour nous, dit Régis, qui était la plus ardente dans son dépit. Nous avons accueilli ces êtres faibles et périssables pour avoir le plaisir de comparer leur misère à notre félicité, pour nous rire de leur faiblesse et de leurs travers, pour nous amuser d’eux, en un mot, tout en leur faisant du bien, ce qui est le privilège et le soulagement de la puissance, et les voilà qui nous bravent et qui se croient supérieurs à nous parce qu’ils ont des enfants et qu’ils les aiment.

XXXII

« Fais que nous les aimions aussi, ô reine ! qui nous as faites ce que nous sommes. Si tu es plus sage et plus savante que nous, prouve-le aujourd’hui en modifiant notre nature, que tu as laissée incomplète. Otr-nous quelques-uns des privilèges dont tu as doté notre merveilleuse intelligence, et mets-nous dans le cœur ces trésors de tendresse que les êtres destinés à mourir possèdent si fièrement sous nos yeux. »

XXXIII

Les vieilles fées vinrent à leur tour et déclarèrent qu’elles quitteraient ce royaume, si l’on n’en chassait pas la famille d’Hermann, car elles voyaient bien que sa postérité allait envahir la vallée et la montagne, cultiver la terre, briser les rochers, enchaîner les eaux, irriter, détruire ou soumettre les animaux sauvages, chasser le silence, déflorer le mystère du désert et rendre impossibles les cérémonies, les méditations et les études des doctes et vénérables fées.

XXXIV

« S’il vous plaît de faire alliance avec la race impure, dit la vieille Trollia aux jeunes fées, nous ne pouvons nous y opposer ; mais nous avons le droit de nous séparer de vous et d’aller chercher quelque autre sanctuaire vraiment inaccessible, où nous pourrons oublier l’existence des hommes et vivre pour nous seules, comme il convient à des êtres supérieurs. Quant à votre reine, ajouta-t-elle en lançant à celle-ci un regard de menace, gardez-la si vous voulez, nous secouons ses lois et lui déclarons la guerre. »

XXXV

Les jeunes fées défendirent avec véhémence l’autorité de la reine. Celles qui n’étaient ni vieilles ni jeunes se partagèrent, et le concile devint si orageux que les daims épouvantés s’enfuirent à travers la vallée, et que Bertha dit en souriant à Hermann : « Les entends-tu là-haut, ces pauvres fées ? Elles grondent comme le tonnerre et mugissent comme la bourrasque. Elles ont beau pouvoir tout ce qu’elles veulent, elles ne savent pas être heureuses comme nous. Si elles continuent à se quereller ainsi, elles feront crouler la montagne. »

XXXVI

Hermann s’inquiéta pour Zilla, qu’il aimait plus qu’elle ne voulait le reconnaître. « Je ne sais pas quel mal on peut lui faire, dit-il, je ne suis pas initié à tous leurs secrets ; mais je voudrais la savoir à l’abri de cette tempête. — Va la chercher, dit Bertha. Ah ! si elle pouvait comprendre que nous l’aimons ! Mais son malheur est de parler du cœur des autres comme une taupe parlerait des étoiles. Tâche de l’apaiser. Dis-lui que si elle veut vivre avec nous, je lui prêterai mes enfants pour la distraire. »

XXXVII

« On ne prête pas aux fées, pensa Hermann ; elles veulent tout et ne rendent rien. » Il s’en alla dans le haut de la montagne et entendit de près les clameurs de la folle assemblée, car ces âmes vouées au culte obligé de la force et de la sagesse avaient été prises de vertige et demandaient toutes ensemble un changement sur la nature duquel personne n’était d’accord. La reine, immobile et muette, les laissait s’agiter autour d’elle comme des feuilles soulevées par un tourbillon. Elles parlaient dans la langue des mystères ; Hermann ne put savoir ce qu’elles disaient.

XXXVIII

Dans l’ivresse de leur inquiétude ardente, elles flottaient sur la bruyère aux derniers rayons du soleil, les unes s’élançant d’un bond fantastique sur les roches élevées pour dominer le tumulte et se faire écouter, d’autres s’entassant aux parois inférieures pour se consulter ou s’exciter. On eût dit un de ces conciliabules étranges que tiennent les hirondelles sur le haut des édifices, au moment de partir toutes ensemble vers un but inconnu. Hermann chercha Zilla dans cette foule et vit qu’elle n’y était pas.

XXXIX

Il s’enfonça dans les sombres plis de la montagne et gagna une grotte de porphyre où il savait qu’elle se tenait souvent. Elle n’était pas là. Il pénétra plus avant dans les régions éloignées où fleurit la gentiane bleue comme le ciel. Il trouva Zilla étendue sur le sol, au bord d’un abîme où s’engouffrait une cascade. La belle fée, affaissée sur le roc tremblant, semblait prête à suivre la chute implacable de l’eau dans le gouffre.

XL

Par un mouvement d’effroi involontaire, Hermann la prit dans ses bras et l’éloigna de ce lieu horrible. « Que fais-tu ? lui dit-elle avec un triste sourire ; oublies-tu que, si je cherchais la mort, elle ne voudrait pas de moi ? Et comment peux-tu t’inquiéter d’ailleurs, puisque tu ne peux m’aimer ? — Mère,… lui dit Hermann. — Elle l’interrompit : Je n’ai jamais été, je ne serai jamais la mère de personne ! — Si je t’offense en t’appelant ainsi, dit Hermann, c’est que tu ne comprends pas ce mot-là.

XLI

« Pourtant lorsque je pleurais, enfant, celle qui m’a mis au monde et que je ne devais plus revoir, tu m’as dit que tu la remplacerais, et tu as fait ton possible pour me tenir parole. J’ai souvent lassé ta patience par mon ingratitude ou ma légèreté ; mais toujours tu m’as pardonné et, après m’avoir chassé, tu as couru après moi pour me ramener. Je ne sais pas ce qui nous sépare, ce mystère est au-dessus de mon intelligence ; mais il y a une chose que je sais.

XLII

« Cette chose que tu ne comprends pas, toi, c’est que si mon bonheur peut se passer de ta présence, il ne peut se passer de ton bonheur ; tu m’as dit souvent qu’il était inaltérable » et je l’ai cru. Alors, ne pouvant te servir et te consoler, j’ai vécu pour ma famille et pour moi ; mais si tu m’as trompé, si tu es capable de souffrir, de subir quelque injustice, d’éprouver l’ennui de la solitude, de former un souhait irréalisable, me voilà pour souffrir et pleurer avec toi.

XLIII

« Je sais que je ne peux rien autre chose. Je ne suis pas assez savant pour dissiper ton ennui ni assez puissant pour te préserver de l’injustice, et si ton désir immense veut soumettre et posséder l’univers, je ne puis, moi, atome, te le donner ; mais si c’est un cœur filial que tu veux, voilà le mien que je t’apporte. S’il n’apprécie pas bien la grandeur de ta destinée, il adore du moins cette bonté qui réside en toi comme la lumière palpite dans les étoiles. J’ai bien senti que tu ignorais la tendresse, mais j’ai vu que tu ignorais aussi ce qui souille les hommes, la tyrannie et le châtiment.

XLIV

« Et si j’ai souffert quelquefois de te voir si grande » j’ai plus souvent connu la douceur de te sentir si miséricordieuse et infatigable dans ta protection. Et toujours, en dépit de mes langueurs et de mes révoltes, je me suis reproché de ne pouvoir t’aimer comme tu le mérites. Voilà tout ce que je peux te dire, Zilla, et ce n’est rien pour toi. Si tu étais ma pareille, je te dirais : Veux-tu ma vie ? Mais la vie d’un homme est peu de chose pour celle qui a vu tomber les générations dans l’abime du temps.

XLV

« Eh bien ! puisque je n’ai rien à t’offrir qui vaille la peine d’être ramassé par toi, vois les regrets amers de mon impuissance, et que cette douleur rachète mon néant. Souviens-toi de ce chien que j’aimais dans mon enfance. Il ne pouvait me parler, il ne comprenait pas ma tristesse et quand je la lui racontais follement pour m’en soulager, il me regardait avec des yeux qui semblaient me dire : « Pardonne-moi de ne pas savoir de quoi tu me parles. »

XLVI

« Il eût voulu, j’en suis certain, avoir une âme pareille à la mienne pour partager ma peine ; mais il n’avait que ses yeux pour me parler, et quelquefois j’ai cru y voir des larmes. Moi, j’ai des larmes pour toi, Zilla ; c’est un témoignage de faiblesse qu’il ne faut pas mépriser, car c’est l’obscure expression et le suprême effort d’une amitié qui ne peut franchir la limite de l’intelligence humaine et qui te donne tout ce qu’il lui est possible de te donner.

XLVII

— Tu mens ! répondit Zilla ; j’ai demandé un de tes enfants, ta femme me l’a refusé, et tu ne me l’apportes pas ! Hermann sentit son cœur se glacer, mais il se contint, « Il n’est pas possible, dit-il, qu’un si chétif désir trouble la paix immuable de ton âme. — Ah ! voilà que tu recules déjà ! s’écria la fée, et vois comme tu te contredis ! Tu prétendais vouloir me donner ta vie, je te demande boaucoup moins… — Tu me demandes beaucoup plus, répondit Hermann.

XLVIII

— Dis donc, s’écria la fée, que tu crains les larmes et les reproches de Bertha. Ne sais-tu pas que ta fille sera heureuse avec moi ? que si elle est malade, je saurai la guérir ? que si elle est rebelle, je la soumettrai par la douceur ? que si elle est intelligente, je lui donnerai du génie, et que si elle ne l’est pas, je lui donnerai des fêtes et des songes de poésie aussi doux que les révélations de la science sont belles ? Avoue donc que ton amour pour elle est égoïste, et que tu veux l’élever dans l’égoïsme humain.

XLIX

— Ne me dis pas tout cela, reprit Hermann, je le sais. Je sais que l’amour est égoïste en même temps qu’il est dévoué dans le cœur de l’homme ; mais c’est l’amour, et tu ne le donneras pas à mon enfant ! Eh bien ! n’importe ; je sais que tu ne peux pas voir souffrir, et que si tu la vois malheureuse, tu me la rendras. Tu me parles des larmes de sa mère ; oui, je les sens déjà tomber sur mon cœur ; mais dis-moi que le tien souffre de ce désir maternel inassouvi qui te rend si tenace, et je cède.

L

— Ne vois-tu pas, dit la fée, que j’en suis venue à ce point de maudire l’éternité de ma vie ? que l’ennui m’accable et que je ne me reconnais plus ? N’est-ce pas à toi de guérir ce mal, toi qui l’as fait naître ? Oui, c’est à force d’essayer de t’aimer dans ton enfance que j’en suis venue à aimer ton enfant ! — Tu l’aimes donc ? s’écria Hermann. Ô mère ! c’est la première fois que tu dis ce mot-là ! C’est Dieu qui le met sur tes lèvres, et je n’ai pas le droit de l’empêcher d’arriver jusqu’à ton cœur.

LI

« Attends-moi ici, ajouta-t-il, je vais te chercher l’enfant. » Et, sans vouloir hésiter ni réfléchir, car il sentait bien qu’il promettait tout ce qu’un homme peut promettre, il redescendit en courant vers sa demeure. Bertha dormait avec sa fille dans ses bras. Hermann prît doucement l’enfant, l’enveloppa dans une douce toison et sortit sans bruit ; mais il avait à peine franchi le seuil, que la mère s’élança furieuse, croyant que la fée lui enlevait sa fille.

LII

Et quand elle sut ce que voulait faire Hermann, elle éclata en pleurs et en reproches ; mais Hermann lui dit : « Notre grande amie veut aimer notre enfant, et notre enfant, qui nous connait à peine, ne souffrira pas avec elle. Elle n’aura pas les regrets et les souvenirs qui m’ont tourmenté autrefois ici. Il faut faire ce sacrifice à la reconnaissance, ma chère Bertha. Nous devons tout à la fée, elle m’a sauvé la vie, elle t’a donnée à moi ; si nous mourions, elle prendrait soin de nos orphelins.

LIII

« Elle est pour nous la Providence visible. Sacrifions-nous pour reconnaître sa bonté. » Bertha n’osa résister ; elle dit à Hermann : « Emporte vite mon trésor, cache-le, va-t’en ; si je lui donnais un seul baiser, je ne pourrais plus m’en séparer. » Et quand il eut fait trois pas, elle courut après lui, couvrit l’enfant de caresses et se roula par terre, cachant sa figure dans ses cheveux dénoués pour étouffer ses sanglots. « Ah ! cruelle fée ! s’écria Hermann vaincu, non ! tu n’auras pas notre enfant !

LIV

— Est-ce là ta parole ? dit Zilla, qui l’avait furtivement suivi et qui contemplait avec stupeur son désespoir et celui de sa femme ; crains mon mépris et mon abandon ! — Je ne crains rien de toi, répondit Hermann ; n’es-tu pas la sagesse et la force, la douceur par conséquent ? Mais je crains pour moi le parjure et l’ingratitude. Je t’ai promis ma fille, prends-la. » Bertha s’évanouit, et la fée, s’emparant de l’enfant comme un aigle s’empare d’un passereau, l’emporta dans la nuit avec un cri de triomphe et de joie.

LV

Ni les larmes ni les caresses de la mère n’avaient troublé le sommeil profond et confiant de la petite fille ; mais quand elle se sentit sur le cœur étrange et mystérieux de la fée, elle commença à rêver, à s’agiter, à se plaindre, et quand la fée fut loin dans la forêt, l’enfant s’éveilla glacée d’épouvante, et jeta des cris perçants que Zilla dut étouffer par ses caresses pour les empêcher de parvenir jusqu’aux oreilles d’Hermann et de Bertha.

LVI

Mais plus elle embrassait l’enfant, plus l’enfant éperdue se tordait avec désespoir et criait le seul mot qu’elle sût dire pour appeler sa mère. Zilla gravit la montagne en courant, espérant en vain que la rapidité de sa marche étourdirait et endormirait la petite créature. Quand elle arriva auprès de là cascade, l’enfant, fatiguée de cris et de pleurs, semblait morte. Zilla sut la ranimer par une chanson qui réveilla les rossignols et les rendit jaloux ; mais elle ne put arrêter les soupirs douloureux qui semblaient briser la poitrine de l’enfant.

LVII

Et, tout en continuant de chanter, Zilla rêvait au mystère d’amour caché dans le sein de ce petit être qui ne savait ni raisonner, ni marcher, ni parler, et qui déjà savait aimer, regretter, vouloir et souffrir, « Eh quoi ! se disait la fée, je n’aurai pas raison de cette résistance morale qui n’a pas conscience d’elle-même ! » Elle changea de mélodie, et, dans cette langue sans paroles qu’Orphée chanta jadis sur la lyre aux tigres et aux rochers, elle crut soumettre l’âme de l’enfant à l’ivresse des rêves divins.

LVIII

Ce chant fut si beau que les pins de la montagne en frémirent de la racine au faite, et que les rochers en eurent de sourdes palpitations ; mais l’enfant ne se consola point et continua de gémir. Zilla invoqua l’influence magique de la lune ; mais le pâle visage de l’astre effraya l’enfant, et la fée dut prier la lune de ne plus la regarder. La cascade, ennuyée des pleurs qu’elle prenait pour un défi, se mit à rugir stupidement ; mais les cris de l’enfant luttèrent contre le tonnerre de la cascade.

LIX

Ce désespoir obstiné vainquit peu à peu la patience et la volonté de Zilla. Il semblait qu’il y eût dans ces larmes d’enfant quelque chose de plus fort que tous les charmes de la magie et de plus retentissant que toutes les voix de la nature. Zilla s’imagina qu’au fond de la vallée, à travers les épaisses forêts et les profondes ravines, Bertha entendait les pleurs de sa fille et accusait la fée de ne pas l’aimer. Une colère monta dans l’esprit de Zilla, un tremblement convulsif agita ses membres. Elle se leva au bord de l’abime.

LX

« Puisque cet être insensé se refuse à l’amour pour moi, pensait-elle, pourquoi ai-je pris ce tourment, ce vivant reproche qui remplit le ciel et la terre ? S’il faut que le désir de cet amour me brûle, ou que le regret de ne pas l’inspirer me brise, le seul remède serait d’anéantir la cause de mon mal. N’est-ce-pas une cause aveugle ? Cette enfant qui s’éveille à peine à la vie a-t-elle déjà une âme, et d’ailleurs si l’âme des hommes ne meurt pas, est-ce lui nuire que de la délivrer de son corps ? »

LXI

Elle étendit ses deux bras sur l’abîme, et l’enfant, avertie de l’horreur du danger par l’infernale joie de la cascade, jeta un cri si déchirant que le cœur glacé de la fée en fut traversé comme par une épée. Elle la rapprocha impétueusement de sa poitrine et lui donna un baiser si ardent et si humain que l’enfant en sentit la vertu maternelle, s’apaisa et s’endormit dans un sourire. Zilla joyeuse, la contemplait, mollement étendue sur ses genoux aux premières pâleurs du matin.

LXII

Et son âme se transformait comme les nuages épars au flanc de la montagne. Son ardente volonté se fondait comme la neige, son besoin de domination s’effaçait comme la nuit. Une nouvelle lumière, plus pure que celle de l’aube pénétrait dans son cerveau ; des chants plus suaves que ceux de la brise résonnaient dans ses oreilles. Elle pensait à la douce Bertha et se sentait douce à son tour. Quand l’enfant fut reposée, elle se pencha vers ses petites lèvres roses, en obtint un baiser et redescendit heureuse vers la demeure d’Hermann et de Bertha.

LXIII

« Voilà votre fille, leur dit-elle ; j’ai voulu éprouver votre amitié. Reprenez votre bien. J’en connais le prix désormais, car j’ai senti que sa mère ne l’avait pas acheté trop cher par la souffrance. J ai compris aussi ton droit, Hermann ! L’homme qui asservit et pille la terre obéit à la prévoyance paternelle ; la mort es au bout de sa tâche, mais il a cette compensation de l’amour pendant sa vie. J’offenserais la justice au ciel et sur la terre, si je prétendais posséder à la fois l’amour et l’immortalité. »

LXIV

Elle les quitta tout aussitôt pour ne pas voir leur joie et retourna dans la solitude, où elle pleura tout le jour. Elle entendit au loin l’assemblée tumultueuse de ses compagnes qui continuaient à s’agiter sur les sommets du sanctuaire ; mais cela lui était indifférent. L’orgueil de sa caste immortelle ne parlait plus à son cœur, attendri par de saintes faiblesses. Elle reconnaissait qu’elle n’avait jamais aimé ses nobles sœurs et que le baiser d’un petit enfant lui avait été plus doux que toutes les gloires.

LXV

La nuit qui termina ce jour, unique dans la longue vie de Zilla, monta livide dans un ciel lourd et brouillé. La lune se leva derrière la brisure des roches désolées, et, bientôt voilée par les nuages, laissa tomber des lueurs sinistres et froides sur les flancs verdâtres du ravin. Zilla vit, au bord du lac morne et sans transparence, des feux épars et des groupes confus. Dans une vive auréole blanche, elle reconnut la reine assise au milieu des jeunes fées qui semblaient lui rendre un dernier hommage, car peu à peu elles s’éloignaient et la laissaient seule.

LXVI

Elles allaient se joindre à d’autres troupes incertaines qui tantôt augmentaient et brillaient d’un rouge éclat dans la nuit, tantôt s’atténuaient ou se perdaient dans des foules errantes. Quelques danses flamboyèrent au bord du lac, quelques étincelles jaillirent dans les roseaux ; mais tout s’opéra en silence ; aucun chant terrible ou sublime n’accompagna ces évolutions mystérieuses, et Zilla se prit à s’étonner de voir s’accomplir des rites qui lui étaient inconnus.

LXVII

Elle se souvint que, si elle aimait là quelqu’un, c’était la reine, toujours si douce et si grave. Elle voulut savoir ce qu’elle avait ordonné, et la chercha au bord du lac ; mais toute lumière avait disparu, et Zilla, fit retentir son cri cabalistique qui l’annonçait à ses sœurs. Ce cri, auquel mille voix avaient coutume de répondre, se perdit dans le silence, et Zilla voyant qu’un grand événement avait dû bouleverser toutes les lois du sabbat, fut saisie d’effroi et de tristesse.

LXVIII

Elle cria de nouveau d’une voix mal assurée ; mais elle ne put dire les paroles consacrées par le rite : sa mémoire les avait perdues. En ce moment elle vit la reine auprès d’elle. « Tout est accompli, Zilla ; je ne suis plus reine. Mon peuple se disperse et me quitte ; regarde ! … » La lune, qui se dégageait des nuées troubles, fit voir à Zilla de longues files mouvantes qui gravissaient les hauteurs perdues dans la brume et s’y perdaient à leur tour comme des rêves évanouis.

LXIX

Vers le nord, c’était le lent défilé des anciennes procession de noires fourmis qui se collaient aux rochers, si compacte que l’on n’en distinguait pas le mouvement insensible. Celles-là fuyaient le voisinage de l’homme, leur ennemi, et s’en allaient chercher dans les glaces du pôle le désert sans bornes et la solitude sans retour. Vers le sud, les jeunes couraient haletantes, disséminées, ne tournant aucun obstacle, se pressant comme pour escalader le ciel. Celles-ci voulaient conquérir une île déserte dans les régions qu’embrase le soleil, et la peupler d’enfants volés dans toutes les parties du monde.

LXX

À l’orient et à occident, d’autres foules diverses d’âge et d’instinct prétendaient se mêler à la race humaine, lui enseigner la science occulte, la corriger de ses erreurs, la châtier de ses vices ou la récompenser de ses progrès. « Tu vois, dit la reine à Zilla, que toutes s’en vont à la poursuite d’un rêve. Dévorées par l’ennui, elles cherchent à ressaisir la puissance et l’activité qui leur échappent. Les vieilles croient fuir l’homme à jamais ; elles se trompent ; l’homme les atteindra partout et les détrônera jusque dans la solitude où meurt le soleil.

LXXI

« Les jeunes se flattent de former une race nouvelle avec le mélange de toutes les races, et de changer, sur une terre encore vierge, les instincts et les lois de l’humanité. Elles n’y parviendront pas ; l’homme ne sera gouverné et amélioré que par l’homme, et les autres, celles qui, en le prenant tel qu’il est, se vantent de changer les sociétés qu’il a créées et où il s’agite, ne se leurrent pas d’une moins folle ambition. L’homme civilisé ne croit plus qu’à lui-même, et les puissances occultes ne gouvernent plus que les idiots.

LXXII

« Je leur ai dit ces vérités, Zilla ! J’ai voulu leur démontrer que, devenues immortelles, nous étions devenues stériles pour le bien, et qu’avant de boire la coupe, nous avions été plus utiles dans la courte période de notre vie humaine que depuis mille ans de résistance à la loi commune. Elles n’ont pas voulu me croire, elles prétendent qu’elles peuvent et doivent partager avec l’homme l’empire de la terre, conserver malgré lui les sanctuaires inviolables de la nature et protéger les races d’animaux qu’il a juré de détruire.

LXXIII

« Elles m’accusent d’avoir entravé leur élan, de les avoir forcées à respecter les envahissements de la race humaine, à fuir toujours devant elle, à lui abandonner les plus beaux déserts, comme si ce n’était pas le droit de ceux qui se reproduisent de chasser devant eux les neutres et les stériles. En vain, je leur ai dit que, n’ayant ni besoins ni occupations fécondes, ni extension possible de nombre, elles pouvaient se contenter d’un espace restreint ; elles ont crié que je trahissais l’honneur et la fierté de leur race.

LXXIV

« Enfin elles m’ont demandé de quel droit je les gouvernais, puisque, leur ayant donné la coupe de l’immuable vie, je ne savais pas leur donner l’emploi de cette puissance, et j’ai dû leur avouer que je m’étais trompée en leur faisant ce présent magnifique dont j’avais depuis reconnu le néant et détesté la misère. Alors le vertige s’est emparé d’elles, et toutes m’ont quittée, les unes avec horreur, les autres avec regret, toutes avec l’effroi de la vérité et le désir immodéré de s’y soustraire.

LXXV

« Et maintenant, Zilla, nous voilà seules ici… J’y veux rester, moi, afin d’essayer l’emploi d’une découverte à laquelle depuis mille ans je travaille. Ne veux-tu pas rejoindre les sœurs qui s’en vont, ou bien espères-tu vivre calme dans cette solitude en veillant sur la famille d’Hermann ? — Je veux rester avec toi, répondit Zilla ; toi seule as compris la lente et terrible agonie de mon faux bonheur. Si tu ne peux m’en consoler, au moins je ne t’offenserai pas en te disant que je souffre.

LXXVI

— Songe à ce que tu dis, ma chère Zilla. Si rien ne peut te consoler, mieux vaut chercher le tumulte et l’illusion avec tes compagnes. Moi, je ne suis peut-être pas ici pour longtemps, et bientôt tu ne me verras peut-être plus. » Zilla se rappela que la reine lui avait parlé d’un remède suprême contre l’ennui » remède dont elle prétendait faire usage et dont elle n’avait pas voulu lui révéler le secret terrible. Elle l’implora longtemps avant d’obtenir d’être initiée à ce mystère ; enfin la reine céda et lui dit : « Suis-moi. »

LXXVII

Par mille détours effrayants qu’elle seule connaissait, la reine conduisit Zilla dans le cœur du glacier, et pénétrant avec elle dans une cavité resplendissante d’un bleu sombre, lui montrant sur un bloc de glace en forme d’autel une coupe d’onyx où macérait un philtre inconnu, elle lui dit : « À force de chercher le moyen de détruire le funeste effet de la coupe de vie, je crois avoir trouvé enfin la divine et bienfaisante coupe de mort. Je veux mourir, Zilla, car, plus que toi, je suis lasse et désespérée.

LXXVIII

« J’ai souffert en silence, et j’ai savouré goutte à goutte, de siècle en siècle, le fiel des vains regrets et des illusions perdues ; mais ce qui m’a enfin brisée, c’est la pensée que nous devions finir avec ce monde, en châtiment de notre résistance aux lois qu’il subit. Nous avons cherché notre Éden sur la terre, et non-seulement les autres habitants de la terre se sont détournés de nous, mais encore la terre elle-même nous a dit : « Vous ne me possédez pas ; c’est vous qui m’appartenez à jamais, et mon dernier jour sera le vôtre. »

LXXIX

« Zilla, j’ai vu le néant se dresser devant moi, et l’abîme des siècles qui nous en sépare m’est apparu comme un instant dans l’éternité. Alors j’ai eu peur de la mort fatale, et j’ai demandé passionnément au Maître de la vie de me replacer sous la bienfaisante loi de la mort naturelle. — Je ne t’entends pas, répondit Zilla, pâle d’épouvante : est-ce qu’il y a deux morts ? et veux-tu donc mourir comme meurent les hommes ? — Oui, je le veux, Zilla, je le cherche, je l’essaie, et j’espère qu’enfin mes larmes ont fléchi Celui que nous avons bravé.

LXXX

— Le Maître de la vie t’a-t-il pardonné ta révolte ? T’a-t-il promis que ton âme survivrait à cette mort ? — Le Maître de la vie ne m’a rien promis. Il m’a fait lire cette parole dans les hiéroglyphes du ciel étoile : Là mort, c’est l’espérance. — Eh bien ! attendons la mort de la planète ; ne doit-elle pas s’endormir dans la même promesse ? — Elle, oui, elle a obéi à ses destinées ; mais nous qui les avons trouvées trop redoutables et qui nous en sommes affranchies, nous n’avons point de droit à l’universel renouvellement.

LXXXI

« Et maintenant, adieu, ma chère Zilla : c’est ici que je veux demeurer pour me préparer à l’expiation. Retourne aux enivrements de la lumière, et si tu ne peux oublier ton mal, reviens partager mon sort. — J’espère, dit Zilla, que ton poison sera impuissant ; mais jure-moi que tu ne feras pas cette horrible expérience sans m’appeler auprès de toi. » La reine jura, et Zilla quitta le glacier avec empressement : elle avait hâte de revoir le soleil, les eaux libres, les nuages errants et les fleurs épanouies. Elle aimait encore la nature et la trouvait belle.

LXXXII

Elle courut à la demeure d’Hermann, voulant s’habituer à la vue de son bonheur. Elle le trouva consterné. Bertha était malade ; le chagrin que l’enlèvement de sa fille lui avait causé avait allumé la fièvre dans son sang. Elle avait le délire et redemandait sans cesse avec des cris l’enfant qu’elle tenait dans ses bras sans la reconnaître. Zilla courut chercher des plantes salutaires et guérit la jeune femme. La joie revint dans le chalet ; mais Zilla resta honteuse et triste : elle y avait fait entrer la douleur.

LXXXIII

Elle crut que maître Bonus s’en ressentait aussi : il ne parlait presque plus et ne pouvait marcher. « Il n’est pas malade, lui dit Hermann ; il n’a pas eu de chagrin, il n’a pas compris le nôtre. Il n’a d’autre mal que la vieillesse. Il ne veille plus et ne dort plus. Ses heures sont noyées dans un rêve continuel. Il ne souffre pas, il sourit toujours. Nous croyons qu’il va mourir, et nous avons tout essayé en vain pour prolonger sa vie. — Vous désirez donc qu’il ne meure pas ? dit la fée.

LXXXIV

— Nous ne désirons pas l’impossible, répondit Hermann. Nous regretterons ce vieux compagnon et nous prolongerons autant que possible le temps qui lui reste à passer avec nous ; mais nous sommes soumis à la loi que nous impose le Maître de la vie. Zilla s’approcha du vieillard et lui demanda s’il voulait qu’elle essayât de lui rendre ses forces. Maître Bonus se prit à rire et la remercia d’un air enfantin. « Vous avez assez fait pour moi, dit-il ; vous m’avez sauvé du supplice. Depuis, grâce à vous, j’ai vécu de longs jours paisibles, et il ne serait pas juste d’en vouloir davantage. »

LXXXV

Quand la fée revint le voir, il souffrait un peu et se plaignait faiblement. « J’ai bien de la peine à mourir, lui dit-il. — Tu peux hâter ta fin, lui répondit la fée. Pourquoi l’attendre, puisqu’elle est inévitable ? » Maître Bonus sourit encore. « La vie est bonne jusqu’au dernier souffle, madame la fée, et la raison, d’accord avec Dieu, défend qu’on en retranche rien. — Et après ? Que crois-tu trouver de l’autre côté de cette vie ? — Je le saurai bientôt, dit le moribond ; mais, tant que je l’ignore, je ne m’en tourmente pas. »

LXXXVI

Zilla le vit bientôt mourir. Ce fut comme une lampe qui s’éteint. Hermann et Bertha amenèrent leurs enfants pour donner un baiser à son front d’ivoire. « Que faites-vous donc là ? dit la fée. — Nous respectons la mort, répondit Bertha, et nous bénissons l’âme qui s’en va. — Et où va-t-elle ? demanda encore la fée inquiète. — Dieu le sait, répondit la femme. — Mais vous, ne craignez-vous rien pour cette âme de votre ami ? — On m’a appris à espérer. — Et toi, Hermann ? — Vous ne m’avez rien appris là-dessus, répondit-il ; mais Bertha espère, et je suis tranquille. »

LXXXVII

Zilla comprit la douceur de cette mort naturelle après l’accomplissement de la vie naturelle ; mais la mort violente, la mort imprévue, la mort du jeune et du fort, elle en était effrayée, et elle souhaita de consulter la reine. Cependant la reine ne reparaissait pas, et Zilla n*osait retourner vers elle. Une nuit, son fantôme vint l’appeler ; elle le suivit et trouva sa grande amie paisible et souriante au fond de son palais de saphir. « Zilla, lui dit-elle, l’heure est venue, il faut que tu m’assistes.

LXXXVIII

« Mais auparavant je veux te donner beaucoup de secrets que j’ai découverts pour guérir les maladies, panser les blessures, et tout au moins diminuer les souffrances. Tu les donneras à Hermann, afin qu’autant que possible il détourne de lui et des siens la mort prématurée et la souffrance inutile. Dis-lui d’abord qu’il cherche à nous surpasser dans cette science, car l’homme doit s’aider lui-même et combattre éternellement. Ses maux sont le châtiment de son manque de sagesse et le résultat de son ignorance.

LXXXIX

« Par la sagesse, il détruira l’homicide ; par la science, il repoussera la maladie. Adieu, ma sœur. Mourir n’est rien pour qui a bien vécu. Quant à moi, j’ignore à quel supplice je m’abandonne, car j’ai commis un grand crime ; mais je ne dois pas craindre de l’expier et de refaire connaissance avec la douleur. — Vas-tu donc mourir ? s’écria Zilla en cherchant à renverser la coupe fatale. — Je l’ignore, répondit la reine en la retenant d’une main ferme. Je sais qu’avec ce breuvage je détruis la vertu maudite de la coupe de vie.

XC

« Mais je ne sais pas si je vais devenir mortelle ou mourir. Peut-être vais-je reprendre mon existence au point où elle était quand je l’ai immobilisée. Alors j’aurai quelques jours de bonheur sur la terre ; mais je ne les ai pas mérités, et je ne les demande pas. Ne nous berçons pas d’un vain espoir, Zilla. Regarde ce que je vais devenir, et, si je suis foudroyée, laisse ma dépouille ici, elle y est tout ensevelie d’avance. Si je lutte dans l’horreur de l’agonie, répète-moi le mot que j’ai lu à la voûte du ciel : « La mort, c’est l’espérance. *

XCI

— Attends, s’écria Zilla. Et si je veux mourir aussi, moi ? » La reine lui donna une formule magique en lui disant : « Tu pourras composer toi-même ce poison. Je ne veux pas que tu le boives sans avoir eu le temps de réfléchir. Donne-moi la bénédiction de l’amitié. Mon âme est prête. » Zilla se jeta aux genoux de la reine et la supplia d’attendre encore ; mais la reine, craignant de faiblir devant ses larmes, la pria d’aller chercher une rose pour qu’elle pût encore contempler une pure expression de la beauté sur la terre avant de la quitter peut-être pour toujours.

XCII

Quand Zilla revint, la reine était assise près du bloc de glace, la tête nonchalamment appuyée sur son bras ; l’autre main était pendante, la coupe vide était tombée sur le bord de sa robe. Zilla crut qu’elle dormait ; mais ce sommeil. c’était la mort. Zilla avait vu mourir bien des humains et ne s’en était point émue, n’ayant voulu en aimer aucun. En voyant que l’immortelle avait cessé de vivre, elle fut frappée de terreur. Cependant elle espéra encore que cette mort n’était qu’une léthargie, et elle passa trois jours auprès d’elle, attendant son réveil.

XCIII

Le réveil ne vint pas, et Zilla vit raidir lentement cette figure majestueuse et calme. Elle s’enfuit désespérée. Elle revint plusieurs fois. La glace conservait ce beau corps et ne permettait pas à la corruption de s’en emparer ; mais elle pétrifiait de plus en plus l’expression de l’oubli sur ses traits et changeait en statue cette merveille de la vie. Zilla, en la regardant, se demandait si elle avait jamais vécu. Ce n’était plus là son amie et sa reine. C’était une image indifférente à ses regrets.

XCIV

Peu à peu la jeune fée se fit à l’idée de devenir ainsi, et elle résolut de suivre le destin de son amie ; mais quand elle eut composé le philtre de mort, elle le plaça sur le bloc de glace et s’enfuit avec horreur. Depuis qu’elle se savait libre de mourir, elle sentait le charme de la vie et ne s’ennuyait plus. Le printemps, qui venait d’arriver, semblait le premier dont elle eût apprécié l’incomparable sourire. Jamais les arbres n’avaient eu tant d’élégance, jamais les prés fleuris n’avaient exhalé de si suaves odeurs.

XCV

Elle épiait dans l’herbe le réveil des insectes engourdis par l’hiver, et quand elle surprenait le papillon dépouillant sa chrysalide, elle tremblait en se demandant si c’était là l’emblème de l’âme échappant aux étreintes de la mort. Elle se sentait, appelée par la reine dans le royaume des ombres, elle la voyait en songe et l’interrogeait ; mais le fantôme passait sans lui répondre, en lui montrant les étoiles. Elle essayait d’y lire la promesse qui avait enhardi son amie. La peur de la destruction l’empêchait d’en saisir le chiffre mystérieux.

XCVI

Elle voyait Bertha tous les jours et s’attachait plus tendrement que jamais à sa petite fille. Les autres enfants d’Hermann lui semblaient beaux et bons ; mais la mignonne qu’elle préférait absorbait tous ses soins. L’enfant était délicate, plus intelligente que ne le comportait son âge, et quand la fée la tenait sur ses genoux, elle commençait à parler et à dire des choses qui semblaient lui venir d’une autre vie. Elle ne regardait ni les blancs agneaux ni les fleurs nouvelles ; elle tendait sans cesse ses petits bras vers les nuages, et un jour elle cria le mot ciel, que personne ne lui avait appris.

XCVII

Un jour l’enfant devint pâle, laissa tomber sa tête blonde sur l’épaule de Zilla, et lui dit : Viens ! La fée crut qu’elle l’invitait à la mener promener ; mais Bertha fit un grand cri : l’enfant était morte. Zilla essaya en vain de la ranimer. Tous les secrets qu’elle savait y perdirent leur vertu. L’âme était partie. « Ah ! méchante fée ! s’écria Bertha dans la fièvre de sa douleur, je le savais bien que ma fille mourrait ! C’est depuis la nuit qu’elle a passée avec toi sur la montagne qu’elle a perdu sa fraîcheur et sa gaieté. C’est ton funeste amour qui l’a tuée ! »

XCVIII

Zilla ne répondit rien. Bertha se trompait peut-être ; mais la fée sentait bien que cette mère affligée ne l’aimerait plus. Hermann éperdu essaya en vain d’adoucir leurs blessures. Zilla quitta le chalet et courut au glacier. Elle osa donner un baiser au cadavre impassible de la reine, et elle but la coupe ; mais, au lieu d’être foudroyée, elle se sentit comme renouvelée par une sensation de confiance et de joie, et elle crut entendre une voix d’enfant qui lui disait : « Viens donc ! »

XCIX

Elle retourna au chalet. L’enfant était couchée dans une corbeille de fleurs ; sa mère priait auprès d’elle, entourée de ses autres beaux enfants, qui s’efforçaient de la consoler et qu’elle regardait avec douceur, comme pour leur dire : « Soyez tranquilles, je ne vous aimerai pas moins. » Le père creusait une petite fosse sous un buisson d’aubépine. Il versait de grosses larmes, mais il préparait avec amour et sollicitude la dernière couchette de son enfant. En voyant la fée, il lui dit : « Pardonne à Bertha ! »

C

Zilla se mit aux genoux de la femme : « C’est toi qui dois me pardonner, lui dit-elle, car je vais suivre ton enfant dans la mort. Elle m’a appelée, et c’est sans doute qu’elle va revivre dans un meilleur monde et qu’il lui faut une autre mère. Ici je n’ai su lui faire que du mal ; mais il faut que je sois destinée à lui faire du bien ailleurs, puisqu’elle me réclame. — Je ne sais ce que tu veux dire, répondit la mère. Tu as pris la vie de mon enfant, veux-tu donc aussi m’emporter son âme ? — L’âme de notre enfant est à Dieu seul, dit Hermann ; mais si Zilla connaît ses desseins mystérieux, laissons-la faire. — Mettez l’enfant dans mes bras, » dit la fée. Et quand elle tint ce petit corps contre son cœur, elle entendit encore que son esprit lui disait tout bas : « Allons, viens ! — Oui, partons ! » s’écria la fée. Et, se penchant vers elle, elle sentit son âme s’exhaler et se mêler doucement, dans un baiser maternel, à l’âme pure de l’enfant. Hermann fit la tombe plus grande et les y déposa toutes deux. Durant la nuit, une main invisible y écrivit ces mots : « La mort, c’est l’espérance. »