AUTOUR
DE LA
CORRESPONDANCE DE BOSSUET

I
BOSSUET ÉTUDIANT A PARIS ET CHANOINE A METZ


I. — L’EDITION NOUVELLE DE LA CORRESPONDANCE

La correspondance de Bossuet, que les abbés Urbain et Levesque font paraître depuis 1909 dans la collection des Grands Ecrivains de la France, se continue avec une ponctualité qui en fait prévoir la fin prochaine[1]. En même temps, les mêmes éditeurs publient ailleurs, aussi promptement que les circonstances le permettent, une révision critique et un recueil plus complet des Sermons, Panégyriques et Oraisons Funèbres[2]. Deux écrits de Bossuet, — théologiques, mais d’une belle théologie lumineuse et accessible à tous, — ont été réédités récemment par Mme Pératé et Vogt avec une riche exégèse[3]. Si ces publications partielles doivent entraîner celle de tout le reste des ouvrages de Bossuet, félicitons-nous que l’œuvre totale du plus parfait des prosateurs français et d’un penseur religieux si considérable nous soit donnée, enfin, d’une façon digne de lui et de la France.

Et si, par surcroît de bonheur, d’autres réparations, non moins longtemps attendues, se réalisaient ?… Voici que l’on songe à rééditer, avec le même souci d’authenticité, d’intégrité, d’exactitude, Bourdaloue et Malebranche[4]. On poursuit la publication des Mémoires de Richelieu et de ses Lettres. On pense à rassembler celles de Louis XIV. Mais comme les autres classiques les plus éminents ont déjà paru, et que les auteurs du second ordre, souvent plus piquants, avaient depuis longtemps bénéficié de la curiosité des fureteurs[5], finirons-nous donc, en ce XXe siècle, par « avoir » tout notre XVIIe ?

Ce ne sera pas trop tôt sans doute. Il ne faudrait pas que cela fût trop tard.

Ce n’est pas seulement pour la « gloire, » — quoique la conservation de la gloire littéraire d’une nation ne soit jamais une vanité ; — il y va encore, osons le dire, de plus vitaux intérêts. Dans l’énorme lutte présente, les attentifs ont mieux pu voir le prix de notre passé intellectuel, et ses bienfaits. Ce passé nous a valu ou des fidélités, ou des retours plus honorables encore. Or, les étrangers, qui parfois en connaissent, souvent en estiment mieux que nous les trésors, ne désirent que d’en connaître davantage, et ils s’étonnent un peu de notre insouciance à les répandre largement dans le commerce intellectuel du monde.

À nos érudits, par leurs publications savantes, de répondre à ce regret… Et à nous, biographes, critiques, historiens, aidés et assurés par des préparations documentaires dont l’absence ou l’insuffisance a si souvent paralysé ou stérilisé nos conjectures, à nous de travailler avec le propos délibéré, non pas sans doute de fixer ne varietur et sans appel, mais du moins d’établir aussi solidement que possible, soit la biographie personnelle, soit surtout l’histoire intellectuelle et morale de chacun de ces Maîtres français, en qui l’étranger ne demande pas mieux que de voir encore des éducateurs. À nous de dégager, avec une précision plus confiante, des textes exhumés, enrichis, purifiés par les érudits dont nous dépendons, tout ce qui est d’éléments contrôlés, de traits authentiques, par quoi puisse se compléter, avec le minimum d’hypothèse, le vrai portrait de nos grands hommes et le bilan définitif de leur apport à la pensée humaine.

Nous voudrions dans ce dessein parcourir la correspondance de Bossuet.

Malheureusement, de la première moitié de sa vie, — celle, justement, qui le plus peut-être nous attire, celle où sa personnalité se construit de matériaux fortuits ou d’acquêts voulus, — il reste bien peu de lettres par lui écrites ou reçues. Ces papiers de quarante-deux ans ne tiennent que les deux tiers d’un volume. Dès lors, si nous voulons faire ressortir le lien des idées éparses qui apparaissent seules dans la correspondance de cette période, — si nous voulons aussi préparer l’intelligence de la correspondance, bien plus abondante, postérieure à 1670, — force nous sera de recourir aux travaux critiques des enquêteurs modernes… Travaux fort variés du reste, enquêteurs singulièrement consciencieux, — n’ayant pas toujours le souci, tandis qu’ils fouillent autour de la grande statue, de n’en point égratigner le piédestal, — mais ayant toujours, ce qui est mieux, le souci de la vérité[6].


II. — LA PREMIÈRE LACUNE DE LA CORRESPONDANCE DE BOSSUET : BOSSUET JEUNE

Et voici la première lacune : antérieurement à la vingt-quatrième année de Bossuet, rien. Toute chance est-elle perdue de retrouver quelque chose ? On est bien tenté de le croire quand on voit, à chaque page de la collection nouvelle, les preuves de l’ingéniosité fureteuse des éditeurs et de leurs explorations de tous les « nids » possibles d’inédits. Au moins qu’il soit entendu que, à nous n’avons rien, c’est peut-être que tout a été détruit ou perdu, mais ce n’est sans doute pas qu’il n’y eût rien. De cette absence, pour la jeunesse de Bossuet, de toutes traces de relations sociales, gardons-nous de nous faire de cette époque de son existence une fausse idée, — l’idée d’une vie tout intérieure, étroitement laborieuse, muette parce que murée aux souffles du dehors.

Toute seule, — vous le savez bien, — la vraisemblance y répugnerait. Comment ! il n’aurait pas goûté la société humaine, celui qui, si souvent, plus tard, en célébra la douceur avec une éloquence émue ? Il se serait abstrait des événements ambiants, il n’eût pas participé aux curiosités discursives de la jeunesse intelligente, le panégyriste de saint Bernard, celui qui a peint les envols impétueux, les ambitions illimitées et chimériques des Jeunes, en des termes que l’on sent tout pleins d’une expérience d’hier et qui sonnent comme une confession ?

Puis, que l’on ne se trompe pas sur la façon de vivre des humanistes ou des théologiens d’alors, et des doctes compagnies où ils se groupaient. Que leurs titres désuets, leurs programmes d’études abstruses, leurs coutumes et costumes, latins et scolastiques, ne nous fassent pas illusion. Ils n’étaient pas séparés de leur temps. Les gros murs de leurs couvents ou collèges, de leurs sciences et de leur piété, avaient des fenêtres sur une actualité qui, en ce temps-là aussi, valait la peine d’être regardée et ouïe. Une tradition rapporte que Bossuet arriva de Dijon, pour commencer ses cours à Navarre, le jour même où Richelieu, après avoir fait tomber ses dernières têtes, rentrait à Paris par la brèche ouverte à sa « maison roulante. » Je ne vous prie point de croire que, dès ce jour-là, au déboîté, Bossuet ait couru voir la dernière « entrée » du terrible cardinal. Mais j’admets fort bien, sur les souvenirs de lui que recueillit plus tard son bon secrétaire l’abbé Ledieu, que, quelques jours après, il ne manqua pas d’assister à la pompe funèbre du cardinal, dont « l’impression, » nous dit l’abbé, « lui demeura très avant. »

Durant les sept années suivantes, mettons que Bossuet, candidat d’abord à la licence ès arts, puis au baccalauréat théologique, et pensionnaire au Collège de Navarre, n’ait voulu être que l’écolier qui « prépare » ses examens et ses concours, tout aux classiques latins et grecs d’abord, puis aux Pères de l’Eglise et aux théologiens ; — mettons que, dans cette assiduité absorbée, il ait réalisé le bot suetus aratro que plaisantaient ses moins studieux camarades… Mais, en 1648, la Fronde éclate. Or, de 1648 à 1650 précisément, ce sont, pour lui, les deux années d’interruption obligée des cours qui s’interposaient entre le baccalauréat et la licence ; — deux années pendant lesquelles les clercs étudiaient en liberté. — D’aucuns même, plus frivoles, comme Rancé, chassaient, faisaient des armes[7]. Bossuet, lui, voyagea en prêchant ; il alla à Metz, où son père lui avait fait une « position ; » à Dijon, dans son pays natal. Sur les routes de province, il dut voir ce qu’on voyait alors, et qui était souvent lamentable, les miséreux de Gallot, agonisant le long des chemins. Mêlé déjà ainsi à la vie provinciale, il le fut aussi à la vie de ce Paris qui fut bien six ou sept ans en demi-révolution permanente. Dans les inquiétudes des jours d’émeute, il eut lui-même un petit rôle. « Procureur » de la communauté des bacheliers du Collège, il gardait à la ruelle de son lit des sacs de farine.

Notez enfin qu’il n’y avait pas que la politique, et ses accidents plus ou moins graves, pour remuer alors et aérer rudement « l’enseignement supérieur » et le « quartier latin. » En ces temps de luttes, les dissensions religieuses ne chômaient pas non plus : Jansénisme contre Molinisme, moines et clergé séculier, Jésuites et Université, Ultramontains et Gallicans. Entre ces différents groupes adversaires, les motifs surgissaient, quotidiens, d’excitation et de combat, et les occasions non seulement de controverses doctes, mais d’altercations injurieuses, de procès en justice, de rixes même. Eh 1642, la question de la collation des grades agita si vivement ce petit monde que, — nous dit avec tristesse l’historien de l’Université, M. Jourdain, — « les effets en furent ressentis jusque dans les exercices scolaires. » Je le crois bien : au collège d’Harcourt, les élèves gallicans, très exaltés, jouaient publiquement, en une espèce de « drame satyrique, » le Procès des Jésuites, tandis que leurs régents semaient le bruit que les disciples de Loyola travaillaient à affamer Paris en exportant le blé à l’étranger. Sous les bonnets carrés et les amples simarres, ils vibraient et criaient, maîtres et élèves, tout comme des citoyens modernes, ces « hommes d’autrefois. »


III. — UNE JOURNÉE DE FRONDE SORRONIQUE : LE DOCTORAT ILLÉGAL DE BOSSUET.

Qui sait si Bossuet ne vibrait pas alors plus qu’aucun autre, puisque celui que Sainte-Beuve et Renan eussent peut-être appelé, — comme on appela je ne sais quoi scolastique, — « le docteur solennel, » fut amené, dans un de ses actes théologiques, à faire figure d’insurgé…

Le Collège de Sorbonne, fier de son antiquité et de ses privilèges médiévaux, fortifié et enrichi par Richelieu, écrasait les autres maisons de science d’une prééminence altière et taquine. Le Collège de Navarre, puissant aussi, en frémissait. Or, en 1650, Bossuet allait soutenir cette seconde thèse de la licence théologique dont, précisément, la Sorbonne exigeait que la soutenance eut lieu chez elle et suivant un protocole où s’étalaient, avec une minutie impatientante, ses prétentions à la primauté[8]. Le prieur de Sorbonne ouvrait, en grande pompe, en présence d’invités officiels, la série des examens. De chaque soutenance, il trônait comme président. Il exigeait que préalablement « les bacheliers lui présentassent leur thèse signée, avec les « preuves » à l’appui. Il occupait un siège d’honneur, il argumentait la tête couverte, il haranguait majestueusement le soutenant. Et celui-ci, en s’adressant à lui, devait l’appeler avec respect, tout comme le bedeau : Dignissime domine Prior, encore que le prieur pût n’être qu’un bachelier comme lui, pas plus âgé, pas plus qualifié. Ainsi l’avaient réglé la Faculté et le Parlement par plusieurs arrêts dont s’indignait Navarre.

Qui, mieux que Bossuet, sujet d’élite, était propre à réclamer une fois de plus, et avec éclat, contre ces servitudes humiliantes ? Ses maîtres lui en confièrent, il en accepta la délicate mission[9]. Et donc, d’abord, quand, avant la soutenance, il est obligé d’aller « conférer » avec le prieur de Sorbonne, l’abbé Gaston Chamillard son condisciple, il se fait prier pour lui soumettre les textes justificatifs de sa thèse. Ensuite, c’est de les signer qu’il refuse, et il ne les signe qu’en protestant officiellement par-devant deux notaires amenés par lui dans le cabinet du « tyran. »

Arrive le jour de la cérémonie publique. Les Sorboniques étaient très courues. « Une licence de théologie de Paris, —. écrit le Père Quesnel, — est, dans le genre des exercices de la littérature, un des plus beaux spectacles du monde, par le concours des savants, de tout ordre qu’elle rassemble, ainsi que par l’intérêt des débats qu’elle soulève. » Aux étrangers de marque, « on offrait le spectacle d’une Sorbonique, comme à la cour une représentation de gala. » Ces jours-là, dans les collèges, les professeurs congédiaient leurs élèves pour « ne point manquer » la fête.

À plus forte raison, lorsque, comme le mercredi 9 novembre 1650, la fête promettait une bataille. Nombreux et sans doute bruyant fut le cortège qui, ce matin-là, sorti du Collège de Navarre, longea l’église Saint-Étienne et l’abbaye Sainte-Geneviève, descendit entre les collèges de Montaigu et de Lisieux, par la rue Saint-Étienne-des-Grès, puis par les rues Saint-Jacques, des Cordiers et de Sorbonne, jusqu’à la grande salle des Actes[10]. Le récipiendaire était escorté du Grand-maître même de Navarre, Nicolas Cornet, et du docteur Jacques Pereyret, conduisant une troupe de bacheliers : tels marchaient en ce temps, contre le Mazarin, Monsieur le Prince ou le Coadjuteur. On commence. Et dès que Bossuet a ouvert la bouche, il viole le protocole. Au président, l’abbé Chamillard, qui l’écoute en arrêt, il ne dit pas : Dignissime Prior : il dit, une fois, Doctissime Prior, et ensuite, tout simplement, tout cavalièrement : Domine Prior, — Monsieur le Prieur. — Donc il refuse à la Sorbonne l’hommage de vassalité qu’elle réclame. Protestation et retraite du président offensé, tandis que le Grand-maître de Navarre, du haut des « escoutes, » — c’est-à-dire de la tribune grillée où il a le droit de siéger invisible, — crie à ses bacheliers de n’avoir pas égard à cette retraite et d’argumenter selon l’usage avec le candidat. Mais Chamillard revient avec le renfort des collègues qu’il est allé recruter à l’issue de la messe. Tumulte ; l’acte est interrompu. Et ce sont cette fois les « Navarristes » qui sortent, remontent la rue de Sorbonne et s’en vont au grand couvent des Jacobins, rue des Grès, proche le collège de Cluny, continuer sous le portrait de saint Thomas cette Sorbonique schématique. Du reste, les « Sorbonistes » courent après eux, accompagnés d’huissiers pour constater le scandaleux exode, et, le lendemain, ils attaquent en Parlement une thèse dont la soutenance fut si scandaleusement vicieuse. Ils avaient le droit pour eux. Les juges, — Mathieu Molé, premier président, Orner Talon, avocat général, — n’étaient pas tendres pour les Frondes, même doctorales. Bossuet dut comparaître, devant la Grand’Chambre jugeant à huis clos, et plaider sa cause. Pour que cette haute cour, tout en condamnant l’insubordination des gens de Navarre, lui conservât, « sans tirer à conséquence, » le bénéfice de sa thèse, il fallut d’abord, sous le manteau, des négociations conciliatrices, et, ensuite, un effort approprié de sa jeune éloquence. Le futur docteur de l’Eglise faillit n’être pas docteur de l’Université.

Bien entendu, ces aventures lui profitaient. Il y avait tous les ans, à l’issue de la licence, une sorte de séance de clôture où les jeunes théologiens, devenus viri thteolugici, comme on disait, fêtaient leur libération des études en une dernière solennité oratoire et joyeuse. On y célébrait les événements de l’année scolaire et les personnages notoires ; on mêlait aux doctes mercuriales des épigrammes aiguisées. Toute l’Université, le Parlement, l’Hôtel de Ville étaient conviés. Ce fut le héros de la tumultueuse Sorbonique du 9 novembre, que les bacheliers élurent, pour cette cérémonie, « orateur. » Et le thème que traita, dans une des allocutions qui lui incombaient, cet « homme du jour » du quartier latin, — « Craignez Dieu, honorez le Roi, » — était encore, on le voit, d’une actualité faite pour de nouveau le mettre en relief. « Grands Dieux, que ce jeune homme ira loin ! » s’écriait, après l’avoir entendu, un professeur de rhétorique au collège de Lisieux : Hic juvenis, Numinal quantus erit ![11].


IV. — BOSSUET ÉTUDIANT « RÉPANDU »

À ces petits faits, significatifs, ajoutons ce que nous a depuis longtemps appris l’abbé Le Dieu, et ce que les recherches modernes ont confirmé, sur les rapports sociaux et les succès mondains de Bossuet.

Au Collège de Navarre, les fils des grandes familles politiques, militaires, financières, diplomatiques, abondaient autant qu’aux Jésuites. Bossuet y est rejoint par Rancé. Là aussi, il connut Nicolas Colbert et il eut, comme petit cadet, Charles-Maurice Le Tellier ; avec tous deux il se lia. Mais c’est surtout, ce semble, grâce à sa famille qu’il pénétra immédiatement, et par plusieurs avenues, dans la haute société du temps.

De cette famille des Bossuet et des Mochet, établie depuis le XVIe siècle et avec honneur dans les grandes places de la magistrature et du barreau, tous les membres, tant en Bourgogne qu’à Paris, ont de belles « relations. » L’émigration en Lorraine d’un grand-oncle de Bossuet, de qui nous aurons à parler plus loin, — celle d’un oncle à la mode de Bretagne à Cahors, — les ont étendues. Son père, le conseiller Bénigne, soit à Dijon, soit à Paris, soit à Metz, prolonge et diversifie ces fréquentations profitables. Même, à les rechercher, il pèche par excès, s’il en faut croire une note de police : il « fait trop de visites » et « court » les gens en place. Cette diffusion et cet entregent de ses ascendants valent à Jacques-Bénigne l’amitié des Condé, celle des Du Pas de Feuquières[12], amis et alliés des Arnauld ; c’est par l’un de ces derniers, dit-on, qu’il est introduit au sanctuaire des « Précieux, » à la « Chambre bleue. » À Paris, il a retrouvé l’oncle de Cahors parvenu, enrichi : François Bossuet, le petit président à la Cour des Aides du Quercy, est à présent Bossuet de Villers, « Bossuet le Riche ; » il est « partisan, » « fermier, » secrétaire du Conseil d’État et ami de Fouquet. Le frère de Jacques-Bénigne est employé chez ce gros homme d’affaires. Familiers l’un et l’autre du salon de Mme Bossuet, leur tante, il en résulte, probablement pour les deux frères, l’accès à la cour du Surintendant ; et pour le jeune abbé tout au moins, l’entrée chez la mère de Fouquet, « femme d’œuvres, » sainte et puissante, que toutes les gazettes charitables du temps nomment aussi souvent que la duchesse d’Aiguillon ou que Marie Lumagne. Par la même voie encore, peut-être, il fréquente la marquise de Sénecey, plus tard gouvernante du jeune roi et de « Monsieur, » ainsi que la comtesse de Fleix, sa fille. Celles-là sont de grandes dames, bien en cour, « en belles places, » toutes deux « bonnes amies » d’Anne d’Autriche…

Quant aux gens de lettres, — qu’il frôle aux mêmes lieux, et aux hôtels de Nevers et de Vendôme, — ne donnons pas sans doute dans le travers de ces biographes qui, jaloux de revendiquer pour Bossuet tous les triomphés, veulent que le grand homme en puissance, apparemment déjà visible et deviné, ait eu pour admirateurs et patrons, dès ses premiers pas dans la vie, tous les génies du siècle. Abstenons-nous de donner cette ampleur au succès de « prêchoterie » salonnière qu’il remporta un soir devant eux, et qui, sans le jeu de mots de Voiture, ne serait pas plus entré dans l’histoire que ceux qu’obtenaient, devant les mêmes cénacles, d’autres petits prodiges : par exemple, son compagnon d’études et émule, l’abbé de Rancé. Il paraît sûr cependant, qu’il fut apprécié par Mgr Cospeau, dominicain évêque, théologien orateur, et vers ce temps conseiller d’Anne d’Autriche ; — par Mgr Godeau, bel esprit converti, de poète léger promu poète lyrique, académicien, et par surcroit membre de la Compagnie du Saint Sacrement ; — par tout ce groupe de lettrés religieux qui, sur les traces de Guez de Balzac, de Senault, de. Chapelain, de Conrart, réalisaient avec gravité la fusion de la culture antique avec l’esprit chrétien.

J’ai nommé la secrète « Compagnie » pieuse que les malveillants nommaient alors la « Cabale des Dévots, » et dont les vues furent d’une si belle hardiesse, l’activité si merveilleuse[13]. Est-ce par Godeau ou par Mme Fouquet que Bossuet y fut appelé ? En tout cas, il est presque certain qu’il fut alors mis en contact avec saint Vincent de Paul, de cette sainte ligue un des ouvriers les plus actifs ou des plus suggestifs conseillers. Et ce qu’il y a de sûr, c’est que le petit abbé beau diseur est admis alors aussi, peut-être, dans cette « Compagnie des Mardis, » pépinière d’orateurs à l’usage des villes que l’ingénieux organisateur de la prédication catholique avait voulu joindre à sa Société de missionnaires des campagnes. Or, n’oublions pas qu’en ce temps-là, « Monsieur Vincent » n’est plus seulement l’apôtre modeste des peuples, mais qu’il est aussi le représentant le plus puissant de l’Eglise à la Cour. Président du Conseil de conscience de la Régente, — ministre, peut-on dire, de sa dévotion et de sa charité, il est une manière de grand chef du catholicisme vainqueur. L’approcher, le voir en exercice, c’était avoir la révélation de l’action et de la fécondité catholique, maîtresse de l’influence et touchant au pouvoir.

Toujours est-il qu’il y a eu, dès la première période de la vie de Bossuet, avec un certain nombre d’aventures et d’initiations parfois bruyantes, déjà militantes, toute une sociabilité quasi mondaine. Je le répète après bien d’autres, parce que c’est là une préface, un prologue, par où s’expliquent bien des choses d’ensuite. De ce « départ » de Bossuet, on a déjà dit excellemment autrefois, — Floquet, Gaudar, Bersot, Sainte-Beuve, — les conséquences intellectuelles et morales. Mieux encore à présent l’on peut les préciser.

Conséquences, d’abord, sur sa foi. De cette « action » précoce vient ce qu’Ernest Bersot estimait tellement chez Bossuet : le « bon sens. » Insistons : le bon sens pratique. Ils auront effet sur sa doctrine, ces premiers contacts avec la vie, non pas, bien entendu, pour altérer la pureté de sa foi, mais, si j’ose dire, pour l’oindre, pour mettre autour d’elle l’huile à la fois sainte et humaine de la conciliation. Au moment où il reçoit des livres ses idées essentielles, il voit aussi ce qu’est la société existante. Chez lui, dès lors, la doctrine n’entrera pas dans un « esprit pur, » mais dans une intelligence avertie déjà de la vie. Et elle y entrera non pas raide et abstraite, mais — grâce à ces leçons de choses initiales dont l’empreinte est toujours si forte, — pénétrée doucement de la nécessité, qui s’impose au christianisme, de tenir compte de la réalité. Un « lévite » enfermé dans le temple, un scholar muré dans ses livres, n’ont, — si du moins ils ont jamais existé en cette pureté typique, — rien de commun avec le théologien a l’air libre qu’il est. Notez, sur quoi, même aux époques et sur les points où Bossuet sera plus tard si impérieux, se fondera principalement son intolérance. Sur des prétentions a une infaillibilité d’ordre intellectuel ? Sur l’orgueil des préférences d’école ? Non. Sur des raisons d’ordre pratique. C’est comme « dangereux » qu’il détestera Richard Simon, et les Cartésiens, et Fénelon ; il les combattra au nom de certaines « utilités, » maîtresses auxquelles tout doit céder, même les considérations de pensée, même les textes » s’ils en ont qui les encouragent, et qui les égarent.

De là, aussi, la couleur de la piété de Bossuet. Ses premiers rapports avec la sociéyé polie étaient flatteurs. Il aurait très bien pu imiter les jeunes clercs qui, vers la même époque, furent provisoirement accaparés par ce grand monde marchant alors d’une si belle allure, qui furent séduits par ses élégances et par ses plaisirs : Rancé, Le Camus, Pontchâteau. Ceux-là s’y plongèrent, je ne dis pas dans les bas-fonds, mais à fond, — et ils eurent, plus tard, besoin, pour s’en retirer, du violent coup de barre de la « conversion. » Lui, non. Ce Bourguignon, bourgeois et un peu rude, ne sera pas atteint de mondanité proprement dite. J’assurerais bien qu’il ne promène pas dans les salons, comme Rancé, la vanité d’une chevelure frisée et poudrée, d’un justaucorps violet, de jabots de dentelles et d’émeraudes aux manchettes[14]. Mais je conviendrais aussi sans difficulté que, dans ces milieux, il ne se déplut point. Les souvenirs de l’abbé Le Dieu nous renseignent à cet égard. Vous vous souvenez de ce portrait, gauche et joli, que le bon abbé fait du « jeune Bossuet, » frais, avenant et souriant, « plein d’agrément et de bonnes grâces, » ayant avec ; « toute la beauté du visage les manières les plus engageantes… Quel feu ! Quelle vivacité !… » Quel esprit « poli et orné de toutes sortes de grâces des Anciens ! » Il était « dans cette fleur de son âge, le plus propre à plaire aux yeux du monde… »

Or sans doute, à cette réussite que ses dons avenants lui valent il ne fait pas grise mine. Tout en « s’attachant solidement à l’état ecclésiastique » et à acquérir en conscience « la piété, la douceur, » les qualités professionnelles, il se laisse choyer. Et cette satisfaction innocemment amusée, teindra aussi son mysticisme. Janséniste de raison chrétienne, il pourra l’être ; janséniste d’âme, il ne le sera point. Il ne craindra pas le « siècle » comme un monstre. Il ne se dira pas tout le temps à lui-même, comme son contemporain, Armand du Camout de Coislin (l’abbé de Pontchâteau) : « Fuje ! lace ! quiesce ! Fuis l’ennemi ! tais-toi ! tiens-toi coi ! » Il ne fixera pas sur les murs de sa chambrette les images dont l’ardent port-royaliste blindait intérieurement sa cellule : par exemple, « d’un saint Jérôme pensif, avec ces paroles : « Solus sedebam, quia comminatione replesti me : Je me suis retiré dans la solitude parce que vous m’avez rempli, Seigneur, de la terreur de vos menaces. » Le siècle ennemi, il le regardera en face, il le hantera sans peur et sans remords. Il concevra, au moins dans ses débuts, comme possible dans le christianisme la vie heureuse et son sourire. À l’intense et essentielle méditation de la brièveté de nos jours et de la fragilité de nos bonheurs, il joindra tout de suite une sorte d’endémonisme chrétien, et la conception d’un Dieu bon, qui n’a pas fait le monde pour qu’on en sorte, qui permet à la piété et à la vertu l’accueil et la satisfaction de ce désir d’être heureux, planté par lui au cœur de l’homme. Pour avoir de bonne heure connu le monde, il ne le croira pas incompatible avec le salut.

De là encore, — car il n’est pas oiseux de s’attarder à dégager ces essentielles semences, — de là ce tour spécial de la conduite de vie de Bossuet et le premier pli d’une « souplesse » qui lui a été tant reprochée par des inflexibles altiers. S’il n’a pas eu d’ « os, » comme l’en accusaient les Tréville et les Arnauld, je n’en sais rien, et sa correspondance nous donnera, je crois, l’occasion d’en appeler de cette rigueur Mais ce qu’il apprit sans doute très tôt, — et faut-il l’en blâmer ? — c’est à n’avoir pas d’ongles, ce qui est très différent, ni de pointes, ni d’inutiles résistances et d’intransigeances irritées et irritantes. Dès vingt ans, il vit le « grand monde » et ses hiérarchies[15], ses intérêts, ses passions et ses préjugés, ses partialités enfin. Quand il allait chez les Feuquières, il n’entendait sans doute pas dire de bien de ses anciens maîtres de Dijon, les Jésuites. Quand il sortait de chez la comtesse de Fleix, il entendait flétrir Port-Royal. Son ami Nicolas Colbert, sur les affaires publiques, ne lui parlait pas le même langage que le père de son futur ami Charles-Maurice Le Tellier. Il se rendait compte qu’entre ces extrêmes, le bon serviteur de l’Église devait, pour l’amour du bon ordre comme pour le bon exemple, se résigner à des contacts qu’il ne choisit pas, subir des contradictions qui résistent, accepter des transactions qui s’imposent. Il se rendait compte que la vertu et la vérité, malgré leur droit, cheminent en un chemin où il faut « grimper » avec effort. On n’admirera jamais trop cette belle page du Panégyrique de saint Bernard, le « Portrait de la Jeunesse. » Or c’est à vingt-quatre ans, remarquez-le, qu’il est capable de juger avec cette raison calme et haute, son moi d’hier, le « jeune homme de vingt-deux ans, » qui s’imagine que la vie n’aura pour ses espoirs infinis que des complaisances, pour sa bonne volonté que des couronnes. Voilà ce qu’il faut se rappeler soigneusement, et poser au seuil de sa vie, pour la comprendre en ses démarches et ses succès divers, pour ne pas s’étonner plus qu’il ne convient des uns ni des autres, pour les juger en équité.

Mais, sans aller si loin, il y avait d’autres conséquences, plus prochaines, à tirer de cette adolescence, qui ne fut, de 1642 à 1652, ni close ni morne, de ces premières armes parfois un peu tapageuses à travers des milieux agités, de ces exploits oratoires tentateurs. Il y avait à prévoir que, si, dès 1652, Bossuet quittait Paris, il y reviendrait… En vain, son père, provincial sans doute ambitieux, peut-être même, nous l’avons vu, intrigant, mais modeste en son entregent et limité dans ses ambitions, lui a préparé une carrière analogue à celle de ses frères et sœurs. En vain, il ménage à Jacques Bénigne à Metz, — tout de même qu’à son frère Claude à Toul, — une de ces confortables hermines canoniales où lui-même, une fois veuf, il enveloppera su vieillesse en retraite. Les débuts du futur orateur dans la capitale ont été trop engageants, ses succès trop prometteurs, ses liaisons trop pleines d’offres et de perspectives, pour qu’il quitte Paris sans chance — ou plutôt sans fatalité — de retour. Déjà, en 1652, il ne tiendrait qu’à lui d’y rester. Nicolas Cornet, l’un de ses professeurs les plus puissants, lui offrait sa succession de Grand-maître de ce Collège de Navarre pour lequel il s’était si brillamment compromis. Il n’accepte pas, cependant, et il va prendre à Metz la place qui l’attend.


V. — BOSSUET A METZ. — LE PROCÈS DE SON CANONICAT. — LE GALLICAN NAISSANT

C’est, précisément, la première lettre du nouveau recueil de la Correspondance[16]que ces souvenirs préliminaires nous aident à comprendre, et, si besoin, à excuser.

Elle est un peu déconcertante, en effet, et presque désobligeante, cette première lettre. Elle contrarie probablement les admirateurs de Bossuet autant que la dédicace à Montauron fâche ceux du grand Corneille. C’est aussi une dédicace : Bossuet, docteur, offre à l’évêque de Metz la dernière de ses thèses. Or, l’évêque de Metz est alors Henri de Verneuil, évêque singulier. Fils naturel de Henri IV, comblé dès sa naissance d’opulents bénéfices, il a, disent les moqueurs, « pris dans l’Eglise plus d’abbayes que d’ordres. » Il est tonsuré, tout juste. Il n’est pas même un de ces prélats hommes politiques, de diplomatie ou de guerre, qui, comme Ossal, Sourdis ou Marca, rachètent leur fortune d’Eglise en faisant, dans le siècle, œuvre bonne. Il n’est qu’un débauché, simplement. L’acte le plus régulier de sa vie, ce sera, en 1659, à soixante-sept ans, de déposer sa mitre pour épouser la duchesse de Sully.

Or, à ce fantoche, le docteur et prêtre Jacques Bénigne prodigue, en vérité, les louanges. Il exalte sa « grandeur d’âme, » quasi divine… : « Superis, ut ita dicam, proximum, » et son « amour non vulgaire pour la théologie ; » — il célèbre le sang royal qui coule pour moitié dans ses veines. Dirons-nous que c’était le style habituel ? Mais c’est le devoir et l’art du génie d’échapper à certaines servitudes un peu viles… Que le cas de Henri de Verneuil ne scandalisait alors personne ? J’en doute. Je crois bien deviner ce que, au seul point de vue canonique, M. Singlin et M. Vincent pensaient de « grandeurs » de cette sorte, dont, au reste, je ne vois pas beaucoup d’exemples parmi ce clergé français du XVIIe siècle, qui était depuis assez longtemps déjà en voie d’épuration[17]. Et en admettant même que devant cette prélature, légale après tout et concordataire, un ecclésiastique discipliné put faire sans scrupule des génuflexions protocolaires, quel besoin pour Bossuet de rappeler au public quelle était la première source de la fortune de Mgr de Verneuil[18] ? — Sans chicaner, convenons que Bossuet n’a pas, à cette date, le sens de l’exacte mesure. Il en manquera peut-être d’autres fois encore.

Seulement, ce qu’il ne faut pas lui reprocher, c’est le geste, ni, non plus, si je puis dire, la quantité d’encens. Et cette indulgence, ce sont jugement les circonstances de la jeunesse de Bossuet qui nous la commandent.

Quand il écrit cette lettre, il possède à Metz, depuis 1642, le titre, la charge et les revenus de chanoine. Comment les avait-il reçus ? Longue histoire, dont les éléments furent rassemblés, il y a longtemps, par Floquet, mais de laquelle, peut-être, à plusieurs points de vue, on n’a pas tenu assez de compte.

Bossuet n’avait pas encore dix ans, quand sa famille s’était transportée de Bourgogne en Lorraine. Lors de la création, en 1633, par Louis XIII, du Parlement de Metz, le grand-oncle de Bossuet, Antoine Bretagne, en avait été nommé premier président. Choix intelligent, par parenthèse, car ce qu’il y avait alors à faire dans le pays de Metz, de Toul et de Verdun, c’était de maîtriser, avec une douceur ferme, le particularisme féodal, l’attachement aux privilèges et aux immunités anciennes, et, au besoin, les velléités, plus grognonnes que malicieuses, de fronde locale qui pourraient se faire jour dans ce « monde de petits souverains » des Trois Évêchés. C’est précisément ce que Bretagne, « blanchi dessous les fleurs de lis et vieilli dans l’écarlate, » avait déjà fait, avec succès, dans celle Bourgogne, — remuante, elle aussi, tout autant que loyale.

Le reste de la famille n’avait pas manifesté moins de zèle discipliné, pas moins de dévouement au service du Roi. Plusieurs de ses membres furent donc admis à suivre Antoine Bretagne à Toul, où le Parlement fut vite transféré, entre autres, le père de Bossuet, Bénigne, lequel ne pouvait être décemment et légalement autre chose que substitut à Dijon, où les Bossuet, les Mochet, les Bretagne surabondaient.

Installé là, — vraisemblablement pour la vie, vu son âge, — Bénigne Bossuet, avec cette adresse que j’ai déjà rappelée, travailla à y rassembler et fixer ses enfants[19]. Dès 1639, à son aîné Claude, il procurait un canonicat à l’église cathédrale de Toul[20]. Et pour Jacques Bénigne, qui, lui aussi, était destiné à l’Église (dès huit ans, on le sait, il avait reçu la tonsure), il guettait un autre canonicat. Ce n’était pas gibier facile. Les bénéfices ecclésiastiques étaient tellement convoités et disputés partout ! Et quoique, en théorie, donnés à l’élection, ils étaient, si souvent, attribués déjà par avance quand la vacance devenait effective et connue ! Tel fut, précisément, le cas, lorsque en 1640, se présenta l’occasion au chapitre de l’Église cathédrale de Metz, « chapitre puissant et copieux, » comme écrivait en ce temps-là Abraham Fabert[21]. Le chanoine Jean Berlon, qui mourait le 12 octobre 1640, avait, — depuis douze ans ! — transmis son canonicat au sieur Saintignon, par voie de coadjutorerie. Il avait pris, sous prétexte de santé, un remplaçant avec succession future. C’était une procédure dont certains chapitres, celui de Metz en particulier, réclamaient le privilège.

Mais les privilèges, sous l’ancien régime, en se mêlant, s’opposaient. Les Chapitres revendiquaient aussi, presque tous, un autre droit, le droit du tournaire, — c’est-à-dire le droit, pour le chanoine qui était « de tour de semaine, » de disposer, au nom du Chapitre, sans contrôle, durant un certain délai, des bénéfices qui deviendraient ou seraient devenus vacants au cours de son hebdomadaire magistrature. « Par fortune, » — comme dit le plus bossuétiste de tous les biographes de Bossuet, l’érudit Floquet, — « par fortune, » le 12 octobre 1640, le tournaire se trouvait être « un bon ami » des Bossuet, messire Jean Royer. « Quelle favorable occasion de servir le conseiller Bénigne ! » Il faut croire pourtant que Jean Royer n’avait pas eu, tout de suite, cette présence d’esprit affectueuse, puisque ce ne fut qu’un bon moment après qu’il songea à exercer, en faveur de Jacques Bénigne, son droit de nomination. Il était encore temps, paraît-il ; seulement, pour faire valoir cette désignation, il fallait de la part de l’intéressé une action en justice.

Que le lecteur moderne, qui n’aime pas, — qui même, si je puis dire, n’estime pas, — les procès, ne se scandalise point de voir dans la vie de Bossuet, dès treize ans, un procès, qui ne sera pas le dernier. Sous l’ancien régime, même aux emplois publics où l’on était nommé, comme la mise en possession définitive dépendait souvent d’une cour de justice, elle pouvait être attaquée, elle devait être défendue. À plus forte raison quand il s’agissait d’emplois électifs. Voilà pourquoi tant d’honnêtes gens pacifiques du XVIIe siècle ont un « casier » judiciaire, et, dans leur biographie, des factums d’avocat qui les diffament ou les glorifient. En ce qui concerne les prébendes canoniales des Trois Evêchés, le Parlement, par un arrêt de 1635, s’était attribué le droit d’en investir les postulants qui lui paraîtraient les mieux fondés en droit. Saintignon, quoique déjà admis à la présence au chapitre de Metz et assis dans sa stalle, avait dû, après la mort de son bienfaiteur Berton, requérir, le 6 novembre 1640, le Parlement de le « reconnaître. » Jacques-Bénigne Bossuet, ou son mandataire (car alors il était encore sur les bancs à Dijon et faisait sa seconde au collège des Godrans), dut à son tour recourir le 20 novembre à la haute cour. Mais, lui, c’était en qualité de « demandeur, » « d’appelant comme d’abus, » — d’attaquant.

Quelles étaient, devant la justice, ses chances ? Gardons-nous ici de toute partialité, en faveur du génie, contre les contemporains qui, ne le prévoyant pas, ne l’ont point ménagé. Le succès de la lutte était fort douteux, et il devait l’être.

Car, du point de vue spirituel, entre les deux procédés en conflit, — le droit exercé par le chanoine titulaire décédé de se choisir un coadjuteur, et le droit revendiqué par le chanoine tournaire de disposer des charges vacantes pendant son « règne, » — y avait-il une grande différence de qualité morale ? Chacun d’eux n’était-il pas un trafic prévaricateur, ici, fortuit et rapide, là, de longue haleine et prémédité ? L’un et l’autre n’empêchaient-ils pas le libre accès des ecclésiastiques les plus dignes, et le libre choix du Chapitre tout entier ? À ne regarder la chose que de haut, Jacques Bénigne et Erric de Saintignon se valaient. Saint Charles Borromée ou Mgr Pavillon les eussent pu renvoyer dos à dos.

On pouvait donc se mettre au point de vue réaliste de l’utilité. Mais alors, franchement, n’était-ce pas moins à Bossuet, métèque bourguignon, que devait légitimement aller la sympathie du Chapitre messin, qu’à Saintignon, homme du pays, présent, déjà connu ? Puis, l’intérêt du Chapitre était plutôt le sien. Ce que, partout, tous les chanoines désiraient principalement, c’était d’être maîtres, individuellement, de leur propre charge et d’en tirer le maximum de lucre et de satisfactions d’amour-propre. Le droit de prendre un coadjuteur, droit qui permettait à chaque chanoine de calculer à loisir et d’adjuger au plus offrant, était à la fois plus flatteur pour leur vanité et plus rémunérateur pour leur bourse que ce « droit du tournaire, » que beaucoup d’entre eux n’auraient peut-être jamais à exercer.

De plus, au Parlement, la faveur n’était pas, ce semble, acquise au fils du collègue. Peut-être bien trouvait-on un peu encombrante la famille de ces immigrés. Un Jacques Bretagne était chanoine, avait été grand doyen et grand archidiacre de Toul. Un Jean Bretagne devenait abbé de Saint-Gorgon de Metz. Un Claude Bretagne, abbé de Haute-Seille. Charles Bretagne devait en 1665 succéder à Jean Bretagne. Les Bretagne abusaient. On le faisait sentir aux Bossuet. De plus, pour habile qu’il fût, le père de Jacques Bénigne n’en était pas moins honnête. Les mérites mêmes d’énergie qui l’avaient fait envoyer à Metz et à Toul par le Roi, n’étaient pas toujours faits pour plaire aux magistrats du crû. Ce Dijonnais, que les rapports secrets trouvaient parfois trop aimable, était peut-être d’autres fois trop raide[22] : par exemple, il poursuivait sans complaisance le lieutenant du gouverneur de Norneny, pour attentat à main armée.

Quoi qu’il en soit, nous constatons que, dès le commencement de novembre 1610, 1e Parlement s’était hâté d’acquiescer à la requête de Saintignon ; et que, le 2 mai 1641, six mois après avoir été saisi de la protestation de Bossuet le fils, et de sa contre-candidature, il admettait encore son concurrent à prêter le serment auquel étaient tenus les pourvus de canonicat.

Il s’agissait donc de faire se déjuger la Cour souveraine.

Qu’à cela l’autorité du premier président d’alors, — qui était justement un cousin des Bossuet, Claude Bretagne, fils d’Antoine, — ait été inutile, il y aurait sans doute quelque naïveté à le croire. Mais il serait malveillant aussi de supposer que les raisons n’y furent pour rien. Elles y furent, au contraire, selon toute apparence, pour beaucoup. Car ces « raisons » que pouvaient chuchoter le père et le cousin de Bossuet, et que crièrent, très haut, ses avocats, n’étaient autres, prenons-y garde, que les grandes idées directrices du siècle[23].

Songez à l’œuvre essentielle du Catholicisme français de ce temps, à cette « réformation » raisonnable et pieuse à laquelle travaillaient ensemble laïques et ecclésiastiques pieux depuis Bérulle, Bourdoise et saint François de Sales, depuis les États généraux de 1614, depuis Marillac et Richelieu. Songez d’autre part, à ce propos délibéré d’unité, d’abord instinctif au XVIIe siècle, puis très conscient, et qui tendait à mettre le plus exactement possible l’église sous la main de l’État, par des évêques disciplinés, fonctionnaires, et de plus en plus participants de l’autorité du pouvoir central… À ce double égard, la cause de l’abbé bourguignon était la bonne. Ou s’en rend bien compte lorsque, grâce principalement au résumé qu’en fit l’avocat général Louis Frémyn, on parcourt les arguments de l’avocat de Bossuet contre la prise de possession dont Bossuet veut et-va détrôner Saintignon.

« Ne sont-elles pas à la fois ridicules, scandaleuses et absurdes, ces coadjutoreries ? — Scandaleuses, car ce sont en réalité des ventes et achats d’un bien sacré, et comme l’a bien dit le Concile de Trente, des marchés « simoniaques. » — Ridicules, car qu’est-ce que cela, le coadjuvat d’un chanoine ? À quoi bon un coadjuteur, un aide, à ce dignitaire oisif qui n’a point charge d’âmes, point à prêcher, point de sacrements à distribuer aux fidèles, et de qui les obligations sont si légères : chanter deux heures par jour les louanges de Dieu dans sa stalle subobscure ; assister à l’office, si encore il ne s’en dispense pas, comme le font, on le sait, fort librement les chanoines, « sous prétexte que les chantres gagés suffisent… » Et l’avocat de Bossuet s’égaie » « Voyons ! qu’on ne nous en impose pas avec les « devoirs et fonctions » de ces prétendus « esclaves de la règle : Canonicus a canone ! » Où est-il ce chanoine idéal de l’étymologie ? Qu’on le montre, cet « oiseau rare ! »

Il est illogique enfin, au regard de tout droit, ce droit prétendu, qu’a exercé indûment Jean Berton. Un chanoine ne doit pas pouvoir « adopter » une personne pour la constituer, arbitrairement et par avance, héritière, d’un de ces bénéfices qui ne lui appartiennent pas et dont le bon sens juridique, — ecclésiastique ou laïque, n’importe, — réprouve également la transmission héréditaire. Le défenseur de Jacques Bénigne parle sur ce point le même langage que, trente ans, plus tôt, sous Louis XIII, le prévôt Robert Miron.

Mais il parle aussi le langage des légistes du nouveau règne, celui d’Orner Talon, de Le Bret et de Bossuet lui-même, plus tard. Il parle en gallican. Saintignon s’appuyait sur ce que le statut canonial messin de 1611 était conforme à « l’autorité du Pape » qui tolérait et approuvait les coadjuteurs de chanoines… « Que vient faire ici le Pape ? » réplique à peu près textuellement le défenseur de Bossuet. « Le Pape a-t-il pu déroger aux Concordats comme aux Conciles ? Ce serait là une toute-puissance funeste : les Français ne l’admettent point… La mainmise de Saintignon est un abus, un délit, dont, sans nous soucier de ces patronages d’outre-monts, nous appelons en vertu de cette liberté française, refuge et asile de ceux que l’injustice, couverte d’un prétexte de religion, persécute. Contre ce délit, nous nous armons de ces protestations salutaires, grâce auxquelles le Roi est reconnu maître chez lui, et sans lesquelles, devant le bon plaisir de la Cour de Rome, « il ne nous resterait que l’obéissance[24]. »

Et voilà l’ampleur que les Bossuet donnaient à leur cause, généralisée, — devenue, ainsi que l’écrira plus tard Louis Frémyn, « une cause toute publique, » une affaire « d’État. » Tels furent les arguments qui finirent par donner gain de cause a Bossuet, le 27 juin 1641, et qui firent de l’arrêt rendu en sa faveur plus qu’un précédent de jurisprudence, une sorte de proclamation de principes, dont, pas plus tard que l’année suivante (25 février 1642), le Parlement de Paris s’inspira dans un arrêt nouveau, rendu derechef, contre les prétentions du Chapitre de Metz, revenant à la charge en une affaire analogue[25].

Et en effet, c’était, ce Chapitre, le vrai vaincu, dans l’obscure personne d’Erric de Saintignon, débouté.

Mais maintenant, et c’est à quoi j’en veux arriver, pense-ton que ce Chapitre prit aisément et rapidement son parti de sa défaite ? Ce serait mal connaître et l’âpreté des luttes ecclésiastiques de tous les temps, et les rancunes tenaces de ces milieux provinciaux qui s’acharnaient alors à disputer à l’unité monarchique des bribes de libertés, bonnes ou mauvaises. Dix ans, soyons-en sûrs, n’éteignirent pas la querelle ; en 1651, le parti de Jean Berton et de Saintignon durait et rechignait encore. Et alors, vous le voyez bien, c’est à l’adresse de ce parti, c’est contre lui qu’elle fut écrite, en 1651, cette lettre de Bossuet au duc de Verneuil, successeur diminué, mais révéré par habitude, des anciens princes-évêques de Metz, qui s’étaient donnés en 1555 à la France ; et, de plus, « oncle bien-aimé » du roi Louis XIV ; et enfin, quoique évêque indigne, l’ « évêque » tout de même, le représentant dans le domaine ecclésiastique de l’autorité du Roi Très Chrétien, de l’autorité épiscopale, de l’autorité de l’Eglise nationale.

D’autant plus que cette thèse, que Bossuet dédiait avec tant d’emphase au duc de Verneuil, cette thèse, notez-le, n’était pas insignifiante ni en son contenu ni en son esprit. Ne le rappelons ici que pour mémoire, mais il conviendra fort que nous ne l’oubliions point par la suite : elle révélait une tendance anti-ultramontaine non dissimulée[26].

Un savant jésuite, étudiant cette thèse, en 1869, dans un très intéressant article, y a signalé, non sans raison, « soit dans les idées qu’elle exprime, soit dans celles qu’elle passe sous silence, » des opinions gallicanes déjà formées. Comment, se demande en effet le jeune bachelier Bossuet, par quelles voies et moyens Jésus-Christ a-t-il fondé et fortifié la cité de Dieu sur la terre, l’Eglise ? Pour qu’elle ne périsse jamais, il y a infusé la force du Saint-Esprit ; mais quels sont les « vases » du Saint-Esprit ? Pour que les peuples ne fussent jamais flottants ni incertains de savoir où est l’Eglise et ce qu’est sa doctrine, quels organes a institués d’abord sa prévoyance ? Le Saint-Siège ? la primauté de Pierre ? Non. Il a institué les Évêques, pour qu’ils présidassent aux Eglises et qu’en chacune d’elles, ils tinssent le flambeau et le gouvernail. Telle fut, au début, la fonction des Apôtres, desquels dériva ensuite toute la lignée des Evêques, Episcoporum series universa. » Ainsi donc, à la racine de l’autorité doctrinale, au premier rang de la hiérarchie, à la base de la solidité catholique, Bossuet, dès vingt-deux ans, plaçait, non le Pape, mais les Évêques. Sa thèse, passée inaperçue, entamait pourtant et diminuait la prérogative du Saint Siège ; elle attestait chez Bossuet les mêmes opinions que chez son heureux avocat de 1640.

On voit donc toutes les raisons qu’il avait de faire cette dédicace à Mgr le duc de Verneuil et de la faire aussi violemment élogieuse. Bossuet déclarait ainsi à la fois sa gratitude, son dévouement, — et ses convictions. Arrivant à Metz pour longtemps, il s’y classait d’abord et s’y posait nettement en champion gallican de l’œuvre d’unification centralisatrice du Souverain, Cet hommage ultra-généreux au chef du diocèse précisait, comme un manifeste, avec sa victoire passée, son attitude future. Sûrement, à faire savoir qu’il était du côté de l’évêque, il mettait quelque excès de confiance, quelque outrance de défi ; eût-il pu donner les preuves qu’il était depuis si longtemps, — dudum, — le client du triste Monseigneur, et n’y avait-il pas une complaisance excessive à se réclamer publiquement comme de son præesidium ordinaire, de ce protecteur taré ? Il faut avouer du reste que, dès l’année suivante, le prélat récompensa son panégyriste en lui conférant une dignité nouvelle : l’archidiaconat de Sarrebourg. En tout cas, nous saisissons bien, je pense, le sens de cette lettre un peu étrange, qui restera peut-être longtemps au seuil de la Correspondance. Elle est, si nous pouvons dire, la carte, de visite de Bossuet, — favori du pouvoir royal et épiscopal, arrivant à Metz, — à l’adresse tout ensemble des parlementaires de Toul ou de Metz, qui tout bas tenaient rancune à son père, et des chanoines revêches, tentés de regarder de travers le jeune et brillant intrus qui allait devenir pour longtemps leur collègue et cohabitant effectif.


VI. — BOSSUET S’INSTALLE A METZ

C’est à la fin de juin 1652 que le jeune docteur de Sorbonne, ordonné prêtre à Paris le 16 mars, entra à Metz, — où il était déjà venu à plusieurs reprises[27], — cette fois pour s’y établir. Où prit-il domicile ?[28]. Ne le cherchez point dans ses lettres : l’épistolographie du XVIIe siècle n’a, pour ainsi dire, jamais de ces précisions. Se fixa-t-il dans une maison de la rue aux Ours, qui, nous dit-on, faisait partie du temporel de sa prébende canoniale ? Ou dans un des bâtiments qu’occupa plus tard cette communauté de la Propagation de la Foi, au développement et à la direction de laquelle nous le verrons participer ? La tradition, il y a cinquante ans, y désignait encore son logement… Et c’eût été alors dans la rue des Écoles, « entre Taison et Jurue, à mi-hauteur de Taison. » Ou bien fut-il tout simplement, avec ses sœurs Mme de Chasot et Madeleine Bossuet, l’hôte ou le locataire de son père dans’ un immeuble que celui-ci avait dû acheter à Metz, sur la paroisse Saint-Gorgon, avant le transfert, qui devait durer si longtemps, du Parlement à Toul ? Et alors, il nous faudrait chercher la maison de Bossuet dans la rue des Clercs ou la rue Nexirue[29].

Il habita en tout cas au cœur et presque au sommet de la ville, entre la « Place, » le Palais, l’Évêché et la « Citadelle, » sur ce plateau escarpé où les voitures avaient peine à gravir les rues étroites et tortueuses ; où les vieux hôtels demi-forteresses, avec leurs murs énormes, leurs cours encloses, leurs passages secrets, leurs toits à créneaux, dressaient encore les souvenirs orgueilleux du moyen âge, de l’indépendance ombrageuse de la Ville et de la combattivité des Paraiges, — confirmant ainsi, j’imagine, le jeune petit-neveu d’Antoine Bretagne en son héréditaire monarchisme…

C’était aussi la partie la plus intellectuelle et la plus recueillie de la grande cité commerçante et militaire. Dans ce petit carré bordé d’églises et d’abbayes : — la Cathédrale, Saint-Gorgon, Saint-Sauveur, Sainte-Reinette, Saint-Arnould, Saint-Victor, — des bourgeois, des rentiers, des gentilshommes, des veuves, habitaient les maisons sévères, en pierre de taille jaune que noircissait le temps. Dans les boutiques voûtées à plein cintre, travaillaient des artisans artistes, des orfèvres, ou bien des libraires. Les rues des Clercs et Nexirue étaient, nous dit-on, « en ce temps-là, très silencieuses et recherchées par les magistrats et les chanoines. »

Or, sans doute, dans ce cadre provincial, Bossuet put parachever en soi la foi, la piété, la doctrine. Là, il étudia d’une façon, non pas assurément aussi complète qu’un Père Pétau ou qu’un Saint-Cyran, mais très honorable pourtant, ces Pères de l’Église grecque et latine, — latine surtout, — dont les alluvions superposées et les apports en son esprit ont été décelés à travers ses sermons, par Sainte-Beuve, Nisard, Eugène Gandar, le Père de la Broise, avec une précision de géologues… Mais pas plus à Metz qu’à Paris ce recueillement ne fut un isolement. Si les chanoines, parmi lesquels son père l’avait implanté de haute lutte, faisaient encore la moue à ce parvenu malgré eux, ils durent bientôt reconnaître qu’il remplissait plus que suffisamment tous les devoirs, même les plus absorbants, de sa charge.


ALFRED REBELLIAU

  1. Le tome X de la Correspondance de Bossuet (Paris, Hachette, 1916, nouvelle édition publiée sur les manuscrits, les copies les plus authentiques et les plus anciennes impressions, avec variantes, notes, notices, portraits) va jusqu’à la fin de l’année 1698.
  2. Œuvres oratoires, édition critique de l’abbé J. Lebarq, revue et augmentée par Ch. Urbain et E. Levesque (Paris, Desclée, de Brouwer et Cie et Hachette, t. I, 1914 ; t. III, 1917).
  3. Traité de la Concupiscence, édition conforme à l’édition originale, avec une introduction et des notes, par M. André Pératé. Paris, Bloud, 1908.— Exposition de la doctrine de l’Eglise catholique, publiée par l’abbé Albert Vogt, professeur à l’Université de Fribourg (Suisse), Paris, Bloud, 1911.
  4. Bourdaloue, par l’abbé Griselle, sous les auspices de l’Académie française, — Malebranche, par D. Roustan, professeur au lycée Louis-le-Grand, sous les auspices de l’Académie des Sciences morales et politiques.
  5. On peut voir la liste de ces collections aux pages 30-52 du Manuel bibliographique de la Littérature française de G. Lanson. Signalons spécialement celles du Cabinet du Bibliophile, de la Librairie des Bibliophiles, de la Société des textes français modernes, de la Société de l’Histoire de France.
  6. La littérature bossuétique, déjà riche des recherches de MM. Gandar, Gazier, Urbain, Levesque, Jovy, Strowski, Griselle et autres que nous citerons en leur lieu, s’est accrue récemment de deux biographies : celle de M. l’abbé Bremond, et celle, dont il a été parlé ici, de M. Dimier ; toutes deux originales, la première peut-être un peu trop. Mais c’est surtout la Revue Bossuet, publiée par M. l’abbé Levesque de 1900 à 1911 (en 8 volumes), qui nous soutiendra, pleine comme elle l’est de textes nouveaux.
  7. Voyez le P. Marie-Léon Serrant, L’Abbé de Rancé et Bossuet, Paris, Téqui, 1903, et sur ce premier Bossuet, Strowski, Revue Bossuet, II, p. 88 et suivantes.
  8. Gréard, Nos adieux à la Vieille Sorbonne, p. 122-130.
  9. L’abbé Levesque, Revue Bossuet (oct. 1900). — L’abbé P. Féret, La Faculté de théologie de Paris. Époque moderne, t. III (1904), p. 25-28. — Gréard, ouvrage cité, p. 121 et suiv.
  10. Il y avait encore, ce semble, au long de la Montagne Sainte-Geneviève, deux itinéraires possibles : rue des Amandiers (devant le collège des Grassins), rue des Sept-Voies, rue de Reims devant le collège du même nom), rue Saint-Symphorien devant Sainte-Barbe) pour rejoindre la rue Saint-Étienne-des-Grès ; — ou, s’il était possible, ce que j’ignore, d’entrer dans la Sorbonne par les derrières, les rues Fromentel, du cimetière Saint-Benoît (le long du collège de Plessis), la rue Saint Jacques et la rue des Poirées. Voyez le pittoresque plan de Gomboust, où l’on prend une si juste idée de ce dédale de la docte montagne.
  11. Le docteur Guillaume Marcel.— Floquet, Études, t. I, p. 13 et suiv. avait bien raconté ces épisodes, mais ils deviennent plus nets par les textes qu’a publiés la Revue Bossuet, I, p. 223 et suiv. : protestation faite par-devant notaires par Bossuet contre les exigences du prieur de Sorbonne et procès-verbal de la soutenance troublée.
  12. Probablement Henri sieur d’Harbonnière, conseiller d’honneur au Parlement de Metz, l’un des onze enfants du célèbre homme de guerre et diplomate protestant, Manassé du Pas-Feuquières, lieutenant général au pays messin en 1631, gouverneur de Verdun en 1636, gendre d’Isaac Arnauld de Corbeville. Les six fils de Manassé furent catholiques, deux d’entre eux furent d’Église.
  13. Cf. dans la Revue, 1903-1909 (5e pér. t. XVI et LIV).
  14. Voir le P. Serrant, ouvrage cité, p. 27-20.
  15. C’est ainsi que l’abbé de Rancé avait obtenu, dès 1648, de l’archevêché de Paris et de la cour de Rome, la permission de se faire ordonner extra tempora, avec dispense d’âge, sans observer les « interstices : » il reçut en trois jours, des mains du coadjuteur Paul de Gondi, les ordres mineurs, le sous-diaconat et le diaconat. C’est ainsi encore qu’à la licence de 1652, Bossuet ne fut, malgré ses succès et sa notoriété, classé que le troisième après l’abbé de Rancé, premier, et l’abbé Chamillart le prieur de Sorbonne, second. « Selon un usage très ancien, on ne tenait pas compte du mérite pour assigner le premier lieu, mais de la qualité du sujet. » — Le P. Léon Serrant, ouv. cité, pp. 1, 19, 21 et 22.
  16. (5 juillet 1651). Serenissimo Principi Henrico Borbonio, Episcopo metensi, S. R. I. Principi.
  17. Je n’en vois guère qu’un seul : l’archevêque de Reims, Henri de Lorraine, duc de Guise, qui épousa, en 1639, Anne de Gonzague sa cousine. Quant à Nicolas François, cardinal de Lorraine, évêque de Toul, qui se maria en 1634, avec sa cousine Claude, ce fut, on le sait, par « des raisons d’État et pour la gloire de sa maison, » comme s’exprime le P. Benoit, capucin, historien de Toul : autrement dit, pour sauver la race.
  18. A la date où Gaston Henri de Verneuil naquit, la marquise de Verneuil ne pouvait plus espérer, depuis douze mois, d’être reine de France, Henri IV étant remarie. — Cf. le P. Gazeau, Études, juin 1869, p. 915.
  19. Voir pour tous les faits qui suivent, l’exposé (un peu tendancieux) de Floquet, Etudes, t. I ; Emmanuel Michel, Histoire du Parlement de Metz, 1845 ; Biographie du Parlement de Metz, 1853.
  20. Une des sœurs de Bossuet, Marguerite, entra en 1658, à quatorze ans, chez les Dominicaines de Toul, sous le nom de sœur Saint Alexis (Floquet, I, 543-544).
  21. Abraham Fabert (père du maréchal), dans le Voyage du Roy à Metz, 1610.
  22. Nous aurons à reparler de la fermeté de cet « homme d’honneur et de bon sens » dans ses rapports avec Charles Colbert, agent de Mazarin, en 1658 (d’après Robinet de Cléry, Bulletin du Musée historique de Mulhouse, 1905). D’autre part, le nombre même des démarches que fit le conseiller Bénigne à Paris auprès des grands de la Cour on du Parlement, pour obtenir le retour à Metz du Parlement transféré à Toul depuis 1636, donne 4’irnpression que les Bossuet cherchaient, avec quelque affectation, à se rendre utiles.
  23. Voyez, sur toutes ces questions Thomassin, Ancienne et nouvelle Discipline de l’Eglise, part. I, I, II, cit, 32-23 : le Traité des matières bénéficiales, 1721, p. 567 ; Héricourt, Les lois ecclésiastiques 1721, p. 330, 336, et suiv. ; Guyot, Répertoire de Jurisprudence, t. III (1784), p. 610 et suiv. (Ordonnance de Louis XIII en 1629) ; Georges Picot, Histoire des États généraux, t. II, p. 231 ; IV, p. 321 et suivantes.
  24. Et encore : « Saint Bernard dit que le mépris des prêtres de son temps ne venait que de l’usurpation du pape Eugène sur les libertés de l’Église gallicane. » Tolle usurpationem, invenies nostram utlramontanam ecclesiam fortem in fide, pacificam in unitate, devotam in obedientia. Ainsi il ne faut point alléguer en ce rencontre la toute-puissance du Pape. S’il était véritable que le Pape peut déroger a tous les conciles, il faudrait bannir la liberté de l’Église de France et reconnaître que sa puissance ne recevant point de bornes, il ne nous reste que l’obéissance. » Décisions de plusieurs notables questions traitées à l’audience du Parlement de Metz séant à Tout, par Messire Louis Fremyn… conseiller du Roi en ses Conseils et son premier avocat général audit Parlement. Toul. 1644.
  25. Voir l’ouvrage cité ci-dessus, p. 11-19. « Depuis, — dit Frémyn, — pareille difficulté s’étant présentée au Parlement de Paris pour raison de l’aumônerie de l’Église cathédrale de Metz, dont la connaissance avait été renvoyée audit Parlement de Paris… le pourvu par mort de ladite aumônerie a été maintenu contre celui qui avait été pourvu par coadjutorie. Et le Chapitre de Metz s’étant pourvu au Conseil du Roy pour faire casser tant l’arrêt de Metz que celui de Paris, les parties ont été mises hors de cause et de procès. Et ainsi les coadjutories sont absolument éteintes. » (Jugement du Parlement de Paris, du 25 février 1642.) Cf. Emmery, Recueil des arrêts du Parlement de Metz. I. 508 et suivantes.
  26. Soutenue par lui le 9 juillet 1651, sous la présidence (cela n’est pas indifférent à noter), de Pierre Bedacier, évêque d’Augustopolis, qui, sous Henri de Verneuil, administrait réellement le diocèse de Metz. — Sur la doctrine de cette thèse, voir l’article du P. Gazeau, dans les Études (1869), p. 916-919.
  27. Notamment pour y recevoir le diaconat (21 septembre 1649) des mains de Mgr dom Pierre Bédacier, suffragant de Metz.
  28. Sur cette question, voir Bégin, Guide de l’Étranger à Metz, 1834, p. 99, le Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de la Moselle ; 1867 (Communications de Mme Durand et Abel) ; — l’abbé Poirier, Documents généalogiques d’après les registres de paroisses ; — Ed. Sauer (La Croix de Lorraine, 1900) ; — Barbé, A travers le Vieux Metz des maisons historiques, 1913 ; — Jovy, Recherches sur Bossuet, p. 157.
  29. Le local où la vieille Académie de Metz, fondé. en 1760, tient ses séances est dans l’enceinte de l’ancien couvent des Prêcheresses ou Dominicaines.