La Corée ou Tchösen/Chapitre IX

Ernest Leroux (Tome 26ep. 61-72).


IX. — L’ART ET LE MONASTÈRE EN TCHÖSEN


L’art coréen n’existe plus, n’a jamais existé par le fait. Né au sein du monastère, il avait été apporté en Corée avec le bouddhisme, venant des Indes au travers de la Chine. C’est donc un art indien qui existait et qui a disparu avec ses propagateurs lors de la chute du bouddhisme, à la fin du xive siècle. La porcelaine coréenne, dont on trouve ici et là quelques rares spécimens, était un produit d’un art pratiqué par les bonzes seuls. On voit encore de la porcelaine coréenne, il est vrai, mais elle est faite par les Japonais, près de Nagasaki. Voilà du moins ce qu’on m’a dit.

Sir Rutherford Alcock, dans son volume intitulé : Art and art industry in Japan, dit : « Sur toute l’étendue de l’Asie et parmi les races mogole, tartare et turcomane un sentiment d’art, dans n’importe quelle forme, faisait absolument défaut. » Et sir Rutherford avait raison. Le Coréen, descendant de ces races, est resté ce qu’il a été, sauvage, jusqu’à l’invasion indienne. M. Léon de Rosny, dans son ouvrage : Les peuples orientaux connus des anciens Chinois, a dit à ce sujet : « Les migrations indiennes qui ont apporté, dans le pays de Tchao-Sien (Tchösen), les caractères indiens, n’ont pas été sans y introduire les grandes doctrines du brahmanisme et du bouddhisme et avec elles les principaux monuments de la littérature hindoue. » Tout vestige de cet art indo-chinois a disparu, et la littérature ainsi que l’art n’existent, aujourd’hui, que dans l’imagination et la vanité du Coréen.

Comme nous l’avons dit ailleurs, la Corée, au commencement de l’ère chrétienne, était peuplée d’une population sauvage. Au ive siècle, arrivèrent les bonzes bouddhistes, qui ont su constituer les trois royaumes de Korai, Hiaksai et Shinrai. En l’année 384 A. D., un bonze thibétain, Maranauda, établit dans le sud (Hiaksai) des temples et des monastères où les femmes furent admises aussi bien que les hommes. Shinrai, il paraît fut colonisé plus tard, au vie siècle, par les bonzes chinois, et sa capitale, Kion-Tchou, devint un foyer de civilisation éclairée, dont les temples, en ruines aujourd’hui, attestent seuls l’existence. Du ive siècle jusqu’au xive il y a eu une période de véritable civilisation qui a pris racine dans ces trois royaumes. Le grand empereur, Koublai-Khân, qui a conquis le pays, s’est fait disciple du Maitreya Bodhisattva, et l’historien de la dynastie de Yuen dit :

« Koublai-Khân, en devenant souverain d’un pays sauvage et d’une grande étendue, et d’un peuple intraitable et querelleur, désirait donner à ces déserts natifs un aspect civilisé et amollir la sauvagerie naturelle de ses sujets, organiser des villes sur le modèle chinois, nommer des mandarins de tout grade et soumettre le peuple au régime d’un instructeur commun. »

Pour des raisons difficiles à approfondir, la philosophie de Confucius avait repris faveur en Chine ; l’émigration des bonzes indiens était arrêtée, et, privé ainsi de la source qui lui avait donné la vie, à la fin du xive siècle, le bouddhisme mourut en Corée.

Song-to, la capitale de Korai au nord, et les capitales de Hiaksai et Shinrai furent encore, en apparence, les foyers d’une civilisation indienne, mais ce ne fut qu’en apparence : les bonzes étaient devenus pervers et licencieux. Les Annales chinoises rapportent que le monastère, autrefois foyer d’art et de science, était devenu la demeure du vice et de la corruption. Les bonzes s’étaient fait une place dans toutes les familles comme confesseurs, et ce système avait amené un tel abus de confiance que le peuple se révolta et les menaça de mort. Plus tard, la fureur du peuple fut à son comble et un massacre général, commencé à Song-to, eut lieu dans tout le pays. Les bonzes se réfugièrent au palais royal par centaines, mais traqués par la populace, ils furent assommés et le palais brûlé. » C’est ainsi, ajouta l’historien des Annales, que Kaoli (Corée) a perdu son royaume, à cause de la confiance qu’il avait dans les bonzes. » Et lorsque le second roi de Tchösen arriva au trône, il promulgua un décret par lequel il disait : « Puisque Kaoli avait traité les bonzes comme amis du pays, Tchösen, son successeur, devra les traiter comme esclaves », ajoutant que jamais aucun prêtre n’aurait la permission d’entrer à la capitale sous peine de mort. Il y a de cela cinq cents ans et, jusqu’à ce moment, on n’a pu constater la présence d’aucun prêtre indigène à Séoul.

Li-Tadjo, le fondateur de la dynastie actuelle, comme on le verra, fut un disciple du bouddhisme qui tenta, par lui, un effort suprême pour empêcher sa chute finale. Suivant les conseils des bouddhistes, il construisit des places fortes dans les montagnes et constitua leur garnison avec des prêtres habillés en soldats, espérant ainsi créer de nouveau des foyers d’une religion rénovée. Ces monastères, avec leurs prêtres-soldats, tels que Pok-Han, Nam-Han et autres, existent encore aujourd’hui. Mais, séparés de leurs coreligionnaires et ne recrutant plus leurs rangs à l’étranger, ils ont perdu l’art et la littérature de leur culte, ils n’en conservent que les rites. Le gouvernement actuel les place sous les ordres d’un officier supérieur connu, comme Tchong-Sip et Ti-Jip-Sa. Ils sont au nombre de six cents et sont inscrits comme Seung-Koun. Ils sont traités comme les autres soldats ; on leur donne l’uniforme. Le chapeau diffère de celui du soldat ordinaire en ce qu’il a le haut conique au lieu d’être carré, et on leur accorde le privilège de se raser la tête.

J’avais souvent entendu parler du monastère de Sok-Oang-Sa (monastère du Rêve du roi), situé dans le nord-est de la Corée, au milieu des montagnes de Sol-Pong, dans la province d’An-Pien, comme d’un endroit vénéré des Coréens et, selon une vieille légende, érigé après le rêve du roi Tadjo. Le renom de Sok-Oang-Sa lui a mérité une mention dans les Annales chinoises. « Les nobles, les fonctionnaires et hommes de haut rang se rendaient souvent à Sok-Oang-Sa pour écouter les récits des bonzes qui enseignaient, en même temps, les classiques et la philosophie. » De retour de mon expédition à l’île de Quelpaërt, j’ai gagné Vladivostok, la capitale de la Sibérie nord-est, par bateau à vapeur, et descendant la côte, débarqué à Guensan, je me suis mis à traverser cette partie de la Corée à pied accompagné d’un mappo ou conducteur coolie et de deux poneys qui me servaient comme chevaux de bât, avec l’intention de gagner la capitale par cette route difficile et peu connue. Je profitai de cette occasion, en faisant un détour, pour faire visite au célèbre monastère. M. Wo, le consul chinois à Guensan, qui, par parenthèse, était un diplômé du Collège de Harvard, aux État-Unis, eut la complaisance de me donner une chaude lettre de recommandation pour le bonze chef du monastère, M. Sui-Ho (rivière neigeuse).


Tombeau d’un roi de Corée, au monastère de Sok-Ouang-Sa (Province d’An-Pien).


C’était au coucher du soleil du 29 octobre 1888, que, fatigué de la route, longue de 27 milles, parcourue depuis Guensan, accompagné de mon coolie, j’arrivai au pied de la montagne de Sol-Pong, et, entrant dans la gorge indiquée par mon guide, je me trouvai sur la route qui menait directement au monastère.

Au fur et à mesure que nous avancions, la beauté de l’endroit se développait. Nous passâmes au travers de superbes forêts de sapins, lesquels dégageaient de doux parfums. Au milieu de ces forêts, venait, des hauteurs un ruisseau qui, tombant de rocher en rocher, formait des cascades dont le bruit semblait chanter joyeusement le bonheur et la douce solitude de l’endroit. Plus loin, nous traversâmes un pont pittoresque et, éclairés par les rougeurs du soleil couchant, nous nous arrêtâmes à la porte du monastère. Nous fûmes accueillis par de nombreux bonzes et je fus conduit dans une chambre qui me fut assignée. Ayant changé mes vêtements et accompli mes ablutions, je me mis, aidé de mon conducteur, à préparer mon dîner, composé de viande et de légumes conservés, dont je m’étais muni pour le voyage, ne voulant pas accepter la bonne hospitalité des bonzes, leur nourriture ne consistant qu’en riz.

M. Sui-Ho, cédant aux désirs exprimés dans la lettre de M. Wo, me mit entre les mains des pièces curieuses qui racontent l’histoire du monastère, et dont la traduction du chinois fut faite plus tard par mes bons amis et collègues, M. Collin de Plancy, commissaire français, et M. Guérin, chancelier au commissariat de France à Séoul.

La première pièce donne la description et la composition du monastère de Sok-Oang-Sa et de ses dépendances ainsi détaillées :

Les temples de la Libéralité et de la Prudence, de la Bravoure, de la Sincérité, de la Grande Joie, des Dix Rois, de Hai-Tchang (?), de Kai-pok (?), des Huit Ministres (?), du Nénuphar blanc, du Vrai Repos, de l’Honnêteté céleste. Total : 11.

Les pavillons du Dragon volant, du Clair de lune, de la Montagne neigeuse, du Bonheur et de la Prospérité, de la Cloche, de la Pluie et des Fleurs, de la Justice. Total : 7.

Petits temples : de la Clarté universelle, de Sim-Keum (?), du Prince de la Longévité extraordinaire. Total : 4.

Les temples réservés aux bonzesses : de la Cour intérieure de Po-Mou (?) des Parfums, des Génies cachés, des Sapins, de la Tranquillité et des Secours. Total : 6.

Les terrasses de l’abordage, pour brûler des parfums, des pierres portant des vieilles inscriptions, des pierres portant des nouvelles inscriptions. Total : 4.

La salle de la Lumière d’Orient.

La halle consacrée au roi Tai-Tcho (Tadjo).

Salon pour les visiteurs.

Hospice pour les vieillards.

Portes : de la Rencontre des bienfaits, de la Protection de Tcho-Kié (?), de l’Incomparable, de la Séparation (division ?) du monde.



La légende de la bonzerie de la Cime de Sol-Pong, écrite par le vieux bonze Sso-San.


« Avant de monter sur le trône, le roi Tadjo a fait un songe dans lequel il a entendu les coqs de dix mille maisons qui chantaient tous à la fois, et les pierres (sur lesquelles on bat le linge) de mille maisons résonner en même temps. Il a rêvé, en outre, qu’il entrait dans une chambre en ruines, portant trois chevrons sur son dos, et qu’il en sortait peu après. Le célèbre bonze Mou-Hak expliqua ce songe de la manière suivante : Les coqs des dix mille maisons chantaient en chœur pour louer et féliciter Tadjo de sa future grandeur (Ko-Koui-Oui-Ko-Kori-Ko)[1], et les pierres des mille maisons résonnaient en même temps pour avertir ce dernier qu’il serait bientôt nommé roi. Quant aux trois chevrons qu’il portait sur son dos, c’était l’image du caractère ouang ()[2]. Voilà la raison pour laquelle on a appelé la bonzerie en question Sok-Ouang-Sa (monastère du roi annoncé par les disciples de Bouddha). »



Histoire de Sok-Ouang-Sa, écrite par le vieux bonze Sso-San.


« 1o Dans le courant de la 10e année Kap-tcha du règne du roi de Kaoli, appelé Sin-Ou, du règne de Hong-Mou, empereur chinois de la dynastie des Ming, Son-Kié (devenu plus tard roi sous le nom de Tadjo) se transporta de Kôm-Ma à Hak-Song où il bâtit une maison en chaume pour son usage. Il avait un caractère très libéral et ses manières d’agir différaient de celles du vulgaire ; ce qui lui valut de la part de ses voisins l’épithète de grand homme. Un soir, dans un rêve, il entendit les coqs de dix mille maisons chanter tous à la fois et les battoirs (pour repasser le linge) de mille maisons résonner en même temps. Il vit qu’il entrait dans une maison en ruines, portant sur son dos trois solives, que des fleurs tombaient des arbres et qu’une glace (en corne) se cassait. Quand il se réveilla, il chercha à expliquer son rêve, mais comme il ne comprenait pas, il fut contraint de s’adresser à une vieille femme qui demeurait dans son voisinage. Celle-ci lui dit : « Moi qui ne suis qu’une femme, comment puis-je connaître l’avenir ? Dans la direction de l’ouest, à 40 lis d’ici, il y a une montagne appelée Sol-Pong dans laquelle se trouve un antre où vit retiré un bonze extraordinaire ; il vit en ermite, il a abandonné ce monde, garde le secret de son nom, se nourrit de graines de pin et se vêt avec des herbes : on l’appelle Heuk-tou-Ta (Bouddha à la tête noire), parce que sa figure est noire. Il y a neuf ans qu’il est entré dans cet antre et il n’en est jamais sorti depuis. Il faut que vous l’interrogiez au sujet de votre rêve. »


Fig. 18. — Femmes de ménage battant le linge. (D’après le croquis d’un artiste coréen.)


« Song-Kié revêtit alors des vêtements de chanvre, prit dans sa main un bâton et se rendit dans l’antre en question. Il y trouva ledit bonze qui demeura assis, et il le salua en ces termes : « Je suis un pauvre homme qui désire éclaircir un fait qui vient d’avoir lieu : je vous prie de vouloir bien me donner des explications. — De quoi s’agit-il ? » demanda le bonze en levant la tête. Song-Kié raconta tout ce qu’il avait vu en rêve. En entendant ce récit, le bonze changea de couleur et dit : « Cela signifie que vous serez roi un jour. C’est là un rêve qui sort de l’ordinaire ; les coqs de dix mille maisons chantaient en chœur pour vous louer et vous féliciter de votre nouvelle grandeur ; les pierres de mille maisons résonnaient en même temps pour vous avertir que vous serez bientôt nommé roi ; les trois chevrons que vous portiez sur le dos signifiaient le caractère (roi) ; les fleurs, en tombant, faisaient place aux fruits, et la glace s’est cassée avec fracas, ce qui veut dire que vous serez célèbre (vous ferez du bruit dans le monde). En un mot, tout cela signifie que vous serez roi. » Cela dit, le bonze examina un instant Song-Kié et ajouta : « Il ressort, du reste, sur votre visage que vous serez roi ; surtout gardez le silence sur cette affaire ; bâtissez une bonzerie ici et appelez-là Sok-Ouang-Sa. Pendant trois ans, faites cinq cents sacrifices à Bouddha pour lui demander sincèrement son assistance, et alors le saint Bouddha vous aidera à réussir. Mais si vous ne suivez pas mes instructions, non seulement votre affaire échouera, mais encore il vous arrivera de grands malheurs. Faites donc bien attention à ce que je viens de vous dire. »

« Song-Kié fit quelques pas en arrière pour manifester son respect envers ce bonze, qu’il considérait dès lors comme son maître, il affirma qu’il se conformerait aux instructions de ce dernier, et le pria de l’aider à réussir, conformément aux ordres reçus. Song-Kié bâtit, en un an, la bonzerie de Sok-Ouang-Sa et fit, pendant trois ans, cinq cents sacrifices : ses voisins n’ont jamais su pourquoi.

« En la 14e année du règne du roi de Kaoli, appelé Sin-Ou (année Mou-Tchin de Hong-Mou), le roi de Kaoli nomma Song-Kié général, avec la mission d’aller attaquer le Liao-Tong. Au cominencement du 4e mois, Song-Kié arriva à Eui-Tchou avec ses soldats ; dans le 5e mois, il traversa le fleuve Ya-lou-Kiang (Apnok-Kiang) et arriva dans l’île de Ouei-houa-tao. Mais comprenant que c’était contraire au bon sens d’attaquer un pays aussi vaste que la Chine (pour se débarrasser de sa domination), il ramena ses soldats en Kaoli. Plus tard, le 16e jour du 7e mois de l’année Ym-Sin (25e année de Hong-Mou), il monta sur le trône, dans le palais Sou-Tchang (forteresse de Song-to). Devenu roi, il invita le bonze qui vivait dans l’antre de Sol-Pong à venir à Song-to et le nomma son professeur. C’est ce bonze qui a choisi l’emplacement sur lequel est bâti Séoul pour en faire une capitale. Il a choisi également des terrains pour enterrer les ancêtres du roi.

« Un jour de printemps que le roi Tadjo et son professeur s’étaient assis en face l’un de l’autre dans le palais de Sou-Tchang, Tadjo dit, en plaisantant, à celui-ci : « Faisons un pari : celui d’entre nous qui comparera l’autre à la chose la plus stupide gagnera. »

« Le professeur dit : « Je prie Votre Majesté de vouloir bien commencer.

« Le roi. — Je vous vois pareil à un cochon. « Le professeur. — Je vous vois pareil à un Bouddha. « Le roi. — Pourquoi ne dites-vous pas une chose stupide ? « Le bonze. — Si l’on voit quelque chose avec les yeux de Bouddha, cette chose ressemble à un bouddha. Si l’on voit quelque chose avec les yeux d’un cochon, cette chose ressemble à un cochon. Puisque vous me voyez avec les yeux d’un cochon, c’est que vous êtes un cochon ; j’ai donc gagné le pari. »



Histoire du bonze To-Sou, professeur du roi de Kaoli.


« To-Sou étant allé en Chine à l’époque de la dynastie des Songs, avait reçu des leçons de Hataing (bonze chinois), qui comprenait très bien les trois religions (confucianisme, bouddhisme et taoïsme), l’astronomie, le calcul et les principes primordiaux. Il savait conduire l’eau des fosses sur le sommet des montagnes et placer la Grande Ourse (constellation) dans un vase. To-Sou, ayant appris de ce professeur tous ces procédés extraordinaires, lui demanda la permission de retourner en Corée. Hataing lui répondit : « J’ai appris que dans la Corée il y a beaucoup de montagnes et de canaux qui ont désobéi à leurs maîtres (les Coréens prétendent que les montagnes et rivières de leur pays ne sont pas dans un ordre naturel) ; il s’ensuit que ce pays a été divisé d’abord en neuf parties, puis en trois parties, et qu’il a possédé sans cesse des conspirateurs. La terre est donc malade ; son sang et ses nerfs sont dérangés ; voilà pourquoi les Coréens meurent tués par les maladies, la famine et les guerres : c’est très malheureux. Maintenant, je désire soigner la maladie de ces montagnes et de ces canaux, pour que la Corée devienne tranquille. Faites une carte de la Corée et apportez-la-moi. » To-Sou lui offrit cette carte. En la regardant, Hataing dit : « Puisque les montagnes et les canaux sont dans ces conditions, il est certain que la Corée doit être la scène de nombreuses guerres. » Il prit alors un pinceau et marqua sur la carte dix-huit cents endroits où il y avait soit des montagnes, soit de l’eau ; après quoi, il dit : « Quand on est malade, il faut chercher promptement l’endroit où on doit piquer les veines et brûler la peau : c’est ainsi qu’on peut guérir les maladies. Les maladies des montagnes et des canaux ressemblant à celles de l’homme, si l’on établit des bonzeries sur les endroits que j’ai marqués, les résultats obtenus seront pareils à ceux de l’acuponcture et du feu, et les maladies de la terre seront alors guéries. De même que les personnes ignorantes qui se moquent de moi et ne veulent pas qu’on les pique et les brûle sont condamnées à une mort certaine ; de même, si l’on ne me croit pas et si l’on détruit les bonzeries, le pays sera dépeuplé certainement. »

« Plus tard, quand To-Sou retourna dans sa patrie, Hataing lui dit, en lui remettant une lettre : « Quand vous serez arrivé en Corée, cherchez un nommé Ouang-Young, et remettez lui ma lettre en lui faisant savoir qu’il aura un enfant l’année prochaine. » To-Sou remit la lettre de Hataing à Ouang-Young, qui, très surpris, le remercia beaucoup, car il était très désolé de voir que jusqu’ici il n’avait pu avoir aucun fils. L’année suivante, il eut, en effet, un enfant qui s’appela Keun. Ce fut le premier roi de Kaoli (Ouang-Keun). La prédiction de Hataing s’est accomplie dans ses détails ; la dynastie de Ouang-Keun dura cinq cents ans. Tous les habitants de la Corée furent alors comblés de bienfaits de la tête aux pieds. »

Comme on le voit, le rêve du roi de Kaoli a été interprété par le bonze bouddhiste au gré et en faveur de sa secte, en lui faisant construire le monastère de Sok-Ouang-Sa. D’ailleurs, il paraît que c’est par des prédictions semblables que, depuis un temps très reculé, les bonzes procédaient lorsqu’il s’agissait de faire construire un nouveau monastère.

C’est ainsi que fut construit, en 1084, le monastère de la Grande-Chartreuse, en Dauphiné, dont, par parenthèse, l’ordre est fondé sur les mêmes canons que ceux qui régissent les bonzes bouddhistes. Saint Hugues, dans un rêve, vit sept étoiles qui, tombant à ses pieds, s’élevaient et se dirigeaient à travers des montagnes désertes et s’arrêtèrent dans les solitudes de la Grande-Chartreuse. L’arrivée de saint Bruno avec ses collègues (nombre correspondant aux étoiles du rêve) en donna l’explication, et le monastère fut construit à l’endroit où s’arrêtèrent les sept étoiles.


Fig. 19. — Sacrifice aux ancêtres. (D’après le croquis d’un artiste coréen.)


Les monastères en Corée, autrefois les foyers des arts et des sciences, ne sont plus aujourd’hui que les habitations de ceux qui, très ignorants par suite de leur isolement complet, ne gardent que de vagues souvenirs de leur ancien culte.

  1. L’expression chinoise « Ko-Koui-Oui » signifie littéralement : « Vous obtiendrez une position superbe et élevée. » C’est également une onomatopée rappelant le cri du coq en Corée : « Ko-Koui-Oui ! » ; c’est notre Ko-Ko-Ri-Ko ! Ko-Ko-Ri-Ko !
  2. En chinois, trois, c’est : (). Le même caractère, traversé par une ligne perpendiculaire, signifie roi et se prononce : ouang (). Les trois barres horizontales sont donc, dans l’esprit du célèbre bonze, les trois chevrons, et la ligne transversale, c’est le dos du roi.