La Convention (Jaurès)/1351 - 1400

pages 1301 à 1350

La Convention.
La mort du roi et la chute de la Gironde

pages 1351 à 1400

pages 1401 à 1450


hanté de soupçons injustes, il allègue lui-même contre la Montagne la plus monstrueuse hypothèse :

« Quand la calomnie a perdu contre moi toute pudeur, ajoute-t-il dans ses Mémoires d’un ton de victime, il ne m’est pas ordonné seulement de dire tout ce qui me justifie ; il doit m’être permis encore de dire ce qui m’honore. J’ajouterai donc qu’au moment où j’entrai dans la Convention, on vint me dire que le côté gauche allait faire feu sur le côté droit, et tomber sur lui le sabre à la main… Je ne le crus point du tout ; mais il était possible de ne pas le croire et de le craindre et, dans cette crainte, ce fut au côté droit que j’allai me placer, et non pas au côté gauche. Les membres du côté droit étaient loin de soupçonner alors qu’un homme qui partageait si peu leurs passions voulait pourtant partager leur sort. »

Quel analyste subtil et quel magnifique héros !

Danton, comme s’il avait été gagné par cette médiocrité d’âme, se perdit en propos gémissants et plats, sans habileté et sans dignité. Comme s’il ne pouvait soutenir le poids d’un récent libelle de Brissot qui reproduisait contre lui toutes les calomnies contre-révolutionnaires, il attesta humblement sa vertu et sollicita de Garat je ne sais quel certificat de modération :

« Je demande que le ministre me réponde ; je me flatte que de cette grande lutte sortira la vérité, comme des éclats de la foudre la sérénité de l’air. Il faut que la Nation sache quels sont ceux qui veulent la tranquillité. Je ne connaissais pas le ministre de l’Intérieur. Je le somme de déclarer — et cette déclaration m’importe dans les circonstances où nous nous trouvons, dans un moment où un député, c’est Brissot, a fait contre moi une sanglante diatribe, dans un moment où le produit d’une charge que j’avais est converti en une fortune immense… — j’interpelle le ministre de dire si je n’ai pas été plusieurs fois chez lui pour l’engager à calmer les troubles, à unir les départements, à faire cesser les préventions qu’on leur avait inspirées contre Paris… J’interpelle le ministre de dire si, depuis la révolution, je ne l’ai pas invité à apaiser toutes les haines, si je ne lui ai pas dit : Je ne veux pas que vous flattiez un parti plutôt que tel autre, mais que vous prêchiez l’union. »

Mais que signifie tout cela en pleine bataille ? On dirait que Danton s’excuse d’avance du coup qu’avec ses collègues de la Montagne il va frapper. Il n’a plus cette belle et pleine confiance en soi qui faisait sa force. Il commence à plaider les circonstances atténuantes : il est pris de doute sur son œuvre et sur l’avenir. Il est comme déconcerté par la crise terrible qui s’annonce et où il ne sera plus possible de couvrir sous la violence des paroles la modération des actes. Les actes aussi seront violents, et Danton s’étonne : on démêle en lui un embarras profond, et presque le commencement de ce dégoût qui le perdra.

Cependant la Montagne a compris que les paroles de Garat ont désagrégé la Gironde, dissous toute énergie de résistance, et elle est décidée, en prolongeant la séance, à pousser son avantage jusqu’au bout, à arracher à la Convention un vote qui brise la Commission des Douze. Isnard, qui avait plus de rhétorique que de vigueur, quitte le fauteuil de la présidence comme si, à cette heure de crise, dans cette soirée tragique où le peuple envahissait peu à peu l’Assemblée et où l’ombre de la proscription et de la mort semblait descendre avec la nuit sur la Gironde désemparée et submergée, il n’aurait pas dû faire l’effort physique de présider jusqu’au bout, dût-il défaillir à son poste. Aussi funeste à son parti et à ses amis par sa faiblesse dans l’action que par l’imprudence provocatrice de ses mots à effet, il appelle pour le remplacer le Girondin Boyer-Fonfrède. Celui-ci, étant de la Commission des Douze, est vivement interpellé ; l’état-major girondin sentant que la bataille fléchit, veut lever la séance. Boyer-Fonfrède abandonne le fauteuil, mais la Montagne impose la continuation du combat, et c’est un des siens, Hérault de Séchelles, qui prend possession du fauteuil. Désormais, sous les flots des délégations hostiles, la Gironde va être noyée. Les sections de Paris qui attendaient depuis trois heures entrent enfin ; elles demandent Hébert « leur ami, leur frère » et le président leur répond : « Citoyens, la force de la raison et la force du peuple se confondent ; vous venez en ce moment réclamer la justice, c’est le plus sacré de nos devoirs de vous la rendre. » C’était comme la consécration officielle de l’insurrection. Les Gravilliers, la Croix-Rouge insistent :

« Citoyens représentants, dit l’orateur des Gravilliers, en 1789 le peuple de Paris gémissait dans l’oppression, il prit la Bastille. En 1792, un roi parjure fit massacrer les citoyens sous les fenêtres de son palais : les assassins périrent. En 1793, un nouveau despotisme plus terrible que les deux autres, une Commission inquisitoriale s’élève sur les débris de la monarchie. Les patriotes sont incarcérés, les scènes sanglantes du 17 juillet (la fusillade du Champ de Mars en 91) se préparent.

« La République est sur le point d’être anéantie. La section des Gravilliers vient vous déclarer, par ses commissaires, qu’elle n’a pas fait en vain le serment de vivre libre ou de mourir. Vous avez reconnu le principe sacré de la résistance à l’oppression. Malheur aux traîtres qui, gorgés d’or et affamés de puissance, nous préparent des fers ! »

Ces accusations véhémentes perçaient les murmures de la Gironde, la rumeur grandissante du peuple qui des couloirs pénétrait peu à peu dans la salle même, et elles étaient comme répercutées par la Montagne en un violent écho d’acclamations enthousiastes. C’était comme le pacte d’une troisième insurrection qui se nouait, en pleine Assemblée, entre le peuple de Paris et les Montagnards.

La section des Gravilliers, comme si déjà la Convention était réduite à la Montagne, ne s’adresse, en finissant, qu’à celle-ci :

« Députés de la Montagne, vous avez écrasé de votre chute la tête du tyran ; nous vous conjurons de sauver la patrie.

« — Oui, oui, nous la sauverons.

« Si vous le pouvez et que vous ne le vouliez pas, vous êtes des lâches et des traîtres. Si vous le voulez et que vous ne le puissiez pas, déclarez-le, c’est l’objet de notre mission ; cent mille bras sont armés pour vous défendre. Nous demandons l’élargissement des patriotes incarcérés, la suppression de la Commission des Douze, et le procès de l’infâme Roland. »

Hérault de Séchelles répond : « Quand les droits de l’homme sont violés, il faut dire : la République ou la mort. »

C’était une fois de plus le consentement légal à l’insurrection du peuple ; du haut de la tribune présidentielle sonnait, contre une partie de la Convention, le tocsin insurrectionnel. Chaque délégation nouvelle amenait avec elle un flot de peuple ; les délégués et les citoyens qui leur faisaient cortège débordaient peu à peu des bancs réservés aux pétitionnaires jusque sur les bancs des députés : le peuple et la Convention se mêlaient, comme, selon la maxime du président Hérault, se pénétraient « la force de la raison et la force du peuple ».

Lorsque, vers minuit, le président mit aux voix la suppression de la Commission des Douze, fut-elle régulièrement votée par les députés seuls, comme l’assure Levasseur, qui dit que les pétitionnaires, au moment du vote, se retirèrent dans le couloir de gauche ? Fut-elle votée, au contraire, par un mélange insurrectionnel de députés montagnards et des délégués des sections ? Il n’importe guère ; dans la Convention, comme dans un navire disloqué, l’eau amère et sombre était entrée, et il fallait ou que le navire s’enfonçât sous la vague et la nuit, ou qu’il se sauvât en jetant la Gironde aux abîmes.

Les journaux girondins ne donnèrent pas des commentaires identiques. Chez les uns la tristesse domine ; chez les autres, le désespoir exaspéré. La Chronique de Paris, très modérée de ton avec Ducos et Rabaut Saint-Étienne, gémit plus qu’elle n’accuse, et même, à la façon bienveillante dont elle parle de Garat, il est aisé de voir que la conversation du ministre avec Rabaut Saint-Étienne avait fait impression sur celui-ci :

« On a fait, sur le rapport de Garat, une remarque digne d’être conservée ; c’est qu’il est encore le seul homme qui ait osé louer les deux partis qui divisent la Convention, en leur présence et sans éprouver de la part d’aucun de fortes marques d’improbation. Ce privilège est celui d’un homme de bien, dont les intentions doivent être respectées par ceux qui ne partagent pas ses opinions, et dont les erreurs mêmes seraient estimables parce qu’elles prendraient leur source dans le sentiment d’une bienveillance universelle qui, mûe par une heureuse imagination, embellit tout ce qui l’environne des couleurs de la vertu. »

Sur quelques-uns des Girondins, la vertu stupéfiante d’une philosophie optimiste et perfide avait opéré. Au demeurant, c’est d’un ton douloureux et pénétrant, mais sans colère, que la Chronique raconte la fin de la séance :

« Cependant la Commission des Douze sollicitait, comme une faveur, la justice d’être entendue ; on lui répondait en demandant la cassation. Quelques personnes ont voulu élever la voix pour elle, mais comment espérer de se faire entendre, lorsque les délibérations étaient des cris, et tout délibérait, depuis les tribunes les plus élevées, jusqu’au centre de la salle ? En vain on a réclamé plusieurs fois la levée d’une séance qui ne conservait plus aucun caractère de dignité, de liberté nécessaire pour rendre un décret ; en vain la partie droite de l’assemblée, en employant contre ses adversaires des armes que devraient s’interdire les deux partis, a arrêté longtemps toute délibération par un tumulte prolongé, la cassation de la Commission des Douze a été mise aux voix et décrétée, aux cris de joie des tribunes et d’un grand nombre d’assistants introduits dans la salle. La séance s’est levée à une heure du matin.

« On a fait quelques reproches à la Commission des Douze. Peut-être avait-elle usé avec trop peu de ménagement d’un pouvoir qu’il fallait modérer pour le rendre utile. Si ces reproches sont fondés, nous la félicitons d’avoir été cassée sans avoir pu se faire entendre ; mais nous en sommes affligés pour la Convention nationale. Ce n’est pas un grand malheur que de perdre son pouvoir, il passe en d’autres mains, et le gouvernement subsiste ; mais voir avilir son autorité en conservant des fonctions dédaignées, voilà le comble des maux dans un État libre. »

Ainsi gémissaient, sans désespérer encore, ceux des Girondins qu’avait débilités Garat. Au Patriote français c’est un autre accent. L’exaspération est d’autant plus violente, que la faction girondine, grisée par l’apparente énergie de la Commission des Douze, croyait, la veille encore, tenir la victoire. Dans son numéro du 27, le Patriote avait triomphé sans réserve :

« Le septembriseur Hébert n’est pas le seul qui soit arrêté. Le prédicant Varlet a éprouvé le même sort ainsi que plusieurs autres. D’autres sont en fuite. L’anarchie succombe. »

Et soudain, c’est la Commission des Douze qui succombait. Le Patriote accuse nettement Garat d’avoir machiné avec Pache toute la scène de la Convention. Tandis que la veille, dans le numéro du 27, il dit que « c’est sans doute pour prévenir une insurrection générale que les ministres Garat et Gohier se sont rendus cette nuit chez le maire Pache, « maintenant il dit que Garat fait à la Convention « un discours étudié », et il ajoute : « C’était sans doute pour préparer ce rapport que Garat avait été chez Pache la nuit précédente. » Puis, il reproche à Garat son ignorance affectée et son indulgence à l’égard des paroles terribles d’Hébert qui écrivait, il y a deux jours à peine : « C’est dans la Convention qu’est le foyer de la contre-révolution. La dernière heure des serpents de la plaine et des crapauds du marais va sonner ; le sang impur va se verser. » Et il conclut en l’accusant d’une inexcusable faiblesse : « et Garat parle de son amour pour la morale sociale, y en a-t-il donc sans ces principes ? Il rappelle le journal qu’il a fait, et où il en donnait des leçons ; journal qui, comme sa conduite ministérielle, sera dans beaucoup d’endroits un monument de sa faiblesse et de ses capitulations éternelles avec le parti dominant. »

De la séance même, le journal girondin trace un tableau lugubre, et il termine enfin par des imprécations contre Garat, par un anathème à la Convention impuissante, par un appel désespéré à une Assemblée nouvelle :

« Il était près de neuf heures ; une partie des députés avait quitté la salle, une foule d’étrangers et de pétitionnaires remplissaient les bancs. On demande à grands cris que la séance soit levée ; on demande que les étrangers sortent. Le tumulte était affreux, l’Assemblée ne présentait plus que le spectacle d’une arène où, dans presque tous les partis on se menaçait, où des anarchistes avaient été se mêler parmi leurs adversaires, et les provocations et les insultes avaient lieu à chaque mot. Certes, à une pareille heure, après douze heures de séance, au milieu d’un tumulte aussi violent et dans l’impossibilité où l’on était de vérifier si les étrangers n’opinaient pas, il eût été du devoir du président de lever la séance. Mais les anarchistes qui avaient monté leur coup, s’y opposaient. Ils voulaient qu’on consultât l’Assemblée, ce qui était absurde, car il n’y avait plus d’Assemblée, cependant on la consulte et une infiniment petite majorité décide que la séance sera continuée.

« Fonfrède, qui avait remplacé Isnard, quitte le fauteuil et le cède à Hérault. Hérault ! jadis ouvertement aristocrate, puis feuillant, puis patriote, puis ambitieux, enfin anarchiste par peur, c’était une nouvelle machine sur laquelle le coin avait compté pour réussir.

« … Ces députations, préparées d’avance, débitent au milieu du tumulte leurs diatribes contre la Commission des Douze, et parlent de troisième révolution, de justice du peuple, de canons. Hérault leur répond par des lieux communs entremêlés de flagorneries pour le peuple des tribunes, et violant ensuite le règlement qui veut qu’on ne délibère que dans le calme, la justice qui voulait qu’on entendît la Commission avant de la condamner, il met aux voix, au milieu du vacarme le plus effroyable, cette cassation de la Commission, et prononce qu’elle a été décrétée, lorsque l’assemblée n’a ni délibéré, ni pu délibérer ! Il était alors plus de minuit !

« Hérault, tu répondras un jour à la France de l’opprobre qu’une pareille séance, qu’un pareil décret jettent sur la Convention ! Garat, tu répondras un jour à la France des malheurs inévitables où va nous plonger ce succès de l’anarchie, de cette anarchie à laquelle tu prêtas ton appui par faiblesse… Mais que les départements jugent par le récit fidèle de cette séance dans quel état est maintenant la Convention et s’il ne faut pas enfin convoquer ces assemblées primaires, invoquées dix fois encore aujourd’hui. C’est le seul remède à nos maux. La Convention actuelle ne peut nous en guérir. Il n’y a plus, il ne peut plus y avoir de discussion, cette séance l’a prouvé. »

Le peuple qui enveloppait et pénétrait la Convention, aurait pu sans doute pousser plus loin ce soir-là ses avantages et exiger non seulement la cassation des Douze, mais l’élimination de la Gironde, le procès des vingt-deux. C’est l’opinion de Dutard, intéressante parce qu’elle fut exprimée dès le lendemain, qu’il aurait suffi de la plus légère impulsion pour mener les choses jusqu’au bout :

« La Convention a couru hier de plus grands dangers qu’on ne pense ; car, si une ou deux sections s’étaient portées en masse à la Convention, il n’en fallait pas davantage pour l’anéantir, parce qu’elles auraient attiré toute la populace, et la faction au moins subalterne n’aurait pas manqué de se montrer. »

Mais il n’y avait pas ce soir-là de mot d’ordre décisif : la force du peuple n’avait pas été organisée pour l’insurrection et c’est encore à l’intérieur de la Convention que les Montagnards voulaient résoudre la crise.

Les Jacobins réunis ce soir-là écoutent un moment des propos vagues et inefficaces ; mais ils évitent tout ce qui pourrait ressembler à un signal d’action. Quand un membre propose « de nommer des commissaires pour prêcher le patriotisme dans les sections », Hassenfratz s’écrie : « Nous sommes tous commissaires, nous prêchons tous le patriotisme » et la Société passe à l’ordre du jour, éludant ainsi une mesure qui lui aurait donné la responsabilité du mouvement ; après avoir entendu une déclaration véhémente de la citoyenne Lecointre qui affirme au nom des républicaines révolutionnaires que « ses compagnes ne sont pas des femmes serviles, des animaux domestiques et qu’elles se formeront en phalange pour écraser les aristocrates », les Jacobins se hâtent de lever leur séance à neuf heures et demie, sans attendre le résultat de la grande lutte engagée à la Convention et comme pour marquer qu’elle seule doit décider dans sa liberté souveraine.

Au contraire, la Commune veilla très avant dans la nuit, recevant sans cesse des délégations des sections qui se déclaraient en permanence, et attendant d’heure en heure des nouvelles de la Convention. À minuit un quart la nouvelle de la cassation de la Commission des Douze est accueillie par les applaudissements enthousiastes du Conseil et des tribunes. C’était bien en effet la défaite de la Gironde. Qu’importe que le lendemain les Girondins essaient de se ressaisir ? Qu’importe que sur la motion de Lanjuinais et après de longs débats, ils décident la Convention à revenir sur le décret voté la veille et à rétablir la Commission des Douze ? Celle-ci, qui n’avait pas su se défendre dans la Convention et qui, après avoir provoqué le peuple de Paris par l’arrestation d’Hébert n’avait même pas su prendre les précautions nécessaires contre le moindre soulèvement, n’était plus qu’un fantôme. La Convention d’ailleurs, au moment même où elle paraît restituer la Commission des Douze, la désavoue en décrétant, sur la motion du conciliant Boyer-Fonfrède, l’élargissement des prisonniers.

Distribution d’Assignats.
(D’après une aquarelle de la Bibliothèque Nationale.)


Ce retour impuissant vers la Gironde ne signifiait qu’une chose, c’est que la Convention ne pourrait se débarrasser elle-même de la faction girondine. La parole était au peuple. Mais ce n’est pas de la Commune non plus où Chaumette pérorait vraiment trop, que partira le signal. Dans la séance du 28, il se répand en interminables homélies ; et il donne au retour d’Hébert un air de fête pastorale et une fadeur idyllique.

« Le rapport de la Commission des passe-ports est interrompu par un long discours prononcé par Chaumette sur les dangers de la patrie, sur la défense et la proclamation des principes, sur la violation des droits de l’homme… Il entre dans des détails sur le complot qui se trame contre la liberté, il dénonce Lebrun et Clavière… Il finit en disant que malheureusement pour la République, les passions dominent encore ; mais quelles que soient leurs influences, dit-il, tenons-nous fermes ; qu’Hébert sorte ou non de la prison, restons à notre poste. Le peuple saura venger ses droits violés ; mais surtout point d’armes, point de sang (Vifs applaudissements). Je n’aime pas le sang : les applaudissements qui éclatent ici de toutes parts prouvent que personne ici n’aime le sang. Où est notre force ? Elle est dans notre union… Je vais vous expliquer ce mouvement : c’est que Hébert arrive.

« À neuf heures moins un quart, Hébert entre dans la salle, de nombreux applaudissements se font entendre. Ses collègues l’embrassent ; on lui met le bonnet rouge sur la tête, il est quelque temps sans parler.

« Chaumette continue et dit : « Vous le savez, citoyens, je défendais les principes, je ne défendais pas Hébert ; il faut faire triompher les principes, en faisant punir ceux qui les attaquent… « Sur son réquisitoire le Conseil arrête : 1o que des commissaires rédigeront une pétition à la Convention, dans laquelle ils demanderont que la conduite inquisitoriale du Comité des Douze soit sévèrement examinée et qu’extrait en sera envoyé aux départements ; 2o qu’après cet examen les membres dudit Comité seront dénoncés aux tribunaux, et que leur procès leur soit fait comme à des oppresseurs de la liberté ; 3o que le Conseil ne fera aucune poursuite contre les sections égarées qui l’ont dénoncé, mais seulement contre la Commission inquisitoriale.

« Hébert prend la parole ; il dit que son premier devoir était de se rendre à son poste, qu’il lui reste à s’acquitter d’un devoir difficile, celui d’exprimer au Conseil ses sentiments de reconnaissance ; il demande que l’on fasse l’historique de l’inquisition des Douze ; qu’il soit porté par des courriers dans les départements ; que le peuple soit invité à se tenir toujours debout et à chasser des assemblées des sections tous les intrigants ; que l’on désarme les gens suspects et que leurs armes soient distribuées aux sans-culottes. On ne donne aucune suite à ces propositions…

« Chaumette annonce qu’il a reçu une députation bien enguenillée, qui lui apportait une couronne pour Hébert : « Rousseau, dit-il, fut condamné par le Sénat de son pays, il défendit et le Sénat et son pays » ; il remet cette couronne entre les mains d’Hébert ; celui-ci monte à la tribune, en descend le buste de Jean-Jacques. Hébert la pose sur la tête de Rousseau, en disant que l’on ne doit aux hommes vivants que de l’encouragement et que les couronnes ne doivent être décernées qu’après la mort.

« Une citoyenne des tribunes apporte une autre couronne, elle est posée sur la tête de Brutus. »

Pendant que la Commune couronnait et Jean-Jacques et Brutus, les révolutionnaires les plus agissants des sections comprenaient que l’heure de la lutte suprême était venue. Déjà, dans la journée du 28, les bataillons des sections modérées s’étaient mobilisés, et avaient promis leur concours à la Convention, c’est-à-dire à la Gironde.

Était-ce simplement par des paroles, ou même par la vigoureuse résistance montagnarde à l’intérieur de la Convention, que ce retour offensif du modérantisme pourrait être brisé ? Donnerait-on à la Commission des Douze le temps de se remettre de la chaude alerte du 27 et de préparer sa vengeance ? La section de la Cité, celle qui avait résisté à l’ordre de la Convention de livrer les procès-verbaux et dont le président Dobsent avait été arrêté, lança des convocations à toutes les sections pour le lendemain 29, afin d’organiser l’action insurrectionnelle.

Cependant à la Convention, dans cette même journée du 29, le Comité de salut public, sous l’inspiration de Barère et de Danton, faisait une suprême tentative de conciliation et de temporisation.

Déjà la veille, comme s’il voulait atténuer les funestes déchirements qui allaient s’étendre à toute la France, il avait adressé, par la main de Robert Lindet, une circulaire d’apaisement et de sagesse aux représentants en mission :

« Nous ne devons pas ressembler aux généraux et aux ministres de la monarchie qui, dans les revers, s’imputent réciproquement les fautes des particuliers et les malheurs communs…

« … C’est dans les grandes circonstances, citoyens, que nous devons nous tenir unis et serrés. Que les événements n’altèrent jamais notre union. »

Barère qui avait cru apaiser ou ajourner les difficultés en proposant la Commission des Douze, et dont l’invention avait mal tourné, lut un large rapport, très équilibré et tout à fait vain, où il faisait la part de chaque faction, mesurant les services et les fautes de l’une et de l’autre, les invitant à la mutuelle tolérance et à la concorde. À quoi bon, quand la guerre tonnait de toute part ?

Danton qui, la veille, avait éclaté en paroles de colère contre le retour offensif de la Gironde rétablissant la Commission des Douze, Danton qui s’était écrié : « Si la Commission conserve le pouvoir tyrannique qu’elle a exercé et qu’elle voulait, je le sais, étendre sur les membres de cette assemblée, alors, après avoir prouvé que nous surpassons nos ennemis en prudence, en sagesse, nous les surpasserons en audace et en vigueur révolutionnaire », s’attarde encore à cette entreprise désespérée de rapprochement.

M. Bonnarel a noté (et cette remarque est une sorte de découverte), que lui qui n’écrivait presque jamais, il avait, cette fois, collaboré au rapport de Barère, qu’il y avait inséré les appels les plus pressants, les plus éloquents, à l’union, à la paix. Le témoignage du « Républicain, journal des hommes libres de tous les pays », en son numéro du 30 mai 1793, est décisif à cet égard :

« Barère présenta ensuite le rapport général du Comité de salut public sur notre situation intérieure et extérieure. Il est trop étendu pour qu’une analyse rapide puisse satisfaire nos lecteurs ; nous voulons qu’ils en jouissent pleinement ; mais nous annoncerons cependant aujourd’hui que c’est à ce Danton si calomnié, si souvent dépeint sous les couleurs les plus atroces, que l’on doit le paragraphe où le Comité fait sentir la nécessité d’une constitution républicaine, de l’établissement des écoles primaires, du raffermissement des propriétés, du retour de l’ordre, du règne des lois et de la morale, et surtout de l’étouffement de ces passions qui divisent les représentants d’un même peuple et ne font du palais de l’unité que le temple de la discorde. »

Le témoignage de Cambon, comme le remarque M. Bonnarel, confirme celui du Républicain. C’est Ducos qui, dans la Chronique de Paris du 31 mai, le signale en ces termes :

« Des applaudissements avaient accueilli un passage lu par Barère : « Ce morceau que vous venez d’entendre, s’écria Cambon, a cependant été écrit par un homme calomnié, par Danton. »

Barère, dans ses Mémoires où il accable Danton, s’est bien gardé de rappeler cette collaboration. Elle n’en est pas moins certaine. Donc Danton disait, avec cette sorte de faste qui se mêlait parfois à la vigueur de son éloquence :

« En entrant dans cette enceinte du local où siège l’Assemblée, l’étranger comme le citoyen sont frappés par cette inscription sublime qui seule est une Constitution, qui comprend tous nos devoirs, qui ranime l’espoir qui doit nous animer, qui exalte le courage que vous devez apporter dans vos travaux et qui doit faire pâlir les tyrans de l’Europe. Le mot Unité qui est inscrit sur la porte du Palais national devrait être aperçu de tous les départements et gravé dans le cœur de leurs députés.

« L’unité de 25 millions d’hommes, l’unité de tant de volontés doit vous rendre invincibles.

« Mais cette inscription sera-t-elle donc toujours mensongère ? Verra-t-on sans cesse dans le palais de l’Unité, les fureurs de la discorde et 40 000 petites républiques y agitant leurs dissensions par des représentants ?

« Faites donc disparaître les images de ces Lycurgue, de ces Solon, de ces Brutus, l’honneur et l’appui de leur patrie ; substituez à des images vénérées les hideuses peintures de la jalousie, de l’ambition et de l’anarchie ; effacez, sur la porte du Palais national, le mot d’unité qui semble attendre des législateurs plus sages et des patriotes plus dévoués.

« … Si vous perdez cette occasion d’établir la République, vous êtes tous également flétris et pas un de vous n’échappera aux tyrans victorieux, vous aurez perdu les droits du peuple, vous aurez fait périr 300 000 hommes et l’on dira de vous : La Convention pouvait donner la liberté à l’Europe, mais par ses dissensions, elle riva les fers du peuple, et servit le despotisme par ses haines.

« Combien, au contraire, il sera beau de se dire Français, et d’appartenir à une nation qui, attaquée par les tyrans, aura montré le spectacle imposant d’un grand peuple sans esclaves et sans maîtres, sans vassaux et sans nobles, qui, sans cesse trahi par ses législateurs, par ses rois, par ses généraux, par ses ministres, par ses castes privilégiées, par ses propres enfants, se débattant contre la corruption que lui a léguée le despotisme en expirant, crée tour à tour, et contre les brigands qui l’infestent, des armées sur toutes les frontières et prépare la paix du monde contre les rois coalisés. »

Toute cette rhétorique d’union sonne douloureusement. Il était trop tard ; et le déchirement était accompli. Aucune parole ne pouvait désormais guérir les cœurs ulcérés. Danton sentait venir sur lui la défaite ; car il était vaincu de n’avoir pu maintenir, en effet, l’unité. C’était sa large conception révolutionnaire qui était brisée, mutilée par la brutalité des passions et des événements. Pendant qu’il allait ainsi, dans un chimérique effort de conciliation, jusqu’à se confondre avec la Plaine et à collaborer avec son chef, il gardait contact cependant avec les énergies révolutionnaires.

Il est malaisé de savoir au juste ce que furent ces conciliabules de Charenton où pendant toute cette période, Robespierre, Danton, Marat, échangèrent leurs vues.

Le girondin Dulaure dans ses Esquisses historiques des événements de la Révolution française, en donne une idée fantastique.

« Danton, Robespierre, Pache, etc., tenaient à Charenton des conciliabules secrets et y arrêtèrent le plan d’une attaque contre la majorité de la Convention. On y discuta, dit-on, la proposition de relever le trône des Bourbons et d’y placer le fils de Louis XVI ; mais il paraît qu’elle n’eut pas de suite. Là se trouvait un homme aspirant au pouvoir suprême, et peu disposé à s’en dessaisir lorsqu’il l’aurait obtenu. Les conjurés mirent dans leurs secrets quelques militaires supérieurs et les chargèrent de l’exécution. »

C’est dans ces conciliabules que fut arrêté, selon Dulaure, tout le plan qui se développa en mai, et notamment la réunion des délégués des sections à l’Évêché le 15 mai. Mais comment accorder le moindre crédit à un historien qui rapporte sérieusement que Pache, Robespierre, Danton, Marat délibérèrent sur la restauration des Bourbons ?

Garat parle aussi, mais de la façon la plus vague, de ces réunions de Charenton :

« Dans ce même jour (c’est-à-dire le 30 mai), dans l’un des jours précédents ou suivants (je ne puis fixer la date avec certitude), le chef de la première division de l’intérieur, Champagneux, me porte un très grand nombre d’exemplaires d’un placard dans lequel Robespierre, Marat, Danton, Chaumette et Pache, qu’on y appelait l’Escobar politique, sont accusés de tenir à Charenton des conciliabules nocturnes où, protégés par une force armée imposante, ils délibèrent sur les moyens d’organiser de nouveaux massacres de septembre. Je porte à l’instant le placard au Comité de salut public, et pour le lui communiquer, je saisis le moment où ni Danton, ni Lacroix n’étaient au Comité. Le Comité arrête, sur un registre secret, je crois, que tous les exemplaires du placard seraient retirés, que le secret serait exigé de celui qui me l’avait fait remettre, et que je prendrais des renseignements à Charenton même. Je n’y connaissais personne, il y avait très peu de personnes à qui on pût confier de pareilles recherches. Champagneux y connaissait un citoyen dont il me garantissait l’honnêteté et la prudence ; il lui écrivit, et la réponse fut infiniment plus propre à dissiper qu’à confirmer les horribles accusations du placard. »

À coup sûr, si Pache, Robespierre, Danton délibéraient, c’était, au contraire, pour trouver le moyen de résoudre la crise sans verser le sang et même sans entamer la Convention. Même le 29 mai, Danton n’avait pas encore renoncé tout à fait à cette espérance, et Robespierre n’y renonça que le 29 mai, quand la Convention eut commis la faute de rétablir la Commission des Douze, et quand la section de la Cité commença à mettre en branle les forces révolutionnaires. C’est le soir du 29 mai, aux Jacobins, que Robespierre avoue publiquement l’impuissance de la méthode légale à laquelle il s’était attaché jusque-là. Il invite à la résistance la Commune de Paris inquiétée de nouveau par le retour offensif de la Gironde et des Douze :

« Si la Commune de Paris, en particulier, à qui est confié spécialement le soin de défendre les intérêts de cette grande cité, n’en appelle point à l’univers entier de la persécution dirigée contre la liberté par les plus vils conspirateurs ; si la Commune de Paris ne s’unit au peuple, ne forme pas avec lui une étroite alliance, elle viole le premier de ses devoirs ; elle ne mérite plus la réputation de popularité dont elle a été investie jusqu’à ce jour. Dans ces derniers moments de crise, la municipalité devrait résister à l’oppression et réclamer les droits de la justice contre la persécution des patriotes.

« Lorsqu’il est évident que la patrie est menacée du plus pressant danger, le devoir des représentants du peuple est de mourir pour la liberté et de le faire triompher. »

Robespierre se solidarisait d’avance avec l’action révolutionnaire de la Commune. Et il la sommait presque de prendre la direction du mouvement. Qui sait s’il ne s’effrayait pas du débordement anarchique qui pourrait résulter de l’initiative désordonnée des sections et des Enragés ? Puis, il ajoute, avec une mélancolie pleine de menace :

« Je suis incapable de prescrire au peuple les moyens de se sauver. Cela n’est pas donné à un seul homme ; cela n’est pas donné à moi, qui suis épuisé par quatre ans de révolution et par le spectacle déchirant du triomphe de la tyrannie, et de tout ce qu’il y a de plus vil et de plus corrompu. Ce n’est pas à moi d’indiquer ces mesures, à moi qui suis consumé par une fièvre lente, et surtout par la fièvre du patriotisme. J’ai dit, il ne me reste plus d’autre devoir à remplir en ce moment. »

À ceux qui, avec une sorte de confiance superstitieuse, attendaient de Robespierre qu’il dénouât le nœud, Robespierre répondait : Je ne puis résoudre le problème, cela est au-dessus des forces d’un homme. La crise ne peut être terminée que par l’action collective du peuple.

C’était enfin, dans cette assemblée des Jacobins si longtemps liée de légalité, l’appel déclaré ou tout au moins le consentement officiel à l’insurrection. Les paroles de Robespierre furent comprises dans tout leur sens, car l’émotion des Jacobins fut vive, et un grand tumulte s’éleva, prélude passionné du mouvement de la rue.

Billaud-Varennes, comme pour préciser et pousser jusqu’au bout la pensée de Robespierre, rappela les malheurs tous les jours plus terribles qui fondaient sur la patrie et la liberté, les défaites de Custine, les progrès de la rébellion en Vendée, et il conclut en dénonçant la politique vaine du Comité de salut public :

« Dans le rapport de Barère on a parlé d’union, comme s’il était possible à la vertu de s’associer au crime. Ce sont trente meneurs qui forment le plan de conjuration. »

Et il proposa des mesures de salut public.

Déjà, avant même que Robespierre parlât et, avec sa prudence de forme accoutumée, s’engageât à fond, le courant maratiste s’était révélé aux Jacobins mêmes plus fort que le courant dantoniste. Legendre, l’ami de Danton, ayant proposé l’envoi, assez anodin en effet, d’une circulaire au peuple français, fut traité d’« endormeur ». Bentabole lui avait répliqué en attaquant à fond le rapport de Barère auquel les Jacobins savaient bien que Danton avait collaboré. « Il s’en faut de beaucoup, avait-il dit, que les Jacobins doivent s’en rapporter au rapport de Barère. Il a dit de bonnes choses ; ce député a rendu beaucoup de services, mais il a un esprit de modérantisme. »

Bentabole avait été très applaudi, et Robespierre, avec son sens aigu des crises morales qui bouleversaient les esprits, avait compris que la société légalitaire des Jacobins allait se jeter sans lui dans les voies insurrectionnelles. Il adhéra à cette politique nouvelle pour ne pas rompre avec la force centrale de la Révolution, pour fortifier et pour régler tout ensemble le mouvement.

Mais les mesures de salut public proposées par Billaud-Varennes, ce sont les délégués des sections révolutionnaires qui vont les prendre. La section de la Cité les avait convoqués d’abord pour le 29, à quatre heures, à Notre-Dame. Mais elle pensa qu’il valait mieux, pour délibérer plus secrètement, un local plus retiré, et c’est à l’Évêché, où depuis le 28 mai siégeait déjà un comité révolutionnaire occulte nommé le Comité des Six, que les délégués se réunirent. Il y eut deux séances dans cette journée du 29, l’une à quatre heures, l’autre dans la soirée : et les délégués de l’insurrection délibéraient juste à l’heure où, aux Jacobins, Robespierre consentait à l’insurrection.

Dans ces séances insurrectionnelles de l’Évêché, le 29 mai, il y a, pour ainsi dire, deux plans de délibération. Au premier plan, il y a une réunion relativement publique, où délégués des sections et électeurs du Dix Août s’entretiennent sur un ton assez modéré des événements du jour et des décisions à prendre. Mais, au second plan, et dans l’obscurité propice à la préparation d’un coup de main, un petit nombre de commissaires des sections investis tacitement d’une sorte de mandat exécutif, déterminent les moyens d’action. Il semble bien que la Commission des Douze, au moins à en juger par les notes qu’a laissées un de ses membres, le girondin Bergoeing, n’a été avertie par sa police que de la délibération la moins décisive. Elle paraît avoir ignoré la constitution du Comité exécutif. La note remise à la Commission des Douze sur la séance de l’après-midi, laisse apparaître à peine un plan d’action :

« Il a été délibéré dans cette séance de faire une adresse à douze sections pour les engager à unir des commissaires à ceux que les autres sections ont déjà nommés pour présenter des demandes à la Convention. On a objecté que les sections, avant qu’elles puissent avoir délibéré sur cette adresse, c’est-à-dire ce soir, auraient à délibérer sur des objets bien plus importants de salut public, et, néanmoins, on a arrêté la mesure parce que personne n’a pu disconvenir qu’elle n’était point fausse, mais bien révolutionnaire.

« On a mandé à tous les cantons des départements pour les engager à coïncider avec les mesures que Paris va prendre. Des commissaires qui doivent se rendre à Versailles auront des instructions particulières.

« Une espèce de bannière assez grande, fond rouge, était sur les bancs de la salle ; elle portait ces mots : « L’instruction et les bonnes mœurs peuvent seuls rendre les hommes égaux ». Elle n’était point attachée à un bâton, et on ne comprend pas quel rapport cette bannière, qu’on ne vit pas hier, pouvait avoir avec les projets médités. »

Était-ce déjà le souci de rassurer la petite bourgeoisie de Paris et les artisans eux-mêmes contre toute crainte d’expropriation et de nivellement ?

« Le président a dit, environ à une heure, que, puisqu’il ne paraissait pas que l’assemblée eût d’autres mesures à prendre, il fallait s’ajourner à demain matin, ajoutant que la section (celle de la Cité où se trouvait l’Évêché) devait aujourd’hui occuper la salle où l’on délibérait. »

PRÉSIDENT D’UN COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE S’AMUSANT DE SON ART EN ATTENDANT LA LEVÉE D’UN SCELLÉ.
Image contre-révolutionnaire.
(D’après un dessin de la Bibliothèque Nationale.)


Cependant, il y eut une nouvelle séance le soir même, et les moyens d’action s’y précisent.

« On n’entrait au club électoral, appelé central, qu’en justifiant d’une carte de société patriotique. L’assemblée était composée d’environ cinq cents personnes délibérantes, parmi lesquelles il y avait cent femmes. Les tribunes étaient occupées par environ cent personnes.

« Dufourny, au nom d’une Commission dite des Six, formée depuis hier, proposait de nommer six commissaires pour aller demander à la municipalité qu’elle avisât, sans délai, à la nomination provisoire d’un commandant de la garde nationale parisienne : sans cela point d’ensemble dans les mesures à prendre. Une femme a parlé sur cet objet et a généralisé ses vues. Elle a dit qu’il ne fallait, désormais, espérer de salut que par des mesures promptes et vigoureuses, et qu’en portant des coups tels que les ennemis que l’on avait en vue ne puissent jamais s’en relever. Elle s’est beaucoup attachée à prouver que la Convention était mauvaise… Elle a appuyé la proposition du Comité, elle a entraîné tout le monde. On a délibéré conformément à la proposition du Comité, et elle a été la première désignée pour cette Commission.

« On a demandé, au nom du Comité des Six, une confiance sans borne, et la promesse de mettre à exécution toutes les délibérations qu’il prendrait, sans autre examen. On a paru accéder à ces propositions.

« Dufourny a, par deux ou trois fois, imposé silence à des orateurs qu’il a taxés d’imprudence parce qu’ils semblaient toucher la question des moyens à prendre. Il a interrompu un autre orateur pour dire ces mots : « Je crains bien que si vous perdez autant de temps à délibérer, vous ne soyez pas de la fête ».

« L’objet dont généralement tous les orateurs se sont occupés a été une insurrection prompte, générale et à grandes mesures dans Paris.

« Un des moyens proposés par un membre, qui s’est dit de la section du Théâtre-Français, est de désarmer tous les riches, les aristocrates, les feuillants, les modérés, comme il a annoncé que cela avait été pratiqué dans cette section et dans une autre, aujourd’hui, par un procédé très simple : « Nous avons, dit-il, réuni quelques canonniers, nous leur avons représenté que la Convention avait promis de les armer, qu’elle n’en faisait rien, qu’ils n’avaient qu’à faire une visite fraternelle chez ceux ci-dessus désignés, et leur prendre, aujourd’hui, leurs fusils jusqu’à ce que demain on pût leur prendre leurs assignats et leurs écus. » (Ce propos individuel et qui a un certain air d’authenticité, n’exprimait certainement pas l’esprit général des délégués.)

« Une autre mesure générale proposée par Dufourny, au nom, toujours, de la Commission des Six, a été d’engager toutes les sections à faire une adresse à la Convention, pour lui demander la punition du crime d’Isnard envers Paris : « Afin, dit-il, qu’ayant une fois donné une impulsion commune à tous les Parisiens, on pût les entraîner vers un même but ».

« Au reste, il a été parlé de frapper de très grands coups, et jamais on n’a manqué de compter le côté droit de la Convention et la Commission des Douze, parmi les ennemis les plus dangereux de la patrie. Du reste, tout se résume à ceci : « Insurrection semblable à celle du 14 juillet et du 10 août, précipitation, dans cette mesure et pour cela, l’assemblée s’est ajournée à demain, neuf heures du matin, à compter de quelle heure elle sera permanente ».

De cette communication très importante faite à la Commission des Douze, il ressort que, dès le 29, l’insurrection était, si je puis dire, constituée. Elle avait son plan, puisque Dufourny ramène au silence les imprudents qui risquaient de le divulguer. Elle avait son organe exécutif, car cette Commission des Six parle en souveraine aux délégués eux-mêmes. Dufourny les avertit que s’ils délibèrent trop longtemps ils ne seront pas de la fête : c’est donc que la Commission exécutive est assurée d’être suivie directement par les sections, aussitôt qu’elle aura donné le signal du mouvement, et qu’elle est, dès lors, résolue à ne pas s’arrêter aux difficultés et objections que même les délégués des sections, préoccupés peut-être de leur responsabilité, pourraient lui opposer. En même temps que la Commission des Six est décidée à mettre les événements en branle par l’initiative énergique d’une toute petite minorité, elle se préoccupe d’élargir le mouvement aussitôt créé, d’y entraîner et d’y compromettre tout Paris. À cet effet, le discours d’Isnard, qui avait blessé et alarmé tous les Parisiens, aussi bien les possédants que les sans-culottes, était infiniment précieux. Contre Isnard, il serait facile de soulever d’abord tout Paris, et une fois soulevé, Paris serait entraîné à marcher contre toute la Gironde. Lorsque Blanqui, qui avait étudié si passionnément tous les ressorts révolutionnaires de 1793, disait : « On ne crée pas un mouvement, on le dérive », il formulait la tactique d’entraînement et de substitution révolutionnaire que Dufourny indiquait à la réunion de l’Évêché.

Mais, précisément pour entraîner tout Paris, pour confondre dans un même mouvement les prolétaires et les bourgeois, les sans-culottes et les marchands, il fallait rassurer Paris au sujet des propriétés, et voilà pourquoi je notais tout à l’heure que le vif propos sur les riches auxquels on prendrait d’abord leurs armes, en attendant de leur prendre « leurs écus et leurs assignats », n’était, à l’Évêché, qu’une boutade individuelle. Rassurer les propriétaires fut, dès le 29, un des plus grands et des plus pressants soucis des révolutionnaires de l’Évêché, comme en témoigne ce que dira le lendemain Hasenfratz aux Jacobins :

« La section de la Cité a invité les quarante-sept autres sections à se réunir à elle par des commissaires, pour délibérer sur les moyens de salut public. Hier, la réunion s’est effectuée.

« La première délibération a eu pour objet de calmer les inquiétudes des propriétaires. Pour cet effet, la section a arrêté que toutes les propriétés sont sous la sauvegarde des sans-culottes, qui s’engageront tous de livrer au glaive de la justice quiconque exécutera la plus légère atteinte aux propriétés et tous les membres de cette section ont juré de mourir pour faire observer cette loi. »

Évidemment, la pensée de la section de la Cité la plus ardente de toutes, et qui avait pris l’initiative de la convocation, était commune à toutes les sections.

Il est très probable que, dans cette nuit du 29 au 30, les pouvoirs de la Commission des Six, qui s’était si hardiment jetée à l’avant-garde dès le 28, furent confirmés et sanctionnés. Il est possible aussi qu’elle ait été complétée et un peu étendue, pour mieux répondre à l’ampleur croissante du mouvement. Buchez et Roux d’abord, Schmidt ensuite, disent que ce soir du 29 mai, la réunion de l’Évêché nomma une commission de neuf membres.

Je ne puis décider, à regarder de près les textes, si c’est le 29 ou le 30. La Chronique de Paris, dans le numéro du 2 juin, où elle résume les événements du 31 mai, dit : « On a lu aux articles Convention et Commune comment s’est formée l’assemblée de l’Évêché : neuf commissaires y ont été élus et se sont transportés à la Commune qu’ils ont cassée et rétablie ». Mais on ne peut inférer de là que c’est dans la nuit du 29, et en remplacement de la Commission des Six, que cette Commission des Neuf a été nommée. Il semble même, d’après le texte de la Chronique, que ce soit une commission formée à la dernière heure, le 31 au matin, quand le tocsin sonne déjà dans Paris, et quand il faut aller à la Commune. Pache, mandé le 1er juin devant le Comité de salut public, y dit (d’après le procès-verbal) : « Depuis deux jours il s’était formé un comité révolutionnaire composé de neuf citoyens, il y fut adjoint un dixième membre ». Il y a deux jours, Est-ce le 30 ou le 29 ? Garat semble, il est vrai, plus explicite :

« Le lendemain (29 mai) entre onze heures et minuit, on vient me dire qu’une assemblée s’est formée à l’Évêché, qu’elle s’est occupée de mesures qu’elle appelait de salut public, et qu’elle venait de nommer dix commissaires. Je cours au Comité de salut public lui donner cet avertissement, et chez le maire pour l’interroger sur la nature et sur l’objet de cette assemblée. Le maire était au lit ; je le fis réveiller pour me recevoir. Par quels hommes cette assemblée de l’Évéché était-elle composée ? Quelle était leur mission ? De qui l’avaient-ils reçue ? Que pouvaient être ces hommes qui, à côté de la Convention nationale et de ses comités, à côté du Conseil exécutif du département, de la Commune et des sections, s’enquéraient des moyens de salut public ? Tout ce que le maire put répondre à ces questions, c’est que l’assemblée de l’Évêché était un composé de membres du corps électoral, de membres de sociétés populaires et de commissaires de plusieurs sections ; mais il m’assura, et du ton d’un homme qui le savait avec certitude, que cette assemblée, qui lui donnait aussi des inquiétudes, s’était elle-même reconnue et déclarée incompétente pour prendre aucune mesure d’exécution, qu’elle ne se considérait que comme une réunion de citoyens occupés ensemble de la chose publique. Je représentai au maire qu’une pareille assemblée exigeait toute la surveillance des premiers magistrats de la police, et qu’il devait instruire le ministre de l’intérieur de tout ce qui s’y passerait jour par jour, heure par heure ; le maire m’en donna l’assurance et je retournai au Comité de salut public lui rendre compte de cette conversation. »

Délicieux interrogatoire ! Comme si Garat ne savait pas depuis des semaines que les sections préparaient un mouvement révolutionnaire ! Quand la faiblesse d’esprit et de volonté prend ainsi des airs méditatifs et des allures analytiques, elle est d’un comique lamentable. Pache, réveillé par le pauvre philosophe questionneur et affairé, le trouva sans doute pleinement ridicule. Il lui répondit en termes évasifs. Le trompa-t-il délibérément en lui disant que l’assemblée s’était reconnue incompétente, alors que les sections, selon l’invitation de celle de la Cité, avaient donné à leurs délégués un mandat illimité ? Ou bien lui-même ignorait-il encore jusqu’où allait l’audace insurrectionnelle de l’Évêché ?

Des paroles de Garat il n’est guère possible de conclure avec certitude qu’une commission nouvelle (de dix membres ou de neuf) fut substituée à la Commission des Six. L’informateur qui renseigna Garat ce soir-là avait très bien pu prendre pour une commission nouvellement nommée la Commission des Six, qui parlait d’un ton d’autorité si impérieux. Il me paraît surprenant que la note si minutieuse communiquée à la Commission des Douze et citée par Bergoeing, ne fasse pas mention d’un fait aussi important que le serait la nomination expresse d’une commission exécutive nouvelle. Elle parle si souvent de la Commission des Six qu’il est malaisé de supposer qu’elle n’en aurait pas signalé le remplacement.

Schmidt est conduit à une hypothèse bien invraisemblable et bien fragile : c’est qu’il y avait ce soir-là à l’Évêché deux assemblées distinctes ; l’une, des délégués sans mandat formel, qui avaient l’habitude de se réunir depuis plus de quinze jours ; l’autre, des délégués à mandat illimité que venaient de nommer les sections en vue d’organiser l’insurrection. Il n’était pas aussi facile d’établir des cloisons étanches. Et sans doute les délégués des sections ne refusèrent point, après avoir vérifié leurs pouvoirs et confirmé la Commission des Six, de participer à la réunion plus étendue. C’est probablement l’adhésion préalable et l’investiture officielle des délégués mandatés des sections qui donnaient à la Commission des Six l’assurance révolutionnaire dont Dufourny faisait preuve en son nom dans la réunion plénière. Michelet place la nomination de la Commission des Neuf dans la nuit du 30 au 31 mai. Tout cela est bien flottant. Le plus vraisemblable est qu’à la Commission des Six constituée dès le 25, Dobsent, relâché en même temps que Varlet et Hébert, vint s’ajoindre le 29. Il avait un grand prestige. C’est lui qui avait donné le signal de la résistance, et il était le président tout désigné d’une commission d’exécution.

La réunion de l’Évêché se préoccupait beaucoup d’être acceptée par les Jacobins et par la Commune. Ou plutôt elle tentait de s’imposer par son audace à toutes les autorités constituées, à toutes les forces organisées de la Révolution. Aux Jacobins, c’est Dufourny, un des hommes les plus ardents du directoire du département, et Boissel, maratiste extrême, et même communiste, qui servaient de lien entre la Société et l’Évêché. Dès la séance du 27, Dufourny disait aux Jacobins :

« J’ai annoncé à la Société qu’il y aurait demain, à l’Évêché, à cinq heures, une assemblée composée des électeurs et des patriotes. »

Il essayait de donner ainsi à la réunion de l’Évêché figure officielle, d’habituer les Jacobins à compter sur elle pour les coups hardis que chacun pressentait. Dans la soirée même du 29, comme Grots de Luzenne obtient la parole pour communiquer une observation qu’il a recueillie, et qui annonce une grande conspiration, Boissel l’interrompt presque violemment :

« Le club de l’Évêché a nommé une commission pour recueillir toutes les mesures de salut public ; si le citoyen qui est à la tribune a des mesures à proposer il peut s’adresser à ce comité. »

Par là l’Évêché était en quelque sorte présent aux Jacobins en cette soirée du 29. Si Hébert, incarcéré et libéré comme Varlet, présentait celui-ci aux patriotes et le recommandait à leur sympathie, ce n’était pas seulement par une sorte de solidarité toute sentimentale avec un compagnon d’épreuve. Hébert, qui ne tenait pas du tout à être arrêté de nouveau, et qui se disait que si la Commission des Douze, un moment matée, reprenait l’offensive, elle irait cette fois jusqu’au bout, Hébert savait que c’est du côté des Enragés qu’étaient les plus grandes ressources d’action et d’audace, et il se liait à eux pour ne pas périr. Voilà pourquoi il dit aux Jacobins, le soir même du 29 mai, comme en témoigne, non le procès-verbal toujours prudent, mais une note publiée par Bergoeing : « Le peuple peut et doit courir sus à la Commission des Douze ». C’est ce souffle insurrectionnel que Robespierre sentit passer sur lui. Mais quand il mit en jeu la Commune, quand il lui signifia que c’était à elle à agir et à combattre, n’était-ce pas une réponse indirecte et infiniment prudente aux véhémences d’Hébert ? Pourquoi le substitut de la Commune venait-il jeter des paroles enflammées dans la Société des Jacobins qui n’avait pas mandat de défendre Paris, et pourquoi n’assumait-il pas, avec la Commune même dont il était un des principaux membres, les responsabilités décisives ?

La Commune ne paraissait pas disposée à un rôle actif et de premier plan. Elle aussi, elle attendait l’initiative révolutionnaire des sections ; dès le 29, l’Évêché est le vrai centre d’action révolutionnaire. Lorsque selon la motion votée à l’Évêché, une députation du club électoral se rend, immédiatement, et dans la séance même du 29, à la Commune, pour inviter le Conseil « à nommer provisoirement un commandant patriote », la Commune sent bien qu’en désignant ainsi le chef de la force armée parisienne, à la demande et sous l’inspiration des sections révolutionnaires, elle accomplirait le premier acte insurrectionnel ; elle se récuse, et le président répond que « la Convention ayant déterminé le mode de nomination du commandant général, il ne reste que des vœux à former à ce sujet ». C’était dire à l’Évêché : La Commune ne peut pas ouvertement violer la loi. C’est à vous à décider : nous suivrons. La Commune se récuse encore, ce même soir, 29 mai, quand la section des Gravilliers veut l’associer, à propos de la Fête-Dieu, aux premiers essais de la politique violemment antireligieuse où bientôt s’épanouira l’hébertisme.

« La section des Gravilliers fait part d’un arrêté par lequel elle invite le curé de Saint-Nicolas à ne point faire de procession dans l’étendue de son arrondissement. Le Conseil passe à l’ordre du jour, motivé sur ce qu’il ne veut pas se mêler des affaires des prêtres, et que, s’il arrive des troubles, on punira ceux qui les auront occasionnés (compte rendu du Moniteur, la Chronique n’en parle pas).

Donc, en cette nuit de printemps où les révolutionnaires s’attardaient à la fois à l’Évêché, aux Jacobins, à la Commune, c’est l’Évêché qui domine. C’est lui qui suggère les actes hardis ; et on dirait qu’il constate l’impuissance et l’irrésolution des « autorités constituées », afin de pouvoir en toute liberté et en toute audace assumer le premier rôle officiellement déserté par les administrateurs.

Robespierre s’effraya-t-il de cette primauté des Enragés qui, le lendemain de la victoire, seraient les maîtres de la Révolution, comme la Commune révolutionnaire fut, le lendemain du 10 août, maîtresse de Paris ? Est-ce lui qui, pour obvier à l’effacement dangereux des « autorités constituées », conseilla au Directoire du département d’entrer en scène pour grouper sous sa discipline toutes les forces organisées de la Révolution, et réduire à des proportions modestes le rôle de l’Évêché où triomphait Varlet ? C’est l’hypothèse de Michelet, dont le regard perce parfois si avant dans les événements et dans les âmes. Elle est, comme on voit, toute contraire au système de Mortimer-Terneaux ; celui-ci croit, en effet, qu’entre les éléments insurrectionnels de l’Évêché et les autorités constituées de la Commune et du département, il y avait une entente absolue, et qu’on s’était partagé les rôles. La vérité me paraît être qu’il y avait tout ensemble rivalité et accord.

Les autorités constituées (surtout celles du département) et l’Évêché se disputèrent, non sans âpreté, la direction du mouvement ; mais elles étaient prêtes, s’il le fallait, à concerter leur action, et en fait, toutes ces forces parfois divergentes se combinèrent. Le département, pour ne pas être débordé par les Enragés, arrêta, dans la journée du 30, que toutes les autorités constituées et les sections seraient convoquées le 31, à neuf heures du matin, dans la salle des Jacobins.

« Le Conseil général, le procureur général syndic entendu, arrête que toutes les autorités constituées du département et les sections de Paris seront convoquées, par commissaires, vendredi 31 du présent mois, à neuf heures précises du matin, dans la salle de la société des Amis de la Liberté et de l’Égalité, séant aux dits Jacobins, rue Saint-Honoré, pour délibérer sur les mesures de salut public qu’il convient de prendre dans les circonstances actuelles, pour maintenir la liberté et l’égalité fortement menacées, et sur les moyens à employer pour repousser toutes les calomnies qui ont été répandues contre les citoyens et les autorités constituées du département de Paris ; dans les autres départements, détromper tous les citoyens qui auraient pu être égarés, afin de détruire le complot évidemment formé de perdre la ville de Paris en aliénant d’elle tous les départements, et de porter ainsi atteinte à l’unanimité et à l’indivisibilité de la République qu’elle a juré de défendre contre tous ses ennemis ;

« Arrête, en conséquence, que les Conseils généraux des districts de Saint-Denis et du bourg de l’Égalité, ceux des communes de ces deux districts et le Conseil général de la commune de Paris sont invités à nommer respectivement dans leur sein et à envoyer à cette assemblée le nombre de commissaires qu’ils jugeront convenable ; que les quarante-huit sections sont également invitées à nommer chacune deux commissaires parmi les membres de chacun des comités de surveillance, attendu que ces comités, par la nature de leurs fonctions et la confiance qui les y a appelés, ont acquis des renseignements et des instructions dont les commissaires réunis profiteront dans la discussion qui aura lieu ;

« Arrête, en outre, que les commissaires qui seront nommés par les autorités constituées et les sections se muniront de pouvoirs, afin qu’ils puissent être admis dans l’assemblée. Signé, Nicoleau, président ; Raisson, secrétaire général. »

Le Conseil général du département voulait donc dériver vers les Jacobins le mouvement révolutionnaire. C’était le mettre, en quelque façon, sous la main de Robespierre. Lhuillier était-il, comme le dit Michelet, un robespierriste ? Et est-ce aux suggestions personnelles de Robespierre qu’il a obéi en convoquant ainsi ce qu’on pouvait appeler les forces révolutionnaires légales ? Ce serait, je crois, s’aventurer beaucoup que de le dire. Lhuillier était un homme d’action : parmi les notes de police remises à la Commission des Douze, il en est une qui signale son rôle presque violent dans les sections :

« Hier, on a vomi des horreurs contre la Convention à la section Bon-Conseil ; elle a arrêté qu’on ne reconnaîtrait pas les lois de la Convention nationale, et qu’on ne reconnaîtrait que les ordres de la municipalité ; enfin, qu’on n’enverrait pas à la Commission des Douze les procès-verbaux. Celui qui mène tout cela est Lhuillier (procureur général syndic du département). »

PRÉSIDENT D’UN COMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE APRÈS LA LEVÉE D’UN SCELLÉ
(Gravure contre-révolutionnaire.)
(D’après un dessin de la Bibliothèque Nationale.)


Il me semble qu’il était entre les Enragés et Robespierre. Qu’on se souvienne que c’est Lhuillier qui avait entraîné la Commune à demander à la Convention le maximum des grains que réclamait Jacques Roux, et que ni la Commune ni Robespierre ne désiraient. Dans quelques mois, c’est dans les affaires de Chabot que sera un moment compromis Lhuillier. Or, Chabot, depuis mars, essayait, comme nous l’avons vu, de servir de lien entre les Jacobins et les Enragés. Lanjuinais, dans la séance du 30 mai, le dénonce comme complice de Varlet dans un projet de conspiration. C’est, sans doute, de cette époque que datent ses relations avec Lhuillier. Je suis donc tenté de croire que celui-ci a cherché une voie intermédiaire entre l’action imprudente, selon lui, et excessive des Enragés réunis à l’Évêché, et le système de temporisation où s’attardaient la Commune et les Jacobins. Et il est vrai que Robespierre semble, lui aussi, avoir cherché cette voie intermédiaire. De là sa rencontre d’un instant avec Lhuillier. L’initiative de celui-ci était agréable, également, à la Commune qui était dispensée par là de prendre des initiatives redoutables, et qui trouvait dans la convocation lancée par le département, pour le 31 mai, un prétexte commode à opposer aux impatiences de l’Évêché qui voulait marcher tout de suite. Il était clair que la force d’élan n’était ni à la Convention, ni à la Commune, ni aux Jacobins. À la Convention, la séance du 30 avait été, si l’on peut dire, inefficace : journée d’attente où les pétitionnaires des sections avaient reproduit leurs demandes habituelles contre les Douze, mais sans amener avec eux la force du peuple, et sans que la Convention lassée et comme indifférente parût s’émouvoir.

Lanjuinais dénonça avec force la « conspiration de l’Évêché » :

« L’un des lieux où l’on conspire en ce moment est l’Évêché : c’est là que se rassemblent les électeurs illégalement nommés du 10 août dernier, les plus audacieux meneurs des Jacobins et des sections, les citoyens les plus capables de favoriser des horreurs, les hommes les plus faciles à induire en erreur. Cette assemblée a formé un comité d’exécution, un comité dictatorial. Écoutez ce qu’a dit dernièrement Hassenfratz, en présence de milliers de citoyens :

« Souvenez-vous du 10 août ; avant cette époque, les opinions étaient partagées sur la République ; mais à peine avez-vous porté un coup décisif, tout a gardé le silence. Le moment de frapper de nouveaux coups est arrivé ; ne craignez rien des départements : je les ai parcourus, je les connais tous ; avec un peu de terreur et des instructions, nous tournerons les esprits à notre gré. Les départements éloignés suivent l’impulsion que Paris leur donne ; pour ceux qui nous environnent, plusieurs nous sont dévoués. Celui de Versailles, par exemple, est prêt à nous seconder : au premier coup de canon d’alarme, il nous viendra de Versailles une armée formidable, et nous tomberons sur les égoïstes, c’est-à-dire sur les riches. Oui, l’insurrection devient ici un devoir contre la majorité corrompue de la Convention. »

Cette majorité protesta par des murmures contre la violence des propos d’Hassenfratz, reproduits et exagérés peut-être par Lanjuinais. Mais elle n’avait plus la vigueur de l’offensive ; elle attendait.

C’est, sans doute, pour répondre au discours de Lanjuinais et pour rassurer les propriétaires sans lesquels il était impossible d’espérer un vaste mouvement à Paris, que le soir, aux Jacobins, Hassenfratz lui-même insista sur la sauvegarde nécessaire des propriétés. Après avoir rappelé que le premier soin des sections révolutionnaires avait été d’en jurer le respect, il associe les Jacobins à ce serment :

« Il importe que les citoyens s’occupent d’abord du soin de tranquilliser les esprits sur le sort des propriétés. Les scélérats ont imprimé et sont persuadés intimement qu’il y a impossibilité physique qu’il se commette la moindre violation des propriétés ; et, cependant, ils feignent toujours de redouter ce pillage pour avoir occasion de calomnier les patriotes.

« Rabaut a dit : « S’il y a pillage, il doit commencer par les meubles ». Or, il y a cent soixante mille hommes domiciliés qui sont armés et en état de repousser les voleurs. Il est clair qu’il y a impossibilité absolue d’attenter aux propriétés. C’est donc pour désunir les patriotes et opérer la contre-révolution qu’on feint d’éprouver et qu’on cherche à exciter des alarmes. Il faut que toute la République sache que les propriétés sont sous la sauvegarde des sans-culottes, et je demande que tous les membres de cette société prennent ici l’engagement de périr plutôt que de laisser porter atteinte aux propriétés. »

À ce moment, tous les Jacobins se lèvent et prêtent unanimement le serment.

« Je demande, reprend Hassenfratz, que cet élan sublime de patriotisme soit imprimé dans le procès-verbal, inséré dans tous les journaux et publié dans toute la République. »

Et il conclut :

« Je viens de rendre compte des mesures de la majorité des sections de Paris. Elles s’occupent de punir les traîtres. Je vais à mon poste. »

Il allait à l’Évêché. C’était avertir les Jacobins qu’à l’Évêché était maintenant la Révolution agissante.

Marat n’avait dit que deux mots ce jour-là à la Convention ; et il ne parut pas aux Jacobins. Avec son instinct révolutionnaire si direct et si clairvoyant c’est à l’Évêché qu’il alla tout droit. Et, en un discours qu’Esquiros a reconstitué sur des notes que lui a communiquées la sœur de Marat, l’ami du peuple résuma, non sans gravité et sans hauteur, ses griefs contre la Gironde. Ce qu’il lui reprochait surtout, c’était d’avoir, par sa complaisance pour les généraux, paralysé ou compromis la défense nationale. Et il demandait au peuple de se lever enfin, d’entourer en armes la Convention et d’exiger qu’elle livrât les Girondins les plus compromis. Ce n’était point le massacre qu’il conseillait. C’est à la justice révolutionnaire qu’il voulait livrer la Gironde. Depuis que le vent commençait à souffler en tempête, il avait constamment pris à partie la Gironde, au moins quand ses forces déjà bien atteintes lui permettaient d’écrire. Il avait accusé Pétion ; il avait violemment dénoncé les aristocrates des sections qui, un jour, l’avaient injurié. Il avait allongé, et de beaucoup, la liste des vingt-deux, et c’est contre près de quatre-vingts députés de la Gironde qu’il demandait des mesures de rigueur. Mais il n’y a pas dans un seul de ses articles de cette époque une parole de sang. Il évite toutes les violences, tous les appels au meurtre qui abondent dans le Père Duchesne. Il ne désavoue pas les massacres de septembre, il les appelle « des exécutions populaires », mais quand il polémique contre Pétion qui, volontiers, flétrissait les massacreurs de septembre, ce n’est pas par une apologie des massacres qu’il lui répond. Il constate seulement qu’il aurait pu, comme maire, les empêcher et qu’il n’en a rien fait. Évidemment, il n’en désire pas le renouvellement, il sait qu’à égorger les Girondins on soulèverait toute la France. Un moment on put croire qu’il compta, comme Robespierre, sur ce que nous appellerions aujourd’hui une action purement parlementaire, et il attache une très grande importance à ce que l’appel nominal soit inscrit au règlement de la Convention.

Il n’avait pas, je crois, grande sympathie pour Hébert qu’il méprisait pour son ignorance et sa grossièreté. Il proteste avec violence contre la Commission des Douze qui veut jeter dans les cachots « les patriotes les plus chauds », mais il ne parle guère d’Hébert qu’incidemment :

« Garat, dit-il, fait voir l’injustice de l’incarcération du substitut du procureur de la Commune, ordonnée comme mesure de sûreté publique, mais uniquement due à la basse vengeance des membres de la Commission, grotesquement travestis par le Père Duchesne en inquisiteurs d’État. »

Si j’en crois le témoignage ultérieur du Diurnal publié par Dauban, c’est du ministère de la guerre, où dominaient les amis d’Hébert, c’est particulièrement de Vincent qu’il recevait des informations sur les généraux et sur les armées. Mais il n’était pas plus lié à cette coterie qu’à toute autre. Et il commençait à apparaître au loin, à nos armées révolutionnaires, comme le grand redresseur de torts, au besoin contre Bouchotte lui-même et ses agents. C’est à lui que s’adresse Lazare Hoche (dans une lettre du 12 mai, que Marat publie le 16) pour se plaindre que les officiers vraiment républicains et connaissant leur métier soient supplantés par des intrigants :

« Ami du peuple, est-il vrai que les leçons que nous venons de recevoir puissent tourner à notre avantage, et que désormais nous réglerons notre conduite, en songeant au passé ? S’il est vrai, nous ne verrons plus les traîtres, les fripons et les intrigants en place ; nos armées ne seront plus commandées par des hommes lâches, ignares, cupides, ivrognes, et sans aucune aptitude à leur état ; nos chefs connaîtront leurs devoirs, se donneront la peine de voir leurs soldats, et s’entoureront de gens de l’art : alors pouvant être respectée, la patrie va jouir d’une liberté indéfinie et d’un bonheur inappréciable.

« Mais le bonheur, et la liberté même, nous fuiront sans cesse si le Conseil exécutif nomme toujours aux emplois vacants, au hasard, et si l’intrigue obtient continuellement la préférence. Incorruptible défenseur des droits sacrés du peuple, aujourd’hui une foule d’intrigants et de suppôts de l’ancien régime déguisés assiège le cabinet ministériel et, par leur importunité, ces êtres bas et rampants obtiennent des places… Adieu, je vous embrasse fraternellement.

L. Hoche,
rue du Cherche-Midi, no 294. »

Ce fraternel baiser révolutionnaire du jeune Hoche, si noblement ambitieux, mettait Marat au-dessus des factions. En allant droit à l’Évêché, où les Enragés étaient puissants, il n’abandonnait pas toute défiance envers ceux-ci, il continuait à détester et à mépriser Fournier l’Américain ; mais à l’heure où la Révolution avait besoin de toutes les forces du peuple, il ne voulait être lié par aucune prévention, et il reconnaissait, dans son journal, avoir été mal renseigné sur Landrin, qu’il avait si violemment dénoncé comme aristocrate à propos des journées de mars. Son but était de grouper et d’animer toutes les énergies, et de discipliner le mouvement. Que nul ne lève la main sur la Gironde, mais que les députés coupables soient livrés, par la force du peuple investissant la Convention, au tribunal révolutionnaire. Voilà le mot d’ordre donné, le 30 mai au soir, par Marat aux révolutionnaires de l’Évêché.

Marat fut acclamé et les délégués décidèrent qu’au matin le tocsin sonnerait pour mettre Paris en mouvement. Aucune force organisée ne veillait pour prévenir l’insurrection. Le Comité de salut public était désemparé. Danton, qui y avait une grande influence, avait certainement, dès le 30, pris son parti de l’insurrection prévue pour le lendemain. Il avait compris qu’il fallait en finir et retrouvant dès lors toute sa vigueur et sa promptitude de décision, il s’employa à empêcher un choc entre le Comité de salut public et le peuple révolutionnaire.

Le Comité de salut public ne pouvait protéger officiellement l’insurrection. Il ne pouvait non plus lutter contre elle, car c’eût été faire le jeu de la Gironde, en compromettant à son service les hommes mêmes dont elle avait outrageusement rejeté les conseils et refusé le concours. Dès lors, il ne restait qu’une tactique au Comité de salut public : faire semblant de ne pas savoir. Barère dit, dans ses Mémoires :

« J’ai appris postérieurement au 31 mai, mais trop tard, que Danton et Lacroix, quoique membres du Comité de salut public, s’étaient placés à la tête de ce mouvement, mis sur le compte de la Commune de Paris. Ils avaient écrit sur le bureau même du Comité, la veille de l’émeute communale, la pétition qu’ils firent passer au procureur de la Commune, lequel osa venir en faire lecture, le 31 mai, à la barre de la Convention, pendant que le commandant Henriot était à la tête de la force armée et des quarante-huit pièces de canon des sections de Paris. Dans cette séance, les députés paraissaient médusés, leurs langues étaient paralysées. Tout le parti du côté gauche était dans le secret. Le Comité de salut public seul ne savait où l’on voulait nous conduire. »

Le rôle précis assigné par Barère à Danton est-il exact ? Danton a-t-il de sa main rédigé, sur la table du Comité de salut public, la pétition que le lendemain devait lire la Commune ? S’il l’a fait, c’est sans doute pour que cette pétition ne dépassât pas la mesure convenue entre la Commune et lui. Mais comment être assuré même de ce détail sur le seul témoignage de Barère qui embrouille étrangement dans cette partie de ses Mémoires le 31 mai et le 2 juin ? Ce qui est certain, c’est que Danton était informé du mouvement qui se préparait, et qu’il manœuvra pour que ni la Convention ni le Comité de salut public ne prolongeassent leur séance dans la nuit du 30 au 31 mai. Il voulait laisser l’espace de cette nuit aux préparatifs d’insurrection. Le récit de Garat ne laisse pas de doute à cet égard :

« Le jeudi 30 mai, un citoyen m’écrit qu’il a été dit à la tribune de sa section qu’on venait d’arrêter définitivement à l’assemblée de l’Évêché que cette nuit même on fermerait les barrières, on sonnerait le tocsin, on tirerait le canon d’alarme. À peine j’eus lu le billet, je vais le lire au Comité de salut public, et j’annonce que je vais en faire lecture à la Convention nationale, qui était assemblée. Lacroix de l’Eure, qui dans cette soirée ne quitta pas un instant le Comité de salut public, où d’ordinaire il n’était pas si assidu, prend la parole ; il représente que sur un billet qui rapporte ce qu’on a débité à la tribune d’une section, il ne faut pas aller jeter l’alarme au milieu de la Convention nationale ; qu’il faut avant tout se bien assurer des faits, et appeler au Comité de salut public les autorités constituées responsables de la sûreté publique, le département et le maire. Le Comité se range à cet avis. (Barère se garde bien, dans ses Mémoires, de rappeler cette communication de Garat ; il se garde bien de dire qu’il n’insista pas au Comité de salut public pour que la Convention fût immédiatement avertie et qu’elle pût ainsi se déclarer en permanence) ; lui-même mande par un billet le procureur général syndic, et je vais chercher le maire à la Commune.

« Il y arrivait en ce moment ; il montait le grand escalier suivi de dix ou douze hommes, dont les gilets montraient autant de pistolets qu’ils avaient de poches.

« Le maire se penche vers mon oreille, et me dit à voix basse ces paroles, qu’on ne sera pas étonné que j’aie retenues : « J’ai eu beau m’y opposer, je n’ai pas pu les empêcher ; ils viennent de déclarer, par un arrêté, que la Commune de Paris et le département qu’ils représentent, sont en état d’insurrection. » Je lui répondis : « Le Comité de salut public vous mande dans son sein, et je vous attends. » Il entre au Conseil général. Là il publie ce qu’il venait de m’apprendre, et il y déclare plus formellement encore que l’insurrection n’avait été déclarée que contre son avis et malgré tout ce qu’il avait fait pour s’y opposer. J’entends des applaudissements qui ébranlaient la salle, des cris et des frémissements de joie ; je me crus dans la Tauride.

« À l’instant où il avait cessé de parler, le maire monte, et seul, dans ma voiture.

« Dans la route, je ne cesse de lui retracer les tableaux affreux des malheurs que cette nouvelle me fait présager, de lui faire considérer surtout que dans le moment où nous sommes en guerre avec toute l’Europe, une grande convulsion dans la ville où sont tous les établissements nationaux peut arrêter tout ce qui fournit aux besoins des flottes et des armées. Au milieu de tant d’autres présages sinistres, c’était celui qui me frappait le plus, parce que c’était le plan qu’on devait supposer à la ligue des tyrans et des esclaves de l’Europe. En exprimant les mêmes craintes et la même douleur, le maire déplorait, et je déplorais avec lui les horribles querelles des passions, qui seules avaient rendu de si grands attentats possibles…

(Oh ! comme Garat déplorait bien, en cette course nocturne de sa voiture ministérielle à travers Paris dormant !)

« … Et nous arrivons au Comité de salut public.

« Le procureur général-syndic du département, Lhuillier, et deux membres du directoire y étaient déjà. Des aveux ou plutôt des déclarations qu’ils faisaient tous, un résultat sortait sans aucune ambiguïté : c’est que le département de Paris était déjà, par son approbation et ses engagements, dans ce qu’il appelait l’insurrection.

« Pache était loin de parler comme Lhuillier : Il rendait compte des faits sans approbation et sans blâme, sans abattement et sans emportement, avec tristesse et gravité.

« Comme on délibérait, je me lève et je déclare que je vais rendre compte de tout à la Convention : « Vous n’êtes point du Comité de salut public, me dit Lacroix, c’est à lui, dans de telles circonstances, à porter la parole par l’organe d’un de ses membres. » On le charge de la porter, et il vient dire, une demi-heure après, qu’il n’avait pas pu parler, que la séance était levée quand il s’était présenté.

« Les membres du département et le maire réitèrent souvent au Comité de salut public l’assurance que, tant qu’ils seront à leur poste, aucune violence ne sera commise dans cette insurrection ; c’est là que pour la première fois, j’entendis sortir de la bouche de Lhuillier ce mot d’insurrection morale, qu’ils écrivirent le lendemain sur quelques-unes de leurs banderolles. Et c’est Lhuillier qui s’insurgeait moralement contre Vergniaud et contre Condorcet ! »

Le Comité de salut public était donc bien averti. Mais il préféra ne pas insister. Le procès-verbal de cette séance dit, non sans une pointe de comique : « Le Conseil ne s’est séparé que le matin après s’être assuré de la tranquillité de Paris. »

L’insurrection ne s’étant pas levée encore, le Comité de salut public fit comme la Convention : il alla se coucher, Danton ayant soufflé la chandelle.

La Commune, elle, ne dormait pas. Elle attendait les décisions de l’Évêché. On peut, en complétant le compte rendu du Moniteur par celui de la Chronique, reconstituer la nuit du 30 au 31. Quand le Conseil de la Commune, à l’ouverture de la séance, vers les huit ou neuf heures, a nommé les commissaires changés de le représenter le lendemain matin à la réunion des autorités, convoquée par Lhuillier, Chaumette l’informe « qu’il existe à l’Évêché une assemblée, dans laquelle il y a beaucoup d’agitation et qui pourrait inquiéter les citoyens. Le Conseil général, pour ôter aux malveillants tout sujet de la calomnier, arrête qu’une députation de quatre de ses membres se rendra sur-le-champ au lieu de cette assemblée pour prendre des renseignements sur ces opérations et en rendre compte séance tenante. »

Mais, sans doute, des renseignements nouveaux, et plus inquiétants encore, parvinrent au Conseil ; car le maire se décida à aller lui-même, accompagné de six commissaires, à la réunion de l’Évêché. Le Conseil de la Commune avait espéré un moment que l’arrêté du département suffirait aux délégués révolutionnaires, et il le leur avait envoyé dans la pensée « qu’il satisferait tout le monde ».

Il ne paraissait pas que cette communication eût suffi à ramener sous la conduite des autorités constituées les forces d’insurrection. Pache allait donc s’informer de l’état des esprits et tenter un dernier effort en faveur de ce qu’on pourrait appeler la légalité insurrectionnelle.

Pendant son absence, « un membre demande que le Conseil général jure d’être fidèle aux principes de la République et de défendre les propriétés. » Était-ce pour revêtir d’un manteau légal l’insurrection qui se préparait ? Était-ce pour donner, au contraire, aux révolutionnaires de l’Évêché un avertissement ? Il est difficile de le démêler ; mais ce qui est sûr, c’est que le Conseil de la Commune était hors d’état de prendre des décisions nettes, il était comme dominé par la pensée de l’assemblée voisine, et il attendait : « La discussion s’ouvre et le Conseil ne statue rien. »

Pache se heurta, à l’Évêché, à des résolutions irrévocables, et il ne put que les constater. Il reconnut vite que toute insistance serait vaine, car, avant dix heures, il revenait à la Commune. C’est à ce moment que Garat l’attendait pour l’emmener au Comité de salut public. Pache, laissant Garat dans l’antichambre, et entrant au Conseil, « expose qu’il s’est fait donner lecture des arrêtés pris dans cette assemblée. Le premier consiste à renouveler le serment de respecter les propriétés. Par le second, elle se déclare en insurrection ; elle regarde, comme mesure indispensable, la fermeture des barrières. Le maire et ses collègues ont fait sentir à cette assemblée le danger et même l’insuffisance de cette fermeture, et leur a démontré qu’une insurrection n’était légale que lorsqu’elle était nécessaire ; qu’elle n’était pas nécessaire, que les mesures partielles sont dangereuses ; il l’a invitée à ne pas tenir à ces deux parties de son second arrêté, et lui a proposé de suspendre, au moins jusqu’à la conférence qui doit avoir lieu demain, aux Jacobins, l’exécution de mesures extrêmes qui doivent être longtemps mûries, vu leur importance ; l’assemblée, a-t-il ajouté, persiste dans ses arrêtés et j’ai cru devoir me rendre à mon poste. »

Cartes de la section de Guillaume Tell
(D’après un document de la Bibliothèque Nationale.)


C’était net : dès dix heures du soir, l’Évêché avait assumé l’insurrection du lendemain. Le pauvre Garat fait effort pour nous persuader qu’il y avait une harmonie presque complète entre Pache et lui. Si la Commune elle-même désapprouvait l’insurrection et se trouvait cependant hors d’état de l’empêcher, qui pourra blâmer le ministre, beaucoup moins riche que la Commune en moyens d’action, de n’avoir pas pu maîtriser les événements !

« Pache déplorait, et je déplorais avec lui » !

C’était, semble-t-il, une déploration générale, une symphonie triste où le gémissement ministériel répondait au gémissement municipal. Il y a pourtant une nuance. Pache ne parlait guère, et Garat bavardait infiniment. Pache savait ce qu’il voulait, et Garat ne le savait point. Pache avait pris son parti sur la question essentielle : sur l’élimination nécessaire de la Gironde. Il différait avec l’Évêché sur le choix des moyens et de l’heure. Il aurait préféré, sans doute, que l’entraînement du peuple fût plus général et plus vaste. Il aurait souhaité que les autorités constituées de Paris eussent la conduite des opérations. Il craignait que la petite minorité exaltée de l’Évêché ne suppléât par des coups de violence, peut-être par des entreprises sanglantes, à la grande force populaire qui ne paraissait pas s’émouvoir encore suffisamment. Et c’est cette crainte qui lui donnait cette gravité silencieuse et un peu triste où Garat a cru voir un reflet de sa propre douleur bavarde et impuissante.

Mais si Pache avait des inquiétudes, du moins, il était décidé à marcher, même avec l’Évêché, s’il le fallait ; et devant le Comité de salut public, il s’abstenait de toute parole de blâme.

Il se réservait ainsi d’entrer dans le mouvement, quand l’heure décisive serait venue, et il se rassurait en se disant que si la journée du lendemain pouvait receler bien des secrets douloureux et des surprises sanglantes, du moins l’intention des meneurs, leur plan était de s’abstenir de toute violence contre les personnes. À coup sûr, Robespierre, Danton, Marat lui-même, avant de consentir au mouvement en avaient obtenu l’assurance, et le mot « d’insurrection morale » employé cette nuit même par Lhuillier devant le Comité de salut public exprimait la pensée non seulement des autorités constituées et du procureur syndic, mais aussi de la réunion de l’Évêché. Les Enragés, du moins quelques-uns d’entre eux, auraient voulu l’exécution immédiate, « l’exécution populaire » des Girondins. Quand, le 1er juin, à la Commune, Varlet se plaint que Pache n’ait pas été consigné pendant vingt-quatre heures (comme le fut Pétion au 10 août), quand il dit « qu’étant revêtu d’une autorité légale il peut être nuisible à la Révolution », il veut ouvrir libre carrière à toutes les violences des Enragés. Mais il n’ose pas proposer ouvertement le meurtre des Girondins. Et il est certain qu’un accord préalable s’était fait pour qu’il n’y eût pas, en ces journées révolutionnaires, effusion de sang. Plus tard, aux Cordeliers, dans la séance du 27 juin, le Lyonnais Leclerc accusait Danton et les dantonistes de s’être opposés, le 31 mai, aux mesures vigoureuses :

« Je demande que Legendre soit rayé du tableau des Cordeliers. N’a-t-il pas fait échouer les sages mesures que nous avons prises tant de fois pour exterminer nos ennemis ? C’est lui avec Danton qui, par leur coupable résistance, nous ont réduits au modérantisme dans les journées du 31 mai ; c’est Legendre et Danton qui se sont opposés aux moyens révolutionnaires que nous avions pris dans ces grands jours pour écraser tous les aristocrates de Paris ; c’est Legendre qui a paralysé nos bras ; c’est Legendre aujourd’hui qui dément nos principes. Je demande que, sans discussion, la société le chasse de son sein. »

On peut être assuré que Danton qui avait su, par la proposition des administrateurs de police Marino et Michel, jusqu’où pouvaient aller certains esprits, n’avait promis son concours si utile, qu’à condition que l’Évêché éliminât toute politique de massacre. Et les Enragés, qui auraient voulu en finir par un renouvellement des journées de septembre, rongeaient leur frein. Je trouve dans un rapport de police sur la séance des Cordeliers du 12 mars 1794 (publiée par Schmidt), une allusion très nette aux démarches faites par Chabot à la fin de mai et au commencement de juin pour empêcher le massacre des Girondins :

« Magnin ou Monin a demandé la parole sur l’existence d’une faction dans le sein de la Convention nationale. Il a dit que cette faction existait bien avant le 31 mai. Il en a cité pour preuve une démarche que Chabot et Léonard Bourdon firent auprès du Comité central qui venait de se saisir du pouvoir et qui dirigeait l’insurrection. L’orateur a pris à témoin un membre de ce Comité qui était présent à l’assemblée. Ce membre a dit que Chabot et Léonard Bourdon étaient effectivement venus trouver le Comité ; qu’ils avaient voulu se rendre compte des motifs qui faisaient agir le Comité ; qu’ils avaient menacé Paris de toute la vengeance des départements, si l’on portait la main sur un seul député ; qu’ils avaient dit que les chefs des députés, qu’on regardait comme ennemis de l’État, avaient donné leur démission ; que, par conséquent, ils ne seraient plus dangereux, et que l’insurrection devenait inutile…

« Hébert, qui avait vu venir Chabot et Léonard Bourdon au Comité central, a attesté la vérité de ce qu’on venait de dire. Il a dit qu’il fallait enfin déchirer le voile, que l’on voulait faire le procès aux patriotes qui avaient alors sauvé la République, qu’il fallait se reporter à cette époque. »

Certes, il est impossible de se fier pleinement à un rapport de police. Surtout en ces journées de mars 1794, où les hébertistes, attaqués par les dantonistes, cherchaient à prouver que seuls ils avaient combattu vigoureusement pour la Révolution, il se peut qu’Hébert et ses amis aient exagéré les sentiments de modération de Chabot au 31 mai. Je crois pourtant que celui-ci, qui, depuis les réunions du café Corazza, aspirait, comme nous l’avons vu, à servir d’intermédiaire entre les Jacobins et les Enragés, s’est employé à détourner ceux-ci de toute entreprise sanglante. Et je ne serais point surpris que Chabot eût agi en ce sens pour le compte de Danton. Aussi bien Hébert lui-même à cette date était pour « l’insurrection morale ». C’est lui qui, à la Commune, le 1er juin, réfutera Varlet. Le maire de Paris avait le droit d’espérer, à la veille de la grande crise, que le mouvement ne dépasserait pas les limites tracées par Robespierre, et qu’il ne serait pas compromis par des violences qui auraient, tout ensemble, affligé l’humanité et soulevé contre la Révolution parisienne l’implacable colère des départements. Il était donc décidé à suivre l’Évêché ou, tout au moins, à le laisser faire. La municipalité n’attendait plus qu’un prétexte d’abdiquer, en quelque sorte légalement, aux mains du Comité révolutionnaire. Si la majorité des sections se prononçait pour celui-ci, ne devenait-il pas, en vertu de la souveraineté populaire, le pouvoir légal ? Tout d’abord le mouvement des sections fut trop limité, trop partiel pour que la Commune pût s’effacer devant elles.

« La section du Luxembourg (sans doute vers minuit) informe le Conseil qu’elle a fait fermer les barrières de son arrondissement, et que l’assemblée générale s’est déclarée en sainte insurrection permanente. Le président répond que cette insurrection, n’étant que partielle, ne peut être sainte, ni approuvée par le Conseil. »

Une députation de citoyens de l’Évêché arrive à la Commune « et ils font part de l’arrêté par lequel se disant munis des pouvoirs illimités des sections ils déclarent la ville de Paris en insurrection contre les factions aristocratiques et oppressives de la liberté, et arrêtent pour première mesure de fermer les barrières. »

La Commune hésitait encore : car, qui sait si ces délégués des sections avaient vraiment les sections derrière eux ? Qui sait s’ils seraient soutenus et si des paroles l’Évêché passerait aux actes ? Aussi, « le Conseil passe à l’ordre du jour en attendant le vœu des sections ». Sans abdiquer encore, la Commune ne se considérait plus elle-même que comme un pouvoir provisoire sur lequel le peuple allait sans doute se prononcer.

Mais voici qu’à trois heures du matin, avant les premières lueurs de l’aube, le tocsin de Notre-Dame, sonné par la Révolution, éveille et ébranle Paris. Est-ce Marat qui a le premier tiré la corde, comme le conte Alphonse Esquiros en un récit plus romantique que certain ?

« Marat était à l’Hôtel de Ville ; impatient et inquiet, il promenait ses regards sur les quais endormis, le sang bouillonnait dans ses veines, son pied frappait la terre, la rage et le désespoir de l’attente l’agitaient avec des transports inouïs, quand l’idée lui vient de monter à l’horloge. Il y avait alors, à l’horloge de l’Hôtel de Ville, une cloche sur laquelle le marteau frappait les heures. La cloche était lourde, Marat était faible, mais la fureur lui donne des forces surnaturelles ; il saisit la chaîne qui servait à sonner le tocsin, il s’y attache, il s’y cramponne, il la serre entre ses genoux, il la mord avec ses dents, il se balance écumant de fureur au bout de cette chaîne. À voir ce petit homme grotesque acharné au beffroi, on dirait un de ces gnomes que le moyen âge croyait suspendus de nuit aux cloches des vieilles églises. Enfin la sonnerie, sous les secousses désespérées de Marat, s’agite ; ce démon de la révolte redouble d’efforts ; alors le marteau, soulevé à grand peine, retombe ; le beffroi s’ébranle ; il sonne. »

C’est un Marat d’invention, assez puérilement poussé par Esquiros au diabolique et au fantastique. Il était plus politique et plus rassis que cela ; et il ne se dépensait pas en efforts furieux et en grimaces écumantes. Ce n’est pas dans les notes de sa sœur qu’Esquiros a trouvé les éléments de ce récit. Est-ce dans ses souvenirs ? Est-ce ainsi que Marat s’était plû à représenter son action au matin du 31 mai ? Ou bien était-ce une tradition de la famille de Marat ? Lui-même, dans son journal, n’y fait aucune allusion. Il est vrai qu’il ne parle même pas de sa visite du 30 au soir à l’Évêché, et que, dans ces jours d’action fiévreuse, Marat, n’ayant pas le temps de tenir la plume, suspendit le Publiciste de la République française, du 31 mai au 4 juin.

Le Conseil général de la Commune ne se laissa pas convaincre par les premiers coups du tocsin. Espérait-il encore arrêter le mouvement et réserver toute l’initiative des autorités constituées ? Ou bien couvrait-il sa responsabilité devant la Convention par des protestations légales ? Il lance, par ses cavaliers, une proclamation aux sections :

« Citoyens, la tranquillité est plus que jamais nécessaire à Paris. Le département a convoqué les autorités constituées et les quarante-huit sections pour ce matin, pour les objets de salut public.

« Toute mesure qui devancerait celles qui doivent être prises dans cette assemblée pourrait devenir funeste.

« Le salut de la patrie exige que vous restiez calmes, et que vous attendiez le résultat de la délibération. »

Au tocsin se mêle la générale. Vers cinq heures, le Conseil de la Commune mande le commandant général pour savoir par quel ordre battent les cloches et les tambours. Mais le commandant général est absent ; le commandant de poste ignore où il est actuellement. Le Conseil décide qu’il sera battu un rappel pour inviter tous les bons citoyens à se rendre à leurs postes pour maintenir la tranquillité publique et faire cesser la générale et le tocsin. Confusion extrême ! car le rappel incertain et hésitant de la loi se mêlait au rappel de l’insurrection et, en grossissant l’émoi de tous, donnait au jour naissant une vibration révolutionnaire.

L’Évêché se décide à mettre de l’ordre dans ce chaos. Entre six heures et demie et sept heures, sous la pleine clarté du soleil déjà haut à l’horizon et qui entrait par les larges fenêtres de l’Hôtel de Ville, les commissaires des sections pénètrent à la Commune. Dobsent, président de l’assemblée révolutionnaire, s’assied au bureau comme s’il était déjà le maître, et il dit d’une parole brève : « Le peuple de Paris, blessé dans ses droits, vient de prendre les mesures nécessaires pour conserver sa liberté. Il retire les pouvoirs de toutes les autorités constituées. »

La Commune n’avait plus qu’à céder ; et elle cédait volontiers, un peu pour dégager sa responsabilité en ces heures redoutables et aussi parce qu’elle était entraînée par l’élan révolutionnaire des sections. Le vice-président du Conseil général s’appliqua à donner un air de légalité et de liberté à la soumission forcée de la Commune. Ce n’était pas devant la sommation de la force, c’était devant la souveraineté populaire, devant le vœu manifeste de la majorité des sections, qu’elle s’inclinerait :

« Citoyens, nous n’avons de fonctions que dans Paris. Les seuls citoyens de cette ville sont nos commettants ; c’est leur confiance qui nous a faits magistrats ; si leur confiance vient à cesser, notre magistrature cesse à l’instant même, car nous n’avons plus ni autorité, ni force, ni moyens quelconques, pour défendre les intérêts de la Commune, pour opérer aucun bien.

« Il n’est aujourd’hui personne qui ose révoquer en doute que du peuple vienne la toute-puissance, et que c’est pour lui seul et en son nom qu’elle doit être exercée ; de là cette conséquence universellement avouée que si le peuple a le droit d’instituer, il a aussi celui de destituer. Mais ce droit, qui est incontestable pour tous, ne l’est pas pour quelques-uns seulement ; son usage partiel ne peut avoir lieu ; il exige une majorité réelle, évidente, et légalement obtenue.

« Si vous avez cette majorité, citoyens, si vous en justifiez, nous vous remettrons aussitôt nos pouvoirs qui n’ont plus d’existence. Vouloir les retenir ne serait, de notre part, ni courage ni vertu, ce serait témérité et crime.

« Mais, à défaut de cette majorité telle qu’il ne puisse y avoir aucune incertitude sous aucun rapport, n’attendez pas de nous une complaisance qui ne serait que pusillanimité. Prêts à céder, comme c’est notre devoir, à la volonté de tous, nous saurons par devoir aussi résister au caprice du petit nombre. Il serait une tyrannie, et nous avons juré de n’en souffrir aucune.

« Citoyens, vous auriez beau prononcer sans droit notre destitution, vous ne nous la feriez point accepter. La menace et la violence même seraient vaines ; on pourra nous arracher de nos sièges, on ne pourra jamais nous en faire descendre. Je lis dans les yeux et dans les cœurs de tous mes collègues qu’il n’est pas un seul d’entre eux qui ne soit résolu à mourir, s’il le faut, sur son banc, comme je recevrais la mort sur ce fauteuil. »

Était-ce, comme le dit Mortimer-Terneaux, vaine affectation de courage dans une comédie réglée d’avance et tartufferie de légalité ? Je ne le crois pas. La Commune se rendait compte qu’elle serait inhabile à l’action révolutionnaire dont la nécessité éclatait. Mais elle savait aussi qu’elle était restée populaire jusque dans les sections, qu’elle représentait encore une grande force. Et elle voulait bien se plier à de nouveaux cadres de révolution, elle ne voulait point être humiliée. Sur un réquisitoire de Chaumette, Dobsent produisit les titres et mandats des délégués. Il résulta du dépouillement « que 33 sections avaient donné des pouvoirs illimités à leurs commissaires pour sauver la chose publique ». C’étaient les sections des Arcis, Bondy, Tuileries, Faubourg-du-Nord, Panthéon, Fontaine-de-Grenelle, Unité, Gravilliers. Quinze-Vingts, Popincourt, Marseille, Réunion, Faubourg-Montmartre, Quatre-Vingt-Douze, la République, Montrouge, Marchés, Halle-au-Blé, Montreuil, Piques, Amis-de-la-Patrie, Contrat-Social, Marais, Bonne-Nouvelle, Luxembourg, Pont-Neuf, Sans-Culottes, Temple, Arsenal, Bon-Conseil, Lombards, Droits-de-l’Homme, Cité.

Après cette vérification des pouvoirs, Chaumette proclame que le vœu de la majorité des sections est évident, et il demande que le Conseil général remette ses pouvoirs au peuple souverain. Dobsent prend le fauteuil. C’est, par lui, l’assemblée révolutionnaire qui s’installe, avec une sorte de légalité, à l’Hôtel de Ville :

« Citoyen président, leur dit Destournelles, et vous, citoyens membres de la Commission révolutionnaire agissant au nom du peuple, vos pouvoirs sont évidents ; ils sont légitimes. C’est maintenant que, sans faiblesse et sans honte, nous allons cesser nos fonctions. Puisque le peuple l’ordonne, nous le devons ; qu’il nous soit seulement permis, au moment où nous descendons de nos sièges, de vous demander, non une faveur, mais une justice.

« Rendez-nous le témoignage que nous trouvons dans nos consciences, que depuis que nous sommes en place nous avons montré constamment l’assiduité au travail, le zèle, le courage et même la dignité que nous ont commandée les circonstances difficiles où nous nous sommes trouvés.

« Que d’autres, avec plus de lumière et plus de talent, remplissent mieux ce que le peuple a droit d’exiger dans l’état présent des choses, c’est l’objet de nos vœux les plus ardents ; mais déclarez que nous n’avons pas démérité de nos concitoyens, et il n’est rien dont ne nous console et ne nous dédommage cette récompense, digne salaire de tous bons magistrats du peuple. »

Dobsent proclame « au nom du peuple » que les pouvoirs de la municipalité sont annulés. Les membres de l’ancien Conseil général de la Commune et ceux du Conseil révolutionnaire provisoire se lèvent dans un même élan d’enthousiasme ; tous, municipaux dont le mandat vient d’être brisé, délégués des sections, s’embrassent fraternellement pour attester qu’il n’y a ni dépit d’amour-propre chez les uns, ni orgueil de domination chez les autres, tous ensemble ils prêtent un serment civique fort, modéré et grave, destiné à calmer les appréhensions des timides, à rassurer et à entraîner tout le pays :

« Je jure d’être fidèle à la République une et indivisible, de maintenir de tout mon pouvoir et de toutes mes forces la sainte liberté, la sainte égalité, la sûreté des personnes et le respect des propriétés, ou de mourir à mon poste en défendant, les droits sacrés de l’homme. Je jure, de plus, de vivre avec mes frères dans l’union républicaine ; enfin je jure de remplir avec fidélité et courage les missions particulières dont je pourrai être chargé. »

C’est aux cris unanimes de : Vive la République ! que le Conseil annulé se retire. Et le nouveau Conseil, Conseil général provisoire, se constitue un moment sous la présidence de Dobsent, continuant dans leurs fonctions le secrétaire greffier et les deux secrétaires greffiers adjoints.

Mais le plan des révolutionnaires de l’Évêché n’était pas de se substituer à la Commune : il était de l’investir à nouveau, au nom du peuple soulevé ; par là, il la déliait de toutes les entraves de légalité, et il lui donnait un caractère ouvertement révolutionnaire, sans perdre le bénéfice de l’autorité acquise par elle, de sa vaste et solide popularité.

Aussi le Conseil provisoire « arrête qu’il sera envoyé, à l’instant, une députation au maire, au procureur de la Commune, au corps municipal et à tous les membres composant la municipalité, pour les inviter à se rendre dans son sein : ce qui est effectué à l’instant.

« Le président déclare, au nom du peuple souverain, que le maire, le vice-président, le procureur de la Commune et ses substituts, et le Conseil général de la Commune sont réintégrés dans leurs fonctions par le peuple souverain qui leur témoigne sa satisfaction de leur sollicitude constante et vraiment patriotique pour la chose publique.

« Le Conseil réintégré prête le serment civique aux acclamations de tous les citoyens des comités révolutionnaires des quarante-huit sections et des citoyens des tribunes. À partir de ce moment, le Conseil général de la Commune porte le titre de Conseil général révolutionnaire. »

En même temps, et par une opération analogue, l’Évêché cassait et réinvestissait les autorités du département. Il avait envoyé au département un délégué portant les trois arrêtés suivants :

« Paris, le 31 mai 1793 : L’an II de la République française (on continuait encore à compter à partir du 1er janvier, et les derniers mois de l’année 1792 formaient l’an I de la République), au nom du peuple souverain, au Directoire et au Conseil général du département de Paris.

« Les membres composant le Directoire et le Conseil général du département sont suspendus.

« Varlet, président provisoire ; Fournerot, secrétaire. »

« Paris, le 31 mai 1793, l’an II de la République.

« Le Comité, délibérant en vertu des pouvoirs qui lui ont été délégués par les commissaires des sections réunis à l’Évêché, a arrêté que le citoyen Wendling sera chargé de se rendre au département, à l’effet de suspendre le Conseil du département et le Directoire.

« Fait et arrêté au Comité,

« Varlet, président provisoire ; Fournerot, secrétaire

Et enfin : « Paris, le 31 mai 1793 :

« L’an II de la République française, au nom du peuple souverain, au Directoire et au Conseil général du département de Paris.

Carte de la section des Piques.
(D’après un document de la Bibliothèque Nationale.)
Carte de la section de l’Unité.
(D’après un document de la Bibliothèque Nationale.)


« Les membres composant le Directoire et le Conseil général du département de Paris sont réintégrés provisoirement dans leurs fonctions ; ils prêteront le serment entre les mains des commissaires, de remplir exactement les fonctions qui leur sont confiées et de communiquer avec le Comité révolutionnaire des Neuf, séant à l’Évêché.

« Varlet, président provisoire ; Fournerot, secrétaire. »

C’est en l’absence de Dobsent, retenu à la Commune, que Varlet présidait le comité exécutif de l’Évêché, et cela seul suffit à marquer l’importance des Enragés dans l’assemblée révolutionnaire des sections.

Au reste, pour le département comme pour la Commune, la réintégration n’est que provisoire.

Varlet, qui avait la frénésie du changement et qui aurait voulu exercer une influence exclusive sur la Révolution, tendait, sans doute, au renouvellement intégral des pouvoirs. Il était certainement hostile à cette investiture nouvelle. Mais il dut subir la discipline de l’espèce de contrat intervenu entre l’Évêché et Robespierre et Danton. Ainsi toutes les autorités constituées de la Commune et du département furent non pas éliminées, mais transformées. C’était vraiment une combinaison géniale, et qui eut les conséquences les plus heureuses. Tandis qu’au Dix-Août la Commune révolutionnaire s’était substituée à la Commune de Pétion, faisant surgir ainsi un pouvoir nouveau qui excita bien des rivalités et bien des ombrages, les délégués des sections, au 31 mai, se bornent à envelopper et à pénétrer de leur influence les pouvoirs déjà constitués.

Dès lors, jusque dans la Révolution, il n’y a pas rupture de continuité. La Commune allait prendre une allure nouvelle, plus vigoureuse et plus nette ; mais ce n’était pas la victoire d’une secte. Si l’Évêché avait triomphé seul, s’il avait balayé les autorités constituées, il aurait bientôt prétendu, comme fit un moment la Commune du Dix-Août, à une sorte de dictature. Entre cette dictature sectaire et la Convention, même épurée, il y aurait eu méfiance et bientôt choc.

Au contraire, la force de révolution créée par l’union de l’Évêché, du département et de la Commune était vaste ; elle n’obéissait pas aux mouvements excités de quelques patriotes fiévreux ; elle pouvait évoluer largement, en associant à son rythme toutes les énergies et toutes les popularités. Le service décisif rendu alors par le maire Pache à la France révolutionnaire fut précisément d’accepter, sans vain amour-propre, cet arrangement. S’il avait eu la vanité ombrageuse de Pétion, qui ne pardonna jamais à la Commune du Dix-Août le rôle secondaire où un moment elle l’avait réduit, il se serait offensé de cette cérémonie de l’annulation et de la réinvestiture qui paraissait faire de lui la créature et le délégué de l’Évêché. Silencieusement, et avec dignité, il accepta ce rôle, il maintint ainsi une large base à l’action révolutionnaire. Et grâce à lui, la Révolution put éliminer la funeste Gironde sans se réduire elle-même à l’étroitesse d’une secte. Par lui, l’Évêché s’incorpora à la Révolution, au lieu de se superposer ou même de se substituer à elle.

Pache, malgré sa modestie, avait la conscience du grand rôle qu’il avait joué alors, et plus tard, il le caractérisait en quelques lignes qui n’ont tout leur sens que pour ceux qui comprennent bien cette sorte d’adaptation révolutionnaire à laquelle il se prêta au matin du 31 mai :

« Si le huitième jour de ma mairie, j’ai empêché l’effusion du sang dans le pillage de la rue des Lombards, qu’avait préparé la faction royaliste par accommodement, pour donner occasion à Dumouriez de marcher sur Paris avec son armée, ineffusion de sang qui rendit sa lettre, dictée à l’avance, ridicule par l’authenticité de son mensonge, et vaine par la manifestation de l’intrigue ; si j’ai dissipé, sans coup férir, le rassemblement du 10 mars, à l’occasion duquel des patriotes égarés m’ont diffamé et me diffament encore tous les jours ; si, lors de la trahison enfin déclarée de Dumouriez, d’où suivit comme un torrent la rentrée des Autrichiens dans la Belgique, l’occupation de plusieurs de nos places frontières, la position de leurs avant-gardes à quarante-cinq lieues de la Convention, la perte de nos conquêtes sur le Rhin, l’invasion du département du Bas-Rhin, l’accroissement simultané de la Vendée qui s’approchait aussi de la Convention, j’ai maintenu le calme dans Paris et empêché que des députés traîtres, protecteurs du général traître, ne fussent victimes de la juste indignation des républicains exaspérés de tant de trahisons ; si, dans le mouvement, à l’occasion du renversement de la Commission des Douze, modèle des tyrannies depuis instituées pour parvenir au rétablissement de la royauté par la destruction des patriotes, j’ai maintenu, durant les journées du 31 mai, 1 et 2 juin, un ordre tel que Paris n’en a pas été bouleversé et démoli à n’y plus laisser pierre sur pierre, comme s’en flattaient les deux factions royalistes qui ne celaient, pas plus l’une que l’autre, leur haine pour cette ville, un ordre tel qu’il n’y a pas eu dans ce grand acte de la justice du peuple, qui a sauvé la République à cette époque, une seule égratignure, qu’il n’y a pas eu une vitre cassée ; si, dans les premiers moments, après ces journées mémorables, qui ne convinrent à aucune faction, à aucun parti, à aucune coterie, parce qu’elles ne convenaient qu’à la nation, les membres des comités, incertains, sans concordance, divisés, épars, laissant flotter les rênes, tandis que les agitateurs les plus puissants parcouraient avec les plus grands moyens les départements qu’ils tentaient d’égarer, redoublaient d’efforts dans la Vendée, organisaient la chouannerie, j’ai calmé les cœurs, éclairé les esprits, j’en ai imposé à l’un, j’ai adouci l’autre et soutenant presque seul le mouvement des rouages dans cette divagation des moteurs, empêché la dissolution de l’État désirée par la plupart, ce n’est pas, conclut Pache modestement, par l’effet d’aucun don personnel, mais par la nature même des attributions politiques dont le maire était revêtu. »

Oui, mais si Pache, par bouderie et mauvais orgueil, par susceptibilité à la Pétion, ou vanité déclamatoire à la Roland, n’avait pas accepté, dans la matinée du 31 mai, la collaboration un peu dominatrice de l’Évêché, il n’aurait pas maintenu la Commune comme la grande force à la fois motrice et régulatrice, révolutionnaire et prudente, qui sauva dans la crise l’unité de la Révolution, qui lui maintint son ampleur, et la préserva de la passagère dictature de sectes enfiévrées qui auraient répandu le sang, soulevé la France entière contre Paris : Pache a très bien noté que la révolution du 31 mai ne donna satisfaction à aucune des coteries qui se disputaient la prééminence. Elle ne fut ni robespierriste, ni dantoniste, ni hébertiste, ni enragée, elle fut largement révolutionnaire et populaire.

Mais qui pouvait, aux premiers coups du tocsin, savoir avec certitude que les colères et les passions des hommes seraient contenues dans de sages limites ? Les Girondins avaient, depuis plusieurs jours, le droit de craindre pour leur vie. Longtemps, ils avaient déclamé contre des périls imaginaires. Longtemps, ils avaient, en une rhétorique d’héroïsme ostentatoire, dénoncé les poignards levés sur eux, bien avant qu’aucun poignard fût levé.

Depuis quelques semaines, depuis que les sections avaient demandé que les vingt-deux fussent livrés au tribunal révolutionnaire, depuis que des motions forcenées se produisaient dans certains conciliabules, le danger se précisait. Le mélancolique appel de Vergniaud à ses mandants est le signe d’une croissante détresse morale. Brusquement, la Gironde, qui avait si souvent et si fastidieusement évoqué le fantôme de l’assassinat, voyait le péril prendre corps.

Dès le 8 mai, Lasource en une lettre à la Société populaire de Castres (republiée en 1889 par M. Camille Rabaud), parlait à ses commettants comme s’il était déjà dans l’ombre tragique de la mort :

« J’apprends avec indignation que quelques agents des scélérats qui veulent me faire égorger ici ne cessent de me calomnier au milieu de vous, pour me ravir votre estime ; ils veulent vous empêcher d’accorder quelques regrets à ma mémoire et de venger ma mort, qu’ils préparent par leurs machinations ténébreuses, qu’ils appellent par leurs sanguinaires dénonciations, qu’ils précipitent par le mouvement meurtrier que leurs manœuvres impriment à une masse d’ignorants dont ils trompent la bonne foi, et à une tourbe d’assassins dont ils dirigent les poignards… Voilà le sommaire de ce que j’ai fait. Est-ce là trahir ma patrie ? Ah ! si ce sont de telles trahisons qu’on m’impute, j’en ai commis, j’en commettrai encore ; car je travaillerai jusqu’à la mort au bonheur de mon pays. Les ambitieux, les traîtres, les hommes altérés de domination et de sang, peuvent bien me proscrire, mais non m’intimider ; ils peuvent m’arracher la vie, mais ils ne me feront jamais composer avec ma conscience… Que ceux qui veulent régner m’assassinent vite ; ils ont raison puisqu’ils ne peuvent régner tranquilles que quand je ne serai plus. Que ma tête leur soit livrée, puisqu’il la leur faut ; j’y consens, mais que ma mémoire reste pure. Je leur pardonnerai le crime de ma mort ; mais je ne leur pardonnerai point celui d’avoir voulu me ravir l’honneur avant de me ravir la vie… »

Les grandes épreuves qui approchent donnent quelque dignité à ce qui ne fut guère, bien souvent, qu’une déclamation frivole et funeste. La plupart des Girondins, dans la nuit du 30 au 31 mai, passèrent la nuit hors de chez eux. Ils craignaient d’être arrêtés dans leur lit. Pétion, en des pages d’une inspiration médiocre, où il ramène la marche terrible de la Révolution menacée aux proportions d’une intrigue menée contre lui, nous révèle le désarroi de la Gironde, surprise par des événements qu’elle-même avait déchaînés, et n’ayant même pas songé à un plan quelconque de résistance.

« Je suis un des exemples les plus frappants de l’inconstance populaire… Longtemps avant le 31 mai, les intrigants et les factieux qui désolent ma malheureuse patrie et la conduisent à l’esclavage, mettaient tout en œuvre pour détruire ma réputation et m’enlever la confiance dont je jouissais. Convaincu que je ne partageais pas leurs principes désorganisateurs et leurs maximes de sang, ils sentaient combien je pouvais leur nuire, combien mon ascendant sur le peuple nuisait à leurs desseins, combien dès lors il importait de me perdre.

« Il serait difficile d’énumérer tous les moyens qu’ils employèrent. Il suffit de dire qu’il n’en omirent aucun, et qu’un homme juste ne peut pas se faire une idée de toutes les ressources que les méchants ont pour faire le mal. Je vois d’ici avec quelle progression habile et astucieusement ménagée ils arrivèrent jusqu’à ce point de pouvoir dire au peuple qu’un des hommes qu’il avait le plus estimé et le plus chéri était un scélérat et un traître.

« J’ai vu bien des personnes ne pas revenir de leur surprise en comparant le passé avec le présent, se demander comment il était possible que le peuple eût ainsi changé à mon égard ; c’est qu’elles ne connaissent pas tout l’art de la calomnie ; c’est qu’elles ne savent pas jusqu’à quel degré la perversité a su le perfectionner de nos jours, c’est qu’elles n’ont pas suivi ni été à portée de suivre le fil des trames ourdies contre moi.

« Je m’étais dit depuis longtemps, je l’avais dit à mes amis : « Le peuple me haïra d’autant plus qu’il m’a plus aimé. » Aussi, je ne pouvais plus entrer dans le lieu de nos séances, ni en sortir, sans être exposé aux insultes les plus grossières et aux menaces les plus violentes. Combien de fois me suis-je entendu dire en passant : « Scélérat, nous aurons ta tête ! » et je ne puis pas douter que plusieurs fois on n’eût eu le projet de m’assassiner.

« Il faut avouer qu’il était cruel pour celui qui avait été si comblé des marques de la confiance du peuple, d’être ainsi l’objet de sa haine et de sa malédiction.

« Que lui ai-je fait ? me disais-je souvent ; ne suis-je plus le même ? Certes, il n’a pas de meilleur ami que moi, de plus sincère défenseur. J’étais tenté de le mépriser, je finissais par le plaindre et par déplorer son égarement. Je le jure, en recevant de lui la mort, je ne l’aurais pas haï. J’ai été et je serai toujours convaincu qu’il est bon, qu’il veut le bien, mais qu’on peut le porter également à tous les excès du crime, comme à l’amour et à la pratique de la vertu.

« Les nuages s’amoncelaient sur nos têtes, et l’orage était sur le point de fondre. Le 31 mai était le jour où la conspiration devait éclater, où la Convention devait être dissoute, où des victimes devaient tomber sous le fer des assassins. Le son lugubre du tocsin, les tambours battant la générale, les barrières fermées, les courriers des postes arrêtés, les lettres interceptées, les motions sanguinaires faites dans les tribunes des sociétés populaires, répétées dans des groupes nombreux, tout annonçait une grande catastrophe ; ce qui ne laisse aucun doute que le 31 mai était le jour fatal fixé par les conspirateurs, c’est que, à l’avance, ils avaient fait graver des cachets avec cette légende : Révolution du 31 mai, et ils ont eu l’audace de timbrer et de cacheter les lettres qu’ils ouvraient, qu’ils lisaient et qu’ils faisaient passer ensuite aux citoyens à qui elles étaient adressées.

« Ces misérables qualifiaient de révolution la plus misérable des révoltes, l’acte infâme qui renversait la liberté, et il s’est trouvé des hommes assez lâches, des autorités constituées assez viles pour applaudir à des excès aussi coupables.

« … Jusqu’à ce jour je n’avais pas voulu coucher ailleurs que chez moi, malgré les vives instances de ma femme et de mes amis. Je cédai enfin à leurs sollicitations, et je passai la nuit du 30 au 31 dans une maison de la Chaussée d’Antin.

« J’étais chez des vieillards tous respectables, mais il est impossible de peindre la frayeur qu’ils avaient. Ils croyaient à chaque instant voir la garde entrer chez eux, faire des perquisitions de la cave au grenier, le peuple entourer leur maison et l’incendier.

« Le matin, de très bonne heure, le mari et la femme entrèrent dans ma chambre tout éplorés, en me disant qu’ils étaient restés éveillés toute la nuit, que la générale battait. Je crois que j’eusse été sûr d’être pris en sortant que je n’aurais pas balancé à m’en aller, tant la situation de ces braves gens me faisait peine et tant je craignais qu’il leur arrivât quelque chose par rapport à moi.

« Je pris congé de mes hôtes, qui me virent partir avec regret. Je traversai tout le boulevard qui conduit jusqu’à la rue Royale. Je rencontrai de fortes patrouilles, qui ne me dirent mot, et je me réfugiai chez le citoyen…

J’y fus bien reçu ; j’y trouvai Brissot ; nous y passâmes une partie de la matinée, croyant à chaque pas qu’ayant été vus par le portier et par plusieurs personnes de la maison, nous allions être vendus et que le peuple se porterait à l’appartement où nous étions. Nous avions déjà bien examiné le local et préparé notre retraite. Un accident pensa nous déceler et ameuter tout naturellement le peuple autour de l’endroit où nous étions ; un petit morceau de papier jeté dans la cheminée y mit le feu avec la plus grande rapidité, la fumée sortait par gros flocons ; déjà les locataires et les voisins s’assemblaient ; nous fermâmes les portes et nous parvînmes à éteindre le feu avec la même promptitude qu’il avait pris.

« Je me rendis ensuite à l’Assemblée, en traversant les groupes les plus menaçants. »

Le premier acte du conseil général révolutionnaire avait été de désigner comme commandant général de la garde nationale (et en violation du décret de la Convention) le commandant du bataillon de la section des Sans-Culottes, Henriot. Il voulait donner une impulsion centrale et une direction unique au mouvement. Mais l’insurrection n’avait pas, si l’on peut dire, un courant très énergique et très net. Sous les coups répétés du tocsin, les citoyens prenaient leurs fusils, sortaient de leurs demeures, se réunissaient à l’entrée de la rue ou au poste de la section. Lentement, et par petits groupes, ils se dirigeaient vers la Convention, mais aucun mot d’ordre vigoureux et clair ne se dessinait, et nul n’aurait pu dire si tous ces hommes étaient des insurgés allant attaquer la Gironde jusque dans l’Assemblée nationale, ou des gardes nationaux veillant au maintien de l’ordre, ou des curieux flânant au soleil et allant aux nouvelles. C’était comme une mer sombre parfois, mais où se jouait la lumière et dont les vagues incertaines semblaient ne menacer aucun rivage.

En s’associant à la Commune pour élargir le mouvement, l’Évêché avait amorti sa fougue. Il me semble pourtant que Michelet exagère l’atonie et la passivité de Paris, il exagère aussi la résistance de la Commune aux mesures vigoureuses que prépare le Comité révolutionnaire séant à l’Évêché.

« Ce qui frappe et qui surprend, dit-il, dans les actes de l’époque, c’est l’éclipse à peu près complète de la population de Paris. Le nombre des votants aux élections de section est vraiment imperceptible. Sauf trois (des plus riches, la Butte-des-Moulins, le Muséum et les Tuileries) qui, dans ces jours de crise, apparaissent assez nombreux, les autres n’ont guère plus de cent votants, et presque toujours le nombre est bien au-dessous. Celle du Temple, pour une élection importante, n’en a que 38. On peut affirmer hardiment, en forçant même les chiffres et comptant cent hommes pour chacune des 48 sections, que toute la population active politiquement (dans cette ville de 800 000 âmes) ne faisait pas cinq mille hommes… Paris, en réalité, avait donné sa démission des affaires publiques. »

Pourtant, en mai, l’animation des sections fut parfois extrême. Ce qui est vrai, c’est qu’il y avait incertitude et division plus qu’indifférence. Quand Michelet insiste sur le petit nombre des votants, par exemple sur le petit nombre de voix qu’en novembre 1792 Lhuillier eut au scrutin, il oublie que même en septembre, même aux élections générales pour la Convention, le nombre des votants fut extrêmement faible. Paris votait peu alors, même aux jours où l’esprit public était le plus surexcité et le plus agissant, comme au lendemain du Dix-Août.

Mais, au 31 mai, la masse du peuple était sollicitée par des forces contraires. Au Dix-Août (quoique le nombre des combattants qui investirent les Tuileries fût assez faible) l’élan de Paris était unanime ; tous les révolutionnaires se jetaient dans le même sens. Tous ils voulaient ou briser la résistance de la royauté ou la royauté elle-même.

Au 31 mai, le peuple désirait en finir avec la tyrannie des Douze, avec l’esprit de coterie de la Gironde, avec ces divisions et ces querelles qui, en paralysant la Convention, paralysaient la Révolution elle-même. Mais un scrupule et une sorte de remords se mêlaient à cette pensée. N’était-il pas criminel, n’était-il pas dangereux d’attenter à la Convention, d’entamer la représentation nationale ? Et une inquiétude aussi se propageait parmi les artisans : qui sait si la propriété même des travailleurs, ne serait pas mise en question et en péril ? Le courant révolutionnaire, contrarié par toutes ces résistances, se développait avec lenteur comme un cours d’eau obstrué qui se meut difficilement sur une pente incertaine. Mais est-ce là une démission politique collective de Paris ?

L’animation, au 31 mai, quoique un peu ambiguë, était cependant immense. Je sais bien qu’il ne faut pas accorder grand crédit à ce que raconte Prudhomme dans ses Révolutions de Paris : c’est un mercanti, un lâche et un fourbe. Le même homme qui avait si traîtreusement calomnié, il y a quelques semaines, les patriotes des sections, les révolutionnaires des Comités, se met soudain, sous l’impression des événements de la fin de mai, à aduler Hébert, à glorifier platement « ces feuilles du Père Duchesne, cadre heureux, et plus propre peut-être à l’instruction du peuple que tous ces beaux plans d’éducation qu’on nous a tracés jusqu’ici. » Les jurons du Père Duchesne, ses violences sans sincérité et sans âme, tout cela vaut mieux que le plan de Condorcet ! Le pleutre, tenant à magnifier Paris après l’avoir dénigré, donnait à la journée du 31 mai l’aspect le plus grandiose, et, encore une fois, il faut se méfier de lui. Il est difficile cependant qu’il ait imaginé tous les traits du tableau :

« Quel imposant spectacle offrait Paris !Près de 300 000 citoyens sous les armes, car toutes les municipalités du département et même au delà (5 000 hommes accourent de Versailles) s’empressèrent de donner leur contingent à cette paisible insurrection, 300 000 citoyens, disons-nous, rassemblés au premier son du tocsin. »

Beaulieu, qui prenait des notes au jour le jour, et qui a publié : Les souvenirs de l’histoire ou le Diurnal pour l’an de grâce 1793, écrit à propos du 31 mai :

« Cependant toute la ville de Paris était sous les armes, sans savoir à quelle fin… Ici, pendant tout le jour, la Convention fut entourée de vingt à trente mille hommes, ignorant la plupart pourquoi on les tenait assemblés. »

Carte de la section Mucius Scevola.
(D’après un document de la Bibliothèque Nationale.)
Carte de membre de la Convention Nationale.
(D’après un document de la Bibliothèque Nationale.)


Les Révolutions de Paris notent que, vers la fin de la journée, le faubourg Saint-Antoine à lui tout seul mobilisa 12 000 hommes. C’est plus qu’il n’avait mis en mouvement aux plus grandes journées. Dulaure dit :

« Dès les cinq heures du matin, on entend dans toutes les rues le rappel battre, le tocsin sonner dans tous les clochers de Paris ; chaque citoyen se porte en armes à sa section ; les barrières sont fermes. »

Il n’y avait donc pas inertie et indifférence, mais ce peuple immense et actif, qui se débattait dans une crise obscure, ne savait au juste où était le devoir, où était l’intérêt de la liberté et de la patrie. Les Révolutions de Paris ont bien marqué cet état d’attente incertaine, de contrariété et de flottement.

« Avant de prendre les armes, les citoyens de Paris ne délibèrent pas s’ils doivent les prendre ; ils courent d’abord à leurs piques, à leurs fusils, à leurs canons comme au plus pressé ; ce n’est qu’après avoir cherché l’ennemi qu’il faut combattre sans le trouver, ce n’est qu’à la fin du jour qu’ils se sont demandé : « Mais depuis vingt-quatre heures que nous sommes sur pied, on ne nous a pas dit encore ce qu’on veut de nous. Pourquoi cette alerte générale, prolongée jusqu’à la nuit ? Où faut-il aller ? Contre qui faut-il diriger nos baïonnettes et pointer nos pièces ? »

« Il leur a été répondu d’une part : « C’est un grand coup que nous voulons porter à des contre-révolutionnaires qui entravent la marche rapide des travaux de la Convention, et qui sans doute ont une faction toute prête à se déclarer en leur faveur, si on ne leur en impose avec un appareil redoutable et une contenance aguerrie. »

« D’une autre part, on leur a dit : « Restez immobiles à vos postes ; prenez garde, ne devenez pas les instruments d’une faction contre une autre ; à la faveur du canon d’alarme et du tocsin, des autorités monstrueuses, des pouvoirs antirévolutionnaires vont vouloir s’élever ; ils vous proposeront, pourvu qu’ils vous trouvent dociles, des proscriptions sanglantes. Soyez sourds, et que les auteurs de tout ce bruit en redoutent pour eux-mêmes la catastrophe. »

Autour de la Convention qui ouvre sa séance dès six heures, se presse une force armée très mêlée ; les premiers députés, accourus au son du tocsin, voient, au témoignage de Levasseur, « deux mille sectionnaires girondins remplir la place du Carrousel, où se précipitèrent également une foule d’insurgés ». C’étaient comme de vastes flots remués par des vents contraires. Si la Gironde avait eu un mot d’ordre précis, vivant, actif, vraiment révolutionnaire et national à jeter à ces foules, elle aurait pu l’emporter aussi bien que la Montagne. Mais qui donc, après toutes ses défaillances et toutes ses criailleries vaines, qui donc aurait pu croire en elle, si elle avait dit au peuple : Je suis l’énergie de la Révolution ? Au contraire, la Commune et la Montagne pouvaient crier à Paris : Qu’on nous débarrasse des disputeurs de la Gironde, et nous écrasons l’ennemi, nous balayons l’étranger.

Mais la Commune, effrayée de sa responsabilité, ne parlait à Paris que d’une voix un peu basse et sourde. Peut-être si, dès le début de la journée, elle s’était engagée à fond, si elle avait fait tirer d’emblée le canon d’alarme, si elle avait signifié au peuple de Paris, par proclamation et affiches, qu’il ne devait pas déposer les armes avant que la Convention, investie par lui, eût cassé la Commission des Douze et rejeté les vingt-deux, si elle avait ajouté que les magistrats municipaux allaient prendre la tête du mouvement et affronter les premiers le péril, peut-être ce mot d’ordre violent et précis aurait-il hâté l’insurrection incertaine et languissante. Mais la Commune avait peur d’être débordée par les Enragés si elle-même déchaînait et précipitait le mouvement. Elle avait l’espoir que de la vaste manifestation, un peu diffuse et pacifique, se dégagerait cependant pour la Convention une sommation assez nette. Pache voulait garder contact avec la Convention comme avec le comité révolutionnaire de l’Évêché, et il surveillait les événements plutôt qu’il ne les passionnait. Michelet va au delà de ce qu’il est permis d’affirmer quand il dit que dès le début de la journée il y eut conflit de tactique entre le comité révolutionnaire de l’Évêché et la Commune reconstituée :

« La Convention mande le maire ; que fera-t-on ? Varlet et les plus violents ne voulaient pas qu’on obéit ; ils prétendaient que le maire fût consigné comme le fut Pétion pendant le combat du 10 août. D’autres plus sages (Dobsent en tête, d’accord avec la Commune) pensèrent que rien n’était organisé encore, qu’on ne savait pas seulement si le nouveau commandant serait reconnu de la garde nationale ; ils décidèrent qu’on obéirait et que Pache irait rendre compte à la Convention. Tel fut le premier dissentiment. »

Mais il n’y en a pas trace dans les comptes rendus que nous avons. Je vois bien que le lendemain, 1er juin, à la Commune, Varlet se plaint que le maire n’ait pas été consigné pendant vingt-quatre heures, parce que « étant revêtu d’une autorité légale, il peut être nuisible à la révolution ». Je vois bien aussi qu’il se plaint que Dobsent ait contrarié les opérations du comité révolutionnaire. Mais tout cela, c’est un jugement porté après coup sur la journée du 31 mai. Et rien ne démontre que Varlet ait proposé le 31 mai au matin ce qu’il regrette le 1er juin qui n’ait pas été fait. Qui sait même si Varlet, qui était président provisoire du comité révolutionnaire, et qui devait se complaire en ce premier rôle, assistait à la séance du Conseil général de la Commune ?

Si, le 31 mai au matin, à propos de la lettre de la Convention qui mandait Pache, un incident de cette gravité s’était produit, si plusieurs délégués révolutionnaires avaient proposé de braver la Convention, le compte rendu l’aurait sans doute noté, car il s’arrête assez longuement aux discussions provoquées par la démarche de Pache :

« On donne lecture d’une lettre par laquelle le président de la Convention nationale invite le citoyen maire à se rendre dans son sein pour lui rendre compte de l’état actuel de Paris.

« Des membres proposent que le citoyen maire soit accompagné d’une garde imposante, prise dans la force armée des quarante-huit sections.

« Le maire observe que, satisfait de se trouver au milieu de ses collègues, il désire seulement qu’une députation du Conseil l’accompagne à la barre de la Convention nationale.

« D’après ces observations le Conseil nomme une députation pour l’accompagner.

« Sur le réquisitoire du substitut du procureur de la Commune, le Conseil déclare, au nom des quarante-huit sections, qu’il met sous sa sauvegarde le citoyen maire de Paris. »

Je ne crois pas que la question de savoir si le maire obéirait ait été posée.

De même, Michelet ne force-t-il point beaucoup les choses quand, à propos du canon d’alarme, il oppose catégoriquement la tactique de l’Évêché à celle de la Commune ?

« Le second (dissentiment) fut la question de savoir si l’on tirerait le canon d’alarme. Depuis les jours de septembre, ce canon était resté l’horreur de la population parisienne ; une panique terrible pouvait avoir lieu dans Paris, des scènes incalculables de peur et de peur furieuse. Il y avait peine de mort pour quiconque le tirerait. Les violents de l’Évêché, Henriot, en donnaient l’ordre. Ici encore, la Commune décida contre eux qu’on obéirait à la loi, et qu’il ne fût point tiré. Chaumette donna même l’ordre qu’on fît taire le beffroi de l’Hôtel de Ville que les autres s’étaient mis à sonner sans permission. »

Ce n’est point exactement cela que je vois dans les témoignages qui nous sont restés.

« Les citoyens chargés de faire tirer le canon d’alarme rendent compte de leur mission. Ils annoncent qu’on n’a pas voulu reconnaître l’ordre dont ils étaient porteurs, attendu que cet ordre n’était point revêtu des formalités requises ; qu’en vain ils ont représenté que, dans les moments de révolution, on ne s’attachait pas aux formes ordinaires ; qu’enfin l’ordre n’a pu être mis à exécution.

« Le Conseil charge de l’exécution de cet ordre le comité révolutionnaire séant à la Maison commune…

« Un membre du Comité révolutionnaire annonce qu’on va tirer le canon d’alarme. Le Conseil arrête qu’on sonnera sur-le-champ le tocsin de la Maison commune ; qu’il sera donné des ordres au commandant général pour préserver les établissements publics, les différentes caisses et dépôts, et mettre une garde nombreuse auprès des prisons, et notamment à l’Abbaye, où se trouvent des otages précieux que nos ennemis auraient grand intérêt de nous enlever. »

Enfin, assez tard, entre midi et une heure « on annonce que l’on n’a