La Constitution australienne et son fonctionnement

La constitution australienne et son fonctionnement
Biart d’Aunet

Revue des Deux Mondes tome 36, 1906


LA
CONSTITUTION AUSTRALIENNE
ET
SON FONCTIONNEMENT

Dans mes études précédentes, j’ai cherché à mettre en relief les traits principaux de la société australienne, puis à décrire la physionomie du mouvement socialiste qui joue un rôle si important dans le développement de la grande colonie britannique des antipodes[1]. Je voudrais aujourd’hui donner un aperçu de la Constitution de l’Australie fédérée, au moins dans ses dispositions essentielles, et des conditions dans lesquelles elle a fonctionné depuis sa mise en vigueur. Ainsi se trouvera complétée une revue sommaire des influences intellectuelles, populaires et politiques dont l’ensemble gouverne ce vaste continent et prépare ses destinées.

Dans les manuels où nous apprenions jadis les élémens de la géographie, tous les pays plus ou moins civilisés étaient rangés en trois types : les États souverains, les États vassaux ou tributaires, et les Colonies. Cette brève nomenclature est devenue insuffisante. Des situations nouvelles et complexes ont été créées, qui ne rentrent dans aucune des catégories classiques. La Crète, Cuba et l’Egypte, par exemple, ne sont ni des États souverains, ni des États vassaux, ni des colonies. Les privilèges et les responsabilités dérivant de leur autonomie sont restreints, autant dire annulés, par la tutelle d’influences étrangères, contestée en principe, imposée et dominante en fait.

En dehors de l’ancienne classification, on trouve encore d’autres pays, dont la situation politique, plus stable et mieux définie, est à l’inverse de celle des précédens : émanations et satellites d’une grande puissance, se développant sous son égide, protégés par son drapeau qui est aussi le leur, ils ont les apparences de la sujétion, tandis que, maîtres de leurs affaires intérieures, ils jouissent en réalité d’une indépendance comparable à celle des États souverains. Pour être au même rang, il ne leur manque que le droit d’accepter les responsabilités des conflits qu’ils pourraient avoir avec eux. Ces heureuses contrées sont celles à qui l’Angleterre, après les avoir dotées et équipées, a concédé la permission de se gouverner elles-mêmes. Elles se nomment Terre-Neuve, le Cap, Natal, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Elles couvrent une étendue de 16 millions de kilomètres carrés. Leur population est d’environ 14 millions d’habitans, dont 12 millions de race blanche, en très forte majorité britannique.

Aussi longtemps que les occupans de ces territoires se livrèrent exclusivement aux soins de leur organisation intérieure et de la mise en valeur du sol sur lequel ils étaient établis, les phases de leur vie nationale n’eurent que l’intérêt d’une expérience de colonisation. Il n’en est plus ainsi depuis qu’en certaines parties du monde, ils se sont avisés de s’unir entre eux, de mettre en commun des intérêts considérables, et par cela même ont créé des aspirations nationales dans des contrées où jusqu’alors n’existaient que des besoins purement locaux. Le mouvement fédératif qui, de 1867 à 1873, a produit le Dominion of Canada, qui s’est affirmé en 1900, donnant naissance au Commonwealth of Australia, et résoudra peut-être, par la même formule, le délicat problème de l’union des possessions anglaises Sud-Africaines, est devenu un facteur politique intéressant toutes les puissances civilisées.

Absorbés par les incidens des affaires européennes, et surtout par nos stériles querelles intérieures, nous ne prêtons pas une attention suffisante à la question des rapports de la Grande-Bretagne avec ses dépendances d’outre-mer. Il en est peu cependant, étant donnée la direction où nous avons engagé notre diplomatie, dont nous ayons à nous préoccuper davantage. Suivant que les liens si légers, mais encore résistans, qui unissent les grandes possessions autonomes de l’Angleterre à la mère patrie se resserreront ou se relâcheront, la politique anglaise s’orientera dans des voies différentes. La rupture de ces liens n’est pas à prévoir, du moins à brève échéance ; mais, en supposant que cette grave éventualité ne se réalise pas avant une époque lointaine, et ne considérant que les circonstances du moment présent, il y a apparence que l’opinion publique en Angleterre devra bientôt se prononcer entre deux doctrines presque diamétralement opposées. Toutes deux s’abritent sous l’expression d’« impérialisme, » qui, prise dans son sens naturel d’autoritarisme, ne conviendrait qu’à l’une d’elles ; et de là vient peut-être que nous ne les distinguons pas bien l’une de l’autre.

C’est entre l’impérialisme classique, envahisseur, fondé sur l’isolement politique et commercial de l’Empire, gouverné par un organisme mixte dont personne encore, — pas même M. Chamberlain, — n’a osé indiquer la formule, et l’impérialisme libéral, respectueux de la complète indépendance de ses possessions, maintenu, non par des attaches artificielles, mais par la persistance des sympathies de race et le souple lien des intérêts communs naturels, qu’il va falloir choisir. Ce choix décidera implicitement de l’abandon ou de la consolidation de l’entente franco-anglaise et, par conséquent, pèsera sur notre politique.

Or, c’est le sentiment de ses colonies qui déterminera l’Angleterre. Nous n’avons à ce sujet que des informations vagues, même contradictoires. Les colonies britanniques, nous assure-t-on, sont « loyales. » Encore faudrait-il s’entendre sur le mot de loyalisme. La définition claire n’en a pas été donnée. On sait seulement qu’il n’implique à aucun degré le renoncement aux droits acquis, c’est-à-dire aux droits inscrits dans les constitutions octroyées par la mère patrie, ni à ceux qui résultent indirectement de la pratique réciproquement acceptée de ces constitutions. Les partisans de l’impérialisme exclusif auraient donc à concilier d’abord l’irréductible résistance des colonies autonomes à aliéner une partie des libertés dont elles jouissent, avec l’exécution d’engagemens qui, nécessairement, en limiteraient l’exercice. Pour avoir une opinion sur les difficultés de ce complexe problème, le mieux sera sans doute de connaître dans quelles conditions les colonies autonomes se sont unies, ce que les pactes de fédération contiennent en substance, dans quel esprit on les applique et quelles garanties de solidité ils présentent. Cet examen offre un intérêt d’ordre positif. Seul, il peut apporter à cette question de politique générale un élément d’appréciation d’une valeur non hypothétique. Les conclusions qu’on en pourra tirer seront encore hasardeuses ; elles ne seront pas, du moins, dénuées de quelque vraisemblance.

Parmi les colonies autonomes britanniques, deux groupes occupent une situation prépondérante. Elle est justifiée par la grandeur de leur territoire, l’importance de leur commerce, la valeur de leurs productions naturelles, et le montant de leurs dettes, dont l’Angleterre, — point capital, — est presque seule créancière. Ces deux groupes sont les fédérations canadienne et australienne. Le Dominion du Canada, en raison de sa situation géographique, n’est pas aussi libre que le Commonwealth australien de suivre ses impulsions. Son contact avec la grande république américaine, sur une frontière de 5 000 kilomètres, l’oblige à considérer l’Angleterre comme la protectrice nécessaire de libertés dont son absorption par les Etats-Unis ne lui assurerait pas un équivalent. La Constitution canadienne, datant d’une quarantaine d’années, reflète moins exactement que la constitution australienne l’esprit fédératif des colonies britanniques à l’époque actuelle. D’autre part, les rapports du Commonwealth australien avec la mère patrie, établis depuis six années, ont eu le temps de prendre consistance. L’étude de la situation de l’Australie dans l’Empire britannique est donc celle qui apportera le plus de lumière sur la physionomie des relations entre les colonies autonomes de l’Angleterre et leur métropole, telle qu’elle se présente aujourd’hui.


I

L’histoire du mouvement fédératif en Australie a été plusieurs fois retracée[2]. Il suffira de rappeler que l’initiative en appartient à sir Henry Parkes, le plus célèbre des hommes d’Etat australiens, qui fut premier ministre dans la Nouvelle-Galles du Sud. C’est la Convention nationale réunie sous sa présidence, en 1891, qui a fixé les principes de l’union future entre les six colonies. Mais les crises ouvrières et financières des années suivantes ne permirent pas de donner une suite immédiate à ces projets, et pendant ce temps, leur promoteur disparut de la scène politique. Ils furent repris en 1895 par M. G. H. Reid, qui venait de remplacer au pouvoir sir George Dibbs, successeur de sir Henry Parkes. Le plan de M. Reid était ingénieux. Il se fondait sur le consentement de la nation exprimé par le referendum, et conciliait la nécessité de faire appel dans chaque État au concours des hommes les plus capables avec les égards dus à l’autorité des parlemens locaux. Ce projet fut accueilli avec faveur. Cependant, le particularisme et l’esprit provincial avaient déjà de si profondes racines dans le pays que le succès final semblait plutôt douteux. Sans l’énergie, l’entrain et l’habileté que déploya M. Reid pendant quatre années consécutives, la fédération eût probablement échoué. L’expérience des années suivantes paraît démontrer que l’échec, en ce cas, eût été définitif.

Le programme du chef du gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud fut, malgré diverses vicissitudes, exécuté de point en point. Après l’élection d’une nouvelle Convention, dont les débats ne durèrent pas moins d’une année (février 1897-mars 1898), l’adoption du projet par chaque chambre de chaque parlement colonial, après deux referendums populaires et de nombreuses conférences entre les premiers ministres des futurs États, un texte définitif put être soumis à l’assentiment royal, en novembre 1899.

Cet assentiment se fit attendre, car ce fut seulement le 14 mai 1900 que M. Chamberlain, alors secrétaire d’État pour les Colonies, proposa au Parlement britannique d’approuver l’accord si heureusement mais si difficilement réalisé. Avant d’expliquer les motifs de l’hésitation du gouvernement anglais, il convient d’indiquer quelles étaient les dispositions principales de la nouvelle Constitution. Elle n’a d’ailleurs subi, comme on le verra plus loin, que des modifications insignifiantes jusqu’au jour de sa promulgation solennelle, et n’en a reçu aucune depuis cette date.

Au point de vue de l’organisation intérieure du pays, la Constitution australienne a créé, sous le nom de Gouvernement fédéral, un organe central auquel les six États confédérés, jusqu’alors indépendans les uns des autres, ont délégué irrévocablement une partie de leurs pouvoirs avec la mission de les exercer dans l’intérêt commun, en observant certaines règles et se soumettant à certaines obligations précises. La mesure dans laquelle cet abandon a eu lieu est la mesure même de l’autorité du gouvernement fédéral et de son influence sur la marche des affaires publiques.

On en peut indiquer d’un mot la caractéristique dominante en disant que la Constitution a transféré au gouvernement fédéral tout ce qui concerne ou intéresse « l’extérieur » et laissé aux gouvernemens des États l’administration des affaires exclusivement intérieures. Et déjà apparaît ce qu’il y a de singulier dans la situation de ce gouvernement auprès duquel les gouvernemens des États ne sont que des autorités de second plan, et dont la fonction principale est de veiller aux intérêts du pays dans ses relations avec le monde extérieur ; alors qu’en pure théorie diplomatique, il n’a à l’extérieur aucune responsabilité et n’y peut entretenir aucune représentation.

Mais revenons à la Constitution. Le gouvernement fédéral a donc pris possession du droit de légiférer et d’administrer en matière de commerce, de navigation, et de toutes questions connexes, y compris la plus importante, savoir l’établissement d’un tarif douanier uniforme (les douanes intercoloniales étant supprimées). En conséquence ou subsidiairement, il a dans ses attributions les droits d’accise, les primes à la production et à l’exportation, les postes et télégraphes, la défense militaire et navale, les services des phares, des quarantaines maritimes et des pêcheries, l’immigration et l’émigration, les questions de statut personnel (mariage, divorce, droits de parenté, etc.) et de naturalisation, la législation sur les banques, les assurances, les effets de commerce, les monnaies, poids et mesures. Ajoutons encore la faculté de prendre à son compte les dettes des États fédérés et d’acquérir (mais avec le consentement de ceux-ci) leurs lignes de chemins de fer, le droit de taxation et le droit d’emprunt, enfin qu’il est chargé du règlement de toutes affaires dites « extérieures, » spécialement des rapports du Commonwealth avec les îles de l’océan Pacifique, et nous aurons un aperçu presque complet des pouvoirs du Parlement fédéral australien.

Il semble, d’après cette énumération, que le gouvernement central ait laissé une bien faible part d’autorité aux gouvernemens des États. Ce n’est qu’une apparence. On doit remarquer d’abord que les attributions du gouvernement fédéral sont, comme aux États-Unis d’Amérique, et contrairement aux dispositions de la Constitution du Canada, limitées par cette énumération. Les États conservent donc tous les pouvoirs non expressément transférés. Ils peuvent continuer à vendre, louer ou affermer les terres de leur domaine, exploiter leurs chemins de fer, emprunter sur leur crédit propre, amortir et convertir leurs emprunts. A l’exception des douanes, accises, postes et télégraphes, ils établissent, suppriment, augmentent ou diminuent à leur gré toute taxation directe ou indirecte. Leurs Parlemens légifèrent en matière d’agriculture, de mines, de travaux publics, d’arbitrage, d’instruction publique et d’administration de la justice (hors les cas réservés à la juridiction des Cours fédérales).

De plus, et c’est un de ses points faibles, la Constitution, en accordant au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer sur certaines matières, n’a pas enlevé ce pouvoir aux Parlemens des États. Il va sans dire qu’en cas de conflit de législations, la loi fédérale est seule applicable. Mais, dans la pratique, combien de subtilités, de distinctions et d’objections peuvent trouver place dans une discussion d’espèce ayant pour point de départ les divergences entre la loi d’un État et celle du Commonwealth ! Or, les matières sur lesquelles la « concurrence législative » existe entre la Fédération et les États sont nombreuses et importantes. Les principales sont les questions d’immigration, de régime des banques, d’assurances et de faillites.

Indépendamment de cette dualité d’attributions, certaines restrictions contribuent à réduire le pouvoir législatif du Parlement fédéral. En matière commerciale, par exemple, ce pouvoir est borné aux relations du Commonwealth avec les autres pays et entre les États, tandis que les conditions du commerce dans l’intérieur d’un État restent, comme par le passé, soumises aux lois de cet État. En matière de taxation ou d’octroi de primes à la production et à l’exportation, le gouvernement fédéral doit respecter le principe d’une parfaite uniformité entre les États. Nous verrons plus loin que cette obligation peut avoir des conséquences contraires à l’intention qui l’a inspirée.

Ce sont les dispositions constitutionnelles se référant à l’institution du Sénat qui entravent le plus l’action du gouvernement fédéral relativement aux intérêts particuliers des Etats. La haute assemblée représente ces intérêts, comme aux Etats-Unis et au Canada ; et chaque Etat, quelle que soit son importance, y compte le même nombre de membres. Au Canada, où les sénateurs sont nommés par le gouvernement, celui-ci n’a guère à craindre de leur part une résistance obstinée à ses désirs ; d’autant moins qu’il peut, s’il le juge nécessaire, nommer de nouveaux sénateurs dont la présence transformera la minorité en majorité. En Australie, les sénateurs sont élus par le même mode de suffrage que les représentans, c’est-à-dire par le peuple. Leur autorité et leur indépendance du gouvernement en sont donc considérablement accrues, et les restrictions imposées au Sénat fédéral en matière budgétaire étant pratiquement illusoires, cette assemblée peut devenir prépondérante ; elle l’est même devenue. Comme les représentans des petits Etats, qui sont aussi les plus besogneux, y sont en majorité, alors que c’est le contraire dans la seconde Chambre, un conflit est toujours à craindre. Il résulte de cette situation que le gouvernement fédéral ne peut rester étroitement fidèle aux règles du système parlementaire britannique, fondées sur la suprématie de l’assemblée élue par la majorité des citoyens.


II

Les arrangemens qui déterminent les rapports du gouvernement du Commonwealth avec celui de la mère patrie forment, au point de vue politique, la partie la plus intéressante de la Constitution australienne, car ils donnent la mesure de l’indépendance du pays ou plutôt du minimum intangible de cette indépendance. Ces dispositions sont, dans leur ensemble, empruntées à la Constitution du Canada, mais avec d’appréciables différences. On y remarque l’intention d’écarter toute clause qui ne s’accorderait pas avec un maximum d’autonomie.

L’Angleterre a été amenée à faire, depuis un demi-siècle, de si larges concessions aux Self governing colonies qu’à moins de supprimer le lien d’obédience, il était difficile aux organisateurs du Commonwealth de découvrir quels nouveaux privilèges ils pourraient encore réclamer. La comparaison des textes permet cependant de constater que l’indépendance accordée à l’Australie est sensiblement plus marquée que celle dont jouit le Canada[3].

Sans nous attarder à cet examen, rappelons que le gouverneur général, représentant du gouvernement britannique, mais rétribué sur le budget local, remplit dans les colonies autonomes une double fonction. Il est, d’une part, le canal des rapports officiels entre le Colonial Office et les autorités fédérales ; et d’autre part, comme chef du pouvoir exécutif, il est le régulateur de la machine parlementaire. Ces dernières attributions ne comportent pas de responsabilité, car le gouverneur général ne peut prendre de décision que in council, c’est-à-dire avec l’avis favorable du Conseil des ministres. Dans la pratique, soit qu’il préside ce Conseil ou se dispense d’y paraître, ce n’est pas en sa présence que les questions sérieuses sont discutées et les résolutions adoptées. Le rôle politique du gouverneur général, sauf le cas de crise ministérielle, se borne à signer ce qu’on lui présente. Si le ministère vient à démissionner, il est tenu par un usage impératif de faire appeler le chef de l’opposition et n’intervient pas dans les négociations qui précèdent la formation du nouveau cabinet. La seule prérogative qu’il puisse librement exercer dans ces circonstances est d’accorder ou de refuser au premier ministre, s’il la demande, la dissolution de la Chambre des représentais.

Lorsque le gouvernement britannique désire se mettre en rapport avec les gouvernemens des colonies autonomes pour discuter avec eux des questions importantes, le rôle d’intermédiaire des gouverneurs généraux disparaît. Le Colonial Office traite ces affaires directement et verbalement avec les premiers ministres coloniaux. C’est ainsi qu’eut lieu à Londres, en 1902, une conférence présidée par M. Chamberlain, ministre des Colonies, où furent examinées les relations politiques et commerciales entre les diverses parties de l’Empire, ainsi que l’organisation future de sa défense. Aucun des gouverneurs généraux et gouverneurs n’était présent ni représenté à cette réunion dont les débats durèrent plus de deux mois, sans résultat appréciable, d’ailleurs. Une conférence analogue devait être convoquée cette année. Le changement de gouvernement qui eut lieu en Angleterre l’a fait ajourner au printemps prochain.

Dans la Constitution canadienne, il est stipulé que le gouverneur général exerce ses fonctions « conformément à ses instructions. » Ces derniers mots ont été omis dans le texte de la Constitution du Commonwealth. On a jugé préférable d’enlever au chef nominal du pouvoir exécutif la faculté de s’abriter derrière des instructions venues du dehors. Celles qu’il reçoit du premier ministre fédéral doivent suffire. Au surplus, conformément aux fictions qui jouent un rôle si important, — et si heureux, — dans l’organisation officielle des pays anglais, il est entendu que ce ne sont là que des conseils ; seulement il faut les suivre : There is no compulsion, but y ou must, dit le policeman irlandais.

Cependant, aucune loi ne peut ê re promulguée sur le territoire d’une dépendance de l’Empire britannique sans avoir reçu l’assentiment royal. La faculté de donner cet1 assentiment ou de le réserver à l’examen du gouvernement britannique, appartient, en Australie, ainsi que dans toute colonie autonome, au gouverneur général. En pratique usuelle, il approuve toujours et immédiatement. Si toutefois la loi en question affecte directement les intérêts généraux de l’Empire ou paraît en désaccord avec les termes d’un traité international en vigueur, le gouverneur général prend l’avis des law officers of the crown avant de décider s’il y a lieu d’approuver ou d’en référer à Londres.

Même dans ce dernier cas, on peut considérer l’assentiment royal comme presque certainement acquis d’avance. Nous verrons, en examinant le fonctionnement de la Constitution, que le gouvernement de Sa Majesté, bien que prévoyant sans doute les difficultés qui résulteraient, soit avec des pays étrangers, soit avec l’Australie elle-même, de l’application de certaines lois, les a néanmoins approuvées. Il a mieux aimé s’exposer à ces ennuis que de prononcer un veto contre les décisions du Parlement de Melbourne. Quelquefois pourtant, s’il s’agit de mesures de grande importance ou de projets pouvant donner lieu à des conflits avec la loi britannique, le gouvernement de la mère patrie, sollicité ou non, intervient avant que les Chambres fédérales en aient terminé la discussion[4].

Le gouverneur général du Commonwealth (non plus que celui du Canada) n’a le titre de vice-roi, réservé au gouverneur général de l’Inde et au lord lieutenant d’Irlande. Il ne correspond officiellement en Angleterre qu’avec le ministre des Colonies dont il dépend directement.

Hors l’institution de ce haut fonctionnaire qui, comme on vient de le voir, doit être doué de certaines facultés d’abnégation, le seul lien constitutionnel existant entre l’Australie et la Grande-Bretagne réside dans l’organisation de la juridiction suprême.

La Haute Cour fédérale, créée par la Constitution, possède des pouvoirs étendus et variés qu’il n’est pas nécessaire d’énumérer ici. Mais il convient de s’arrêter à l’examen de sa situation vis-à-vis du Conseil privé du royaume (officiellement du King in Council) afin de mettre en évidence l’atteinte portée à un principe jusqu’alors intact, celui en vertu duquel tous les jugemens rendus par les tribunaux des colonies ou dépendances britanniques sont, — ou plutôt étaient, — susceptibles d’appel devant le comité judiciaire de ce Conseil.

Lorsque, en novembre 1899, le texte du projet de Constitution de l’Australie, adopté à la suite de la procédure rappelée plus haut, parvint à Londres, M. Chamberlain, alors chef du Colonial Office, s’émut de l’esprit ultra-indépendant que reflétait ce document et trouva que les prérogatives dites royales n’y étaient pas suffisamment respectées. Tout en protestant de ses’ ardentes sympathies pour Je mouvement fédératif, il forma le dessein de faire modifier les termes du bill qu’on le priait de présenter à la Chambre des communes. En conséquence, il invita les colonies intéressées à envoyer quelques délégués pour s’entretenir avec lui des changemens à introduire et fit connaître en même temps la substance de ces changemens.

Les colonies s’empressèrent de répondre à son appel ; mais depuis l’époque où le Canada sollicitait la collaboration de la Métropole pour rédiger sa Constitution fédérale, les temps, ou, pour mieux dire, les idées, avaient changé. Dès leur arrivée à Londres, les délégués australiens firent savoir qu’ils avaient mandat formel de n’accepter aucune modification. L’acte fédéral avait été ratifié par le vote populaire dans chaque colonie. Ils en réclamaient l’approbation, tel qu’il était présenté. Ils soutenaient, non sans raison, que tout changement remettrait en question l’œuvre si laborieusement accomplie et pourrait même conduire à un échec définitif.

M. Chamberlain n’était pas disposé à assumer une responsabilité aussi grave, malgré les encouragemens des anti-fédéralistes qui lui adressaient d’Australie de très vives protestations. Il renonça donc aux amendemens qu’il avait préparés sur divers articles du projet, et concentra ses efforts sur l’article 74 qui, supprimant le droit d’appel au Conseil privé en matière d’interprétation de la Constitution fédérale et des Constitutions des États (quant aux rapports du Commonwealth avec les États et à ceux des États entre eux), lui paraissait inadmissible. Le droit d’appel au Conseil privé, de tout jugement, quel qu’il fût, était une question de principe, et le gouvernement britannique, disait-il, ne pouvait céder sur ce point. Les Australiens s’obstinèrent. C’était aussi pour eux une question de principe de ne pas mettre en discussion un texte approuvé par un referendum. Ils avaient d’ailleurs, pour justifier leur résistance, un autre motif. On ne le pouvait proclamer très haut ; mais il se fondait sur une considération des plus sérieuses. Les pouvoirs du gouvernement fédéral étant strictement définis par la Constitution, il ne semblait pas prudent de laisser au Conseil privé le soin de fixer les limites de leur application et de déterminer quels pouvoirs subsidiaires devaient logiquement dériver des premiers. On savait que les interprétations du Conseil privé au sujet de la Constitution canadienne s’étaient souvent inspirées de vues plutôt étroites et d’un esprit de littéralité. On tenait donc à ne confier la solution de ces problèmes, en ce qui concernait l’Australie, qu’à un tribunal national, mieux éclairé sur les besoins et les intérêts du pays, mieux à même aussi de rendre ses arrêts sans de trop longs retards.

Un compromis put enfin intervenir, dans lequel les Australiens eurent l’avantage, moyennant une concession de forme couvrant la retraite du Colonial Office. La prétention de constituer la Haute Cour fédérale en tribunal suprême des questions constitutionnelles fut maintenue ; mais cette même Cour eut le droit d’autoriser en ces matières l’appel au Conseil privé quand elle se croirait en état de certifier que, « pour quelque raison spéciale, » la question eu litige était de nature à être réglée par ledit Conseil[5].

Relativement aux contestations d’autre nature, le Conseil privé conserve le droit de recevoir les appels des jugemens de la Haute Cour fédérale ; toutefois, le Parlement du Commonwealth pourra limiter les matières sur lesquelles s’exercera ce droit. Ces lois restrictives seront soumises, il est vrai, comme les autres, à l’approbation du gouvernement britannique ; mais nous savons qu’il sera bien difficile de la refuser.

Il n’y a pas encore d’exemple de refus d’assentiment quant aux lois du Commonwealth[6]. Ainsi la prérogative royale, en matière judiciaire, a subi, dans cette circonstance, une double et substantielle diminution.


III

Le pacte fédéral ne pouvait évidemment rien innover au sujet des relations officielles de l’Australie avec les puissances étrangères. Ces relations, d’ailleurs, théoriquement n’existent pas. Le Commonwealth, d’après la fiction diplomatique, n’est toujours qu’une province anglaise. Cependant, en rédigeant leur Constitution, les Australiens ont inscrit, au nombre des pouvoirs du Parlement fédéral, celui de légiférer sur les affaires extérieures, spécialement sur les rapports de l’Australie avec les îles de l’océan Pacifique, et même institué un ministère des external affairs.

Strictement interprétées, ces clauses (dont la Constitution canadienne n’offre pas d’équivalent) semblent concéder au gouvernement australien la faculté d’avoir une politique étrangère. Cette autorisation serait justifiée par l’importance des intérêts que possède l’Australie au dehors et par le fait que ces intérêts sont différens de ceux de l’Angleterre. Pourtant, si large qu’elle soit, l’indépendance des colonies autonomes britanniques n’atteint pas encore ce qu’on pourrait appeler la zone dangereuse de la diplomatie ; et là où il n’y a pas de responsabilité, il n’y a pas de droit. Si les colonies autonomes n’avaient pas la sagesse et le tact nécessaires pour éviter des querelles, l’Angleterre devrait les prendre à son compte ou désavouer ses colonies. Pour se garder d’une aussi fâcheuse alternative, il eût été peut-être préférable de ne pas encourager en Australie des aspirations, honorables sans doute, mais au moins prématurées. Elles paraissent déjà d’une ampleur qui dépasse la mesure des ressources financières du pays et les moyens d’action dont il pourrait disposer en de pressantes circonstances.

Ainsi, le texte même de la Constitution fédérale a mis en évidence la situation imprécise des colonies britanniques autonomes vis-à-vis des pays étrangers. L’expérience du fonctionnement de la Fédération en a fait ressortir les inconveniens.

J’ai déjà signalé[7] le caractère original, mais exclusif et même presque agressif, de la législation australienne sur le commerce et la navigation, créée sous la pression du parti socialiste. Or, en ce pays, comme en tous pays neufs, l’expérience administrative des fonctionnaires est parfois un peu courte, leur zèle n’est pas tempéré par les traditions du service, et la connaissance du droit international est peu familière au personnel dirigeant. Ce concours de circonstances a pour effet de multiplier les incidens où des intérêts étrangers peuvent avoir de justes motifs de plaintes. Lorsque, en présence de réclamations fondées sur l’équité naturelle, les usages des autres nations, la pratique de la réciprocité, et même sur les textes de conventions en vigueur, le gouvernement fédéral, soucieux de se montrer énergique, éprouve néanmoins quelque embarras à justifier ses décisions, il est enclin à se dégager en disant que la question dont il s’agit est « impériale » et qu’il faut adresser les réclamations à Londres.

Le gouvernement britannique se trouve-t-il dans un cas analogue au sujet d’une question australienne, il fait observer que son désir de donner satisfaction aux demandes du gouvernement étranger ne lui permet cependant pas d’empiéter sur les libertés dont jouit l’Australie en vertu de sa Constitution. Il ne refuse pas ses bons offices, proteste de ses intentions conciliantes, s’offre à réclamer un complément d’informations, mais, en définitive, se dérobe. Grâce à ce ballottage, favorisé par l’inévitable lenteur de la correspondance entre des points si éloignés, l’affaire, avant d’avoir fait un pas, perd son actualité. De nouveaux incidens surgissent qui en détournent l’attention. On devine qu’elle n’aboutira pas, et on se contente de « nourrir » son dossier avec une croissante lenteur, jusqu’au jour où, plus qu’à demi oublié, il est classé, d’un geste discret, mais définitif, dans le carton où il dormira son dernier sommeil.

Si les relations de l’Australie avec les puissances étrangères, ont ainsi causé quelques désagrémens, c’est un peu la faute de celles-ci. Elles auraient dû s’apercevoir que le gouvernement fédéral ne regarde pas avec plaisir les pourparlers suivis à Londres sur des questions qui l’intéressent. Elles se sont strictement tenues dans le domaine de la fiction, croyant ou feignant de croire que les affaires des antipodes se règlent à Downing Street, alors qu’on s’y contente le plus souvent de les enregistrer.

La protection et le développement des intérêts de tout ordre des puissances continentales en Australie exigeait qu’on y préparât le terrain de négociations directes. Le gouvernement fédéral s’y fût prêté, et, pourvu qu’on eût observé les formes, le Colonial Office en eût certainement ratifié les résultats, à la demande du gouvernement fédéral Cette attitude aurait eu un autre avantage, et plus important que l’arrangement amiable de questions de détail, celui de nous faire prendre contact avec cet intéressant pays. Elle eût flatté son légitime amour-propre. Au lieu de l’abandonner aux suggestions de son isolement, elle eût fait naître en lui le sens, qu’il ne possède pas encore, des rapports internationaux et l’eût amené à une appréciation de ces rapports plus favorable à ses vrais intérêts.

A supposer cependant qu’on eût jugé nécessaire de ne traiter qu’à Londres les affaires australiennes, ou, — ce qui est peu probable, — que le gouvernement britannique l’eût exigé, il eût fallu, en cas de réclamations non satisfaites, être prêt à mettre directement en cause la responsabilité de ce dernier. Lorsque, par exemple, les autorités australiennes ont soumis les navires étrangers à des exigences insolites, donner avis à l’Angleterre que si l’emploi de ces procédés ne cessait pas en Australie, nous les appliquerions chez nous aux bâtimens anglais, c’eût été découvrir brusquement l’équivoque de la position du Commonwealth quant aux affaires « extérieures, » et peut-être a-t-on bien fait de ne pas pousser les choses à ce point. Mais alors, il fallait s’entendre avec les Australiens. En abandonnant franchement le recours à Londres et les invitant à rechercher les élémens de concessions réciproques, en leur montrant combien le commerce a déjà créé d’intérêts communs entre nous, on les eût trouvés abordables. En tout cas, on eût été mieux en situation de suivre les événemens, d’en discuter et probablement d’en atténuer les conséquences, au lieu d’être surpris par elles, obligé de les subir sans compensation, au hasard des expériences législatives ou administratives auxquelles le gouvernement fédéral emploie la meilleure part de son activité.

Ayant indiqué les principales caractéristiques de la Constitution australienne, nous allons examiner les conditions dans lesquelles elle a fonctionné depuis près de six ans, et rappeler les difficultés que ce fonctionnement a fait naître ou a rencontrées. Cette Constitution vient, pour ainsi dire, de terminer sa première campagne. La connaissance des incidens, — et des accidens, — de son voyage sur l’océan de la politique, et de la façon dont elle s’est comportée, permettra d’apprécier s’il est vraisemblable que l’Australie ait trouvé la forme définitive de son organisation ou si elle doit prévoir de nouvelles transformations dans un avenir peu éloigné.


IV

Recherchons d’abord quels résultats ont été obtenus, du lait de la Fédération, pour la bonne conduite des affaires du pays.

J’ai exposé combien avaient été laborieuses les négociations destinées à réaliser l’union fédérale et quelles larges concessions avaient dû être faites à l’esprit particulariste des colonies, né de la diversité et de l’inégalité de leurs intérêts, fortifié par l’état déjà avancé de leur développement économique. La Fédération australienne n’a pu, dans de telles circonstances, être qu’un minimum de fédération. De ce fait initial, résulte un minimum de cohésion, et par suite, une tendance instinctive du gouvernement central à se consolider aux dépens des gouvernemens des Etats. Ceux-ci, non moins instinctivement, résistent. Les conflits issus de la lutte de ces influences contraires sont d’autant plus difficiles à résoudre que, dans cette république d’organisation fragile et complexe, il n’existe pas, comme aux Etats-Unis, de fonction stable et prééminente qui désigne son titulaire au rôle de conciliateur, et moins encore à celui d’arbitre.

La coexistence, déjà signalée, de deux Chambres élues par le même suffrage, jouissant, — ou bien peu s’en faut, — des mêmes privilèges, mais représentant des intérêts différens, apporte dans l’organisme politique de la Fédération une autre cause de faiblesse et d’incertitudes.

Le premier ministre, conformément à l’excellente tradition anglaise, est le chef réel du gouvernement, grand avantage pour la direction générale des affaires. Son autorité (toutes questions de personnes mises à part) eût peut-être été suffisante à faire prévaloir une politique définie, si le Parlement avait été divisé en deux partis ou groupemens de partis. Mais, depuis l’inauguration du nouveau régime et pendant tout le cours des deux législatures, dont la dernière vient de prendre fin, une situation anormale a existé dans chacune des Chambres fédérales. La presse l’a très exactement qualifiée de « triangulaire. » Dans chaque Chambre en effet, on trouvait une majorité ministérielle à peine supérieure à la minorité d’opposition[8], et par conséquent d’une solidité douteuse, et un troisième groupe, indépendant, ne représentant pas une conception particulière des intérêts nationaux, mais les aspirations d’une classe : le labour party[9].

Le concours de ce dernier était donc nécessaire au gouvernement ; et ce concours devait être acheté. Le ministère, quel qu’il fût, ne pouvait se maintenir au pouvoir qu’en usant d’expédiens, multipliant les concessions et les promesses, utilisant avec opportunité les ressources de la procédure parlementaire, se pliant aux compromis, et gagnant du temps par un choix judicieux des dérivatifs, — c’est-à-dire des questions peu susceptibles d’exciter les passions politiques ou d’inquiéter les intérêts personnels des députés millions.

Il était utile de signaler d’abord cette situation, particulière à l’Australie, pour expliquer l’insuffisance du travail législatif du Parlement fédéral. La Constitution n’en est pas directement responsable. Elle n’est pour rien dans la formation du labour party. Ce n’est pas elle qui a inspiré l’égoïste tactique à laquelle il doit, jusqu’à présent, ses succès. Pourtant si, conformément aux traditions parlementaires anglaises, la dissolution de la Chambre avait été en Australie la conséquence habituelle de la chute du ministère, celui-ci aurait eu, dans le cours des sessions, les coudées plus franches pour gouverner les affaires du pays. La crainte de la dissolution n’est pas seulement, pour les politiciens professionnels, le commencement de la sagesse. Elle est souvent la sagesse tout entière. Le seul moyen peut-être de mettre un terme à la situation « triangulaire, » de contraindre le labour party à prendre position à droite ou à gauche au lieu de tenir commerce de complaisances avec le gouvernement, enfin de former une majorité stable, a working majority, eût été de faire usage de la dissolution jusqu’à ce que ce résultat nécessaire eût été obtenu. Mais, comme on l’a vu plus haut, la Constitution donne au gouverneur général seul le pouvoir d’accorder ou de refuser la dissolution de la Chambre au ministère qui la sollicite ; et pour des raisons qu’on ignore, le gouverneur général a pris l’habitude de ne pas agréer ces demandes.

Le Parlement fédéral a été inauguré, le 9 mai 1901, par S. A. R. le duc d’York, aujourd’hui prince de Galles. Si on en excepte le travail courant, le vote du budget et les lois dont l’objet fut de donner satisfaction aux exigences du labour party[10], la production de la première législature fédérale (1901-1903) s’est limitée à l’élaboration du tarif douanier et des règles du fonctionnement de la Haute Cour, laquelle ne fut constituée qu’en 1904. Les sessions de la seconde législature ont eu une durée inusitée, notamment la première, qui s’est prolongée de mars à décembre, et pendant laquelle se sont succédé trois ministères. Cette législature n’en a pas moins été presque entièrement stérile. Elle inscrit à son actif une loi sur le commerce extérieur concernant principalement les fraudes sur les indications de provenances et qualités des produits, une loi contre les trusts, visant l’importation des machines agricoles américaines, l’approbation d’un nouveau contrat postal pour les correspondances d’Europe, un arrangement de tarifs avec les possessions anglaises sud-africaines, et le rattachement au Commonwealth de l’administration de la Nouvelle-Guinée britannique.

Chaque gouvernement, en arrivant au pouvoir, apportait un vaste programme, et laissait ce même programme, presque intact, à son successeur, se réservant d’ailleurs de lui reprocher de le lui avoir pris.

Bien des questions urgentes cependant s’imposaient à l’attention du Parlement, et tout d’abord celles énumérées dans le texte même de la Constitution. En première ligne, le choix du site de la capitale, le rachat des dettes des États et le transfert au gouvernement fédéral des services des quarantaines, phares et balises, de la statistique et de la météorologie. Venaient ensuite, dérivant de nécessités pressantes ou d’obligations impératives, la création d’un emploi de haut commissaire devant représenter les intérêts de l’Australie auprès du gouvernement britannique, l’unification des taxes postales, la fusion des services des chemins de fer, la codification des lois des États sur la navigation, l’organisation après rachat à l’État de South Australia de l’immense territoire dit Northern Territory, et l’élaboration d’un plan pour la défense effective du pays. À cette liste incomplète, il faut ajouter, mais non au dernier rang, car l’État de Western Australia en avait fait une condition formelle de son entrée dans la Fédération, le commencement des travaux du chemin de fer destiné à relier cet État aux autres. Il en est encore séparé, quant aux communications praticables, par une traversée maritime de cinq jours.

Toutes ces questions, — sauf celle de la fusion des chemins de fer, — ont été plus ou moins étudiées par le gouvernement. On a ébauché des projets, on a nommé des commissions qui ont tenu de nombreuses séances, rédigé de volumineux rapports et dépensé des sommes assez importantes. Aucune, jusqu’à présent, n’a abouti à une solution, sinon partielle et provisoire[11].

Même en tenant compte très largement des difficultés que présentent plusieurs des problèmes administratifs ou financiers de l’organisation fédérale en Australie, il est évident que les résultats obtenus sont en disproportion avec un effort législatif prolongé pendant six ans. Cette impuissance est accentuée du fait que le tarif douanier, œuvre de la première session parlementaire, est aujourd’hui remis en question. Ce sera même, assure le premier ministre, le point capital de la lutte des partis aux prochaines élections. Ce tarif, pourtant, que les uns trouvaient trop protectionniste et les autres pas assez, a donné de bons résultats au point de vue budgétaire, et, abstraction faite de quelques anomalies faciles à corriger, s’adapte assez exactement à l’ensemble des besoins économiques du pays.

De ce qui précède, on peut raisonnablement conclure que le pacte fédéral, indépendamment des points déjà signalés, n’est pas en harmonie parfaite avec les circonstances en vue desquelles il a été établi. L’exposé des principales contestations survenues entre le gouvernement central et ceux des États permettra de préciser davantage ; quelques indications sur les difficultés du Commonwealth avec la mère patrie compléteront cet aperçu.


V

Le choix du lieu où devra s’élever la capitale a créé entre le gouvernement du Commonwealth et l’Etat qui occupe la place la plus importante dans la Fédération, celui de la Nouvelle-Galles du Sud, un conflit assez grave. Cette affaire, encore en suspens, procède de la rivalité proverbiale entre Melbourne et Sydney, plus vive encore depuis que cette dernière ville a pris l’avance sur sa concurrente[12]. On est, de part et d’autre, d’autant moins disposé aux concessions qu’il sera impossible de revenir sur la solution acceptée, aussitôt qu’elle aura reçu un commencement d’exécution. La rédaction défectueuse du texte de la Constitution est seule cause de cette difficulté.

Lors des négociations pour l’établissement du Commonwealth, il fut dès l’abord évident que Melbourne ne tolérerait pas la désignation de Sydney pour être la capitale, ni Sydney celle de Melbourne. Toutes deux, en conséquence, furent éliminées. Les délégués de l’État de Victoria concédèrent que la future capitale serait située en Nouvelle-Galles du Sud, mais pas à Sydney, et réciproquement, il leur fut concédé que le Parlement fédéral siégerait à Melbourne, mais provisoirement. Voici le texte de cet arrangement :

Article 125 de la Constitution : « Le siège du gouvernement du Commonwealth sera déterminé par le Parlement (fédéral) et sera dans un territoire qui aura été concédé ou acquis par le Commonwealth et qui lui sera incorporé et lui appartiendra, et sera dans la Nouvelle-Galles du Sud, et ne sera pas éloigné de moins de 100 milles (160 kilomètres) de Sydney.

Ledit territoire sera d’une superficie non inférieure à 100 milles carrés (26 000 hectares) et la partie de ce territoire qui consistera en terres de la couronne (domaine public) sera concédée à titre gratuit. »

La contestation porte sur ces questions : « Qui choisira ledit territoire et quelle en sera la superficie ? »

Deux autres articles de la Constitution se réfèrent, bien qu’en termes plus généraux, à la position du litige. On remarquera incidemment que les textes de ces deux articles ne s’accordent pas exactement entre eux. Les voici :

ART. 111. — « Le Parlement d’un État pourra céder une portion de son territoire au Commonwealth ; et après cette cession et son acceptation par le Commonwealth, ladite portion de territoire sera soumise à l’exclusive juridiction du Commonwealth. »

ART. 123. — « Le Parlement du Commonwealth pourra, avec le consentement du Parlement d’un État et l’approbation de la majorité des électeurs dudit État ayant voté sur cette question, accroître, diminuer, ou d’autre façon modifier les limites de cet État… »

Se fondant sur ces textes, le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud réclame le droit de choisir l’emplacement du site de la capitale fédérale, ne reconnaissant au gouvernement du Commonwealth que la faculté de fixer dans les cent milles carrés de cet emplacement l’endroit où il lui conviendra de construire les édifices comprenant le « siège du gouvernement » et les services publics.

Le gouvernement fédéral conteste cette prétention. D’après lui, l’article 125 seul est à considérer. Dans cet article, les mots « Seat of government » signifient « la capitale, » autrement dit le territoire où elle devra s’élever et par conséquent, c’est au Parlement fédéral à choisir ce territoire. Si la Nouvelle-Galles du Sud n’agrée pas ce choix, on verra s’il est possible d’en proposer un autre ; et, en attendant qu’un accord s’établisse, le gouvernement restera à Melbourne : Beati possidentes.

Pour donner à cette interprétation l’autorité du fait accompli, ou du moins officiel, le Parlement fédéral vota, en 1904, une loi décidant que la capitale serait en un lieu nommé Dalgety, situé à 300 milles de Sydney, et que le territoire environnant, d’une superficie, non de 100 milles carrés, mais de 900 milles carrés, s’étendant jusqu’à la frontière de Victoria et ayant, d’autre part, accès à la mer, serait cédé par le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud à celui du Commonwealth. Cette décision fut considérée à Sydnev comme un acte hostile. Le Parlement de l’État, d’accord avec le ministère, s’opposa à toute négociation sur de pareilles bases, et l’affaire fut ajournée de nouveau. À Melbourne, on n’en demandait pas davantage ; la manœuvre avait réussi.

Cependant, les relations entre les deux gouvernemens se tendaient de plus en plus. En août 1905, le premier ministre de la Nouvelle-Galles du Sud, après d’inutiles pourparlers, suggéra au gouvernement fédéral de soumettre à la Haute Cour l’interprétation de l’article 125. On lui répondit qu’on allait examiner la question. En novembre, les choses étant toujours au même point, nouvelle démarche dans le même sens ; même réponse. Enfin en décembre, sur la proposition du gouvernement, les deux Chambres de la Nouvelle-Galles du Sud adoptèrent, presque unanimement, une résolution « exprimant le profond mécontentement de la façon dont les droits des États étaient considérés au Parlement fédéral, notamment au sujet de la question de la capitale, » et on commença à parler de sécession.

Grâce aux assurances de bonne volonté du ministère fédéral actuel, cette effervescence s’est un peu calmée. Le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud a d’ailleurs toujours hésité à présenter une proposition ferme, car les compétitions entre divers districts de cet État sont vives et pressantes ; aussi le gouvernement local aimerait à n’avoir pas l’entière responsabilité d’un choix destiné à faire beaucoup de mécontens. Ces hésitations ont contribué à retarder une solution pourtant nécessaire. Le projet de se séparer du Commonwealth n’a d’ailleurs pas été formulé sérieusement en Nouvelle-Galles du Sud. Le conflit n’en subsiste pas moins. Lors même que la Haute Cour statuerait sur le point contesté, la question ne serait pas résolue, car la Haute Cour ne peut rendre qu’une consultation. Il est douteux qu’elle ait, dans l’espèce, le pouvoir légal de contraindre l’une des parties à agréer le choix fait par l’autre. Faudra-t-il donc en appeler au Conseil privé ? Mais, — on l’a vu plus haut, — l’autorisation de la Haute Cour elle-même serait nécessaire. Quoi qu’il arrive, l’Australie attendra longtemps la construction de son Capitole.

La Constitution fédérale aurait dû indiquer auquel des deux gouvernemens appartenait l’initiative de la désignation, et faire connaître quelle autorité serait qualifiée, en cas de désaccord, pour imposer une solution définitive. Si ces précautions avaient été prises, une fâcheuse querelle n’aurait pas surgi, et le Commonwealth ne serait pas dans la singulière posture de ne pas savoir encore où il installera le gouvernement du pays.


VI

Vers la fin de septembre dernier, on fut surpris en Angleterre d’apprendre que l’un des États australiens, le plus jeune, le moins peuplé du Continent, mais le plus vaste et l’un des mieux doués, surtout en richesses minières, l’Australie Occidentale, entretenait avec le gouvernement du Commonwealth des relations si tendues, que l’assemblée législative de cet État venait de voter une résolution affirmant l’inutilité de continuer à faire partie de l’Union, et déclarant le moment venu de soumettre à un referendum la question de la rupture du lien fédéral. La nouvelle était exacte. Elle fut d’abord considérée comme la manifestation d’une mauvaise humeur peut-être justifiée, mais non susceptible d’avoir de sérieuses conséquences. La même résolution ayant été votée par le Conseil législatif de ce même État le 17 octobre, il a bien fallu reconnaître dans cet incident le symptôme d’un mécontentement d’une certaine importance, d’autant plus que, dans les deux Chambres, la majorité en faveur de la motion avait été assez considérable.

On a dit plus haut que l’État de l’Australie Occidentale, isolé des autres parties du continent, n’était entré dans la Fédération que sur la promesse du concours du Commonwealth pour la construction d’un chemin de fer. Cette voie doit relier, de Port-Augusta à Kalgoorlie, le réseau ferré de l’Australie méridionale aux « champs d’or » de l’Ouest, qui sont déjà en communication avec Perth, capitale de l’État. Elle est pour le Western Australia d’un intérêt de premier ordre, et d’un certain intérêt pour l’État voisin de South Australia. Mais pour les autres parties de l’Australie, à part la raison contestable de sa valeur stratégique et l’avantage d’obtenir les correspondances d’Europe un jour ou deux plus tôt, le Transcontinental Railway ne représente que l’obligation d’une dépense d’environ cinq millions de livres sterling, de rémunération problématique. Le tracé de ce chemin de fer, d’une longueur d’environ 1 600 kilomètres, se dirige au milieu de terres arides, inhabitées, probablement inutilisables, et l’exploitation, à cause du manque d’eau, s’annonce comme devant être onéreuse. Cette entreprise est donc, dans les États de l’Est, peu en faveur, et tant de bonnes raisons concourant à l’ajournement du projet, celui-ci passa (avec bien d’autres) du programme du premier ministère fédéral à ceux des ministères suivans, comme une simple clause de style.

La patience du gouvernement de Perth commença toutefois à se lasser, après cinq années d’attente ; aussi le moment paraissant venu d’avoir l’air de faire quelque chose pour le cinderella state, le gouvernement fédéral, au début de la session dernière, déposa une demande de crédits pour les études préliminaires à l’exécution de la ligne. Le crédit était faible, mais la question de principe était posée. Le Sénat du Commonwealth rejeta la demande (résultat prévu) ; et c’est ce rejet qui a déterminé la vigoureuse protestation du Parlement de l’Australie Occidentale. Aura-t-elle pour résultat de rappeler le Parlement fédéral au respect des promesses données ? On voudrait l’espérer. Peut-il d’ailleurs admettre qu’un État faisant partie de la Fédération reste dans une situation exceptionnelle d’isolement ? L’Australie Occidentale, malgré ses rapides progrès, ne compte encore que 250 000 habitans, répartis sur une étendue d’un million de milles carrés. Le concours du gouvernement de l’Union lui est donc, en cette circonstance, absolument nécessaire. Il faudra, tôt ou tard, le lui donner. Dans l’intérêt même de la Fédération, il est désirable que ce soit le plus tôt possible.

Cet incident laisse entrevoir qu’on a peut-être agi hâtivement en attirant dans la Fédération un État qui n’était pas dans des conditions favorables pour y entrer, et que le sentiment des devoirs créés par la récente transformation de l’Australie est encore faible entre les États, puisque chacun d’eux se montre plus préoccupé d’en éviter les charges que d’en préparer les avantages.

Je ne mentionnerai que brièvement les difficultés du gouvernement fédéral avec l’Australie du Sud, au sujet du Northern Territory, car elles n’ont pas le caractère d’un conflit ; mais elles appellent l’attention sur ce qui semble une lacune dans la Constitution fédérale. Le Northern Territory est la partie médiane de l’Australie située au nord du 26e parallèle. Sa superficie est d’environ 500 000 milles carrés (deux fois et demie celle de la France). Il est incomplètement connu, désertique pour la majeure partie, mais certainement exploitable, habitable, et probablement riche, sur de grandes étendues, notamment aux abords du vaste golfe de Carpentarie.

L’État de South Australia, auquel il fut annexé en 1893, n’a pu que montrer de la bonne volonté, — vu l’exiguïté de ses ressources et sa faible population, — pour mettre en valeur les fractions immédiatement utilisables de cet immense pays. La Constitution australienne se borne à constater que le Northern Territory fait partie de l’Australie Méridionale. Depuis 1901, on discute avec une sage lenteur les conditions du transfert de ce territoire au gouvernement du Commonwealth, et l’accord semble loin d’être réalisé. Peut-être n’y a-t-il plus extrême urgence, car avant d’aborder les voies d’exécution, le gouvernement australien devra avoir adouci la rigueur de sa politique quant à l’exclusion des hommes de couleur. Quoi qu’il en soit, il est regrettable que le Northern Territory n’ait pas été placé par la Constitution sous l’autorité du Commonwealth et pourvu d’un régime spécial, car, avec le Queensland septentrional et le Western Australia, il représente pour l’Australie la grande réserve de l’avenir.


VII

En Queensland, le regret d’avoir adhéré à la Fédération est généralement répandu et ouvertement exprimé. Ce sentiment se fonde sur deux motifs. En premier lieu, le jeu des dispositions constitutionnelles qui règlent les rapports financiers du Commonwealth avec les Etats, et dont les effets se répartissent inégalement entre ceux-ci, a fait perdre au Queensland une notable partie de ses ressources. De 1901 à 1905, cette diminution est de plus de 2 millions de livres sterling, soit en moyenne 500 000 livres sterling par an, somme considérable, eu égard aux recettes normales, qui sont d’environ 3 millions et demi de livres.

Le second motif est plus grave, parce que le dommage subi atteint profondément l’une des plus importantes industries du pays, que nulle autre ne pourrait remplacer : celle de la culture de la canne à sucre. Il est causé par l’expulsion des indigènes polynésiens travaillant aux plantations.

L’industrie sucrière, fondée en 1872 en Australie, était parvenue en 1901 à une situation excellente. Le Queensland produisait, sans prime, dans les bonnes années, de 120 000 à 140 000 tonnes de sucre, soit les trois quarts de la consommation de l’Australie entière. Or, 80 pour 100 de cette production était due au travail des Canaques importés des archipels, et dans les districts du Nord la main-d’œuvre blanche (pour la coupe de la canne) n’existait pas, étant pratiquement inutilisable, à cause du climat tropical de ces régions.

En promulguant (décembre 1901) le Pacific Island labourers Act, qui prescrit, par l’application de mesures échelonnées jusqu’en janvier 1907, l’emploi exclusif de la main-d’œuvre blanche sur les plantations, le gouvernement fédéral jeta une profonde perturbation dans cette industrie. Il s’efforça d’en atténuer les conséquences en instituant une prime, équivalant à 2 livres sterling par tonne de sucre, en faveur de la production obtenue sans aucun concours des gens de couleur. Cette prime devait disparaître quand tous les Canaques auraient été rapatriés, c’est-à-dire à la fin de cette année. L’expérience a démontré qu’il la faudra continuer pendant une longue période. C’est une lourde charge pour le budget fédéral, et cependant elle ne sauvera pas l’industrie sucrière en Queensland. En effet, si le résultat de cette législation a été la substitution progressive de la main-d’œuvre blanche à la main-d’œuvre noire, partout où l’excédent du nouveau prix de revient ne semble pas devoir dépasser le montant net de la prime, il n’en a pu être de même au-delà d’une certaine limite géographique. Dans la région située au nord du Tropique, la difficulté de se procurer, à des prix raisonnables, un personnel d’ouvriers de race blanche suffisant en nombre et en qualité, ne peut être vaincue. En certains districts, le travail dans les champs de cannes est même absolument impossible pour des blancs. Les plantations du nord du Queensland sont donc destinées à être abandonnées, à l’exception de celles qui passeront aux mains d’entrepreneurs chinois, ainsi que cela a eu lieu déjà dans les districts de Cairns et de Geraldton.

Lorsque la production de la canne aura été ainsi limitée, toute perspective d’exportation de sucre hors de l’Australie aura disparu. Dans les années médiocres ou mauvaises, il sera même nécessaire d’en importer. Ainsi, l’hostilité des Australiens contre les gens de couleur aura cette conséquence que, pour ne pas consommer le sucre produit sur leur propre sol par des noirs, ils devront en faire venir de l’étranger (Java, Hong-Kong, Fiji ou Maurice) qui aura été produit par la même main-d’œuvre. Il n’y a d’ailleurs que peu d’espoir de voir la culture de la betterave réussir en Australie. Les essais poursuivis en Victoria, de 1896 à 1900, avec l’assistance financière de l’État, ont totalement échoué.

J’ai signalé plus haut la clause de la Constitution fédérale d’après laquelle les primes accordées à la production ou à l’exportation devaient être uniformes sur tout le territoire du Commonwealth. La prime à la main-d’œuvre blanche dans l’industrie sucrière offre un exemple des conséquences injustes que peut avoir une mesure en apparence équitable. Avant la Fédération, comme aujourd’hui, les plantations de cannes situées dans les parties tempérées du Queensland et en Nouvelle-Galles du Sud, employaient la main-d’œuvre blanche, à beaucoup d’égards préférable à celle des indigènes là où le climat permet de l’utiliser. L’octroi de la prime est, pour ces plantations, une libéralité gratuite, alors que, pour les plantations du Nord, elle est une subvention insuffisante ou même inutile. L’intervention du gouvernement fédéral se traduit donc par la prodigalité envers les unes et l’inefficacité envers les autres. On avait suggéré de tracer une ligne de démarcation entre les districts où la main-d’œuvre de couleur pouvait être interdite et ceux où elle devait rester facultative. Dans ces derniers, des primes à la main-d’œuvre blanche eussent encouragé l’abandon de l’emploi des indigènes. Mais la prime à la main-d’œuvre blanche n’étant qu’une forme spéciale de la prime à la production, le texte de la Constitution s’opposait à ce que cette suggestion fût adoptée.

Les États de Queensland et de Nouvelle-Galles du Sud paraissent seuls en cause dans cette question. Cependant, les autres États y ont un intérêt immédiat, celui de fournir les fonds destinés au paiement des primes. Le gouvernement fédéral n’ayant pas, jusqu’à présent, de ressources propres, n’est, en quelque sorte, que le gérant des recettes des États. Ceux-ci ont été allégés des dépenses des services transférés, mais le gouvernement central en perçoit et administre les revenus, sous la seule obligation de restituer aux États et de répartir entre eux au moins les trois quarts des recettes nettes de la douane. Les budgets des États sont donc à la discrétion du gouvernement fédéral.

Il en résulte que, dans chaque État, le gouvernement, assez disposé à approuver les dépenses d’intérêt commun, telles que celles de la défense et autres grands services publics, voit avec ennui le budget fédéral assumer des charges nouvelles, s’il n’y trouve pour lui-même aucun avantage. Les États de l’Ouest, par exemple, ne s’intéressent pas vivement à l’industrie sucrière du Queensland, et il ne leur est pas agréable de contribuer chaque année au paiement d’environ 150 000 livres sterling aux planteurs de l’Est, alors qu’il eût suffi de ne rien faire pour que leur industrie suivît son développement normal, d’ailleurs satisfaisant.

C’est le même sentiment que j’ai signalé de la part des États de l’Est à propos du Transcontinental Railway, et le même encore qui accueille avec méfiance les autres projets de primes, soit à l’immigration, ou à l’industrie métallurgique, ou à certaines industries agricoles, dont il est de plus en plus question. L’esprit d’union n’est pas encore assez puissant et le gouvernement fédéral n’a pas assez d’autorité pour faire accepter de bonne grâce par les États des décisions qui ne s’accordent pas avec leurs intérêts particuliers. Aussi chacun d’eux accentue la tendance à se retrancher derrière « ses droits, » à mesure que le Parlement du Commonwealth s’avance dans la voie des faveurs accordées à telle ou telle industrie.

La question du rachat, par le gouvernement fédéral, des dettes des États, a fait ressortir un autre défaut dans la rédaction du pacte d’union. En stipulant (Art. 105) cette faculté de rachat, dont il est superflu de démontrer l’utilité, la Constitution n’en a autorisé l’exercice qu’à l’égard des dettes existant lors de l’établissement du Commonwealth. C’était sans doute dans la pensée que l’un des premiers soins du gouvernement fédéral serait de procéder à cette opération, ainsi que, dans les mêmes circonstances, on avait fait au Canada. Mais les dettes des États canadiens, quand le Dominion a été constitué, ne s’élevaient qu’à une vingtaine de millions de livres sterling, tandis que celles des États australiens formaient, en 1901, un total de 200 millions de livres sterling (5 milliards de francs), et le gouvernement fédéral n’était pas préparé, à ses débuts, à traiter une aussi grosse affaire. Les États australiens, depuis cette époque, ont encore emprunté près de 40 millions de livres. On a dû reconnaître qu’il était presque indispensable d’inclure ce complément de dettes dans le rachat. Il y avait au moins un avantage certain à les faire profiter de la conversion en Australian Consols, — valeur qu’on se proposait de créer.

La prospérité générale, conséquence des superbes récoltes des dernières années, et surtout l’approche de la fin de la législature, période pendant laquelle tous les gouvernemens éprouvent le besoin de « faire quelque chose, » encouragèrent le ministre des Finances à présenter, en juillet dernier, un projet de rachat. Il comprenait l’ensemble des dettes jusqu’en juin 1905, s’élevant au chiffre respectable de 236 680 739 livres sterling, portant intérêt de 8 millions et demi de livres sterling, en nombres ronds, et par conséquent, impliquait la nécessité d’un amendement à la Constitution. Or, la procédure de révision exige que tout amendement soit adopté à la majorité absolue dans chaque Chambre. Cette majorité se rencontra à la Chambre des représentans, mais non au Sénat. Le rachat des dettes des États fut donc ajourné, et c’est le nouveau Parlement qui devra résoudre cet important problème. On ne devine pas pour quels motifs la Constitution a refusé au Commonwealth la faculté de racheter, avec le consentement des États, les dettes contractées par ceux-ci depuis l’établissement de la Fédération.

Il convient, à ce propos, de remarquer que le texte de la Constitution accumule connue à plaisir les précautions qui peuvent en rendre la révision plus difficile. Cela est également inexplicable. L’accord n’ayant pu être réalisé qu’au prix de concessions réciproques longuement débattues, et sur le mérite desquelles l’expérience seule pourrait se prononcer, le résultat de ces laborieuses discussions ne se présentait pas comme une œuvre définitive. Au surplus, en admettant la Constitution australienne du premier coup parfaite, elle eût quand même réclamé un peu d’élasticité, puisqu’elle devait se plier aux conséquences de l’évolution économique et politique d’une nation jeune, incertaine encore de ses destinées.


VIII

Le gouvernement anglais n’intervenant jamais dans les affaires intérieures australiennes, et l’Australie ne sollicitant jamais cette intervention, on pourrait croire que les relations entre le gouvernement du Commonwealth et celui de la métropole se bornent à des échanges de courtoisies. Ces relations, il est vrai, sont courtoises, mais il s’en faut de beaucoup qu’elles soient de pure forme, parce que l’Australie n’imite pas, dans ses relations avec la mère patrie, la réserve de celle-ci ; elle est, au contraire, en matière politique, extrêmement « interventionniste, » et semble avoir pris au sérieux l’originale définition que l’abbé Galiani, il y a cent cinquante ans, donnait de la liberté : le droit de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas. Le point de départ australien est que l’Angleterre est « une portion » de l’empire britannique, un peu plus importante que les autres, et tout de même sur le pied d’égalité avec elles. Peut-être sera-t-il difficile de faire accepter à Londres cette manière de voir autant que les colonies ne seront pas en état de couvrir elles-mêmes leurs emprunts et de pourvoira leur propre défense ; ce n’est pas même là la conception australienne. Comme la Grande-Bretagne jouit encore du privilège de gouverner la politique générale de l’Empire, l’Australie juge et critique cette politique, et considère de son droit de signifier ses jugemens, de faire entendre ses remontrances. Elle trouverait exorbitant que le gouvernement du Transvaal s’occupât de la législation du Commonwealth sur l’immigration, mais, quand l’importation des coolies chinois fut autorisée et réglementée dans l’Afrique du Sud par le gouvernement britannique, pour l’exploitation des mines, le Parlement fédéral australien n’hésita pas à voter une protestation et à l’adresser, par la voie officielle, au cabinet de Saint-James. Si la question du home rule pour l’Irlande reprend quelque actualité, le même Parlement rédige une motion de sympathie et la fait parvenir par la même voie. L’opinion politique l’encourage dans cette attitude, car elle a son mot à dire dans toutes les questions. On a tenu dans les principales villes d’Australie de grands meetings, convoqués sur l’initiative d’hommes politiques, au sujet de l’alliance anglo-japonaise, de la juridiction au Natal, du mouvement révolutionnaire en Russie, même de l’affaire Dreyfus. Ces manifestations n’ont d’autre inconvénient que d’être inutiles. Elles ne sont pas de nature à créer des difficultés, et quand leur objet reste britannique, elles témoignent, en somme, d’un certain sens de l’intérêt commun ou, — pour parler le langage du jour, — impérialiste.

La contre-partie, c’est-à-dire la résistance à tenir compte des nécessités de la politique générale de l’Angleterre, la mauvaise volonté à respecter intégralement les conventions signées par la mère patrie ou les engagemens pris par elle, la fantaisie législative passant par-dessus le droit des gens, est plus gênante. Ces velléités exubérantes ont mis souvent à l’épreuve la patience et l’ingéniosité du gouvernement anglais. Quiconque a suivi de près les événemens en Australie pendant les dernières années n’a pu qu’admirer cette patience et cette ingéniosité auxquelles est dû le maintien de la cordialité dans des relations que de trop fréquens désaccords rendent assez difficiles.

Un incident tout récent a montré avec quelle désinvolture le Parlement australien traite les convenances de la métropole, même quand il a l’intention de lui être agréable. L’affaire n’est pas d’ailleurs sans intérêt. De plus, les circonstances accompagnant cet incident font ressortir l’instabilité des décisions des Chambres fédérales qui ont paru, en cette occasion comme en bien d’autres, livrées à des inspirations quelque peu vacillantes.

Il s’agit du preferential trade, c’est-à-dire des avantages que, par préférence, les colonies autonomes britanniques peuvent concéder à l’Angleterre dans leurs tarifs douaniers, avec ou sans réciprocité, suivant que celle-ci abandonnera ou conservera le régime du libre-échange. Le preferential trade est une conception de M. Chamberlain, et la base de ses projets de réforme du système fiscal de l’Empire britannique. Le Canada, — qui n’est pas dans les mêmes conditions que l’Australie, — l’a adopté depuis l’année 1897. Il a pour objet, dans l’esprit de ses promoteurs, de resserrer, entre les diverses parties de l’Empire, les liens politiques qui tendent à se relâcher à mesure que chacune de ces parties se crée des intérêts propres qui prennent de plus en plus de consistance. Au point de vue économique, il est supposé devoir permettre à l’Angleterre de monopoliser, autant que possible et au meilleur compte, les produits de ses colonies, en même temps que de concurrencer chez elles, à des conditions avantageuses, les produits manufacturés des pays étrangers et ceux des colonies elles-mêmes. L’espace manquerait pour examiner ici la valeur de cette suggestion. On remarquera seulement qu’elle est un retour déguisé et modernisé aux anciennes théories coloniales, et que son application en Australie pourrait être dangereuse, car la nécessité de conserver pour ses exportations l’accès facile du marché européen ne lui permet guère de s’exposer à des représailles.

Cependant, le premier ministre actuel du Commonwealth, M. Deakin, impérialiste ardent, avait pris la résolution d’engager le pays dans l’expérience du preferential trade. Préoccupé sans doute de la grosse question du rachat des dettes des Etats, il pensait qu’on ne saurait être trop prévenant envers un banquier chez lequel on a un découvert de cinq milliards[13]. En conséquence, le 30 août dernier, après s’être assuré que le Labour party, indifférent à ces sortes d’affaires, ne lui ferait pas d’opposition, il présentait au Parlement fédéral un projet de modifications du tarif douanier, relevant certains droits et comportant d’assez substantiels avantages en faveur de marchandises anglaises de diverses catégories. Ledit projet visait notamment quelques produits dont l’importation des États-Unis et de l’Allemagne concurrence avec succès les similaires d’origine britannique. Son intérêt résidait surtout dans le fait de poser une question de principe. Mais il comprenait en outre une clause réservant le tarif de préférence aux marchandises (anglaises) importées par navires anglais.

Or, l’Angleterre est liée avec presque toutes les puissances par des conventions, — très avantageuses pour son immense commerce maritime, — lui assurant, sous condition de réciprocité, le bénéfice du traitement national en ce qui concerne le pavillon marchand. C’est-à-dire que des marchandises importées, en France par exemple, par bâtimens anglais, ne paient pas de droits plus élevés que si elles étaient importées par bâtimens français, et réciproquement. Ces conventions étant applicables aux colonies britanniques comme à celles des pays cosignataires, la clause « Carried only in british ships, » du projet de M. Deakin, était contraire aux traités en vigueur. On supposera difficilement que le ministère fédéral et les membres du Parlement ignoraient l’existence de ces engagemens internationaux.

Quoi qu’il en soit, voici l’étrange imbroglio qui se produisit. Le 25 septembre, la Chambre des représentans vota le bill ; puis « à une voix de majorité, » sur la proposition d’un membre du parti socialiste, y ajouta un article imposant aux marchandises devant jouir de la « préférence, » l’obligation d’être importées par des navires dont l’équipage serait en totalité de race blanche. On sait que le gouvernement britannique a déjà déclaré qu’il refuserait son approbation à toute loi excluant en bloc les hommes de couleur[14], et qu’il a de sérieux motifs d’agir ainsi. L’article adopté en dernière heure créait donc une difficulté de plus. Le bill fut envoyé au Sénat qui, le 5 octobre, le vota tel qu’il l’avait reçu. Le 10, M. Deakin fit savoir à la Chambre qu’il venait de recevoir de Londres une dépêche rappelant l’existence des traités et l’invitant à faire modifier le bill. La Chambre reprit le bill, supprima les clauses donnant lieu à objection, et le renvoya au Sénat. Le Sénat refusa la suppression et renvoya le bill à la Chambre. La Chambre revint une seconde fois sur son vote et adopta le projet tel qu’il revenait du Sénat.

Le bill était donc une seconde fois voté par les deux Chambres. Le 11, le ministère, sous forme de message du gouverneur général, invita de nouveau le Parlement à supprimer les clauses rétablies. La Chambre obtempéra à cette requête, qui fut aussitôt rejetée par le Sénat. Alors, la Chambre revenant une troisième fois sur son vote, rétablit les clauses supprimées, et le bill fut remis au gouverneur général pour approbation. Il va sans dire que ce projet a été « réservé » à l’assentiment du gouvernement britannique lui-même, lequel aura le regret de ne le pouvoir donner, puisqu’on l’a mis dans l’impossibilité de le faire.

Le lendemain, 12 octobre, la dernière session de la seconde législature fédérale a été close.

Cette anecdote renseigne mieux que de longs développemens sur la physionomie du Parlement fédéral. Elle permet aussi d’apprécier combien indécis est le sentiment public en Australie à l’égard de la politique d’union plus étroite avec la métropole.


IX

On devine que les réclamations des puissances étrangères ont dû être la cause la plus fréquente des difficultés que le gouvernement britannique a eues avec l’Australie fédérée ou à cause d’elle. Pour ne point désobliger le gouvernement du Commonwealth et surtout ne pas ébranler le sentiment impérialiste prompt à s’aigrir dès que la mère patrie semble mesurer ses complaisances, il a fallu écarter des plaintes qui paraissaient fondées, contester les interprétations admises jusqu’alors, et recourir à des subtilités d’argumentation trop ingénieuses. Ces contestations réitérées, mal ou point résolues, ont presque toutes été causées par l’influence du parti socialiste sur le gouvernement du Commonwealth. Quand celui-ci pourra s’en dégager, on trouvera encore en Australie une regrettable tendance antiforeign, mais les manifestations de cet état d’esprit perdront rapidement le caractère fantaisiste qui est le défaut capital de la législation australienne et de ses modes d’application, en ce qui touche aux intérêts étrangers. Beaucoup d’hommes politiques australiens souhaitent qu’une conception plus large de la vie nationale, s’harmonisant avec les qualités hospitalières de la population, s’impose dans le gouvernement du pays.

La responsabilité morale du labour party ne s’étend pas à la manie « interventionniste » signalée plus haut, et qui est particulièrement fâcheuse, quand elle s’exerce dans le domaine de la politique étrangère. Ce sont d’autres influences, auxquelles s’ajoute une inclination pour le panache, qui ont incité le gouvernement fédéral à s’emparer d’affaires où il n’a qu’un intérêt de sentiment, et ce ne fut jamais pour en faciliter les solutions. On peut dire qu’en ces circonstances, il s’est montré fort peu impérialiste. Il est curieux de remarquer que c’est le groupe le plus ardent à revendiquer cette épithète qui fut toujours le plus empressé à créer des embarras à la diplomatie britannique et à gêner les négociations poursuivies à Londres au sujet de questions « impériales. »

Si difficile qu’il soit de distinguer entre les mouvemens profonds et les agitations de surface, on incline à penser, après une attentive observation du caractère australien et des affaires australiennes, que les aspirations militantes du jeune Commonwealth ne constituent pas, — comme on l’a souvent assuré, — un danger sérieux pour les établissemens des autres nations dans le Pacifique. La possibilité, pour les Australiens, de s’emparer, par la force ou par l’effet d’une vigoureuse pression diplomatique, des terres ou archipels déjà occupés par d’autres puissances que l’Angleterre, n’existera pas avant longtemps, à moins que de très graves événemens ne soient survenus en Europe. Peut-être, au contraire, ne s’est-on pas assez préoccupé des rapports économiques et commerciaux de l’Australie avec les pays étrangers.

Il faut tenir compte de la force d’expansion naturelle du peuple australien, et elle ne s’est pas encore manifestée. Elle a été complètement paralysée par la politique. Etant données les qualités spéciales de la race, il est improbable que cette situation se prolonge beaucoup. Déjà on constate en Australie, dans toutes les classes de la société, une impression encore vague de mécontentement et de malaise, symptôme de désapprobation, non pas tant des actes du gouvernement que de la direction générale donnée aux affaires du pays dès les débuts du Commonwealth. On sent plutôt qu’on ne s’explique le contraste entre ce qui a été fait et ce qu’il eût fallu faire, la disproportion entre l’effort et les résultats. L’opinion en Australie semble prendre conscience de ce qu’il y a d’artificiel dans cette législation hâtive, qui s’édifie par secousses brusques et cependant avec lenteur, abritant sous des théories hasardeuses une complaisante faiblesse pour des intérêts trop exigeans. Les optimistes rappellent que l’adaptation d’un peuple à des conditions nouvelles a toujours été, dans les commencemens, laborieuse et troublée ; mais on se demande pourquoi, dans ce pays si libre et si bien protégé, les difficultés grandissent avec le temps au lieu de décroître. On en cherche les raisons ; on énumère les conceptions trop hardies, les tentatives prématurées, les projets trop vastes, les résolutions trop absolues, dont nous avons présenté un tableau nécessairement incomplet, et on n’est pas loin de conclure que, si tout cela fut sincère et bien intentionné, ce n’était peut-être pas tout à fait raisonnable.

Un revirement paraît donc possible, j’oserais dire probable. L’Australie pressent les inévitables responsabilités futures. Si donc, écartant la chimère du pan-britannisme et conservant sa pleine liberté d’action, elle s’occupe exclusivement à mettre en valeur ses richesses naturelles ; si, pour établir sa législation économique, elle ne s’inspire que des conditions de son sol et de son climat, des aptitudes de sa population qu’une large immigration devra renforcer, et de la situation des marchés étrangers ; si enfin, comme l’ont fait les Américains du dernier siècle, elle met au premier plan le travail, et l’agitation politique au dernier, un bel avenir est devant elle.

L’Australie, dès lors, aura un trafic de plus en plus actif avec les territoires et archipels environnans. Les puissances qui ont des possessions dans ces parages prendront ou ne prendront pas une part dans ce trafic. Concurrens, associés ou cliens des Australiens, leurs marchands, leurs armateurs, leurs financiers, y posséderont ou n’y posséderont pas des intérêts. Les nations qui n’y auront plus que des intérêts dits politiques courront le risque de voir leurs établissemens annexés commercialement par l’Australie ; et ce serait le commencement de la fin.


BIARD D’AUNET.


  1. Voyez la Revue des 1er septembre et 1er octobre.
  2. Voyez notamment : J. de Mézeray, Les Nouveaux Etats-Unis, 1901. — A. Viallatte, L’Union australienne (Annales des Sciences Politiques), 1900.
  3. Voyez A Comparison between the federal Constitutions of Canada and Australia, par R. C. Teece. Sydney, 1902.
  4. C’est ce qui est arrivé pour le Navigation bill, proposé par le gouvernement fédéral au début de 1904, et dont l’application fut jugée absolument impraticable. Cette loi, heureusement pour le commerce de l’Australie, est encore à l’état de projet.
  5. Voici le texte de cette disposition singulière par laquelle une Cour de justice peut autoriser ou interdire à son gré le pourvoi contre ses propres arrêts :
    « 74. No appeal shall be permitted to the Queen in Council from a decision of the High Court upon any question, howsoever arising, as to the limits inter se of the Constitutional powers of the Commonwealth and those of any State or States, or as to the limits inter se of the Constitutional powers of any two or more States, unless the High Court shall certify that the question is one which ought to be determined by Her Majesty in Council.
    « The High Court may so certify if satisfied that for any special reason the certificate should be granted, and thereupon an appeal shall lie to Her Majesty in Council on the question without further leave. »
  6. On en prévoit un à l’occasion de la loi sur le Preferential trade. Voyez § VIII.
  7. Voyez la Revue du 1er octobre : le Socialisme en Australie.
  8. Quelquefois inférieure. Pendant la dernière session, la Chambre des représentans était ainsi composée : Ministériels, 20 ; Opposition, 28 ; Labour party, 25 ; Indépendans, 2.
  9. Le labour party a été au pouvoir d’avril à août 1904. La situation « triangulaire » a naturellement cessé pendant cette courte période.
  10. Voyez la Revue du 1er octobre : le Socialisme en Australie.
  11. Un emploi de statisticien a été créé en mars 1906, mais son service n’est pas encore organisé.
  12. Pour 1904 : Nombre d’habitans : Melbourne, 508 000 ; Sydney, 518 000. Commerce par mer : Melbourne, 700 millions de francs ; Sydney, 860 millions. Mouvement des banques : Melbourne, 4 200 millions de francs ; Sydney, 4 500 millions. Valeur des propriétés : Melbourne, 2 000 millions de francs ; Sydney, 2 400 millions.
  13. La partie de la dette australienne formée de capitaux anglais est de 190 millions de livres sterling. Le complément (environ 50 millions de livres) a été souscrit en Australie.
  14. Voyez la Revue du 1er octobre : le Socialisme en Australie, p. 597 et 598.